I. — FORMATION DU COMITÉ CENTRAL DE LA FÉDÉRATION DES GARDES NATIONAUX. LA population parisienne à la fin du siège se trouvait dans un état anormal que les témoins ont défini ivresse morale, délire moral, folie obsidionale ; état morbide produit par la claustration, l'inaction, la nourriture insuffisante, les boissons alcooliques, les déceptions patriotiques et l'irritation contre les gouvernants. Un ouvrier, bon observateur (Corbon), l'expliqua ainsi : C'étaient des ouvriers, et personne n'avait de travail.... Avec leurs 30 sous, quand les hommes étaient sur les remparts, ils buvaient de l'eau-de-vie, et ne mangeaient pas ou mangeaient très peu. Puis, quand ils rentraient à la maison, ils n'y trouvaient point de feu, point d'aliments. Les ménagères étaient de mauvaise humeur, on se querellait. L'armistice et le départ des ministres pour Bordeaux désorganisèrent tout ce qui restait de force organisée, le gouvernement, l'armée, la garde nationale. Le gouvernement de la Défense nationale, réduit à trois ministres et au maire de Paris, J. Ferry, tenait une réunion chaque soir, mais n'était plus obéi. Les maires et adjoints des 20 arrondissements, élus à la suite du 31 octobre, ayant eu la charge de distribuer les subsistances, les secours, les équipements militaires, avaient fini par devenir chacun dans son arrondissement un gouvernement complet ; ils se réunissaient souvent, et leur réunion était devenue une représentation officieuse. L'armée désarmée n'avait été ni emmenée captive ni même cantonnée ; elle restait dans ses casernes et se mêlait à la population. Les gardes nationaux, dit Corbon... flânaient dans les rues et sur les places pêle-mêle avec des soldats et des mobiles désarmés.... Ils formaient sur les places et les promenades de grands cercles... et pratiquaient toutes sortes de jeux de hasard. Une division (de 12.000, puis 15.000 hommes), restée armée, était formée de régiments de marche, soldats pris dans divers corps, sans cohésion, eux aussi vivant au milieu de la population. La garde nationale, formée de tous les hommes valides, organisée en bataillons, sous des officiers élus et un général en chef nommé par le gouvernement, avait été pendant le siège divisée en secteurs, commandés chacun par un amiral. Depuis le départ de ces chefs de secteurs, il ne restait qu'un état-major logé place Vendôme. Les gardes nationaux, qu'il avait paru trop dangereux de désarmer, conservaient leurs armes et leur solde (1 fr. 50 par jour), mais, n'ayant plus ni exercices ni gardes sur les remparts, ils erraient désœuvrés. Ils réclamaient maintenant le droit d'élire leur général comme leurs autres officiers. La majorité donnée par la Seine aux candidats les plus avancés pour l'Assemblée nationale manifesta l'irritation des Parisiens contre le gouvernement (voir chap. IV). L'opposition révolutionnaire fut dirigée par un groupement d'origine légale. Les conseils de famille, créés par la loi de 1851 dans chaque compagnie de garde nationale pour gérer les caisses de secours, avaient pendant le siège pris le contrôle de la solde et des marchés, et même disputé la direction aux chefs de bataillon. Leurs membres, élus par les gardes nationaux, étaient devenus dans les quartiers ouvriers les représentants des ouvriers ; ceux qui étaient membres de l'Internationale se réunissaient en uniforme au siège de leur société, rue de la Corderie, et avaient formé un Comité central, qui publia une liste de candidats des déshérités. Une réunion préparatoire de délégués des gardes nationaux (6 février) convoqua au Vaux-Hall une assemblée (15 février), qui décida de créer une Fédération de la garde nationale et nomma une commission pour rédiger les statuts. L'annonce de l'entrée des Allemands exaspéra les gardes nationaux. L'assemblée générale (de 2.000 délégués), réunie pour approuver les statuts (24 février), protesta contre toute tentative de désarmement et déclara qu'au besoin, elle résisterait par les armes. Elle alla manifester, pour l'anniversaire de la Révolution de 48, sur la place de la Bastille, où les bataillons défilèrent devant le drapeau rouge planté sur la colonne. Le gouvernement, pour éviter un conflit, fit replier les troupes sur la rive gauche. Les gardes nationaux, maitres de la rive droite, décidèrent de soustraire aux Allemands les 227 canons achetés par souscription qu'ils regardaient comme la propriété du peuple de Paris ; ils les emmenèrent dans les quartiers ouvriers, le plus grand nombre à Montmartre et è Belleville (27 février). Le 28, la foule réunie près de la Bastille alla jeter dans la Seine un agent de police en bourgeois soupçonné d'avoir pris en note les numéros des bataillons. Le 3 mars, une assemblée de délégués de 200 bataillons vota les statuts de la Fédération républicaine de la garde nationale, et nomma une commission exécutive provisoire. Un manifeste annonça que la Fédération travaillerait à défendre, par tous les moyens possibles, la République menacée. La Fédération, ratifiée le 13 mars par l'adhésion de 215 bataillons (sur 270), avait pour organes : 1° l'assemblée générale des délégués formée de tous les chefs de bataillon, d'un délégué des officiers par bataillon, et de 3 délégués élus par compagnie ; 2° le Comité central formé de délégués de chaque arrondissement, 1 pour les chefs de bataillon, 3 pour les officiers des autres grades, élus par le conseil de légion, formé lui-même de tous les chefs de bataillon de la légion, et des délégués des cercles de bataillon élus par les compagnies. L'organisation, d'abord restreinte aux quartiers ouvriers, ne s'étendit que plus tard (et partiellement) aux 7 arrondissements bourgeois de l'ouest. Le Comité central, recruté graduellement pendant cette crise, fut formé d'hommes connus seulement des gardes nationaux de leur quartier ; leurs noms obscurs au bas des affiches étonnaient le personnel politique. Mais, dans l'interrègne du gouvernement, ces représentants sans titre légal restaient les seuls chefs de la population ouvrière de Paris. II. — L'INSURRECTION DU 18 MARS. APRÈS le départ de Bordeaux, Thiers était venu s'installer à Paris avec les ministres ; les membres de l'Assemblée arrivaient individuellement à Versailles où la session devait se rouvrir le 20 mars. L'Assemblée avait irrité les ouvriers en supprimant la solde des gardes nationaux avant la reprise du travail, les commerçants en exigeant le paiement des effets de commerce avant la reprise des affaires, les républicains en affectant de ne pas reconnaitre la République pour le régime définitif de la France, tous les Parisiens en transférant sa résidence à Versailles. Pourtant la population de Paris restait calme ; le 16, jour de mi-carême, les cafés étaient pleins et les théâtres jouaient, la Bourse était en hausse. Ce fut l'initiative du gouvernement qui déchaîna le conflit. Le monde des affaires, inquiet de voir les ouvriers en armes, réclama la reprise des canons, comme en 1848 la dissolution des ateliers nationaux. Thiers expliqua son plan au Conseil (17 mars), et le justifia par un manifeste signé des ministres, qui fut affiché dans la nuit : Des hommes malintentionnés, sous prétexte de résister aux Prussiens... se sont constitués les maîtres d'une partie de la ville... y montent la garde, vous forcent à la monter par ordre d'un comité occulte.... Le temps qu'on a accordé aux hommes de bonne foi pour se séparer des hommes de mauvaise foi est pris sur votre repos.... Le commerce est arrêté, vos boutiques sont désertes, vos bras sont oisifs..., les capitaux hésitent à se présenter.... Les coupables qui ont prétendu instituer un gouvernement à eux vont être livrés à la justice régulière. Les canons dérobés à l'Etat vont être rétablis dans les arsenaux. Que tes bons citoyens