I. — LA DISLOCATION DE LA TRIPLICE. LES négociations de la Triple-Entente avec Bucarest ne progressaient point depuis la fin de 1914. Le renforcement du matériel et des approvisionnements de guerre roumains s'effectuait trop lentement, et l'accord ne s'établissait pas sur l'étendue des agrandissements promis à la Roumanie. Bratiano tenait à des précisions définitives ; or, sur plusieurs points, il rencontrait les objections de la Russie. En Bukovine, Sazonoff réclamait Czernovitz, et il n'admettait pas que la Roumanie annexait tout le Banat de Temesvar, dont une partie était serbe. Par contre, les prétentions russes sur Constantinople inquiétaient vivement le Cabinet et le peuple roumains. Le sentiment national, il est vrai, était si marqué dans le royaume que Czernin avertissait Burian, dans le milieu de mars, que l'Autriche devait renoncer à l'espoir d'une coopération roumaine. Mais il n'était pas assez puissant pour obliger le gouvernement à déclarer la guerre à la Monarchie. Toutefois, dans le courant d'avril, le roi Ferdinand disait à Czernin que, si l'Italie intervenait en faveur de l'Entente, il serait presque impossible pour la Roumanie de ne pas faire de même. La conduite de l'Italie semblait donc alors prendre une importance capitale. Depuis la note du 21 février 1915, par laquelle Sonnino avait signifié aux empires Centraux l'intention du Cabinet de Rome de reprendre sa liberté d'action, les doutes n'étaient plus guère permis. Les états-majors français et italien échangeaient des vues, et les arsenaux de France et d'Angleterre fabriquaient du matériel de guerre à destination de l'Italie. Quant aux trois Cabinets de l'Entente, ils discutaient activement avec Rome les conditions d'une alliance politique et militaire. L'accord était moins facile qu'on ne l'avait supposé à Paris et à Londres. On y avait cru que le programme italien serait celui des promoteurs du risorgimento et de l'irrédentisme officieux, c'est-à-dire l'achèvement de l'unité nationale par l'incorporation des territoires de la Monarchie habités en majorité par des Italiens — le Trentin et Trieste —, et la prépondérance stratégique dans l'Adriatique. On trouvait naturel encore que l'Italie demandât le Tyrol méridional, quoiqu'il fût habité par une majorité d'Allemands, puisque la chaîne du Brenner formait la séparation naturelle entre la Germanie et la péninsule. On admettait aussi qu'on agrandit la région de Trieste et de Goritz de quelques positions stratégiques, et qu'on annexait quelques Îles destinées à l'établissement de bases navales. Mais Sonnino exigeait bien davantage : toute l'Istrie, Fiume, la Dalmatie, presque toutes les lies et une large bande de Carniole. Il invoquait à cet effet des arguments géographiques, géologiques, stratégiques, commerciaux, économiques, historiques et sentimentaux. Les Cabinets de Paris et de Londres auraient peut-être reconnu à l'Italie la possession de la plupart de ces contrées, dont ils connaissaient mal le caractère ethnique. Mais le gouvernement russe, qui jouait le rôle de protecteur des Slaves, contestait la légitimité de revendications visant, des provinces comme la Dalmatie, où la population était serbo-croate dans la proportion de plus des neuf dixièmes. Il résista particulièrement pour Fiume, qui était le seul port de la Croatie et de la Slavie du Sud relié par une grande ligne de chemin de fer à l'arrière-pays. Dès les premiers jours de la guerre, le gouvernement austro-hongrois avait emprisonné ou interné les notables croates et dalmates suspects de sympathies pour la cause serbe. Il en avait mémo l'ail exécuter plusieurs. Les populations étaient prêtes à accueillir en libérateurs les soldats de l'Entente qui pénétreraient chez elles. Des déserteurs de l'armée I. R. réfugiés dans les forêts formaient ce qu'on appelait l'armée verte. Si ces populations venaient à savoir que l'Entente avait disposé d'elles au profit de l'Italie, il se produirait chez elles un brusque revirement, qui les rejetterait dans les bras de leurs mitres, et renforcerait la situation morale et militaire de la Monarchie. L'avantage de l'intervention de l'Italie serait ainsi compromis. Au lieu