I. — L'AVÈNEMENT DE LA COALITION DU 24 MAI. MAC-MAHON savait que les conservateurs se préparaient à l'élire Président de la République. Le 22 mai, on le disait résolu à exécuter la volonté de la majorité, ne fût-elle que d'une voix. Il eut pourtant des scrupules, et demanda conseil à Thiers : il lui offrit de refuser si lui-même voulait revenir sur sa démission. Thiers répondit qu'il ne jouerait pas cette comédie. A la séance du soir, les gauches présentèrent la proposition de refuser la démission de Thiers : elle fut repoussée par 368 voix contre 339. Les chefs de la coalition proposèrent de procéder immédiatement au scrutin. L'Assemblée vota l'élection immédiate. Les gauches s'abstinrent, le vote fut terminé à dix heures : Mac-Mahon était élu par 390 voix. Le bureau de l'Assemblée alla aussitôt lui porter le résultat, il parut hésiter, puis déclara accepter au nom du salut public. Avant minuit, Buffet revint l'annoncer à l'Assemblée. La crise présidentielle était terminée. Ce ne fut une surprise que pour le public ; le monde politique reconnut l'exécution d'un plan concerté depuis près d'un an, que des difficultés temporaires avaient fait ajourner. La majorité qui mettait fin à la conjonction des centres était formée par la coalition de tous les groupes du côté droit, extrême droite, droite, centre droit, Appel au peuple, groupe Target, et, sauf une faible portion, éprise de liberté politique et fidèle au régime parlementaire, devenu l'idéal commun de cette génération. Mac-Mahon, légitimiste d'origine, ayant servi deux monarchies révolutionnaires, et vécu en militaire étranger à la politique, était disposé à se conduire en chef d'État parlementaire. Mais, timide et modeste, il se sentait ignorant, et laissait diriger les ;affaires par les ministres. Le pouvoir passa au chef de la coalition, le duc de Broglie, un orléaniste qui avait refusé de se rallier à l'Empire. II avait pris sur la majorité conservatrice une influence personnelle, par sa parole qui, bien que desservie par une voix aigre et nasillarde, était, sous des formes académiques, mordante, dédaigneuse, très forte dans l'attaque —, plus encore par ses talents de tacticien parlementaire, habile aux négociations de couloirs entre alliés et aux manœuvres en séance contre les adversaires. Nommé vice-président du Conseil des ministres, il forma aussitôt un ministère avec des orléanistes, deux légitimistes et un ministre de l'Empire, Magne (aux Finances). Le gouvernement, à peine installé, se mit à changer le personnel administratif. Le ministre de la Guerre, le général du Barail, tout à fait novice en politique, fut surpris à la première séance de voir ses collègues discuter, non pas la politique générale du ministère, mais les nominations de préfets. Plus de vingt préfets républicains furent destitués et remplacés par des royalistes ou des impérialistes. La politique officielle du ministère fut définie par des déclarations publiques, et d'abord par la lettre de Mac-Mahon (25 mai) : Avec l'aide de Dieu, le dévouement de notre armée qui sera toujours l'esclave de la Loi, l'appui de tous les honnêtes gens, nous continuerons l'œuvre de la libération du territoire et du rétablissement de l'ordre moral dans notre pays. Nous maintiendrons la paix intérieure et les principes sur lesquels repose la société. Le public républicain remarqua le langage conservateur, l'aide de Dieu, l'armée, les honnêtes gens, et surtout l'ordre moral, vieille formule conservatrice de 1848, oubliée au point qu'elle parut neuve. Le ministère fut surnommé aussitôt le gouvernement de l'ordre moral ; on l'appela aussi le 24 mai. Puis vint le message du 26 mai : Le sentiment qui a dirigé tous vos actes est l'esprit de conservation sociale.... Le gouvernement que nous représentons doit être et sera... énergiquement et résolument conservateur.... L'Assemblée est le boulevard de la société menacée en France et en Europe par une faction qui met en péril le repos de tous les peuples.... Le poste où vous m'avez placé est celui d'une sentinelle qui veille au maintien de l'intégrité de votre pouvoir souverain. L'impression dominante fut que le nouveau Président, au contraire de Thiers, serait sincèrement parlementaire et résolument conservateur. C'est dans la majorité qu'il prendrait un gouvernement de combat, pour défendre la société contre la faction radicale. Le duc de Broglie, ministre des Affaires étrangères, par une circulaire aux agents diplomatiques, essaya de rassurer l'étranger sur la portée du 24 mai et fit appel à la solidarité entre gouvernements contre la démocratie révolutionnaire : C'est sur la politique intérieure uniquement que le Président et l'Assemblée sont entrés en dissentiment. La majorité... a pensé qu'une résistance énergique devait être opposée aux progrès de l'esprit révolutionnaire attestés par les derniers résultats électoraux.... Le gouvernement... suivra une politique résolument conservatrice, c'est-à-dire pacifique au dehors et modérée au dedans. Opposant une sévérité inflexible à toutes les tentatives que fera le parti révolutionnaire pour étendre son influence par des voies illégales, il ne sortira pas lui-même de la légalité la plus stricte. Aucune réaction n'est méditée et ne sera tentée contre les institutions existantes. L'Assemblée tranchera seule, quand elle le jugera convenable, la question suprême de la forme du gouvernement. Ce n'est pas en France seulement que l'esprit révolutionnaire conspire... contre les bases même de l'ordre social ; aucune nation de l'Europe n'est exempte de ce mal. La circulaire du ministre de l'Intérieur aux agents administratifs leur prescrivait de prendre part à la lutte politique : L'Assemblée attend du gouvernement qu'elle a institué un personnel administratif inspiré par une même pensée, dirigé avec précision, et se mettant résolument à la tête des conservateurs. Ces déclarations. qui insistaient sur le caractère parlementaire du ministère, fixent la doctrine officielle du régime. Il se présente comme un changement, non dans la forme du gouvernement, mais dans la direction de la politique intérieure. La République n'est ni reconnue ni menacée, la France reste clans le provisoire. Mais le pouvoir passe à un personnel résolument conservateur, décidé à gouverner avec et pour les conservateurs, en maintenant l'ordre matériel et en rétablissant l'ordre moral, menacé par la faction révolutionnaire. Les populations sont égarées par la propagande radicale ; il faut les ramener au respect des institutions traditionnelles, l'Église, la monarchie, la hiérarchie sociale, et au respect des anciennes classes dirigeantes, le clergé, la haute bourgeoisie, les hauts fonctionnaires. Ce sont les sentiments et le langage du parti de l'ordre en 1849. Pour imposer le respect, le gouvernement réprima les manifestations irrespectueuses, anticléricales ou antimonarchiques. Il empêcha les enterrements civils ; il interdit la vente sur la voie publique des journaux républicains. En vertu de l'état de siège, il supprima à Paris un journal pour avoir ouvert une souscription destinée à l'élection de Barodet. La gauche interpella (10 juin) le ministre de l'Intérieur, Beulé, un professeur bel esprit, légèrement archéologue, entré dans l'opposition libérale sous l'Empire par des allusions piquantes à Napoléon III dans l'histoire des empereurs romains. Beulé répondit et laissa échapper un mot qui devint aussitôt fameux : L'Assemblée nationale que le pays a choisie dans un jour de malheur. Gambetta lut une circulaire très confidentielle du ministre aux préfets (transmise par un préfet à Thiers qui l'avait communiquée à Gambetta). Le gouvernement demandait aux agents de l'administration de l'aider à acheter les journaux républicains des départements, en étudiant leur situation financière, et faisant connaître au ministre le prix qu'ils pourraient attacher au concours bienveillant de l'administration. Beulé, surpris, déclara n'avoir ni dicté ni même lu cette circulaire, rédigée à son insu par le sous-secrétaire d'État (de Pascal), qui dirigeait en réalité le ministère. Le gouvernement se contenta d'un ordre du jour pur et simple, qui fut voté par 368 voix contre 308, grâce aux impérialistes ; les légitimistes mécontents attaquèrent Beulé dans leur journal. Pour atteindre les radicaux, le gouvernement demanda à l'Assemblée l'autorisation de poursuivre un de ses membres, Ranc, ami de Gambetta, qui avait siégé quelques jours dans le Conseil de la Commune en 1871 ; elle fut votée par 467 voix contre 140 : Ranc fut condamné à mort par contumace. Le ministère, pour tenir en main tout le personnel administratif, voulait avoir la nomination des maires dans toutes les communes ; mais il n'arrivait pas à présenter un projet. La commission de décentralisation, chargée de la question, réclamait l'opinion du ministère. Beulé expliquait que le gouvernement s'était fait une loi de respecter les opinions de la majorité ; de Broglie comparait les ministres aux chiens de berger, qui veillent autour du troupeau mais ne le conduisent pas ; il demanda le renvoi après les vacances ; ce qui mécontenta la majorité. Dufaure, devenu l'un des chefs du centre gauche, proposa d'élire une commission pour examiner les projets de lois constitutionnelles déposés le 19 niai, en vue d'établir définitivement la République. La majorité, voulant maintenir le régime provisoire, ajourna la discussion après les vacances (2 juillet). La gauche interpella sur la politique générale du gouvernement. Après une séance violente, l'ordre du jour de confiance fut voté par 388 voix contre 263 ; une partie du centre gauche vota avec la coalition. La majorité conservatrice augmentait ; l'aile droite de l'opposition républicaine s'émiettait. Aux soirées du Président de la