I. — LA DERNIÈRE BATAILLE DÉFENSIVE. DEUX groupes d'armées allemandes tenaient le front entre la mer du Nord et Verdun. Celui du prince Rupprecht avait fourni les offensives de Saint-Quentin et de la Lys ; depuis la fin d'avril il n'avait pas engagé d'action importante. Le groupe du Kronprinz avait participé par sa droite (armée von Hutier) à l'offensive de Saint-Quentin ; il avait ensuite fourni seul les offensives du 27 mai et du 9 juin. Elles avaient eu cet effet, de ramener au sud de la Somme les divisions françaises qui avaient été portées en Flandre au printemps. C'est ce que voulait, l'état-major allemand. Dans sa pensée, c'était maintenant au prince Rupprecht de porter le coup décisif. Sans doute, l'armée britannique, sur laquelle ce coup serait frappé, était elle-même au repos depuis deux mois, et se reconstituait ; mais on estimait que sa reconstitution n'était pas plus rapide que celle des armées allemandes qui lui étaient opposées. — Quant à l'armée française, elle avait engagé, depuis le 21 mars jusqu'a la fin de juin, 93 divisions, dont quelques-unes plusieurs fois. Au milieu de juin, elle n'avait de réserve disponible, d'après l'état-major allemand, que 8 à 10 divisions ; mais ces réserves augmentaient rapidement ; en mettant les divisions fatiguées en ligne dans des secteurs calmes, en introduisant dans l'ordre de bataille des divisions américaines et italiennes, on récupérait des troupes fraîches ; les Français avaient ainsi de nouveau, à la connaissance des Allemands, 30 à 34 divisions en réserve au début de juillet. Quant aux Américains, ils avaient en France à la fin de mai 17 divisions. C'est ce que les Allemands avaient escompté. Mais ils n'avaient pas prévu le rapide accroissement qui suivit, et qui au début d'août avait porté ce nombre à 26. Cependant, avant de frapper le coup définitif en Flandre, le commandement allemand décida d'exécuter une attaque préliminaire pur un point faible. Il choisit les environs de Reims et le milieu de juillet. Aussitôt après cette intervention, écrit Ludendorff, nous avions l'intention de jeter sur le front des Flandres l'artillerie, les lance mines et les formations d'aviation, pour frapper en ce point, si possible, quinze jours plus tard. On pouvait espérer trouver dans les Flandres un affaiblissement critique de l'ennemi si nous réussissions à Reims. De son côté, le commandement allié, après l'échec de l'attaque allemande sur Compiègne, s'attendait à un nouveau coup de l'ennemi. Le 13 juin, le général Foch prescrit au général Pétain et au maréchal Haig d'établir de concert un plan de transport de leurs disponibilités au profit de l'une et de l'autre des armées. Les réserves alliées doivent être à la bataille, là où elle se livre. Il est d'ailleurs vraisemblable que l'attaque se produira sur le front britannique. Enfin, le juillet, une directive du général Foch envisage une attaque allemande, soit sur les bases anglaises, soit sur Paris, et rappelle la nécessité de maintenir inviolable le front Lens-Château-Thierry, qui couvre l'une et l'autre direction. En même temps des diversions allemandes sont à prévoir, soit en Flandre, soit en Champagne. — Presque aussitôt les renseignements viennent confirmer la dernière hypothèse. Dans les premiers jours de juillet, il devient évident, que les Allemands préparent une offensive en Champagne. La façon d'y résister a été indiquée par le général Pétain, le 24 juin, dans une note sur la définition et le rôle des positions d'armée : les gros seront sur la position de résistance, oà toute infiltration de l'ennemi doit être arrêtée ; en avant, on ne tiendra que de simples avant-postes, qui sauront par une consigne précise les conditions de résistance ou de repli ; en arrière, les unités de renforcement