I. — LA BATAILLE D'HIVER EN CHAMPAGNE. CONTRAINT d'arrêter la bataille d'Ypres, le commandement allemand pensa un moment reprendre l'offensive sur quelque point du front occidental que les Français auraient dégarni au profit des Flandres. Il songea à faire exécuter une attaque par la Ile armée von Bülow, qui tenait les lignes en Artois et en Picardie. Mais la pauvreté des dépôts et la rareté des munitions, d'une part, et d'autre part les événements du théâtre oriental firent renoncer à ce projet. Il fallut en effet, pour pousser à fond les succès de Mackensen en Pologne, prélever des troupes sur le front occidental. Sept divisions d'infanterie environ et une de cavalerie furent transférées sur le théâtre oriental. Du coup, le front occidental était réduit à la défensive. De son côté, le commandement français, également désireux d'attaquer, méditait de serrer aux deux flancs la vaste poche que formaient les lignes allemandes. Dès le 8 décembre 1914, le général Joffre adressait aux généraux commandant les armées l'instruction générale n° 8, qui est capitale pour la conduite de la guerre. En voici le texte : 1° La reconstitution de nos unités et de nos approvisionnements en munitions est actuellement en voie d'achèvement. Il ressort d'autre part de nombreux indices que les Allemands out commencé à transporter yen, la Pologne une partie de leurs forces. Le moment est donc venu de reprendre l'offensive pour rejeter l'ennemi vers le nord-est et préparer une action ultérieure de notre part sur ses communications. 2° Cette offensive revêtira la forme de deux attaques principales, se développant dans les zones les plus favorables. L'une, partant de la région d'Arras, en direction de Cambrai et de Douai, sera conduite par la 10e armée renforcée ; L'autre, en Champagne, aura pour direction Attigny et sera menée par la 4e armée renforcée. 3° Les actions secondaires ci-après, menées en terrain favorable et dans les régions où l'ennemi parait le munis organisé, auront pour but de fixer l'adversaire, de détourner son attention, et de préparer nos actions ultérieures : La 8e armée et la gauche de l'armée anglaise attaqueront concentriquement en direction de Werwieq ; La 2e armée attaquera en direction de Combles ; La 3e armée attaquera entre Argonne et lieuse, de manière a couvrir la droite de l'offensive du la 4e armée ; La 1re armée continuera son action progressive en direction de Thiancourt ; Le détachement d'armée Putz élargira d'abord notre zone d'action en Haute-Alsace, puis, par des mouvements de rabattement successifs, il s'emparera des hautes vallées alsaciennes des Vosges. 4° Sur la partie du front où les années visées au paragraphe précédent ne prendront pas l'offensive, ainsi que sur le front des 5e et 6e armées, on renforcera encore le système défensif déjà organisé, conformément aux indications de l'instruction n° 7135 du 30 novembre. Partout on se tiendra prêt à se porter en avant dès que les attaques principales en donneront la possibilité.... On reconnaît dans cette instruction la pensée qui ne cessera d'animer le quartier général français : rejeter l'ennemi sur la base trop étroite des Ardennes, et opérer ensuite sur ses communications, ce qui peut se faire par une attaque sud-nord le long de la Meuse, ou par une attaque en Lorraine ; le principe apparait déjà en août 1914, et ce sera la manœuvre du maréchal Foch en 1918. Pour le moment, c'est-à-dire en décembre 1914, le commandement français n'avait nullement les moyens d'exécuter une opération de si vaste envergure. L'attaque de la 10e armée en Artois fut ajournée ; seule, celle de la 4e armée eut lieu en Champagne. Elle était définie par l'instruction particulière n° 36, adressée pareillement le 8 décembre à cette armée, et qui, tout en lui laissant toute initiative pour décider des conditions où se ferait l'offensive, précisait : Il semble qu'en prenant comme axe de votre attaque principale la route Suippes-Attigny, vous aurez l'avantage de la conduire dans un pays largement ouvert, sans obstacles naturels. et où la profondeur des défenses de l'ennemi parait moins forte que sur les autres parties du front. Afin de la faciliter, je prescris à la 3e armée de couvrir votre droite en attaquant contre Argonne et Meuse avec les unités qui opèrent dans cette région, renforcées par les éléments de cette armée qui pourront être rendus disponibles. Le commandement mettait de plus à la disposition de la !te armée, en dehors de la 10e division, déjà cédée par la 3e armée, le 1re corps, venant de la 5e armée. Il promettait du matériel, engins de destruction des défenses accessoires et canons de 155. — L'attaque devait avoir lieu avant le 20 décembre. La 4e armée, ainsi renforcée, comprenait le 11e corps, la 60e division de réserve, le 17e corps, le corps colonial, le 2e corps, le 1er corps et la 10e division. L'ordre d'attaque fut donné pour le 20, l'opération devant être faite par le 17e corps et le corps colonial. Le corps colonial enleva la partie sud de la main de Massiges. Le 17e corps attaqua des deux côtés de Perthes. A l'est de ce village, dans la région au nord du Mesnil, il n'enleva que le 23, 400 mètres de tranchées ; à l'ouest, il fut plus heureux et, sur la cote 200, pénétra en deux points de la position allemande où il se maintint. Le 12e corps attaqua à son tour le 21, à l'ouest de Souain, et fut repoussé. Les Allemands, qui tenaient le front avec le VIIIe corps de réserve à droite et le VIIIe actif à gauche, reçurent le 24 et le 23 des renforts : une brigade d'Ersatz, 6 bataillons actifs venus des Vosges, des bataillons des armées voisines groupés en un régiment provisoire, une batterie de mortiers, une batterie d'obusiers lourds, et, un peu plus tard, une brigade de la garde. De leur côté, les Français firent monter en ligne le 1er corps, jusque-là réserve d'armée, et firent venir de Picardie le 4e. Le 30 décembre, les Français attaquèrent de nouveau ; puis une trêve suivit dans les premiers jours de l'année. Les combats reprirent le 8 janvier, attaques et contre-attaques se succédant. Toutefois les opérations furent ralenties, dans le mois de janvier, par le mauvais temps. Un récit officiel, signé du général Joffre et adressé au ministre le 17 mars, explique : Dans le courant de janvier, les attaques subissent un ralentissement inévitable ; leur préparation est longue et minutieuse ; le sol détrempé rend les travaux d'approche et l'établissement des places d'armes longs et pénibles ; la brume fréquente entrave les réglages d'artillerie et empêche l'emploi des avions ; enfin la pluie continuelle augmente la fatigue des troupes. Mais, plus importante que ces circonstances locales, la situation générale avait changé. Sur le fonds de la classe 1914, incorporée à la fin de l'année, l'Allemagne avait prélevé, à la fin de novembre, bataillons, dont elle fit, au début de janvier, 24 régiments nouveaux. Ces régiments formèrent eux-mêmes 4 corps d'armée numérotés de XXXVIII à XLI. Ces corps sont à 2 divisions de 3 régiments, la division étant ainsi à 9 bataillons. Le système ternaire fait son apparition. La diminution du nombre des fusils dans la division est compensée par l'accroissement de l'artillerie, qui est portée à deux régiments de 6 batteries, soit 48 bouches à feu. L'effectif des pionniers est porté à 3 compagnies par corps au lieu de 2. En même temps, la Bavière forme une division nouvelle à 4 régiments, la 80 de réserve. L'état-major français crut que ces formations étaient destinées à la France et impliquaient la pensée d'une offensive allemande, à laquelle il faudrait faire face, sur le front occidental. Le général Joffre écrivait le 19 janvier à sir John French : L'état-major français considère comme possible et même probable l'éventualité d'une offensive allemande prochaine, et fonde sou sentiment sur la certitude que nos adversaires constituent en ce moment, avec les réserves d'hommes dont ils disposent, une nouvelle série de corps d'armée.... Il faut en conséquence. et tout d'abord, que nous soyons sûrs d'empêcher l'ennemi de nous percer en un point quelconque de notre front, ce qui pourrait avoir les conséquences les plus graves, particulièrement au point de vue des communications des forces alliées du nord, au cas où cet accident se produirait dans la région Roye-Montdidier par exemple. Il faut, en outre, que nous soyons en mesure de prendre l'offensive au point et au moment où elle nous paraîtra possible, et aussi de poursuivre et d'exploiter les actions qui sont actuellement en cours. Le général Joffre conclut à la nécessité de former des réserves, qui ne pourront être tirées que de la région d'Ypres. Il demande donc la relève des corps français engagés dans cette région, grâce à l'arrivée aussi prompte que possible de renforts britanniques. Une note du même jour précise la constitution des réserves, qui comprendront 10 divisions actives, 4 divisions territoriales et 7 divisions de cavalerie. C'est sur cette réserve que seront prélevées les forces que nous verrons engagées en Champagne : 16e, 4e et 2e corps. La même note du 19 janvier indiquait le programme d'action suivant. : 1° L'offensive de la 4e armée en Champagne, qui est l'opération principale, sera poursuivie aussi énergiquement et rapidement que possible, par les moyens dont dispose la 4e armée, l'exploitation du succès étant faite par des divisions qui pourraient être tirées de la réserve générale. 2° Des opérations secondaires seront exécutées. Le détachement d'armée de Belgique en fait une à Nieuport ; la 10e armée continue à préparer en Artois l'action d'ensemble prévue dans la note du 8 décembre et qui n'a pu avoir lieu ; la 3e armée reprendra dès qu'elle le pourra ses actions offensives vers le nord, pour coopérer à l'attaque de la 4e armée en Champagne ; la 1re armée continuera ses offensives sur les deux flancs du détachement von Strantz, ainsi que la préparation d'une offensive en Woëvre dès que les circonstances le permettront ; enfin le détachement d'armée des Vosges poursuivra les opérations en cours. 