se séparent des mauvais, qu'ils aident à la force publique au lieu de lui résister.... Parisiens... vous nous approuverez de recourir à la force, car il faut à tout prix... que l'ordre, condition de votre bien-être, renaisse entier, immédiat, inaltérable. L'opération, préparée en secret, commença avant l'aube avec 12.000 soldats, à la fois dans deux quartiers. A Belleville. les troupes furent repoussées sans accident par les gardiens des canons. Sur la Butte Montmartre, alors à l'état de terrain vague, les sergents de ville et les troupes surprirent les canons à peine gardés. Mais les attelages commandés pour les emmener n'arrivèrent pas. La population, sortant des maisons, femmes, enfants, vieillards, vint se mêler aux soldats, criant : Vive la ligne ! Nous ne voulons pas nous battre, nous sommes des frères ! Les soldats du 88e, enveloppés par la foule, hésitèrent. Le général Lecomte, après une sommation, ordonna de tirer. Les soldats n'obéirent pas, le général en fit arrêter quelques-uns par les sergents de ville. Puis il ordonna de faire feu. Les soldats jetèrent leurs fusils, ou mirent la crosse en l'air, et fraternisèrent avec les gardes nationaux. Lecomte fut arrêté et emmené au bal public du Château-Rouge, où siégeait le comité local de vigilance du XVIIIe, qui le fit transférer au poste de la rue des Rosiers, plus facile à défendre. Une foule exaspérée entoura le poste, brisa les fenêtres et menaça de mort le général. Vers cinq heures, Clément Thomas, l'ancien général en chef de la garde nationale, impopulaire pour avoir combattu les insurgés de 1848 et parlé avec mépris des gardes nationaux après Buzenval, fut reconnu place Pigalle, arrêté et amené à Montmartre par une foule en fureur. Un Garibaldien proposa de former une cour martiale pour juger les deux généraux, mais il semble qu'ils furent tous deux fusillés sans même un simulacre de jugement. Les officiers subalternes furent épargnés. Ce meurtre, dont aucun des auteurs véritables n'a été connu (ceux qu'on a condamnés étaient de simples spectateurs), souleva une indignation qui rendit toute conciliation impossible. L'opinion en rendit responsable le Comité central, qui commença à passer pour un ramassis de malfaiteurs. Une proclamation des ministres lui reprocha d'avoir assassiné de sang-froid les généraux, et commis des crimes abominables. Aux premières propositions de négociations, Jules Favre, depuis longtemps en conflit avec les ouvriers parisiens, répondit : On ne traite pas avec des assassins. Le gouvernement avait d'abord fait appel aux gardes nationaux partisans de l'ordre par deux proclamations (du général en chef et du ministre de l'Intérieur). Le gouvernement n'a d'autre but que le salut de la République.... Il a voulu en finir avec un Comité insurrectionnel dont les membres, presque tous inconnus à la population, ne représentent que les doctrines communistes. On battit le rappel dans les quartiers bourgeois ; les gardes nationaux ne vinrent pas. Vers huit heures, les gardes nationaux des quartiers ouvriers descendirent vers le centre de Paris, et entraînèrent un régiment, qui livra ses armes. Le gouvernement en Conseil discuta la question décisive : disputer Paris aux insurgés ou l'évacuer. Les assistants se divisèrent en deux partis, suivant l'impression qu'ils avaient sur les forces en présence. Tous les hommes politiques, qui savaient la faiblesse du mouvement révolutionnaire, voulaient rester dans Paris. Le ministre de la Guerre, .ému par l'état moral des troupes, demanda l'évacuation complète ; il a dit plus tard : Cette opinion prévalut parmi les militaires, pas parmi les autres membres du gouvernement. Thiers décida d'abandonner tout Paris, même les quartiers hostiles aux insurgés. Il a expliqué (à l'enquête de l'Assemblée) qu'il avait voulu exécuter le plan que lui-même proposait en 1848 à Louis-Philippe, et que le général autrichien Windischgrätz avait employé avec succès contre Vienne : sortir de la capitale pour y rentrer ensuite avec une armée. Il voulut tirer les troupes du chaos, les séparer de la population de Paris et les concentrer à Versailles, pour défendre l'Assemblée, réorganiser Farinée et faire le siège de Paris. Il retira aussi les troupes des forts que les Allemands n'avaient pas occupés, même du Mont-Valérien, où il ne resta qu'une centaine de chasseurs peu sûrs. Thiers partit dans l'après-midi en voiture pour Versailles. J. Ferry, maire de Paris, protesta par une série de dépêches contre l'ordre d'évacuer les casernes qui défendaient l'Hôtel de Ville ; il exigea un ordre positif pour commettre une telle désertion et un tel acte de folie. — Les ministres, réunis le soir dans une maison privée, essayèrent encore d'empêcher l'évacuation. Mais le ministre de la Guerre donna aux troupes l'ordre du départ, abandonnant sans combat aux insurgés toute l'enceinte de Paris et les forts du sud, avec les armes, les canons, les munitions. Quelques membres du Comité central, trouvant l'Hôtel de Ville désert, s'y installèrent pour préparer l'élection de la Commune. Duval prit possession du siège de l'état-major, place Vendôme. Dans la nuit, le Comité donna le commandement de la garde nationale à Lhuillier, officier de marine alcoolique et déséquilibré. Mais aucune mesure offensive ne fut prise, ni ce soir-là pour arrêter les ministres, ni les jours suivants pour marcher sur Versailles, et, quand on pensa au Mont-Valérien, on le trouva réoccupé par un régiment. Le 18 mars n'avait été qu'un soulèvement spontané de gardes nationaux et de soldats. Le Comité central, devenu inopinément maître de Paris, en profita pour réaliser les deux mesures réclamées par la masse des Parisiens, l'élection du conseil municipal de la Commune de Paris, l'élection du général en chef de la garde nationale. Il l'annonça (19 mars) par deux proclamations : l'une Au peuple, le félicitant d'avoir secoué le joug, et le convoquant pour faire ses élections communales, l'autre aux gardes nationaux. Nous avons chassé ce gouvernement qui nous trahissait.... Notre mandat est expiré.... Préparez et faites de suite vos élections communales.... En attendant, nous conservons au nom du peuple l'Hôtel de Ville. Mais le Comité essaya de donner à la convocation un caractère légal en s'entendant avec les maires, enclins de leur côté à la conciliation. III. — LES TENTATIVES DE CONCILIATION. IL restait dans Paris deux autorités légales : 1° la réunion des maires, à laquelle le ministre de l'Intérieur, en partant, avait, vu les circonstances... pour sauvegarder l'intérêt des personnes et maintenir l'ordre... délégué... l'administration provisoire de la Ville de Paris ; 2° l'amiral Saisset, nommé le 20 mars commandant supérieur de la Seine. Le Comité central envoya des délégués discuter avec la réunion des maires, transférée depuis le 18 dans la mairie du IIe arrondissement, à la limite des quartiers bourgeois. Alors commencèrent à Paris, entre le Comité-et la réunion des maires, des allées et venues et des négociations, compliquées par des essais de conciliation à Versailles avec le gouvernement et l'Assemblée, parallèlement avec des efforts pour rassembler les gardes nationaux des quartiers bourgeois contre les insurgés. Cet enchevêtrement de tentatives manquées, où les essais sincères d'entente se distinguent mal des manœuvres du gouvernement pour gagner du temps, peut se ramener à trois séries d'opérations. 