HISTOIRE DE FRANCE CONTEMPORAINE

 

LIVRE III. — LES INTERVENTIONS ET LES NÉGOCIATIONS.

CHAPITRE VIII. — LE MlNISTÈRE CLEMENCEAU ET LA PAIX.

 

 

I. — LA RÉPRESSION DU DÉFAITISME ET LES BASES DE LA PAIX.

AVEC le ministère Clemenceau, tous les projets ou velléités de négociations cessent. Le nouveau président du Conseil est met par l'unique pensée de la guerre intégrale. Dans sa déclaration chi 20 novembre aux Chambres, il proclame sa volonté de conduire la guerre avec un redoublement d'efforts en vue du meilleur rendement de toutes les énergies. Il se dit résolu à châtier les crimes et les défaillances : Plus de campagnes pacifistes, plus de menées allemandes. Ni trahison, ni demi-trahison : la guerre, rien que la guerre. La Chambre approuve ce langage par 418 voix contre 65. Jusqu'à la fin, même dans les plus mauvais jours, Clemenceau reste inébranlablement fidèle à son programme. Le 24 novembre, la Chambre adopte des conclusions tendant au renvoi de M. Malvy devant la Haute Cour. Le 22 décembre, à la demande du gouvernement utilitaire de Paris, elle vote, à une très grande majorité, la levée de l'immunité parlementaire de M. Joseph Caillaux, accusé d'avoir poursuivi dans la guerre actuelle la destruction de nos alliances en cours d'action militaire et ainsi secondé le progrès des armes de l'ennemi. Le 14 février 1918, le conseil de guerre de la Seine condamne à mort l'aventurier dit Dolo Pacha, et son complice Porchère à trois ans de prison. Les défaitistes sont matés. A la Chambre, quelques socialistes essaient de loin en loin d'exploiter des incidents contre le gouvernement. Mais Clemenceau oppose à toutes les attaques directes ou indirectes une résistance stoïque et une foi inaltérable dans le succès final. Il est récompensé de sa ténacité par la pleine confiance des Alliés.

Le 4 décembre 1917, le président Wilson, en ouvrant le soixante-cinquième Congrès des États-Unis, dit que son but est de gagner la guerre, et qu'il ne considérera la guerre comme gagnée que lorsque le peuple allemand se sera déclaré, par des représentants dûment accrédités, prêt à accepter un règlement fondé sur la justice et la réparation des torts que ses souverains ont commis. En même temps, il déclare la guerre à l'Autriche-Hongrie, vassale du gouvernement allemand. Enorgueilli par Caporetto, Czernin riposte, devant les Délégations réunies pour la première fois depuis 1914, en célébrant l'étroite alliance avec l'Allemagne, et en se vantant de lutter pour la défense de l'Allemagne aussi bien que pour les frontières austro-hongroises : Nous combattons pour l'Alsace-Lorraine comme l'Allemagne a combattu pour Lemberg et Trieste. Je ne fais pas de différence entre Trieste et Strasbourg. Les positions sont nettement prises ; il n'y a plus d'équivoque. Dès lors, les gouvernements de Vienne et de Berlin se préoccupent surtout de désarmer le front russe, et de porter toutes leurs forces sur le front occidental afin de le rompre avant que les contingents américains entrent en ligne. Le 15 décembre, ils signent à Brest-Litovsk un armistice avec les délégués du gouvernement communiste de Petrograd, puis ils engagent avec eux des négociations pour la paix définitive. La Finlande, la Lithuanie et l'Ukraine proclament leur indépendance.

L'hiver 1917-1918 est extrêmement dur pour les populations des pays belligérants. Partout les gouvernements imposent de sévères restrictions à la consommation des objets alimentaires et du combustible. Des grèves très importantes éclatent en Allemagne et en Autriche. Les hommes politiques s'efforcent de soutenir le moral populaire par des discours réconfortants. Mais aucun d'eux ne parle plus de paix de conciliation ; tous disent que seule la victoire clora l'ère des souffrances et des sacrifices. Le 5 janvier, à Londres, Lloyd George affirme devant les délégués des Trade Unions que l'Angleterre appuiera jusqu'à la mort la démocratie française dans sa revendication de l'Alsace-Lorraine. Il ajoute, peut-être afin de prévenir des revendications plus étendues de la part de la France, que le peuple britannique ne se propose, ni de rompre l'unité des peuples germaniques, ni de démembrer leur pays. Il conclut en formulant les trois conditions de paix suivantes :

1° Le caractère sacré des traités doit être rétabli. — 2° Un règlement territorial duit être conclu qui soit fondé sur le droit des nations à disposer elles-mêmes, c'est-à-dire sur le consentement des gouvernés. — 3° il faut chercher à limiter, par l'institution d'un organisme international, le fardeau des armements, et à diminuer les probabilités de la guerre.

Le lendemain, Clemenceau télégraphie é Lloyd George ses plus cordiales félicitations. Le 8 janvier, Wilson expose devant le Congrès le programme de la paix du monde, rédigé en quatorze articles dont voici le résumé :

1° Conventions de paix publiques, excluant les ententes particulières entre les nations : diplomatie ouverte. — 2° liberté de navigation sur tuer en temps de guerre comme en temps de paix. — 3° Suppression, dans toute la mesure du possible, des barrières économiques, et égalité de traitement en matière commerciale pour toutes les nations associées pour le maintien de la paix. — 4° Garanties efficaces pour la réduction des armements. — 5° Règlement impartial de tontes les revendications coloniales en tenant compte des intérêts des populations. — 6° Évacuation du territoire russe, et règlement permettant à la Russie de fixer librement son propre développement politique et son organisation nationale. — 7° Évacuation et restauration de la Belgique, sans aucune atteinte à son indépendance. — 8° Évacuation totale du territoire français, restauration des régions envahies, réparation du tort fait à la France en 1871 en ce qui concerne l'Alsace-Lorraine. — 9° Rectification des frontières de l'Italie, selon des lignes de démarcation clairement reconnaissables entre nationalités. — 10° Faculté pour les peuples de l'Autriche-Hongrie de développer leur autonomie. — 11° Évacuation de la Roumanie, de la Serbie et du Monténégro ; restauration des territoires occupés ; accès à la mer pour la Serbie ; garanties d'indépendance politique et économique de ces trois pays. — 12° Limitation de la souveraineté ottomane aux régions réellement turques ; autonomie pour les autres nationalités ; garanties de la liberté des Détroits. — 13° Création d'un État polonais composé de territoires habités par des populations indiscutablement polonaises : libre accès de la Pologne à la mer. — 14° Formation d'une association générale entre les nations pour assurer à tous les États. petits ou grands, des garanties mutuelles d'indépendance politique et d'intégrité territoriale.

Ces articles, célèbres sous le nom des Quatorze points, deviennent le sujet d'innombrables commentaires. Approuvés par les Cabinets alliés, et concordant en somme avec la déclaration britannique du 5 janvier, ils contiennent cependant des germes de futurs dissentiments, par exemple en ce qui touche la liberté des nets et la rectification des frontières italiennes. Aussi, lorsque M. Pichon consulte les Alliés sur l'opportunité de procéder è la rédaction d'un programme commun, ils répondent qu'il est préférable d'en rester aux déclarations séparées.