3° Les autres armées, 2e, 6e, 5e, constituant des secteurs passifs d'Arras à Reims, renforceront leurs premières lignes de défense, construiront des secondes lignes, constitueront des réserves partielles et mettront au repos le plus de forces possible. 4° Les opérations partielles sont interdites. L'attaque allemande prévue en France n'eut pas lieu, les nouveaux corps allemands étant partis pour la Prusse orientale qu'ils allaient délivrer. Le commandement français retrouve donc sa liberté d'action. D'autre part, il s'est constitué des disponibilités. Plusieurs corps d'armée sont en réserve. On a économisé les munitions. Le général en chef décide alors de donner plus de développement à la bataille de Champagne. Le 16 février, les Français montent une grande attaque : c'est le début de ce que les Allemands appellent la bataille d'hiver de Champagne. Le 1er et le 17e corps attaquent, de Perthes à Beauséjour. Le 19, deux nouveaux corps français étoffent les deux corps engagés, le 2e dans la zone du 1re, et le 4e dans la zone du 17e. La position allemande était établie sur une longue crête, au nord du Mesnil et au nord de Beauséjour. Elle était étayée par deux gros ouvrages : l'un était à la cote 196 au nord du Mesnil ; l'autre, sur un isthme étroit entre deux ravins, portait le nom de fortin de Beauséjour. La lutte se concentra sur ces deux points. Le 16 février, le 1re corps avait pénétré dans l'ouvrage de la cote 196. Le 27, cette cote fut conquise. Le 23, la bataille s'élargit aux deux ailes, par la participation des deux corps voisins. A gauche, le 12e corps fait quelques progrès vers Auberive ; à droite, le corps colonial enlève le saillant du fortin de Beauséjour. Le reste de l'ouvrage fut emporté le 27. Après l'affaire du 23, la 16e division de réserve allemande, qui tenait le front attaqué, était si épuisée qu'il fallut remplacer tous les régiments en ligne, sauf un. Enfin la 1re division de la garde arriva en soutien. Après l'affaire du 27, et la double prise, ce jour-là, du fortin de Beauséjour et de la cote 196, le général von Einem engage la 2e brigade, dont un régiment reprend le 3 mars le sommet de la cote 196. Le 10, il se fait une accalmie. Le général von Einem en profite pour remplacer la 2e brigade de la garde, qui est fatiguée. par la 1re, lui est fraiche. Il met h la gauche de cette brigade 2 régiments Irais tirés de deux corps de l'armée. Hais, du côté français, le 16e corps, renforcé par la 48e division, relève le 19 le 1er et le 2e corps. La bataille recommence, mêlée d'attaques et de contre-attaques ; enfin, le 16, un vigoureux effort des Français reprend la cote 196. Le terrain conquis est élargi le 18. Du revers nord de cette hauteur les Français avaient des vues sur l'intérieur des positions allemandes. La bataille de Champagne s'arrêta sur ce succès, le 20 mars. Dès le 17 mars, dans un rapport au ministre, le général Joffre écrivait : Quant aux opérations qui se déroulent en Champagne, elles avaient pour but, en dehors de l'objectif principal que nous poursuivons, de venir en aide aux Russes engagés dans des combats importants au nord de la Vistule. Les résultats cherchés ont été complètement atteints en ne qui concerne le concours apporté à nos alliés et le maintien, par l'offensive, du moral élevé de nos troupes. Nous avons obtenu des succès d'ordre militaire appréciable : la ligne principale de défense de l'ennemi a été enlevée : le terrain conquis a été partout conservé ; de nombreux prisonniers ont été faits, des mitrailleuses, des canons-revolvers ont été pris. Nos troupes ne demandent qu'à poursuivre leurs attaques : leurs pertes sont très inférieures à celles qu'ont subies les Allemands. Grâce aux recomplètements déjà effectués, l'effectif total des corps d'armée qui ont pris part à l'action est revenu à ce qu'il était au début de l'opération. J'estime cependant qu'il y a lieu de modifier momentanément le caractère des opérations entreprises de ce côté, pour les raisons suivantes : a) L'ennemi s'est renforcé considérablement devant notre front d'attaque en y amenant toutes ses réserves disponibles sur le théâtre occidental ; les avantages résultant d'une surprise n'existent donc plus. b) Une certaine fatigue des troupes engagées ne permet plus, malgré leur allant et leur moral excellent, de continuer sans interruption l'opération avec autant de vigueur que précédemment. c) Enfin la consommation des munitions a été considérable. Elle nous a contraints pendant la durée des attaques de Champagne à ralentir l'intensité de nos actions sur le reste du front. Elle ne permet plus, sans danger pour l'avenir, de prolonger momentanément la lutte avec la même intensité. La bataille d'hiver de Champagne était finie. La rupture du front n'avait pas été obtenue. Mais il était démontré qu'elle était possible. La cote 900, la cote 196, le fortin de Beauséjour, en un mot la position allemande sur un front de 7 kilomètres et une profondeur de 3, était conquise. La maxime qui avait cours depuis 1870, que les fronts fortifiés sont inviolables, était démentie par les faits. L'aspect de cette première bataille d'assaut était le suivant. L'action d'infanterie était précédée d'une préparation d'artillerie qui durait en général deux à trois heures. Elle paraissait considérable à l'époque, et les Allemands parlent avec épouvante de cette averse de fer dont ils désignent la cadence sous le nom de Trommelfeuer, feu roulant. Comme les Français était encore pauvres en artillerie lourde, cette préparation était faite surtout avec des 75. D'après un récit du prince Oscar de Prusse, cent mille obus seraient tombés en un jour sur un petit espace, et le programme français aurait été de placer dix-huit obus par mètre de tranchée à bouleverser. Après cette dépense, l'artillerie française était obligée de se taire pour se ravitailler et de laisser ainsi du répit à l'ennemi. Les Allemands distinguaient, selon l'effectif, deux sortes d'attaques françaises, attaques partielles et attaques en masse, les unes et les autres se succédant d'ailleurs suivant un plan concerté. Quand une attaque partielle avait enlevé une tranchée, les Français, après s'y être consolidés, choisissaient entre deux partis. Ou bien ils lançaient à quelques centaines de mètres plus loin une autre attaque partielle, et, si cette attaque réussissait, ils pouvaient espérer rejoindre les deux terrains conquis en attaquant par les deux bouts l'espace intermédiaire ; ou bien ils se servaient de la tranchée conquise pour en faire déboucher une attaque en masse, dans le dessein de crever la ligne allemande. Ces attaques en masse étaient exécutées par une ligne dense de tirailleurs, suivis de colonnes de compagnie ou de bataillon. L'artillerie allemande avait renoncé à contrebattre l'artillerie adverse. Mais, aux signes précurseurs d'une attaque, elle concentrait son tir sur les tranchées françaises. C'est ce qu'on appelle la contre-préparation. Si les troupes d'assaut étaient déjà parties, du moins les réserves étaient arrêtées. Quant à l'infanterie allemande, son procédé était, dès qu'une position était perdue, d'exécuter immédiatement une contre-attaque, avant que les Français se fussent consolidés. Le 107e, au fortin de Beauséjour, pris sons des feux croisés, exécuta même une évacuation volontaire suivie d'un retour offensif dès que les Français eurent pénétré dans les tranchées. C'est une première ébauche de défense élastique. Dans ces retours offensifs, les Allemands faisaient largement usage des grenades, dont nos troupes étaient encore peu pourvues. L'attaque de Champagne était montée d'une façon encore très imparfaite. L'aménagement des tranchées de départ, des boyaux, des cheminements était défectueux, et la circulation était très difficile. Il y avait des tranchées mal tracées, que les mitrailleuses ennemies enfilaient. Les reconnaissances étaient insuffisantes. La liaison entre l'infanterie et l'artillerie était médiocre. Le 75 ne suivait pas la progression. Il lui arrivait de tirer dans le dos des fantassins. Les obus, mal fabriqués, éclataient dans les pièces. L'arrière n'était pas aménagé : il n'y avait à proximité qu'une seule voie ferrée, celle de Châlons à Verdun. Les routes ne suffisaient pas au trafic, les pistes dans les champs étaient des fondrières. Les villages même, comme Suippes, quartier général de la 60e division, et Somme-Suippes, quartier général du 17e corps, étaient des mares de boue gluante. II. — LA BATAILLE D'ARTOIS. COMME l'écrivait le général Joffre au ministre de la Guerre, le 23 août 1915, l'opération de Champagne avait donné au commandement français la conviction qu'une offensive puissante développée sur un large front pouvait réussir si elle était exécutée dans le même temps qu'une ou deux opérations analogues, mais de moindre envergure, organisées sur d'autres points du front. Dès le début, le commandement français a vu que l'une des conditions du succès était d'attaquer sur un front aussi large que possible. Mais l'étendue du front dépendait des moyens dont disposait le commandant en chef. Aussi voyons-nous ce front s'étendre à mesure que les moyens augmentent. La note du 17 mars indiquait ce progrès. Dans l'ensemble, Io mois de décembre a été marqué par des opérations de corps d'armée qui nous ont donné des succès partiels. L'arrivée des renforts anglais, l'utilisation sur notre front de nouvelles divisions territoriales, en nous facilitant la constitution de réserves importantes. une première augmentation des fabrications en munitions nous ont permis d'entamer une opération J'armée, qui nous a donné des résultats appréciables. L'appoint de nouveaux renforts anglais et surtout des unités en voie de création à l'intérieur, l'extension de la fabrication des munitions jusqu'au chiffre reconnu comme nécessaire dans nos prévisions, nous donneront progressivement la possibilité d'entreprendre