I. — POUVOIRS DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE. LA Constitution avait établi officiellement le régime parlementaire. Le Président de la République était déclaré irresponsable, sauf le cas de haute trahison, ce qui le rendait personnellement indépendant des Chambres ; mais les ministres étaient politiquement responsables. Le Président ne pouvait faire aucun acte public qu'avec le contreseing d'un ministre ; il avait le droit légal de nommer les ministres, mais la pratique du régime parlementaire l'obligeait à ne choisir que des ministres acceptés par la majorité. Le droit légal de révoquer les ministres (inscrit dans la loi de 1871) a été annulé par l'usage parlementaire. Il est remplacé par l'obligation morale où sont les ministres de donner leur démission quand la majorité de la Chambre a voté contre eux. Mais aucun texte constitutionnel ne peut, fixer les rapports entre le gouvernement et les Chambres par des règles assez précises pour ne laisser place à aucune divergence d'interprétation. Dans quelle mesure le Président peut-il user de son droit légal de nommer les ministres ? Peut-il les prendre en dehors de la majorité ? Et, puisque les Chambres n'ont pas qualité pour les désigner, peut-il user de son jugement personnel pour apprécier quels hommes représentent la majorité ? — Dans quelle mesure les ministres sont-ils tenus de se soumettre au voie de la majorité ? Et dans quels cas les Chambres peuvent-elles les obliger à donner leur démission ? — Dans quelle mesure le Président et le Sénat peuvent-ils user du droit de dissolution ? Ont-ils le droit de dissoudre cieux rois de suite une Chambre dont la majorité leur déplaît ? —Toutes ces questions, déjà posées pendant les grands conflits politiques sous la monarchie, ne pouvaient être résolues que par la pratique. Avec des pouvoirs analogues légalement à ceux du régime de 1875, Louis-Napoléon dès 1849 avait pris des ministres de son choix et établi un gouvernement personnel. Le Président de la République suivrait-il cet exemple, ou se conduirait-il en chef d'État parlementaire ? Mac-Mahon, installé au pouvoir dès 1873, avant la création des Chambres, se sentait armé d'une autorité conférée à sa personne ; l'Assemblée souveraine, en le chargeant de défendre la société, l'avait mis à un poste de combat. Il pouvait se croire engagé à maintenir en place le personnel conservateur et à continuer la politique de défense sociale. Il n'était pas disposé à tenir l'emploi d'arbitre entre les partis et à accepter indifféremment pour ministres les représentants de la majorité. Il continuait à prendre conseil de ses anciens conseillers conservateurs, et refusait de gouverner de concert avec un parti ennemi de l'ordre social. Il ne pouvait pas s'abstenir d'avoir une politique personnelle. II. — L'ÉLECTION DU SÉNAT. IL fallait d'abord constituer les deux pouvoirs élus, le Sénat et la Chambre. On commença (16 janvier 1876) par faire l'élection des délégués des conseils municipaux qui devaient former presque tout le corps des électeurs sénatoriaux ; ils avaient droit à une indemnité pour se rendre au chef-lieu du département où se faisait le vote : ce fut d'ordinaire le maire qui se fit élire délégué. L'élection des 225 sénateurs des départements se fit sans organisation de partis. Seuls les conservateurs créèrent des comités, un comité de l'Union conservatrice (présidé par Changarnier) pour soutenir, en dehors de tout esprit de parti, des candidats résolument conservateurs, un comité national conservateur impérialiste. Les groupes de l'Assemblée se bornèrent à publier dans les journaux des appels aux électeurs ; il suffit ici d'en indiquer les formules. L'extrême droite se propose de restaurer la famille chrétienne, fondement de l'État. — La droite demande la révision de la Constitution. Le centre droit déclare soutenir le gouvernement actuel conforme aux principes d'un régime essentiellement représentatif. — Le groupe de l'appel au peuple veut soutenir le gouvernement loyalement, mais sans se laisser duper, et le combattre s'il continue à n'appuyer que les orléanistes. — Le centre gauche prend pour programme la consolidation de la République, la formation d'une nouvelle majorité, la création d'un grand parti national constitutionnel. — La gauche (par un discours de J. Simon) se déclare pour la paix et la liberté. — L'extrême gauche (par une lettre de Gambetta) invite à la guerre contre toute restauration monarchique et à l'ajournement de la révision jusqu'à la fin du septennat : les vrais conservateurs sont les défenseurs du régime actuel. Le ministère prit position par un manifeste de Mac-Mahon (13 janvier). Les formules de cet appel : L'ordre et la paix — la politique conservatrice et vraiment libérale, — l'application sincère des lois constitutionnelles, — la défense de l'ordre social et le respect de la loi, — décourager la propagation des doctrines antisociales et des programmes révolutionnaires — parurent le résultat d'un compromis entre le conservatisme orléaniste de Buffet et le conservatisme républicain de Dufaure. La plupart des candidats firent des professions de foi vagues : ils se déclaraient pour la paix, pour le maintien de la Constitution et des pouvoirs du maréchal. Les royalistes se présentèrent surtout comme conservateurs, souvent sur la même liste que les impérialistes. L'élection se fit (30 janvier) dans un calme complet. La majorité, formée par les délégués des petites communes rurales, fut favorable aux conservateurs. On n'élut guère que d'anciens membres de l'Assemblée, beaucoup