I. — LES PRÉPARATIFS DE LA RUPTURE ENTRE LA PRUSSE ET L'AUTRICHE. BISMARCK jugeait inévitable la guerre contre l'Autriche, mais ne pouvait agir que dans la mesure où il parvenait à entraîner le roi ; Guillaume voulait maintenir la paix. Le prince royal désapprouvait la politique intérieure de Bismarck, alors en conflit aigu avec la Chambre, et, comme tous les princes et les patriotes allemands, il reconnaissait le droit d'Augustenbourg sur les duchés. A défaut de l'annexion, Bismarck voulut imposes' au duc d'Augustenbourg, avant de le mettre en possession, des conditions qui rendraient le pays dépendant de la Prusse. L'Autriche repoussa celles qui feraient du duc le subordonné du roi de Prusse, contrairement au principe de la Confédération, dont tous les membres devaient être égaux en droits. Le duc, encouragé par l'Autriche, refusa ; la Diète décida de l'installer dans les duchés. Le conflit s'engagea. Bismarck voulut savoir ce que le gouvernement français comptait faire en cas de guerre ; il le demanda à l'ambassadeur français. C'était alors Benedetti, fonctionnaire des Affaires étrangères, indifférent en politique, soucieux seulement de plaire ; il n'avait pas la confiance de son ministre, à qui il avait. été imposé par Rouher, et ne savait rien des intentions de Napoléon. Bismarck n'en tira rien. Le roi de Prusse tint un Conseil (29 mai 1865). Bismarck et le chef d'état-major Moltke l'engagèrent à la guerre. Il ne put s'y décider ; mais il fut si irrité des manifestations en l'honneur du duc qu'il écrivit à l'empereur d'Autriche une lettre menaçante. En allant aux eaux à Gastein, il réunit à Ratisbonne un Conseil des ministres où l'on rédigea un ultimatum qui devait amener la rupture (21 juillet). Bismarck fit demander à la France de rester neutre ; Drouyn de Lhuys répondit que la France n'avait aucun motif de sortir de la neutralité, mais il refusa de s'engager par écrit, car il ne pourrait refuser à l'Autriche la même garantie. L'Italie, malgré les conseils de prudence de Drouyn de Lhuys, assura à la Prusse qu'elle la suivrait dans la guerre contre l'Autriche. Mais les deux souverains, personnellement, répugnaient à se faire la guerre. En Autriche, le ministère antiprussien venait d'être remplacé par un ministère de seigneurs conservateurs, peu disposés à une entreprise ; l'armée n'était pas prête. Guillaume, influencé par sa femme et son fils, accepta de négocier. Par la convention de Gastein (14 août), la propriété des deux duchés fut laissée indivise ; les contractants s'en partagèrent l'administration, l'Autriche en Holstein, la Prusse en Slesvig. Ce n'était qu'un replâtrage, disait Bismarck. Napoléon, surpris et mécontent, protesta publiquement, au nom du droit international, par une circulaire aux agents français, contre un décret contraire aux désirs de l'Allemagne et des duchés, qui blessait les traités, le droit, la succession, le principe des nationalités, la volonté populaire. — Nous regrettons de n'y trouver d'autre fondement que la force, d'autres justifications que la convenance réciproque des deux copartageants. A Fontainebleau (28 août) il se plaignit à Goltz de cet acte, contraire à tous les principes du programme prussien. Mais il se calma quand il sut que l'accord de Gastein n'impliquait ni une entente contre la France ni une garantie de la Vénétie ; il invita Goltz à venir à Biarritz, et fit télégraphier à Berlin une explication de sa protestation, où il parlait de resserrer les liens (22 septembre). Bismarck continuait à préparer la guerre. Il savait que le roi ne la ferait qu'assuré de l'alliance de l'Italie, et que l'Italie ne se risquerait pas sans la permission de Napoléon. Il alla en France voir à quel prix il l'obtiendrait. Il