République, fréquentées par la haute noblesse royaliste, les membres du centre gauche venaient de plus en plus nombreux ; les indécis, qui s'étaient ralliés à Thiers, se ralliaient à Mac-Mahon. II. — LES MANIFESTATIONS CATHOLIQUES. LES catholiques, arrivés au pouvoir, manifestaient leur intention de rendre à la religion un rôle officiel. Il s'était fondé à Lyon une société de libres penseurs (les Solidaires) pour faciliter les enterrements civils. Le préfet prit un arrêté interdisant, passé sept heures du matin, les inhumations faites sans la participation d'aucun culte reconnu par la loi (18 juin). Un député républicain s'étant fait enterrer civilement, l'officier commandant le peloton d'honneur, envoyé, suivant la loi, aux funérailles de tout membre de l'Assemblée, reçut du ministre de. la Guerre l'ordre de quitter le cortège avant d'arriver au cimetière (21 juin). La gauche interpella. De Broglie répondit : Nous ne permettrons jamais que nos troupes soient mêlées à ces... scènes d'impiété.... Si aux hommes de guerre vous enlevez la foi dans une autre vie, vous n'avez plus le droit d'exiger d'eux le sacrifice de leur existence.... Beulé approuva l'arrêté du préfet de Lyon, et l'Assemblée déclara, par 413 voix contre 251, s'associer aux sentiments du gouvernement, parce que les principes toujours respectés par elle de la liberté de conscience et de la liberté des cultes ne sont pas en cause. C'était limiter la liberté aux religions positives et en exclure la libre pensée. Le comité des pèlerinages organisait des pèlerinages énormes où l'on priait pour la restauration de la monarchie et du pouvoir temporel ; on y portait les insignes pontificaux. Au pèlerinage de Notre-Dame de Chartres (27-28 mai), où 140 députés assistaient, l'évêque de Poitiers, Pie, conseiller du comte de Chambord, parla de la France en détresse : Elle attend un chef, elle attend un maitre. A Paray-le-Monial, centre de la dévotion au Sacré-Cœur spécialement encouragée par la Compagnie de Jésus, l'évêque d'Autun, au nom de ses collègues de l'Assemblée, consacra la France au Sacré-Cœur. Une souscription était ouverte depuis 1870, avec la
bénédiction du pape, pour bâtir une église consacrée au Sacré-Cœur au sommet
de la colline Montmartre, où le fondateur de la Compagnie de Jésus, Loyola,
avait réuni ses premiers compagnons. Sur la demande de l'archevêque de Paris,
le gouvernement proposa de déclarer d'utilité publique la construction de l'église... en l'honneur du Sacré-Cœur. La loi fut votée par
389 voix contre 146, mais l'Assemblée vota un amendement supprimant le vocable du Sacré-Cœur, et refusa de se faire
représenter à la cérémonie de fondation (par
262 voix contre 103). Les journaux légitimistes protestèrent
violemment. Une centaine de députés envoyèrent au pape une adresse (31 juillet). Pie IX répondit que l'origine
de tous les maux était la Révolution de la fin du
siècle dernier, et exprima sa joie de voir la France revenir à Dieu. On chantait dans les processions un cantique dont le refrain était : Sauvez Rome et la France au nom du Sacré-Cœur. Une adresse au pape (fin août) déclara : Rome et la France sont inséparables ; c'est parce que la France a oublié sa mission que le pape est captif. Notre triomphe sera votre triomphe. L'Union, organe légitimiste, expliqua que le pouvoir temporel serait restauré sans guerre. Quand Henri V sera où il doit être, il n'y aura pas besoin de faire une expédition à Rome. Ces manifestations annonçaient que les légitimistes comptaient sur le secours divin pour vaincre la Révolution, c'est-à-dire la république laïque et le royaume d'Italie, et pour restaurer en France la monarchie chrétienne, à Rome le pouvoir du pape. C'est dans cet esprit qu'ils entreprenaient la restauration du roi. III. — LA RÉCONCILIATION DES DEUX BRANCHES DE LA FAMILLE ROYALE. L'ASSEMBLÉE, en vacances du 29 juillet au 5 novembre, laissait une commission de permanence prise dans la majorité. Le moment parut venu de mettre fin à la République. Le duc de Broglie écrivait à un confident du comte de Paris : Occupant la situation que nous avons aujourd'hui dans l'Assemblée et dans le pays, nous serions impardonnables si nous ne tentions pas de restaurer la monarchie. Les légitimistes prirent l'initiative. Une réunion (29 juillet) chez le marquis de Dampierre reconnut que la restauration exigeait trois conditions : l'union des princes de France, un système d'institutions constitutionnelles combinées avec la monarchie traditionnelle, un accord sur la question du drapeau. Il fallait donc trois opérations pour obtenir l'aide des trois groupes d'hommes que le retour du roi pouvait inquiéter : 1° décider les princes d'Orléans à l'union de la maison de France ; 2° offrir des garanties constitutionnelles au centre droit orléaniste, indispensable dans l'Assemblée ; 3° obtenir le consentement du Président de la République et de ses conseillers en les rassurant sur le drapeau. Les chefs orléanistes ne pouvaient désirer l'avènement d'un roi habitué à voir en eux des adversaires, irrésistiblement porté à les écarter du pouvoir et à leur préférer ses partisans légitimistes. Ils tenaient au régime parlementaire et au drapeau tricolore, et devaient redouter un prince ouvertement dévoué au gouvernement personnel et au drapeau blanc. Le duc de Broglie, président du Conseil, et Buffet, président de l'Assemblée, invoquèrent leurs fonctions pour se tenir à l'écart. Le duc d'Audiffret-Pasquier, président du centre droit, mena les négociations avec les groupes de l'Assemblée ; le duc Decazes, ambassadeur à Londres, dirigea les démarches auprès du Président de la République par l'intermédiaire de son parent, d'Harcourt, secrétaire général de la Présidence. Tous deux manœuvrèrent de façon à ne laisser revenir Henri V qu'en lui imposant des garanties formelles sur le gouvernement et le drapeau. En cas d'échec, les chefs orléanistes tenaient leur solution prête, la prolongation des pouvoirs du maréchal, sous un régime provisoire qui réserverait l'avenir. Mac-Mahon, respectueux de la royauté légitime sous laquelle il avait commencé sa carrière, se regardait comme un soldat chargé par l'Assemblée de garder un poste et prêt sur son ordre à le rendre au roi légitime. Nous ne sommes ici, disait sa femme, que pour tenir la place.... Mais, entouré de conseillers orléanistes et attaché au drapeau tricolore, il ne fit rien pour faciliter la restauration. Il fallait d'abord réunir les deux branches de la famille royale sous un chef unique, le comte de Chambord, seul qualifié pour être le premier roi, et faire accepter aux légitimistes un prince d'Orléans pour son héritier. Les orléanistes appelaient cette union la fusion, terme politique impliquant un compromis entre deux partis et deux régimes, la monarchie traditionnelle et la royauté parlementaire. Chambord disait la réconciliation, pour marquer qu'il s'agissait d'une affaire personnelle entre membres de sa famille. Il avait ordonné au chef de son Comité, s'il rencontrait les princes d'Orléans, de ne pas les connaître tant qu'ils ne seraient pas rentrés dans le devoir. Les princes d'Orléans, sur l'avis de d'Audiffret et de Decazes, décidèrent d'opérer la réconciliation officielle par une visite du comte de Paris au comte de Chambord, dans son château de Frohsdorf, en Autriche ; mais ils agirent en secret et à l'improviste, pour ne pas lui laisser le temps de publier un manifeste. Le comte de Paris, parti sous un faux nom avec le duc de Joinville, s'arrêta à Vienne, et fit demander au comte de Chambord quand et où il voudrait bien le recevoir (3 août). Chambord, surpris et satisfait, envoya aussitôt un secrétaire porter à Vienne une note qui précisait les conditions de l'entrevue. Pour empêcher une interprétation erronée, le comte de Chambord désire que le comte de Paris, en l'abordant, déclare qu'il ne vient pas seulement saluer le Chef de la Maison de Bourbon, mais bien reconnaître le principe dont le comte de Chambord est le représentant, avec l'intention de reprendre sa place dans la famille, en lui donnant le sens d'une soumission au Chef de la branche aînée. Le comte de Paris déclara, au nom de sa famille, que sa visite signifiait la reconnaissance du principe : Mon grand-père a brisé l'anneau, je veux renouer la chaîne des traditions. Mais le lendemain il remit au secrétaire une note de sa main, où il demandait de remplacer les mots : avec l'intention de reprendre sa place dans la famille par une phrase calculée de façon à maintenir l'égalité entre les deux branches. Le 5 août, il se présenta au comte de Chambord et lui dit : Je viens vous faire une visite qui était depuis longtemps dans mes vœux. Je viens, en mon nom et au nom de tous les membres de ma famille, vous présenter mes respectueux hommages, non seulement comme au Chef de notre Maison, mais comme au représentant du principe monarchique de la France. Je souhaite qu'un jour vienne où la France comprenne que son salut est dans ce principe. Si jamais elle exprime sa volonté de revenir à la monarchie, nulle compétition au trône ne s'élèvera dans notre famille. La formule finale réservait la volonté de la France. Le comte de Chambord embrassa son cousin, et l'emmena au premier étage en disant : Vous avez fait une bonne action. Le bon Dieu vous en tiendra compte. Le lendemain il lui rendit sa visite à Vienne (6 août). Le comte de Paris, de retour en France, pria Mac-Mahon de convoquer l'Assemblée pour délibérer aussitôt sur la restauration (13 août). Mais les conseillers orléanistes du maréchal le décidèrent à refuser, et le firent savoir par une dépêche au Times. La réconciliation était faite, mais sur des principes politiques rédigés en termes vagues, que les deux partis n'interprétaient pas de même : Chambord voyait dans l'adhésion