1° Le 19 mars, les maires et adjoints et quelques députés de Paris réunis dans l'après-midi désignèrent des délégués. Le Comité central les reçut le soir ; un délégué, Clemenceau, maire de Montmartre et député, blâma la résistance à l'enlèvement des canons et le meurtre des généraux, et engagea le Comité à céder l'Hôtel de Ville aux maires, qui demanderaient à l'Assemblée de reconnaître les droits de Paris. On lui objecta que les maires, impopulaires à Paris, n'avaient aucune influence à Versailles. Varlin, ouvrier relieur, un des chefs les plus estimés de l'Internationale, précisa les demandes des insurgés : un conseil municipal élu, la suppression de la préfecture de police, l'élection de tous les officiers de la garde nationale, la remise des loyers inférieurs à 500 francs, une loi équitable pour les échéances, la retraite de l'Assemblée à vingt lieues de Paris. Quatre délégués du Comité central vinrent discuter (dans la nuit) avec la réunion des élus de Paris ; on proposa un partage qui aurait laissé au Comité central l'état-major et donné l'Hôtel de Ville aux maires. Une proclamation des élus, rédigée par Louis Blanc, promit au peuple de demander le jour même à l'Assemblée l'élection de tous les chefs de la garde nationale et un conseil municipal élu. Mais le Comité de vigilance siégeant rue de la Corderie, renforcé de quelques blanquistes, blâma ce compromis, et déclara que le Comité central ne pouvait se dessaisir ni du pouvoir militaire ni du pouvoir civil. Le Comité central refusa l'accord et convoqua les électeurs au 22 avril pour élire le conseil communal de Paris, en les engageant à voter pour des républicains socialistes connus, dévoués, intelligents, probes et courageux. Il prit possession du Journal officiel, et y publia un appel aux départements, engageant la province à imiter l'exemple de la capitale en s'organisant d'une façon républicaine pour le triomphe définitif de la République démocratique une et indivisible. L'Assemblée, réunie à Versailles (20 mars), nomma une commission de 15 membres pour assister le gouvernement pendant la durée de l'insurrection. La commission rédigea et fit voter un appel aux Citoyens et soldats, les adjurant de se serrer étroitement autour de l'Assemblée contre une minorité factieuse. Les députés de Paris présentèrent une proposition de loi pour créer un conseil municipal élu. Dans une séance violente, Thiers reprocha à Paris de n'avoir pas aidé le gouvernement à le délivrer des insurgés, Jules Favre accusa les gardes nationaux d'avoir assassiné les généraux, et demanda pardon à Dieu et aux hommes de n'avoir pas fait désarmer la garde nationale. L'Assemblée, par un ordre du jour équivoque, se déclara résolue, d'accord avec le pouvoir exécutif, à reconstituer dans le plus bref délai possible les administrations municipales des départements et de Paris sur la base des conseils élus. Une proclamation des élus de Paris (21 mars) déclara illégale toute élection faite avant le vote de l'Assemblée, et invita les bons citoyens à ne pas y prendre part. Un groupe parti des boulevards avec un drapeau tricolore portant l'inscription : Réunion des amis de l'Ordre, aux cris de : Vive l'ordre ! Vive l'Assemblée ! A bas le Comité central ! alla manifester devant l'état-major de la place Vendôme et siffla le délégué du Comité central. Le lendemain (22 mars), une manifestation de gardes nationaux bourgeois sans armes, à laquelle se joignit l'amiral Saisset (pour l'empêcher, a-t-il dit), se heurta, devant l'état-major, à une barrière de gardes nationaux et essaya de la forcer ; après une sommation et un roulement de tambour qui fut mal entendu, une fusillade dispersa la foule ; il y eut 15 morts. Le Comité central renvoya l'élection au 23, prorogea les échéances, fit relâcher les détenus politiques, et avertit que, sans vouloir attenter à la liberté de la presse, il prévenait les écrivains de mauvaise foi passibles des lois sur la calomnie et l'outrage, qu'ils seraient déférés au Comité central. 2° Le 23 mars, les élus de Paris firent une tentative dans l'Assemblée. Le rapport sur leur proposition de convoquer les électeurs concluait au rejet, et le gouvernement déposait un projet d'élections municipales dans toutes les communes, mais sans fixer de délai. L'Assemblée, par 433 voix contre 29, votait la création de bataillons de volontaires des départements pour marcher contre Paris. A la fin de la séance, les maires et adjoints de Paris en écharpes demandèrent à être entendus ; on les fit entrer dans une loge ; les députés de gauche saluèrent leur entrée par des applaudissements ; les maires répondirent par le cri : Vive la République ! Les royalistes protestèrent par des huées, la séance fut levée en tumulte. A la séance du soir, un député-maire lut une déclaration des élus : Paris est à la veille... de la guerre civile. Pour éviter une plus grande effusion de sang, les maires proposaient à l'Assemblée de se mettre avec eux en communication permanente, et de fixer au 28 mars l'élection du général de la garde nationale, au 3 avril celle du conseil municipal. L'Assemblée vota l'urgence (23 mars). Les maires, de retour à Paris, publièrent cette décision, et une affiche, rédigée par l'amiral Saisset, annonça que l'Assemblée accordait la reconnaissance complète des franchises municipales, et l'élection de tous les officiers. Le Comité central fixa les élections au dimanche 28 mars, en expliquant que les élus de Paris travaillaient à entraver ces élections et qu'on devait briser la résistance. Il révoqua le commandant en chef (Lhuillier), coupable d'avoir négligé d'occuper le Mont-Valérien, et le remplaça par trois généraux. Il envoya un bataillon occuper la mairie du Ier arrondissement. Le maire et les adjoints, ne pouvant résister, obtinrent de la mairie du IIe, où se tenait la réunion des maires, l'autorisation de traiter. D'accord avec les chefs de bataillon, les maires convinrent de fixer l'élection au 30 mars. La foule, croyant le conflit terminé, manifesta le soir en défilant la crosse en l'air au cri de : Vive la paix ! Vive le travail ! Mais le Comité refusa ce compromis, en alléguant l'impatience des gardes nationaux excédés par une semaine de garde (24 mars), et il annonça le vote pour le 26. 3° Un Comité de conciliation publia un appel adjurant les maires de convoquer eux-mêmes les électeurs ; la réunion des maires tint séance (25 mars). Mais, à Versailles, la majorité avait paru si irritée des promesses de l'affiche de Saisset, que Thiers, d'accord avec le président de la commission, fit renvoyer la discussion de la proposition des maires. Le bruit courut que l'Assemblée voulait donner le pouvoir exécutif au duc d'Aumale. Cette nouvelle, apportée à Paris, décida la réunion des maires à traiter avec les délégués du Comité central pour ratifier la convocation. La capitulation des maires fut annoncée par deux affiches signées, l'une par le Comité central de la garde nationale auquel se sont ralliés les députés, maires et adjoints, l'autre par les députés, maires et adjoints élus réintégrés dans les mairies et les membres du Comité fédéral de la garde nationale. Cette sanction donnée par une autorité parisienne officielle rendit l'élection légale aux yeux des Parisiens, sans engager l'autorité supérieure du gouvernement français. Les députés de Paris proposèrent à l'Assemblée de ratifier l'accord avec le Comité central en déclarant que les maires avaient agi en bons citoyens. Leur motion fut ajournée par l'Assemblée ; mais elle amena Thiers à donner un démenti aux ennemis de l'ordre, qui l'accusaient de vouloir renverser la République. IV. — INSTALLATION DE LA COMMUNE DE PARIS. UN manifeste du Conseil parisien de l'Internationale et de la Chambre fédérale des sociétés ouvrières invita les travailleurs à voter pour la Commune, afin d'établir... le droit du peuple de Paris de rester maître dans sa ville. Les députés parisiens, escomptant une majorité dans 12 arrondissements, engagèrent à voter pour investir du pouvoir municipal des républicains honnêtes et énergiques. L'élection du Conseil municipal de Paris se fit (26 