HISTOIRE DE FRANCE CONTEMPORAINE

 

LIVRE II. — LA POLITIQUE EXTÉRIEURE.

CHAPITRE IV. — LES ÉCHECS ET LE MALAISE DE LA POLITIQUE IMPÉRIALE (1866-70).

 

 

I. — ESSAIS DE RAPPROCHEMENT.

NAPOLÉON, ayant irrité l'opinion en aidant à faire par la guerre l'unité de l'Italie et de l'Allemagne, essaya de l'apaiser par une politique de paix. Il mit aux Affaires étrangères de Moustier, ambassadeur à Constantinople, qui n'était pas engagé par son passé.

Pour se concilier l'Italie, il parla de hâter le retrait des troupes françaises de Rome, mais il notifia que ce serait un simple changement dans le mode de protection du pape, nullement un abandon de cette protection (15 oct.). Il dit à son ami Arese qu'il était décidé, tout en exécutant la convention de septembre, à soutenir le pouvoir temporel du pape par tous les moyens possibles. Il envoya le général Fleury en mission confidentielle, prier le gouvernement italien d'user de son influence sur le parti libéral à Rome pour prévenir toute émeute, en ajoutant que, si le pape était obligé de quitter Rome devant une émeute, l'Empereur n'hésiterait pas à y faire rentrer ses troupes.

Fleury demanda au roi de déclarer qu'il renonçait à Rome capitale. Le roi se déroba, et ajouta à son discours d'ouverture la formule : les aspirations nationales qui s'agitent à Rome. Les troupes françaises se retirèrent (décembre 1866), laissant Rome à la garde de l'armée pontificale. Pie IX dit : Les Italiens m'ont pris les trois quarts de mes États ; ils veulent le reste, et ils le prendront.

Napoléon chercha à se concilier la Russie en la soutenant dans la question d'Orient. Les Grecs de Crète, insurgés contre les Musulmans (septembre 1866), venaient d'élire une assemblée constituante qui demandait la réunion au royaume de Grèce. Le tsar, favorable au roi de Grèce, mari d'une de ses nièces, proposa à la France de s'entendre pour soutenir les chrétiens de l'empire Ottoman, partout où ils auraient la force de constituer leur autonomie. L'accord fut discuté à Compiègne entre l'ambassadeur russe et de Moustier. La France aiderait la Russie à faire obtenir à la Grèce la Crète et la Thessalie, et donnerait à l'empire Ottoman un appui financier. Elle demandait en échange l'appui sympathique de la Russie en Occident. L'ambassadeur russe parut prêt à se désintéresser de la Belgique ; mais son chef Gortschakoff fit prier la France de préciser ses désirs en Occident : de Moustier répondit, en évitant de nommer la Belgique, qu'il s'agissait d'agrandissements qui ne seraient pas faits au détriment de l'Allemagne (9 févr. 1867). Aucun accord ne fut conclu. La rivalité traditionnelle continua à Constantinople entre l'ambassadeur français Bourde et l'ambassadeur russe Ignatieff. L'ambassadeur anglais à Constantinople décida le sultan à envoyer une armée en Crète (mai 1867), et à refuser l'enquête demandée par les consuls européens. On ne fit rien pour aider les Crétois.

 

II. — ÉCHEC DE NAPOLÉON EN LUXEMBOURG.

LE grand-duché de Luxembourg, domaine du roi des Pays-Bas, se trouvait depuis la dissolution de la Confédération germanique dans une position anormale. Il n'entrait pas dans la nouvelle fédération de l'Allemagne du Nord, mais restait dans l'Union douanière (Zollverein) avec la Prusse, et sa capitale, ancienne forteresse fédérale, restait occupée par une garnison prussienne. Le roi des Pays-Bas pria la Prusse de la retirer, Bismarck répondit que la Prusse occupait Luxembourg comme mandataire de l'Europe en vertu des traités de 181.

Le gouvernement français proposa d'annexer le Luxembourg comme moyen de donner à l'opinion publique en France un légitime et utile apaisement. Bismarck se montra disposé à accepter (il semble avoir fait peu de cas de ce petit territoire), mais à condition de ne pas se compromettre envers l'opinion allemande. Il dit qu'il ne s'opposerait pas à la cession par le roi des Pays-Bas, pourvu que la France opérât vite et en secret, de façon à le mettre en face d'un fait accompli, qui lui permettrait de protester en laissant faire : le roi des Pays-Bas accepta de céder le Luxembourg à la France pour 3 millions. Benedetti fut chargé de négocier le retrait de la garnison prussienne. Bismarck lui répéta que, si on le mettait en présence d'un fait accompli, il acquiescerait en grognant, mais que, si on l'interrogeait officiellement, il serait obligé de s'opposer.

Le roi des Pays-Bas exigea (18 mars 1867) le consentement de la population du Luxembourg et des États signataires du traité de 1839. Le gouvernement français envoya en Luxembourg des agents pour préparer les habitants, et intéressa à la cession une dame de Paris très influente sur le roi. L'envoyé des Pays-Bas en Prusse télégraphia qu'on pouvait conclure sans crainte. Le roi annonça son consentement (26 mars), mais en exigeant l'adhésion formelle du roi de Prusse, et il déclara à l'envoyé prussien qu'il ne voulait pas opérer à l'insu de son maitre. En même temps le vénérable de la loge maçonnique de Luxembourg avertissait les journaux allemands, et l'agitation commençait en Allemagne contre le projet ; une interpellation fut déposée au Reichstag. Le secret exigé par Bismarck était éventé.

