HISTOIRE DE FRANCE CONTEMPORAINE

 

LIVRE III. — LA POLITIQUE EXTÉRIEURE ET LA POLITIQUE COLONIALE.

CHAPITRE III. — LA POLITIQUE DE LA FRANCE EN EXTRÊME-ORIENT.

 

 

I. — LA CONQUÊTE DU TONKIN ET L'OCCUPATION DE L'ANNAM.

LA France avait commencé son expansion en Extrême-Orient en créant aux bouches du Mékong la colonie de Cochinchine. Le Mékong semblait ouvrir une route de commerce vers la région méridionale de la Chine. Une mission d'exploration (commandée par Doudart) remonta le fleuve et le trouva barré par des rapides (1868) ; mais, en traversant les montagnes jusqu'au Tonkin, elle découvrit la voie fluviale naturelle vers le Sud de la Chine, le Fleuve Rouge, qui traverse le Tonkin, province du royaume d'Annam.

Des bandes armées, les Pavillons-Noirs, débris de la révolte des Taï-ping, infestaient le Sud de la Chine ; un négociant français, Dupuis, envoya au gouvernement chinois, par le Fleuve Bouge, une cargaison d'armes avec une escorte chinoise. Le gouvernement annamite voulut l'arrêter ; Dupuis réclama une indemnité. Pour régler ce différend, le gouverneur de Cochinchine envoya au Tonkin un des explorateurs de 1868, Garnier, lieutenant de vaisseau, en le chargeant de négocier avec l'Annam un tarif douanier et d'étudier les dispositions des populations.

Garnier arriva à Hanoï (novembre 1873) avec deux canonnières, 17 ; marins, 3 officiers de marine, 3 enseignes, un sous-lieutenant, tous jeunes, prêts aux aventures. Les mandarins annamites prétendirent réduire son rôle à expulser Dupuis ; il se querella avec eux, déclara ouvrir le Fleuve Rouge aux navires français et chinois, et fixa lui-même les droits de douane. Puis il somma le général annamite de désarmer la place de Hanoï, occupée par 7.000 hommes ; sur son refus, il prit d'assaut la citadelle et captura le gouverneur. Les marins français allèrent occuper tous les postes fortifiés, les Annamites, intimidés, se rendirent sans combat ; Garnier fut maître de tout le delta du Tonkin. Mais les Pavillons-Noirs, appelés par les Annamites, vinrent assiéger Hanoï ; Garnier fit une sortie et fut tué.

Le gouvernement français, embarrassé de cette conquête imprévue, négocia la paix avec l'Annam ; il fit évacuer le Tonkin, ne laissant à Hanoï qu'un résident avec des troupes. Par le traité de Saïgon (mars 1874), la France reconnut la souveraineté du roi d'Annam et lui promit son appui pour maintenir l'ordre. Le roi renonça à toute prétention sur la Cochinchine, s'engagea à conformer sa politique extérieure à celle de la France, à ne conclure aucun traité de commerce sans l'avoir informée, et à respecter le culte catholique ; il ouvrit aux Européens les ports d'Annam et le Fleuve Rouge, et autorisa les étrangers à commercer, naviguer et posséder ; il accorda une amnistie à ses sujets du Tonkin qui avaient aidé les Français. Mais les indigènes catholiques furent massacrés, et le gouvernement chinois ne retira pas ses troupes.

Cette tentative de soustraire l'Annam à l'influence chinoise eut pour effet de la renforcer. Le roi Tu-Duc, en haine des Européens, se résigna à reconnaître la souveraineté de l'empereur de Chine ; il lui envoya une ambassade avec un tribut et une lettre d'obéissance. Le gouvernement chinois la publia officiellement à Pékin (1876), envoya des troupes au Tonkin, et déclara à la France qu'il ne reconnaissait ni le traité de Saïgon ni l'indépendance du prince d'Annam. Gambetta répondit (janvier 1882) que la protestation aurait dû être faite lors de la notification du traité.

Le gouvernement annamite marquait son hostilité par des vexations contre les Français et leurs protégés, que le consul français à Hanoï ne pouvait empêcher. Le gouverneur de Cochinchine envoya au Tonkin le capitaine de vaisseau Rivière réclamer l'exécution du traité, avec des instructions résumées ainsi : Évitez les coups de fusil : ils ne serviraient qu'à nous créer des embarras.

L'expédition rappela celle de Garnier en 1873. Arrivé avec 600 hommes sur trois canonnières, Rivière trouva à Hanoï un gouverneur hostile, le somma le livrer la citadelle et la prit d'assaut (25 avril 1883). C'était, dit le résident, un de ces entraînements auxquels sont exposés les militaires dont le principal objectif doit être l'honneur du drapeau et la sécurité des troupes qu'ils commandent. L'ambassadeur chinois à Paris demanda le rappel des Français, et reçut pour réponse que le gouverneur de Cochinchine avait ordre d'assurer l'application complète du traité de 1874 : les suites de l'action... concernaient exclusivement les deux États signataires ; on ne devait aucune explication au gouvernement chinois. Un projet de traité proposé par l'ambassadeur en Chine, Bourrée, fut rejeté à Paris, et l'ambassadeur rappelé. Rivière, comme Garnier, soumit sans résistance tout le delta du Fleuve Rouge, fut assiégé par les Pavillons-Noirs dans Hanoï et tué dans une sortie.