mars) sur les listes dressées en 1870, au scrutin d'arrondissement, suivant la proportion fixée par le Comité central, 1 par 20.000 habitants, eu tout 90. Le chiffre des votants (229.008 sur 485.000 inscrits) fut normal, vu le grand nombre d'électeurs disparus pendant la guerre ou sortis de Paris après la fin du siège. Le parti des maires n'eut que 19 élus (15 dans 4 arrondissements bourgeois) ; le parti du Comité central en eut 65 (les doubles élections rendaient le total incomplet). C'était la victoire des révolutionnaires. Le Conseil désormais s'appela la Commune de Paris : ce nom combinait avec le souvenir de 1793 la notion d'un pouvoir autonome à demi indépendant. L'installation des élus à l'Hôtel de Ville se fit en cérémonie. Après une salve d'artillerie, le Comité central et le Conseil parurent sur l'estrade dressée en avant du portail décoré de drapeaux rouges ; le président du Comité, au nom du peuple, proclama la Commune de Paris, les musiques jouèrent la Marseillaise, qui fut reprise en chœur par la foule, puis les bataillons en armes défilèrent. Le Conseil, ne trouvant personne pour l'installer, erra dans l'Hôtel de Ville encombré, et se fit ouvrir une salle par un serrurier. Réuni enfin à dix heures du soir, sous la présidence du vieux Beslay, député sous Louis-Philippe et représentant en 1848, il décida de tenir ses séances secrètes et se mit à vérifier les pouvoirs. Un élu du parti des maires, Tirard, protesta contre l'usurpation des attributions politiques par le Conseil, et se retira ; les autres envoyèrent leurs démissions ; 6 radicaux de la nuance de Gambetta se retirèrent au bout de quelques jours. Il ne resta que les révolutionnaires, résolus à la résistance, divisés en groupes d'origine et de tendance différentes. Des ouvriers bons observateurs (Corbon, Tolain) en ont donné le dénombrement : 17 membres de l'Internationale, tous, sauf trois bourgeois, socialistes, ouvriers de métiers à travail individuel, convaincus, libéraux, désireux de réformes sociales, enclins aux procédés légaux et pacifiques ; 8 blanquistes, partisans d'une révolution sociale par voie d'insurrection, privés de leur chef Blanqui, élu par Belleville, mais resté en prison dans le Midi ; 8 membres du Comité central (outre Varlin de l'Internationale et blanquistes), officiers de garde nationale, partisans d'une guerre offensive contre Versailles ; plus de 30 révolutionnaires sans doctrine sociale précise, enclins aux procédés violents et admirateurs de la tradition de 1793 (ce qui les a fait appeler jacobins), quelques-uns anciens représentants de la Montagne (Delescluze, Pyat, Miot, Cambon), la plupart hommes jeunes, entrés dans la politique à la fin de l'Empire, presque tous de professions bourgeoises, journalistes, étudiants, employés, connus comme orateurs de réunions ou condamnés politiques. Cette assemblée, où les bourgeois dominaient, présentait une très grande majorité de gens inexpérimentés, illusionnés, fanatiques ou enivrés de formules, mais très peu de gens de vie suspecte, une demi-douzaine à peine de déclassés d'allures bohêmes (Vallès, R. Rigault, Ferré), et deux déséquilibrés. Le Conseil, dès son premier acte (29 mars), se partagea entre deux tendances opposées. La rédaction du manifeste destiné à définir officiellement sa position fit éclater un conflit de principes, sur la nature du pouvoir qu'il devait s'attribuer. La commission de trois membres chargée de préparer le manifeste présenta un projet rédigé par Lefrançais, de l'Internationale, ancien instituteur, doctrinaire fédéraliste, dans le même esprit que le discours du président d'âge Beslay : la Commune devait se limiter aux affaires parisiennes, Paris devenu autonome conclurait un pacte d'alliance avec les autres communes de France. Mais les blanquistes et les admirateurs de 93 réclamèrent pour Paris un rôle de direction, et firent adopter un manifeste centraliste signé du nom révolutionnaire la Commune de Paris : Le vote du 26 mars a sanctionné la Révolution victorieuse.... Vous avez... repoussé de vos murs ce gouvernement qui voulait vous déshonorer.... Vous êtes maîtres de vos destinées.... Dès l'origine, la division en partis se faisait sur le rôle de Paris. La majorité, formée surtout de bourgeois, voulait, suivant la tradition centraliste de la Commune de 1793, une dictature concentrée à Paris, imposant au nom du peuple un gouvernement à toute la France. La minorité, plutôt ouvrière, gagnée aux nouvelles idées fédéralistes de l'Internationale, concevait l'unité sous forme d'une fédération de communes égales où Paris n'exercerait d'action morale que par son exemple. Deux décrets abolirent la conscription et firent remise aux locataires des trois derniers termes échus. La Commune s'attribuait ainsi un pouvoir législatif. Elle le marqua en remplaçant dans le titre du Journal officiel le mot de la Commune de Paris par de la République française. Puis elle décida d'envoyer des délégués dans les grandes villes de France pour les engager à proclamer la Commune, et elle adopta le calendrier révolutionnaire. La Commune, s'étant constituée en pouvoir souverain, se partagea en 9 commissions ; la principale, la Commission exécutive, élue pour un mois, chargée de signer et d'exécuter les décisions, jouait le rôle de gouvernement : sur 7 membres, 4 étaient blanquistes. Les 8 autres commissions avaient chacune un service spécial : Militaire (7 membres), Sûreté générale (7), Finances (6), Justice (6), Subsistances (7), Travail, Industrie et échanges (8), Services publics (6), Enseignement (8), Relations extérieures (6). Leurs noms même indiquaient des ministères plutôt que des services municipaux. Les membres de la Commune devaient diriger aussi l'administration des arrondissements qui les avaient élus ; ils se firent suppléer par des délégués. Le Comité central remit officiellement ses pouvoirs à la Commune, mais il ne se résigna pas à se dissoudre, et proposa à la Commune de partager les pouvoirs. Il lui reconnaissait le pouvoir politique et civil, mais, comme délégué de la Fédération des gardes nationaux, il représentait la force militaire, et réclamait une autonomie complète, avec le droit d'assurer le fonctionnement de la garde nationale et de préparer toutes les mesures politiques et financières nécessaires pour exécuter ses décisions. Les membres du Comité continuèrent à diriger la garde nationale : ils portaient l'écharpe rouge (à franges d'argent) et donnaient des ordres militaires ; ils disputèrent aux chefs nommés par la Commune la direction de la guerre, et entrèrent parfois en conflit avec la Commune pour les nominations d'officiers. V. — LES TENTATIVES DE COMMUNES DANS LES DÉPARTEMENTS. LA nouvelle du mouvement de Paris décida dans quelques villes les républicains révolutionnaires à tenter de prendre le pouvoir pour défendre la République contre les projets de restauration attribués à l'Assemblée. Personne ne bougea ni dans l'Est, occupé par les Allemands, ni dans le Nord, ni dans l'Ouest. Le mouvement tenté sous le nom de Commune par les gardes nationaux ouvriers se réduisit à 7 villes isolées de la région lyonnaise, du Limousin et du Midi. A Lyon, où le conseil municipal et le maire étaient
républicains, les capitaines de la garde nationale (200 sur 2000) envoyèrent une délégation demander au maire la proclamation de la Commune et l'adhésion au mouvement
parisien. Sur son refus, les gardes nationaux des faubourgs ouvriers (Croix-Rousse et Guillotière) vinrent occuper
les abords de l'Hôtel de Ville. Le soir, le conseil municipal tenant séance,
la foule envahit la salle et fit créer une commission municipale de 13
membres (dont 3 membres du conseil). Le
préfet fut arrêté, le drapeau rouge fut
arboré sur l'Hôtel de Ville (22 mars).