pour des motifs personnels, par respect pour leur influence sociale, sans égard à leur nuance politique. Le Sénat servit à recueillir le haut personnel politique de tous les partis. ce qui adoucit pour les conservateurs l'amertume de la République et la leur fit trouver tolérable. Buffet ne fut pas élu : sa raideur l'avait rendu impopulaire. Les journaux classèrent ainsi les élus par groupes : extrême gauche 7, gauche 33, centre gauche 52, constitutionnels 17, conservateurs 77, extrême droite 2, impérialistes 40. La répartition des élus par département montre une distribution régionale analogue à celle de l'Assemblée de 1849 : le Nord, l'Ouest, le Sud-ouest et la plus grande partie du Centre ont élu des conservateurs, l'Est, le Sud-est et Paris des républicains. Avec les 75 sénateurs élus par l'Assemblée, la force totale des partis fut évaluée à 85 centre gauche, 50 gauche, 15 extrême gauche, 17 constitutionnels, 81 conservateurs, 13 extrême droite, 40 impérialistes. En défalquant les douteux, comptés à la fois des deux côtés, c'était un total de 149 républicains contre 151 conservateurs. Alors apparut l'importance décisive de la coalition du 9 décembre 1875, sans laquelle les conservateurs auraient disposé d'une forte majorité. Le journal orléaniste le Français écrivit : Rien n'est sauvé, mais rien n'est perdu. III. — L'ÉLECTION DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. L'ÉLECTION de la Chambre fut préparée surtout par des comités locaux, dont l'histoire n'a pas été encore faite. Un comité légitimiste, un comité d'Union électorale socialiste et les deux comités créés pour l'élection du Sénat lancèrent des manifestes dont l'effet semble avoir été presque nul. Le public s'occupa davantage du manifeste de Gambetta à Marseille, qui soutint la tactique d'union entre tous les républicains suivie depuis 1873 : On nous dit : Vous avez violé les principes..., fait trop de concessions. Mais on ne m'a pas dit ce que nous avions livré.... Nous avons livré l'ombre pour avoir la proie.... On va nous demander de faire la preuve que nous connaissons les affaires, que nous pouvons et savons gouverner. Il demandait une république vraiment française, c'est-à-dire une république ordonnée, recueillie, pacifique, libérale, ayant renoncé absolument au prosélytisme et au cosmopolitisme, comprenant très bien qu'ailleurs les peuples sont maitres chez eux. Gambetta fut combattu, sans succès, au nom des principes radicaux, à Marseille, par Naquet qui lui reprocha d'être dans l'ornière constitutionnelle et de représenter l'élément républicain conservateur. Naquet proposait d'abandonner le nom de Gambetta aux départements moisis avancés et de constituer un groupe d'avant-garde du combat démocratique avec ce programme : Révision, Assemblée unique, séparation de l'Église et de l'État, — impôt progressif, rachat des mines et des chemins de fer, — divorce, égalité civile de la femme, éducation intégrale des deux sexes, — élection des juges, — nation armée. C'était le programme de Gambetta en 1869, et ce devait être celui du futur parti radical. A Paris, l'ami de Gambetta, Spuller, fut combattu par le président du Conseil municipal, qui déclara passé le temps des concessions ; la République ne devait être qu'un instrument pour arriver à la solution de la question sociale (c'était la formule des socialistes de 48). La lutte électorale prit la forme de campagnes individuelles, menées par les anciens membres de l'Assemblée, les anciens candidats officiels de l'Empire, et les notables locaux des partis. La plupart des candidats firent des professions de foi sans programme précis. Les conservateurs parlèrent de défendre l'ordre social et la religion, les républicains d'organiser la République. Un organe modéré (Revue politique) résuma ainsi la politique du parti républicain : Il s'agit de faire affirmer la République par la France et d'enlever le pouvoir à Buffet. Beaucoup de républicains se déclarèrent pour le gouvernement de Mac-Mahon, ce qui Lit croire au maréchal que son nom les avait fait élire. Les conservateurs comptaient employer à leur profit l'influence des préfets et des maires sur les électeurs paysans, qu'ils avaient vue si grande sous l'Empire ; car le ministère avait maintenu en place le personnel administratif du 24 mai et nominé des maires conservateurs. Pour entraver la propagande républicaine, les fonctionnaires se servirent de la nouvelle loi sur la presse, et Buffet ordonna aux préfets de n'accorder le permis de colportage que pour les imprimés inscrits sur un catalogue où ne seraient admis que des écrits non contraires à l'ordre, à la morale, à la religion, à la paix publique, à la société. Mais les préfets se plaignaient d'être laissés sans instructions par le ministère, et exercèrent peu de pression électorale, peut-être par crainte de se compromettre pour un gouvernement d'avenir incertain. Le résultat surprit les conservateurs et les consterna. Dès le premier tour (20 février) il passa 310 républicains et seulement 110 conservateurs (dont 50 impérialistes). Gambetta fut élu dans les 4 villes où il se présentait. Buffet, candidat dans 3 circonscriptions, combattu comme l'incarnation autoritaire du régime de l'ordre moral, ne fut élu dans aucune. Il donna aussitôt sa démission et refusa de se présenter ailleurs, craignant, dit-il, de rendre mauvaise une circonscription conservatrice aujourd'hui. — Il rentra bientôt dans la vie politique comme sénateur élu à vie. — Le monde monarchiste eut l'impression d'une défaite définitive. Le 3 p. 100 baissa de 67,85 à 