fut reçu à Biarritz, et causa avec l'Empereur en se promenant sur la plage ; ce qu'ils se dirent n'est connu que par le rapport de Bismarck au roi et quelques mots de Napoléon à des confidents. Ils parlèrent de la Vénétie, des duchés, des épidémies apportées par les pèlerins de la Mecque, de la Roumanie qui pourrait servir à compenser la Vénétie ; Napoléon écouta plus qu'il ne parla ; on ne fit pas de promesse, on ne prit pas d'engagement. Napoléon a raconté à Ollivier qu'il ne put pas démêler ce que Bismarck voulait, et Bismarck a dit (à Persigny en 1867) qu'il essaya en vain de deviner la pensée de l'Empereur. Il est vrai que Napoléon évita de rien préciser, mais Bismarck apprit ce qu'il avait besoin de savoir : l'Empereur s'intéressait encore à la Vénétie, et laisserait agir l'Italie. II. — L'ALLIANCE ENTRE LA PRUSSE ET L'ITALIE ET L'INCIDENT DE LA ROUMANIE. BISMARCK engagea en même temps le conflit avec l'Autriche à propos de son administration en Holstein, et les négociations avec l'Italie pour une alliance offensive. Il fit venir à Berlin l'ambassadeur Goltz pour s'assurer des dispositions de l'Empereur. Guillaume tint un grand Conseil (28 février 1866) avec les ministres, trois généraux, Goltz et le prince royal. Goltz rapporta que Napoléon l'avait prévenu de ne tenir aucun compte des informations des journaux français, même quand elles émanaient d'un ministre : Je sais seul ce que sera la politique extérieure de la France. Le Conseil ne se prononça pas pour la guerre, mais décida d'envoyer Moltke en Italie. Goltz rentra à Paris avec une lettre du roi, annonçant que la Prusse ne se contentait plus de régler la possession des duchés ; elle tendait à établir entre les États de l'Allemagne du Nord une union analogue à celle de 1849. C'était la première fois que reparaissait l'idée de l'unité allemande. Napoléon n'y lit pas d'objection ; il fit seulement remarquer à Goltz la différence entre la frontière française de 1815 et celle de 1814. Son idée fixe de remanier les traités de 1815 s'appliquait ici aux places fortes enlevées à la France en 1815, Landau et Sarrelouis. Mais il ne demanda rien. Tout resta secret entre Goltz et l'Empereur. La crise fut retardée par la révolution de Roumanie. Le prince Alexandre, en conflit violent avec les nobles et les libéraux, avait été surpris la nuit, arrêté et emmené hors du pays. Le gouvernement provisoire, pour empêcher la jalousie entre les grandes familles roumaines, inévitable si l'on prenait un seigneur indigène, envoya en Europe demander un prince étranger. Le gouvernement français offrit de transférer la Conférence pour les affaires de Roumanie et Constantinople à Paris, et de maintenir l'union des principautés sous un prince étranger ; la Russie et l'Autriche n'acceptèrent pas. Le gouvernement italien proposa à Napoléon d'employer la Roumanie comme objet d'échange à donner à l'Autriche pour obtenir la Vénétie sans guerre. Napoléon adopta le projet, en conseillant à l'Italie de s'entendre avec la Prusse pour effrayer l'Autriche et la décider à l'échange. Un envoyé militaire italien, le général Govone, négocia à Berlin parallèlement avec les négociations à Paris pour obtenir le consentement de Napoléon. Ce furent des opérations secrètes et tortueuses, cachées aux ambassadeurs français en Prusse et en Italie ; chacun des trois gouvernements se défiait des autres, craignant d'être employé connue instrument pour intimider l'Autriche, et d'être lâché quand les autres en auraient obtenu ce qu'ils désiraient, en Allemagne ou eu Vénétie. A Berlin on discuta la forme de l'accord et surtout le moment de l'action. Govone dit que son gouvernement répugnait à s'engager pour une éventualité lointaine. Bismarck offrit