Dans les empires Centraux, le programme du 8 janvier stimule la volonté d'en finir le plus tôt possible en Orient. Au commencement de février, les troupes russes installées en Moldavie, cédant aux excitations combinées des 'maximalistes et des agents allemands, attaquent l'armée roumaine qu'elles avaient eu mission de soutenir en 1917. Elles sont repoussées. Mais, le 5, le maréchal Mackensen somme le gouvernement roumain réfugié à Jassy d'engager immédiatement des pourparlers de paix, sous peine de voir dénoncer le 10 février l'armistice conclu en janvier. M. Jean Bratiano quitte alors le pouvoir. que le roi Ferdinand confie au général Averesco, et les pourparlers commencent. Le 10, Trotzki cherche à échapper aux conditions léonines des plénipotentiaires austro-allemands en déclarant la paix à l'Austro-Allemagne et en faisant décréter la démobilisation générale. Mais l'Allemagne menace les Soviets de reprendre les hostilités le 18 s'ils ne capitulent pas, et ajoute de nouvelles conditions aux anciennes. Les Soviets se soumettent. Le 3 mars, ils signent à Brest-Litovsk un traité de paix qui confère aux empires Centraux le droit de disposer de territoires russes contenant près de 30 millions d'habitants.

Une action parallèle se poursuit en Roumanie. Le 5 mars, le sénateur Argetoiano signe au château de Buftea, près de Bucarest, des préliminaires de paix avec M. de Kühlmann, le comte Czernin, M. Montchilof et Talaat Pacha ; la Roumanie est étranglée. Le Cabinet Averesco, démissionnaire. est remplacé par un Cabinet Alexandre Marghiloman. Le 7 mai, le traité définitif est signé à Bucarest : il livre à la Bulgarie la partie de la Dobroudja annexée en 1913, à l'Autriche-Hongrie toute la frontière stratégique des Car-pallies, et aux quatre alliés germano-touraniens, pour qu'ils en disposent plus tard, le reste de la Dobroudja jusqu'au bras de Saint-Georges ; en outre, il met la Roumanie en tutelle politique, économique et scolaire.

 

II. — LES RÉVÉLATIONS DIPLOMATIQUES ET LA SOLIDARITÉ AUSTRO-ALLEMANDE.

CES événements sont accompagnés de déclarations sensationnelles. M. Pichon révèle que les instructions reçues le 31 juillet 1914 par M. de Schœn lui prescrivaient de réclamer la remise des forteresses de Toul et de Verdun si la France déclarait vouloir observer la neutralité. M. de Bethmann-Hollweg sort du silence de la retraite pour essayer de justifier ces instructions par l'avis des plus hautes autorités militaires allemandes. Puis on divulgue des fragments d'un mémoire secret du prince Lichnowsky et des confidences de M. Muchlon, ancien sous-directeur des usines Krupp. Il en ressort à l'évidence que l'ancien ambassadeur d'Allemagne à Londres a très exactement informé son gouvernement des intentions de l'Angleterre pendant la crise de 1914, et que le Cabinet de Berlin préparait la guerre des le commencement de juillet.

Le 2 avril, Czernin provoque une polémique retentissante en affirmant, dans un discours aux représentants de la municipalité de Vienne, que Clemenceau, quelque temps avant le commencement de l'offensive sur le front occidental, lui a fait demander s'il était prêt à entrer en négociations, et sur quelles bases. Il proclame à ce propos la fidélité de l'Autriche à l'Allemagne et appelle sur les ennemis des empires Centraux une vengeance terrible. Clemenceau répond par ces simples mots : Le comte Czernin a menti. Czernin réplique en invoquant les pourparlers du comte Nicolas Revertera avec le comte Armand, en février 1918. Le 8, Clemenceau expose la tentative d'amorçage pour une paix allemande de Revertera, et signale une autre tentative du même ordre par un personnage d'un rang fort au-dessus du sien. Czernin riposte par l'allégation que Clemenceau a fait échouer cette dernière tentative en refusant d'entrer en négociations sur la base de la renonciation à la réannexion de l'Alsace-Lorraine. Clemenceau révèle alors que l'empereur Charles a, de sa main, consigné son adhésion aux justes revendications françaises relatives à l'Alsace-Lorraine. A ce moment, Charles Ier lui-même entre en scène ; dans un télégramme à Guillaume II, il qualifie de mensongère l'assertion de Clemenceau, et célèbre la parfaite solidarité entre les deux empires Centraux. Un communiqué officiel de Vienne accentue ce démenti. Le 12 avril, Clemenceau fait publier la lettre de Charles Ier au prince Sixte. Après des explications assez vives avec l'empereur et l'impératrice, Czernin déclare que la lettre de Charles Ier, toute privée et personnelle, est falsifiée dans le texte publié à Paris, et que l'empereur a écrit seulement : J'aurais fait valoir toute mon influence personnelle en faveur des revendications françaises relatives à l'Alsace-Lorraine si ces prétentions étaient justes : mais elles ne le sont pas. Clemenceau rétablit la vérité et flétrit les consciences pourries. Le 15, une note du Ballplatz déclare en termes embarrassés l'incident clos.

Mais, si l'incident était clos entre la France et l'Autriche, il ne l'était pas entre l'Autriche et l'Allemagne. Charles Ier, qui n'a pas tenu Czernin au courant de tout, croit devoir protester dans un second télégramme à Guillaume II contre les accusations de Clemenceau. Nos canons à l'Ouest, dit-il, constituent notre réponse ultérieure. Le 15, Czernin donne sa démission et est remplacé par le baron Burina. Le ministre et son souverain s'étaient pris eux-mêmes dans le réseau de leurs intrigues. Leurs tentatives maladroites pour ressaisir une certaine influence à Berlin aboutissaient au resserrement de la dépendance de l'Autriche. Charles Ier se trouvait contraint, au commencement de mai, d'aller au G. Q. G. allemand s'humilier devant Guillaume II et lui donner de nouveaux gages de fidélité. D'après le communiqué officiel publié le 19 mai, les deux souverains avaient décidé de reconstruire et, d'approfondir l'alliance actuelle. Mais cette reconstruction ne relevait point le prestige des Habsbourg. A Pest, une longue crise ministérielle, qui se terminait péniblement par le maintien de M. Wekerlé au pouvoir, et des grèves de plus en plus graves agitaient la Hongrie. A Laybach, des manifestations tumultueuses s'organisaient contre les autorités, et des pétitions portant plus de 200.000 signatures réclamaient l'union yougoslave. A Vienne, M. de Seidler, débordé de tous côtés, offrait sa démission. A Prague, la garnison magyare envoyée pour contenir les Tchèques entrait en collision avec la population. L'érection des districts mixtes de Bohème en capitaineries allemandes portait au comble l'exaspération des Tchèques. Les mutineries des troupes tchèques, slovaques et slovènes, et les assassinats d'officiers allemands se multipliaient.