65,75. Le pape déclara que les élections renversaient la République libérale et conservatrice pour établir la République révolutionnaire. Après le second tour (5 mars), la Chambre fut composée de 340 républicains (extrême gauche 98, gauche 193), 153 conservateurs (dont 75 impérialistes, 24 de l'extrême droite), 22 constitutionnels et une quinzaine d'indécis. Les électeurs, allant au scrutin pour la première fois sous le régime nouveau et encore très peu organisés, n'avaient pas beaucoup voté : à peine les trois quarts des inscrits, plus de 25 p. 100 d'abstentions. Les élections suivantes devaient montrer que les abstentionnistes étaient presque tous des électeurs à tendance conservatrice, plus timides dans les campagnes, plus indifférents dans les villes. Les républicains, plus hardis et plus passionnés, votaient presque tous, mais dans l'ensemble du corps électoral ils ne formaient peut-être encore qu'une minorité. Les conservateurs en 1877 ne se trompaient donc lias, comme on l'a cru, en pensant qu'ils avaient pour eux la majorité du pays ; leur erreur ne portait que sur le nombre des électeurs de leur opinion disposés à venir voter. Une forte portion des élus républicains (437) étaient d'anciens membres de l'Assemblée. Presque tout le personnel politique républicain avait donc trouvé place dans l'une ou l'autre des deux Chambres. II y entrait beaucoup d'hommes nouveaux, surtout dans le groupe de la gauche ; parmi eux (outre Grévy) allaient se recruter les futurs Présidents de la République, Carnot, Casimir Perier, Loubet, Fallières. Le groupe impérialiste, très faible avant 1876, devenait le plus important de la coalition conservatrice. Les pertes atteignaient les orléanistes et les légitimistes, réduits à 33 réélus et 78 membres nouveaux. La répartition géographique des partis marquait nettement la différence des opinions entre les régions de la France. L'Est et le Sud-est, sauf quelques circonscriptions isolées des montagnes du Jura et des Alpes, n'élisaient que des républicains. Le Nord-ouest élisait des royalistes, excepté dans les villes et les ports ; le Sud-ouest, des impérialistes ; le Nord, sauf quelques centres industriels, des conservateurs de nuance politique indécise. Le Centre était le plus disputé, dans beaucoup de circonscriptions les voix s'y partageaient presque également : le Limousin, l'Auvergne, la région industrielle de l'Allier et du Cher élisaient des républicains ; les conservateurs dominaient dans les montagnes de la bordure du massif Central (Lot, Aveyron, Tarn, Gard, Lozère, Ardèche, Haute-Loire), pays de communications difficiles où les paysans, vivant isolés, étaient habitués à obéir à leurs curés. A Paris il ne passait que des républicains, sauf dans les 7e et 8e arrondissements (dans les autres quartiers de l'ouest, où les électeurs conservateurs étaient en majorité, beaucoup n'avaient pas voté). L'Algérie et les colonies n'élisaient que des républicains. IV. — LE MINISTÈRE CENTRE GAUCHE. L'ÉLECTION mettait une Chambre républicaine en face d'un Président conservateur assisté d'un Sénat où la majorité restait encore indécise. Mais la majorité des gauches était si forte qu'il devenait impossible de gouverner avec un ministère centre droit. Après le premier tour, Mac-Mahon, attristé et perplexe, prit l'avis de ses conseillers conservateurs réunis chez d'Harcourt. Les ministres royalistes, Buffet et de Meaux, l'engagèrent à former un ministère conservateur pour résister à la Chambre en s'appuyant sur le Sénat. De Broglie remontra que cc serait compromettre les dernières ressources du parti, le maréchal et le Sénat. fl conseilla de prendre un ministère centre gauche pour laisser à la Chambre le temps de se discréditer par ses excès ; quand la majorité aurait été affaiblie par le conflit avec le Président et le Sénat, il comptait reprendre le pouvoir. Mac-Mahon, docile à cet avis, se résigna à charger un homme du centre gauche de former un cabinet. Il s'adressa d'abord à Casimir Perier, mais, en exigeant le maintien en fonctions de tout le personnel administratif, il fut impossible de trouver un ministre de l'Intérieur. Mac-Mahon refusa de voir Gambetta, qui semblait désireux de se mettre en relations personnelles avec lui. Il appela Dufaure, déjà ministre de la Justice, qu'il estimait comme conservateur et catholique. Dufaure prit tout le cabinet dans le centre gauche, excepté les trois ministères que Mac-Mahon se réservait, la Guerre, la Marine, les Affaires étrangères (Cissey et Decazes restèrent en place). Lui-même garda la Justice, et prit le nouveau titre de président du Conseil créé par la Constitution, marquant ainsi que le Président de la République ne devait plus être regardé comme membre du cabinet (10 mars). Les Chambres, réunies le 8 mars, se trouvèrent en présence d'un ministère pris, non dans l'ensemble de la majorité, mais uniquement dans son aile droite. La République française, organe de Gambetta, l'appela d'abord le ministère de coteries et le déclara inacceptable, puis promit d'attendre ses actes. Cette transaction entre le Président et la Chambre s'exprima dans la déclaration du 14 mars ; les ministres, acceptant la théorie de Mac-Mahon, se présentèrent comme ses agents. Choisis par le Président de la République pour exercer en son nom les pouvoirs que la Constitution lui confère, fidèles à l'esprit à la fois libéral et conservateur des institutions —, ils proposaient à la république un programme de conservation sociale. Elle a besoin plus que tonte autre forme de gouvernement de s'appuyer sur les saintes lois de