d'auxiliaires, les armées de Victor-Emmanuel Ill rencontreraient en territoire envahi des ennemis acharnés. Le prestige des nations combattant pour le Droit et la Liberté serait aussi gravement atteint. Ces considérations ne modifièrent point les revendications du Cabinet de Rome. Son dessein n'était ni de servir la cause slave, ni d'affaiblir le germanisme. Il regardait au contraire le slavisme comme un danger, et, tout en se proposant de Lattre assez l'Autriche-Hongrie pour lui arracher les territoires qu'il tenait à réunir au royaume, il ne désirait point son démembrement. Il consentait à laisser la Serbie englober la Bosnie, l'Herzégovine et un lambeau d'Albanie ; il s'opposait à la réalisation de l'unité de la Slavie du Sud par la réunion de la Croatie et du Monténégro à la Serbie agrandie. Il n'envisageait marne pas sans appréhension la création d'une Bohème indépendante, qui, suivant les suppositions d'alors, se serait appuyée sur la Russie victorieuse. En somme, au lieu de viser la destruction de la domination germanique et une transformation de l'Europe correspondant à l'étendue du bouleversement, provoqué par l'agression des empires Centraux, Sonnino recherchait seulement pour l'Italie une meilleure place dans la vieille Europe. Et, comme le sentiment national était partagé entre le neutralisme et l'intervention, entre la prudence et l'ambition, il voulait enlever l'opinion en faisant luire le prestige et les bénéfices de l'imperium italien sur toute l'Adriatique et dans le bassin oriental de la Méditerranée, en soudant l'ancien empire de Venise et de Gènes au royaume péninsulaire issu du risorgimento. Outre les territoires austro-hongrois susmentionnés, il demandait en pleine propriété toutes les îles du Dodécanèse, N'alloua, l'île de Sasseno, la partie de l'Albanie centrale comprise entre la Vojussa et le district de Chimara, et. une zone d'influence en Asie Mineure autour d'Adalia. Enfin il réclamait l'extension des possessions italiennes en Erythrée, en Somalie, en Libye et dans les colonies françaises et britanniques limitrophes, à titre de compensation pour l'extension éventuelle des possessions coloniales de la France et de l'Angleterre en Afrique aux dépens de l'Allemagne. A ces conditions territoriales s'ajoutaient de nombreuses conditions relatives à la neutralisation de la rive orientale, de l'Adriatique, à la conclusion d'un emprunt sur le marché de Londres, à une contribution pécuniaire, dite militaire, et à un engagement de la Triple-Entente de ne pas permettre aux représentants du Saint-Siège de s'ingérer dans les négociations de paix. Tandis que les Cabinets de l'Entente s'efforçaient de réaliser l'accord avec Rome sur ce vaste programme, M. Sonnino poursuivait avec le Cabinet de Vienne une conversation qui tournait dans un cercle vicieux. Malgré les plus pressantes instances de la diplomatie allemande, qui devinait le péril, le Cabinet de Vienne s'attardait dans une argumentation doctrinaire sur le principe et la nature des compensations. Le i" mars, Sonnino notifia à Vienne qu'il considérerait comme une violation du traité d'alliance toute action militaire de l'Autriche dans les Balkans avant la conclusion définitive de l'accord sur les compensations, que les compensations devaient porter sur des territoires austro-hongrois, et qu'elles étaient indépendantes des résultats de l'action militaire de l'Autriche. Très à regret, sur les conseils de Berlin, Burian avoue, en principe, le 9 mars. Le 10, Sonnino demanda le secret absolu, l'exécution immédiate des clauses de l'accord après sa conclusion, et la fixation d'un délai de deux semaines pour la durée des négociations. Burian s'éleva coutre t'es deux dernières conditions, et invoqua de nouveau le droit de l'Autriche à des compensations pour l'occupation de Vallona et du Dodécanèse. Bülow appuya les objections de l'Autriche contre l'occupation immédiate des territoires cédés, et prétendit que la garantie de l'Allemagne suffisait. Le 20 mars, il offrit officiellement cette garantie. Sonnino ne s'en contenta point : d'après lui, les soldats originaires des pays cédés devaient cesser de faire partie de l'armée austro-hongroise, et