à son principe la renonciation au régime parlementaire ; le comte de Paris écrivait le 18 août : Aujourd'hui la monarchie à la fois traditionnelle et constitutionnelle, définie d'une manière si ferme... dans le manifeste de la droite de février 1872, peut être le programme commun de tous les conservateurs. C'était précisément le manifeste qu'avait repoussé le comte de Chambord. Les orléanistes disaient qu'ils ne voulaient pas faire la monarchie en blanc, et Broglie écrivait (le 24) à Falloux : Une nation ne peut aller au-devant d'un homme, quelle que soit son origine. Il lui faut au moins faire la moitié du chemin. La fera-t-il ? Rien ne m'autorise à le penser.... Nous devons prévoir l'obstination dont le comte de Chambord a déjà donné plus d'une preuve... et nous réserver une seconde solution qui prévienne le complet désarroi du parti conservateur..., un pouvoir temporaire, mais d'une assez longue durée, confié à Mac-Mahon. Le chef du gouvernement acceptait d'avance l'échec de la monarchie, et se préparait à un autre régime. IV. — LES NÉGOCIATIONS POUR LA RESTAURATION. LE ministre légitimiste Ernoul proposa (25 août) de préparer la restauration. Les impérialistes ne pouvaient se prêter à rappeler le roi ; pour constituer une majorité, il fallait les remplacer par une vingtaine d'hésitants du centre gauche, qu'on ne pouvait rallier qu'en obtenant du roi le maintien du régime parlementaire et du drapeau tricolore. Les chefs des groupes prirent la direction des opérations. Les orléanistes réclamèrent l'aide des légitimistes pour résoudre la question du drapeau. Après la séance de la commission de permanence (11 septembre), le duc d'Audiffret-Pasquier, président du centre droit, dit aux membres de la droite : Nous avons fait le premier pas ; à vous de faire le second. S'il est ici quelqu'un qui croie possible de restaurer la monarchie en France avec le drapeau blanc, qu'il le dise. Personne ne disant rien, d'Audiffret invita les légitimistes à prier le roi de faire connaître ses intentions, afin qu'on sût avant l'ouverture de la session si la restauration était possible. Le comte de Chambord n'avait jamais vécu que sous le drapeau blanc, et se croyait engagé d'honneur par son manifeste de 1871 à le maintenir. Exilé de France depuis quarante ans, il ignorait la force du sentiment qui attachait la nouvelle génération au drapeau tricolore, resté pour lui un emblème révolutionnaire, devenu le drapeau national. Mais, sentant la question dangereuse, il refusait de la laisser discuter dans la presse, et disait (28 août) qu'il comptait sur le temps et les événements. Les légitimistes prièrent deux évêques d'intervenir au nom de la religion. L'évêque d'Orléans, Dupanloup, convaincu qu'il fallait faire la monarchie sans retard, conseillait de résoudre la difficulté au sujet du drapeau. Mais Dupanloup, ami des princes d'Orléans, était suspect au comte de Chambord. L'évêque de Poitiers, Pie, légitimiste ardent, avait sa confiance, mais il refusa d'accorder son concours. Le drapeau tricolore est irrémédiablement révolutionnaire, car il signifie la souveraineté populaire, — essentiellement napoléonien en tant que drapeau militaire. Si Dieu veut sauver la France, il lui inspirera de meilleures dispositions. Sinon, elle périra victime de ses stupides antipathies. Ces idées allaient se retrouver dans les déclarations du prince. Les ministres légitimistes envoyèrent deux députés à Frohsdorf pour faire savoir au roi les réalités positives, c'est-à-dire les garanties demandées par l'Assemblée, et le prier de fournir à ses partisans le moyen de résister contre l'idée de prolonger le provisoire. Le roi (15 sept.) leur fit remettre une note envoyée déjà en son nom (12. sept.) au ministre Ernoul Le comte de Chambord s'étonne d'avoir à revenir sur ce qu'il a dit tant de fois relativement au pouvoir absolu. Toutes ses déclarations depuis trente ans dont été qu'une même protestation contre cette forme de gouvernement. Il ne saurait oublier que la monarchie traditionnelle est une monarchie essentiellement tempérée.... Le souverain exerce l'autorité en faisant appel au concours de deux Chambres, l'une nommée par lui, l'autre nommée par la nation selon le mode de suffrage réglé par la loi.... Quant au drapeau, le comte de Chambord se réserve de traiter la question lui-même directement avec l'armée. Il se fait fort d'obtenir une réponse compatible avec son honneur. Le lendemain, le prince, causant avec les envoyés, leur dit : Si ma solution n'était pas adoptée, je reviendrais ici. Il n'acceptait une constitution qu'à condition d'aider à la faire. Je ne veux pas imposer une constitution à la France, mais je ne pense pas qu'il y ait lieu pour elle de m'en imposer une toute faite. Il ne promettait donc que la monarchie tempérée comme dans la Charte de 1814, et un accord sur le drapeau fait avec l'armée en dehors de l'Assemblée, sans donner aucune garantie, ni pour le régime parlementaire, ni pour le drapeau tricolore. A leur retour, les envoyés, réunis avec les princes d'Orléans et Decazes chez d'Audiffret, exposèrent la difficulté de faire céder Chambord. Les membres de la commission de permanence et une soixantaine de députés tinrent une réunion (25 sept.). D'Audiffret, qui présidait, déclara l'heure venue de s'expliquer. La seule monarchie à laquelle nous puissions accorder notre concours, c'est la monarchie tricolore ; il faut la faire accepter au comte de Chambord ; la France n'en accepterait pas d'autre. Ernoul, inquiet des projets du prince, lui fit expliquer qu'on ne pouvait pas faire délibérer l'armée sur la question du drapeau, et le pria de remplacer l'armée par les représentants du pays. La réponse fut : Le prince exilé depuis quarante-trois ans ne peut abandonner son drapeau sans s'amoindrir. Qu'on m'appelle sans conditions. Mac-Mahon, sans vouloir entrer en relations directes avec le prince, fit dire au comte de Blacas, confident du roi, qu'il ne ferait pas obstacle à la monarchie avec le drapeau tricolore, mais que toutes les informations prises auprès des chefs de corps lui donnaient la conviction que la suppression de ce drapeau pourrait jeter la désunion dans l'armée. Le 4 octobre, les bureaux des quatre groupes royalistes (extrême droite, droite, réunion Changarnier, centre droit) se réunirent sous la présidence de Changarnier pour élire la commission chargée des négociations. D'Audiffret déclara que l'indication du drapeau tricolore était une condition sine qua non. Un des chefs de la droite, de Larcy, objecta : Si la réunion croit devoir recommencer 1830, il est inutile de nommer une commission. L'émotion fut si vive que la séance fut, suspendue, pour faire délibérer séparément le centre droit et la droite. On ne put se mettre d'accord sur aucune formule, on se borna à élire une commission de 9 membres (2 de chacun des 4 groupes et Changarnier président) pour rédiger une proposition. Mais les hommes désignés par le comte de Chambord pour être les interprètes de sa pensée refusèrent d'y entrer. L'entourage du prince se défiait de la commission. Mac-Mahon, sur le conseil de Broglie, fit à d'Audiffret une déclaration (dont on ne connut que le texte arrangé pour les journaux) et lui donna l'autorisation écrite de faire connaître à ses collègues cette opinion comme l'écho des impressions de l'armée tout entière. On parle de substituer le drapeau blanc au drapeau tricolore. Je crois devoir vous donner un avertissement. Si le drapeau blanc était levé contre le drapeau tricolore et s'il arrivait qu'il fût arboré à une fenêtre tandis que l'autre flotterait vis-à-vis, les chassepots partiraient tout seuls, et je ne pourrais répondre de l'ordre dans la rue, ni de la discipline dans l'armée. La commission des neuf constata (6 octobre) que sur la question constitutionnelle l'accord était fait, que sur le drapeau l'accord était à faire. Les royalistes parlementaires réclamèrent que le maintien du tricolore fut décidé avant la rentrée du roi ; d'Audiffret communiqua la déclaration de Mac-Mahon et demanda qu'un article formel : Le drapeau tricolore est maintenu, fût inscrit dans l'acte de restauration et agréé par le prince. Les légitimistes furent consternés. Un ancien député de l'Empire, parlementaire catholique, rallié à la légitimité, Chesnelong, proposa une formule imaginée par de Falloux. Elle fut adoptée, avec un amendement d'Audiffret qui la rendait plus impérative : Le drapeau tricolore est maintenu. Il ne pourra être modifié que par l'accord du roi et de la représentation nationale. C'était une sommation à laquelle le roi devait répondre avant d'être restauré. Les nobles légitimistes ne se soucièrent pas de porter à leur prince une proposition qu'ils savaient inacceptable ; Chesnelong, bourgeois nouveau venu dans le parti, s'en chargea. La commission précisa ses sentiments et ses vœux, répondant à des nécessités de fait (on évita le mot conditions), non comme précautions contre l'initiative royale, mais pour mettre le pays en garde contre les déclarations calomnieuses des partis hostiles. L'Assemblée devrait appeler au trône Henri V en vertu de son droit héréditaire, et délibérer la Constitution sur sa proposition. L'acte de rappel contenait les stipulations rédigées par d'Audiffret, suivant les formules du régime parlementaire. 