 

III. — LES LÉGIONS TCHÉCO-SLOVAQUE ET POLONAISE EN FRANCE ; L'ITALIE ET LES YOUGOSLAVES.

EN France, on pensait depuis longtemps à utiliser les rébellions et les aspirations des Slaves d'Autriche-Hongrie pour constituer des légions combattantes avec ceux d'entre eux qui, prisonniers des puissances alliées, déserteurs ou réfugiés, demandaient à participer à l'œuvre de libération de leurs patries : la Bohème élargie en Tchécoslovaquie, la Yougoslavie serbo-croato-slovène, et la Pologne. Mais il n'en était pas de même en Italie, où le gouvernement n'était pas encore acquis à l'idée du démembrement de la monarchie habsbourgeoise. On montrait à Home de l'énervement chaque fois qu'il était question dans un pays allié de reconnaître, sous n'importe quelle forme, les Comités ou Conseils institués à l'étranger par les Slaves austro-hongrois. On était moins inquiet. mais aussi prudent à Londres ; le gouvernement et l'opinion britanniques conservaient des illusions sur la monarchie dualiste, et désiraient ne pas fermer les voies à tout arrangement. Aussi, lorsque M. Nicolas Pachitch, Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères de Serbie, signa le 20 juillet 1917, à Corfou, avec M. Ante Trumbitch, chef du parti national croate à la Diète de Dalmatie et président du Comité yougoslave, une déclaration proclamant l'unité du peuple yougoslave et la volonté de créer un royaume indépendant serbo-croato-slovène, les Cabinets alliés se tinrent-ils sur la réserve. Les représentants des trois branches du peuple yougoslave étaient unanimes à répudier toute solution partielle du problème de la libération et de l'unification nationale et à réclamer l'union avec la Serbie et le Monténégro dans un État unique formant un tout indivisible. Cette déclaration fut ensuite approuvée et confirmée dans de nombreuses manifestations patriotiques. A la tribune mémo de la Chambre des députés de Vienne, an cours des négociations de Brest-Litovsk, les députés yougoslaves affirmèrent que tonte paix qui sanctionnerait le statu quo dans la monarchie serait le commencement d'une lutte la vie et à la mort des Slaves austro-hongrois.

Le 16 décembre 1917, le gouvernement français, passant outre aux objections, décréta l'organisation en France d'une armée tchécoslovaque autonome au moyen d'éléments tchécoslovaques échappés a l'oppression de l'adversaire. Vers le même temps, un mouvement commença de se former dans l'opinion italienne en laveur d'un rapprochement avec les Yougoslaves des délégués bénévoles italiens, réunis à Londres aux représentants du Comité yougoslave, admirent que le traité de Londres du 26 avril 1915, conclu à un moment où la Russie convoitait Constantinople et les Dardanelles, et où l'Italie cherchait à se garantir contre l'expansion russe dans la Méditerranée, ne correspondait plus à la situation nouvelle. Le 4 mars, au Sénat italien, en réponse à un discours de M. Ruffini, M. Orlando reconnut l'utilité d'écarter la douloureuse équivoque qui s'était formée entre les aspirations italiennes et les sentiments des Slaves du Sud. Le 7 mars, M. Trumbitch échangea à Londres avec M. André Torre, délégué du Comitato italiano per l'accordo tra i popoli soggelli all' Austria-Ungheria, des lettres identiques constatant la nécessité de la collaboration de l'Italie et des nationalités opprimées de l'Autriche-Hongrie, et formulant sept principes applicables à cette collaboration. Ces principes furent précisés et proclamés dans un congrès que tinrent à Rome, du 8 au 10 avril, neuf membres du Comité yougoslave assistés de neuf membres du Parlement serbe, plusieurs sénateurs, députés et publicistes italiens, des membres du Conseil national tchécoslovaque, des délégués roumains et polonais, en présence de quelques députés et publicistes français, ainsi que de publicistes anglais et américains. A l'unanimité, le Congrès de Rome décida la lutte commune contre les oppresseurs communs jusqu'à ce que chacun des peuples assujettis eût atteint sa libération totale, son unité nationale complète et sa liberté. Il spécifia que la Monarchie austro-hongroise était l'instrument de la domination germanique. Il prévit que les questions territoriales pendantes seraient réglées sur la base du principe des nationalités et du droit des peuples à disposer de leurs propres destinées, de façon à ne pas porter préjudice aux intérêts vitaux des deux nations (italienne et yougoslave), qui seront définis au moment de la paix. Le 11 avril, le président du Conseil italien, assisté du ministre Bissolati, reçut les délégués au Congrès et leur adressa une allocution chaleureuse. M. Trumbitch fut ensuite invité à visiter, avec une délégation de volontaires yougoslaves, le front italien. Quelques jours plus tard, il était acclamé au théâtre du Quirinal. Presque toute la presse italienne célébra les résultats obtenus. Le gouvernement français suivait ce mouvement avec une sympathie discrète, mais active.

Dès lors, les manifestations nationales et internationales se succèdent rapidement. Le gouvernement des États-Unis publie officiellement les résolutions du Congrès de Rome, les communique aux missions américaines à l'étranger et exprime directement ses sympathies pour les aspirations des Tchécoslovaques et des Yougoslaves. Le 13 avril, à Prague, les députés tchécoslovaques et yougoslaves réunis jurent de libérer leurs peuples et de détruire le système impérialiste couvert des malédictions de l'humanité. Le 24 avril, le gouvernement italien signe avec le Conseil national tchécoslovaque une convention militaire relative à la création d'une armée tchécoslovaque en Italie. Le 16 mai, à Prague, 9.00 délégués yougoslaves, unis à des Polonais de Galicie, à des Italiens de Trente, à des Roumains de Transylvanie, acclament publiquement les puissances de l'Entente. chantent la Marseillaise et prêtent serment de donner leurs biens et leurs vies pour assurer à leurs nations l'unité d'État. Les emprisonnements et les relégations n'arrêtent point ce mouvement.

Le 3 juin, à l'issue d'une séance du Conseil supérieur de la guerre tenue à Versailles, les premiers ministres de France, de Grande-Bretagne et d'Italie publient une déclaration par laquelle ils affirment, en termes identiques à ceux de la déclaration américaine, leurs sympathies pour la cause des Tchécoslovaques et des Yougoslaves. Le 11 juin, à la Chambre des Communes, Lord Robert Cecil reconnaît le droit de ces deux peuples de fixer leur statut futur, et la précieuse assistance que leurs troupes prêtent à la cause des Alliés. Le 16 et le 26 juin, pendant et après la bataille de la Piave, M. Orlando renouvelle, devant les membres du Comité yougoslave présent à Rome, ses déclarations du 11 avril, et manifeste sa résolution de marcher jusqu'à la fin dans cette nouvelle voie. Le 22 juin, sur le front français, le Président de la République remet solennellement aux régiments polonais formés en France les drapeaux qui leur sont offerts par les villes de Paris, de Nancy, de Belfort et de Verdun. Le 30 juin, il accomplit une cérémonie analogue pour la première unité de l'armée autonome tchécoslovaque de France. Les discours qu'il prononce lors de ces deux cérémonies consacrent les légitimes revendications des peuples dont les soldats se battent à côté des nôtres. Une lettre du 29 juin de M. Pichon à M. Rentes formule, au nom du gouvernement de la République, le vœu que l'État tchécoslovaque devienne bientôt, par les communs efforts de tous les Alliés, en union étroite avec la Pologne et l'État yougoslave, une barrière infranchissable aux agressions germaniques et un facteur de paix dans une Europe reconstituée suivant les principes de la justice et du droit des nationalités. Tel resta le programme du gouvernement français, aussi ferme après l'offensive victorieuse de Foch que durant la période critique du printemps et de l'été.