Les deux traités (de cession et de garantie) préparés par le roi des Pays-Bas n'attendaient plus que la signature ; Bismarck fit prier le gouvernement français de l'ajourner. De Moustier, se croyant joué par Bismarck, envoya l'ordre de signer (1er avril). Mais le représentant du roi pour le Luxembourg n'arriva pas, et on dut remettre. Le 1er avril, l'interpellation fut discutée au Reichstag. Bismarck, en se rendant à la séance, reçut de Benedetti la nouvelle que le traité allait être signé ; il répondit que, si Benedetti l'informait officiellement, lui, Bismarck, serait obligé de le dire en séance. Benedetti renonça à lui faire la communication. L'interpellateur demanda si le bruit d'une cession du Luxembourg à la France était fondé et si le gouvernement était décidé à maintenir sa garnison. Bismarck répondit qu'il refusait de répondre à des questions qui n'étaient pas rédigées en langage diplomatique. Il télégraphia ensuite au roi des Pays-Bas qu'il avait la liberté, mais aussi la responsabilité de ses actes, et qu'il se tromperait s'il voyait dans la cession une garantie pour la paix. Le roi refusa de signer.

C'était un échec public ; Napoléon se plaignit d'avoir été dupé. Gortschakoff persifla l'ambassadeur français : Il est dommage qu'après Sadowa votre souverain ait refusé d'opérer avec l'empereur Alexandre ; on aurait pu empêcher les annexions que vous regrettez trop tard.

Le gouvernement français, interpellé par l'opposition, déclara n'avoir pensé au Luxembourg que sous trois conditions : consentement du grand-duc, examen légal des intérêts des grandes Puissances, vœu des populations. — Dans une circulaire aux agents (15 avril), il affecta de tenir surtout au retrait de la garnison prussienne. Bismarck refusa d'évacuer ; on fit des armements, il courut des bruits de guerre.

Mais Guillaume et Napoléon désiraient tous deux la paix. La Russie proposa une conférence à Londres pour régler la neutralité du Luxembourg, sans que la Prusse s'engageât d'avance à retirer ses troupes. Napoléon accepta (27 avril). A la Conférence, la Prusse exigea, pour calmer l'opinion allemande, la garantie collective des signataires. Un traité conclu entre les cinq grandes Puissances, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et l'Italie, fit du grand-duché de Luxembourg un État souverain héréditaire dans la famille de Nassau, et perpétuellement neutre sous la sanction et garantie collective des Puissances. La forteresse serait évacuée et démantelée (11 mai).

 

III. — ÉCHEC EN SLESVIG ET EN AUTRICHE.

NAPOLÉON essaya d'obtenir au moins une satisfaction morale faisant exécuter l'article 5 du traité de Prague qui prévoyait la restitution au Danemark des districts danois du Slesvig. Bismarck objecta la nécessité de garantir la sécurité des Allemands, et envoya au Danemark une note indiquant les conditions que la Prusse mettait à la restitution (18 juin). De Moustier objecta que l'article 5 ne stipulait aucune réserve, et que l'opinion publique verrait dans ces exigences une arrière-pensée plus fâcheuse pour le Danemark que la cession du Slesvig. Bismarck ayant fait une absence, l'affaire fut ajournée. Quand la France invoqua les engagements moraux de la Prusse, on lui répondit que le traité de Prague n'avait été conclu qu'avec l'Autriche, et les journaux allemands parlèrent d'une note comminatoire envoyée par la France. Bismarck fit dire à Goltz de répondre froidement à Paris, et fit armer ostensiblement en Slesvig. De Moustier recula ; il fit dire à Berlin que la France n'avait pas voulu blesser les susceptibilités d'une puissance voisine et amie (26 juillet). La tentative de satisfaction aboutissait à un échec diplomatique.

Napoléon essaya d'améliorer ses relations personnelles avec les souverains qu'attirait à Paris l'Exposition universelle de 1867. Le roi de Prusse vint avec Bismarck, mais il n'eut avec Napoléon aucune conversation politique ; Bismarck assura Rouher de sa bonne volonté dans l'affaire du Luxembourg, et fit à Persigny la critique de la politique française en 1866. Le tsar fut reçu avec égards ; mais au Palais de justice il entendit crier : Vive la Pologne ! au Bois de Boulogne un patriote polonais tira sur lui sans l'atteindre et ne fut pas condamné à mort ; Alexandre repartit (11 juin) assez mal disposé.

L'exécution de Maximilien au Mexique donna à Napoléon l'occasion d'aller porter ses condoléances à l'empereur d'Autriche, son frère. Il eut avec lui à Salzbourg (18 août) une entrevue qui inquiéta le roi de Prusse. Napoléon expliqua au premier ministre autrichien Beust, adversaire de Bismarck, que sa politique était d'avoir le moins d'ennemis possibles. Beust lui remit une note pour lui recommander une politique ouvertement pacifique :

En Allemagne, s'abstenir de toute intervention de nature à éveiller les susceptibilités de l'esprit allemand, et n'agir que moralement sur les Etats de l'Allemagne du Sud ; en Orient, s'unir à l'Autriche pour pacifier la Crète et arrêter les velléités propagandistes de la Roumanie.