seront prêtes à rétablir l'intégrité de la position de résistance. Mais, en même temps qu'il assure la défensive, le commandement allié songe à reprendre l'offensive. Le 27 juin, le général Foch demande au général Pétain de rédiger une directive pour la conduite du combat offensif. C'est la directive n° 5, du 12 juillet. Dès maintenant les armées doivent envisager la reprise de l'offensive.... Le commandement à tous les échelons s'y préparera : il orientera sa résolution vers la pratique de procédés d'attaque simples, audacieux et rapides. La troupe sera instruite dans le même sens, et son esprit offensif développé au maximum. Les prescriptions de la directive portent sur les mesures propres à assurer le secret, à obtenir la surprise, à développer rapidement les actes successifs de la bataille en visant des objectifs éloignés, à exploiter le succès à fond et rapidement. Comme l'écrit un officier du 3e bureau, l'esprit offensif est à nouveau et définitivement débridé. Les deux états-majors de Foch et de Pétain travaillent donc à la fois à arrêter l'offensive allemande devenue certaine en Champagne, et à reprendre eux-mêmes l'offensive : la 10e armée, commandée depuis le 16 juin par le général Mangin, va frapper au flanc les Allemands, dont les positions forment maintenant une vaste poche jusqu'à la Marne vers Château-Thierry. Toutes les communications par voie ferrée dans l'intérieur de cette poche passent par Soissons. Dès le 14 juin, le général Foch a prescrit de préparer une action offensive contre cette ville. Le 16, le général Pétain envoie le même ordre au général Fayolle, commandant le groupe d'armées. Le 20, le général Mangin fixe le programme de l'action. Il améliorera par des actions préliminaires sa base de départ au débouché de la forêt de Villers-Cotterêts ; puis, dans une phase ultérieure, il s'établira sur les plateaux entre la forêt et Soissons. Ces dispositions sont approuvées le 27 ; le 28, le général Mangin passe à l'exécution. Le 20e corps enlève le ravin de Saint-Pierre-Aigle. Le 3 juillet, une autre opération, au nord de l'Aisne, réussit également. Le même jour, le général Mangin écrit : On est en droit de penser qu'une attaque se produisant sur les plateaux au sud-ouest de Soissons... non seulement présenterait les meilleures chances de succès, mais encore pourrait comporter un certain développement, résultant de l'exploitation immédiate de l'effet de surprise et visant la réduction de la poche de Château-Thierry. Le 7 juillet, Pétain et Foch se voient à Provins. Après cet entretien, Pétain envoie, le 8, à Fayolle une lettre qui approuve les projets de Mangin ; il ordonne de préparer l'opération, de telle façon qu'elle puisse être déclenchée quatre jours après le commencement de la concentration, et que cette concentration puisse commencer le 15 juillet. A ce moment, le plan du général Pétain est le suivant : recevoir et arrêter l'attaque allemande prévue pour le 12 ou 13 juillet sur le front de la 4e armée à l'est de Reims ou de la 5e à l'ouest de cette ville ; contre-attaquer immédiatement avec ces mêmes armées sur le flanc de la nouvelle poche que cette attaque aura formée ; quelques jours plus tard, vraisemblablement vers le 19, attaquer avec l'armée Mangin dans les flancs de la grande poche de Château-Thierry. Mais, le 9, le général Foch a l'idée d'une opération plus vaste. Ce n'est plus seulement une armée qui opérera sur le flanc de la poche de Château-Thierry, mais trois : la 10e sur le flanc droit, la 6e sur le fond, la 5e sur le flanc gauche. On pourra ainsi contraindre l'ennemi à évacuer tout le saillant dans des conditions très difficiles. Dans la pensée du général Foch, celte opération, indépendante de l'action défensive en Champagne, aura lieu en tout