Dans les dix années écoulées entre les expéditions du Garnier et de Rivière, le gouvernement français avait changé de politique. Il regrettait l'abandon du Tonkin. Il envoya une division navale du Tonkin, sous l'amiral Courbet ; elle vint opérer sur la côte d'Annam, bombarda les forts et débarqua un détachement de marins. Le roi Tu-Due étant mort, les ministres qui gouvernaient au nom du nouveau roi adolescent demandèrent la paix. Par le traité du 25 août 1883, la France reçut le protectorat de tout le royaume d'Annam, ne avec le droit d'installer à Hué un résident français.

Le général Bouet, envoyé de Cochinchine au Tonkin avec 2.500 hommes, dégagea Hanoï, repoussa les Pavillons-Noirs (15 août) et, prit Haï-Dzuong. Le gouvernement chinois envoya des réguliers chinois soutenir les Pavillons-Noirs. L'expédition, commencée pour faire observer un traité avec l'Annam, aboutissait à une guerre contre la Chine pour la possession du Tonkin.

L'armée française, portée ù 9.000 hommes, marcha en deux colonnes contre Son-Tay, base d'opérations des ennemis, et, après une bataille (14-16 décembre), l'occupa. La baisse des eaux l'empêcha de remonter le Fleuve Rouge pour attaquer les Chinois maîtres de la région supérieure du Tonkin.

Au printemps de 1884, l'armée, portée à 15.000 hommes par des renforts de France, prit Bac-Ninh (7-12 mars), Hong-Hoa (13 avril), Tuyen-Quan (1er juin), et occupa tout le Tonkin. La Chine, par le traité de Tien-Tsin (11 mai), s'engagea à retirer ses troupes et à respecter les traités entre la France et l'Annam. et accorda, en guise d'indemnité, la liberté du commerce sur ses frontières. Mais, les signataires du traité ayant perdu le pouvoir, le gouvernement chinois reprit la résistance ; un détachement français, venu pour prendre possession de Bac-lé, fut repoussé (24 juin).

L'ambassadeur français en Chine, en route pour Pékin, s'arrêta à Hué, et fit signer un nouveau traité (6 juin 1884) qui établissait deux régimes différents pour l'Annam et le Tonkin. Le résident français à Hué devait présider aux relations extérieures du royaume d'Annam et assurer l'exercice du protectorat, sans s'immiscer dans l'administration locale. L'Annam, agrandi de trois provinces prises au Tonkin, gardait ses fonctionnaires et ses impôts indépendants ; les agents français, limités aux ports ouverts, ne dirigeaient que la douane et les travaux publics. —Au Tonkin, outre le résident général à Hanoï, des résidents français étaient placés auprès des fonctionnaires annamites pour les contrôler, sans s'occuper des détails de l'administration, mais avec le droit de les faire révoquer, et de surveiller la perception et l'emploi de l'impôt.

Le jeune roi mourut brusquement (31 juillet) ; les régents proclamèrent son frère, sans attendre l'avis du résident et malgré sa protestation. Le général en chef français les somma de demander l'autorisation, ils cédèrent ; une mission française assista dans le palais à la première réception du nouveau roi ; c'était, en Annam, une marque de suprématie. Le protectorat de la France, remplaçant la suzeraineté de la Chine, s'étendait sur tout le royaume ; mais le contrôle intérieur établi sur le Tonkin le séparait de l'Annam de façon à exaspérer le sentiment national annamite.

Le gouvernement français, pour obtenir la renonciation à l'Annam, engagea des opérations sur le territoire chinois, sans déclarer la guerre, qui eût exigé un vote des Chambres. Il fit occuper une partie de l'ile Formose. Une flotte, commandée par l'amiral Courbet, força l'entrée de la rivière Min (23 avril), détruisit 23 navires chinois et l'arsenal de Foutchéou, unique port de guerre de la Chine. Ces coups, portés loin de la capitale, restèrent sans effet décisif. Au Tonkin, un corps de 15.000 soldats chinois vint bloquer la mauvaise place forte de Tuyen-Quan et creusa des mines jusque sous les murs ; la garnison française de 600 hommes se défendit trois mois par des moyens improvisés qui rendirent célèbre le Parisien Bobinot, sergent du génie, chargé des contre-mines.

Pour atteindre la Chine en un point sensible, la flotte française bloqua l'entrée du golfe du Petchili par où le riz arrivait à Pékin (mars-avril 1885). Pendant qu'on négociait, les opérations continuèrent au Tonkin. Un corps français de 7.000 hommes prit Lang-Son (13 février), débloqua Tuyen-Quan (2 mars), et atteignit la frontière de Chine. Les Chinois, ayant reçu des renforts, prirent l'offensive ; les Français surpris évacuèrent Lang-Son, le général français fut blessé (28 mars). Cet accident fit tomber le ministère Ferry et rendit impopulaire la campagne du Tonkin.

