I. — LA CHUTE DU MINISTÈRE FERRY. DANS la Chambre élue en 1881, une majorité durable ne pouvait se former que par la coalition des deux groupes principaux, l'Union républicaine dirigée par Gambetta, la gauche dirigée par Ferry. Gambetta, chef du groupe devenu le plus nombreux, semblait désigné pour remplacer Ferry, dont la démission était certaine. Il fit un voyage en Allemagne afin de préparer ses relations avec les personnages allemands influents. Mais, avant la fin des vacances, le ministère fut mis dans l'embarras par les difficultés extérieures en Tunisie, et les révélations d'un journal médical sur l'insuffisance du service de santé et l'énorme mortalité dans le corps expéditionnaire. Les députés parisiens de l'extrême gauche envoyèrent à Ferry une délégation qui réclama la convocation des Chambres ; sur son refus, ils publièrent un manifeste où ils lui reprochaient de s'être laissé engager par Bismarck dans une expédition fatale. Rochefort qui, de retour en France, venait de fonder l'Intransigeant, accusa le consul de France à Tunis d'avoir fait décider l'intervention pour favoriser des spéculations sur les terrains. Gambetta ne se souciait pas de prendre le pouvoir avant que cette question fût liquidée ; en obligeant le ministère à rester jusqu'après la rentrée de la Chambre, il attendait l'occasion de se faire désigner formellement par la majorité pour son chef. Dès la réunion de la Chambre (28 octobre), Gambetta, élu président provisoire (par 317 voix sans concurrent), fit élire président définitif Brisson, qui appartenait à l'aile gauche de l'Union républicaine. C'était annoncer l'entrée de Gambetta au gouvernement. L'Union républicaine faisait opposition au ministère Ferry ; 88 de ses membres avaient annoncé qu'ils se rapprocheraient de l'extrême gauche, sans cependant suivre la politique de Clémenceau, et d'abord par ce motif qu'ils ne la connaissaient point.... Clémenceau est un homme d'esprit... qui s'applique à taquiner les ministères. L'opposition attaqua par une demande d'enquête sur l'expédition de Tunisie. Ferry déclara que, le cabinet étant d'avance démissionnaire, le débat ne pourrait servir qu'à faire réprouver le principe de l'expédition. L'extrême gauche l'accusa d'avoir trompé la Chambre pour favoriser trois sociétés de spéculateurs, elle reprocha au ministre de la Guerre d'avoir désorganisé une dizaine de corps d'armée en y prenant les hommes du corps expéditionnaire. La Chambre, par 323 voix contre 161, droite et extrême gauche, rejeta l'enquête, puis l'ordre du jour pur et simple. Mais sur aucun ordre du jour motivé elle ne put réunir une majorité : elle en rejeta successivement 23, puis la clôture et le renvoi aux bureaux. Dès le début de la législature, le parti républicain se montrait divisé. Gambetta mit fin à la confusion par un expédient. La Chambre se déclara résolue à l'exécution intégrale du traité souscrit par la nation française le 12 mai 1881, par 355 voix contre 68 et 124 abstentions (5-10 novembre). Le ministère se retira. II. — LE GRAND MINISTÈRE DE GAMBETTA. GAMBETTA, chargé aussitôt de former un cabinet, offrit les Affaires étrangères à Freycinet, qui, après réflexion, refusa, les Finances à Léon Say, qui posa pour conditions qu'on ne ferait. ni emprunt, ni conversion de rentes, ni rachat de chemins de fer ; Gambetta voulait racheter l'Orléans. Il n'essaya pas de négocier avec Ferry, qu'il savait hostile au scrutin de liste. Brusquement, il forma un cabinet où il ne garda que trois anciens ministres. Les autres étaient des camarades, presque tous pris dans l'Union républicaine, jeunes et peu connus. Pour disposer d'un plus grand nombre de postes, il fit créer 2 ministères nouveaux (Agriculture, Beaux-Arts) et nommer 9 sous-secrétaires d'État. Lui-male prit les Affaires étrangères, avec son ami Spuller pour sous-secrétaire d'État ; il donna l'Intérieur à Waldeck-Rousseau, alors inconnu, l'Instruction et les Cultes à Paul Bert, professeur de physiologie connu par sa politique anticléricale (14 novembre). Le public s'attendait à un cabinet formé des notables des deux groupes où seraient entrés les 5 présidents (Freycinet et Ferry, Léon Say, Gambetta et Brisson) ; on l'appelait d'avance le grand ministère. La déception fut vive. Les journaux, suivant le point de vue, l'appelèrent un ministère de dépit, de colère, ou un ministère de dictature, ou un ministère de commis. Le public continua à le nommer le grand ministère, mais par dérision. Le cabinet se présenta avec une déclaration annonçant la réorganisation des institutions judiciaires, la réforme de la loi militaire, des institutions de prévoyance et d'assistance sociale, le règlement des associations par la stricte application du régime concordataire. La composition du cabinet avait déplu à tous les groupes républicains, excepté l'Union républicaine ; elle convoqua une réunion générale de tous les députés de la majorité en excluant l'extrême gauche : sur 400 convoqués il en vint 210. Le mécontentement sourd des députés fut vite changé en hostilité par l'attitude de Gambetta. On lui trouvait le ton autoritaire, on lui reprochait de donner tous les postes à ses partisans personnels et d'écarter les hommes indépendants. Il inquiéta le sentiment républicain par un essai de réaliser son rêve de gouverner au-dessus des partis. Il confia des fonctions de direction à deux personnages connus par leur passé conservateur : le général de Miribel fut nommé chef de l'état-major, le journaliste J.