La Commission annonça la décision énergique prise par la garde nationale, émue de
l'attitude de l'Assemblée vis-à-vis des justes
réclamations de la Commune de Paris. Le général commandant la garnison
se retrancha dans le quartier de la gare. Il n'y eut aucune violence, le
travail continua. Ce mouvement, faiblement soutenu, prit fin pacifiquement. Le maire Hénon, vieux républicain (l'un des Cinq), publia un appel à la garde nationale ; il l'adjura de soutenir le conseil municipal librement élu et sincèrement républicain qui, quels que puissent être les sentiments de ses membres à l'égard de l'Assemblée nationale, a refusé... d'entrer dans la voie de la sédition ; 21 chefs de bataillon (sur 24) protestèrent contre la violence faite au conseil. Le bruit courut que des troupes arrivaient ; la commission inquiète relâcha le préfet (24 mars), et publia un appel. La commission provisoire acclamée par la garde nationale ne se sent plus soutenue par elle. Elle se dispersa pendant la réception faite aux mobiles lyonnais revenant de Belfort (25 mars). Le conseil municipal réinstallé décida à l'unanimité d'envoyer une délégation à Versailles demander une conciliation avec Paris (10 avril). La population de la Guillotière, qui passait alors pour la plus turbulente de Lyon, maintint le drapeau rouge arboré à sa mairie. A la fin d'avril une réunion décida d'empêcher les élections municipales du 30 ; le maire ayant suspendu les opérations électorales, un groupe, réuni dans un café, proclama maire un capitaine de garde nationale ; on fit des barricades, on occupa le poste de la mairie. Un corps de troupes, conduit par le général, le préfet et le procureur de la République, vint bombarder la mairie et l'occupa ; une dizaine d'insurgés furent tués. La garde nationale de Lyon fut désarmée. A Saint-Étienne, où le préfet nouvellement nommé n'était pas encore arrivé, le conseil municipal, sur la demande du club ouvrier et de l'Alliance républicaine, discuta (24 mars) une résolution de se retirer en attendant la convocation d'une Commune. Le soir, il reçut, en présence d'une foule de gardes nationaux, deux délégués envoyés par le Comité central de Paris, et repoussa la résolution. Mais la foule occupa la mairie et, le lendemain matin, le maire promit de demander de nouvelles élections. Le nouveau préfet, un ingénieur lorrain, de l'Épée, arrivé la veille au soir, publia une proclamation qui parut provocante, et alla au conseil municipal expliquer qu'il fallait attendre la réponse du gouvernement. L'après-midi, une délégation de la garde nationale vint demander au maire de faire décider par un vote des gardes Nationaux la convocation d'une Commune ; le conseil municipal négocia avec les délégués et avec le préfet revenu à la mairie. Vers quatre heures, les ouvriers de la manufacture d'armes demandèrent à parler au préfet : il refusa de les recevoir. Un coup de fusil, parti d'une maison, tua un ouvrier sur la place. Alors, dans un tumulte de cris, de coups de fusil, de clairons et de tambours, la foule envahit la mairie, déclara le conseil dissous et arrêta le préfet ; il fut gardé dans la salle du conseil et mangea avec ses gardiens. La foule s'était retirée et le danger semblait passé ; le soir, vers dix heures, la foule, étant revenue, excitée par le repas, une bousculade se produisit ; un des gardiens du préfet, aliéné notoire, tira deux coups et tua un fédéré. La foule répondit par une décharge, le préfet fut tué. Une commission exécutive, improvisée par le club républicain, fit évacuer la salle et rédigea une proclamation annonçant l'élection (25 mars). Les gardes nationaux ouvriers continuèrent à camper dans la cour de la mairie. Les troupes envoyées de Lyon cernèrent la mairie (28 mars) ; les insurgés la rendirent, sous condition de se retirer librement. Au Creusot, un ancien ouvrier de l'usine, Dumay, revenu comme délégué du Comité central de Paris, fit battre le rappel et réunir les gardes nationaux en plein air ; il les harangua, la plupart se retirèrent. Ceux qui restèrent le suivirent, et occupèrent la mairie, où fut arboré le drapeau rouge (26 mars). Les troupes arrivées le lendemain furent bien accueillies par la foule. Le 28, le préfet, amenant des renforts, annonça l'accord conclu à Paris entre les maires et le Comité central. Les gardes nationaux lui remirent la mairie sans combat. A Toulouse, l'agitation commença quand le préfet radical Duportal, chef du parti républicain, fut remplacé par un préfet envoyé de Paris. Le conseil municipal démissionna ; la garde nationale occupa le Capitole et nomma par acclamation Duportal délégué de la Commune à la préfecture. Une proclamation expliqua le sens de l'opération. Le corps des officiers de la garde nationale sédentaire constitue la Commune de Toulouse. La Commune déclare vouloir la République une et indivisible, somme le gouvernement de dissoudre l'Assemblée... cause de toutes les difficultés, fruit de la peur et de ta corruption cléricale. Les officiers élurent une commission exécutive de la Commune et un état-major (24 mars). Les gardes nationaux bourgeois partisans du gouvernement se réunirent à l'arsenal. Les magistrats du parquet (procureur général et procureur de la République) publièrent une coutre-proclamation et dirigèrent la résistance légale. Aucun des deux partis ne se montra disposé à combattre ; ils négocièrent, et décidèrent de renvoyer les bataillons à leur domicile. Le nouveau préfet, de Kératry, arrivé (le 27) avec de la cavalerie, barra le pont entre la ville et le faubourg Saint-Cyprien, quartier des partisans de la Commune, et marcha avec ses troupes sur le Capitole. L'Alliance républicaine négocia, la Commune fut dissoute, on décida de créer une municipalité provisoire en attendant les élections (27 mars). A Narbonne, le mouvement fut l'œuvre d'un seul homme, Digeon, républicain de Carcassonne, organisateur de la Ligue du Midi. N'ayant pu décider son ami le maire de Carcassonne à y proclamer la Commune, il alla à Narbonne, où la population s'agitait en l'absence du maire. Il fit envahir la mairie, proclama la Commune et fit acclamer une liste d'élus (24 mars). L'adjoint vint avec une compagnie d'infanterie attaquer la mairie (25 mars) ; il fut pris avec deux officiers. Digeon encadra les prisonniers entre ses gardes nationaux et occupa la sous-préfecture. Alors, prenant le titre de commandant des forces républicaines de l'arrondissement de Narbonne, il envoya des émissaires dans les villes de la région. Deux compagnies de turcos arrivèrent. Digeon fit dresser des barricades et se retrancha (28 mars). Même après la nouvelle des échecs de la Commune en province, il refusa le sauf-conduit apporté par le maire de Carcassonne, et menaça de fusiller ses prisonniers. La barricade fut prise d'assaut, la foule envahit la mairie et dispersa les insurgés (31 mars). A Marseille, l'agitation fut phis longue et moins révolutionnaire. Elle commença à la nouvelle du 18 mars dans une réunion publique, convoquée par un avocat israélite de Nîmes, Crémieux, devenu procureur de la République. On cria : Marseille est avec Paris ! Le maire et le général firent battre le rappel pour rassembler les gardes nationaux du parti de l'ordre (23 mars). Les gardes nationaux ouvriers, irrités, envahirent la préfecture et arrêtèrent le préfet et le secrétaire général. Crémieux harangua la foule et fit proclamer une Commission provisoire de 6 membres. Après des négociations avec le conseil municipal et les délégués des groupes républicains, on créa une Commission départementale provisoire de 12 membres, formée par parties égales de délégués du conseil municipal, du club républicain de la garde nationale, du club du midi, des réunions publiques. Crémieux, élu président, rédigea deux proclamations pour expliquer le mouvement. Nous veillons sur la République jusqu'à ce qu'une autorité nouvelle émanée d'un gouvernement régulier siégeant à Paris vienne nous relever de nos fonctions. Vive Paris ! Vive la République !... Les républicains de Paris et Marseille veulent que Paris et le gouvernement qui y siège gouvernent politiquement la France et, à Marseille, les citoyens marseillais prétendent s'administrer eux-mêmes.... Crémieux, ne voulant faire qu'une manifestation politique, ne prit PRIS aucune mesure militaire ; il ne fit occuper ni la gare, ni Notre-Dame-de-la-Garde, qui domine la ville. Le général avait fait replier ses troupes dans la banlieue ; quand il eut reçu des renforts, il marcha sur Marseille et l'attaqua de grand matin (4 avril). Les gardes nationaux retranchés dans la préfecture résistèrent