des actions combinées de plusieurs années. A l'attaque simple allait succéder une attaque combinée, comprenant une opération principale et des opérations secondaires. L'opération principale fut confiée à la 10e armée, au nord d'Arras, sur un terrain jugé favorable pour l'offensive tactique et pour l'exploitation stratégique du succès. Les opérations secondaires furent confiées, l'une à l'armée britannique au sud d'Armentières, l'autre à la 2e armée française dans la région de Chaulnes. Ces attaques étaient suffisamment espacées pour que l'ennemi fût obligé d'y faire face en dispersant ses moyens, suffisamment rapprochées pour que l'exploitation concordante de leurs résultats procurât un résultat décisif. (Lettre du 23 août.) La bataille de Champagne avait fini le 20 mars. Les deux mois qui la suivirent furent occupés à créer les disponibilités en infanterie et en artillerie lourde, nécessaires pour l'attaque, et à répandre parmi les troupes les enseignements de la bataille. Entre temps, une affaire était montée en Woëvre, où elle échouait complètement. Les Allemands, de leur côté, attaquaient à Ypres et sur les Hauts-de-Meuse. Le terrain choisi pour la nouvelle bataille était la région entre Lens et Arras. Elle est caractérisée, comme on l'a vu, par un accident de terrain formant une longue arête, appelée dans sa partie occidentale la colline de Notre-Dame-de-Lorette et dans sa partie orientale la falaise de Vimy. La colline de Lorette est une crête, allongée d'ouest en est, et qui domine au loin le paysage. Elle culmine à 163 mètres et porte une chapelle. A l'ouest de la chapelle, un bois est jeté sur cette crête, comme un tapis sur le dos d'un cheval : c'est le bois de Bouvigny. Du côté du nord, la colline s'abaisse par une pente régulière et assez douce vers le fond de Buval. Quand, du sommet, on regarde de ce côté, on ne voit en contrebas qu'une énorme agglomération de toits rouges, avec des cheminées d'usines, des réservoirs d'eau brillant au loin comme des turquoises, çà et là un dos de terrain pelé, et. de grands cônes couleur de plomb, qui sont des crassiers. C'est la plaine des charbonnages, avec Angres, Liévin et Lens, grandes villes presque confondues. — Du côté de l'est, le regard plonge dans la dépression qui sépare la crête de Lorette de celle de Vimy ; la Souchez y coule, et le bourg de Souchez la verrouille. — Du côté du sud, le paysage change ; la colline de Lorette a de ce côté des pentes abruptes et découpées en éperons qui lui donnent la ressemblance d'une patte de lion. Cette patte repose sur un socle, qui porte le village d'Ablain-Saint-Nazaire ; ce socle est lui-même terminé du côté du sud par un fossé, où coule la Carency et que flanque en caponnière le village de Carency. Au sud de ce fossé, le terrain descend en glacis sur Arras. Les lignes allemandes étaient à cheval sur l'éperon de Lorette, à l'ouest de la Chapelle. Sur le socle de la colline elles s'appuyaient à Ablain, dans le fossé extérieur à Carency. De là, elles s'infléchissaient au sud-est pour contourner Arras, qui était aux Français. Entre Carency et Arras, elles rencontraient le village de Neuville-Saint-Vaast, long de plus de deux kilomètres. Mais, après Neuville-Saint-Vaast, elles ne trouvaient plus on s'étayer sur ce vaste plateau agricole. Dans cette étendue, les Allemands avaient construit sur la route de Lille une véritable place du moment, lacis de tranchées et d'abris plus d'un kilomètre de côté, que les Français appelaient le Labyrinthe. Ainsi, la ligne allemande entre la crête de Lorette et Arras était fixée sur cinq points d'appui : Ablain, Carency, les ouvrages blancs (ouvrage intermédiaire établi sur le plateau entre Carency et Neuville), Neuville-Saint-Vaast, le Labyrinthe. En somme, cinq bastions reliés par des courtines, le rôle de lit courtine étant, tenu par trois lignes de tranchées. La défense allemande était l'ondée sur les principes suivants. La tranchée de première ligue était occupée par peu d'hommes, mais par beaucoup de mitrailleuses sous casemates disposées de façon à fournir des feux flanquants. Un grand nombre d'abris étaient creusés pour l'infanterie. Les boyaux, armés de mitrailleuses, étaient garnis des deux côtés de banquettes de tir et couverts par des réseaux, de telle sorte qu'ils pouvaient se transformer instantanément en tranchées de tir, donnant des feux flanquants en arrière de la ligne et dans l'intervalle des points d'appui. Dans le même esprit, les localités étaient organisées sur toutes leurs faces, ce qui leur permettait de résister môme investies, de maintenir l'ossature de la ligne, et de faciliter les contre-attaques. Les voûtes des caves étaient redoublées par du béton ; des abris étaient encore creusés dans le sol de ces caves, et une circulation souterraine était organisée. Le front qui allait être attaqué par les Alliés était, comme on l'a vu, celui de la VIe armée allemande, commandée par le kronprinz de Bavière. Il avait en ligne, d'Arras jusqu'au sud de la colline de Lorette, le 1er corps de réserve bavarois. A droite de celui-ci s'étendait le XIVe corps, qui tenait la colline de Lorette par sa gauche, et qui étendait sa droite vers le canal de la Bassée. Au nord de ce canal, le front était tenu, devant la 1re année britannique, par le VIIe corps, renforcé d'une division bavaroise. L'ordre de bataille français était le suivant, de la gauche à la droite : au nord de Notre-Dame-de-Lorette, corps, dont une division attaquait les hauteurs au nord de Lens ; sur la colline de Lorette, le 21e corps ; au sud de la colline, le 33e corps ; devant Neuville-Saint-Vaast, le 20e corps ; devant le Labyrinthe, une division du 17e corps ; enfin, tenant le front d'Arras, le 10e corps. L'attaque eut lieu le dimanche 9 mai. Sur le front du 33e corps, commandé par le général Pétain, et qui avait minutieusement préparé l'action, le succès fut foudroyant. Un calme profond avait régné jusqu'à six heures du matin. Après une aube brumeuse, il faisait une matinée ensoleillée. A six heures, un bombardement formidable commence. Dix-sept fourneaux de mines éclatent, chacun chargé à 300 kilos, et bouleversent les défenses ennemies. A dix heures, l'artillerie allonge le tir, l'infanterie part, marquant sa progression par des fanions. Derrière les vagues d'assaut, des téléphonistes déroulent leur fil, des mitrailleuses viennent se mettre en place, des sapeurs visitent les ouvrages conquis. Le plan est de masquer les points d'appui et de passer par les intervalles. Tandis qu'à la gauche du corps la 70e division, ayant enlevé d'un bond trois lignes de tranchées, masque Carency, le centre et la droite (77e division et division marocaine), traversent d'un élan la position allemande, et, une heure et demie après le départ, à onze heures trente, les Français sont sur la cote 119, et découvrent la plaine de Douai. Ils ont avancé de 4 kilomètres. La ligne allemande est percée. Seulement, il n'y a pas de réserves à proximité. Les réserves d'armée (18e et 53e divisions, 2e corps de cavalerie) ont été placées à 12 kilomètres en arrière. La zone battue étant de 8 kilomètres, on estimait cette distance nécessaire pour leur permettre de manœuvrer et de s'engager sur le point utile. Personne ne pensait à une avance aussi rapide. Faute de troupes fraîches, le succès ne put être ni exploité, ni maintenu. Le 11, la 70e division, ayant débordé Carency par l'est, l'enlève ; les défenseurs se replient sur Ablain, qui est à son tour enlevé en grande partie dans la nuit. Ce village est extrêmement long. La partie orientale, avec l'église et le cimetière, fut emportée par une nouvelle attaque le 28 et le 29. Sur le front des autres corps la lutte était très dure. La division du 9° corps engagée sur Loos subissait de grosses pertes. Le 21e corps, après un combat très violent, soutenu sur sa droite par les progrès du 33e, emportait la chapelle de Lorette dans la nuit du 12 au 13. Au 20e corps, la 39e division, qui formait la gauche, arrivait brillamment aux premières maisons de Neuville, mais devait s'arrêter devant cet obstacle ; la 11e division, qui formait la droite, avançait sa brigade de gauche d'une profondeur de 3 kilomètres dans l'intervalle entre Neuville et le Labyrinthe, et, débordant Neuville par l'est, arrivait à 300 mètres du cimetière, qui fut pris le 11 ; mais la brigade de droite était arrêtée par le Labyrinthe, où elle réussissait seulement à prendre pied. Plus au sud, le 17e corps échouait devant des réseaux intacts, et le 10e corps subissait un sanglant échec devant Arras. L'Artois et la Somme.Les combats continuèrent. L'objectif était maintenant d'enlever la crête de Vimy, un instant atteinte le 9, et qui barre comme un mur tout l'est du champ de bataille. Derrière ce mur, il y avait la plaine de Douai, les communications allemandes, la victoire. Mais la crête de Vimy était encore couverte par deux bastions, Neuville-Saint-Vast, qui résistait toujours, et, plus au nord, le gros bourg de Souchez, au fond de son vallon. Il fallait, avant de donner l'assaut définitif, l'aire sauter ces positions avancées. Les opérations en cours, dit une note du 17 mai, ont pour objet la conquête de ces deux points d'appui, tandis que, sur tout le front d'attaque, une minutieuse préparation est activement poussée. On peut espérer que cette préparation sera complète au moment où tomberont les deux bastions attaqués. Il sera alors possible d'enlever d'un seul élan toute la crête de Vimy et de rompre le front allemand. On comptait que les deux points d'appui tomberaient dans une huitaine de jours, c'est-à-dire vers le 25. Il n'en fut pas ainsi. Tout ce qu'on put faire fut d'enlever, le 31, la sucrerie qui est à l'ouest de Souciiez. On passa outre, et une action générale fut préparée pour le 16 juin. Elle donna de médiocres résultats. A gauche, on réussit bien à enlever, au pied nord de Notre-Dame-de-Lorette, le redoutable fond de Buval, le 18. Devant Souchez, au moment où les troupes