La Chine, par le traité préliminaire de Paris (14 avril 1885) et le traité définitif de Tien-Tsin (9 juin), renonça à la souveraineté sur l'Annam, ouvrit au commerce européen deux villes du Yun-nan et promit de faire exécuter ses travaux publics par des ingénieurs français. La France avait le champ libre en Annam. Le général de Courcy, commandant en chef, proposa de profiter des griefs nombreux contre les régents pour proclamer la déchéance de la dynastie et l'annexion de l'Annam, conquête plus facile et plus assurée que celle du Tonkin. Il fit signer au jeune roi une convention qui créait une armée annamite encadrée par des officiers français, et une administration surveillée par des contrôleurs français (30 juillet). Le ministère Brisson la refusa, et télégraphia une autre convention, qui ne donnait au résident général que le droit de faire révoquer les fonctionnaires. Courcy, mécontent, fit arrêter et exiler un des régents. Il s'ensuivit une agitation en Annam, et, quand Courcy se rendit à Hué pour remettre ses lettres de créance, son escorte fut attaquée dans la nuit (4-5 août) ; le régent, responsable du coup, s'enfuit en emmenant le jeune roi. Courcy déclara le roi déposé et en fit proclamer un nouveau (19 septembre).

Cette intervention étrangère provoqua un soulèvement national. Dans les deux provinces du Sud, les patriotes annamites massacrèrent les indigènes chrétiens et occupèrent une citadelle. Des troupes françaises, arrivées de Cochinchine avec des volontaires annamites mirent en déroute les insurgés, coupèrent des têtes et levèrent des amendes. Un administrateur français prit possession des deux provinces et les fit administrer par des indigènes de Saigon.

 

II. — L'ORGANISATION DU RÉGIME DE L'INDO-CHINE.

LA France, maîtresse de tout le royaume d'Annam, y installa J sa domination avec un régime différent dans chacune des régions : Cochinchine, Cambodge, Annam, Tonkin, Laos.

La Cochinchine, organisée sur le modèle des anciennes colonies, suivant le désir des colons, fut depuis 1881, représentée dans les deux Chambres. Un décret de 1873 ordonnait de séparer les fonctions de justice, d'administration, de finances : les fonctionnaires furent divisés en quatre catégories : inspecteurs, administrateurs de 1re classe pour la justice, de 2e classe pour l'administration, de 3e classe pour la perception ; une école de stagiaires, ouverte aux civils, fut créée pour les recruter ; la pénalité traditionnelle des coups de bâton (cadouille) devait être remplacée par l'amende (1877) ; en fait, le gouverneur garda un pouvoir discrétionnaire.

L'arrivée d'un personnel civil acheva la transformation. Un ancien préfet, Le Myre de Vilers, nommé gouverneur, introduisit dans la colonie la méthode d'assimilation adoptée en Algérie. Le Conseil colonial, formé de 6 Français élus par les colons, 6 indigènes élus par les délégués des notables de chaque commune, 2 délégués des Chambres de commerce, 2 membres du Conseil privé, votait les taxes et les règlements de perception et préparait le budget local, sauf approbation du gouverneur (février 1880). A la première élection prirent part 1.142 Français (dont 820 à Saigon) et 2.273 indigènes. Le collège des stagiaires fut supprimé, le corps des administrateurs réduit (de 82 à 42).

Les tribunaux (de première instance et d'appel) furent pourvus d'un personnel surabondant de 50 juges recrutés dans la magistrature coloniale, protégés des députés des Antilles ou de la Réunion, plusieurs gens de couleur, ignorant les coutumes du pays, car la connaissance de l'annamite n'était pas exigée. On leur reprocha d'interroger les accusés par l'intermédiaire des interprètes indigènes, souvent menteurs et vénaux. Les Annamites, habitués à une justice brutale mais prompte, souffraient de la prison préventive et des lenteurs des procès, sans trouver une compensation dans les garanties de la procédure française, qu'ils ne comprenaient pas ; ils préféraient régler leurs différends devant les autorités indigènes.

La milice indigène (de 4.500 hommes) au service dos administrateurs, qui avait suffi pour maintenir l'ordre, fut supprimée. On créa, sur le modèle de l'Afrique, 3 bataillons de tirailleurs annamites, soldats de profession, engagés pour quinze ans, encadrés par des officiers français et soumis à l'autorité militaire.

Le budget (de 20 millions en 1870) laissait un excédent de 6 millions ; une dépense de 3 millions et demi, jointe à la corvée, permettait de réparer les canaux et les marchés et de créer des routes. Les anciens impôts indigènes étaient perçus par les notables de chaque village, responsables de la rentrée. Le gouvernement, pour obtenir des déclarations plus exactes de la valeur des terres, abaissa les taxes ; il obtint une augmentation d'évaluations qui éleva le rendement de l'impôt sur les rizières ; mais les notables se dérobèrent aux fonctions de percepteur, on les donna souvent à de petits cultivateurs peu solvables. Les monopoles de l'opium et de l'alcool ne purent être affermés faute d'adjudicataires et furent mis en régie. Les Annamites, habitués à leur vin de riz distillé suivant leur procédé national, continuèrent à l'acheter contrebande. Les agents de la régie, en conflit continuel avec les débitants et les chefs de village, devinrent si impopulaires que le Conseil colonial demanda l'abolition du système en 1881. La corvée des routes fut abandonnée (1879), puis abolie (1881). Le premier gouverneur, résumant son programme, déclara l'avoir presque entièrement exécuté sans emprunt ni déficit, par l'accroissement de la culture et de la richesse mobilière, bien que la colonie ait été... accablée d'impôts d'une perception odieuse.