1° Les lois constitutionnelles reposeraient sur quatre bases, le pouvoir exécutif au roi, le pouvoir législatif exercé par le roi et deux Chambres, l'inviolabilité du roi, la responsabilité des ministres ; 2° Les libertés civiles et religieuses qui constituent les droits publics des Français seraient maintenues. Chesnelong s'en allait en mandataire inconscient des orléanistes parlementaires, car il portait, avec le programme rédigé par le président du centre droit, une approbation de Broglie et cette recommandation : Tâchez de faire agréer la formule par le roi ; sinon l'entreprise serait vouée à une défaite certaine, le maréchal ne s'y prêterait pas, moi non plus. Les légitimistes au contraire se tenaient sur la réserve. Le marquis de Dreux-Brézé, président du bureau du roi à Paris, avertit Chesnelong : Le prince a dit son dernier mot sur le drapeau. L'orateur légitimiste, Lucien Brun, consentit à accompagner Chesnelong, mais sans mission. Il obtint pour lui une audience et le présenta au roi. Lecomte de Chambord, alors à Salzbourg, eut avec le messager de la commission, en un jour (14 octobre), quatre entrevues. 1° Dans la première entrevue (de deux heures), Chesnelong fit un exposé que le prince écouta sans rien dire. Il expliqua la nécessité de maintenir le drapeau tricolore. Chambord répondit : La France a droit à tous mes sacrifices, sauf deux, mon principe, mon honneur ; le drapeau touche aux deux. Chesnelong plaida les intérêts du principe monarchique. Chambord objecta que le drapeau, symbole du principe, n'en pouvait être séparé. Chesnelong finit par communiquer, sous forme d'avis, les assurances demandées au roi par la commission : Attendre d'avoir pris le gouvernement et garder jusque-là le tricolore comme drapeau légal. Le prince ne répondit pas. 2° Après le dîner, Chesnelong proposa de couper en trois la difficulté, en faisant trois déclarations. 1° Le roi ne demande pas de rien changer au drapeau avant d'avoir pris le pouvoir ; 2° Il se réserve de présenter au pays une solution ; 3° La question du drapeau posée par le roi sera résolue par un accord avec l'Assemblée. Le prince ne fit aucune objection aux deux premières : il ne tenait pas à ce que rien fût décidé avant la restauration. Chesnelong crut qu'il acceptait la troisième puisqu'il parlait de présenter une solution, et fut transporté de joie. 3° Un moment après, Chambord fit rappeler Chesnelong, lui dit qu'il gouvernerait, non avec un parti, mais avec tous les hommes de valeur, Broglie et Buffet ; il voulait rassurer les orléanistes. Mais, ayant appris par le comte de Blacas les espérances de Chesnelong, il lui lit dire qu'il s'en tenait aux deux premières déclarations ; la troisième le mettrait trop à la merci de l'Assemblée. Il alla se coucher, épuisé. 4° Il se releva et, dans une dernière audience, à onze heures et demie du soir, il confirma son refus. Il craignait d'être forcé, ou d'accepter le tricolore, ou d'entrer en conflit avec l'Assemblée sans pouvoirs faire appel au pays par une dissolution. Chesnelong revint en France sans se rendre compte que sa mission avait échoué. V. — LE MALENTENDU SUR LE DRAPEAU ET L'ÉCHEC DE LA RESTAURATION. LA commission entendit le récit des entrevues de Chesnelong, puis accepta (18 octobre), sur la proposition de d'Audiffret, un projet de résolution que l'Assemblée devrait voter en usant du droit constituant : La monarchie nationale héréditaire et constitutionnelle est le gouvernement de la France. En conséquence, Henri..., chef de la famille royale de France, est appelé au trône. Suivaient les garanties qui constituent le droit public actuel des Français. C'étaient les articles envoyés par la commission des neuf. La réunion des bureaux des groupes (18 octobre) approuva ce projet et publia une note qui en résumait le sens, ajoutant qu'il affirmait en termes catégoriques le maintien du tricolore, qui ne pouvait être changé que par l'accord du roi et de l'Assemblée. Les groupes tinrent séance le 22 octobre pour délibérer sur ce projet. Le centre droit, après un récit de Chesnelong, décida de négocier avec le centre gauche. Puis son bureau se rendit à la réunion de la droite et de l'extrême droite, siégeant ensemble. L'accord entre royalistes semblait fait, et la restauration assurée. On faisait les préparatifs pour l'entrée du roi ; les carrosses étaient commandés, les chevaux achetés, l'uniforme royal préparé ; on fabriquait des drapeaux blancs, des cocardes blanches et des lanternes vénitiennes au nom d'Henri V. Le secrétaire du bureau du centre droit, chargé de publier le procès-verbal de la séance, le rédigea de façon à préciser dans un sens orléaniste les conditions de l'accord : Le roi est disposé par avance à la plus complète harmonie avec les membres les plus libéraux de l'Assemblée et du pays.... L'accord est complet, absolu, entre les idées du comte de Chambord et celles de la France libérale. Le comte de Chambord aurait dit que, puisque le drapeau tricolore était le drapeau légal, si les troupes devaient le saluer à son entrée en France, il saluerait avec bonheur le drapeau teint du sang de nos soldats.... Il se réservait de proposer au pays, par l'entremise de ses représentants, une transaction compatible avec son honneur. Trois délégués légitimistes présents à Salzbourg adhéraient en leur nom et au nom de leurs amis à la rédaction préalablement arrêtée par la commission des neuf, aux termes de laquelle le drapeau tricolore est maintenu. L'impression du public fut que le comte de Chambord avait enfin renoncé au drapeau blanc. Mais les confidents de sa pensée protestèrent contre les paroles qu'on lui attribuait ; son organe, l'Union, déclara que ce procès-verbal renfermait des inexactitudes et des erreurs de rédaction, et publia le compte rendu rectifié par Chesnelong. Les groupes républicains se réunirent pour discuter la conduite à tenir. Le centre gauche (23 octobre), repoussant les ouvertures du centre droit, déclara rester uni dans la conviction que la République conservatrice est la plus sûre garantie de l'ordre comme de la liberté, et que la restauration monarchique ne serait pour la France qu'une cause de nouvelles révolutions. La gauche républicaine, réunie à Paris, élut un comité d'action (24 octobre). L'union républicaine (extrême gauche), qui avait (dès le 7 octobre) élu une commission pour se mettre en rapport avec les autres groupes, décida d'adhérer aux décisions prises par la réunion des délégués des trois groupes. Le parti républicain se déclarait uni contre l'union du parti royaliste. Cependant, plusieurs membres du centre gauche discutaient, dans les galeries de l'Assemblée, avec ceux du centre droit les chances de la restauration. Le groupe de l'Appel au peuple annonça par un manifeste (25 octobre) que le parti impérialiste voterait contre toutes les propositions monarchiques... Les projets de restauration royale sont repoussés par le pays.... L'entreprise est impossible ; la tenter par un coup de majorité, serait violer le mandat, non l'exercer.... La France ne veut pas de révolution en arrière. On attendait du comte de Chambord la confirmation de l'accord entre les royalistes. Le duc de Broglie disait aux chefs de la droite (25 octobre) qu'il fallait une note précise, car l'incertitude faisait perdre chaque jour des voix. L'homme des princes d'Orléans, Bocher, écrivait à un légitimiste que le succès dépendait uniquement de Chambord : Par son silence la France peut être perdue... Mais l'accord avec le roi reposait sur un malentendu : le roi avait refusé de s'engager à maintenir le drapeau tricolore. Ses confidents le savaient et redoutaient qu'on ne l'obligeât à s'expliquer. De Frohsdorf, le comte de Blacas écrivait (25 octobre) que le prince souffrait de ces bruits. Il voit l'imbroglio et les malentendus grandir de jour en jour.... Rien ne répugne plus à sa nature que les propositions ambiguës. Ce furent les adversaires de la royauté qui forcèrent le prince à éclaircir le malentendu. Un journal impérialiste, la Liberté, publia le 25 au soir une prétendue information d'un fidèle de Frohsdorf initié aux pensées intimes du comte de Chambord. Le prince a fait bon accueil à tous les visiteurs. Il n'a donné à personne la mission de parler en son nom. Il a pu... laisser des négociateurs... chercher une formule publique qui pot préparer son retour en France ; mais il n'a pris aucun engagement, ne s'est jamais rallié au régime représentatif, et surtout n'a jamais donné à entendre qu'il pût abdiquer son drapeau blanc. Tous les légitimistes présents aux négociations se déclarèrent étrangers à cette information, publiée dans l'intérêt de l'Empire. Elle venait (on le sut plus tard) d'un ami de Rouher, informé par un impérialiste qui disait la tenir d'un familier du comte de Chambord. Le 29 octobre, un messager apporta à Dreux-Brézé une lettre autographe du comte de Chambord, datée de Salzbourg (27 octobre), adressée à Chesnelong, avec ordre de l'insérer dans l'Union. C'était un démenti irrité aux interprétations du centre droit : Puisque, malgré vos efforts, les malentendus s'accumulent, cherchant à rendre obscure ma politique à ciel ouvert, je dois toute la vérité à ce pays, dont je puis être méconnu, mais qui rend hommage à ma sincérité, parce qu'il sait que je ne l'ai jamais trompé et ne le tromperai jamais. On me demande aujourd'hui le sacrifice de mon honneur. Que puis-je répondre, sinon que je ne rétracte rien, que je ne retranche rien de mes précédentes déclarations ? Les prétentions de la veille me donnent la mesure des exigences du lendemain, et je ne puis consentir à inaugurer un régime réparateur par un acte de faiblesse. Il est de mode d'opposer à la fermeté d'Henri V l'habileté d'Henri IV.... Je voudrais bien savoir quelle leçon se fût attirée l'imprudent assez osé pour lui persuader de renier l'étendard d'Arques et d'Ivry.... Nous avons ensemble une grande œuvre à accomplir. Je suis prêt à l'entreprendre, quand on le voudra. C'est pourquoi je veux rester tout entier ce que je suis. Amoindri aujourd'hui, je serais impuissant demain.... On parle de conditions ; en a-t-il posé, ce jeune prince dont j'ai ressenti avec tant de bonheur la loyale étreinte ? On veut des garanties ! En a-t-on demandé à ce