la religion, la morale et la famille, sur la propriété individuelle et respectée, sur le travail encouragé et honoré. Mais ils affirmaient la république sanctionnée par le suffrage universel, expression de la souveraineté nationale, et promettaient de la faire respecter par les fonctionnaires : Nous ne salirions admettre que le gouvernement trouve des détracteurs parmi les agents qui ont mission de le servir. La Chambre avait élu président Grévy, de la gauche républicaine, par 414 voix, sans concurrent. Le Sénat avait élu président d'Audiffret-Pasquier, du centre droit, vice-président un catholique ardent (contre J. Simon). Les majorités des deux Assemblées appartenaient déjà aux deux partis opposés. V. — FORMATION DES GROUPES DE GAUCHE. AVANT la formation du cabinet, le centre gauche, devançant les autres groupes, avait publié le procès-verbal de sa réunion (du 3 mars) : il y déclarait ne pas vouloir se contenter d'un replâtrage, et exigeait un ministère nouveau où la gauche aurait sa part. Son programme comprenait avant tout l'épuration du personnel administratif, pour se débarrasser des préfets qui avaient soutenu les candidats impérialistes contre les républicains, l'élection des maires par les conseils municipaux, le droit exclusif de l'État à la collation des grades d'enseignement supérieur. Les cieux groupes de gauche et d'extrême gauche se réunirent à Versailles dans deux locaux différents (7 mars). Gambetta les décida à se joindre en une réunion plénière des députés et sénateurs de tous les groupes républicains, et leur proposa de se constituer en un parti unique ; il montra l'avantage de parler au nom d'une majorité qui n'est pas seulement celle des Assemblées, mais aussi celle de la nation, et mit en garde contre le jeu alternatif entre le centre droit et le centre gauche, qu'on organisait pour séparer les républicains de ceux qu'on appelle radicaux. La réunion, composée de 300 membres de la majorité, déclara : L'appui de cette majorité ne sera acquis qu'à un cabinet homogène, résolu à administrer le pays dans un sens républicain, conformément à l'esprit de la Constitution et à la volonté de la nation. Dans une seconde réunion plénière après la formation du ministère (12 mars), Gambetta affirma que la majorité ne pouvait rester muette et passive en face d'actes aussi graves et aussi incorrects. — Je ne me plains pas des ministres qui entrent, mais de ceux qui ne sortent pas. Mais l'ancienne rivalité entre les chefs républicains, assoupie pendant la lutte contre le gouvernement conservateur, était réveillée par l'espérance d'arriver au pouvoir. Les deux chefs de la gauche, Ferry et Grévy, se souciaient peu de se fondre dans une masse que Gambetta aurait dominée au moyen de sa puissance oratoire. Ferry, élu président de la gauche républicaine, fit publier une déclaration opposée au projet de fusion (15 mars) : Pour rester unis sans trompe-l'œil et sans réticences, le vrai moyen est de rester distincts.... La discipline, sans laquelle le système parlementaire n'est que hasard et anarchie, ne s'apprend et ne se consolide que dans des groupes séparés, homogènes de composition.... Les sacrifices mutuels s'obtiennent plus aisément dans les délibérations par délégations que dans les assemblées plénières. La gauche s'étant formée en un groupe indépendant. Gambetta, après quelque temps d'attente, dut renoncer à son plan, et se décida a reconstituer sou ancien groupe, l'Union républicaine (30 juin). Les dissidents, adversaires de la tactique de prudence, s'en détachèrent bientôt, et formèrent le petit groupe d'extrême gauche, fidèle l'ancienne politique des radicaux, qui allait devenir le noyau d'un nouveau parti radical. Son manifeste, publié à la clôture de la session, ramena au premier plan de la lutte politique une question écartée depuis quelques années par les républicains. Le fait dominant de la situation, c'est l'effort fait par le cléricalisme pour s'imposer à la société moderne. Si le cléricalisme n'est pas assez fort pour vaincre la liberté, il l'est assez pour la tenir en échec. Il peut susciter à la république mille obstacles, entraver sa marche... parce qu'il sert à rapprocher dans une action commune les trois partis que nous combattons. Aux bonapartistes, aux orléanistes, aux légitimistes, il fournit contre la république un point de ralliement et un mot d'ordre. Il leur donne une cohésion... qui les empêche pour le moment s'entre-détruire. Les républicains ont raison de dire : Le cléricalisme, voilé l'ennemi. Cette formule, lancée déjà sous l'Empire par Peyrat, ouvre la voie où le nouveau groupe radical entraînera tout le parti républicain. La République étant assurée, la lutte politique va porter, non plus sur les principes, mais sur le personnel ; il s'agira, non plus de la forme du gouvernement, mais de la conduite du gouvernement envers le clergé. Pendant les vacances, la scission s'élargit par la polémique des radicaux contre la politique des résultats. Ils reprochèrent à Gambetta de sacrifier les principes radicaux qu'il a formulés sous l'Empire. Gambetta leur répondit (27 octobre) à Belleville, où ses électeurs l'avaient sommé de venir rendre compte de sa conduite opportuniste. — Le mot, employé dès 1869 dans un autre sens pendant le Concile du Vatican, venait d'entrer dans le vocabulaire politique. — Il s'agissait de l'amnistie de la Commune ; Gambetta expliqua pourquoi il l'avait repoussée, et définit la conduite opportuniste : Elle consiste à rie s'engager jusqu'au bout dans une question que lorsqu'on est sûr d'avoir la majorité du pays