Autrement dit : aider l'Autriche contre la Russie en Orient, et la laisser opérer seule en Allemagne. Puis Beust, pour apaiser Berlin, fit dire qu'il n'avait pas été question de créer une Confédération du Sud.

Mais Napoléon, à son passage à Munich, exprima au chef du gouvernement bavarois, Hohenlohe, le regret que les États du Sud n'eussent pas formé une Confédération. Bismarck, par une circulaire aux agents prussiens (7 sept.), posa la question sous une forme menaçante.

L'opinion publique s'était émue de la rencontre de deux puissants monarques dans l'état actuel de la politique européenne. Le sentiment national allemand ne supportait pas la pensée de voir la solution des affaires de la nation placée sous la tutelle d'une immixtion étrangère.

Napoléon rentra en France inquiet, et le laissa voir dans un discours : Des points noirs sont venus assombrir notre horizon. Un journaliste officieux, Duvernois, déclara que la France s'opposerait même par les armes à l'absorption directe ou indirecte des États du Sud par la Prusse. Rouher, plus prudent, conseillait à l'Empereur de louvoyer, fortifier le courage des États du Sud, préparer nos alliances, attendre, soit pour consolider la paix, soit pour engager un duel redoutable avec la Prusse, soit pour prendre résolument autour de nous les compensations nécessaires.

L'entrevue de Salzbourg, sans donner à la France aucun appui réel, provoquait des explications qui faisaient évanouir le vieux rêve de la diplomatie française ; l'Allemagne, qu'on avait espéré couper en trois tronçons, apparaissait unie sous la direction de la Prusse.

 

IV. — CONFLIT AVEC L'ITALIE SUR LA QUESTION ROMAINE.

RATAZZI, chef du centre gauche, amené par les élections de 1867 au gouvernement de l'Italie, encourageait les manifestations nationales de Borne par sa déclaration à la Chambre (22 juillet) :

La question romaine ne pourra être dénouée ni par les invasions du territoire pontifical ni par les mouvements insurrectionnels.... Qu'on se le dise à Rome. N'attendez pas que le gouvernement italien vienne vous libérer ; il est lié par une convention.... Mais libérez-vous... et vous verrez que tout Italien sait faire son devoir.

Les Romains, très indifférents à la vie politique, ne bougeaient pas ; Garibaldi décida d'aller les soulever. Il se créa trois comités ; ils se fondirent en un seul, qui pria Garibaldi de venir se mettre à la tête des volontaires pour envahir les États romains, proclamer Rome capitale et y organiser un plébiscite. Ratazzi envoya un corps d'armée, et annonça dans le journal officiel qu'il ne laisserait pas violer la frontière romaine ; puis il fit arrêter Garibaldi et le renvoya dans son île (27 sept.). Mais la gauche protesta, et une bande de Garibaldiens attaqua une ville des États du pape. Journaux et députés disaient qu'on avait assez fait pour la Convention de 1864, et qu'il fallait être à Rome avant les Français.

Ratazzi envoya Nigra à Biarritz, avertir Napoléon qu'une révolution républicaine allait éclater et forcer le gouvernement à intervenir pour sauver l'ordre et les institutions. Napoléon répondit qu'il distinguerait entre une insurrection provoquée et une insurrection spontanée. Puis, sur les nouvelles exagérées des gérants des ambassades françaises de Rome et de Florence, il télégraphia à Victor-Emmanuel : La convention est éludée. Si cela dure, je serai contraint malgré moi à envoyer un corps d'armée à Rome (13 octobre). Le roi répondit qu'il ne pouvait interdire l'entrée du territoire romain à des volontaires isolés et sans armes qui se réunissaient ensuite en bandes.

Le gouvernement italien, malgré les avis de son ambassadeur Nigra, suivait le conseil du prince Napoléon, qui engageait le roi son beau-père à mettre Napoléon en présence du fait accompli comme en 1860 ; il fournissait eu secret de l'argent et des fusils. L'Empereur tint Conseil à Saint-Cloud. Rocher proposa une occupation mixte, de Moustier et Niel parlèrent pour l'intervention, l'honneur de la France étant engagé, les autres contre, de crainte de jeter l'Italie dans l'alliance prussienne. Napoléon décida de protéger le pape ; il lui télégraphia de se défendre en attendant l'aide de la France, et prévint l'Italie qu'il n'admettrait en aucun cas l'intervention des troupes italiennes.

Ratazzi proposa au conseil de repousser ces exigences contraires à la dignité et de faire entrer l'armée en territoire romain ; mais, ne se trouvant pas soutenu, il donna sa démission. Victor-Emmanuel fit appel à l'amitié de Napoléon, expliqua qu'il ne pouvait arrêter la Révolution puisqu'il ne pouvait passer la frontière. Napoléon répondit : J'espère que vous saurez prendre toutes les mesures nécessaires pour rendre inutile une expédition française à Rome.

Le gouvernement italien annonça qu'il allait interdire les enrôlements secrets et dissoudre les comités ; Napoléon suspendit le départ de ses troupes. Mais Ratazzi, resté en fonctions provisoirement, ne prit aucune mesure. A Rome on jeta des bombes dans une caserne ; Garibaldi, sorti de son ile, concentra des bandes de volontaires à la frontière romaine. Napoléon, irrité, télégraphia au roi : L'accroissement des volontaires et l'évasion de Garibaldi prouvent que Votre Majesté se laisse dominer par la Révolution (23 octobre). Et il donna l'ordre d'embarquement. Les Italiens, pour arrêter l'intervention, alléguaient une révolution nationale, mais les Français ne les croyaient plus.