 

IV. — LE PROGRAMME DE PAIX ET LE DÉCOURAGEMENT AUSTRO-ALLEMAND.

DE son côté, le 4 juillet, à Mount Vernon, devant la tombe de Washington et le corps diplomatique, Wilson définit ainsi les fins pour lesquelles combattent les peuples associés du monde :

1° La destruction de tout pouvoir arbitraire, où qu'il se trouve, qui puisse à lui tout seul, secrètement et de sa propre initiative, troubler la paix du monde ; si ce pouvoir ne peut être présentement détruit, il doit être du moins réduit à une véritable impuissance.

2e Le règlement de toute question concernant, soit des territoires, soit un droit de souveraineté, soit des arrangements économiques, soit des relations politiques, sur la base de la libre acceptation de ce règlement par le peuple immédiatement intéressé, et non point selon les intérêts matériels On le profit d'un autre peuple ou dune nation quelconque qui pourrait souhaiter un règlement différent en vue de son influence dans le monde ou de sa propre hégémonie.

3° Le consentement de toutes les nations à se laisser guider dans leur conduite à l'égard les unes des autres par les mêmes principes d'honneur, de respect pour la loi commune, qui déjà régissent les rapports entre individus dans tous les États modernes.

4° L'établissement d'une organisation de paix telle qu'ou ait la certitude que le pouvoir combiné des nations libres mettra obstacle à tout empiétement sur le droit, telle aussi que la paix et la justice soient pleinement sauvegardées par un véritable tribunal de l'opinion auquel tous devront se soumettre, et qui tranchera toute contestation internationale au sujet de laquelle les peuples directement intéressés ne pourraient se mettre d'accord amicalement. — Ces grands desseins s'expriment en une seule formule : nous voulons le règne de la loi, fondé sur le consentement des gouvernés et soutenu par l'opinion organisée de l'humanité.

Le programme allemand était bien différent. Le 15 juin, trentième anniversaire de son règne, Guillaume II se vanta d'avoir, dès le début, mesuré la portée de la guerre.

Le peuple allemand, dit-il, ne vit pas clairement, quand la guerre éclata, quelle signification elle aurait. Je le savais très exactement. Aussi la première explosion d'enthousiasme ne put pas m'aveugler, ni apporter de changement à mes projets et à mes calculs. Je savais très bien de quoi il s'agissait, car la participation de l'Angleterre signifiait la guerre mondiale. Il s'agissait non d'une campagne stratégique, mais d'une lutte entre deux conceptions du monde ; ou bien la conception prussienne, allemande, germanique, du droit, de la liberté, de l'honneur, de la morale doit continuer à être respectée, ou bien la conception anglaise doit triompher, c'est-à-dire que tout doit se ramener à l'adoration de l'argent et que les peuples de la terre devront travailler comme des esclaves pour la race de maîtres des Anglo-Saxons qui les tiendra sous le joug. Ces deux conceptions luttent l'une contre l'autre. Il faut absolument que l'une d'elles soit vaincue, et cela ne se fait pas en quelques jours, en quelques semaines, ni même en une année. Je le voyais très clairement.

Toutefois, M. de Kühlmann n'était pas partisan de cette lutte à outrance. Le 25 juin, au Reichstag, tout en célébrant les dernières opérations militaires et leur conduite géniale, tout en marquant de larges buis de guerre et en refusant de s'engager à restituer la Belgique, il avoua qu'il était impossible d'envisager avec certitude le moment où la guerre serait finie et qu'on ne pouvait guère attendre de décisions uniquement militaires, en dehors de toute négociation diplomatique, une conclusion absolue. Cette modération relative déchaîna les colères de l'état-major et de la droite. Ludendorff affecta de traiter les questions extérieures sans en référer au ministre des Affaires étrangères. Le chancelier, qui faisait un long séjour au G. Q. G., n'osa pas couvrir Kühlmann, qui donna sa démission le 8 juillet. De plus en plus sous l'influence de l'état-major, Hertling refusa de donner au Vatican des assurances relatives à la Belgique, qui, déclara-t-il le Il juillet à la Commission du Reichstag, devait rester un gage entre les mains de l'Allemagne. Il laissa nommer à la place de Kühlmann l'amiral de Hintze, alors ministre à Christiania,. et connu pour le cynisme de ses moyens de propagande. Ces incidents provoquèrent autant de trouble à Vienne et à Pest qu'à Berlin. Le 22 juillet, devant l'impossibilité de gouverner, M. de Seidler se retira définitivement. Il s'ouvrit alors en Autriche une cri-e qui confinait à l'anarchie.

Cependant, le mois de juillet ne s'était pas écoulé que le ton changeait en Allemagne. Le 31 juillet, dans des proclamations au peuple allemand, à l'armée et à la flotte, à l'occasion de l'entrée dans la cinquième année de guerre, Guillaume II gémit sur l'obstination des ennemis à refuser de l'aider à ramener la paix dans le monde bouleversé ; il ne parlait plus du triomphe de la conception prussienne germanique dans le monde ; il demandait seulement que les ennemis reconnussent le droit de l'Allemagne à l'existence. A peine installé à la Wilhelmstrasse, l'amiral de Hintze confiait à des amis que le grand obstacle à la paix était le mantille de confiance de l'étranger dans la politique allemande, attendu qu'elle était foncièrement malhonnête. Il protestait, dans une interview, de son désir d'accueillir des propositions de paix. Alors qu'au milieu de juillet Ludendorff lui avait affirmé sa certitude de battre définitivement l'ennemi au cours de l'offensive engagée, le même Ludendorff avouait, le 13 août, qu'il avait perdu cette certitude, et qu'on ne pouvait plus espérer briser la volonté guerrière des ennemis par des actions militaires. Il n'espérait plus que paralyser cette volonté de guerre par une défensive stratégique. Il pria M. Erzberger de préparer la formation d'un nouveau gouvernement, qui se déclarerait prêt à engager des négociations sur la luise de larges concessions. A un conseil de Couronne tenu le 14 à Spa. Guillaume II exposa qu'il fallait guetter le moment favorable pour se mettre d'accord avec les ennemis. Toutefois, malgré Hintze et sur l'insistance de Hindenburg, on décida de ne pas commencer l'action diplomatique. En dépit des protestations de Charles Ier et de Burian venus le 14 à Spa, cette décision fut maintenue.

Tandis que les gouvernements alliés étroitement unis fêtaient l'Independence Day et le 14 juillet dans des cérémonies émouvantes, Vienne et Berlin se querellaient. Le gouvernement prussien s'épuisait en tentatives incohérentes et fallacieuses de réformes parlementaires. Le nouveau Cabinet autrichien présidé par M. Hussarek essayait vainement de mettre sur pied un système fédératif. Ferdinand de Bulgarie changeait en bitte de ministres. Talaat Pacha donnait des conseils à Berlin. La Hollande déclinait le rôle d'intermédiaire près des Alliés. Froissé par l'entêtement de l'Allemagne à garder la Belgique en gage, le Vatican se dérobait aussi. La publication des conventions germano-russes additionnelles au traité de Brest-Litovsk : faisait dire à un ministre des Pays-Bas : Les Allemands volent encore sur leur lit de mort. Après avoir tenté de duper tout le monde, les deux empires Centraux se trouvaient isolés, mécontents l'un de l'autre, en face d'adversaires de plus en plus actifs. Le août, le gouvernement anglais reconnaissait officiellement les Tchécoslovaques comme nation alliée, belligérante, faisant une guerre régulière à l'Autriche-Hongrie et à l'Allemagne, et représentée par le Conseil national tchécoslovaque. Le 2 septembre, le gouvernement des États-Unis reconnaissait également le Conseil national tchécoslovaque comme gouvernement belligérant de facto, et se déclarait prêt à entrer en relations avec lui à l'effet de poursuivre la guerre contre l'ennemi commun. Le 9 septembre, le Japon publiait une déclaration analogue. Il n'en fut pas de même pour la reconnaissance du Comité yougoslave. M. Sonnino s'y opposait avec ténacité. En septembre, plusieurs Conseils des ministres se tinrent coup sur coup à Rome. Le bruit courut que M. Sonnino, en désaccord avec M. Orlando, était démissionnaire. Mais, le 25 septembre, une note officielle annonça qu'un accord transactionnel s'était établi dans les conditions suivantes :