état de cause, quelle que soit l'attitude de l'ennemi. Il faut donc que l'état-major français concilie les deux plans, celui de Foch et celui de Pétain. C'est ce qu'il fait dans les instructions du 12, adressées aux deux commandants de groupes d'armées, le général Maistre (groupe d'armées du centre) et le général Fayolle (groupe d'armées de réserve). Ces instructions sont approuvées le 13 par le généralissime. Dans la nuit du 13 au 11, au groupe d'armées de réserve, le général Mangin commence à concentrer pour l'offensive les 1er, 20e, 30e et 11e corps. Au groupe d'armées du centre, au contraire, on se prépare à la défensive. La 4e armée Gouraud, qui a des positions admirablement organisées, replie ses divisions de première ligne sur sa position de résistance, en évacuant les monts et les buttes, si chèrement conquis en 1915 et en 1917 ; elle établit ses divisions de deuxième ligne en barrage sur leurs emplacements de réserve. A sa gauche, la 5e armée Berthelot a malheureusement des lignes moins bien délimitées, et l'exécution de la manœuvre défensive y sera plus difficile. Entre la 10e armée et la 5e, est intercalée la 6e armée Degoutte ; mais, réduite à ses seules forces et n'ayant qu'une division en réserve, elle n'a pas grands préparatifs à l'aire. Tout est donc prêt : la 10e armée se concentre pour attaquer, la 6e armée attend les événements, la 5e et la 4e se préparent à la défense. Le 14, Foch va voir Pétain ; ils conviennent définitivement que la contre-offensive française sera déclenchée en riposte à l'attaque allemande, dès que celle-ci aura été arrêtée. Dans la nuit du 14 au 15, à minuit dix, le tir de préparation de l'artillerie allemande commence, de Château-Thierry à l'Argonne, et, le 15, au lever du jour, l'infanterie allemande sort de ses tranchées. L'attaque allemande était exécutée par l'aile gauche de la VIIe armée, à l'est de Reims, de la Pompelle à la Butte de Tahure ; par les 1er et IIIe armées, entre Château-Thierry et Reims. Devant les Ire et IIIe armées, le front était tenu par la 4e armée Gouraud, qui s'étendait de Prunay à Massiges, avec 7 divisions en première ligne et 7 en soutien ou en réserve. Le système défensif, constituait un piège où les Allemands allaient tomber. La première position, Monts de Champagne à l'ouest, ligne des Buttes à l'est, terre glorieuse et chère, avait été abandonnée, et n'était plus occupée que par des détachements, braves gens qui avaient fait le sacrifice de leur vie, et qui devaient signaler la marche de l'ennemi et la retarder par leurs mitrailleuses. Ainsi le choc de l'assaillant sur cette première position frappera à vide. L'artillerie française, renforcée depuis quinze jours, se démasquera alors, écrasant d'obus l'infanterie allemande déjà dissociée ; si l'assaillant se réfugie dans les abris de notre première position il les trouvera ypérités et intenables ; ses tanks, s'ils échappent aux obus, sauteront sur un cordon d'explosifs ; enfin, si, après cette traversée meurtrière, il atteint notre ligne de résistance, il la trouvera garnie de troupes fraîches. Le point délicat de ce mécanisme, c'est qu'il ne pouvait être monté qu'au dernier moment : l'abandon des premières lignes, l'ypéritage des abris, la pose des explosifs ne devaient précéder l'attaque allemande que de quelques heures. Le 14 juillet, à 20 heures, des éléments du 10e corps français firent un coup de main et ramenèrent 27 prisonniers, lesquels annoncèrent que la préparation commencerait à minuit et l'attaque entre trois et cinq heures. Une demi-heure avant que l'artillerie allemande ouvrît le tir, l'artillerie française la prévint et commença un tir de contre-préparation. Ce fut pour le général Gouraud le moment de l'anxiété. Il épiait l'heure, son chef d'état-major