-J. Weiss directeur du service politique au ministère des Affaires étrangères. Une circulaire du ministre de l'Intérieur Waldeck-Rousseau aux préfets (21 novembre) inquiéta les députés. Le gouvernement affirmait la volonté de constituer une administration forte, indépendante, remise en possession de l'autorité qui lui appartient. Il annonçait l'intention de ne plus recevoir de recommandations que par l'intermédiaire des préfets, représentants naturels et hiérarchiques du pouvoir. Il menaçait même de renvoyer sans réponse celles qui lui seraient adressées directement. C'était dire aux députés qu'on ne tiendrait plus compte de leurs demandes. Comme les fonctionnaires continuaient à exercer tout le pouvoir positif sur les populations, les députés républicains avaient pris l'habitude de combattre les influences de la société conservatrice en intervenant par des recommandations. Ils disaient que le ministre ne pouvait contrôler efficacement à distance les opérations et les choix, et ne pouvait se fier en matière politique aux renseignements des fonctionnaires : écarter l'intervention des députés dans l'administration, c'était leur enlever toute influence réelle, et concentrer tout le pouvoir aux mains des préfets et des ministres. La circulaire fut donc très mal accueillie. Gambetta fut interpellé sur la nomination du chef d'état-major. Comme il faisait signe au ministre de la Guerre de ne pas répondre, un dissident de l'extrême gauche, le journaliste Maret, cria : Ne parlez pas, César le défend. — Parlez français, répondit Gambetta. — Soit, répliqua Maret, je dirai Vitellius. En moins de deux mois Gambetta était devenu manifestement impopulaire à la Chambre. Il tenait en réserve un programme de réformes pratiques connu de ses fidèles : conversion de la Dette en 3 p. 100, impôt proportionnel sur les revenus, extension de la juridiction du jury, armée coloniale. Mais il tenait avant tout au scrutin de liste, et la majorité, sans être hostile à ce mode de scrutin, refusait, au début de la législature, d'affaiblir par un vote sans objet actuel l'influence morale d'une Chambre élue par un autre système. Le renouvellement du Sénat (8 janvier 1882) fit gagner aux républicains 24 sièges, sur 79 élus. Il ne passa que 13 conservateurs, dans 4 départements. Le centre gauche, réduit à 30 membres, cessait de faire la balance. La majorité, forte de 175 membres, était désormais formée des mêmes groupes (gauche et Union républicaine), au Sénat et à la Chambre. Après les vacances du jour de l'an, Gambetta, malade et fatigué, découragé par l'échec de sa politique en Égypte, décida de brusquer le conflit. A une délégation de la gauche radicale qui lui demanda des explications sur son programme : il répondit qu'il les donnerait l'heure venue, et poserait la question de confiance. Il déposa à la Chambre un projet de révision, non seulement sur les attributions et le mode d'élection du Sénat, niais sur le mode d'élection de la Chambre. Le scrutin de liste serait inscrit dans la Constitution, de façon à ne plus pouvoir être modifié par une loi. La commission de 33 membres, formée de partisans de Grévy et d'adversaires de Gambetta personnellement ou du scrutin de liste, fut contraire au projet à l'unanimité moins I. Elle fit venir Gambetta et lui demanda par quel procédé il entendait empêcher le Congrès de sortir des limites qui auraient été d'avance réglées par les deux Chambres. Ce serait, dit Gambetta, au Président de la République, gardien de la Constitution, à aviser. — Clémenceau objecta qu'il lui faudrait trouver un ministre pour contresigner ses actes. On trouverait toujours un ministre, répondit Gambetta. — Oui appréciera si les amendements dépassent les limites de l'accord ? demanda-t-on. Il répondit : Le Président de la République. Les membres de la Commission déclarèrent que c'était la dictature du Président, un coup d'État (20 janvier). La commission repoussa la révision illimitée, demandée par l'extrême gauche, la gauche radicale et la droite, et adopta, par 24 voix contre 4, une proposition par laquelle la Chambre, énumérant les articles à réviser sans mentionner le scrutin de liste, déclarait : Il y a lieu à réviser les lois constitutionnelles. La Chambre, par 290 voix contre 172, rejeta la révision illimitée. Gambetta combattit le texte de la commission et posa la question de confiance, par un grand discours où il définit le scrutin de liste l'expression la plus logique et la plus forte du suffrage universel. Le parti républicain n'a