Conformément la décision prise par le Conseil des ministres le 8 septembre, le gouvernement italien a informé les gouvernements alliés qu'il considère le mouvement des peuples yougoslaves pour la déclaration de leur indépendance et leur constitution en État libre comme étant en harmonie avec les principes pour lesquels les Alliés combattent, ainsi qu'avec les buts d'une paix juste et durable. Les gouvernements alliés out répondu eu prenant acte avec satisfaction de la déclaration faite par le gouvernement italien.

Cette déclaration coïncidait à quelques jours près avec de grands événements. Sentant tout crouler autour de lui et las de voir Guillaume II esquiver indéfiniment les démarches nécessaires, Charles Ier fit publier le 14 septembre le texte d'une longue note qu'il adressait aux États neutres et au Saint-Siège pour proposer la réunion en pays neutre de délégués des Etats belligérants, afin d'engager des conversations ayant un caractère confidentiel et non obligatoire, sur les principes fondamentaux d'une paix à conclure. Ces délégués auraient pour mandat de se communiquer réciproquement les vues de leurs gouvernements quant aux principes susdits, et de se renseigner mutuellement avec toute liberté et franchise sur tous les faits qui demanderaient à être précisés. Cette note était un cri de détresse. Le 17, au Sénat, M. Clemenceau répondit à ces avances apeurées par un discours pathétique où il revendiqua le droit de pousser la victoire jusqu'au bout. Il termina par ce programme :

Que veulent nos héros ? Que voulons-nous nous-mêmes ? Combattre, combattre victorieusement encore et toujours, jusqu'à l'heure où l'ennemi comprendra qu'il n'y a plus de transaction possible entre le crime et le droit. Nous serions indignes du grand destin qui nous est échu si nous pouvions sacrifier quelque peuple, petit ou grand, aux appétits, aux rages de domination implacable qui se cachent encore sous les derniers mensonges de la barbarie. J'entends dire que la paix ne peut être amenée par une décision utilitaire. Ce n'est pas ce que disait l'Allemand quand il a déchainé dans la paix de l'Europe les horreurs de la guerre. Ce n'est pas ce qu'il annonçait hier encore quand ses orateurs, ses chefs se partageaient les peuples comme bétail enchaîné, annonçant chez nous et réalisant en Russie les démembrements qui devaient faire l'impuissance du monde sous la loi du fer.

La décision militaire, l'Allemagne l'a voulue et nous a condamnés à la Poursuivre. Nos morts ont donné leur sang en témoignage de l'acceptation du plus grand défi aux lois de l'homme civilisé. Qu'il en soit donc comme l'Allemagne a voulu, contrite l'Allemagne a fait. Sous ne chercherons que la paix, et nous vouloirs la faire juste, solide, pour que ceux il venir soient sauvés des abominations du passé. Allez donc, enfants de la patrie, allez achever de libérer les peuples des dernières fureurs de la force immonde ! Allez à la victoire sans tache ! Toute la France, toute l'humanité pensante sont avec vous.

M. Balfour et M. Lansing opposèrent également un refus aux propositions viennoises. En accusant réception au ministre de Suisse à Paris de la communication de la note austro-hongroise, M. Pichon joignit à sa lettre, à titre de réponse à Vienne, un numéro du Journal Officiel contenant le discours de Clemenceau au Sénat. Des suggestions détournées de paix faites par l'Allemagne à la Belgique, par le canal de Berne, furent déclarées par le gouvernement belge indignes de servir de base à une discussion sérieuse : elles stipulaient la neutralité de la Belgique jusqu'à la fin de la guerre et des garanties pour le règlement de la question flamande. Or, au moment où ces ouvertures outrageantes étaient adressées à la Belgique, le front bulgare s'écroulait.

 

V. — LES ARMISTICES.

COMMENCÉE le 15 septembre, l'attaque des lignes bulgares du Vetrenik, du Dobropolie et du Sokol par le corps expéditionnaire de Macédoine aboutissait, le 22, à la déroute des Bulgares. Alors commençait une poursuite acharnée exécutée par les Serbes avec une vigueur et une hardiesse merveilleuses. Refoulés en désordre malgré le secours des Allemands, les Bulgares sollicitèrent un armistice le 26. Le 29, l'armistice était signé à Salonique par le général Franchet d'Espérey et les délégués du tsar Ferdinand ; il désarmait la Bulgarie, et ouvrait tous les Balkans aux troupes alliées.

Cette fois, l'Allemagne tout entière voit le gouffre ouvert devant elle. Ludendorff presse le ministre des Affaires étrangères de l'aire immédiatement des propositions de paix : Les armées, dit-il, ne peuvent plus attendre quarante-huit heures. Il insiste en même temps pour que le chancelier se retire sans retard et qu'un nouveau gouvernement soit formé. Le 30, Hertling et Hintze remettent leur démission, qui est aussitôt acceptée. Un désarroi complet règne au G. Q. G. et à Berlin. On ne sait plus où est l'autorité. Le prince Max de Bade est nommé chancelier, et M. Solf passe du ministère des Colonies à celui des Affaires étrangères. Mais c'est Ludendorff qui rédige la note que le nouveau gouvernement décide d'adresser au président Wilson pour demander un armistice. Quinze jours auparavant, il permettait à peine au chancelier d'adhérer en principe à la note de l'empereur Charles. Le 5 octobre, la dépêche expédiée de Berlin à Washington propose à Wilson de prendre en main la cause de la paix, d'en informer tous les États belligérants, et de les inviter à envoyer des plénipotentiaires pour ouvrir des négociations sur la base du programme exposé dans le message du 8 janvier 1918 et dans les déclarations ultérieures du Président : Pour éviter que l'effusion du sang continue, le gouvernement allemand demande la conclusion immédiate d'un armistice général sur terre, sur mer et dans les airs. Le gouvernement austro-hongrois accomplit à Washington une démarche analogue. Le tsar Ferdinand abdique en faveur de son fils Boris. Au Reichsrat, le Cabinet Hussarek est accueilli par les cris de : A bas l'Allemagne ! Un gouvernement tchécoslovaque provisoire, élu le 26 septembre et composé de Masaryk, président, Belles, ministre des Affaires étrangères, et Stefanik, ministre de la Guerre, est reconnu officiellement à Paris.