seuls, sous le feu plongeant des canons tirant de Notre-Dame-de-la-Garde. Après un combat vif et court, ils se rendirent ; la troupe eut. 30 tués et 50 blessés. Le général proclama l'état de siège, ferma les clubs, interdit les réunions, défendit aux journaux de publier aucun acte d'un gouvernement insurrectionnel. Crémieux, condamné par un conseil de guerre, fut fusillé. A Limoges, l'agitation ne se produisit que le 4 avril au départ d'un bataillon envoyé contre Paris. La foule essaya de retenir les soldats, on battit le rappel, les officiers de la garde nationale sommèrent le maire de choisir entre Paris et Versailles ; puis les manifestants, au cri de : Vive la Commune ! envahirent la préfecture. Les cuirassiers chargèrent, leur colonel fut blessé è mort. Les gardes nationaux maîtres de la ville ne purent s'entendre, et se dispersèrent. Tous ces mouvements marquaient plutôt l'exaltation des républicains radicaux, la défiance des gardes nationaux ouvriers envers ne l'Assemblée et leur sympathie pour Paris, que la volonté de s'insurger contre le gouvernement. La Commune de Paris restait isolée. VI. — L'ADMINISTRATION DE LA COMMUNE. LA Commune de Paris, constituée en gouvernement, eut un personnel, une force armée, un budget, et même tenta des réformes. Tous les fonctionnaires publics avaient reçu de Versailles la défense de faire aucun acte pour la Commune, tous les chefs de service et la plupart des subalternes avaient obéi ; il ne restait que les employés inférieurs de l'Imprimerie, de la Monnaie, des postes, et ceux des services parisiens habitués à obéir à l'autorité municipale, l'octroi, les mairies, l'assistance publique. La Commune improvisa un personnel de direction formé d'ouvriers, pour les services techniques et les finances. La force armée était théoriquement réduite à la garde nationale, obligatoire pour tous les hommes valides. Mais le Comité central avait (22 mars) décidé d'y incorporer les soldats et les marins désarmés ; ils gardèrent leur uniforme, ce qui les exposa à être fusillés. Les recettes de l'octroi, des postes et des impôts (évaluées à la fin d'avril à 41 millions) ne suffisaient pas pour payer les dépenses, augmentées par le gaspillage du personnel de la guerre. Le Comité central avait déjà, pour payer la solde de la garde nationale, demandé de l'argent au gouverneur de la Banque de France et reçu un million (20 mars). La Banque, défendue seulement par ses employés armés, n'aurait pu protéger contre la Commune son encaisse de plus d'un demi-milliard. en numéraire. La commission des finances, dirigée par un employé de commerce scrupuleux, Jourde, et par le vieux Beslay, honnête représentant de 1848, ne voulut pas d'une confiscation qui, en dépréciant les billets de banque, eût jeté le désordre dans le public et fait accuser la Commune de brigandage. La Banque de France fut donc respectée ; on ne lui demanda que le reliquat d'une somme due par l'État à la Ville, et des avances de fonds, en tout 7 millions. Jourde présenta (2 mai) un budget en équilibre du 20 mars au 30 avril, 26 millions de recettes et 25 de dépenses (dont 20 pour la guerre). Le total jusqu'à la fin de la Commune fut évalué à 46 millions. Les dépenses civiles étaient réglées avec économie, l'indemnité des membres de la Commune fut fixée à 15 francs par jour, le maximum des traitements à 500 francs par mois. La Commune, absorbée par les affaires courantes et la guerre, qui retenaient la plupart de ses membres hors des séances, n'eut le temps de faire aucune réforme. Mais quelques-uns de ses membres avaient des idées de rénovation sociale, et firent des tentatives, ou des propositions, que les historiens socialistes, préoccupés de montrer le caractère socialiste du mouvement, ont appelées d'un nom ambitieux l'œuvre de la Commune. Les actes les plus intéressants pour la population, remise des loyers, prolongation des échéances avec délai de trois ans pour rembourser la dette, restitution gratuite des reconnaissances du Mont-de-piété jusqu'à 20 francs (6 mai), réquisition des logements vacants pour loger les familles sans asile (à la fin du siège), ne furent que des mesures d'urgence motivées par des conditions exceptionnelles. — Les essais manqués pour établir l'instruction gratuite et laïque, ou pour abolir les offices ministériels, n'avaient rien de socialiste. — On a signalé une tendance socialiste dans la commission du travail et de l'échange chargée de l'étude des réformes soit dans les services publics, soit dans les rapports des travailleurs avec les patrons, avec la mission de faire une enquête générale et une statistique sur le travail et l'échange. On a vu un embryon de législation du travail dans l'abolition des bureaux de placement, l'autorisation donnée à la commission de réviser les marchés conclus par l'État et d'accorder la préférence aux associations ouvrières en inscrivant dans leur cahier des charges le salaire et la durée de la journée (12 mai), l'ordre de dresser la liste des ateliers abandonnés pour les remettre aux ouvriers (16 avril), et surtout l'interdiction du travail de nuit dans les boulangeries (20 avril). Ces manifestations, œuvres d'une minorité d'internationalistes ou de blanquistes, n'expriment pas la tendance de la Commune, en majorité révolutionnaire, plutôt que socialiste. VII. — LE SIÈGE DE PARIS ET LES MESURES RÉVOLUTIONNAIRES. A Versailles et à Paris les adversaires restèrent deux semaines sur la défensive. Thiers concentrait ses troupes dans le camp de Satory, en les isolant de la population civile pour rétablir leur moral. Il obtenait du gouvernement allemand le renvoi des prisonniers d'Allemagne, et réunissait une armée de plus de 100.000 hommes, bien pourvue d'artillerie ; les renforts portèrent l'effectif au milieu d'avril à plus de 130.000 combattants (170.000 rationnaires), divisés en 5 corps et une réserve. La Commune disposait officiellement de 234 bataillons de garde nationale, divisée en active (environ 80.000 inscrits), et sédentaire (145.000). C'étaient des chiffres sur le papier : Cluseret, qui commanda en avril, évalue le total à 41.500, et dit qu'il demandait 3.000 hommes quand il voulait 1 300 combattants. Faute de discipline et de procédés de contrainte, les hommes de bonne volonté seuls allaient au combat ou dans les forts, et c'étaient toujours les mêmes. On a évalué l'effectif réel maximum à 30.000 hommes (15.000 du côté du sud, 10.000 du côté de l'ouest). Les armes surabondaient : 280.000 chassepots, 1 790 canons ou mitrailleuses, mais dispersés, une partie restant avec les bataillons ; on ne se servit pas des grosses pièces de marine, on n'employa guère que les pièces en place (320), servies par 5 600 artilleurs, bons pointeurs ; le génie se réduisait à quelques compagnies. Une commission de construction, chargée de faire des barricades dans Paris, ne, fit qu'une barricade décorative, qui resta inachevée. La garde nationale, malgré la promesse de lui donner un commandant électif, avait pour chefs (depuis le 2 mars) 3 généraux improvisés nommés par le Comité central : Eudes, étudiant en pharmacie, Duval, ouvrier fondeur, tous deux blanquistes, et Bergeret, commis de librairie et membre de l'Internationale. Les opérations s'étaient bornées à occuper les forts du sud évacués par les troupes. Thiers prit l'offensive (2 avril) en faisant attaquer le pont de Neuilly. Les troupes forcèrent la barricade et occupèrent Courbevoie ; des gardes nationaux prisonniers furent fusillés par les gendarmes. La guerre, dès le début, prit un caractère d'exécutions ou de massacres. Des deux côtés l'animosité supprimait tout sang-froid et toute critique, inspirait des actes violents ou des paroles d'insulte, et faisait accepter toutes les accusations sans contrôle. On ne se désignait même que par des sobriquets injurieux. Les combattants de la Commune, qui s'appelaient eux-mêmes fédérés (membres de la Fédération de la garde nationale) étaient surnommés communards ou communeux ; ils appelaient leurs adversaires Versaillais. A la nouvelle du combat, la Commission exécutive fit fermer les portes de Paris et armer les remparts, et lança une proclamation : Les conspirateurs royalistes ont attaqué.... Ne pouvant plus compter sur l'armée française, ils ont attaqué avec les zouaves pontificaux et la police impériale.... Les chouans de Charette, les Vendéens de Cathelineau, les Bretons de Trochu, flanqués des gendarmes... ont engagé la guerre civile. La foule irritée fut saisie d'une passion de sortie et se rassembla en armes en criant : A Versailles ! Les trois généraux, d'accord avec la Commission