pas cessé d'estimer que le scrutin de liste est le corollaire naturel du suffrage universel, le procédé qui assure tout ensemble la plus grande moralité de l'élection et la plus grande indépendance de la représentation nationale. Il proposa de discuter d'abord la déclaration sur la révision. Le texte qu'il combattait fut voté par 268 voix contre 218 ; la majorité comprenait 137 républicains modérés, 55 de l'extrême gauche, 76 de la droite (26 janvier). Le ministère donna sa démission. Il avait duré soixante-dix-sept jours. La République française, organe de Gambetta, écrivit : La formation du cabinet reposait sur une équivoque. Les députés voulaient Gambetta au pouvoir parce qu'ils ne le voulaient pas ailleurs ; mais ils entendaient qu'une fois à la présidence du Conseil, il se contentât de ce titre sans gouverner et sans appliquer ses idées politiques. Gambetta ne voulait pas gouverner sans imposer sa direction, et la majorité républicaine n'acceptait pas d'être dirigée. III. — LA CRISE FINANCIÈRE. AU moment où l'opposition contre l'autorité personnelle de Gambetta coupait en deux la majorité républicaine, éclatait la crise financière qui allait compliquer la tâche du gouvernement républicain. Cette crise résultait d'une coïncidence : une dépression économique profonde ressentie par tous les pays civilisés se rencontrait avec deux faits particuliers à la France, un accident de spéculation et un changement dans la pratique fiscale. La dépression économique, attribuée à une série de mauvaises récoltes, à la destruction du vignoble français par le phylloxera, à la concurrence des blés étrangers, à une réaction contre l'engouement pour la propriété foncière, atteignit surtout en France la population rurale par la diminution de valeur des produits agricoles, et les propriétaires fonciers par la baisse énorme du prix des terres et des fermages. Elle atteignit la population industrielle par le ralentissement d'activité de la grande industrie. Il en résulta une diminution de la consommation et du produit des impôts indirects. En même temps, une catastrophe de Bourse bouleversait le marché des valeurs mobilières. Depuis quelques années le public s'était jeté sur les valeurs de spéculation. Un financier, Bontoux, faisant appel au sentiment conservateur, avait fondé l'Union générale des banques, qu'il présentait comme une entreprise catholique et nationale, pour affranchir la France de la banque juive et étrangère. Soutenu par le gouvernement catholique de Vienne, il créa en Autriche quelques affaires prospères. Les nobles, les bourgeois, les ecclésiastiques français, encouragés par les journaux conservateurs, achetèrent les actions de l'Union, et leur exemple entraîna la petite épargne, surtout dans la région de Lyon. Le cours, activé par des ventes fictives à la hausse, s'éleva bien au-dessus du dividende possible de la société. Le titre de 500 francs non encore libéré atteignit 3 050 francs à la fin de 1881. Ce n'était pas un placement, on achetait dans l'espoir de revendre en hausse. Les ventes de rentes françaises, faites pour se procurer des fonds, pesaient sur le cours de la rente, et le monde financier, inquiet des projets de Gambetta sur la conversion en 3 p. 100 et le rachat des grandes compagnies, poussait à la baisse des fonds d'État : la rente baissa de 6 francs. L'argent, absorbé par les reports en Bourse, devint plus rare ; la Banque de France éleva le taux de l'escompte. Quand les cours descendirent, les grandes banques retirèrent leurs capitaux ; le public, pris de panique, se mit à réaliser brusquement. L'Union générale, ruinée par ses spéculations sur ses propres actions, suspendit ses paiements (10 janvier 1882). Sa faillite entraîna celle de tous les agents de change de la Bourse de Lyon, fortement engagés dans les opérations de Bontoux. Le krach de l'Union générale (comme on l'appela d'un nom autrichien) ruina une partie du public conservateur, et jeta le marché financier dans une crise qui contribua à amoindrir l'activité économique du pays et les recettes de l'État. Le revenu des impôts indirects diminuait par l'effet d'un changement dans les pratiques de l'administration des finances. Les opérations, perquisitions, saisies, procès-verbaux, amendes, dépendaient des agents subalternes, receveurs et commis, placés sous les ordres des directeurs de département et du ministère. Les chefs de service, n'ayant aucun motif de ménager le public, faisaient exécuter rigoureusement les règlements. Les députés républicains s'étaient mis à intervenir pour protéger leurs électeurs contre les rigueurs de la Régie. Ils agissaient sur les finances, comme sur les autres services, par des démarches personnelles, auprès des chefs de service en province, à Paris dans les bureaux du ministère. Ils obtenaient des remises de procès-verbaux ou d'amendes. Depuis l'avènement du parti républicain, le fisc était devenu moins rigoureux, et le revenu s'en ressentait. Le chiffre des contraventions pour circulation des