Le 8 octobre, Wilson réclame à Berlin des éclaircissements préalables sur la question de savoir si le chancelier parle simplement au nom des autorités constituées de l'empire qui jusqu'ici ont conduit la guerre ; en outre, il exige l'évacuation immédiate de tous les territoires envahis. Le 9, Ludendorff, après avoir conféré avec les principaux généraux, insiste sur la prompte conclusion de la paix et accepte la condition de l'évacuation. Le 12, le chancelier télégraphie en ce sens à Washington, et déclare qu'il parle au nom du gouvernement et du peuple allemands, avec l'assentiment de la grande majorité du Reichstag. Il annonce en même temps un prochain projet de loi tendant à réviser la Constitution impériale. Cependant, devant la Commission des affaires extérieures de la Délégation hongroise, le comte Burian parle comme s'il était le maître des événements : il se dit étroitement uni avec les fidèles alliés allemands et avec la Turquie, et parle des diverses parties de la Monarchie comme d'un tout qui est appelé à agir à l'extérieur avec une unité puissante. Le 14, Wilson précise à Berlin ses conditions : l'évacuation des territoires occupés sera efffectuée conformément aux avis des conseillers militaires des gouvernements alliés et associés, de telle manière que le maintien de la supériorité militaire des armées alliées soit absolument garanti ; cessation de la guerre sous-marine et des actes de destruction ou d'inhumanité ; exécution du premier point du décours de Mount-Vernon relatif à la suppression de tout pouvoir arbitraire, le pouvoir qui a gouverne jusqu'ici la nation allemande étant de la nature ci-dessus indiquée. Le 17, Charles Ier-IV lance un manifeste sur la prochaine transformation de la Monarchie en un Etat confédéré. Mais, le 18, le président des Etats-Unis notifie à Vienne qu'il a déjà reconnu le gouvernement tchécoslovaque ainsi que la justice des aspirations nationales des Yougoslaves vers la liberté, et qu'en conséquence il ne peut plus s'agir pour ces peuples d'une simple autonomie. Burian disparaît : il est remplacé par le comte Jules Andrassy, un des plus ardents champions de la Triplice, qui se croit de force à rétablir la situation diplomatique.

A Berlin, dans le même espoir, on se hale de camoufler l'Empire en Etat constitutionnel. Le 16, des rescrits impériaux limitent les pouvoirs du commandement suprême de l'armée et de l'empereur. Le 18, un Alsacien est nommé statthalter du Reichsland, dont l'administration est renouvelée. Le 20, M. Solf répond à différents points de la deuxième note Wilson. Ludendorff cherche à échapper à 1reétreinte. Le 22, au Reichstag, le prince Max de Bade s'efforce, dans un grand discours, de présenter an monde une Allemagne loyale, pacifique et modérée. Le 23. Wilson jette à bas l'échafaudage diplomatique germanique : il exige un armistice qui rende impossible un renouvellement d'hostilités de la part de l'Allemagne ; puis il affirme que les nations du monde ne se fient pas et ne peuvent pas se lier à la parole de ceux qui ont été jusqu'à présent les maîtres de la politique allemande ; en conséquence, il veut, ou traiter avec d'autres hommes, investis d'une autorité sincèrement constitutionnelle, ou la capitulation pure et simple de l'Allemagne.

Hindenburg et Ludendorff, acculés, ne se résignent pas à céder. Ludendorff donne sa démission. Le Conseil des ministres discute la question de l'abdication de l'empereur. Le 27, M. Solf tente une dernière fois de se dérober : il télégraphie à Washington que le gouvernement au pouvoir a entre les mains l'autorité effective et constitutionnelle pour prendre une décision, et qu'il attend les conditions de l'armistice. Le même jour, à deux reprises, Andrassy notifie aux Etats-Unis que l'Autriche-Hongrie accepte toutes les conditions de Wilson, et qu'elle est prête, sans attendre le résultat d'autres négociations, à négocier la paix ainsi qu'un armistice sur tous les fronts.

Il n'était plus temps pour l'Autriche-Hongrie de recourir au président Wilson. Dans la nuit du 30 au 31, les plénipotentiaires ottomans signent à Moudros, avec le vice-amiral anglais Calthorpe, un armistice qui entre en vigueur le 31 à midi, et qui met la Turquie hors d'état de reprendre les hostilités. Quoique l'amiral Calthorpe se dise en la circonstance le représentant des Alliés et que les gouvernements alliés ratifient ensuite ses actes, il n'agit pas d'accord avec eux. et néglige d'imposer sur terre un désarmement effectif suffisant. Mais ces omissions, qui auront plus tard de fâcheuses conséquences pour le règlement des affaires orientales, n'atténuent pas l'effet immédiat de la capitulation turque. Le 3 novembre, les armées austro-hongroises, battues à Vittorio-Veneto, se trouvant en déroute complète, les délégués militaires de l'empereur Charles sont obligés de signer avec le général Diaz ; commandant les forces italiennes, une capitulation sans réserves Les peuples de la Monarchie s'organisent eux-mêmes. Charles Ier-IV se réfugie quelques jours après en Suisse, eu déclarant renoncer à conduire les affaires de l'État. Il n'y a plus d'Autriche-Hongrie.

Tandis que s'effondrent les empires des Habsbourg et des sultans, la Conférence interalliée, réunie à Paris, délibère sur les conditions à imposer à l'Allemagne. Après une longue et vive discussion relative aux réparations de dommages et à la liberté des mers, un accord s'établit. En conséquence, le novembre, Lansing envoie à Berlin une dernière note posant les conditions suivantes

Les gouvernements alliés ont examiné avec soin la correspondance échangée entre le Président des États-Cuis et le gouvernement allemand. Sous réserve des observations qui suivent, ils se déclarent disposés à conclure la paix avec le gouvernement allemand aux conditions posées dans l'adresse du Président au Congrès, le 8 janvier 1918, et selon les principes énoncés dans ses déclarations ultérieures.

Ils doivent toutefois faire remarquer que l'article 2, relatif à ce que l'on appelle couramment la liberté des mers, se prête à diverses interprétations, dont certaines sont telles qu'ils ne pourraient pas les accepter. Ils doivent, eu conséquence, se réserver une liberté d'action sur cette question, quand ils viendront siéger à la Conférence de la paix.

D'autre part, lorsqu'il a formulé les conditions de paix dans son adresse au Congrès du 8 janvier dernier, le Président a déclaré que les territoires envahis doivent être, non seulement évacués et libérés, mais restaurés. Les Alliés pensent qu'il ne faudrait laisser subsister aucun doute sur ce qu'implique cette stipulation. Ils comprennent par là que l'Allemagne devra compenser tous les dommages subis par les populations civiles des nations alliées et par leurs propriétés, du fait des forces armées de l'Allemagne, soit sur terre, soit sur mer, soit en conséquence d'opérations aériennes.

Je suis chargé par le Président de dire qu'il est en accord avec l'interprétation énoncée dans le dernier paragraphe du mémorandum ci-dessus.

Quand cette dépêche arrive à Berlin, les marins sont en révolte à Niel, les socialistes s'agitent partout, et de grandes villes comme Hambourg, Hanovre, Schwerin, sont en proie à des troubles graves. L'état-major, où le général Gardner a remplacé Ludendorff, s'avoue impuissant à conjurer un désastre. Il insiste pour la conclusion de l'armistice. Le gouvernement se décide à céder ; il charge Erzberger, en qualité de ministre délégué du Cabinet de guerre, d'aller négocier avec le maréchal Foch, et lui donne pour instructions de conclure à tout prix l'armistice. Guillaume Il abdique et s'enfuit en Hollande avec le Kronprinz. Le 9 novembre, le prince Max de Bade se retire : un gouvernement provisoire est constitué par les socialistes sous la présidence du député Fritz Ebert. Erzberger reçoit dans la forêt de Compiègne un radiotélégramme du G. Q. G. se terminant ainsi : Si vous n'arrivez pas à obtenir ces points (atténuations désirées sur un certain nombre de conditions de Foch) il faudrait tout de même conclure. En conséquence, le 11 novembre, il signe tout.