Le ministère, formé enfin (27 octobre) sous le général Menabrea, prit des mesures effectives, ferma les Comités, saisit leurs papiers, et publia une proclamation où le roi blâmait le mouvement, œuvre d'un parti pour la destruction de la suprême autorité spirituelle du chef de la religion. Mais l'expédition française était déjà en mer. Victor-Emmanuel télégraphia que, la convention ne fonctionnant plus, il avait ordonné à ses troupes d'avancer sur le territoire romain. Napoléon, pour déjouer cette manœuvre, ordonna d'éviter une collision avec les troupes italiennes, mais fit dire que son gouvernement avait toujours blâmé l'intervention italienne et ne saurait la couvrir de son consentement (1er novembre). Les Italiens se retirèrent.

Les Garibaldiens, entrés depuis le 26 sur le territoire romain, s'avancèrent jusque près de Rome, puis se retirèrent à l'arrivée de l'avant-garde française. Les Français et les troupes pontificales, sortis ensemble de Rome, rencontrèrent les Garibaldiens en marche près de Mentana (3 novembre). Le combat fut court ; les Garibaldiens se réfugièrent à Mentana, puis sur le territoire italien. C'était la première fois qu'on se servait du fusil à aiguille perfectionné par Chassepot. Le général de Failly, chef de l'expédition, dit dans son rapport : Les chassepots ont fait merveille. Le Conseil, avant de publier le rapport, discuta s'il fallait laisser cette phrase ; le ministre de la Guerre Niel la fit maintenir pour donner aux soldats confiance dans leur arme nouvelle. Elle produisit sur l'opinion italienne une impression d'horreur. Mentana devint un nom odieux, le sujet de haine des républicains italiens contre la France. A Paris, les républicains manifestèrent contre l'opprobre du Mexique et de Rome. La cour et l'entourage impérial furent satisfaits. L'impératrice dit à Pepoli : Je tiens à l'indépendance de l'Italie, œuvre française, non à son unité, œuvre de la Révolution. Napoléon fut indigné, quand Victor-Emmanuel lui fit demander de retirer ses troupes ; il apprit avec colère que Ratazzi et les républicains italiens avaient demandé l'aide de la Prusse. Mais il se sentit bientôt, comme avant 1864, embarrassé par la garde de Rome. Pour s'en décharger, il convoqua une conférence de tous les États catholiques, y compris la Saxe, membre de la Confédération du Nord (ce qui amena une protestation de la Prusse). Les États acceptèrent en principe, mais ne purent se mettre d'accord sur l'exécution. La Conférence avorta, comme tous les projets de congrès de Napoléon.

Le conflit fut aggravé par les discussions dans les Chambres. A Paris, le gouvernement ayant dit : Nous pouvons calculer la date prochaine du rapatriement de nos troupes, un catholique demanda de les maintenir tant que le gouvernement italien n'aurait pas renoncé à Rome capitale ; Thiers parla contre l'unité italienne ; Rouher promit que les troupes resteraient tant que la sécurité du pape le rendrait nécessaire et, dans un mouvement oratoire qui souleva l'enthousiasme de la majorité, il déclara : Jamais l'Italie n'entrera dans Rome, jamais ! Ce mot fameux exaspéra les Italiens. L'ambassadeur protesta, Victor-Emmanuel dit : Nous lui ferons voir son Jamais. Le président de la Chambre dit que Rome tôt ou tard devait être la capitale de l'Italie.

Le gouvernement français, renonçant à la conférence, proposa à chacun des grands États une négociation préalable, mais la Russie refusa. Napoléon fut donc obligé de laisser ses troupes à Rome. La question romaine, qu'il avait cru résoudre, retombait sur lui plus lourde qu'avant 1864, aggravée par un conflit irréductible avec l'Italie.

 

V. — CONFLIT AVEC LA PRUSSE SUR L'ALLEMAGNE DU SUD.

LA position dominante de la Prusse en Allemagne posait une question nouvelle, qui divisait en deux camps les Français de tous les partis. La France devait-elle accepter franchement l'unité allemande sous la direction de la Prusse et le prestige acquis par la Prusse en Europe ?— c'était la politique de la paix et de l'entente avec l'Allemagne, celle d'Ollivier et du prince Napoléon dans le parti impérialiste, de J. Simon et J. Favre dans le parti républicain. La France devait-elle, pour empêcher l'unité de l'Allemagne et ruiner la prépondérance militaire de la Prusse, se préparer à prendre la revanche de Sadowa, au besoin par la guerre ? — ce fut la politique des généraux, du parti conservateur, de Rouher, et de beaucoup d'opposants, dont Thiers et Gambetta. Napoléon, malade et découragé, hésitait entre la paix, qu'il désirait, et la guerre, qu'on lui disait inévitable.

L'opinion en France s'attachait à la ligne du Mein, dont on voulait faire une barrière en travers de la marche de la Prusse, pour maintenir l'indépendance des États du Sud. Pendant le conflit du Luxembourg. Rouher disait (mars 1867), pour justifier la politique de l'Empereur, qu'elle avait coupé l'Allemagne en trois tronçons ; Bismarck répondit en publiant les traités secrets d'alliance de 1866 qui liaient les quatre États du Sud à la Prusse. Le public apprit ainsi que le gouvernement prussien avait franchi dès 1866 la ligne du Mein et mis l'Allemagne du Sud sous sa direction militaire. Il la franchit encore en 1867 en obligeant les États du Sud, pour obtenir le renouvellement de leurs traités de douane, à transformer l'Union douanière en une fédération économique. Les délégués du Sud, élus au suffrage universel comme les députés de l'Allemagne du Nord, venaient siéger dans le Reichstag pour délibérer sur les questions de douanes. Le Parlement douanier était l'ébauche d'une représentation de toute la nation allemande.