exécutive, firent décider une sortie générale. Le 3 avril avant le jour, les fédérés sortirent en 3 colonnes. La première (10.000 hommes), sous Duval, opérant au nord-ouest, sortit sans éclaireurs par Neuilly, Rueil, et passa à portée des canons du Mont-Valérien, comptant que la garnison ne tirerait pas. Surprise par les obus, elle fut prise de panique et reflua sur Paris. Son aile droite, qui avait atteint Bougival, à 7 kilomètres de Versailles, revint couvrir la retraite ; Flourens, qui la commandait, resta en arrière dans une auberge pour se reposer ; dénoncé aussitôt, il fut arrêté et tué par un capitaine de gendarmerie. Le général Galliffet fit fusiller trois fédérés égarés à Chatou et fit publier dans la ville une proclamation : La guerre a été déclarée par les bandes de Paris.... Elles m'ont assassiné mes soldats. C'est une guerre sans trêve ni pitié que je déclare à ces assassins. La deuxième colonne (sous Eudes), sortie à l'ouest par Meudon, arriva jusqu'à Bellevue, fut repoussée et se replia protégée par le tir des forts du sud. La troisième (sous Duval), sortie au sud jusqu'à Villacoublay, fut attaquée par des forces très supérieures et se réfugia dans la redoute du plateau de Châtillon. Le lendemain matin, les fédérés y furent cernés et se rendirent sur la promesse d'avoir la vie sauve. Les prisonniers emmenés à Versailles rencontrèrent le général Vinoy ; il demanda qui était le chef, Duval se nomma, le général le fit fusiller sur place. La Commune répondit en votant à l'unanimité, le 5 avril, un décret. Toute personne prévenue de complicité avec le gouvernement de Versailles sera immédiatement décrétée d'accusation et incarcérée.... Tous les accusés... seront les otages du peuple de Paris. Toute exécution d'un prisonnier de guerre ou d'un partisan du gouvernement régulier de la Commune de Paris sera sur-le-champ suivie de l'exécution d'un nombre triple des otages. Cette mesure comminatoire, que la Commune n'eut pas le temps d'appliquer officiellement lui donna un renom de sauvagerie ; elle devait avoir pour conséquence l'arrestation et le massacre de personnages notables. Le membre le plus actif de la Commission de sûreté générale, un ancien répétiteur, d'allures bohêmes et de langage cynique, Raoul Rigault, admirateur d'Hébert, fit emprisonner l'archevêque de Paris, plusieurs curés et des religieux. Il fit arrêter le journaliste républicain Chaudey et supprima plusieurs journaux hostiles à la Commune. Le triple échec du 3 avril déconsidéra la Commission exécutive. La Commune destitua les généraux vaincus et donna le commandement en chef, avec le pouvoir de désigner ses auxiliaires, à un officier français, Cluseret, qui avait acquis aux États-Unis le titre de général. Il fit nommer généraux deux officiers polonais et chef d'état-major un officier français, La Cecilia. Il fit diviser la garde nationale en deux catégories, réservant le service actif aux bataillons de guerre, formés des célibataires de dix-sept à trente-cinq ans. Mais, n'ayant pas confiance dans ses troupes improvisées, il renonça à toute opération active et se maintint sur la défensive. Thiers ne voulait pas couper les vivres à la population parisienne ; d'ailleurs, les approvisionnements continuaient à entrer par l'est et le nord où les troupes allemandes se maintenaient dans une stricte neutralité ; la ville ne pouvait être prise par la famine. Le gouvernement décida d'attaquer les fortifications, et la guerre prit la forme d'un siège de Paris par l'armée française. L'attaque fut dirigée à la fois contre les forts du sud, Issy et Vanves, dont on fit le siège en règle, et contre les défenses improvisées de l'ouest, bombardées par le Mont-Valérien, par les batteries établies à Meudon, Clamart, Saint-Cloud, et par la redoute de Montretout, armée de 120 pièces qui tiraient sur le Point-du-Jour. Dombrowski, qui commandait la défense de l'ouest, reprit Asnières et Neuilly (10-12 avril) et empêcha le passage de la Seine (le 21). Le mois d'avril se passa sans résultat décisif. La Commune se compléta par l'élection de 31 membres (fixée au avril, ajournée au 10, faite le 16) dans 11 arrondissements. Il ne vint que 15.000 votants, 1.600 dans les arrondissements qui avaient élu des modérés. Une douzaine seulement de candidats obtinrent le huitième des inscrits, exigé pour une élection valable. Ce fut le sujet d'une discussion : la minorité voulait respecter la légalité ; la Commune, par 26 voix contre 18, décida de se contenter de la majorité des votants et ratifia 20 élections (11 sièges pour lesquels il n'était point venu de votants restèrent vacants). Les nouveaux venus se joignirent presque tous à la majorité révolutionnaire et renforcèrent la tendance au régime centralisé et aux mesures d'exception. Le gouvernement par les commissions fut jugé trop faible ; la Commune élut pour chaque service un délégué faisant fonction de ministre ; les 9 délégués réunis formèrent la Commission exécutive ; c'était le retour à la pratique du ministère. La Commune décida de publier une Déclaration au peuple français. La Commission chargée de préparer le projet fut formée de représentants des deux tendances opposées. Les centralistes laissèrent un doctrinaire fédéraliste, le journaliste P. Denis, rédiger un texte qui fut adopté presque sans discussion. C'était l'exposé d'une fédération des communes françaises. L'autonomie absolue de la Commune étendue à toutes les localités de la France, avec une garde nationale veillant seule au maintien de l'ordre, une administration centrale formée par la délégation des communes fédérées ; Paris se réservant le droit de créer des institutions propres... à universaliser le pouvoir et la propriété. Cette doctrine, que la Commune se laissait attribuer officiellement, ne répondait ni aux idées de la majorité ni aux actes de la Commune, où a toujours dominé le parti du régime centralisé et du droit de Paris à gouverner la France. Trois groupes républicains continuèrent les essais de conciliation, pendant le mois d'avril : 1° La Ligue de l'Union républicaine pour les droits de Paris fut fondée (le 5) par les maires et les députés, pour obtenir la reconnaissance du droit de Paris... à régler par un conseil librement élu sa police, ses finances, son assistance publique, son enseignement, et la garde de Paris exclusivement confiée à la garde nationale. Elle publia un appel et un programme des vœux de la population parisienne, puis envoya une délégation à Thiers (12 avril). 2° L'Union du Commerce et de l'Industrie, formée de 56 chambres syndicales, après avoir envoyé une délégation (le 8), renouvela sa démarche de concert avec la Ligue des droits de Paris (25 avril). 3° Les francs-maçons envoyèrent successivement deux délégations (11 et 12) ; puis ils tinrent une réunion générale (26 avril) et allèrent en cortège planter leurs bannières sur les remparts. Thiers refusa de négocier avec des insurgés, ne promettant que la vie sauve à ceux qui poseraient les armes. La marche des opérations militaires amena une crise intérieure. Le fort d'Issy, écrasé par les projectiles, fut évacué, la Commission irritée destitua et fit arrêter Cluseret. La Commune, sur la proposition de Miot, montagnard de 1849, après trois séances de discussion, décida, par 45 voix contre 12, vu la gravité des circonstances et la nécessité de prendre promptement les mesures les plus radicales, de créer un Comité de Salut public de 5 membres, ayant les pouvoirs les plus étendus sur toutes les commissions. La minorité, de 28 voix contre 34 (sur l'article 1er), s'abstint de l'élection, les élus n'obtinrent que des chiffres de voix allant de 33 à 21. Le commandement en chef fut donné à un capitaine du génie, Rossel, qui, mécontent d'avoir été écarté pendant la guerre des postes d'action, irrité de la capitulation de Paris et de la paix, était venu à Paris se mettre au service des insurgés, avec l'espoir de recommencer la guerre contre l'Allemagne. Rossel essaya de transformer les gardes nationaux en une troupe régulière ; il demanda aux généraux de choisir chacun 5 bataillons, pour les réunir en régiments avec des officiers nommés et non élus, et former un corps de 16.000 hommes ; il voulait livrer bataille. Il entra en conflit avec le Comité de Salut public qui désapprouvait l'offensive, et avec le Comité central qui ne lui fournissait pas assez d'hommes. Le fort d'Issy, réoccupé par les fédérés, fut définitivement évacué et occupé par les assiégeants (8 mai). Rossel furieux envoya une lettre de démission à la Commune et la publia. La Commune le fit arrêter et nomma à sa place