vins tomba de 13.270 en 1876 à 1.136 en 1881, pour les débits de boissons de 17.308 à 5.134 ; le nombre total des contraventions fiscales de 46.842 à 18.586. Léon Say, ministre en 1878, revenant au ministère des Finances en 1882, trouvait le service relâché. La correspondance des députés, non seulement avec les ministres, mais avec les directeurs et chefs de tous les services, va toujours en augmentant.... La recommandation s'étend jusqu'aux contribuables mauvais payeurs. On recommande pour... une diminution de l'impôt ou des patentes.... L'abus qui va le plus loin est la demande en remise d'amendes ou abandon de procès-verbal.... Il y e des redevables contre lesquels les agents n'ont plus le courage de verbaliser. La fraude devient de droit commun. L. Say ne comptait pas ce que 46 800 contraventions par an représentaient de tracasseries, de dénonciations et de haines. Il voyait, avec raison, dans le relâchement du régime, une diminution du rendement des impôts. Pendant la période de prospérité économique, depuis 1875, tous les ans, le produit présumé des impôts indirects avait été dépassé ; le budget des recettes avait donné une plus-value, parfois supérieure à 150 millions. La Chambre s'y était si bien habituée qu'elle escomptait les plus-values pour équilibrer les crédits supplémentaires votés après le budget régulier. Tandis que les recettes diminuaient, les dépenses continuaient à augmenter. La politique financière de l'Assemblée et du centre gauche avait consisté à obtenir l'équilibre du budget, et même un léger amortissement de la dette, sans accroître l'impôt direct, en maintenant les nouveaux impôts indirects créés après la guerre. On ménageait les terres des paysans et les revenus des bourgeois, en reportant la charge sur la population des villes. La-République n'avait jusqu'en 1878 procuré aux républicains guère d'autre avantage qu'un régime un peu plus libéral, et la satisfaction de ne plus vivre sous la monarchie ; et elle avait fortement aggravé leurs charges militaires et fiscales. Le parti républicain, devenu maitre du pouvoir, chercha à donner à ses électeurs des satisfactions matérielles : 1° il dégreva le pays de quelques-uns des nouveaux impôts sur les savons, les transports en petite vitesse, réduisit l'impôt sur les boissons (1880), sur les sucres (1881), remit au taux antérieur les patentes, le timbre-poste et le timbre des effets de commerce : le total des suppressions atteignit 200 millions par an ; — 2° à côté du budget ordinaire, destiné aux dépenses permanentes, on créa un budget extraordinaire, alimenté par un emprunt amortissable, pour les travaux publics : la plus grande partie servit à exécuter une portion du plan de Freycinet, les ports, les canaux et les chemins de fer du troisième réseau, qui, desservant les pays éloignés des grandes lignes, ne pouvaient pas donner de bénéfices directs ; on créa une caisse spéciale pour les chemins vicinaux, une caisse des écoles pour aider les communes à construire leurs écoles primaires ; — 3° la Chambre vota des crédits supplémentaires pour augmenter les traitements des petits fonctionnaires, d'autres pour la Guerre et la Marine : le total dépassa 150 millions par an. La masse de la population reçut ainsi des satisfactions qui l'attachèrent à la République. Mais ces grosses dépenses n'allèrent pas sans beaucoup de faveurs personnelles ou locales, accordées de préférence aux personnages ou aux localités dont le député républicain attendait un service électoral. On surnomma par dérision chemins de fer électoraux les lignes construites pour capter des voix. Les constructions de chemins de fer, de routes, de fortifications militaires et d'écoles furent souvent confiées à des entrepreneurs affiliés au parti républicain, qui y trouvèrent l'occasion de gros bénéfices, et, souvent, l'administration fut accusée de fermer les yeux, pour des motifs politiques, sur des malfaçons qui augmentaient les profits de quelque républicain. En 1882, par la rencontre de toutes ces causes, les plus-values des impôts furent remplacées par des moins-values. L'excédent annuel fit place au déficit, qui mit le gouvernement aux prises avec la difficulté de dresser un budget, sous les yeux de l'opposition de droite et de gauche. IV. — LE MINISTÈRE DES ADVERSAIRES DE GAMBETTA ET L'ACCORD AVEC LA HAUTE FINANCE. LA lutte contre l'autorité personnelle de Gambetta laissait le parti républicain coupé en trois tronçons, gauche, Union républicaine, gauche radicale opérant avec l'extrême gauche, chacun n'étant qu'une minorité. Mais les deux groupes les plus rapprochés par leur politique da gauche et l'Union) étaient précisément ceux que séparaient les rivalités de personnes. — La droite restait toujours prête à faire l'appoint d'une majorité d'opposition contre tout ministère républicain. Un ministère, ne pouvait donc se soutenir que par la neutralité bienveillante des radicaux, et les exigences de leur programme la rendaient précaire. C'était un équilibre forcément