sortaient, l'artillerie allemande mit un barrage, qui arrêta les soutiens. Au nord du village, les assaillants de la cote 119, isolés, doivent se replier, mais ils se maintiennent sur les pentes ouest. Au sud du village, le château de Carleul est pris, mais Souchez, débordé des deux côtés, tient toujours. Dans Neuville on se bat depuis un mois, et l'îlot ouest seul est en notre pouvoir. Néanmoins, le 20e corps, renforcé de la 153e division, doit attaquer le 16 entre Neuville et le Labyrinthe, pour aborder la crête de Vimy vers- la Folie et Thélus. Il échoue complètement ; un nouvel assaut, le lendemain, n'est pas plus heureux. Au Labyrinthe, on se bat depuis le 9 mai, derrière des barricades de sacs à terre. Le 16, l'extrémité nord, qui tenait encore, est attaquée et, le 19, tout le Labyrinthe est aux Français. Enfin, à l'extrême droite du champ de bataille, le 10e corps renouvelle sans plus de succès son attaque du 9 mai entre Écurie et Arras. En somme, la bataille du 16 juin est nettement un échec. Après avoir voulu subdiviser l'opération et enlever d'abord Souchez et Neuville, et ultérieurement la crête de Vimy, on a tout attaqué à la fois. Aucun des objectifs essentiels n'a été atteint. La bataille s'achève ainsi. De son côté, l'armée britannique avait déclenché le 9 mai une attaque, sur le front de la 1re armée, de Fromelles au canal de la Bassée, avec le 4e corps, le 1er corps et le corps indien. Cette attaque ne réussit pas, sauf au 4e corps, dont la 8e division emporta la première ligne ennemie, mais ces gains eux-mêmes ne purent être maintenus. Le maréchal French modifie alors son projet primitif, et monte une nouvelle attaque sur le front de 3 divisions seulement la 2e, la 7e et la division de Meerut. Cette attaque était fortement nourrie en profondeur, et appuyée par 400 pièces environ d'artillerie lourde. Elle fut exécutée le 16 mai. La division indienne ne put gagner de terrain, mais la 2e et la 7e avaient conquis, le 18, 7 à 800 mètres en profondeur sur un front de 3 kilomètres, et enlevé sur cette étendue la première ligne allemande. Elles furent relevées ce jour-là par la division canadienne el par la division des highlanders, qui continuèrent l'attaque. La 47e division s'engagea avec elles le 24 mai. Les gains furent ainsi étendus à un front de près de 7 kilomètres. Le 23 mai, l'attaque fut arrêtée. La bataille a reçu des Anglais le nom de bataille de Festubert. Dès le 20 mai, une note du grand quartier formulait les enseignements de la bataille d'Artois. Le premier et le principal était la nécessité de pousser les réserves en avant le plus possible. Cette règle s'applique, non seulement aux renforts et réserves partielles destinés à alimenter le combat, et dont l'engagement doit être organisé d'avance en vue d'une poussée continue et automatique, mais aussi aux réserves générales destinées à exploiter le succès. L'heure du succès est fugitive, et l'occasion est perdue si los troupes réservées n'interviennent pas sur-le-champ. Il en résulte que les réserves doivent être articulées en largeur, par grosses unités tactiques, à proximité immédiate des parties du front on une rupture de la ligne ennemie peut être exploitée. Leur dispositif doit permettre de les engager immédiatement. En d'autres termes, tandis que jusque-là les troupes réservées étaient gardées dans la main du chef pour exécuter telle manœuvre sur tel point qui dépendait des circonstances, et que par conséquent elles restaient en arrière, articulées de façon à se porter où besoin serait, voici que la bataille du 9 mai apprend que cette manœuvre est impossible. Dès le début de l'action, le commandement renonce à disposer librement de ses réserves. Il les colle an dos des troupes d'attaque, en dispositif large, sur leurs points d'intervention future, et il ne pourra plus que les porter en avant. C'est le premier pas vers le programme réglé d'avance, la bataille à déroulement automatique que nous verrons de plus en plus nettement à partir de 1916. Le second enseignement, c'est qu'il fallait encore élargir le front des attaques : Il est nécessaire de procéder par attaques simultanées et jointives, sur un grand front, de manière que l'ennemi soit contraint de disperser ses moyens. Toute attaque étroite et détachée de l'ensemble des attaques échoue, ou procure un succès qui ne peut être maintenu ; l'ennemi peut en effet concentrer sur elle, grâce à la grande portée des armes, les feux provenant des parties voisines et non attaquées de son front. Ce front d'attaque étendu, sur lequel les troupes sont disposées dans un ordre dense et profond pour donner à la lutte un caractère continu d'extrême violence, suppose des forces considérables. On ne devra donc, en principe, engager une active offensive que si l'on y peut consacrer des effectifs importants. C'est la fin, au moins en théorie. des attaques partielles. Enfin, la note conclut par la nécessité d'équiper d'avance les fronts offensifs. Cet équipement de tout le front n'a été réalisé qu'en 1917. Mais le principe était posé dès le printemps de 1915 : Partout où l'on envisage qu'une offensive pourrait être prise... on doit aménager le terrain en arrière des tranchées.... Ces travaux, exécutés sur diverses parties du front, inquiéteront l'ennemi et le tiendront dans l'incertitude des points d'attaque réellement choisis par nous. Ils nous permettront de gagner beaucoup de temps dans la préparation immédiate de nos offensives ultérieures. Dans sa correspondance, le général Joffre revient à plusieurs reprises sur cette idée qu'il faut augmenter les moyens d'action, étendre le front d'attaque, empêcher l'ennemi de concentrer ses moyens sur le front attaqué. Mais comment augmenter les moyens d'action ? La France a sur le front 2.200.000 hommes, et, tout ce qu'elle peut faire, c'est de maintenir son armée à ce chiffre, sans l'augmenter. Au contraire, la Grande-Bretagne avait sur pied à la fin de mai 58 divisions, dont 53 anglaises, 2 indiennes, 3 provenant du Canada, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande. Sur ce nombre, il y en avait 21 en France, 3 aux Dardanelles et 34 en Angleterre. L'envoi de 4 nouvelles divisions en France et d'une division aux Dardanelles était prévu. Il y aurait à ce moment 25 divisions en France et 29 en Angleterre. Le général Joffre aurait voulu qu'une vingtaine de ces divisions maintenues inutilement en Angleterre fût envoyée en France (lettre du 29 mai au ministre de la Guerre). Ce renfort était d'autant plus nécessaire que les Allemands avaient monté en avril une puissante offensive en Galicie contre les Russes, sous le commandement du général Mackensen, et les avaient complètement battus. On pouvait donc prévoir que les Allemands récupéreraient sur le front oriental plusieurs corps d'armée. Le commandement français eût voulu que l'armée britannique renforcée eût deux zones d'opérations : la zone d'opération actuelle en Flandre, élargie à gauche au nord d'Ypres, à droite au sud du canal de la Bassée ; 2° une zone d'opérations nouvelle allant du sud d'Arras à la Somme. Les armées britanniques encadreraient ainsi la 10e armée française opérant au nord d'Arras, avec leur effort principal à la gauche de cette armée et en liaison avec elle. Le 24 juin, le commandant en chef insiste encore auprès du ministre pour que les divisions anglaises nouvellement formées soient envoyées en France. A la suite des opérations du 9 mai, puis du 16 juin, dans la région d'Arras, ma conviction reste entière que la décision sur notre front doit être recherchée par l'augmentation de puissance de nos actions. Ainsi que je vous l'exposais dans ma lettre du 30 mai, jamais l'occasion n'a été aussi propice pour qu'un effort considérable soit fait en France. Mais l'envergure des opérations que j'envisage ne dépend pas seulement des disponibilités qu'il m'a été possible de créer. Elle est également fonction de l'arrivée en France des armées anglaises de création récente. Je crois le moment venu de vous demander à nouveau que le gouvernement français intervienne auprès du gouvernement anglais en vue d'obtenir l'envoi en France des divisions anglaises actuellement formées, dès qu'elles seront prêtes.... Le même jour, le général Joffre demandait au ministre que la conduite supérieure de la guerre fût centralisée au grand quartier français, on les plans d'ensemble et les directives d'opérations seraient élaborés. Si la campagne de 1914, disait-il, s'est ouverte avec un plan de guerre et un plan d'opérations arrêtés l'un et l'autre par entente entre la France, la Russie et l'Angleterre, la phase actuelle de la guerre, qui se déroule dans des conditions différentes à tous points de vue, ne se présente pas de la 'm'une manière. Les rapports des Alliés entre eux et avec l'Italie qui vient de se joindre à nous restent cordiaux ; mais les différentes armées opèrent chacune pour leur compte, sans coordination d'ensemble. L'impression se généralise que la guerre, du côté des Alliés, n'est pas conduite... En ce qui concerne particulièrement le théâtre d'opérations français, où agissent les armées française, anglaise et belge, la nécessité d'une coopération étroite et constante s'impose. Si l'on ne veut pas dire que le commandant en chef français donne des ordres, du moins est-il indispensable pour vaincre que les commandants en chef des armées anglaise et belge suivent ses instructions. C'est seulement ainsi qu'il serait possible de coordonner tous nos efforts et de les faire converger avec ses adversaires, chez qui la conduite de la guerre est certainement aux mains d'une seule des puissances belligérantes. Ainsi apparaît l'idée du commandement unique, qui ne sera réalisée que le 26 mars 1918. III. — LA BATAILLE D'ARTOIS-CHAMPAGNE. PENDANT qu'il poursuivait l'attaque en Artois, le commandement français se préoccupait de la reprendre en Champagne. Dès le 14 juin, une instruction adressée aux commandants de groupes d'armées la laissa entrevoir.