la remise simultanée des territoires était d'autant plus nécessaire que le Parlement de Vienne serait vraisemblablement peu disposé à ratifier plus tard une cession de territoires en faveur d'un pays qui serait resté neutre. Le 27 mars et le 2 avril, Burian offrit, en retour de la neutralité bienveillante de l'Italie au point de vue politique, militaire et économique pendant toute la durée de la guerre, la cession des districts de Trente, de Roverelo, de Riva, de Tione (sauf Madonna di Campiglio) et de Borgo. Le 8 avril, Sonnino riposta par un projet de traité en onze articles, comportant la cession de tout le Trentin jusqu'à Gargazone dans la vallée de l'Adige, de Goritz-Gradisca, et de toutes les îles Curzolari, — l'érection de Trieste et de Nabresina en État indépendant, — la reconnaissance de l'annexion de Vallona et de Sasseno, le désintéressement complet de l'Autriche-Hongrie en Albanie, l'occupation immédiate par les troupes italiennes des territoires cédés, — le licenciement des militaires de terre et de mer originaires de ces territoires et l'évacuation de Trieste par les troupes austro-hongroises. Le 16, Burian présenta un long contre-projet. qui ne donnait satisfaction à l'Italie sur aucun point. Le 2t, Sonnino prévint Avarna que le désaccord entre les deux gouvernements paraissait insoluble. Le 25, Avarna constata qu'un accord sur les bases proposées par nome était irréalisable. II. — LE TRAITÉ DE LONDRES. LES négociations du Cabinet de Rome avec l'Entente, qui avaient Londres pour centre, arrivèrent alors à leur terme. L'Entente admit finalement les demandes presque intégrales de l'Italie, sauf pour Fiume, qui fut réservée aux États yougoslaves avec la côte de l'Adriatique depuis le golfe de Volosca jusqu'à la frontière septentrionale de la Dalmatie, et depuis le cap Planka jusqu'aux bouches de Cattaro. Au nord-ouest, la nouvelle frontière avec l'Autriche devait partir du sommet de l'Umbrail, descendre au Stelvio, suivre la ligne de partage des eaux des Alpes Rhétiques jusqu'aux sources de l'Adige et de l'Eisach, atteindre le Brenner, les cimes de l'Œtz et du Ziller, s'infléchir vers le sud, en tournant Toblach, jusqu'à la Carniole, passer par le mont Tarvis et la ligne de faite des Alpes Juliennes jusqu'au Triglav, rester ensuite en deçà du bassin de la Save, et redescendre du Schnœberg à l'Adriatique en englobant Castua, Matuglia et Volosca. L'Albanie serait neutralisée, et l'Italie dirigerait ses relations avec l'étranger. La souveraineté complète sur la Libye était reconnue à l'Italie. De son côté, l'Italie s'engageait à mener la guerre avec tous les moyens dont elle disposait, d'accord avec la France, la Grande-Bretagne et la Russie, contre les États en guerre avec ces puissances. Une convention militaire et une convention navale devaient régler la coopération des forces des quatre États contractants. Enfin l'Italie déclarait qu'elle participerait à la guerre d'une façon aussi active que possible et, dans tous les cas, pas plus d'un mois après la signature du présent document. Le traité enregistrant ces clauses fut signé le 26 avril à Londres, par sir Edward Grev, M. Paul Cambon, le baron de Benekendorf et le marquis Imperiali. Le signal de l'entrée en guerre de l'Italie devait être donné le 5 mai à Quarto. près de Gènes, on un monument commémoratif du départ des Mille en 1860 serait inauguré solennellement, le jour anniversaire de l'embarquement des garibaldiens, en présence du roi, des représentants d'un grand nombre d'associations patriotiques, y compris les ligues Trente et Trieste, et du poète Gabriel d'Annunzio, qui prononcerait une harangue. Le 4 mai, Sonnino notifia à Burian la rupture de la Triple-Alliance. Après avoir rappelé que l'initiative de l'Autriche-Hongrie au mois de juillet 1914 avait, non seulement justifié le refus de l'Italie de se ranger du côté des empires Centraux, mais encore enlevé du même, coup à l'alliance sa substance et sa raison d'être, Sonnino constatait que tous ses efforts pour obtenir de Vienne la satisfaction, dans une mesure équitable, des légitimes aspirations nationales de l'Italie, avaient échoué. Il déclarait ensuite retirer