L'organisation des pays de protectorat se lit après la guerre du Tonkin. Elle commença au Cambodge, où le régime politique et social était resté rudimentaire. Le roi, seul propriétaire de toutes les terres, maitre de toutes les personnes, dépensait pour sa cour et son harem presque tous les revenus du pays, et n'empêchait ni la contrebande des armes ni le brigandage ; l'esclavage, aboli en 1877, se perpétuait. Le second gouverneur de la Cochinchine, Thomson, député algérien, proposa au roi Norodom une union douanière. Sur son refus, il arriva avec des troupes et lui imposa un traité (17 juin 1884) qui changea radicalement les termes du protectorat. Le roi accepte toutes les réformes administratives, judiciaires, financières et commerciales auxquelles le gouvernement français jugera utile de procéder pour faciliter l'accomplissement de son protectorat. La France pourra placer des Français dans les services de la douane, des impôts, des contributions indirectes, des travaux publics, et tous ceux qui exigent une direction unique ou l'emploi d'ingénieurs ou d'agents européens.

Le gouvernement français prit en main le Cambodge et le réorganisa par une réforme radicale. Les 57 provinces minuscules furent remplacées par 8 provinces subdivisées en arrondissements, chacun de 2 cantons. Un résident général français contrôlait le gouvernement central de Pnom-Penh ; dans chaque province un résident provincial dirigeait l'administration indigène : dans chaque commune un maire et des notables indigènes élus étaient chargés de la police et de la perception. On abolit l'esclavage et la propriété du roi sur la terre.

Les hauts fonctionnaires, irrités de la réforme, répandirent le bruit que la France allait annexer le Cambodge, et soulevèrent une insurrection, difficile à réprimer dans un pays sans routes ; elle dura  deux ans. Le gouverneur Piquet, à la fin de 1886, trouva 52 postes militaires disséminés sur les bras du fleuve et difficiles à ravitailler ; il concentra les troupes en quelques postes. Le roi parcourut le pays, promit une amnistie et déclara qu'il ne s'agissait pas d'annexion. La paix se rétablit et ne fut plus troublée. La France partagea avec le roi les revenus ; elle prit les douanes, l'opium, l'alcool, et lui laissa l'impôt des cultures, la location de ses terres, les marchés, les pêcheries et la ferme des jeux. La population, déprimée par un long esclavage, resta indolente et soumise, incapable de s'administrer et même de mettre son pays en culture. Les Français commencèrent à y créer des plantations de coton.

Dans l'Annam, le protectorat fut organisé sur le modèle de la Tunisie. Le roi conserva ses palais, sa cour, son cérémonial et son conseil secret de 7 ministres qui décidait les affaires intérieures. Le résident général français établi à Hué présidait le Conseil des ministres et fixait le budget. Il était le chef des services dirigés par des fonctionnaires français, douanes, postes, travaux publics, agriculture. Les 14 provinces continuaient à être administrées par des mandarins annamites, à la fois gouverneurs et juges, suivant les lois annamites ; dans chacune un résident français contrôlait les fonctionnaires indigènes. Tourane, le port de Hué, devint depuis 1888 une concession française administrée par une commission municipale. L'Annam, sans compter les montagnes désertes et les forêts inexploitées, resta un pays agricole, sans villes, à population exclusivement indigène.

Le Tonkin, plus riche, plus peuplé, plus directement soumis, était gouverné par le résident supérieur établi à Hanoï. Un résident français établi dans chacune des villes contrôlait les administrateurs indigènes révocables à sa volonté, et dirigeait l'assiette et la levée des impôts. La capitale Hanoï et le port Haï-Phong avaient une concession française avec un conseil municipal français élu. Les Annamites étaient représentés au chef-lieu de chaque province par une commission de notables élus, au centre par quelques élus dans le Conseil du protectorat. C'était un régime intermédiaire entre le protectorat et l'annexion. La fonction de vice-roi, créée en 1.886 pour maintenir le droit nominal du roi d'Annam, fut abolie en 1897.

Le Tonkin resta pendant plus de dix ans infesté par des bandes armées surnommées pirates par les Français, mélange de Pavillons-Noirs, de Chinois, de patriotes annamites, de brigands, de paysans réduits à la misère. ils apparaissaient brusquement, pillaient les villages, surprenaient les postes avancés, tuaient les soldats isolés ; ils échappaient aux troupes envoyées contre eux, en se réfugiant dans la brousse ou se cachant avec l'aide des habitants.