Les batailles de la Marne.Le 12 juillet, une nouvelle instruction aux commandants des groupes d'armées précise l'intention d'une attaque combinée en Artois et en Champagne : Le groupe du nord, dont les opérations seront conjuguées avec l'offensive anglaise et belge, recherchera la rupture du front ennemi dans la région d'Arras. Il disposera pour cette attaque environ de 12 divisions d'infanterie, 2 divisions de cavalerie, d'un nombre de canons lourds qui pourra s'élever à 300. Le groupe du centre conduira dans le même but sur le front actuel des 3e et 4e armées des attaques menées avec des moyens puissants comportant 27 divisions d'infanterie, 2 corps de cavalerie, 550 canons lourds environ. Le groupe de l'est gardera provisoirement une attitude défensive, n'excluant pas les coups de main et les actions locales. Toutefois, à l'issue des opérations dans la vallée de la Fecht, le commandement en chef décidera de l'attitude à conserver sur cette partie du front. Un certain nombre de divisions resteront à la disposition du commandant en chef. Une instruction particulière pour le général Foch, commandant le groupe des armées du nord, assignait comme objectif à l'attaque la rupture du front ennemi, ou au moins la conquête de la crête 119-140, c'est-à-dire de la crête de Vimy. Enfin, le paragraphe IV de l'instruction ajoutait : Aussitôt qu'elle aura reçu les troupes de renfort qui lui sont annoncées, l'armée britannique en France relèvera sur leur front actuel la 56e division et le 11e corps.... J'ai l'intention, en conséquence, d'étendre jusqu'à la droite anglaise la zone de la 6e armée. L'état-major de la 2e armée, devenu ainsi disponible, sera affecté au groupe d'armées du centre pour faciliter l'articulation de la masse d'attaque principale. Une instruction du même jour, au général de Castelnau, commandant le groupe d'armées du centre, précise l'organisation de l'offensive de Champagne. L'attaque principale aurait lieu entre Moronvilliers et l'Aisne. Elle serait appuyée à droite par une action menée par la 3° armée avec ses propres forces ; cette armée passait le 20 juillet au groupe d'armées du centre. — En même temps, une action était préparée à gauche, avec 2 ou 3 corps d'armée, entre Craonne et Brimont, pour ouvrir ultérieurement les débouchés de l'Aisne. — Le paragraphe V de cette instruction disait : Il est bien entendu que toutes dispositions seront prises pour rechercher et exploiter à fond le sucrés initial. La bataille que vous livrerez en Champagne, dans le môme temps que le général Foch et le maréchal French attaqueront dans le nord, est l'opération principale de la campagne de 1915. Elle sera le signal de l'offensive sur le front des armées de la République. Enfin, une dernière instruction est adressée, le 12 septembre, aux commandants de groupes d'armées. En voici les principaux passages : 1° Les attaques prévues par mon instruction générale du 12 juillet seront exécutées par la Ire armée britannique et les 10e, 5e, 4e, 2e et 3e armées françaises, dans les conditions suivantes : 1re armée britannique et 10e armée française, sur le front général la Bassée-Ficheux ; 4e, 2e et 3e armées, entre le massif de Moronvilliers et l'Argonne ; La progression de ces dernières armées sera facilitée par une attaque de la 5e armée, entre le massif de Craonne et la vallée de l'Aisne, que le général commandant le groupe d'armées du centre déclenchera dès qu'il le jugera utile. 2° Aussitôt les premiers succès tactiques obtenus, il importe de rechercher au plus tôt une exploitation stratégique, que facilitera la forme enveloppante de notre front entre la mer et la Meuse. Ce résultat ne peut être atteint que par une manœuvre simple, comportant une poussée brutale et ininterrompue, visant les communications adverses, et respectivement exercée par les armées droit devant elles, en direction générale de l'est et du nord. Toute recherche de rabattement latéral ferait le jeu de l'ennemi en lui laissant le temps d'occuper avec des réserves les lignes de défense successives qu'il a préparées. Il importe, dans le mouvement en avant, de persuader aux exécutants qu'ils ne doivent pas s'attendre les uns les autres et qu'ils n'ont pas à se préoccuper des intervalles. 3° D'une façon générale, le premier front à viser sera : pour le groupement, 1re armée britannique, 10e armée, Fresnes-le Buissenal-le Quesnoy ; pour les armées du général de Castelnau, Le Nouvion-Sedan.... Une fois ce front atteint, une nouvelle manœuvre devra être organisée, en raison du resserrement de la zone d'action et de la présence de la zone boisée forêt de Saint-Michel-Ardennes. Enfin le paragraphe IV prévoit l'organisation de la poursuite par la cavalerie. C'était donc la libération du territoire et la défaite définitive de l'ennemi qu'on attendait comme résultat final de cet ensemble d'opérations, dont le premier acte devait être la rupture du front par de vastes attaques simultanées, la principale de ces attaques ayant lieu en Champagne. Ce front était tenu, on s'en souvient, par la IIIe armée allemande von Einem. Le VIIIe corps de réserve, sous le nom de groupement Heck, occupait avec trois divisions le secteur de Souain à Massiges, c'est-à-dire la presque totalité du front que les Français comptaient attaquer. Le système défensif avait été renforcé. Pendant la bataille d'hiver, une seconde position avait été creusée à 1 kilomètre environ derrière la première. Mais la bataille d'Artois prouva que ce système pouvait être percé. La leçon que les Allemands tirèrent de leur aventure du 9 mai sur la crête de Vimy fut la création d'une position choisie à 3 ou 4 kilomètres en arrière de la première, et qui prit le nom de position de réserve (Reserve-Stellung). Sur le champ de bataille de Champagne, elle fut jalonnée par une ligne de crêtes et de buttes qui allait de la ferme de Navarin, par la butte de Tahure, jusqu'aux hauteurs au nord de la Dormoise. Sa particularité fut d'être établie à contre-pente, c'est-à-dire invisible aux observateurs français et invulnérable à l'artillerie française. Une autre invention fut le creusement dans la craie tendre de Champagne de tunnels qui servaient de voies d'accès vers les positions avancées. Derrière le front, les Allemands, qui avaient souffert de la difficulté des charrois en hiver, construisirent solidement quatre routes qui se dirigeaient vers les lignes : la route des Russes à l'ouest du champ de bataille, derrière le XIIe corps de réserve ; la route Engelbrecht, qui s'embranchait sur la transversale de Somme-Py à Aure ; la route Karcher, qui conduisait à Gratreuil ; enfin la route de Fontaine-en-Dormois, chemin français élargi qui s'embranchait sur la route Séchault-Cernay. Les gares de la voie ferrée Bazancourt-Challerange, qui était la voie de rocade à l'arrière, furent améliorées, avec des rampes et des voies pour le déchargement. Une grande gare fut installée près du tunnel de Somme-Py. De cette artère principale, des chemins de fer de campagne se dirigèrent vers les lignes. Dans ce pays sans villages, les troupes furent installées dans des camps, comme celui de Kaisertreu, au nord de Somme-Py, dont les petites maisons carrées rappelaient les villages du nord de l'Europe. Dans le cours de l'été, une patrouille allemande ramassa un document important : c'était une instruction française (probablement celle du 16 avril) sur l'attaque. Elle contenait les leçons de la bataille d'hiver de Champagne. An lieu des colonnes d'assaut, trop vulnérables, elle prescrivait l'attaque en vagues de tirailleurs, par unités accolées sur un front très étroit. Celui d'une division ne devait pas dépasser 1.000 à 1.200 mètres, avec trois régiments côte à côte, chaque régiment articulé en profondeur, et fournissant lui-même les soutiens à ses éléments de tête, ce qui empêchait le mélange des unités. Une telle attaque ne pouvait évidemment pas déboucher des tranchées. Il lui fallait, pour se mettre en place, des endroits de rassemblement, composés de tranchées parallèles, rapprochées à 100 ou 150 mètres de l'ennemi. Pour amener les troupes à ces parallèles de départ, l'instruction prescrivait l'établissement de boyaux, un au moins par front de régiment, et d'une longueur de 4 à 5 kilomètres, correspondant à la zone où l'artillerie ennemie avait tout son effet. Ces travaux seraient faits par des unités de travailleurs, les troupes qui devaient attaquer étant gardées fraîches pour l'assaut. Bientôt le commandement allemand vit des