auprès de lui. Si la défense avait joué à vide, la situation devenait mauvaise. Enfin, à minuit dix, une formidable explosion éteignit les lumières. Les batteries allemandes ouvraient le feu. Jamais obus ne fut reçu plus volontiers. Le commandant de la 4e armée respira. Les Allemands attaquaient. La bataille était gagnée. Sur le front du 4e corps à gauche, et du 2Ie au centre, l'ennemi exécuta un bombardement formidable, qui décroissait à droite, sur le front du 8e corps. Les obus tombaient en grande partie sur la première position aux trois quarts vide. A quatre heures quinze, l'infanterie allemande sortit des lignes. Mais les détachements français laissés sur les positions abandonnées se défendirent avec une telle énergie, que, sur le front du 4e corps, deux heures après le départ, l'ennemi se battait encore sur la première position. Il n'arriva sur la ligne de résistance qu'à sept heures trente ; il y trouva une défense inattendue et si vigoureuse qu'elle l'arrêta presque partout. A Prunay et près de Prosnes il pénétra dans la position, et en fut chassé après un violent corps à corps. Plus à droite, devant le front du 21e corps, les bataillons ennemis, émiettés dans la lutte sur la première position, s étaient reformés et s'avançaient sous la protection des tanks ; tout à coup les tanks, arrivés sur la ligne des explosifs, sautèrent. L'infanterie allemande continua bravement. Sept fois elle donna l'assaut à la ligne de résistance ; Perthes changea quatre lois de mains ; enfin, là aussi, les Allemands reculèrent, laissant des monceaux de cadavres. Les bataillons qui se repliaient se heurtèrent aux troupes d'exploitation qui avançaient. Les uns et les autres, pris sous les rafales de l'artillerie française, tourbillonnèrent et refluèrent jusqu'aux batteries démolies. La journée avait été moins bonne sur le front de la 5e armée. Cette armée avait sa droite à l'est de Reims ; puis, contournant la ville qu'elle couvrait, elle barrait la vallée de l'Arche vers Bligny, et appuyait sa gauche sur la Marne à Dormans. La Ire armée allemande attaqua à l'est de Reims, la VIIe armée sur l'Ardre et la Marne. A l'est de Reims, le fort de la Pompelle fut enlevé. Sur l'Ardre, le 2e corps italien fut refoulé en perdant sa première et sa deuxième positions, jusqu'à Pourcy. Plus à gauche, c'était pis encore : la Marne était franchie par l'ennemi à l'ouest d'Œuilly. La droite de la 6e armée ayant cédé comme la gauche de la 5e, les Allemands formaient en fin de journée une large poche au sud de la rivière, sur 15 kilomètres de long et 5 de profondeur. Le flanc est de cette poche allait de Comblizy à Mareuil-le-Port ; elle s'avançait au centre jusqu'à la Chapelle-Monthodon et Saint-Agnan ; d'énergiques contre-attaques du 38e corps avaient limité le flanc ouest à la vallée du Surmelin. Le 16, la VIIe armée allemande, qui avait réussi à jeter six divisions au sud de la Marne, tenta en vain d'élargir son gain. Si à gauche elle réussit à prendre Beuil-sur-Marne, elle perdit au centre la Chapelle-Monthodon et Saint-Agnan. Pour pousser plus loin son infanterie, il lui eût fallu amener au delà de la rivière une forte artillerie. L'infanterie réduite à ses moyens était fixée sur le terrain conquis. Le 16, une armée française qui était disponible, la 96, aux ordres du général de Mitry, fut mise à la disposition du groupe d'armées du centre, pour exécuter une contre-offensive au sud de la Marne, et, avec la 5e, elle rejeta l'ennemi au nord de la rivière. D'autre part, le 17, la 10e et la 6e armée achevaient leurs dispositions pour la contre-offensive entre l'Aisne et la Marne, qui devait avoir lieu le lendemain. II. — LA PREMIÈRE BATAILLE OFFENSIVE. DANS la première moitié de juillet, le commandement français et le