toutes ses propositions d'arrangement, et concluait ainsi : Il est également inutile de maintenir à l'alliance une apparence formelle, qui ne serait destinée qu'à dissimuler la réalité d'une méfiance continuelle et de contrastes quotidiens. C'est pourquoi l'Italie, confiante dans son bon droit, affirme et proclame qu'elle reprend dès ce moment son entière liberté d'action, et déclare annulé ci désormais sans effets son traité d'alliance avec l'Autriche-Hongrie[1]. Quoiqu'une notification analogue ne fût point adressée à Berlin, Bülow comprit la signification de la démarche de Sonnino. Dans l'espoir que rien d'irréparable n'était encore accompli, il mit en œuvre tous ses moyens d'influence à Rome pour prévenir une rupture entre les deux alliés de la veille. Il exerça une forte pression sur Sonnino, dont il connaissait l'admiration pour l'Allemagne, et stimula la campagne des neutralistes. Comme la situation militaire générale s'améliorait alors en faveur des empires Centraux, un certain flottement se manifesta dans le monde gouvernemental. Après délibération, Salandra et Sonnino décidèrent que ni le roi ni les ministres n'assisteraient à la cérémonie de Quarto. Celle-ci n'en revêtit pas moins un caractère grandiose. Des discours célébrant l'avenir glorieux de l'Italie déchaînèrent l'enthousiasme de plus de 200.000 spectateurs. L'oraison de Gabriel d'Annunzio, hymne à l'Italie fiammeggiante ; adjuration à tous les Italiens de donner leur sang pour la patrie recouronnée, fut saluée par une ovation délirante. Le courant interventionniste emportait l'opinion publique. Giolitti sortit alors de sa retraite piémontaise pour refouler ce torrent. Il vit le roi, Salandra, Sonnino, et leur déconseilla dans les termes les plus pressants toute intervention. Informé par Bülow de l'état des négociations entre le Ballplatz et la Consulta, il recommanda les propositions autrichiennes, ou tout au moins la continuation des pourparlers avec Vienne. Les députés présents à Rome vinrent en foule porter leur carte chez lui. Sans se laisser décourager par la dénonciation de la Triplice. Burian fit de nouvelles propositions, que Mac Chio, d'accord avec Bülow, prit sur lui de préciser et d'élargir : il s'agissait de céder tout le Tyrol de nationalité italienne et la rive occidentale de l'Isonzo avec Gradisca, d'instituer à Trieste une pleine autonomie, avec port franc et Université italienne, de renoncer complètement à l'Albanie, et de quelques autres concessions, le tout garanti par l'Allemagne. Ln Conseil des ministres délibéra sur ces conditions le 12 mai. Après un examen minutieux de la situation, il décida d'aller jusqu'au bout de la politique où il s'était engagé. Mais, dans la journée qui suivit, la tension devint telle dans le inonde parlementaire que, le 13 au soir, Salandra remit au roi la démission du Cabinet, en raison du défaut d'accord entre les partis constitutionnels sur la conduite à suivre par le gouvernement dans la politique internationale. Une crise gouvernementale s'ouvrait. Le public en comprit l'importance. Des manifestations tumultueuses se déroulèrent à Rome, où Giolitti fut hué, menacé. Bülow s'empressa d'exploiter l'avantage qu'il venait de remporter. Il élabora avec Macchio un projet complet de traité austro-italien, grâce auquel il espérait rétablir la situation diplomatique au profit des empires Centraux. Ce projet, en quinze articles, fixait la frontière tyrolienne à une ligne plus au nord que la ligne de séparation des nationalités, donnait des satisfactions de détail à l'Italie sur plusieurs points, instituait des Commissions mixtes pour la délimitation aussi rapide que possible des nouvelles frontières, et stipulait l'engagement de l'Autriche-Hongrie de faire immédiatement suivre la signature de l'accord d'une manifestation solennelle équivalant à une ratification définitive. Aveuglé par les préventions et tatillon, Burian introduisit dans la rédaction une série de modifications restrictives qui en altéraient le sens. Mais, avant que le projet ainsi remanié parvînt à Macchio, les événements prirent à Rome une tournure décisive. En présence de l'émotion publique grandissante, et en