Dans le Laos, région montagneuse du haut bassin du Mékong, les petits peuples à demi sauvages, descendants des anciens habitants, avaient gardé leurs princes, sujets nominalement du roi d'Annam, et réclamés par le roi de Siam. La France, voisine du Siam au Cambodge, prétendit comme protectrice de l'Annam étendre sa souveraineté sur le Laos. L'Angleterre, ayant achevé de soumettre la Birmanie (en 1886), possédait toute l'Indo-Chine occidentale voisine du Siam ; pour éviter le contact du Siam avec la France, elle proposa de créer une zone neutre d'États-tampons le long du Mékong. Le gouvernement français, sans repousser ce projet, lit occuper Luang-Prabang et établit sa domination dans le Laos. Le roi de Siam envoya sur la rive gauche du Mékong des troupes qui attaquèrent les milices indigènes au service de la France, et refusa de donner satisfaction et de retirer les postes siamois. Il en résulta un conflit armé (1893). Deux navires français, forçant le passage du Ménam, vinrent mouiller à Bangkok devant le palais. Le roi de Siam céda. Par un traité (octobre 1893), il reconnut la souveraineté de l'Annam, sur le Laos, avec le Mékong comme limite, et donna en gage le port de Chantaboun[1]. L'Angleterre, après de longues négociations, renonça à la zone intermédiaire, et par une déclaration (1896) reconnut le Mékong pour frontière entre le Siam et l'Annam. Le Laos conserva ses petits princes et reçut un résident supérieur français à Luang-Prabang pour diriger les affaires générales et recevoir les tributs apportés chaque année par les chefs locaux ; 12 commissaires du gouvernement distribués sur le territoire surveillaient les chefs indigènes.

 

III. — LA CRÉATION DE L'INDO-CHINE FRANÇAISE.

AVANT d'avoir organisé le Laos, la France, succédant au roi d'Annam, voulut reconstituer l'unité annamite en réunissant tout l'ancien royaume sous une direction unique. Un résident général, Paul Bert, ancien ministre dans le cabinet de Gambetta, arriva (1886) avec de grands projets pour régénérer le pays par la conciliation avec les Annamites ; il mourut bientôt. L'unité fut établie par un décret qui créa l'Union Indo-Chinoise (oct. 1887). L'ensemble des pays annamites fut placé sous un gouverneur général résidant à Saïgon, ayant sous ses ordres un lieutenant-gouverneur pour la Cochinchine, un résident général au Cambodge, un en Annam, un au Tonkin. Un budget général, alimenté par les contributions et par une subvention de la France, payerait les dépenses militaires et navales, les frais de douane, de régie, de postes. Le centre du gouvernement était placé dans une ville française, capitale de la partie érigée en colonie, sous l'influence de la population française.

Les Français de Saïgon, partisans de l'assimilation, avaient, en 1886, demandé l'annexion de l'Indo-Chine ; le gouvernement français hésitait. Le premier gouverneur général, de Lanessan, un député respectueux des coutumes annamites, essaya de gouverner d'accord avec les mandarins ; mais il fut rappelé (1894), et en quelques années le gouverneur général fut changé trois fois. Au Tonkin, la guerre contre les pirates gênait la mise en valeur du pays, et mettait le budget général en déficit. La Cochinchine se plaignait de payer une contribution trop forte, employée sans profit ; l'impôt sur les indigènes s'alourdissait ; l'excédent de recettes, qui avait fait à la Cochinchine une situation unique, fit place à un déficit (1896).

Le Tonkin fut enfin pacifié (1897) par des négociations et un accord entre un officier français et le plus célèbre chef de bandes, le Dé-Tham. Un nouveau gouverneur général (décembre 1896), Doumer, ancien ministre des Finances, voulant exécuter un plan de grandes entreprises au moyen de ressources nouvelles, transforma le système fiscal. Il répartit l'impôt direct du Tonkin de façon à augmenter les charges des plus riches et le produit total, et créa des impôts indirects, Puis il obtint la réunion de tous les pays de l'Annam sous un gouvernement commun de l'Indo-Chine française. Le gouverneur général devait résider, alternativement, en Cochinchine, à Saïgon et au Tonkin. Un Conseil supérieur de l'Indo-Chine fut chargé de discuter le budget (1897). L'Indo-Chine fut pourvue (1898) d'un budget général affecté aux dépenses communes, l'armée, la marine, les intérêts de l'emprunt ; les recettes consistaient dans les douanes et les impôts indirects sur l'alcool, le sel, l'opium, mis en régie dans toute l'Indo-Chine. Chacun des cinq pays conservait, pour les dépenses de son administration, son budget particulier alimenté par les impôts directs. La France continuait à payer la plus grande partie des dépenses de l'armée. Le budget général s'éleva de 18 millions et demi de piastres en 1899 à 26 en 1902 et 34 et demi en 1909, faisant avec les budgets locaux un total de 64 millions de piastres, équivalant en 1909 à 133 millions de francs. Il donna officiellement dès la première année (1899) un excédent de 8 millions, et en quatre ans, malgré les dépenses extraordinaires, laissa une réserve de 21 millions. L'emprunt de 200 millions, contracté sous la garantie de la France pour les travaux publics, servit à construire quelques routes. des chemins de fer donnant accès aux capitales, de grands ports à Hanoï, Saïgon, Hué, et à commencer la ligne ferrée aboutissant au Yunnan.