Bayard des temps modernes dans cette nuit mémorable du 24 mai ?... Ma personne n'est rien ; mon principe est tout. La France verra la fin de ses épreuves quand elle voudra le comprendre. Je suis le pilote nécessaire, le seul capable de conduire le navire au port, parce que j'ai mission et autorité pour cela.... La France ne peut pas périr, car le Christ aime encore les Francs et, lorsque Dieu a résolu de sauver un peuple, il veille à ce que le sceptre de la justice ne soit remis qu'en des mains assez fermes pour le porter. Cette lettre fut pour les royalistes un coup de foudre, un effondrement, un rêve brisé ; elle remplit de joie les impérialistes et les républicains. Partisans et adversaires, tous virent aussitôt qu'elle rendait la monarchie impossible. De Falloux écrivit : Le comte de Chambord achève l'œuvre fatale qu'il semble s'être proposée durant toute sa vie ; par l'abstention il a détruit ce qui restait d'influence aux classes élevées, par son dernier acte il oblige les hommes monarchiques à prolonger la République. Le public, mal renseigné sur les sentiments du comte de Chambord, comprit qu'il refusait de rentrer en France pour régner, par crainte, soit des résistances, soit des complications avec l'Allemagne. Ses confidents ont protesté vivement contre cette interprétation. Le roi voulait régner ; mais, sincèrement convaincu de l'intervention de Dieu dans le gouvernement des peuples, il se croyait la mission de relever l'autorité royale, que la Providence lui réservait à lui seul, pilote nécessaire, et il ne se sentait la force de l'accomplir que s'il rentrait en France avec son droit intact et le drapeau emblème de son droit. Voilà pourquoi, se défiant toujours des chefs orléanistes, ses vieux adversaires, il se libérait violemment de l'arrangement préparé par eux, qui eût fait de lui le prisonnier de la Révolution. En brisant les liens destinés à le réduire à l'impuissance d'un souverain désarmé (comme il dit en 1883), il entendait se dégager, non pas renoncer. Il attendait son retour en France espérant, avec l'aide de Dieu, par son ascendant personnel, faire accepter son gouvernement et son drapeau. VI. — LE VOTE DU SEPTENNAT. LES chefs orléanistes s'attendaient à l'échec de la restauration, et peut-être ils le désiraient ; ils prirent aussitôt leurs mesures pour maintenir indéfiniment le régime provisoire et le gouvernement du parti conservateur. Ils songèrent d'abord à établir la monarchie en dehors du roi : Decazes parla de nommer le duc d'Aumale lieutenant général du royaume ; d'Audiffret, à une réunion des groupes, proposa (1er novembre) de donner la régence au comte de Paris. Les ministres légitimistes protestèrent, et les princes se déclarèrent fidèles à leur promesse de ne pas se poser en prétendants. Il ne restait que la solution préparée par de Broglie, une prolongation des pouvoirs de Mac-Mahon, assez longue pour lutter avec autorité contre les radicaux. Les groupes royalistes discutèrent la durée des pouvoirs. La Présidence à vie fut repoussée, la prolongation pour dix ans fut acceptée presque à l'unanimité. Les chefs de l'extrême droite, laissés sans instructions par le comte de Chambord, acceptèrent, pour éviter la démission de Mac-Mahon (2-4 novembre). A la rentrée de l'Assemblée (3 novembre), de Broglie lut un message du Président qui annonçait l'ajournement de la constitution et la prolongation des pouvoirs. Peut-être penserez-vous... que, dans l'état présent des faits et des esprits, l'établissement d'une forme de gouvernement, quelle qu'elle soit, qui engage indéfiniment l'avenir, présente de graves difficultés. Peut-être trouverez-vous plus prudent de conserver à vos institutions le caractère qui leur permet de rallier... autour du pouvoir tous les amis de l'ordre sans distinction lie par ti.... Pour donner au repos public une garantie sûre, il manque au régime actuel deux conditions essentielles... : il n'a ni la stabilité ni l'autorité suffisantes. Il faut au dépositaire du pouvoir la garantie d'une existence assez longue pour éviter au pays la perspective d'agitations sans cesse renouvelées. Le gouvernement n'est pas suffisamment armé par les lois pour décourager les factions et même pour se faire obéir de ses propres agents, il demande un pouvoir exécutif durable et fort. Aussitôt l'Assemblée vota l'urgence sur la proposition Changarnier signée de 237 noms : c'était la présidence décennale, celle de Louis-Napoléon après le Coup d'État. Le groupe impérialiste proposa de convoquer le peuple français à voter sur la forme du gouvernement. Dufaure demanda la discussion des projets de loi présentés le 19 mai. L'Assemblée rejeta l'urgence sur l'une et l'autre propositions. Mais, dans la commission chargée de la proposition Changarnier, le hasard de la répartition en bureaux donna aux républicains une majorité de 8 contre 7. Le centre gauche se déclara prêt à prolonger la Présidence, mais en liant étroitement la loi de prorogation à la prompte organisation des pouvoirs publics. La prolongation, au lieu de perpétuer le provisoire, servirait à fonder la République. Le comte de Chambord, inquiet, arriva secrètement en France, espérant restaurer la royauté par une entente personnelle avec le Président de la République. Il se tint caché à Versailles dans la maison de son fidèle de Vanssay pendant douze jours (9-21 novembre) ; le secret, gardé par vingt personnes, ne fut connu ni de l'Assemblée ni de la police. Le prince comptait apparaître brusquement dans l'Assemblée au bras de Mac-Mahon, et se faire reconnaître roi dans un élan d'enthousiasme. Il envoya son confident de Blacas dire à Mac-Mahon qu'il désirait le voir. Mac-Mahon répondit que son honneur lui défendait d'entrer en conférences secrètes ; l'Assemblée avait voulu restaurer la royauté, mais, depuis la lettre du prince, elle jugeait son retour impossible ; cette situation lui imposait des devoirs nouveaux qu'il refusait de trahir. Chambord fut consterné de ce refus qui lui enlevait tout moyen d'agir. Je croyais avoir affaire à un connétable de France, dit-il plus tard, je n'ai trouvé qu'un capitaine de gendarmerie. Il resta pourtant à Versailles pendant toute la discussion sur la prolongation des pouvoirs, assistant chaque jour à une messe dite par un capucin, et attendant une intervention de la Providence. La commission, remaniant la proposition, réduisait la prolongation à cinq ans à partir de la prochaine législature, et :créait une commission de 30 membres nommée dans les bureaux pour l'examen des lois constitutionnelles. Le rapport, rédigé par Laboulaye, du centre gauche, admirateur des États-Unis, se prononçait pour la République. C'est par la monarchie que vous vouliez obtenir un gouvernement constitutionnel. La monarchie s'est effondrée, mais, ce gouvernement que vous désiriez, nous croyons que vous pouvez l'avoir non moins sûrement sous la forme républicaine. Il n'y a pas aujourd'hui d'autre solution. Le gouvernement accepta un compromis : la prolongation des pouvoirs pour sept ans à partir du vote de la loi, avec le titre de Président de la République, et une commission de 30 membres, mais élus au scrutin de liste, de façon à assurer une majorité monarchique. Ces concessions, présentées comme contre-projet par la minorité de la commission, furent annoncées à l'Assemblée par un message (17 novembre) qui demanda le vote immédiat comme marque de confiance. A la discussion publique (18-19 novembre), l'appel au peuple fut rejeté par 492 voix contre 38, et le contre-projet voté par 383 voix contre 317 ; les amendements en vue de rétablir le texte de la commission furent rejetés par des majorités analogues. Une partie du centre gauche, pour consolider la République, vota avec les droites. L'extrême droite, après un discours de Broglie qui promit la neutralité, vota la prolongation, sauf 7 membres qui s'abstinrent. Le représentant politique du comte de Chambord, Dreux-Brézé, donna l'interprétation du vote légitimiste par une circulaire aux comités royalistes (22 novembre) : Ce temps d'arrêt n'est pas une solution définitive. Nous avons pour garants de cette situation intérimaire la loyauté et le désintéressement du maréchal de Mac-Mahon. Le vote de l'Assemblée laissait en suspens toute l'organisation du gouvernement, mais en fixant la durée des pouvoirs du Président. La durée de sept ans, le septennat, devenait une loi constitutionnelle qui ne pouvait plus être modifiée par la procédure législative ordinaire. Cette loi reste la première assise de la Constitution actuelle de la France. Œuvre d'une majorité monarchique, elle donne au Président une durée de pouvoirs plus longue qu'en aucune autre République du monde. VII. — CONFLIT AVEC L'EXTRÊME DROIITE ET CHUTE DU MINISTÈRE. LE duc de Broglie, fortifié par son succès, remania le ministère dans un sens orléaniste. Les deux représentants de la droite se retirèrent, ainsi que les deux ministres professeurs (Beulé et Batbie), qui n'avaient pas réussi. De Broglie prit pour lui l'Intérieur, et donna les Affaires étrangères au duc Decazes, ambassadeur à Londres. Decazes Posa pour conditions Ide ne tolérer aucune manifestation contre des pouvoirs de Mac-Mahon et de ne pas soutenir les partisans du pouvoir temporel ; c'était la rupture avec l'extrême droite. On créa un ministère spécial des Cultes (détaché de l'instruction publique), et 4 sous-secrétaires d'État. Les 5 ministres nouveaux étaient 2 modérés de la droite, 2 orléanistes. 