instable. Les adversaires de Gambetta étaient prêts à recueillir sa succession. Trois jours après sa retraite, de Freycinet constitua un ministère formé des principaux membres de la gauche républicaine : lui-même aux Affaires étrangères, Jules Ferry à l'Instruction, Tirard au Commerce ; il mit à l'Intérieur un dissident radical, Goblet. L'Union républicaine y était représentée par 3 membres secondaires. Du cabinet de Gambetta il ne restait que le ministre des Postes, Cochery, devenu à peu près inamovible. Le fait le plus significatif était la rentrée au ministère des Finances de Léon Say, du centre gauche, l'allié de la haute finance, en relations personnelles avec la maison Rothschild. Il venait rassurer le monde des affaires inquiété par les projets de conversion de rentes et de rachat des compagnies ; son programme, qui l'avait mis en désaccord avec Gambetta, était conservateur. Il le justifia dans un discours à la Chambre de commerce de Lyon (28 mars). Les nations ne vivent pas seulement de politique, elles vivent aussi d'affaires et d'intérêts matériels.... La situation n'a rien qui doive nous alarmer, mais elle exige certaines précautions.... Il ne peut être question en ce moment ni de conversion, ni de rachat de chemins de fer, ni même d'émission de rentes amortissables. Il faut restreindre pour un temps les appels au crédit public, en réclamant pour une large part le concours de l'industrie privée.... Nous sommes dans une situation anormale, notre budget n'est pas un budget définitif.... On sera obligé de recourir à des expédients pour gagner du temps en attendant qu'on atteigne le budget définitif et normal.... Tant que nous ne saurons pas quelle quantité de capital doit être dépensée pour les chemins de fer, il sera impossible d'établir un équilibre permanent... La construction des lignes classées exigerait un capital de plus de 7 milliards, chose impossible à concevoir dans le moment actuel.... Il est impossible d'emprunter 1 milliard tous les ans. — Il se prononçait aussi pour le maintien du libre-échange. Nous avons mal travaillé depuis douze ans. Nous nous sommes faits professeurs de protectionnisme dans le monde. Léon Say proposait donc au parti républicain, en présence des difficultés financières, d'abandonner sa politique de dégrèvements et de travaux publics pour revenir à la politique d'économie du parti conservateur. Le ministère commença par se débarrasser des questions posées par les radicaux. Après le vote contre Gambetta, la Chambre avait adopté par 202 voix contre 91 la résolution de réviser la Constitution. Le ministère s'abstint de la porter au Sénat ; interpellé par les radicaux (6 février) sur la non-exécution de la résolution du 26 janvier, il répondit qu'en matière de révision il n'avait pas qualité pour porter la décision d'une des deux Assemblées devant l'autre ; le Congrès ne pouvait être réuni qu'après un vote spontané des deux Assemblées. La Chambre vota, par 271 voix contre 61, un ordre du jour de confiance dans les déclarations du gouvernement et dans sa volonté d'accomplir les réformes attendues, dont fait partie la révision des lois constitutionnelles. Les partisans de Gambetta s'abstinrent. — Les groupes donnèrent ensuite leur avis sur la révision ; le centre gauche la déclara inopportune ; la gauche s'en remit au gouvernement ; l'Union républicaine affirma qu'elle était réclamée par le pays en première ligne et ne saurait être ajournée indéfiniment. La proposition d'un radical, Barodet, de publier les cahiers électoraux de 1881, repoussée par la commission, fut adoptée par la Chambre. On publia donc le recueil des professions de foi des élus de 1881 ; ce qui permit de dénombrer les partisans de chacun des articles du programme. On sut par exemple que 342 députés s'étaient prononcés pour la révision, 364 pour la réforme de la magistrature, 283 pour le divorce, 235 pour les syndicats, 227 pour la séparation de l'Église. Ce fut un hommage au principe radical du mandat impératif. Pour qui savait quelle part de hasard entre dans la rédaction des professions de foi, cette statistique ne donnait aucun moyen d'apprécier réellement l'opinion du pays. L'élection des juges, réclamée par les radicaux, fut repoussée dans la commission par 0 voix contre 2 (11 mars), et votée à la Chambre par 275 voix contre 208 (10 juin), sous la forme d'un amendement proposé par un dissident déséquilibré, de Douville-Maillefeu : L'inamovibilité est supprimée, les juges de tout ordre sont élus par le suffrage universel. — La commission, obligée de remanier son projet pour l'adapter à ce vote, se tira d'affaire en proposant d'autoriser le gouvernement, en attendant la loi sur l'organisation judiciaire, à procéder aux modifications nécessaires dans le personnel de la magistrature par un règlement d'administration, et à déterminer le nombre des chambres et des magistrats nécessaires aux besoins du service. Mais le ministère refusa ce pouvoir discrétionnaire, et la Chambre rejeta le projet par 