Les résultats de cette administration furent très discutés. Ses partisans montraient l'activité économique fortement accrue par la large publicité faite à l'Indo-Chine et par l'afflux des capitaux de l'emprunt. Ses adversaires lui reprochaient d'avoir fait des dépenses d'apparat, le théâtre d'Hanoï, le palais du gouverneur, l'exposition de Hanoï en 1902, l'École Française d'Extrême-Orient, des routes de promenade aux abords des grandes villes, des ponts monumentaux. des chemins de fer inutilisés, tandis qu'on négligeait les rivières et les canaux, seules voies pratiques pour les transports. On comptait en Cochinchine 83 fonctionnaires supérieurs. et les frais de représentation, d'éclairage, de chauffage formaient un cinquième des dépenses. Un rapport d'inspecteur de 1903 signalait les dépenses de luxe faites par les hauts fonctionnaires pour rehausser leur prestige, hôtels confortablement installés, meubles d'art, billards, tentures, tapis, lumière électrique. Les impôts directs s'étaient accrus, hors de proportion avec la population dont le chiffre avait été surévalué. Le monopole de la fabrication et de la vente de l'alcool concédé à des compagnies (1902-03) forçait les indigènes à consommer un alcool différent de leur vin de riz traditionnel, et les livrait aux dénonciations, aux perquisitions et aux procès-verbaux des agents de la régie à la recherche de l'alcool de contrebande.

L'irritation des indigènes se manifesta dès 1901 par le renouvellement de la piraterie, que facilitait la méthode adoptée en 1902 de concentrer les troupes dans le delta pour disposer d'une masse de manœuvres. Le plus habile et le plus énergique des chefs d'insurgés, le Dé-Tham, dont on avait obtenu la soumission par voie amiable, reprit les armes et résista jusqu'à sa mort (en 1909). La victoire du Japon sur la Russie, en répandant en Extrême-Orient le sentiment tout nouveau de la supériorité des jaunes sur les blancs, exalta l'opposition nationale annamite ; elle se traduisit par des écrits et des actes, des attentats contre les officiers, une tentative faite par des cuisiniers d'empoisonner la garnison, à Hanoï.

Les gouverneurs généraux, depuis 1907, s'efforcèrent de revenir à la méthode conciliante de Paul Bert. Les notables indigènes furent consultés, on chercha à ménager les traditions et à tenir compte des vœux. Les charges fiscales furent allégées, les contrats de monopole de l'alcool ne furent pas renouvelés. L'enseignement du français fut encouragé, on entreprit une réforme des examens pour remplacer les traditionnelles compositions chinoises par des épreuves de sciences et de langues modernes.

L'activité économique, ralentie par une crise, se ranima. La Cochinchine accrut rapidement la production et l'exportation du riz et entreprit des plantations de caoutchouc. On mit en exploitation les mines de houille de Haï-phong au Tonkin. La population française, formée surtout de fonctionnaires et de commerçants, resta concentrée dans les capitales ; niais quelques colons propriétaires créèrent des exploitations agricoles avec des travailleurs indigènes. Les recettes s'accrurent. Les importations, montées de 146 millions en 1901 à 294 en 1905 par l'effet des dépenses publiques, après avoir baissé (à 238 en 1910), remontèrent en 1913 à 305 millions. Les exportations s'élevèrent, par une marche continue, de 155 millions en 1900 et 168 en 1905, à 290 en 1910 et en 1913 à 345 millions.

 

IV. — LE SOULÈVEMENT NATIONAL EN CHINE ET L'EXPÉDITION CONTRE PÉKIN.

LES relations politiques entre la France et la Chine, de 1870 à 1895, se réduisirent à des conflits au sujet des missions catholiques et à la guerre amenée par l'occupation du Tonkin (voir paragr. 3). Le gouvernement chinois s'habitua à la présence à Pékin des ambassadeurs des États européens ; l'empereur, qui depuis 1860 n'avait pu les recevoir parce qu'ils refusaient de se prosterner, les dispensa de ce cérémonial et les admit à une audience impériale (1873), d'abord en dehors de l'enceinte sacrée. En 1894, le prince Kong, bien disposé pour les étrangers, ayant repris le gouvernement, le jeune empereur donna audience au ministre de France dans l'intérieur du palais ; pour la première fois, un étranger franchissait la porte interdite. Un conseil spécial, distinct du Conseil des ministres, le Tsong-li-Yamen, continua à régler les Affaires étrangères.

Le conflit avec le Japon au sujet de la Corée (1894) contraignit la Chine à entrer en rapports avec les puissances européennes. La Chine reconnut la souveraineté de la Corée, et céda au Japon l'île Formose et la presqu'île de Liao-Toung, avec la forteresse de Port-Arthur qui ferme au nord le golfe du Petchili (1895). L'Allemagne et la Russie saisirent l'occasion d'intervenir en Extrême-Orient. L'empereur Guillaume cherchait en Chine un champ pour sa politique mondiale ; le gouvernement russe, ayant par le Transsibérien atteint le Pacifique, voulait s'assurer par la Mandchourie l'accès à une mer libre de glaces ; la France appuya son alliée. Les trois États, d'accord pour arrêter le Japon, lui présentèrent ensemble une protestation contre l'occupation de la presqu'île, menaçante pour Pékin (23 avril 1895). Le Japon, sur le conseil de l'Angleterre, renonça au Liao-Toung et à Port-Arthur.