symptômes plus précis. Il s'aperçut que les meilleures divisions françaises étaient retirées du front, où leur place était prise par des divisions de cavalerie ou des formations territoriales nouvelles. Des divisions anglaises de formation récente relevaient au commencement d'août les Français au nord de la Somme. Que devenaient les divisions françaises ainsi relevées ? Le commandement allemand l'ignorait. Encore au milieu d'août, il ignorait l'emplacement de dix d'entre elles. Il sut plus tard qu'on les entraînait dans des camps à Toul, Châlons et Compiègne. Le 12 août, la IIIe armée allemande signale pour la première fois la probabilité d'une attaque en Champagne. Les avions français étaient plus actifs, les ballons plus nombreux, de nouvelles batteries faisaient leurs réglages. Des tranchées, les soldats français criaient : Allemagne kapout. Ils élevaient des écriteaux avec la même inscription. Le trafic sur les voies et les routes entre Châlons et le front augmentait. Le 25 août, sur toutes les parties du front où les tranchées n'étaient pas à distance d'assaut, les Français commencèrent à les avancer. Ils camouflaient leur ouvrage sous des toiles brunes, longues de 50 mètres environ ; mais les Allemands voyaient les parapets blancs dans l'interstice. Une de ces toiles se déplaça, et il n'y eut plus de doute sur ce qu'elles cachaient. Les réseaux disparaissaient du front des tranchées, pour reparaître le lendemain, hâtivement tendus devant la tranchée nouvelle. Le 31 août, un déserteur qui passa dans les lignes allemandes à Auberive signala que les renforts arrivaient depuis trois semaines et qu'il fallait compter sur une attaque française dans 10 à 15 jours. D'ailleurs, les signes se multipliaient. L'artillerie française devenait chaque jour plus hardie. Trois à quatre obus tombaient dans un endroit jusque-là tranquille. Le fantassin n'y prenait pas garde, mais l'artilleur reconnaissait un réglage. Discrètement, il se faisait les réglages sur les ponts, sur les cheminements, sur les pentes où une batterie pouvait s'établir. Les aviateurs français, plus nombreux qu'on ne les avait jamais vus, aidaient à ces réglages, et les soldats allemands les voyaient avec colère passer dans le ciel du soir, dorés par le soleil d'une fin d'été. Les reconnaissances se poursuivaient !a nuit. Les aviateurs, volant plus bas, cherchaient à reconnaitre à leurs lumières les camps et les convois. Du haut de nombreux ballons captifs, les lorgnettes françaises fouillaient le terrain. Un dirigeable, Alsace, alla jeter des bombes sur Vouziers. Il fut ensuite abattu près de Tagnon. En face de cette menaçante accumulation de forces, l'artillerie allemande était relativement peu nombreuse. Le commandement, qui préparait une expédition en Serbie pour le mois d'octobre, était avare de munitions. Les avions allemands étaient inférieurs en nombre. Le 5 septembre, le temps se mit au beau. Des hauteurs de Moronvilliers, les Allemands voyaient les travaux français avancer. Ils reconnaissaient les 'boyaux qui partaient de la route Prosnes-Saint-Hilaire. Les parallèles de départ étaient commencées ; on y distinguait des types différents, dont le contact indiquait la frontière de deux unités. Du côté allemand on se préparait à la lutte. A partir du 5 septembre, les permissions furent supprimées. Les Français faisaient peu de patrouilles, ne se souciant pas de laisser des prisonniers, qui parleraient. Les Allemands avaient cependant identifié 8 divisions, contre 6 qu'ils avaient en ligne. Mais ils voyaient aussi des relèves, qu'ils ne comprenaient pas. Ils surent plus tard que leurs adversaires mettaient les divisions d'assaut en ligne quelque temps, pour leur rendre le terrain familier, et les retiraient, pour les garder fraîches. Le 21, un déserteur annonça que l'attaque était pour le lendemain. Il parlait de masses de cavalerie, et d'artillerie lourde en nombre inouï. Le 22, à sept heures du matin, la préparation d'artillerie commença, d'abord par places, puis sur tout le front entre les hauteurs de Moronvilliers et l'Argonne. Ce furent d'abord moins les premières lignes allemandes que les points importants situés en arrière qui reçurent le feu. Les postes de commandement d'artillerie furent bombardés sans exception, et quelques-uns mis hors de service. Les centraux téléphoniques situés dans leur voisinage furent pareillement atteints : à Saint-Souplet, un coup direct coupa toutes les communications. Les localités, les communications recevaient des feux d'une violence inconnue. Les gares de Bazancourt et de Challerange étaient bombardées par des obus du plus gros calibre qui interrompaient le trafic sur cette rocade essentielle. Les gares intermédiaires n'étaient pas épargnées. Chassés des villages, les Allemands s'installaient dans des camps de fortune. Le feu continuait la nuit ; à peine pouvait-on réparer quelques dégâts, rendre les postes de commandement utilisables, les boyaux praticables. La journée du 23 ne fut pas moins terrible. Les abris, si leur toit tenait bon, livraient accès par leurs crevasses aux gaz empoisonnés. Aux premières lignes, le fracas monstrueux des torpilles s'ajoutait au miaulement des obus. Les tranchées écrasées n'étaient plus que des trous informes. Cependant l'artillerie allemande essayait de réagir, et, dès ce jour, se renforçait. Une batterie des mortiers les plus puissants s'installait au sud-est de Sainte-Marie-à-Py pour battre la cuvette de Souain ; dans la zone du VIIIe corps de réserve venaient s'établir deux batteries de mortiers et trois d'obusiers. D'autres renforts étaient en route. Une nuit passa encore, illuminée d'éclatements. Le 24, le ciel se couvrit : un peu de pluie tomba. Cependant le feu roulant continuait. La craie martelée montrait partout ses blessures blanches. Des nuages de poussière et de terre, mêlés d'éclats de bois et de débris de roche, tourbillonnaient sur tout le champ de bataille. Les entrées des abris étaient obstruées, les hommes enterrés vifs. Les guetteurs à leur poste continuaient à surveiller l'apparition attendue de l'infanterie française. Cette attente de l'assaut à subir était un des plus intolérables supplices. Parfois, le feu de l'artillerie française cessait. Les fantassins allemands, croyant le moment venu, sortaient des abris et se jetaient dans les tranchées. Aussitôt un nouvel ouragan d'obus s'abattait sur eux. Des patrouilles françaises venaient voir si quelque chose vivait encore dans les lignes bouleversées. Un feu de mousqueterie les accueillait, et l'artillerie française reprenait aussitôt son œuvre de mort. Enfin arriva la journée décisive du 23 septembre. Les Français avaient fait pour cette bataille, qui devait délivrer le pays, de formidables préparatifs. Des gares de la vallée de la Suippe, on avait déroulé vers le front un réseau de chemins de fer de campagne. Les routes, améliorées ou nouvelles, se chargeaient dès le commencement d'août de convois ininterrompus. L'arrière se couvrait de dépôts et de cantonnements. Les boyaux avaient été portés à 9 ou 12 par front de corps d'armée, soit un tous les 300 ou 400 mètres, les uns pour le service montant, les autres pour le service descendant, assez unis pour qu'une bicyclette y roulât, assez larges pour qu'une brouette y passa t, munis d'écriteaux, suivis par des fils téléphoniques en double et en triple. Pour le rassemblement des troupes d'assaut on avait, creusé des places d'armes, dont l'une, capable de contenir un bataillon, et garnie de 20.000 sacs à terre, s'appelait la place de l'Opéra. Les troupes, reposées, habillées de neuf, portant l'uniforme bleu et le casque à la bourguignotte, étaient splendides. Les positions ennemies étaient repérées dans le détail, et les cartes des tranchées et des abris ennemis avaient été distribuées aux combattants. L'attaque était préparée dans le moindre détail. Les deux armées Langle de Cary et Pétain avaient 19 divisions en première ligne, 4 en seconde ligne. D'autres réserves encore étaient préparées en arrière. Au total, dans le groupe d'armées du centre, 35 divisions devaient prendre part aux opérations, avec 900 pièces lourdes. Pendant ce temps, le groupe d'armées du nord attaquerait en Artois avec 17 divisions et 400 pièces lourdes, l'armée britannique avec 13 divisions et 300 pièces lourdes. Pour exploiter le succès, 10 divisions de cavalerie française, 5 de cavalerie anglaise étaient prêtes. Les trois quarts de l'armée française, soit en Artois, soit