Le premier ministre du plus petit des États du Sud, la Hesse-Darmstadt, Dalwigk, poussait le gouvernement français à intervenir. Il lui fit dire (sept. 1867) que, plus la France attendrait, plus elle trouverait la Prusse fortifiée, et que, si elle cherchait un casus belli, il le lui fournirait en faisant entrer son État dans la Confédération du Nord.

En France, le mécontentement s'exhalait par les interpellations au Corps législatif. Thiers protestait contre la politique des nationalités :

On vous dit : — Vous souffrirez tout en Allemagne, tout en Italie, à cette condition vous aurez la paix.... — Que deviendrait la France, si elle disait à tout le monde : Faites ce qu'il vous plaira ?

Rouher opposait l'intérêt français aux mouvements de prétendue nationalité ; il n'acceptait les faits accomplis que tant que nos intérêts et notre dignité n'y seraient point engagés.

L'empereur d'Autriche, en prenant pour premier ministre l'ancien ministre de Saxe, Beust, adversaire de Bismarck, avait montré qu'il ne renonçait pas à l'Allemagne. Quand il vint en France (octobre 1867), il fut reçu par des fêtes à l'Élysée, à Compiègne, à l'Hôtel de Ville ; il déclara, dans un toast, que l'Autriche et la France avaient enseveli toutes les discordes. Beust promit de presser le Wurtemberg et la Bavière de former la Confédération ; mais il en resta aux velléités : Beust, grand parleur, plein de projets, impropre à l'action, était d'ailleurs entravé par le chef du nouveau gouvernement créé en Hongrie (en 1867), Andrassy, lié à la Prusse.

Bismarck, impatienté par ces tentatives, fit savoir par Benedetti au gouvernement français qu'il devait, ou dire nettement qu'il n'interviendrait pas, ou préparer la guerre contre la Prusse. De Moustier ordonna à Benedetti (26 janvier 1868) de donner les assurances les plus formelles, mais aussi les plus générales (que la France n'interviendrait pas), d'éviter de s'expliquer sur ce qu'on ferait au cas où des mouvements intérieurs amèneraient la concentration de l'Allemagne tout entière sous l'égide de la Prusse, de s'abstenir de tout ce qui pourrait ressembler à une approbation éventuelle.

Le gouvernement français refusait de préciser, et, pour apaiser Bismarck, il ordonnait de disperser la légion hanovrienne réunie à Strasbourg par le roi de Hanovre dépossédé. Bismarck remercia. Mais la tension fut entretenue par les articles de journalistes qui passaient pour les confidents de l'Empereur. Le prince Napoléon, personnellement favorable à la Prusse, alla incognito à Berlin, vit le roi et son fils, et causa avec Bismarck. Il chercha les moyens d'établir de bonnes relations ; mais il demandait des compensations. Bismarck déclara qu'il ne voulait pas en donner en Allemagne ; il parla de la Belgique. Le prince objecta l'Angleterre. Qu'est-ce que l'Angleterre ? dit Bismarck. Combien a-t-elle de soldats ? Mais il l'avertit qu'il ne parlait pas comme chancelier et ne savait pas ce que pensait le roi (mars 1868).

Quand l'armée française fut réorganisée par la loi militaire, Bismarck s'inquiéta. La France, dit-il à Benedetti, ne peut craindre une agression ; si elle fait des armements, c'est qu'elle médite une entreprise.

Le Parlement douanier, réuni en 1868, ranima l'espoir des adversaires de l'unité allemande. Les deux royaumes du Sud envoyèrent une majorité hostile à la Prusse, démocrate en Wurtemberg, catholique en Bavière ; le projet de Bismarck fut repoussé. Le gouvernement français commença à suivre une politique qui semble avoir été celle de Thiers : laisser le temps à l'Autriche de se remettre de sa défaite et aux États du Sud de se brouiller avec la Prusse, avant d'engager la guerre.

La révolution d'Espagne augmenta la tension. Les journaux prussiens l'accueillirent avec satisfaction. On soupçonna Bismarck d'y avoir aidé pour créer des embarras à la France, on le disait en relations secrètes avec le duc de Montpensier, fils de Louis-Philippe et mari de l'Infante, devenu par la chute d'Isabelle candidat au trône d'Espagne. C'est ce qui irritait Napoléon, toujours inquiet de l'influence des d'Orléans. Bismarck lui fit dire que la Prusse n'avait été pour rien clans la révolution. Napoléon répondit que, si le Sud entrait dans la Confédération du Nord, les canons français partiraient tout seuls. Bismarck répliqua par un discours au Reichstag sur les affaires d'Espagne ; il y fit une allusion à l'indépendance des nations, que son organe officieux commenta en l'appliquant au peuple allemand (nov. 1868).