commandement allemand sont dans une situation curieusement symétrique. Tous deux préparent à la fois une défensive et une offensive. Le commandement français prépare la défensive en Champagne et sur la Marne, et une offensive à son aile gauche, entre la Marne et l'Oise. Inversement, le commandement allemand, tout en préparant son offensive de Château-Thierry à Massiges, s'attend à être attaqué dans son aile droite, repliée en flanc défensif. Les petites attaques que, depuis la fin de juin, le général Mangin ne cesse de diriger sur ce flanc, en lui enlevant des places d'armes, puis des lignes naturelles de défense, annoncent une attaque de plus grande envergure. Un ordre de la 6e division, qui était en ligne au sud de l'Aisne, dit, le 4 juillet : Les différentes petites attaques françaises peuvent être considérées comme les signes précurseurs d'une attaque de grande envergure. Le 11 juillet, un ordre de la 42e division, qui est en ligne à Saint-Pierre-Aigle, parle dans le même sens. Le commandement ennemi est donc en garde. Il s'attend à être attaqué au sud de l'Aisne. Au surplus, il ne peut attaquer le 15 juillet en Champagne, sans avoir couvert son flanc droit. Dans ce dessein, il a pris deux ordres de mesures. Il a d'abord accentué le dispositif en profondeur des unités en ligne. Un ordre du jour de la VIIe armée, le 2 juillet, dit : Je prie les généraux de corps d'armée d'étudier à nouveau, sans retard, dans quelles parties de leur secteur il serait possible de procéder à un échelonnement beaucoup plus grand en profondeur. Le terrain doit être équipé en zones de combat successives ; les divisions se constitueront, à l'arrière, des réserves qu'elles prélèveront sur les premières lignes (ordre du corps Winckler, du 15 juillet). En second lieu, l'ennemi, à partir du 11 juillet, concentre des divisions en réserve à l'arrière immédiat du front. Après un court repos, la 14° division revient de Coucy-le-Château, le 11 ; la 34e revient de Laffaux, le 13 ; la 6e revient de Terny-Sorny, le 13, et certains de ses éléments ont reçu l'ordre de retour avant même d'avoir atteint leurs cantonnements de repos ; la 14e division de réserve, retirée du secteur de Longpont et dirigée vers Noyant, est ramenée en cours de route. — Comme, d'autre part, la 45e division de réserve était maintenue en secteur depuis la fin de juin dans la région de l'Ourcq, et que quatre divisions étaient amenées de secteurs étrangers, l'ennemi avait donc le 17 juillet 9 divisions disponibles. Enfin, pour soulager le commandement de la VIIe armée, qui va porter son effort le 15 dans l'offensive sur la Marne, le front entre l'Oise et l'Ourcq est confié à une nouvelle armée, la IXe (von Eben), venue de Russie, qui s'intercale entre Hutier et Bodin. Ces mesures donnent à l'ennemi une sécurité suffisante pour qu'il l'orle toute son attention sur l'attaque de Champagne. La 10e armée commença ses préparatifs d'attaque le 14 juillet. La bataille du 15 les fit suspendre quelques heures seulement. Le 18, à trois heures du matin, les troupes d'attaque étaient disposées de la façon suivante. A droite, la 6e armée attaque entre la Marne et l'Ourcq. La 10e armée, au nord de l'Ourcq, à sa droite sur la Savières, formée par le 11e corps. Puis viennent, de droite à gauche, 30e corps, le 20e, enfin le 1er qui est à cheval sur l'Aisne. Le :te corps de cavalerie est derrière l'aile gauche. — Le 18e corps prolonge la ligne, en secteur passif, jusqu'à l'Oise. L'ennemi a en ligne, de l'Oise au delà d'Autreches, c'est-à-dire devant le 18e corps français, le groupement von François ; à cheval sur l'Aisne, c'est-à-dire devant le 1er el le 20e corps français, le groupement Staabs ; puis, jusqu'au buisson de Hautwison, c'est-à-dire devant toute la droite de