258 voix contre 226 (1er juillet). Ainsi se trouvèrent ajournées les deux questions embarrassantes, révision et réforme de la magistrature. Le ministère en profita pour faire voter par le Sénat les projets républicains restés en suspens. Le Sénat renouvelé adopta l'instruction primaire obligatoire et neutre dans la forme votée par la Chambre ; J. Simon présenta de nouveau son amendement, qui, dans l'énumération des matières enseignées à l'école, ajoutait les devoirs envers Dieu et la patrie J. Ferry le fit rejeter en disant qu'il provoquerait un conflit avec la Chambre. La loi (du 29 mars 1882) supprima tous les droits de surveillance des ministres des cultes sur l'école publique, et rendit l'enseignement neutre, pour que l'école pût réunir tous les enfants sans avoir à tenir compte des croyances des familles. La liberté de religion, conçue en France comme impliquant le droit de n'adhérer à aucune confession, paraissait incompatible avec tout enseignement religieux obligatoire. La religion devenait matière facultative, laissée à l'enseignement privé, et donnée par les ministres de chaque culte. La loi prescrivait de laisser un jour libre par semaine, outre le dimanche, pour permettre aux parents de faire donner l'instruction religieuse. L'instituteur fut déchargé du soin de faire apprendre le catéchisme, qui retomba sur le prêtre. — La loi de 1882 établit aussi l'instruction obligatoire en principe pour tous les enfants de six à treize ans, et créa dans chaque commune une commission scolaire chargée de contrôler la fréquentation de l'école. Le gouvernement fit voter une partie détachée de la loi sur l'organisation municipale. La loi de 1882 supprima l'institution des plus fort imposés, qui obligeait, pour voter les emprunts et les impôts extraordinaires, à adjoindre aux conseillers municipaux un nombre égal des habitants de la commune payant la plus forte contribution : ainsi disparut le dernier vestige du régime censitaire, le dernier pouvoir public exercé à raison de la richesse privée. Le droit d'élire le maire et les adjoints fut donné au conseil municipal dans toutes les communes excepté Paris. Jamais, depuis la Révolution, les villes françaises n'avaient joui d'un régime électif si complet ; la France dépassait la Belgique, où les municipalités continuent à être nommées par le gouvernement. Beaucoup plus que la loi de décentralisation de 71, l'élection des maires a réalisé l'autonomie locale réclamée par l'opposition libérale sous l'Empire ; car le maire élu a gardé l'autorité qu'il détenait en qualité de délégué du pouvoir central, et il l'exerce avec les sentiments d'un mandataire de la population. Ce régime n'imposa pas au parti républicain un très grand sacrifice, il ne donna guère aux conservateurs plus d'un dixième des mairies de chefs-lieux de canton. Les autres projets de la Chambre, sur le. divorce, les syndicats ouvriers, la réglementation du travail des enfants et des femmes, furent arrêtés par le Sénat. Le budget, rédigé par L. Say de façon à effrayer la Chambre, fit ressortir une dette flottante de près de 3 milliards, formée par les créances des Compagnies, les achats de rentes faites pour employer les cautionnements des fonctionnaires, les fonds des consignations, les versements des caisses d'épargne. Le budget des dépenses, accru de 150 millions, dépassait pour la première fois 3 milliards. L. Say proposait de l'alléger en mettant la construction des chemins de fer à la charge des Compagnies, en échange de l'engagement de ne pas user du droit de rachat de l'État pendant trente ans. C'était renoncer au programme républicain qui depuis 1818 comportait le retour à l'État des lignes concédées temporairement aux Compagnies. Léon Say, voulant rétablir l'unité de budget, avait fait rentrer toutes les dépenses dans le budget ordinaire. Pour évaluer le produit probable des impôts, il prenait le chiffre de la dernière année (1881) au lieu de celui de l'avant-dernière, majorant ainsi les recettes de façon à établir plus facilement l'équilibre avec les dépenses ; mais il restait un déficit de 527 millions, dû au budget extraordinaire. La commission du budget élut président, non plus Gambetta, mais le gendre de Grévy, Wilson, et rapporteur Ribot, du centre gauche, qui, acceptant le point de vue de L. Say, le loua d'avoir présenté un budget de vérité, et blâma la facilité qu'on s'était donnée d'inscrire au budget extraordinaire trop de dépenses. L'ancien ministre de Gambetta, Allain-Targé, attaqua le procédé d'évaluation des recettes ; son amendement fut rejeté par 322 voix contre 121, et le budget fut voté avec de légers amendements. La bienveillance de la Chambre envers le ministère Freycinet se manifesta par son empressement à revenir sur les votes accidentels qui le mettaient en échec. — L. Say, ayant donné sa démission à propos du vote d'un impôt sur l'alcool destiné à remplacer les impôts sur le vin et la bière, fut retenu par un vote de confiance (23 mai). — La commission du budget ayant