avec soi. Mais... quand le pays répugne à une mesure..., quelle que soit l'ardeur qui le pousse, je résiste. En présence de la recrudescence inouïe des passions réactionnaires jamais la prudence, l'union et la cohésion de toutes les niasses du parti républicain n'ont été plus nécessaires. Ainsi, dans le parti républicain devenu la majorité, reparaît la division intérieure en quatre groupes, née vers la fin de l'Empire. La gauche ouverte de Picard est représentée par le centre gauche, grossi des orléanistes ralliés ; la gauche républicaine de Grévy et de Ferry, forte de 190 membres, est maintenant le groupe principal qui domine la majorité ; Gambetta et les irréconciliables, devenus opportunistes, forment l'Union républicaine ; la nouvelle extrême gauche continue la politique des intransigeants. — Les quatre groupes vont à tour de rôle, jusqu'à la fin du siècle, prendre la tête du parti républicain et la direction du gouvernement. VI. — LES CONFLITS AVEC LES GAUCHES. LE ministère Dufaure, issu d'une transaction, fut dès sa naissance partagé entre deux tendances. Son chef, Dufaure, d'accord avec Mac-Mahon, désirait éviter les changements de personnel. Il se sentait dépaysé dans la Chambre pleine d'hommes nouveaux, plus à l'aise au Sénat avec les survivants des assemblées antérieures (il était né en 1798). Le ministre de l'Intérieur, Ricard, tenait à satisfaire la majorité irritée contre les préfets conservateurs. Il changea (22 mars) les préfets de 26 départements (12 par déplacement, 5 par révocation, les autres par mise à la retraite ou en disponibilité). Il ordonna aux préfets de remplacer tous les maires pris hors des conseils municipaux. Par une circulaire publique (6 ruai), il leur donna sur le colportage des instructions inverses de celles de Buffet. Le but de la loi est d'accorder à tous les journaux la vente sur la voie publique.... Les permissions de vente ne doivent donc être refusées ou retirées que pour des motifs sérieux, et jamais le fait de vendre tel ou tel journal ne pourra servir de raison au refus... de ces permissions. Une autre circulaire (7 mai) visait les légitimistes et les impérialistes. Les préfets, pour ruiner dans l'esprit des partis des espérances désormais factieuses, devaient se déclarer nettement. Vous êtes le représentant de la République dans votre département, vous êtes appelé à coopérer à une œuvre de conciliation et d'apaisement.... mais qui dans le domaine politique ne doit se prêter à aucune équivoque ni à aucune complaisance. Ricard étant mort le il mai, son successeur, de Marcère, continua sa politique. Mais, en dehors du ministère, Mac-Mahon gardait son cabinet, dirigé par d'Harcourt, et l'Élysée devenait un centre mondain, fréquenté même par les vieilles familles légitimistes en relations avec la famille du Président. Les préfets révoqués venaient s'y plaindre d'avoir été sacrifiés, et inquiétaient la conscience du maréchal, engagé d'honneur à soutenir son personnel. Decazes, resté aux Affaires étrangères, tenait à distance ses collègues du ministère. Ces conflits secrets paralysaient le gouvernement. La Chambre essayait d'esquiver le conflit avec le Président de la République ; mais elle ne pouvait éviter d'entrer en lutte avec le Sénat sur les mesures législatives qu'elle tenait à faire adopter. Elle manifesta clairement ses sentiments en invalidant 13 élus conservateurs pour cause de pression administrative ou d'ingérence du clergé. L'enquête sur l'élection de l'orateur catholique de Mun en Bretagne donna à la gauche l'occasion de dénoncer les procédés électoraux employés par les curés, la chaire, la confession, l'influence des femmes sur les maris. Ce fut le premier engagement contre le cléricalisme. Par contre, la plus grande partie des gauches s'unit aux conservateurs pour ajourner, puis pour repousser l'amnistie des condamnés de la Commune (par 394 voix contre 42). Les groupes de gauche demandèrent du moins qu'on cessât les poursuites sur les faits d'insurrection. Dufaure répondit à leurs délégués qu'il se refusait à dessaisir les Conseils de guerre par une loi. La Chambre se borna à déclarer la prescription acquise pour les individus qui n'avaient pas été poursuivis. Avec le Sénat, le conflit s'engagea à la fois sur trois sortes de questions : le régime d'exception légué par l'Assemblée, les privilèges de la religion catholique, le vote du budget. Le ministère présenta un projet de loi qui abolissait la collation des grades par un jury mixte établie par la loi sur l'enseignement supérieur de 1875 ; la Chambre le vota par 357 voix contre 152 (8 juin) ; le Sénat, qui venait de manifester son opposition en élisant Buffet sénateur à vie, rejeta le projet sans discussion, par 144 voix contre 139 (18 juillet). De Broglie expliqua le sens du conflit. Dans une réunion électorale,
M. Gambetta a dit : Je ferai abroger cette loi... Le parti avancé
approche du pouvoir par les voies légales. Il se croit très près d'y
monter.... Il essaie d'apprivoiser les intérêts matériels. Ceux-là, on les
ménagera, mais on livrera à ceux qui s'impatientent les intérêts religieux. Puis
il définit le rôle du Sénat : Je crois qu'il a été institué
précisément pour empêcher qu'à propos d'un renouvellement électoral qui peut
être passager, amenant dans la Chambre populaire une majorité qui peut
être... l'expression d'une opinion accidentelle..., on bouleverse les lois