1 indifférent (de Fourtou) sorti du centre gauche et bien vu des impérialistes. C'était un ministère orléaniste par son chef et sa majorité, dirigé en commun par de Broglie, l'ennemi des radicaux, et Decazes, l'adversaire des légitimistes. Il exposa sa politique dans une circulaire aux agents diplomatiques (25 novembre) : La France attend une politique ferme et modérée, qui fasse respecter l'autorité et les lois, contienne l'esprit révolutionnaire, protège les intérêts conservateurs, et assure par là le développement pacifique de la prospérité nationale. Le centre gauche (Léon Say) interpella sur la non-convocation des électeurs, et reprocha au ministère de fausser la volonté du pays en laissant des sièges vacants au moment où un vote de la majorité pouvait décider de ses destinées. De Broglie répondit que les républicains, en jouant avec de telles paroles, jouaient avec le feu et le pétrole. La commission des lois constitutionnelles, élue en séance, après dix jours (le scrutin, fut composée de 25 royalistes et 5 républicains ; hostile à toute organisation définitive, elle prit le parti de faire durer son travail sous prétexte d'étudier les constitutions des États d'Europe et. d'Amérique. La constitution, qui devait être le complément du septennat, fut donc ajournée indéfiniment. Le ministère reprit la lutte contre les républicains. Pendant les vacances, de Broglie avait ordonné aux préfets d'enlever (des mairies le buste de la République. Il présenta une loi qui donnait au gouvernement le droit de nommer les maires dans toutes les communes ; la gauche lui reprocha de renier ses principes de décentralisation et de rétablir le régime municipal de l'Empire. La loi fut discutée après le budget, à la rentrée des vacances du jour de l'an (1874). La gauche, profitant du retard de nombreux royalistes, demanda l'appel nominal au scrutin secret sur l'ajournement proposé par un légitimiste ; il passa (par 268 voix contre 226). Ce vote de surprise fut annulé par un ordre du jour de confiance (de 366 voix contre 305), et la loi passa à une forte majorité (20 janvier), à titre provisoire, en attendant le vote d'une loi organique. Mais un amendement du centre gauche, obligeant le gouvernement à choisir pour maire un conseiller municipal dans les communes au-dessous de 3.000 âtres, ne fut repoussé que par 4 voix. C'est l'agonie de la majorité, dit de Broglie. L'extrême droite, mécontente déjà du septennat, ne soutenait plus le ministère. Elle entra en conflit à la fois avec Decazes sur sa politique religieuse et avec de Broglie sur sa politique constitutionnelle. L'Église catholique avait depuis 1871 engagé, à propos des vieux-catholiques, contre les gouvernements de Prusse et de Suisse, une guerre ouverte (surnommée le Kulturkampf). Quelques évêques français publièrent des lettres pastorales contre les gouvernements persécuteurs. L'évêque de Nîmes disait : Quoi de plus abject que cette haine des Césars pontifes pour tous les prélats et les ecclésiastiques honnêtes ? L'Allemagne de Bismarck a voulu continuer cette tradition de bassesse et d'immoralité. L'ambassadeur allemand réclama. Le ministre des Cultes se borna à envoyer aux évêques une circulaire (qui ne fut même pas insérée à l'Officiel), pour les prier de ne pas exciter au dehors de susceptibilités, et leur recommanda le respect des pouvoirs établis (26 décembre). L'évêque de Périgueux, malgré la prière du préfet, publia dans l'Univers un mandement contre les actes du césarisme qui sévit... avec une violence inouïe en Suisse et en Allemagne. Un arrêté du gouverneur de Paris, en vertu de l'état de siège, suspendit pour deux mois l'Univers à cause d'un article de nature à créer des complications diplomatiques (19 janvier). Le lendemain venait en discussion une interpellation sur l'envoi d'un ambassadeur auprès du roi d'Italie. Decazes décida l'Assemblée à l'étouffer par la question préalable, en lisant une déclaration de paix à l'adresse du gouvernement italien. La France devait, tout en entourant d'un pieux respect le Pontife auguste... entretenir sans arrière-pensée avec l'Italie, telle que les circonstances l'ont faite, les relations de bonne harmonie pacifiques et amicales que nous commandent les intérêts de la France.... Nous voulons la paix. Nous la défendrons contre les vaines réclamations, contre les regrettables excitations, d'où qu'elles viennent. C'était dire qu'on interdirait les manifestations pour le pouvoir temporel. Sur la question constitutionnelle, le conflit fut engagé par les journaux conservateurs, qui discutaient la portée du septennat. Les légitimistes. voyant dans la prolongation des pouvoirs un expédient provisoire, disaient que l'Assemblée, d'accord avec Mac-Mahon, avait le droit à tout moment de restaurer le roi, et reprochaient à d'Audiffret et à Decazes de créer une République de sept ans sous la garde du maréchal, pour renvoyer la restauration jusqu'à la fin du septennat. L'Union, organe du comte de Chambord, repoussant l'interprétation donnée par les meneurs du centre droit, déclara que, si la droite appuyait de Broglie, c'est que, pour conserver son portefeuille, il renonçait à faire de la septennalité un dogme nouveau. De Broglie, dans une circulaire aux préfets publiée à l'Officiel (23 janvier), soutint la théorie du centre droit. Le pouvoir remis à Mac-Mahon est dès à présent, et pour toute la durée que la loi lui assigne, élevé au-dessus de toute contestation.... Défendre le pouvoir du maréchal, c'est défendre l'Assemblée qui l'a créé et le repos de la société qu'elle a confié à sa garde. Il fit faire par le maréchal lui-même une déclaration au président du Tribunal de Commerce de Paris, venu pour exposer les souffrances du commerce parisien (4 février) : L'Assemblée m'a remis le pouvoir pour sept ans.... Soyez donc sans inquiétude. Pendant sept ans je saurai faire respecter de tous l'ordre de choses légalement établi. Le chef du parti impérialiste Rouher approuva le régime provisoire intangible, qui laissait au prince impérial le temps de mûrir. Il engagea son journal à respecter le septennat, comme une trêve avantageuse aux impérialistes : Il réserve l'avenir et l'expression définitive de la volonté nationale.... Le jour venu, il n'y aura en présence que deux formes de gouvernement, la République et l'Empire. Mais l'extrême droite protesta ; l'Union dit : Il est inadmissible que la droite royaliste eût voulu prononcer le bannissement légal du comte de Chambord pendant sept ans.... La loi n'a pas été l'acheminement vers le régime républicain, mais une préface de la monarchie. Ses auteurs... ont entendu se réserver la faculté de changer par les lois constitutionnelles la forme républicaine du gouvernement actuel, et d'y substituer la forme monarchique. Le ministère fit avertir officieusement l'Union ; elle répliqua. Un vote d'Assemblée n'est pas un principe, car un vote différent peut le défaire. Cette polémique rendit aigu le désaccord entre les ministres ; de Larcy menaça de se retirer si on frappait l'Union ; Fourtou, si on ne la frappait pas. De Broglie, pris entre les ministres légitimistes qui ne voulaient aucune poursuite et ceux qui lui demandaient s'il tolérerait ces audaces, finit par envoyer un communiqué à l'Union, et une circulaire aux procureurs généraux pour les inviter à réprimer les attaques contre les pouvoirs du maréchal. La commission des lois constitutionnelles avait discuté d'abord le régime électoral proposé par les conservateurs, vote à deux degrés, vote plural, représentation des intérêts, et décidé d'exiger pour être électeur trois ans de domicile comme la loi de 1850 (janvier-février). Puis elle s'occupa de la seconde Chambre : une moitié serait nommée par le Président, l'autre élue par différents corps. Le désaccord s'aggravait entre l'extrême droite et le ministère sur la décision à prendre en cas de disparition inopinée du Président. De Broglie travaillait à le faire remplacer par un prince d'Orléans ; les légitimistes voulaient faire décider par l'Assemblée la forme du gouvernement définitif. Gambetta, pour brouiller le ministère avec les légitimistes, l'interpella sur les tentatives de restauration monarchique ; de Broglie répondit : Le pouvoir est conféré pour sept ans d'une manière incommutable au maréchal.... La durée de ce pouvoir est élevée au-dessus de toute contestation. Un légitimiste répliqua que la démission de Mac-Mahon suffisait pour supprimer le septennat et faire la restauration. Je ne crains pas que le maréchal fasse attendre le roi de France acclamé par tous à la porte du septennat (18 mars). Les chefs orléanistes savaient le conflit inévitable avec la droite, mais ils différaient d'avis. D'Audiffret proposait de rompre avec les impérialistes et les chevau-légers, et de former une majorité avec le centre gauche. Buffet ne voyait pas d'issue autre que la discussion prompte des lois constitutionnelles. Broglie, engagé envers la coalition des droites, ne voulait pas gouverner avec une coalition des centres ; mais il luttait pour l'honneur, sans illusion. La rupture se fit après les vacances de Pâques sur une question de priorité. Le ministère proposa de discuter d'abord la loi électorale politique (pour l'élection de la Chambre), sur laquelle tous les conservateurs pouvaient s'accorder, car elle diminuerait le nombre des électeurs républicains. Les gauches réclamèrent la priorité pour la loi électorale municipale. Les bureaux des groupes de droite discutèrent sans arriver à un accord complet ; les légitimistes hésitaient à consolider le régime en votant une loi constitutionnelle. L'extrême droite ne prit pas de résolution, et laissa le ministère s'engager en posant la question de confiance. Puis elle vota avec les gauches et les impérialistes contre la priorité, qui fut rejetée par 381 voix contre 317 (16 mai 1874). Le ministère du 24 mai, formé par une coalition entre tous les groupes de droite, était renversé par une coalition entre les deux extrémités. La campagne du gouvernement conservateur pour rétablir l'ordre moral n'avait rien changé au vote des électeurs. Sur 14 