La Chine, passée sous la protection des trois puissances européennes, s'ouvrit à leurs capitaux et à leurs entreprises. Elle fit en quatre ans (1895-99) cinq gros emprunts ; celui de 400 millions en 1895, gagé sur les douanes, fut couvert en France et en Russie ; des Français fondèrent des établissements de commerce.

L'influence française accrue à la cour se marqua par la nomination d'un personnel français à l'arsenal de Fou-Tcheou et la reconstruction (1897) de l'église de Tien-Tsin détruite par l'émeute de 1870. Le nouveau ministre de France (1894-97) obtint la promesse de ne céder à aucune autre puissance l'île de Haï-nan, voisine du Tonkin.

Deux missionnaires allemands ayant été massacrés (1897), Guillaume II envoya trois navires occuper la baie de Kiao-Tcheou, et obligea le gouvernement chinois, par la convention du 6 mars 1898, à céder à bail (pour quatre-vingt-dix-neuf ans) à l'Allemagne une zone de 50 kilomètres autour de Kiao-Tcheou, avec le droit d'y établir une station navale. — La Russie se fit céder, par un bail de vingt-cinq ans (27 mars 1898), Port-Arthur, avec le droit d'y créer un port fermé aux autres nations, puis (7 mai) la presqu'île de Liao-Toung, où un embranchement du Transsibérien aboutirait à un port libre de glaces. — L'Angleterre se fit céder à bail Weï-haï-weï (avril 1898), avec l'engagement de n'ouvrir à aucun autre État la vallée du Yang-tse-Kiang.

La France acquit sur sa frontière d'Indo-Chine le droit de prolonger le chemin de fer du Tonkin jusqu'à la capitale de la province chinoise du Yunnan (1898) ; elle se fit céder à bail la baie de Kouang-Tcheou pour une station navale, l'occupa, s'y maintint contre une tentative armée du vice-roi de Canton (1899), et mit le territoire (1900) sous l'autorité du gouverneur général de l'Indo-Chine. Une petite armée de Chinois recrutée par un Français attendit quelque temps dans une province chinoise de la frontière l'occasion de prendre part au partage de l'empire. — En Chine, la France obtint un agrandissement considérable de la concession française, à Chang-haï. Ce vaste territoire, placé exclusivement sous la police et la juridiction françaises, se peupla vite d'indigènes attirés par la sécurité : Chang-haï devint une des plus grandes villes de la Chine.

Cette pénétration rapide des Européens, qui semblait préparer le partage de l'empire chinois en zones d'influence entre les puissances étrangères, parut favorisée par le jeune empereur Kouang-Sin et ses conseillers partisans des réformes. Par une série d'actes officiels (juin à septembre 1898), le gouvernement proposa la création d'écoles, abolit la composition littéraire aux examens et introduisit les sciences étrangères dans l'enseignement chinois. Il ordonna d'activer la construction des chemins de fer et de nettoyer les rues et les canaux de Pékin. — Le nombre des maisons de commerce étrangères s'élevait à 1.100, dont 427 anglaises, 122 allemandes, 64 françaises avec plus de 19.000 résidents (d'après la statistique des douanes chinoises en 1901). — Le nombre des missionnaires étrangers et des chrétiens indigènes augmentait ; les Français (lazaristes, jésuites, missions de Paris) formaient environ les ¾ du total des missionnaires catholiques ; les autres, Italiens, Belges, Espagnols, recevaient des passeports rédigés en français. Monseigneur Favier, vicaire apostolique de Pékin, obtint du gouvernement chinois un décret qui conférait aux prélats catholiques un grade élevé dans la hiérarchie des mandarins chinois, et le droit de s'adresser aux autorités locales.

La cour, restée hostile aux étrangers, décida de se débarrasser des partisans des réformes. L'impératrice veuve Tseu-hi, de famille mandchoue, femme énergique et autoritaire, aidée d'un général tatare, fit enfermer l'empereur dans un îlot du lac du parc impérial et le força à lui céder le gouvernement (26 septembre 1898) ; elle annula les décrets de réforme, et fit condamner à mort et décapiter six conseillers favorables aux étrangers. Puis elle força l'empereur à désigner pour héritier présomptif un garçon de quinze ans, fils du prince mandchou Touan, qui connaissait mal la Chine et haïssait les étrangers.

Les ambassadeurs européens, inquiets, firent venir à Pékin des troupes pour garder les légations.

La réaction mandchoue, dirigée par la cour, s'unit à un mouvement populaire national contre les étrangers. Une société secrète, formée dans le Chan-toung par protestation contre l'occupation allemande, sous le titre Poing de l'Harmonie publique, avec la devise : Protéger la dynastie, exterminer les étrangers, se propagea dans le nord de l'Empire ; les journaux anglais lui donnèrent le nom de Boxers. Ses adhérents employaient des procédés magiques pour se rendre invulnérables ; ils publièrent des pamphlets contre les chrétiens qu'ils accusaient d'empoisonner les puits et massacrèrent quelques missionnaires.