existantes. Ainsi le vote de la majorité de la Chambre, où les républicains voyaient l'expression de la volonté du peuple, les conservateurs le traitaient d'opinion passagère, et invitaient le Sénat à l'annuler. Le ministère présenta un projet de loi municipale qui rendait le droit d'élire le maire au conseil municipal dans toutes les communes rurales ; mais, pour ménager Mac-Mahon, il laissait au gouvernement le choix du maire parmi les conseillers municipaux dans les chefs-lieux de canton. La commission de la Chambre trouva trop faible la part accordée à l'élection. Le maréchal dit aux ministres qu'ils n'avaient pas de majorité, qu'il en fallait, chercher une, mais qu'il n'irait pas plus loin à gauche ; s'ils ne pouvaient pas en former une, il chercherait ailleurs ; si on ne s'accordait pas, il en viendrait à la dissolution, et cette fois personne ne serait autorisé à se servir de son nom. Cette scène fut connue par un article du Times. La commission, avertie officieusement, accepta le projet par 9 voix contre 2. A la Chambre, Gambetta prit parti contre la commission ; mais Ferry, au nom de la gauche, se déclara pour la politique des résultats contre l'école de ceux qui rêvent qu'il nous suffit de légiférer ici comme si nous étions une assemblée unique. Au vote sur l'amendement de l'extrême gauche, Gambetta se fit porter absent comme retenu à la commission du budget : innovation qui allait fournir un précédent aux députés désireux de se dispenser de voter sans paraître s'abstenir. La principale source de conflits fut le budget. Le ministre des Finances, Léon Say, proposait un budget en équilibre avec 2.737 millions de dépenses, dont 1.200 représentaient le service des dettes laissées par le passé (Dette ou dotations), 717 les charges militaires (guerre 531, marine 186), 252 les frais de levée et de régie. Il restait moins de 600 millions pour les dépenses normales du pays. C'était un budget conservateur, qui maintenait tous les impôts indirects créés par l'Assemblée, et ne demandait aux contributions directes guère plus d'un cinquième du total (579 millions). La commission du budget, où les gauches avaient une forte majorité, élut président Gambetta. Il dit au nom des républicains : Nous avons voulu entrer dans la commission, pour nous mettre face à face avec les réalités, étudier de plus près les détails de notre régime financier, sans illusion et sans précipitation. Le parti républicain voulait prouver en s'occupant d'affaires pratiques qu'il devenait capable de gouverner. Gambetta attaqua le régime fiscal de l'Assemblée. Le système financier de 1791 n'est plus en rapport avec les nécessités et les ressources de notre nouvel état social. Les événements de 1870 en ont fait ressortir l'insuffisance, aggravée encore par la politique financière de l'Assemblée nationale qui, obligée de faire argent de tout et de courir au plus pressé, a bouleversé toutes les proportions raisonnables entre le chiffre des contributions directes et celui des contributions indirectes. Il proposait un impôt proportionnel sur le revenu, en ménageant toutes les transitions. On transformerait les contributions directes en un impôt unique sur le revenu, réparti suivant le modèle anglais en 5 cédules, 1° foncière, 2° immeubles bâtis, 3° industrie et commerce, 4° valeurs mobilières, 5° personnelle et d'habitation ; le revenu serait établi sur une déclaration contrôlée par des commissions ; les plus-values serviraient à abolir peu à peu les contributions indirectes. C'était retourner au projet des ministres républicains de 1848, au nom du principe de la proportionnalité de l'impôt à la fortune de chaque contribuable, un des fondements sur lesquels repose la société française. Mais cette manifestation resta sans effet. La commission n'osa pas entreprendre une réforme dont on ne pouvait évaluer les résultats. Le rapporteur expliqua qu'on avait obtenu en 1875 l'équilibre du budget et que la totalité des ressources actuelles était nécessaire pour le maintenir. La Chambre vota le budget des recettes en se bornant à supprimer quelques crédits accordés au clergé, pour les aumôniers de l'armée et de la flotte, les bourses dans les grands séminaires, les chanoines de Saint-Denis. Ce budget, le premier voté sous le régime des deux Assemblées, provoqua un conflit décisif pour l'avenir. Il s'agissait d'établir un précédent qui fixât le pouvoir financier du Sénat. La Constitution attribuait au Sénat la confection des lois, concurremment avec la Chambre, sans rien préciser quant à la façon de voter le budget ; elle disait seulement que les lois de finances doivent être en premier lieu présentées à la Chambre, et votées par elle. L'Assemblée, en rejetant un amendement qui supprimait ces derniers mots, avait paru reconnaître à la Chambre un droit de vote indépendant. Le Sénat décida de rétablir tous les crédits demandés d'abord par le gouvernement, réduits ou supprimés par la Chambre. Le rapporteur Pouyer-Quertier, ancien ministre des Finances de Thiers, expliqua que le Sénat n'avait pas à soulever de discussions théoriques sur la nature et l'étendue de ses pouvoirs. En votant les crédits demandés par le ministère. il se bornait à assurer le maintien des lois existantes ou la marche des services publics, conduite conforme à l'esprit de la Constitution, au texte de la loi, à toutes les traditions parlementaires de notre pays. VII. — L'EXPÉRIENCE DU MINISTÈRE JULES SIMON. AVANT que ce conflit fût réglé, la Chambre entra en lutte avec le ministère sur une question de religion. Aux funérailles du musicien Félicien David, le ministère de la Guerre refusa d'envoyer des soldats rendre les honneurs militaires prescrits pour les membres de la Légion d'honneur, en alléguant que la troupe ne