en Champagne, participeraient à l'action. Le 23 septembre, le général eu chef adressait aux troupes l'ordre général n" 43 Soldats de la république, Après des mois d'attente qui nous ont permis d'augmenter nos forces et nos ressources, tandis que l'adversaire usait les siennes, l'heure est venue d'attaquer pour vaincre, et pour ajouter de nouvelles pages de gloire à celles de la Marne et des Flandres, des Vosges et d'Arras. Derrière l'ouragan de fer et de feu déchainé grâce au labeur des usines de France, où vos frères ont nuit et jour travaillé pour vous, vous irez, à l'assaut tous ensemble, sur tout le fioul. en étroite union avec les armées de nos Alliés. Votre élan sera irrésistible. Il vous portera d'un premier effort jusqu'aux batteries de l'adversaire, au delà des lignes fortifiées qu'il nous oppose. Vous ne lui laisserez ni trêve ni repos jusqu'à l'achèvement de la victoire. Allez-y de plein cœur pour la délivrance du sol de la patrie, pour le triomphe du droit et de la liberté. Le front allemand représentait un système de 5 gros centres de résistance, reliés entre eux par des lignes de tranchées. Le commandement français concevait la bataille comme un assaut simultané sur tout le front, les troupes d'attaque étant dosées de façon à masquer seulement les centres de résistance, et au contraire à crever les lignes dans les intervalles entre ces centres. Progressant ainsi entre les centres, les isolant et les annihilant sans les prendre, les assaillants se portaient sur les batteries de l'adversaire. Les batteries prises, l'ennemi était hors de combat. Les troupes qui devaient attaquer en première ligne avaient passé la nuit, les unes dans les boyaux de première ligne, les autres dans les parallèles de départ. Vers neuf heures, elles surent que l'heure de l'attaque était fixée à neuf heures quinze. Les ordres passent de bouche en bouche, écrit un témoin ; on approvisionne les fusils ; les baïonnettes sont assujetties au bout des canons. Comme il pleut toujours et que la boue couvre tout, les mouchoirs sont utilisés pour essuyer les fusils. Tout le inonde se serre les mains : quelques-uns s'embrassent et se souhaitent bonne chance ; les uns ont les yeux brillants d'impatience ; quelques-uns. très calmes, vérifient soigneusement tous les détails de l'équipement ; d'autres sont pûtes et ont un peu d'angoisse dans le regard. A neuf heures quinze, l'artillerie allonge un peu son tir : Sur un front immense, écrit le même témoin, les fantassins jaillissent des tranchées, tes musiques jouent la Marseillaise avec acharnement ; les clairons et les tambours, sortis avec les autres, jouent la charge, et toujours il en sort, poussant des clameurs, l'arme haute, les baïonnettes jetant un éclair au bout des fusils. Devant la 4e armée française, le front se divisait nettement en deux secteurs. A gauche, un grand glacis s'élève lentement d'une trentaine de mètres, depuis les fonds de la Suippe, jusqu'à la cote 132 et l'épine de Vedegrange ; à droite, au contraire, le terrain a la forme d'une cuvette entourée de bois, dite cuvette de Souain. A l'est de la cuvette de Souain, une arête boisée sépare les zones d'action de la 4e et de la 2.e armée. Devant celle-ci, le terrain commence à gauche par une région compartimentée en petites buttes, qui s'étend sur 3 kilomètres environ. Plus à l'est, règne une crête unie, qui portait la ferme de Maisons de Champagne. De cette crête un ruisseau descend au sud-est, et la coupure qu'il trace, isolant un coin de falaise, en fait un promontoire découpé, dit la Main de Massiges. Comment ce terrain avait-il été organisé par l'ennemi ? A l'extrémité ouest, le glacis de Vedegrange était défendu par deux gros ouvrages, l'un à l'est d'Auberive, l'autre à l'ouest de Souain. Le centre d'Auberive, non seulement résista, mais, prenant en flanc le corps Berthelot qui progressait par l'intervalle, le paralysa. Au contraire, le centre de résistance à l'ouest de Souain fut magnifiquement enlevé par le 7e corps. Un second intervalle était formé par la cuvette de Souain. Le 2e corps colonial s'y précipita, creva complètement la ligne allemande, et des unités arrivèrent jusqu'à la deuxième position. — A l'est de la cuvette de Souain, un centre de résistance était établi sur une grande crête nord-sud, qui fait le partage entre les eaux qui coulent vers l'ouest et celles qui coulent vers l'est. Ce faite, couronné de bois, dits bois du Trou Bricot, fut débordé à gauche par le II' corps colonial, à droite par le 14e corps. Tout ce qui était dans les bois fut pris. A l'est du centre du Trou Bricot, on trouvait de nouveau un intervalle, dit trouée de Perthes. Le 14e corps y arriva, lui aussi, jusqu'à la seconde position allemande, avançant par endroits de plus de 4 kilomètres. La trouée de Perthes est bordée à droite par un quatrième centre de résistance, au nord du village du Mesnil, prolongé à l'est par la butte du Mesnil. Cette forteresse extrêmement puissante avait en outre l'avantage d'être dissimulée aux vues derrière la crête, qui non seulement appartenait à l'ennemi, mais était couverte en avant par un pli de terrain, une tète de vallon, dite ravin des Cuisines, d'où les Allemands n'avaient pu être délogés. La Butte du Mesnil fut attaquée en vain par la division de gauche du 20e corps. La division de droite, la 39e, au contraire, pénétra dans l'intervalle situé à l'est de la Butte en direction de Maisons de Champagne. La position fut prise et les batteries allemandes enlevées. Enfin le champ de bataille se terminait à droite par un dernier centre de résistance sur la Main de Massiges. Il fut attaqué par le 1er corps colonial. La partie est (cote 191) et la partie ouest (index et médius) furent enlevées avec une rapidité foudroyante. Un témoin, bien placé pour observer, note sur son carnet : 9 h. 15, départ ; 9 h. 37, 191 est pris ; 9 h. 45, la première batterie d'accompagnement est partie ; 9 h. 50, la 39e division est sur la crête du Bastion (la colline immédiatement à l'ouest du chemin de Massiges à Maisons de Champagne) ; 10 heures, la 4e et la 5e vague du corps colonial dépassent le cratère, l'infanterie amie paraît sur le poignet, la 2e division couronne l'annulaire et le médius. Mais une mitrailleuse allemande restée intacte au centre, sur l'éperon dit l'annulaire, empêcha d'enlever les dernières tranchées et le sommet. Au total, sur cinq centres de résistance, cieux avaient été fortement entamés, à l'ouest de Souain, et à la Main de Massiges ; un troisième, celui des bois du Trou Bricot, avait été enveloppé et pris. De chaque côté de celui-ci, le 14e corps à droite, le 2e corps colonial à gauche avaient atteint la deuxième position ennemie. A gauche du corps colonial, le 7e corps l'atteignait également. Ces succès, complétés les jours suivants, nous amenaient le 28 à border la deuxième position allemande sur une longueur de 13 kilomètres, du sud de. Saint-Souplet à l'ouest de Tahure. Cette seconde position était établie à contre-pente, derrière les crêtes et sur les versants nord d'une série de hauteurs que les Français attaquaient par le sud. Il en résultait d'une part que le tir sur ces positions défilées était difficile et qu'elles étaient restées à peu près intactes ; d'autre part, que l'assaillant, quand il arrivait sur la crête qui masquait la position, était exposé aux vues et balayé. Dans la journée du 25, la seconde position allemande avait été atteinte en plusieurs points. Elle se trouvait alors dégarnie. Toutefois, le succès ne put être exploité, faute de liaison. Les plus grands efforts avaient cependant été faits pour maintenir pendant l'assaut la liaison entre l'infanterie et l'artillerie. Les hommes portaient un carré de toile blanche dans le dos, et ils étaient munis de fanions pour les signaux à main ou de grands rectangles de toile blanche qui, placés sur le sol, formaient, suivant leur disposition, divers signaux, Tous ces signaux devaient être observés par des avions qui préviendraient l'artillerie par T. S. F. Le mauvais temps gêna beaucoup l'observation des avions, qui durent se maintenir très bas, à portée des feux d'infanterie de l'ennemi. L'artillerie française, insuffisamment instruite de la marche rapide de l'infanterie, l'arrêta par ses propres tirs. Quand le malentendu fut dissipé, il était trop tard, l'ennemi s'était ressaisi, et avait garni ses deuxièmes positions, qui devinrent invulnérables. Le 26, les troupes lancées sur ces positions furent décimées sur les