l'armée Mangin (30e et 11e corps), le groupement von Watter ; enfin, plus au sud, devant la gauche de la 6e armée, le groupement von Winckler. Quoique les Allemands s'attendissent à être attaqués, les avions français, maîtres de l'air, leur avaient interdit de reconnaître les préparatifs sous les hêtraies de la forêt de Villers-Cotterêts. Mais surtout, le défaut de préparation fit la surprise foudroyante. En effet, le système de défense de l'ennemi était l'ondé sur l'avertissement que nos tirs devaient lui donner. II devait alors se replier, le mot conventionnel Conrad donnant le signal du repli. Il ne laisserait en première ligne que des patrouilles pour demander le tir quand les Français déboucheraient (ordre du corps Winckler du 5 juillet). Au contraire, l'artillerie française ayant ouvert le feu sur toute la ligne à quatre heures trente-cinq, l'infanterie, au sud de l'Aisne, se mit aussitôt en mouvement, sans préparation, sous le barrage roulant ; au nord de l'Aisne, la préparation dura jusqu'à cinq heures vingt. Plusieurs centaines de chars légers, presque invisibles dans les hauts champs de blé, accompagnaient l'infanterie. Ce fut une éclatante victoire. Le 19 au soir, toute la vaste zone de plateaux entre la forêt de Villers-Cotterêts et Soissons était conquise. L'ennemi laissait aux mains de la 10e armée 15.000 prisonniers, dont 2 colonels avec leurs états-majors au complet, et 300 canons. De son côté, l'armée Degoutte, au sud de l'Ourcq, avec le 2e corps, le 7e et le 1er américain, avait rompu la ligne allemande sur un front de 18 kilomètres, et sur une profondeur de 6 à 7. Le pourtour de la poche allemande, de Soissons à Reims, était bordé par quatre armées françaises : Mangin, Degoutte, de Mitry, dont l'armée a été constituée le 17, et Berthelot. Le danger le plus immédiat pour l'ennemi, c'est évidemment le coin que Mangin vient d'enfoncer en direction de Soissons. Si cette région cède, c'est toute la base de la poche, sur l'Aisne, qui est coupée. L'état-major allemand jette en trois jours dix di visions de renfort dans cette direction, et la situation y est à peu près stabilisée le 24. En même temps qu'il étaie sa droite menacée, il replie son centre qu'il ramène au nord de la Marne, avant que l'armée Mitry ait pu le saisir ; et la gauche tient bon contre Berthelot, qui essaie d'avancer dans la vallée de l'Ardre. Ainsi l'ennemi, fortement appuyé à ses deux ailes, devant Soissons et devant Reims, peut replier son centre en utilisant les points d'appui, et en défendant le temps nécessaire ceux dont la perte eût amené un désastre. C'est ainsi que, devant l'aile droite de Mangin, s'étend une ligne de hauteurs Grand-Rozoy-Cramaille, qui est, suivant le mot d'un officier allemand prisonnier, le verrou de la position. L'ennemi y jette quatre divisions fraîches qui maintiennent tant bien que mal la situation jusqu'au 31. Tandis que l'armée Mangin, après sa victoire du 18, se trouve ainsi fixée par les réserves allemandes, l'armée Degoutte a affaire à cette partie des forces ennemies qui, après les trois premiers jours de combat de rupture, commencent un large mouvement d'évacuation vers le nord. La poursuite commence le 21. La gauche de la 6e armée atteint la grande route Château-Thierry-Soissons. Puis les combats recommencent le 22, autour du bois du Châtelet et d'Épieds, pris et repris 5 fois par les Américains. En même temps, la bataille s'élargit vers la droite, sur le front du 83e corps. Ces combats aboutissent le 24 à une nouvelle phase d'exploitation, le centre de l'armée faisant un bond de 6 kilomètres jusqu'aux abords de Beuvardes. Là, un nouveau combat avait lieu le 25 et le 26, suivi d'une nouvelle exploitation, qui amène l'armée le 29 sur la ligne. Fère-en-Tardenois-Courmont. |