L'impératrice approuva la société et nomma gouverneur de Pékin un de ses affiliés ; l'expression diables étrangers, interdite aux fonctionnaires depuis 1870, reparut dans la langue officielle. Les ambassadeurs, jugeant les missions menacées, demandèrent au gouvernement chinois do dissoudre les sociétés secrètes du Chantoung et du Tché-li (27 janvier 1900). On leur opposa le silence. Ils insistèrent, on refusa. Des placards affichés à Pékin annoncèrent le massacre des chrétiens. Le corps diplomatique assemblé demanda l'arrestation des émeutiers et l'exécution des meurtriers, en menaçant d'une démonstration navale. Le gouvernement promit les mesures, en priant de ne pas débarquer (28 mai). Les rebelles incendièrent la gare. Les ambassadeurs firent venir de Takou un détachement de 330 hommes, qui arriva à Pékin le 31 mai par train spécial.

Le gouvernement chinois divisé hésita. L'impératrice fit publier deux édits qui reconnaissaient le patriotisme des Boxers, puis elle ordonna le massacre des étrangers ; des soldats tuèrent le chancelier de la légation du Japon, les Boxers massacrèrent les Chinois chrétiens ou domestiques d'Européens et incendièrent des églises. Les ambassadeurs mirent les légations en état de défense. Une colonne de 1.800 hommes, envoyée à leur secours, débarqua à Takou, et prit d'assaut les forts (17 juin). Le gouvernement, l'impératrice et le prince Touan décidèrent de soutenir les Boxers et engagèrent les ambassadeurs (19 juin) à quitter Pékin ; ils y consentirent et se préparèrent à se rendre au ministère des Affaires étrangères (Tsong-li-Yamen) ; mais un Chinois les avertit du danger ; seul, le ministre allemand Ketteler persista à sortir et l'ut tué. Les rebelles et les soldats Chinois se mirent à tirer sur les légations. Les étrangers des 8 nations des 6 grandes Puissances d'Europe, les États-Unis et le Japon), concentrés dans les légations d'Angleterre et de France, y soutinrent un siège de plus d'un mois avec une escorte de moins de 200 hommes ; ils eurent 60 tués et 110 blessés.

La colonne venue de Takou débloqua Tien-tsin (2 juin), mais ne se trouva pas en forces pour percer jusqu'à Pékin. Des édits impériaux ordonnèrent aux gouverneurs d'enrôler les Boxers (26 juin), et aux Boxers de continuer à détruire les chrétiens (2 juillet). Mais les vice-rois du Centre promirent aux consuls réunis à Chang-haï de maintenir la sécurité des étrangers du Centre et du Sud, à condition qu'ils s'abstiendraient d'aller dans des lieux isolés. Les désordres restèrent limités à la région du Nord.

Les 8 puissances envoyèrent une expédition de 15.000 hommes sous le commandement supérieur du chef du contingent allemand ; le tsar fit accorder cette satisfaction à l'Allemagne, plus directement atteinte par le meurtre de son représentant. L'expédition arriva à Tien-tsin et prit de force la ville indigène (14 juillet).

Le gouvernement chinois, inquiet, désavoua le mouvement. Il écrivit aux ambassadeurs pour rejeter la faute sur les hommes du peuple rebelles, puis il fit envoyer aux légations du blé et des melons. Les attaques cessèrent. Les puissances se mirent d'accord sur les conditions à exiger. Un conseil de guerre des alliés (3 août) décida de marcher sur Pékin ; l'armée força les portes de Pékin, entra dans la ville et l'occupa pendant plusieurs mois. Les magasins et les maisons furent pillés et dévastés par les soldats avec l'aide des résidents. Le gouvernement français refusa les caisses de butin envoyées par le général.

L'impératrice et la cour s'étaient enfuies, emmenant l'empereur. Après dix mois de négociations, la Chine s'engagea (16 octobre 1901) à payer en trente-neuf ans une indemnité de 450 millions de tels (1.687 millions), et à punir les instigateurs des massacres ; plusieurs conseillers furent condamnés à mort, le prince Touan à la prison perpétuelle, les examens furent supprimés pour cinq ans dans les villes où on avait massacré des chrétiens. Mais les puissances européennes avaient éprouvé la force du sentiment national chinois et ne cherchèrent plus à partager la Chine.

La France n'eut plus l'occasion d'intervenir en Extrême-Orient. Elle resta neutre dans la guerre entre la Russie et le Japon (1904-05), qui donna au Japon vainqueur la possession de Port-Arthur et de la Mandchourie. Elle ne prit qu'une faible part aux entreprises européennes de travaux publics en Chine, et ne joua aucun rôle dans la révolution qui en 1911 expulsa la dynastie mandchoue et transforma l'empire Chinois en une république.

 

 

 



[1] Pour le règlement entre le Siam et le Cambodge, voir chap. V, § 3.