 

VI. — ÉCHECS DE NAPOLÉON EN ORIENT.

LA France, favorable aux chrétiens de Crète, avait accepté l'offre de la Russie de s'entendre pour exercer sur la Porte une coercition morale par une déclaration solennelle de tous les États, qui lui reprocheraient sa résistance obstinée à l'amélioration du sort de ses sujets, et la menaceraient de lui retirer son appui. L'Autriche, hostile à tout mouvement national, protesta contre une politique qui livrait l'Orient à la Russie ; pour apaiser Beust, de Moustier proposa d'ôter à la déclaration tout caractère solennel. Elle fut donc remise par notes séparées (29 octobre 1867). Les agents français à Constantinople, habitués à combattre les agents russes, restaient en conflit avec eux sur les réformes. Le sultan reçut amicalement l'ambassadeur français, mais déclara ne pouvoir abandonner la Crète, à cause des musulmans crétois. Le gouvernement français, voulant ménager à la fois la Russie et l'Autriche, se trouvait paralysé par cette politique contradictoire. II accepta une solution provisoire de la question de Crète : le sultan (février 1868) créa un conseil crétois formé de délégués chrétiens.

Un nouvel embarras vint de la Roumanie. Les libéraux excitaient une agitation nationale parmi les Roumains de Transylvanie, sujets de la Hongrie. Le prince Napoléon, ami de Bratiano, chef du parti libéral, passant à Bucarest, y fut reçu par des ovations. Le chef du ministère hongrois Andrassy fit agir sur le gouvernement turc, qui menaça d'envoyer des troupes et invita le prince Charles de Roumanie à supprimer les comités révolutionnaires. Le prince, fit répondre par son agent à Constantinople que la Roumanie se vantait d'avoir un prince appartenant aux deux plus illustres familles d'Europe. La Porte se plaignit à Paris de ce manque d'égards. Le gouvernement français resta impuissant. Bismarck fut averti par Andrassy que la Hongrie chercherait un appui en France si un prince prussien soutenait les agitateurs roumains ; il mit fin à l'incident en sommant le prince Charles de renvoyer le ministère Bratiano, ce qui fut fait (nov. 1868).

La Grèce ranima le conflit avec la Porte en empêchant de rapatrier les réfugiés crétois. Les ambassadeurs intervinrent, le gouvernement turc remit à la Grèce une note de griefs avec un délai pour donner satisfaction, la Grèce repoussa cet ultimatum, la Porte rompit les relations (décembre 1868). Napoléon, excédé, liquida la question ; il refusa d'intervenir. Ce fut encore Bismarck qui fit réunir à Paris une Conférence (janvier-février 1869) qui, sans faire d'enquête, obligea la Grèce à céder.

 

VII. — ÉCHEC DU CHEMIN DE FER DU LUXEMBOURG.

LA Compagnie de chemins de fer du grand Luxembourg, qui avait une ligne sur le territoire belge, s'étant à demi ruinée, conclut avec la Compagnie française de l'Est (30 janvier 1869) un bail de quarante-trois ans avec la garantie d'intérêt de l'État français ; le gouvernement belge y vit un acte politique menaçant pour l'indépendance de la Belgique, et fit voter une loi (23 février) interdisant à toute compagnie de céder une ligne sans l'approbation du gouvernement.

En France on soupçonna une entente avec Bismarck, on prépara l'invasion de la Belgique, on décida d'exiger l'approbation de la convention, et l'Empereur écrivit au ministre de la Guerre une lettre violente (19 février) :

Un gouvernement comme un homme doit accepter le défi quand on le provoque... L'opinion publique est persuadée... que la Belgique n'est si arrogante que parce qu'elle a la Prusse derrière elle.... Se montrer accommodant et reculer devant un procédé qui nous blesse, c'est abdiquer devant l'Europe toute influence légitime.... La possession de la Belgique serait une compensation bien plus importante pour nous que la réunion des Etats du Sud... car la Belgique nous ouvre les portes de l'Allemagne.... L'armée belge vaincue se fond facilement dans la nôtre.... Si cette occasion manque, quand la retrouverons-nous ?

Le gouvernement belge, soutenu par l'Angleterre, maintint l'interdiction ; pour donner l'impression d'une concession, il accepta (9 mars) une commission mixte chargée d'examiner, non pas les conventions, comme demandait la France, mais les questions économiques qui se rattachent à l'incident. Le premier ministre, Frère-Orban, vint négocier à Paris, il fut reçu par l'Empereur, qui lui parla d'un petit malentendu (3 avril). Puis il discuta avec les ministres dans des formes cordiales, sans rien céder. Les ministres protestèrent contre l'exclusion d'une compagnie française et menacèrent de rompre les négociations. Le Conseil discuta la guerre, Niel se disait prêt. Napoléon le calma ; il pensait moins à annexer la Belgique qu'à intimider les Belges.

Cette affaire, obscure pour les contemporains, s'est éclaircie depuis qu'on connaît les ouvertures faites au négociateur belge. Le représentant de la France à Bruxelles, La Guéronnière, ancien confident de Napoléon, lui dit à plusieurs reprises que la Belgique devait pencher vers la France. L'Empereur lui proposa d'abaisser tellement les barrières entre les deux pays que personne ne songe plus à une réunion, et, dans une seconde entrevue (23 avril), parla d'attester les rapports intimes des deux pays. Rouher déclara que, si l'on se mettait d'accord sur le côté politique de l'affaire, ce serait fini. Napoléon, après un moment de colère, où peut-être il pensa à la guerre, parait avoir voulu profiter de l'occasion pour unir la Belgique à la France, non par une annexion ou une union douanière, mais par une alliance politique ; ce serait une partie du plan général d'alliances contre la Prusse.