devait pas figurer dans un enterrement civil (23 novembre). La Chambre manifesta son mécontentement en votant, par 357 voix contre 31, un ordre du jour de forme impérative : convaincue que, dans l'application des décrets relatifs aux honneurs funèbres, le gouvernement saura faire respecter les deux principes de la liberté de conscience et de l'égalité des citoyens sans aucune distinction (2 décembre). Dufaure donna sa démission. Son ministère n'avait pas duré neuf mois. Le centre gauche réclama aussitôt un cabinet résolu à mettre le personnel administratif et judiciaire en harmonie avec l'esprit de la majorité (3 décembre). A la gauche Ferry déclara qu'il fallait faire comprendre à Mac-Mahon qu'il sortait de son rôle, en opposant au cabinet constitutionnel et responsable l'action occulte d'un cabinet marron... qui perpétuait... les hommes et les tendances du 24 mai. Il lui reprochait d'éplucher avec des collaborateurs inconnus les nominations faites par les ministres. La délégation des deux groupes de gauche déclara à l'unanimité : L'accord est complet entre les trois groupes sur l'appréciation des causes de la crise actuelle ; en conséquence. la majorité donnera son concours à un cabinet vraiment parlementaire, et résolu à faire cesser la contradiction qui persiste entre l'esprit de la majorité du 20 février et l'attitude d'un grand nombre de fonctionnaires. Les républicains s'accordaient à faire porter le conflit sur le choix du personnel. Mac-Mahon, de son côté, tenait surtout au maintien des personnes. Il appela d'abord les présidents du Sénat et de la Chambre, créant ainsi le précédent d'où est sorti l'usage de consulter les présidents avant toute constitution de ministère. Tous cieux refusèrent de former un cabinet. Il essaya de conserver Dufaure, en acceptant à l'Intérieur Jules Simon, de la gauche. Mais Dufaure se sentait atteint personnellement par le vote de la Chambre : il refusa. Après quelques jours de négociations vaines, Mac-Mahon réunit un soir le Conseil décembre) et lui exposa son sentiment : Je n'ai pas ambitionné le pouvoir, mais je le détiens en vertu de la décision d'une assemblée souveraine, et suis décidé à le conserver, parce que j'ai le sentiment des graves conséquences qu'entrainerait ma retraite : la révision de la Constitution... presque sûrement la suppression du Sénat.... Ce serait la Convention. Puis, examinant les conditions posées par les chefs de la majorité, il rejetait le remplacement du général ministre de la Guerre : C'est moi qui suis responsable de la réorganisation de nos forces militaires, et il invoquait l'article qui lui donnait le droit de nommer à tous les emplois de l'armée. Il acceptait d'enlever la Justice à Dufaure en le gardant comme ministre sans portefeuille, mais Dufaure refusait. Il consentait à accepter J. Simon des mains de Dufaure ; mais son passé, sa participation à l'insurrection du 4 septembre l'inquiétaient. Il mettait pour conditions de repousser les doctrines de Gambetta sur l'omnipotence de la Chambre, de reconnaître l'indépendance du Président dans les limites tracées par la Constitution, de promettre de ne pas faire aux fonctionnaires de procès de tendance, et de ne frapper que ceux qui auront manqué à leurs devoirs professionnels ou au respect dû à la Constitution. Il repoussait Duclere, bien que sympathique et influent, parce que Gambetta lui avait envoyé une liste où il figurait, et qu'il ne voulait pas prendre un ministre des mains de Gambetta. Si la Chambre repousse cette marque de conciliation, c'est que la gauche a voulu faire un cabinet sans moi, peut-être contre moi elle a oublié qu'il existe trois pouvoirs dans l'Etat, et qu'ils ne peuvent vivre que par des concessions réciproques.... Il ne me reste qu'à faire le pays juge entre le parlement et moi. Cette note, rédigée par le secrétaire de la Présidence, montre que Mac-Mahon se regardait comme un chef d'État souverain, tenant ses pouvoirs d'une Assemblée supérieure à la Chambre ; il croyait faire une concession en acceptant même un seul ministre de la majorité. L'entourage du maréchal essaya de diviser les gauches en appelant au pouvoir un républicain, adversaire de Gambetta. Un catholique de la droite, camarade de collège de Jules Simon, fut chargé de lui porter l'offre d'un ministère. Jules Simon se montra très touché, mais répondit qu'il ne voulait pas entrer dans un cabinet que la Chambre n'accepterait pas, et, en compensation f le ce que les ministres conservateurs restaient à la Guerre et aux Affaires étrangères, il réclama la présidence du Conseil et le choix du ministre de la Justice. Mac-Mahon céda, sur le conseil du duc de l'Aligne. Le ministère Jules Simon (11 décembre) apparut au public comme une victoire de la gauche : pour la première fois elle imposait un de ses membres comme chef du gouvernement. Mais c'était un ministère en équilibre instable, menacé à la fois par la défiance de Mac-Mahon, qui lui avait imposé pour condition de ne pas céder aux réclamations des gauches, et par l'opposition de Gambetta, qui voulait l'obliger à prendre parti nettement, pour le compromettre. L'équivoque se manifesta aussitôt dans la déclaration, calculée pour satisfaire à la fois les deux Assemblées. Je suis, vous le savez, profondément républicain et profondément conservateur — J. Simon prononçait sa formule en accentuant à la Chambre le mot républicain, an Sénat le mot conservateur —, dévoué... aux principes de la liberté de conscience (c'était pour les républicains), animé pour la religion d'un respect sincère (c'était pour les