élus, depuis le 24 mai jusqu'en mars 1874, 13 étaient républicains, 1 impérialiste, aucun royaliste. VIII. — CONFLIT AVEC LES IMPÉRIALISTES. LE duc de Broglie, sorti du ministère, resta le conseiller de Mac-Mahon, qui, sous les formes du régime parlementaire, exerçait une autorité personnelle par le choix des ministres. Les orléanistes gardèrent donc le pouvoir. Leurs chefs, Decazes et d'Audiffret, chargés de former un cabinet, essayèrent de revenir à la conjonction des centres. Mais la droite refusa d'opérer avec le centre gauche démagogique. D'Audiffret proposa de se passer d'elle en prenant tous les ministres dans les deux centres ; mais Mac-Mahon ne voulut pas du centre gauche, et, aucune combinaison n'aboutissant, il se décida à choisir lui-même les ministres (23 mai). Ce furent des hommes du centre droit et de la droite, l'impérialiste Magne resté aux Finances. Le chef nominal fut le général de Cissey, ministre de la Guerre, camarade de Mac-Mahon, étranger à l'Assemblée ; les chefs réels étaient Decazes, resté aux Affaires étrangères, et de Fourtou passé à l'Intérieur. Ce ministère ne déplaisait pas aux légitimistes et satisfaisait les impérialistes. Le centre droit orléaniste, par un procès-verbal publié le 4 juin, lui donna son approbation et indiqua son programme : Le centre droit est convaincu qu'il obéit au sentiment du pays en exprimant sa volonté de laisser intacte la trêve de sept années qui doit être consacrée à l'apaisement des partis et à la réparation de nos désastres. Ce n'est qu'à l'expiration de ce ternie que la forme du gouvernement pourra être de nouveau agitée sans péril. Le centre droit est décidé à maintenir le titre donné au cher du pouvoir exécutif par les lois existantes, et à repousser toute proposition qui tendrait à empêcher, retarder ou affaiblir le vote des lois constitutionnelles. Ce programme, voté par 53 membres (sur 160 inscrits et 63 présents), révélait le désaccord dans l'intérieur du groupe. Il tendait à organiser une république provisoire et à interdire pendant sept ans tout essai de restauration ; c'était le septennat impersonnel, solution de d'Audiffret, qui cherchait l'alliance du centre gauche. Mais une partie du centre droit, d'accord avec la droite, pour laisser la porte ouverte à la monarchie, voulait ne garantir le pouvoir qu'à Mac-Mahon en personne ; c'était le septennat personnel, que de Broglie préférait. Le centre gauche répondit à ces avances par un procès-verbal (6 juin), où il réclamait la constitution immédiate de la République' et refusait de se placer sur le terrain du septennat. Le projet de loi constitutionnelle présenté par Thiers serait pour la France un gage certain de stabilité en faisant de Mac-Mahon, non pas le Président d'une République de sept ans, mais pour sept ans le Président de la République.... Le centre gauche verrait avec regret que la dissolution de l'Assemblée devint la conséquence immédiate et inévitable d'un refus ou d'une impossibilité de constituer ; mais il ne reculerait pas devant cette nécessité. Le gouvernement, continuant la politique de combat, se servait de l'état de siège contre la propagande républicaine. Il interdisait aux colporteurs de vendre les journaux républicains. Un recensement comparé des mesures prises contre la presse, publié par le Siècle, donnait pour les 26 mois de présidence de Thiers un total de 52, pour les sept premiers mois de présidence de Mac-Mahon un total de 210, dont 192 contre des organes républicains (28 supprimés, 20 suspendus). Dans les communes républicaines, le ministère nommait des maires conservateurs, suspendait les conseils municipaux républicains et les remplaçait par des commissions municipales. Dans l'administration, il nommait d'anciens préfets et sous-préfets ; les républicains se plaignaient de voir reparaitre le personnel de l'Empire. Les impérialistes, encouragés par l'échec de la restauration, parlaient ouvertement de rétablir le prince impérial, qui recevait en Angleterre la visite de ses partisans. Le parti s'organisait pour les élections et la propagande. Dans un département républicain, la Nièvre, il fit élire un ancien écuyer de Napoléon III. Les républicains s'alarmèrent ; l'élection de la Nièvre fut violemment contestée. Une circulaire égarée montra que le Comité central de l'Appel au peuple, pour recruter des partisans parmi les officiers en retraite, se disait en mesure de les pourvoir avantageusement dans l'armée territoriale. La commission d'enquête sur l'élection de la Nièvre étendit ses recherches à toute l'organisation du parti impérialiste, et découvrit un comité de comptabilité chargé de procurer les fonds, des comités départementaux en relations avec le Comité central, des bureaux pour la vente des portraits du prince impérial et des images de propagande. La lutte contre le parti impérialiste passionna l'opinion publique. Il y eut à l'Assemblée des scènes violentes entre républicains et impérialistes, une altercation entre Rouher et Gambetta : Il est des hommes à qui je ne reconnais ni titre ni qualité pour demander des comptes, ce sont les misérables qui ont perdu la France. Dans la gare Saint-Lazare où la foule attendait les trains de l'Assemblée, une rixe éclata entre impérialistes et républicains, Gambetta fut insulté ; on eut l'impression que les agents de police défendaient mollement les députés. Le Pays, organe impérialiste, leur reprocha au contraire d'avoir hésité devant le prestige des représentants, et les engagea à empoigner et mener au poste ces élus de la radicaille... ces poltrons de la Défense nationale. Les présidents de tous les groupes, excepté l'Appel au peuple, se réunirent pour aviser, et décidèrent une interpellation. Mais les conservateurs voulaient introduire dans l'ordre du jour un blâme contre les violences de Gambetta ; on ne put s'entendre. La gauche seule présenta l'interpellation (13 juin). De Fourtou, désireux de ménager les impérialistes, répondit en insistant sur les violences des républicains. La majorité vota sans entrain l'ordre du jour pur et simple. Le ministère suspendit le Pays et un journal républicain. Le ministère resta ébranlé par le désaccord entre Decazes, hostile à l'alliance bonapartiste, et ses deux collègues, le ministre de la Guerre Cissey, compromis par la circulaire aux officiers de la Nièvre, et le ministre de l'intérieur de Fourtou, protecteur des impérialistes. IX. — CONFLIT SUR LES LOIS CONSTITUTIONNELLES. LES conservateurs parlementaires, hésitant entre les deux centres, craignaient le retour de l'Empire, que semblait faciliter le maintien indéfini du provisoire. Le inonde de la Bourse restait hostile à la République ; mais les commerçants et les industriels déclaraient que l'incertitude de l'avenir politique paralysait les affaires. Le centre gauche, profitant de cette impression, proposa une résolution invitant la commission constitutionnelle à prendre pour base de ses travaux : 1° le projet de Dufaure : Le gouvernement de la République française se compose de deux Chambres et d'un Président ; 2° la loi du 20 novembre 1873 (le septennat) ; 3° le droit de révision de la Constitution. L'Assemblée vota l'urgence (15 juin), par 345 voix contre 341. Les gauches, pour établir la République, se résignaient à reconnaître implicitement le pouvoir constituant de l'Assemblée. Les autres partis opposèrent chacun leur motion. Le centre droit invita l'Assemblée à organiser le septennat avec deux Chambres, en suspendant le droit de réviser jusqu'à l'expiration des pouvoirs de Mac-Mahon. La droite proposa de maintenir le mandat donné à la commission, sans rien organiser, pour laisser la porte ouverte à la monarchie. Un impérialiste réclama l'appel à la nation. Un légitimiste d'extrême droite proposa de déclarer que le gouvernement de la France est la monarchie, et de nommer Mac-Mahon lieutenant général du royaume. De ces cinq solutions, aucune ne pouvait réunir une majorité, et l'Assemblée tomba dans une confusion qui dura un mois et demi (jusqu'aux vacances). La commission constitutionnelle décida de ne plus communiquer de compte rendu aux journaux, sous prétexte de ne pas engager ses membres en publiant leur opinion, en réalité de peur de montrer les hésitations du centre droit. Elle rejeta la proposition du centre gauche (23 juin), et nomma, pour formuler en articles les points essentiels, une sous-commission de 3 membres, dont un des Trente s'amusa à décrire ainsi l'embarras : La commission a nommé une sous-commission chargée de lui faire un rapport sur la manière dont il serait possible de chercher un moyen qui permit de trouver une façon d'imaginer une formule à l'aide de laquelle on pût essayer de proposer à l'Assemblée des résolutions rédigées en un projet propre à garantir les plus heureux effets sans cependant que l'on ait rien fait du tout. La sous-commission adopta le projet du centre droit, mais sans oser supprimer le titre de Président de la République, car, en cas d'insuccès, ce serait écrire à l'encre ce qui n'était écrit qu'au crayon. La dislocation de la majorité apparut dans la discussion de la loi sur les élections municipales. La commission, pour écarter les républicains et augmenter la force des conservateurs, proposait le droit de suffrage à vingt-cinq ans, trois ans de domicile, l'adjonction aux conseillers municipaux d'un nombre égal des plus fort imposés de la commune. L'Assemblée rejeta toutes ces innovations, et maintint le régime existant, en prorogeant pour deux ans la loi provisoire qui donnait au gouvernement le droit de nommer tous les maires (20 juin). L'extrême droite ayant déclaré qu'elle ne laisserait passer aucun projet qui serait directement ou indirectement la négation de la monarchie, il ne pouvait se former de majorité tant que les deux