Delescluze. Le fort de Vanves, tourné par les troupes, fut évacué la nuit par les fédérés (13 mai). La majorité de la Commune avait jusque-là résisté aux admirateurs de 1793 qui voulaient établir un régime de terreur. Elle avait protesté contre les opérations de R. Rigault et interdit toute perquisition sans mandat (14 avril). La crise affaiblit ses scrupules. Treize journaux furent supprimés (5 et 11 mai). Tout citoyen fut obligé de porter une carte d'identité, sorte de certificat civique délivré par les commissaires, et de l'exhiber à tout garde national (15 mai). Le décret ordonnant d'abattre la colonne de la place Vendôme fut exécuté (16 mai) ; la maison de Thiers à Paris fut démolie. La minorité, opposée au pouvoir discrétionnaire, protesta (15 mai) par une déclaration de 22 membres qui reprochaient à la Commune d'avoir abdiqué son pouvoir en créant une dictature, et annonçaient leur résolution de se retirer dans leurs arrondissements ; mais elle revint en séance (le 17). Le jury d'accusation, prévu par le décret sur les otages, fut formé et, sur la demande de R. Rigault, reçut le pouvoir de prononcer des peines ; il commença à opérer le 19. VIII. — LA PRISE DE PARIS ET LA RÉPRESSION. LE feu des assiégeants, concentré sur le Point-du-Jour, l'avait rendu intenable ; l'armée française s'était avancée jusque près de l'enceinte et préparait l'assaut pour le 23 ; elle n'en eut pas besoin. Le 21 avril (un dimanche), une porte restée sans défenseurs fut signalée par un piqueur du service municipal. L'armée entra à l'insu des insurgés. Il semble qu'elle aurait pu occuper rapidement toute la ville. Mais les journaux de Paris annonçaient des mesures prises pour détruire la ville et engloutir les vainqueurs dans une catastrophe épouvantable : une délégation était chargée d'organiser la guerre scientifique, l'Officiel parlait des forces terribles que la science met aux mains de la Révolution. On craignit que le terrain ne fût miné, l'armée avança prudemment de l'ouest et du sud vers les quartiers du centre. Les fédérés eurent le temps d'organiser la résistance dans le centre et la prolongèrent pendant une semaine en se repliant lentement vers les quartiers ouvriers du nord-est. Ils coupèrent les grandes voies par des barricades et, joignant à ce vieux procédé de la guerre des rues la méthode nouvelle employée par les Allemands dans la guerre régulière, ils incendièrent les quartiers qu'ils évacuaient, pour retarder la poursuite. On avait fait de grands approvisionnements de pétrole pour suppléer au gaz qu'on ne pouvait plus fabriquer faute de charbon : ils servirent à enduire les maisons et les monuments, surtout près de la Seine. Ces incendies au pétrole donnèrent l'impression d'un système concerté par la Commune pour détruire Paris ; les journaux décrivirent les bandes de femmes — les pétroleuses — chargées de préparer l'incendie. Ni la Commune ni le Comité central n'avaient donné d'ordres ; la plupart de leurs membres opéraient séparément, chacun dans son quartier ; il n'en restait qu'une vingtaine réunis à l'Hôtel de Ville, puis réfugiés à la mairie du XIe, et enfin à Belleville, rédigeant des proclamations, se querellant, cherchant à négocier par l'intermédiaire du représentant des États-Unis. La défense des barricades, les incendies, les massacres, tout se fit sans plan ni entente, tout fut l'œuvre personnelle des chefs ou des combattants. La résistance fut courte à la Butte-Montmartre, incohérente au Panthéon, énergique au pont d'Austerlitz, méthodiquement organisée par le général Wrobleski à la Butte-aux-Cailles, désespérée aux Buttes-Chaumont et dans le cimetière du Père-Lachaise, où se livra le dernier combat. Les incendies systématiques d'édifices publics et de maisons eurent lieu surtout dans les quartiers voisins de la Seine, depuis la rue Royale et la rue du Bac jusqu'à l'Hôtel de Ville. Un hasard sauva les monuments les plus précieux, Notre-Dame, la Sainte-Chapelle, le Louvre ; mais les Tuileries et l'Hôtel de Ville furent détruits. Le massacre des otages détenus dans les prisons fut ordonné par R. Rigault, Ferré et un autre blanquiste. On fusilla d'abord Chaudey, puis l'archevêque, le président Bonjean, le curé de la Madeleine, les religieux. Enfin (le 26) un bataillon de fédérés, revenant d'un combat, alla prendre dans la prison de la Roquette une cinquantaine de gardes de Paris et de sergents de ville et une dizaine de religieux et de prêtres, les emmena dans un enclos rue Haxo et les fusilla en désordre. Les soldats, exaspérés par un siège, sous les yeux de l'ennemi, par la guerre de rues et les incendies et conduits par des officiers indignés contre les révolutionnaires de Paris, arrivaient disposés à traiter les insurgés en assassins et en incendiaires. L'ordre officiel de faire prisonniers les fédérés qui se rendraient ne fut pas observé. De ce côté aussi les procédés varièrent suivant le caractère personnel des chefs et les dispositions momentanées des troupes. En beaucoup d'endroits, après le combat, on fusilla sur place les hommes pris les armes à la main, et ceux qu'on trouva dans les maisons les mains noires. On fusilla aussi des non-combattants dénoncés comme communards, et des passants pris par erreur pour des membres de la Commune. Un officier alla même arrêter dans sa maison un député de Paris, le journaliste Millière, resté étranger à l'insurrection, et le fit fusiller devant le Panthéon. Dans quelques quartiers, des cours martiales formées d'officiers de gendarmerie trièrent les prisonniers ; on renvoya les ordinaires en prison, d'où on les emmena à Versailles ; ceux qu'on déclara classés furent fusillés. Le nombre des morts n'a jamais pu être connu ; le général Appert, chargé de la justice militaire, l'a évalué à 17.000, sans compter ceux qui furent tués hors de Paris. La répression, commencée pendant la bataille, fut continuée pendant plus de quatre ans par la justice militaire. On arrêta dans Paris tous les gens dénoncés comme ayant pris part à l'insurrection, soit comme fédérés, soit comme fonctionnaires : l'autorité reçut près de 330.000 dénonciations. Le chiffre officiel des arrestations maintenues fut de 38.000 (dont 1.058 femmes, 651 enfants). Les prisonniers, traités sans ménagements, d'abord entassés à Versailles ou campés en plein air, furent évacués sur les ports de l'Ouest, enfermés dans les forts ou sur les pontons, en attendant d'être jugés. Les conseils de guerre, dont le nombre fut porté de 4 à 26, opéraient lentement, avec des renseignements insuffisants qui firent commettre beaucoup d'erreurs. Les journaux conservateurs réclamaient des peines impitoyables, pour purger Paris, le punir et le guérir. La plupart des condamnations (9.285) furent prononcées simplement pour avoir porté les armes ou exercé illégalement une fonction. La peine différa selon le caractère des juges et l'interprétation donnée aux actes. Plus encore qu'en 1848, on appliqua indifféremment aux mêmes actes la peine politique de la déportation ou les peines de droit commun, travaux forcés et réclusion. Contrairement à l'opinion qui attribuait l'insurrection aux étrangers et aux malfaiteurs, on ne trouva que 396 étrangers et 238 repris de justice. Le total officiel fut de 13.450 condamnations (dont 3.313 par contumace) : 270 à mort, 410 aux travaux forcés, 3.989 à la déportation dans une enceinte fortifiée, 3.507 à la déportation simple, 1.269 à la détention, 64 à la réclusion, 322 au bannissement, 3.398 à la prison. La plupart des condamnations à mort furent commuées, il n'y eut que 26 condamnés exécutés, la plupart militaires. Les déportés furent envoyés à la Nouvelle-Calédonie. Les contumaces qui parvinrent à se cacher et à sortir de France se réfugièrent dans les pays voisins, surtout en Angleterre et en Suisse ; les gouvernements, les traitant en réfugiés politiques, refusèrent l'extradition réclamée par Jules Favre. Le vide laissé par les ouvriers arrêtés ou échappés fut très sensible dans l'industrie parisienne. La répression eut pour résultat immédiat d'exterminer le parti révolutionnaire parisien, et d'affaiblir en France le parti républicain. La Commune, mouvement parisien révolutionnaire, n'acquit une portée durable que par une méprise volontaire qui prit prétexte de son emblème, le drapeau rouge, et de la présence d'ouvriers internationalistes dans le Conseil. Marx, au nom de l'Internationale, la glorifia comme un soulèvement contre la bourgeoisie au nom du principe de la lutte des classes. Elle devint, dans l'imagination des socialistes de tous les pays, la défaite du prolétariat socialiste français. |