fils de fer. Le 27, après une préparation d'artillerie insuffisante, d'autres troupes furent lancées à l'assaut de ces mêmes lignes, sans qu'on eût vérifié la destruction des réseaux. Ceux-ci étaient intacts, dit un rapport, et les troupes d'élite qui marchèrent à l'assaut, alignées, l'arme sur l'épaule, baïonnette au canon et au pas, comme à la parade... perdirent près de 75 p. 100 de leur effectif en se heurtant à ces défenses accessoires intactes. Le 28, l'attaque fut recommencée dans les mêmes conditions et sans plus de succès ; c'est à ce moment-là seulement que l'on comprit qu'il fallait faire une nouvelle préparation d'artillerie. De son côté, le général Joffre écrivait au ministre, le 3 octobre : ... L'offensive entamée le 25 fut poursuivie sans arrêt pendant les journées du 2t au 30 septembre. Mais, malgré tous les efforts de nos troupes, la deuxième position ne put être sérieusement entamée, la préparation de l'artillerie sur les tranchées, généralement situées à contre-pente, n'ayant pas été suffisamment précise pour assurer la destruction des réseaux de fils de fer et des flanquements. La 4e armée réussit pourtant dans la soirée du 28 à ouvrir à l'ouest de la ferme de Navarin une brèche que l'on chercha à élargir dans toute la journée du 20. Mais cette brèche, dont on ne put détruire les flanquements, demeura trop étroite pour qu'il fût possible de faire rapidement déboucher des forces importantes. Les éléments l'ayant franchie furent arrêtés par des contre-attaques et des barrages d'artillerie dont l'étroitesse du front facilita l'exécution pour l'ennemi. Il devint dès lors évident que, pour forcer la seconde position, il fallait reprendre une préparation d'artillerie sur l'ensemble du front des attaques, de façon à ouvrir la brèche sur une large étendue. Pour réussir cette préparation, il est nécessaire de disposer de quelques journées de beau temps permettant des réglages minutieux par avions. D'autre part, le nouvel assaut ne peut être donné que par des troupes fraiches ou reposées ; il nécessite la reconstitution et la reluise en ordre des imités, l'arrivée de renforts complémentaires, et exigera de nouveau une importante consommation de munitions. Toutes ces raisons m'ont obligé à marquer un temps d'arrêt et à suspendre momentanément les attaques. La nouvelle attaque eut lieu le 6 octobre. Le 5, on amena à l'arrière des obusiers de 370 pour écraser les lignes allemandes derrière les crêtes. D'autre part, nos lignes étant suffisamment rapprochées, les canons de 58 purent envoyer des milliers de torpilles qui écrasèrent les défenses ennemies. Le 6, la deuxième position allemande fut forcée, et les troupes françaises arrivèrent jusqu'à la voie ferrée de Somme-Py. Elles assistèrent, dit le rapport déjà cité, à la fuite éperdue de l'ennemi fuyant dans les trains sous pression et, après une lutte sanglante avec les derniers défenseurs ennemis, attendirent pendant deux heures des renforts qui ne venaient pas, malgré l'envoi de nombreux agents de liaison qui n'étaient jamais revenus. A ce montent l'artillerie française commençait à ouvrir un feu formidable qui décima ces malheureuses troupes. Celles-ci, privées de tout secours, n'eurent d'autres ressources que de se replier. La journée du 6 octobre n'eut donc, comme résultat durable, que des gains de terrain sur deux points, dans la région de la ferme de Navarin, dans la région de Tapure, où la butte et le village furent pris. Dans la région du Mesnil, la mamelle nord a été enlevée dans la nuit du 1er au 2 octobre, et le trapèze le 8. Un ordre général du 30 septembre énumérait les trophées : 25.000 prisonniers, 350 officiers, 150 canons, un matériel
qu'on n'a pu encore dénombrer sont les trophées d'une victoire dont le
retentissement en Europe a donné la mesure. Cependant la rupture du
front ennemi n'avait pas été réalisée. Dans sa lettre du 3 octobre au
ministre, le général Joffre, après avoir déclaré que la bataille était une
victoire incontestable, ajoutait : Nous devons avoir
la conviction que, en augmentant nos ressources en munitions, en perfection
nant notre organisation matérielle, en donnant plus d'ampleur encore à nos
attaques, nous parviendrions à briser les lignes allemandes que nos dernières
opérations ont réussi à entamer si largement. Contraints de lutter sur deux
fronts, nos adversaires ne pourront pas se constituer de disponibilités aussi
fortes que les nôtres, tant que nous n'aurons de notre côté qu'un front à
alimenter. En même temps que les armées Castelnau attaquaient en Champagne, la 10e année française et l'armée britannique, en liaison l'une avec l'autre, exécutaient une opération secondaire en Artois. L'armée britannique partait la première à l'assaut. Après une préparation faite au petit jour avec des gaz suffocants, l'infanterie attaqua à six heures et demie du matin, entre le canal de la Bassée et Grenay. Sur un front de plus de S kilomètres, les troupes britanniques enlevèrent deux lignes de tranchées. Elles emportèrent d'assaut le village de Loos et s'avancèrent sur Hulluch. A quinze heures, l'infanterie allemande qui tenait encore entre Loos et Hulluch se rendit, faute de cartouches. La profondeur de terrain gagnée dépassait 3 kilomètres. Les Allemands avaient amené de Lille en toute hâte la 2e division de réserve de la garde. Ils réussirent à reprendre pendant la nuit les carrières au nord-ouest d'Hulluch, qu'ils avaient perdues pendant la journée. lls les reperdirent le lendemain, et le front britannique demeura fixé sur les pentes nord-ouest de la cote 70, Loos, les carrières au nord-ouest d'Hulluch et la fosse 8 de Béthune. L'armée française attaqua à droite des Britanniques, sur le front entre Angres et Blaireville. La préparation d'artillerie commença le 20, vers dix heures. Le 25, l'infanterie française sortit des tranchées à douze heures vingt-cinq. En fin de journée, elle avait pénétré dans la première position allemande sur un front de 7 kilomètres. atteignant au nord la route d'Angres à Souchez, et arrivant au sud à mi-distance entre Neuville-Saint-Vaast et Thélus. Le gros de la bataille fut au centre, où le 33e corps Fayolle attaquait Souchez. Une combinaison de temps avait été prévue pour la première fois, je crois, entre les bonds de l'infanterie et les tirs d'accompagnement de l'artillerie. Le barrage français se posa de douze heures vingt-cinq à douze heures vingt-sept derrière les premières lignes allemandes, puis, à douze heures vingt-sept, se déplaça à hauteur de la Souchez. Cette rivière devant être franchie à douze heures quarante par l'infanterie, le barrage se déplaça une seconde fois, et alla se poser à mi-hauteur de la côte de Givenchy, sur l'ouvrage de la Déroute. Mais l'infanterie, ne réussissant pas à passer la Souchez, demanda par fusées rouges que le barrage redescendit jusqu'à la rivière. Le 25, le parc et le château de Carleul furent pris. Le 26, le village de Soudiez fut enlevé. Enfin, le 28, la crête de la côte de Givenchy fut atteinte. L'assaut s'arrêta là. Pendant toute l'année, les Allemands s'étaient tenus sur la défensive : il n'y a à signaler de leur part qu'un petit nombre d'actions locales. La 6e armée française ayant attaqué le 8 janvier au nord de Soissons pour élargir ses positions, les Brandebourgeois du général von Lochow contre-attaquèrent le 12 dans le flanc droit de l'adversaire, et rejetèrent les Français au sud de l'Aisne. — Le 25 janvier, les Saxons du général d'Elsa exécutèrent une autre opération partielle dans la région de Craonne. Le 22 avril, les Allemands lancèrent au nord-est d'Ypres la première attaque par les gaz. Les Britanniques contre-attaquèrent dès le lendemain avec deux divisions, et, le 24, le général Foch monta une contre-offensive avec des éléments prélevés sur la 10e armée. Le front resta agité pendant tout l'été ; en mai et en juin, les Allemands gagnèrent du terrain dans le secteur nord-est. Le 30 juillet, ils prirent le château d'Hooge à l'est de la ville, et la cote 60 au sud. Mais les Britanniques reprirent le château d'Hooge le 9 août. La lutte fut pareillement constante en Argonne. Le 20 juin, la Ve armée allemande enleva par surprise les Hauteurs au nord de la vallée de la Biesme, près de la Harazéc. Les Allemands firent d'autres progrès le 28 et le 29 juin, le 2 juillet, et surtout le 13 et le I i juillet. Cette suite de revers détermina le rappel du général Sarrail, qui fut remplacé à la tète de la 3e armée par le général Humbert. |