considération des avis d'hommes d'État possédant sa confiance, après avoir offert le pouvoir successivement à M. Marcora et à M. Carcano, qui déclinèrent l'offre, le roi maintint le Cabinet Salandra. Un décret annonçant cette décision fut publié le 16. M. Giolitti dut quitter Rome sous la protection de la police. Les journaux officieux écrivirent que la guerre était virtuellement déclarée par la volonté concordante du roi, du gouvernement et de la nation. Toujours inconscient, Burian ne se rebuta point. Il prescrivit à Macchio de présenter à Sonnino le projet de traité remanié, et l'autorisa, en cas de besoin, à accueillir favorablement, sans toutefois s'engager, les vœux du gouvernement italien relatifs à d'éventuelles modifications. Macchio s'acquitta de cette mission le 18. Suivant son expression, la conversation fut un monologue. A toutes les objurgations, Sonnino se contenta de répondre que la Chambre reprenait ses travaux le 20, et qu'elle dirait le dernier mot. Le 20, en effet, le Parlement se réunit, et Salandra lui présenta un projet de loi conférant de pleins pouvoirs au gouvernement, dans l'éventualité d'une guerre nationale. Dans l'exposé des motifs, le gouvernement faisait appel à l'union des classes et des partis en vue de la réalisation des nouvelles destinées de la patrie. Sans discussion, quoique l'excitation fût vive, l'urgence fut votée à la Chambre par 377 voix contre 34. Puis, après une courte suspension de séance, M. Boselli, rapporteur, proposa l'adoption pure et simple du projet de loi. Seul, le socialiste Turati combattit ces conclusions. Les cris de : Vive Trieste italienne ! Vive les vengeurs de Lissa ! ponctuèrent les discours belliqueux de MM. Barzilai et Ciccotti. Au scrutin, 407 voix contre 74 se prononcèrent pour le gouvernement. Le lendemain, conformément au rapport de Don Prospero Colonna, le Sénat vota le projet à l'unanimité des 281 membres présents, au milieu d'un enthousiasme plus grand encore qu'à Montecitorio. Les manifestations belliqueuses se succédèrent sans interruption. Sans paraître ébranlé, Burian remit au duc d'Avarna, en réponse à la dénonciation de la Triplice, une longue note où il déclinait toute responsabilité, et il télégraphia deux lois à Macchio, le 21 et le 22, pour l'inviter à tenter de la façon la plus amicale une dernière démarche. Macchio obéit : il entendit Sonnino lui répéter sur tous les tous : Trop tard, c'est trop tard. Le 23, Sonnino notifia la rupture à Vienne dans les termes suivants : Le Gouvernement du roi, fermement résolu à pourvoir, par tous les moyens dont il dispose, à la sauvegarde des droits et des intérêts italiens, ne saurait manquer à son devoir de prendre, contre toute menace actuelle et future, les mesures que les événements lui imposent pour l'accomplissement des aspirations nationales. S. M. le Roi déclare se considérer dès demain en état de guerre avec l'Autriche-Hongrie[2]. Le même jour commença la mobilisation générale. Le 24, Macchio quitta fume avec le personnel de l'ambassade. Mais le prince de Bülow resta. Malgré l'article du traité de Londres qui obligeait l'Italie à mener la guerre, avec toutes ses forces, contre les États en guerre avec l'Entente, le Cabinet de fonte ne rompit point avec celui de Berlin. Il signa même avec ce dernier, le 21 mai, une convention garantissant les intérêts des nationaux des deux pays sur terre et sur mer en temps de guerre. Cette convention, qui resta secrète jusque dans le courant de 1917, marquait l'espoir du gouvernement italien que la guerre finirait avant qu'il fut effectivement obligé d'entrer en hostilités avec l'Allemagne. Elle révélait aussi, avec quelques autres indices, la pensée de ménager assez l'Allemagne pour que Guillaume II facilitât, au moment de la paix, la réconciliation de ses deux anciens partenaires dans la défunte Triplice. Si l'ancien chancelier ne réussit pas à prévenir le conflit austro-italien, il sut manœuvrer de sorte que le Cabinet de Rome désira rester en relations avec lui et recherchât plutôt une participation avantageuse à la paix que la destruction de la puissance habsbourgeoise, préface de la destruction de la puissance allemande. |