 

VI. — LA CONFÉRENCE DE LA PAIX ET LE TRAITÉ DE VERSAILLES.

LES conditions de l'armistice avaient été délibérées, d'abord à Senlis entre les délégués militaires alliés, puis à Paris et à Versailles entre les chefs de gouvernement et les ministres des Affaires étrangères des puissances alliées et associées. le colonel flouse représentant le président Wilson. Les délégués militaires avaient été priés de s'inspirer exclusivement de considérations militaires. Quoique certains. comme le général américain II. Bliss, eussent préféré des conditions moins détaillées et plus dures — d'intention, sinon de fait —, le Conseil suprême avait adopté d'un commun accord le texte présenté plus tard par Foch à Erzberger. Wilson avait accepté, sans proposer ni suggérer la moindre atténuation. L'armistice du il novembre contenait toutes les conditions que les militaires, après mitres réflexions et en dehors de toute intervention politique, jugeaient utiles. Mais ce n'était qu'un armistice, renouvelable avec des modifications de détail, et ne comportant aucune clause politique. Seuls des préliminaires de paix pouvaient fixer des conditions politiques donnant aux Alliés les garanties essentielles pour la reconstitution de l'Europe, en attendant que fût signé un traité de paix définitif réglant toutes les questions soulevées au cours de la guerre mondiale. Ces questions étaient si nombreuses et de telle importance qu'on ne pouvait espérer les résoudre d'un commun accord avant plusieurs mois. Préparés dès la fin de novembre, les préliminaires auraient pu être négociés aussitôt après l'arrivée en France du président Wilson (13 décembre) et conclus à la fin de décembre ou au commencement de janvier. Cependant, pour des raisons restées obscures, aucun des Alliés ne prépara ni ne proposa des préliminaires de paix. La fin de novembre, le mois de décembre et la première quinzaine de janvier se passèrent en France en réjouissances patriotiques et en réceptions de souverains. En Angleterre, Lloyd George procéda à des élections générales. Wilson fit des voyages officiels en Angleterre et en Italie. Trois fois l'armistice dut être renouvelé, la dernière fois avec prolongation automatique jusqu'à la conclusion des préliminaires de paix. Ceux-ci n'ayant jamais été conclus, le régime d'armistice dura jusqu'à la signature de la paix.

La Conférence de la paix, présidée par Clemenceau, s'ouvrit enfin solennellement le 18 janvier 1919 à Paris, au palais du quai d'Orsay. Les autres plénipotentiaires français étaient MM. Stéphen Pichon, ministre des Affaires étrangères ; Klotz, ministre des Finances ; André Tardieu, haut-commissaire délégué aux affaires franco-américaines, et Jules Cambon, ancien ambassadeur à Berlin. Composée des représentants des 27 puissances alliées, sans la participation des quatre puissances ennemies, elle se rétrécit d'abord en un Conseil des Dix — les chefs de gouvernement et, les ministres des Affaires étrangères des cinq puissances qualifiées de principales : États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie et Japon —, puis en un Conseil des quatre — les chefs de gouvernement des États-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de l'Italie — ou en un Conseil des Cinq — les mêmes plus le 1er plénipotentiaire du Japon —, assisté du Conseil des cinq ministres des Affaires étrangères des mêmes puissances. Ces Conseils siégeaient quotidiennement, soit au ministère de la Guerre, soit à la résidence du président Wilson. En fait, les Quatre réglèrent entre eux presque toutes les questions. La Conférence ne se réunit en séance plénière que pour enregistrer les décisions déjà prises. Les procès-verbaux des délibérations des Quatre, des Cinq et des Dix n'ont pas été publiés. On ne connaît que par des indiscrétions fragmentaires ce qui s'est passé. L'historien doit donc se borner provisoirement à enregistrer les faits établis.

Tous les plénipotentiaires étaient d'accord pour donner à la France les satisfactions essentielles qu'elle attendait de la victoire : la réannexion pure et simple de l'Alsace-Lorraine dans les limites de 1871, la destruction de la force armée allemande, des garanties militaires pour le maintien de la paix, des réparations pour les dommages subis. L'Alsace-Lorraine fut réoccupée au milieu des ovations des populations et aux applaudissements des représentants des puissances alliées. Des clauses détaillées stipulèrent à l'égard de l'Allemagne la destruction du matériel de guerre, le désarmement et la démobilisation, la suppression du service militaire obligatoire, la réduction des effectifs à un chiffre maximum de 100.000 hommes y compris 4.000 officiers, la limitation des fabrications de guerre, le désarmement et le démantèlement de tous les ouvrages fortifiés à l'ouest d'une ligne tracée à cinquante kilomètres à l'est du Rhin, la réduction des forces navales à une flotte de 36 bâtiments, la livraison de tous les sous-marins aux Alliés, l'interdiction de construire ou d'acquérir des sous-marins et des bâtiments de guerre autres que ceux destinés à remplacer les unités prévues par le traité, l'interdiction de toute aviation militaire et navale, l'institution de Commissions interalliées de contrôle, etc.

Les contestations commencèrent à propos des frontières de l'Alsace-Lorraine et de la rive gauche du Rhin. Clemenceau réclamait la frontière de 1814, c'est-à-dire Landau et Sarrelouis arrachés à la France par les traités de 1815 après les Cent-Jours et Waterloo. Peu sensibles aux arguments historiques, Lloyd George et Wilson refusèrent, parce que ces pays semblaient entièrement germanisés. Ils s'opposèrent également à ce que les territoires allemands de la rive gauche du Rhin fussent érigés en un ou plusieurs Étais-tampons indépendants de l'Allemagne. D'une part ces deux hommes d'État avaient publiquement promis de ne pas porter atteinte à l'unité allemande, d'autre part ils ne voulaient sous aucun prétexte créer ce qu'ils appelaient une nouvelle Alsace-Lorraine. Ils n'admirent même pas que la France, quel que fût le régime politique de la rive gauche, eût une frontière militaire permanente sur le Rhin. En outre, Lloyd George était dominé par la préoccupation de faire une paix que l'Allemagne pût signer. On arriva au milieu de février sans qu'aucune grande question fût tranchée. Lloyd George désirait résoudre tout d'abord la question russe, et Wilson tenait avant tout à mettre debout un projet de Ligue des nations qu'il pût présenter aux États-Unis comme son œuvre personnelle, afin de relever son prestige notablement affaibli par les élections républicaines de novembre 1918. Le 14 février, la Conférence approuva en principe un projet de Ligue hâtivement rédigé, et Wilson quitta Paris le soir même pour aller passer quelques semaines en Amérique. Le 16, l'armistice du Il novembre fut renouvelé pour la troisième fois, sans qu'on y ajoutât la moindre garantie, soit pour les futurs remaniements territoriaux, soit pour les restitutions et les réparations. Le 19, Clemenceau fut blessé de trois balles de revolver par un anarchiste nommé Cottin. Sans être suspendues, car les Commissions techniques poursuivaient leurs travaux, les négociations se ralentirent.