catholiques). Le cabinet... est, et veut rester un cabinet parlementaire (c'était pour la gauche). Nous n'avons qu'à suivre l'exemple... donné par le premier magistrat de la République (c'était pour Mac-Mahon). VIII. — LE RÈGLEMENT DU POUVOIR FINANCIER DU SÉNAT. LE conflit sur le vote du budget n'était pas réglé. La commission de la Chambre proposa de repousser les crédits rétablis par le Sénat. Gambetta invoqua le principe suivi depuis 1795 : La Chambre des députés possède seule l'initiative en matière de lois d'impôts et la Chambre haute n'a qu'un droit de contrôle. La Constitution dit que les lois de finances doivent être en premier lieu votées par la Chambre ; un projet non voté par la Chambre est donc nul, et le Sénat, puisqu'il n'a pas l'initiative, ne peut pas voter sur un projet qui n'existe pas. Le Sénat a déjà le droit de dissolution, on ne peut lui donner aussi un droit égal à la Chambre en finances. Jules Simon combattit Gambetta. Il déclara la Constitution très claire ; elle donne au Sénat l'initiative. Les lois de finances doivent lui être présentées en second lieu. On vote d'abord la loi dans la Chambre, on la vote ensuite... dans le Sénat. La Chambre vote, le Sénat vote. La Constitution ne fait pas de différence. Il concluait qu'a moins de proposer de réviser la Constitution et d'ouvrir une crise, la Chambre devait voter sur les crédits proposés par le Sénat. Gambetta répliqua que cette procédure mènerait à un conflit perpétuel et sans issue ; il compara le discours de J. Simon à la fameuse discussion du Mariage de Figaro. Dans le texte de l'article : et votées, comme dans Beaumarchais, il y a la copulative.... Les deux opérations, présentation et vote, sont liées.... Il faut que vous ayez donné à un projet ministériel la sanction législative.... Si elle a été rejetée, il n'est pas voté, il n'ira pas au Sénat. Le désaccord portait sur le double sens du mot vote ; Gambetta l'interprétait au sens strict : adopté par un vote, J. Simon au sens large : soumis au vote. Les deux interprétations aboutissaient à deux systèmes opposés, qui tous deux se heurtaient à une grave objection. Celui de Gambetta mettait toute l'administration à la merci de la Chambre qui, par des refus de crédit, aurait pu indirectement supprimer toutes les fonctions ; celui de J. Simon obligeait le budget à faire la navette entre les deux Chambres, indéfiniment, si chacune maintenait son vote. Le désir d'éviter un conflit l'emporta. La Chambre, par 358 voix contre 136, vota une partie des crédits rétablis par le Sénat et rejeta les autres. Le Sénat, satisfait d'avoir obtenu un vote, accepta à l'unanimité le budget revenu de la Chambre. Le rapporteur prit acte de cette victoire. La Chambre a reconnu que c'était dépasser les droits qui appartiennent à une Assemblée en matière budgétaire, ou tout au moins en faire un dangereux usage, que de porter atteinte, par voie de dispositions financières, à des lois existantes, et elle n'a différé sur ce principe avec nous que dans l'application qu'elle en a faite. Ce précédent a fixé définitivement le pouvoir du Sénat. Il ne doit discuter le budget qu'après la Chambre, mais il a exactement le même droit qu'elle : il peut accepter ou rejeter chaque article. Un crédit n'étant acquis que s'il a été accepté successivement par les deux Assemblées, la Chambre garde le droit de rejeter indéfiniment les crédits que le Sénat a rétablis. Comme la Chambre n'a pas le dernier mot, le budget ne peut aboutir que par un compromis. Mais, comme le budget n'est guère en fait qu'un ensemble de mesures proposé par le ministère et ratifié par les Chambres, le compromis est préparé déjà par les discussions entre le ministère et la commission du budget. Le Sénat a pris l'habitude d'user de son pouvoir dans un sens gouvernemental et conservateur : il rétablit les crédits proposés par le ministère, et empêche la Chambre de supprimer des institutions par voie budgétaire. Pour compenser le succès du Sénat, Jules Simon donna à la Chambre une légère, satisfaction par deux mouvements administratifs qui firent disparaître (5 janvier 1877) 8 préfets révoqués, et (21 février) 51 sous-préfets, la plupart impérialistes. Les présidents des trois groupes de gauche, à l'ouverture de la session de 1877, publièrent chacun un appel pour affirmer leur accord. L'Union républicaine disait : Nous nous sommes attachés à pratiquer l'entente et l'union, non seulement entre nous, mais avec les autres groupes républicains. La majorité de 350 membres républicains s'est toujours retrouvée dans les circonstances graves. La Gauche républicaine disait : Il semblait que l'union des gauches était sérieusement compromise.... L'apaisement s'est fait. — Nous donnerons, disait le centre gauche, notre concours fidèle à nos amis des gauches qui, dans la même pensée d'union... ne nous demanderont pas de sacrifices impossibles. Mais le conflit latent entre J. Simon et Gambetta mettait la division entre les groupes. Pour l'élection de la commission du budget de 1877, les modérés proposèrent de dresser une liste républicaine unique, liste où ils auraient eu la majorité, de façon à enlever à Gambetta la présidence. L'Union républicaine refusa. et fit passer 1G de ses membres à la commission (de 33) ; Gambetta fut réélu par 29 voix ; ce fut un échec pour Jules Simon. Le Sénat, où la majorité avait définitivement passé à la droite, n'accepta plus pour sénateurs à vie quo des conservateurs. Il adopta l'usage d'élire à tour de rôle le candidat présenté par l'un des trois partis, orléaniste, légitimiste, impérialiste. |