Ce projet se heurta au traité de 1832 qui avait mis la Belgique sous la garantie des grandes Puissances. Il suffit à Frère-Orban de se retrancher derrière le devoir de neutralité imposé au peuple belge par ses protecteurs. Le gouvernement anglais prévint l'Empereur que, s'il ne faisait pas aboutir la négociation, il soulèverait en Europe une réprobation générale. L'affaire fut réglée (27 avril) par un protocole qui créa une commission mixte, sans lui donner de question précise à traiter. L'Angleterre et la Prusse félicitèrent la Belgique. Ce fut un échec de Napoléon.

 

VIII. — PROJETS D'ALLIANCE CONTRE LA PRUSSE.

NAPOLÉON  crut en 1869 avoir réorganisé les forces militaires. Le ministre de la Guerre Niel lui dit en Conseil qu'il avait la plus belle armée du monde, et à l'impératrice : Je suis prêt et vous ne l'êtes pas. Il dit au Sénat que l'armée pouvait être mise très vite sur pied et qu'il ne lui manquait rien ; au Corps législatif, qu'en huit jours il pouvait même à l'improviste réunir 400.000 hommes. Un résumé des grands résultats obtenus en deux années, publié à l'Officiel (avril 1869), annonçait 750.000 hommes disponibles pour la guerre.

Confiant dans son armée, Napoléon reprit une politique active, il travailla à s'allier contre la Prusse avec l'Autriche et l'Italie. L'ambassadeur français à Vienne, Gramont, y poussait depuis 1868: l'Autriche n'a pas renoncé à tenir une place dans la patrie allemande ; elle se fortifie et organise ses forces matérielles pour le jour où il faudra combattre. L'ambassadeur autrichien à Paris, Metternich, familier de la Cour, faisait à Napoléon des confidences analogues. L'Autriche et l'Italie réorganisaient leurs armées sur le modèle prussien. Dans la commission des Délégations (pour les affaires communes à l'Autriche et à la Hongrie), Beust parlait des rapports tendus entre la France et la Prusse ; il manœuvrait, semble-t-il, pour obtenir de la France une alliance défensive seulement ; car, Napoléon lui ayant proposé de demander à la Prusse ses intentions sur la ligne du Mein, il refusa de s'engager pour le cas où la Prusse franchirait la ligne.

Les négociations d'alliance furent engagées en secret par des agents officieux. Un Hongrois, le général Türr, confident du prince Napoléon et aide de camp de Victor-Emmanuel, fut envoyé par lui pour améliorer les relations avec l'Italie ; Napoléon lui parla d'une triple alliance comme garantie de paix (31 décembre 1868) et écrivit au roi, mais il ne dit rien de l'évacuation de Rome ; puis Türr alla à Vienne, où on lui dit que l'armée autrichienne n'était pas prête.

La négociation se poursuivit entre les ministres par des agents confidentiels, en cachette des ambassadeurs. Les Français rédigèrent un projet d'alliance entre l'Autriche et l'Italie : alliance défensive, sauf le cas où une puissance menacerait de la guerre ; l'Autriche céderait le Trentin à l'Italie et recevrait ailleurs une compensation. Restait la question de Rome : Victor-Emmanuel demanda à Napoléon une lettre fixant un délai pour l'évacuation. Napoléon ne voulut dire sa résolution que verbalement. L'Italie désirait que la France en retirant ses troupes promît de respecter le principe de non-intervention, Napoléon refusa. On ne put aboutir à un traité ; mais on décida de regarder les négociations comme suspendues seulement, pour marquer l'intention de les reprendre, les trois souverains échangèrent des lettres autographes.

Ils déclaraient adhérer à l'idée d'une triple alliance entre la France, l'Autriche et l'Italie, dont l'union présentera une puissante barrière à d'injustes prétentions et contribuera à établir sur des bases plus solides la paix de l'Europe. Ils promettaient de se concerter pour suivre une politique commune, et de ne pas s'entendre avec une autre puissance.

Le gouvernement prussien eut le soupçon de ce rapprochement destiné à isoler la Prusse. Bismarck interrogea Benedetti qui, ne sachant rien, répondit de bonne foi que le bruit était sans fondement.

Napoléon nomma ambassadeur en Russie son confident Fleury, qui avait, comme général, accès personnel auprès d'Alexandre, avec mission de lui montrer le danger de l'unité allemande et de protester contre le refus d'exécuter la clause du Slesvig. Alexandre écrivit au roi de Prusse au sujet du Slesvig et n'obtint qu'une réponse évasive ; il emmena Fleury chasser l'ours, mais ne lui fit pas de confidence. Il envoya au roi Guillaume l'ordre de Saint-Georges, eu témoignage de l'amitié fondée sur les souvenirs de cette année à jamais mémorable où nos armées réunies combattaient pour une cause sainte qui nous était commune. Cette allusion hostile (à 1814) marquait sa volonté de ne pas se rapprocher de la France. Napoléon prévint Fleury que tout ce qu'il dirait serait répété à Berlin. Le nouveau ministre des Affaires étrangères Daru lui recommanda l'abstention pure et simple. La Russie ne cherchait d'entente que sur la question d'Orient ; Gortschakoff proposa de réviser le traité de Paris ; Daru refusa de répondre. Fleury se plaignit de ce retour à la politique de Louis-Philippe. Napoléon, résigné à son échec, lui écrivit : Il n'y a guère de grands projets à former ; vos efforts doivent se borner à une entente par des conversations (1er mars 1870).