Elles s'accélérèrent après le retour de Wilson à Paris (14 mars). Clemenceau insista pour obtenir la fixation de la frontière occidentale de l'Allemagne au Rhin, et l'occupation permanente de la ligne du Rhin par une force militaire interalliée. Mais Wilson et Lloyd George persistèrent dans leur refus et proposèrent en compensation la garantie militaire des États-Unis et de l'Angleterre contre toute agression non provoquée de l'Allemagne contre la France. Après de longs pourparlers, l'accord finit par s'établir le avril sur les bases suivantes : l'occupation militaire interalliée de la rive gauche du Rhin et des têtes de ponts durerait quinze ans à partir de la mise en vigueur du traité de paix ; elle pourrait être abrégée si l'Allemagne observait fidèlement les conditions du traité, et prolongée dans le cas contraire ; les États-Unis et l'Angleterre fourniraient par traité spécial la garantie militaire proposée ; toutefois, le traité signé par l'Angleterre ne serait valable que si le traité signé par Wilson était ratifié par le Sénat américain.

Quant à la région de la Sarre, elle fut l'objet de discussions parallèles qui faillirent amener une rupture. Le 7 avril, le bruit se répandit que Wilson allait s'embarquer pour les États-Unis ; il n'acceptait pas le changement de souveraineté du bassin de la Sarre. Les jours suivants, pourtant, un arrangement fut conclu : en compensation de la destruction de ses mines de charbon dans le Nord, la France acquérait la propriété entière et absolue des mines de charbon situées dans le bassin de la Sarre ; le gouvernement du territoire du bassin était confié à une Commission représentant la Société des nations et siégeant dans ce territoire ; à l'expiration d'un délai de quinze ans à compter de la mise en vigueur du traité, la population du territoire aurait à se prononcer, en votant par commune, pour les alternatives suivantes : maintien du régime établi par le traité, union à la France, union à l'Allemagne.

Au grand-duché de Luxembourg, l'Allemagne renonçait au bénéfice de toutes les dispositions inscrites en sa faveur dans les traités antérieurs. Conformément aux assurances données dès le 9 juin 1917 à la Belgique par Ribot, la France n'éleva aucune prétention sur le grand-duché lui-même, quoiqu'une notable partie de la population désirât l'annexion à la France. A partir du 1er janvier 1919 le Luxembourg cessa de faire partie du Zollverein allemand le régime de neutralité qui lui avait été imposé en 1867 fut abrogé.

Le régime de neutralité stipulé pour la Belgique par les traités de 1839 fut également abrogé. La Belgique devenait ainsi libre de contracter des alliances. Il fut convenu qu'elle acquerrait le territoire de Moresnet et les cercles prussiens d'Eupen et de Malmédy.

La renonciation de l'Allemagne à la Posnanie, à Dantzig, à la Haute-Silésie, à une partie du Slesvig, aux fortifications d'Helgoland, à toutes ses possessions d'outre-mer, et à tous ses droits sur le Maroc et l'Égypte, achevait de consacrer la défaite du Reich.

 Après entente avec la Suisse, les dispositions des traités de 1815  relatives à la zone neutralisée de la Savoie furent déclarées caduques ; quant au régime des zones franches de la Haute-Savoie et du pays de Gex, il fut reconnu qu'il ne correspondait plus aux circonstances actuelles, et qu'il appartenait à la France et à la Suisse de le régler d'un commun accord.

La question des dommages et des indemnités ne fût résolue qu'après de longues et pénibles discussions. Le montant des dommages aux biens et aux personnes s'élevait pour tous les Alliés à environ 350 milliards de francs (valeur 1914), et celui des dépenses de guerre à plus de 700 milliards. Des sommes aussi formidables parurent irrécouvrables. D'autre part, la délégation américaine soutint que les Alliés n'avaient pas le droit, suivant leurs déclarations de novembre 1918, de réclamer leurs frais de guerre. En conséquence, ou décida que, quoique l'Allemagne fat responsable de toutes les pertes et de tous les dommages, elle aurait seulement à payer la réparation de tous les dommages causés à la population civile de chacune des puissances alliées et associées et à ses biens, y compris les pensions ou compensations de même nature aux victimes militaires de la guerre et aux personnes dont ces victimes étaient le soutien. Quoique les États-Unis eussent proposé un forfait de 125 milliards, on préféra confier à une Commission spéciale, dite des réparations, la mission de fixer le montant des dommages et d'établir un état de payements. A titre d'acompte, l'Allemagne devait payer une somme de 20 milliards de marks or avant le 1er mai 1921.

Dans le courant d'avril, une crise menaça de diviser la Conférence. A la suite d'une déclaration de Wilson sur le règlement de la question adriatique, la délégation italienne repartit pour Rome. Elle revint pourtant à Paris juste à temps pour assister le 7 mai à la remise solennelle au comte de Brockdorff-Rantzau, plénipotentiaire d'Allemagne, des conditions de paix formulées en 440 articles et de nombreuses annexes. Par l'article 434, l'Allemagne devait s'engager à reconnaître la pleine valeur des Traités de paix et conventions additionnelles, qui seront conclues par les Puissances alliées et associées avec les Puissances ayant combattu aux côtés de l'Allemagne, à agréer les dispositions qui seront prises concernant les territoires de l'ancienne monarchie d'Autriche-Hongrie, du royaume de Bulgarie, et de l'empire Ottoman, et à reconnaître les nouveaux États dans les frontières qui leur seront ainsi fixées. Le traité commençait par le Pacte de la Société des Nations. Son avant-dernière partie organisait un Bureau international du travail investi de larges attributions ; l'article 427 déclarait l'adoption de la journée de huit heures ou de la semaine de quarante-huit heures d'une importance particulière et urgente.

La délégation allemande présenta des contre-propositions qui provoquèrent de vives discussions parmi les Alliés, plusieurs modifications importantes étant soutenues par le gouvernement britannique. Vers le milieu de juin, les Alliés se mirent enfin d'accord pour maintenir presque intégralement le texte du 7 mai ; la seule modification de grande importance fut la substitution d'un plébiscite en Haute-Silésie à l'annexion pure et simple de cette province à la Pologne. Le 16 juin, le texte définitif fut remis à M. de Brockdorff, avec sommation de l'accepter sans aucune réserve dans un délai de cinq jours. M. de Brockdorff donna sa démission, et le délai fut prolongé de deux jours. Le 23, un nouveau Cabinet allemand, présidé par M. Gustave Bauer, se déclara prêt à signer. Le 28, jour anniversaire du drame de Serajévo, MM, Hermann Müller, Bell et von Haniel, plénipotentiaires de l'Allemagne, signèrent solennellement, dans la Galerie des Glaces de Versailles où l'empire allemand avait été proclamé en 1871, le traité de paix qui rétablissait l'intégrité territoriale de la France consacrait en Europe la revanche du Droit sur la Force, et ruinait la suprême tentative d'hégémonie germanique sur le monde[1].

 

 

 



[1] Des 27 États en guerre avec l'Allemagne, la Chine seule refusa de signer le traité parce qu'il transférait au Japon les droits de l'Allemagne dans le province de Chantoung.

Des traités particuliers avec l'Autriche, la Hongrie, la Bulgarie et la Turquie fixèrent ensuite les frontières de ces pays et réglèrent leurs rapports avec les puissances alliées.