proposé la suppression des crédits de l'ambassade auprès du pape, Freycinet. par une démarche personnelle, obtint un vote en sens inverse (13 juin). — Le ministre de l'Intérieur, interpellé sur la mairie centrale de Paris et sommé de déclarer s'il voulait maintenir Paris hors du droit commun en lui refusant un maire, ayant fait une réponse évasive, la majorité avait répliqué par un ordre du jour regrettant que le gouvernement n'eût pas fait connaître son avis. Le cabinet donna sa démission, la Chambre la lui fit retirer par un vote de confiance (20 juillet). Le ministère tomba sur sa politique extérieure en Égypte (voir livre III, chap. II). Il avait refusé de prendre part à l'opération anglaise contre les insurgés égyptiens ; quand le canal de Suez parut menacé, il fit voter un crédit, mais seulement pour la flotte. Quand il demanda un nouveau crédit (de 9 millions) pour envoyer des troupes occuper l'isthme de Suez, il eut contre lui à la fois les partisans de l'intervention en Égypte et les adversaires de toute expédition. Les radicaux lui reprochèrent de ne pas savoir où il allait. Clémenceau dit : Est-ce la paix ? Non, puisqu'on envoie des troupes. Est-ce la guerre ? Non, puisqu'on ne se battra pas. Le crédit fut rejeté par 117 voix contre 75 (29 juillet). Le cabinet se retira. V. — L'ESSAI D'UN MINISTÈRE D'AFFAIRES. ON venait d'user en huit mois les chefs des deux principaux groupes. Freycinet et Ferry refusèrent de former un cabinet. Après huit jours de négociations, les Chambres étant pressées de partir en vacances, le ministère fut formé par un vieux républicain ministre en 1848, personnellement lié avec Gambetta, Duclerc, qui prit les Affaires étrangères. Il s'adjoignit des hommes des deux groupes (Fallières à l'Intérieur, Devès, président de la gauche, à la Justice). Les hommes de l'Union républicaine dominaient ; ce fut une petite revanche pour Gambetta (7 août). Le cabinet Duclerc se qualifia de ministère d'affaires et fut surnommé ministère de bains de mer. Il déclara se proposer pour but de rapprocher les différentes fractions de la majorité républicaine. La Chambre vota les contributions indirectes et prit ses vacances (9 août). Pendant les vacances, les partis extrêmes firent des manifestations dont les journaux, à court de matière, exagérèrent la portée. A Monceau-les-Mines, en Saône-et-Loire, les ouvriers mineurs, irrités contre un directeur qui les obligeait à des démonstrations catholiques, manifestèrent par des violences contre l'Église (août). Il s'y mêla des anarchistes, qui employèrent la dynamite (octobre) : le gouvernement envoya plusieurs bataillons. Un petit groupe anarchiste, la Fédération révolutionnaire du Sud-est, tint à Lyon une réunion où l'on protesta contre la République impériale ; il y eut à Lyon quelques essais d'attentat à la dynamite (octobre). — Les légitimistes, dans deux banquets (le 19 août en Vendée, le 29 septembre à Paris pour l'anniversaire du comte de Chambord), prononcèrent des discours contre la Constitution et le gouvernement de la République, et envoyèrent au roi des adresses exprimant l'espoir qu'il rentrerait bientôt pour sauver la France et l'Église catholique. La Chambre rentra (9 novembre) mécontente du ministère qui avait laissé se produire ces manifestations illégales. Gambetta se préparait à épouser la femme qui depuis longtemps le dirigeait de ses conseils. Une blessure qu'il se fit à la main en maniant un revolver le contraignit à une immobilité de plusieurs jours ; il contracta une maladie intérieure qui l'emporta rapidement (31 décembre 1882). On lui fit des funérailles nationales. Sa mort, mettant fin à la rivalité entre les chefs des deux groupes républicains, allait faciliter la constitution d'une majorité à la Chambre. Un incident imprévu ouvrit bientôt la voie à un nouveau ministère. Le prince Napoléon, croyant la République affaiblie, fit afficher un manifeste contre les Chambres et la Constitution : il protestait, contre l'abandon du principe de la souveraineté nationale et réclamait un plébiscite (15 janvier 1883). Le gouvernement fit arrêter le prince, et arracher ses affiches, contrairement à la loi sur la presse. La Chambre l'approuva par 401 voix contre 85. Les radicaux profitèrent de l'occasion pour frapper, non seulement les Bonaparte, mais les d'Orléans. Ils leur reprochaient leur train de maison princier, et l'influence du duc d'Aumale sur une partie des officiers. Un radical, Floquet, proposa d'interdire le territoire français aux membres des familles ayant régné sur la France. La Chambre vota l'urgence par 307 voix contre 112, la droite s'abstint. Le ministère, craignant de paraître mou, présenta un projet de loi qui l'autorisait à expulser par simple décret tout membre d'une ancienne famille régnante dont la présence compromettrait la sûreté de l'État (20 janvier). La commission, par 6 voix contre 5, se prononça pour la proposition Floquet. On se mit d'accord sur un compromis qui donnait au gouvernement le droit