centres se combattraient. Entre le centre droit et le centre gauche la lutte continuait sur des questions de procédure ; chacun des deux cherchait à faire discuter d'abord le projet de l'autre pour le faire rejeter. Le centre droit dominait la commission constitutionnelle, et en profitait pour empêcher l'organisation définitive. Le comte de Chambord accrut la division par un manifeste irrité aux Français (2 juillet). Il leur reprochait d'avoir demandé le salut de notre patrie à des solutions temporaires, et d'être séparés de lui par une barrière de préjugés. Puisque son silence servait de prétexte à d'incessantes récriminations, il protestait contre les erreurs et les mensonges, et s'étonnait que l'intelligence proverbiale de notre race n'eût pas mieux compris sa déclaration d'octobre 1873. La monarchie chrétienne et française est dans son essence une monarchie tempérée. Il voulait un pouvoir réparateur et fort... pas de luttes stériles de Parlement ; il repoussait la formule d'importation étrangère : Le roi règne et ne gouverne pas. Le gouvernement suspendit l'Union pour avoir publié ce manifeste. La droite, bien que mécontente du roi, protesta. Le ministre de l'Intérieur se justifia en disant que les pouvoirs de Mac-Mahon étaient, pendant sept ans, au-dessus de tous les partis. L. Brun, de l'extrême droite (interpellant le 8 juillet), reprocha au ministère de résoudre par une interprétation administrative la question de la forme du gouvernement, réservée par l'Assemblée. Son ordre du jour purement légitimiste ne réunit que 79 voix. Mais l'ordre du jour du centre droit : soutenir énergiquement les pouvoirs confiés pour sept ans au maréchal, fut rejeté par la coalition des gauches et de l'extrême droite. L'ordre du jour pur et simple, proposé pour sauver le ministère, ne passa qu'à 24 voix de majorité, grâce à une partie de l'extrême droite. Le lendemain, Cissey lut à l'Assemblée un message de Mac-Mahon, exposant la théorie du septennat incommutable : Les pouvoirs dont vous m'avez investi ont une durée fixe. Votre confiance les a rendus irrévocables et, devançant le vote des lois constitutionnelles, vous avez voulu en nie les attribuant enchaîner votre souveraineté. Ces pouvoirs dont le terme ne peut pas être abrégé, j'userai pour les défendre des moyens dont je suis armé par les lois. La conclusion inattendue fut l'annonce d'un projet d'organisation des pouvoirs publics. Mac-Mahon chargeait les ministres de faire connaître sans retard à la commission les points sur lesquels il insistait. Le centre gauche félicita le gouvernement qui lui venait en aide, et proposa d'inviter la commission à déposer son rapport. Le ministre de l'Intérieur vint exposer à la commission les trois points que le gouvernement désirait voir détachés de l'ensemble des projets et résolus à bref délai : 1° le scrutin uninominal par arrondissement ; 2° le droit du Président de nommer une forte partie des membres du Sénat ; 3° le droit de dissoudre la Chambre. Ce projet, probablement inspiré par de Broglie, aurait constitué, au profit du Président Mac-Mahon d'abord, puis d'un prince d'Orléans, une monarchie de fait dont il aurait suffi de changer le titre. Il ne plut à aucun groupe, pas même au centre droit, dont une partie préférait le septennat impersonnel. Le ministre des Finances impérialiste, Magne, mis en forte minorité sur une question d'impôt (16 juillet), se retira. De Fourtou, en désaccord avec Decazes sur la politique envers les impérialistes, donna sa démission. L'Intérieur, refusé par Bocher, l'homme des princes d'Orléans, fut donné au vieux général Chabaud-Latour, les Finances à Mathieu-Bodet. Le ministère, dirigé par Decazes seul, prit une couleur plus orléaniste et se dégagea des impérialistes (21 juillet). Decazes voulait tenir le ministère neutre dans la lutte constitutionnelle. Mais quand la proposition du centre gauche sur l'organisation des pouvoirs vint en discussion, Cissey, envoyé par Mac-Mahon, sur le conseil de Broglie, la combattit comme destinée à proclamer la République gouvernement définitif pour la satisfaction d'un parti, et invita l'Assemblée à organiser d'abord pour sept ans. La proposition fut rejetée par 374 voix contre 333 (23 juillet), et la discussion des lois constitutionnelles ajournée jusqu'au retour des vacances. La dissolution, demandée par toutes les gauches, fut proposée par la commission où les républicains avaient eu la majorité grâce à l'absence de beaucoup de conservateurs ; mais l'urgence fut rejetée (29 juillet)... Puis, comme il faisait extrêmement chaud, l'Assemblée se mit en vacances (6 août) jusqu'au 30 novembre. Le ministère profita des vacances pour essayer de rendre Mac-Mahon populaire en lui faisant faire une tournée dans les régions conservatrices, l'Ouest (en août), le Nord (en septembre). Mais il ne put empêcher l'évêque d'Angers de le recevoir par un discours légitimiste. Le gouvernement continua à frapper les municipalités et les journaux républicains et à faire soutenir ses candidats par les fonctionnaires. A une protestation de la commission de permanence, le ministre de la Justice répondit que le gouvernement avait le droit de signaler ses amis, les préfets le droit de se concerter avec les maires, et les maires le droit de faire connaître leurs préférences aux électeurs. Le total des élections complémentaires à l'Assemblée depuis le 24 mai 1873 donnait 22 républicains, 6 impérialistes, pas un seul royaliste, pas même en Maine-et-Loire. Ces élections, où tout un département avait un seul siège à donner, trompaient sur la force réelle des partis ; car la masse des électeurs y restait indifférente et les opposants venaient voter pour manifester contre le régime provisoire. A la rentrée (1er décembre) la droite revint découragée. D'Audiffret fut élu vice-président, malgré les impérialistes, grâce à quelques voix du centre gauche. Les groupes de droite essayèrent de faire renvoyer encore les projets d'organisation ajournés après les vacances. De Broglie fit intervenir Mac-Mahon pour imposer un septennat avec pouvoir prépondérant de l'Exécutif. Mais, voulant ménager les légitimistes, il remania le message du Président dans un sens plus conservateur. Le Président se déclara résolu à protéger le pays agité par la propagation des plus pernicieuses doctrines ; il ne faisait qu'une œuvre de défense sociale. Des lois constitutionnelles il n'était parlé que par périphrase : mesures de sage prévoyance pour garantir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics (3 décembre). Le conflit s'engagea sur l'ordre des discussions. La commission constitutionnelle voulait commencer par le Sénat, destiné à armer Mac-Mahon contre la Chambre élue. Le centre gauche réclama d'abord la loi d'organisation des pouvoirs publics, qui fixerait la forme définitive du gouvernement ; il résolut de n'examiner aucun projet particulier avant le projet d'ensemble (18 décembre). La droite tint plusieurs conférences avec l'extrême droite, sans pouvoir la décider ni à proposer la monarchie ni à voter aucune mesure d'organisation. Après les vacances du jour de l'an, il devint évident qu'aucune majorité ne pouvait se former malgré l'extrême droite. Les royalistes ne tenaient pas à faire voter les lois constitutionnelles, mais craignaient qu'une telle manifestation d'impuissance n'amenât la dissolution. On décida Mac-Mahon à tenter une entente avec le centre gauche. Il réunit les chefs de la droite, du centre droit et du centre gauche. Les hommes de la droite, gênés par les ordres du comte de Chambord et les reproches de l'extrême droite, ne voulurent accepter que le septennat personnel. de crainte d'organiser la République. Le centre gauche posa pour condition absolue de reconnaitre la République et de régler d'abord la transmission des pouvoirs du Président ; il repoussa le projet de Sénat. Le centre droit se divisa ; de Broglie, resté l'ennemi du centre gauche. ne voulait pas de Constitution ; il suffirait jusqu'en 1880 au maréchal du droit de dissolution et d'une loi électorale. Les deux autres chefs orléanistes, hostiles à l'Empire, proposèrent de discuter à la fois les deux projets. A la troisième conférence, le centre gauche consentit à laisser voter d'abord la loi sur le Sénat, à condition de ne la promulguer qu'après avoir pourvu à la transmission des pouvoirs. L'accord semblait fait. Mais de Broglie, par son influence personnelle, obtint du maréchal un message (6 janvier) invitant l'Assemblée à discuter d'abord la loi sur la seconde Chambre. La transmission des pouvoirs à la fin du septennat serait réglée de manière à laisser aux Assemblées... la liberté pleine et entière de déterminer la forme du gouvernement ; si Mac-Mahon mourait avant, il désirait que rien ne fût changé jusqu'en 1880. C'était l'ajournement de la République et le septennat impersonnel, solution de Broglie ; les groupes de droite la repoussaient parce qu'elle consolidait trop la République, ceux de gauche parce qu'elle laissait trop d'espoir à la royauté. Sur la priorité pour la loi sur le Sénat demandée par la commission, on vota par assis et levé ; elle fut rejetée par les gauches, les légitimistes et les impérialistes (6 janvier 1875). Le ministère donna sa démission. Il n'y avait plus de majorité. Mac-Mahon négocia avec Larcy de la droite, qui refusa, puis avec Dufaure du centre gauche, mais lui-même répugnait à prendre des ministres républicains. De Broglie se préparait à revenir au pouvoir, mais il ne put s'entendre avec les autres orléanistes (d'Audiffret et Decazes) sur la politique envers les impérialistes. On ne parvint pas à former un cabinet ; le ministère démissionnaire resta en fonctions. La coalition monarchique n'avait plus même la force de faire fonctionner le régime parlementaire. |