Toute entreprise diplomatique semblait si difficile et toute guerre en Europe si improbable que Daru, partisan de la paix, crut le moment venu de reprendre le projet de désarmement anglais de 1868. Le gouvernement anglais chargea son ambassadeur de lire à Bismarck un mémorandum sur la diminution des armées permanentes. Daru se déclara résolu à désarmer (10 février) et, pour témoigner les sentiments pacifiques de la France, à réduire de 10.000 hommes le contingent de 1870.

Le gouvernement anglais le fit savoir à Berlin en proposant de diminuer les effectifs. Bismarck objecta qu'il ne pouvait être assuré de la: durée du ministère français, et que la Prusse était exposée à une coalition entre la France et l'Autriche (11 mars). Puis il se retrancha derrière l'opinion de son roi, et expliqua que l'effectif en Prusse, étant lié à la durée du service, ne pourrait être modifié que par un bouleversement du système.

Le Concile œcuménique ouvert le 8 décembre 1869 au Vatican mettait le gouvernement français dans l'embarras. De peur d'un conflit avec l'autorité ecclésiastique, l'Empereur, renonçant à tous les procédés traditionnels d'intervention de l'autorité laïque, n'avait ni envoyé de représentant officiel, ni donné d'instructions aux évêques français membres du Concile, ni imposé l'autorisation de l'État pour la publication en France de ses actes. Mais, quand un journal allemand publia (10 février 1870) le texte du projet sur la doctrine du pouvoir obligatoire de l'Église, le ministre des Affaires étrangères, Daru, personnellement attaché à la tradition gallicane, envoya à l'ambassadeur à Rome une dépêche approuvée en Conseil, où il protestait d'avance contre cette consécration de l'autorité suprême de l'Église sur la société civile, et demandait que les projets sur les matières touchant au pouvoir civil fussent communiqués au gouvernement français (20 février). Pie IX ne répondit pas, et fit ajouter au projet un chapitre sur l'infaillibilité du pape. Daru répliqua (10 mars) par une dépêche où, au nom des droits conférés au chef de l'État par le concordat, il demandait que le gouvernement fût entendu sur des sujets qui touchent à l'ordre politique ; puis il fit approuver par les États catholiques et remettre par l'ambassadeur français au pape un mémorandum où il demandait d'écarter du projet tout ce qui avait pour objet de subordonner la société civile à l'empire du clergé. Pie IX refusa de le communiquer au Concile.

Le monde militaire continuait en secret ses préparatifs d'alliance. L'archiduc Albert, frère de l'empereur d'Autriche, vint à Paris, vit en détail l'armée française, et proposa à Napoléon d'étudier un plan de campagne pour une opération des armées des trois États contre la Prusse (mars-avril). Sur la demande de François-Joseph, Napoléon, sans prévenir les ministres, chargea Lebœuf, ministre de la Guerre, de désigner un officier pour aller à Vienne discuter le projet. Lebœuf objecta que cette opération contredisait la politique pacifique du cabinet. L'archiduc insista. Le général Lebrun, de l'état-major, envoyé en Autriche, eut avec l'archiduc quatre conférences. Ils discutèrent un plan d'opération. Napoléon désirait l'entrée en campagne simultanée des trois États. Albert objecta que l'Autriche ne pouvait mobiliser aussi vite que la France ; il comptait que la Prusse avait besoin de six semaines. On décida donc que l'armée française, prête la première, envahirait l'Allemagne du Sud ; l'Autriche rassemblerait ses troupes en Bohême et ferait venir l'armée italienne par le Tyrol. Mais François-Joseph avertit Lebrun qu'il voulait la paix et ne prêterait son aide qu'au cas où Napoléon, contraint à accepter la guerre, entrerait en Allemagne du Sud en libérateur ; ce n'était qu'une entente défensive.

Tandis que Napoléon préparait une campagne à date indéterminée, un incident de politique intérieure amenait à la direction de sa politique étrangère l'homme qui allait l'entraîner à la guerre. Après le plébiscite, Daru donna sa démission, Ollivier prit par intérim le ministère des Affaires étrangères, et l'eût volontiers gardé. Mais l'Empereur tint à avoir un diplomate de carrière. Ollivier proposa Gramont, qu'il trouvait séduisant et perspicace. Napoléon objecta d'abord qu'il était étranger à la Chambre, puis accepta en disant : N'importe qui, puisque nous sommes décidés à ne rien faire. Ce choix fortuit allait décider du sort de la France. Gramont, vivant dans la tradition autrichienne depuis 1861, méprisait la Prusse, comme une puissance subalterne ; en 1866 et en 1868 il avait proposé la guerre, il ne la redoutait pas. A son départ de Vienne, Beust, autorisé par Napoléon, lui révéla le projet de traité (non signé) et les lettres autographes de 1869 ; l'assentiment du ministre autrichien put les lui faire prendre pour des engagements 'officiels et lui donner l'illusion d'une alliance.

En France, le projet d'accord militaire avec l'Autriche ne fut connu que du ministre de la Guerre, le projet diplomatique de triple alliance ne fut révélé qu'au ministre des Affaires étrangères. Napoléon ne communiquait pas les secrets d'État aux ministres parlementaires.