d'expulser les princes ; la Chambre le vota malgré la droite et les radicaux. Mais le président du Conseil et les ministres de la Marine et de la Guerre donnèrent leur démission. Au Sénat la commission conclut au rejet ; le rapporteur, du centre gauche, le motiva ainsi : Vous ne songeriez avec inquiétude aux prétendants que si nos destinées étaient remises aux mains des violents, que si les masses profondes entraient en scène, si la guerre était définitivement déclarée à ces classes moyennes qui sont la force vive du pays.... On croit qu'on peut se passer d'elles ou les faire mouvoir à son gré, on se trompe. Cette phrase irrita la majorité de la Chambre : le Sénat ayant repoussé (par 148 voix contre 132) le projet voté à la Chambre, la commission de la Chambre reprit le projet Floquet, et, dans la discussion, un orateur radical lança la formule : Sus au Sénat ! Le conflit était engagé entre les deux Assemblées. Pour éviter la rupture, Floquet se rallia à un contre-projet soutenu au Sénat par la gauche ; la Chambre le vota par 317 voix contre 173. Le Sénat, coupé en deux, vota le passage aux articles à une voix de majorité, puis rejeta le projet. Le ministère se retira. VI. — LA SCISSION DU PARTI SOCIALISTE (1881-82). AUX élections de 4881, le parti ouvrier socialiste n'avait fait passer aucun candidat, et avait obtenu en tout 20.000 voix à Paris, 30.000 dans les départements. Les membres parisiens du parti attribuaient cet échec au programme du Havre, rédigé par Marx et Guesde, sous une forme doctrinaire et révolutionnaire. Le Congrès annuel du parti, à Reims (octobre 1881), vota une résolution qui, en maintenant provisoirement le programme, lui reprochait de ne répondre qu'imparfaitement aux aspirations des travailleurs et d'avoir éloigné... du candidat ouvrier plus d'électeurs qu'il n'en avait rallié. Le comité ouvrier socialiste dans chaque circonscription aurait désormais le droit de rédiger son programme électoral et d'insister sur les réformes immédiates qui intéressaient les habitants de la région. C'était la victoire des fédéralistes sur les unitaires. Le désaccord sur l'organisation et la tactique s'aggravait de l'inimitié personnelle entre Guesde, représentant de la doctrine marxiste, et les autres notables, convertis il une politique de réformes graduelles. Une polémique entre leurs organes rendit le conflit aigu. Le docteur Brousse, ancien disciple de Bakounine, chef de la Fédération jurassienne, déclara dans le Prolétaire abandonner la politique du tout à la fois pratiquée jusqu'ici et qui aboutit au rien du tout : il faut fractionner notre but jusqu'à la rendre enfin possible ; pratiquer la politique des possibilités. Joffrin, candidat législatif à Montmartre, prit pour considérant de son programme les anciens statuts de l'internationale. — Guesde, dans l'Égalité, réclama le maintien du programme doctrinal, blâma les résolutions de Reims et condamna le possibilisme. Après avoir rompu avec les partis bourgeois et les anarchistes, il voulait rompre avec le fédéralisme communaliste, dernière forme du bourgeoisisme. Il n'y a plus, disait-il, place dans nos rangs pour aucun genre d'opportunisme. La Fédération du centre (Paris) déclara exclus l'Égalité et ses adhérents. — Le Comité national donna raison à Joffrin. La Fédération du Nord, dominée par Guesde, donna sa démission, et annonça la création d'un nouveau parti. Au Congrès de Saint-Étienne (septembre 1882), la rupture devint officielle. Après un vote sur la question de discipline, la minorité (23 membres) quitta la salle et fit afficher un manifeste expliquant qu'elle avait brisé... avec les possibilistes... pour sauver le programme d'expropriation. La majorité (82 délégués) vota une résolution d'exclusion, reprochant aux membres de l'Égalité d'avoir, au profit de la domination marxiste... essayé d'imposer au public le programme et le mode d'organisation d'une coterie. Elle reconnut à chaque circonscription du parti... la liberté de rédiger son programme local. Il ne restait plus de commun que les considérants renouvelés de l'Internationale. La minorité, réunie en Congrès à Roanne, déclara déchu comme traître au parti... le Comité dit national, sorti des manipulations possibilistes, et constitua un nouveau Parti ouvrier, formé de groupes locaux réunis en fédérations régionales. Le Conseil national de 5 membres, nommés chaque année par le groupe de la ville où siégeait le Congrès, communiquerait directement avec les groupes ; les candidats du parti se présenteraient avec un programme unique. Les socialistes français restèrent dès lors divisés entre deux organisations rivales. L'ancien parti ouvrier socialiste révolutionnaire, fédéraliste et possibiliste, qui prit en 1883 le nom de Fédération des travailleurs socialistes, dominait à Paris et dans la fédération de l'Est. Le nouveau parti ouvrier, centraliste et marxiste, dirigé par Guesde, se recrutait surtout dans le Nord et à Montluçon. Chacun des deux tint désormais ses congrès séparés. |