de retarder la mise en vigueur du traité jusqu'à ce que la Prusse eût trouvé l'occasion d'une rupture en Allemagne. Mais il disait ne pouvoir préciser l'époque de la guerre. Puis il proposa à l'Italie de s'engager à déclarer la guerre en cas de conflit. Mais les Italiens n'avaient reçu d'instruction que pour un traité en vue d'une action immédiate ; ils demandèrent à leur gouvernement d'accepter une action dans un délai de deux mois (21 mars). Bismarck proposa la formule traité général d'alliance offensive et défensive. Le roi Guillaume hésitait ; sa famille, la cour d'Angleterre, le tsar le poussaient à la paix ; il se disait décidé à la guerre, mais seulement s'il ne parvenait pas à s'entendre avec l'Autriche. Le chef du ministère italien, le général La Marmora, consulta Napoléon. L'Empereur et son ministre des Affaires étrangères suivaient deux politiques opposées. Le ministre, partisan de la paix, aurait voulu garder la neutralité, et refusa de donner aucun conseil à l'Italie ; Napoléon, désirant la guerre, refusa la médiation proposée par l'Angleterre, et engagea La Marmora à accepter l'alliance comme un moyen de décider la Prusse à déclarer la guerre elle-même (21 mars). Puis il envoya son cousin Jérôme conseiller à Victor-Emmanuel de signer le traité, même sans réciprocité, et lui promettre son aide si la Prusse l'abandonnait. Les Italiens signèrent enfin un traité secret d'alliance offensive et défensive, valable pendant trois mois (8 avril). L'Italie s'engageait, sur l'initiative prise par la Prusse, à déclarer la guerre à l'Autriche — Guillaume fit retrancher la clause et ses alliés allemands. L'affaire de Roumanie avait servi à pousser l'Italie dans l'aventure. La France n'osa pas proposer l'échange contre la Vénétie, et l'Angleterre lui refusa ce service. On en revint au choix d'un prince étranger ; Napoléon, probablement sur le conseil de son amie d'enfance Mme Cornu, proposa un prince de la maison de Hohenzollern, Charles, de la branche catholique de Sigmaringen, lieutenant dans l'armée prussienne. Ce fut une preuve d'entente avec la Prusse. Le sultan et le tsar s'opposaient à ce choix ; Bismarck ne leur laissa pas le temps d'agir. II conseilla au prince d'aller demander au roi, non pas son approbation, mais seulement son congé de lieutenant. Le roi est assez fin, dit-il, pour deviner vos intentions. Charles, avec son congé, arriva en Roumanie et fut reconnu prince. Bismarck put exprimer sa surprise et déclarer que le prince était parti à l'insu du roi. Le sultan menaça d'envoyer des troupes (24 mai) ; mais la Conférence lui interdit d'intervenir avant un accord entre les Puissances. Elle ordonna aux agents diplomatiques ne n'avoir avec le prince hue des relations officieuses, mais l'affaire était réglée en fait : Charles resta prince de Roumanie. III. — LA RUPTURE ENTRE LA PRUSSE ET L'AUTRICHE. LE motif officiel du conflit entre la Prusse et l'Autriche était l'administration autrichienne en Holstein ; Bismarck, pour se concilier le sentiment national allemand, y joignit un projet de réorganisation de l'Allemagne analogue à l'Union de 1849, avec un Reichstag élu au suffrage universel (11 mai). L'Italie prépara sa mobilisation, l'Autriche réclama ; la Prusse commença à mobiliser. La guerre parut imminente. Alors commencèrent les efforts pour maintenir la paix. Le Corps législatif, hostile à la fois au royaume d'Italie, à la Prusse protestante et à l'unité allemande, manifesta ses sentiments en applaudissant le discours de Thiers contre l'entente avec la Prusse : consentir à l'unité allemande, même au prix d'une augmentation de territoire, c'était consentir à l'abaissement de la France. Napoléon exprima son mécontentement par le discours d'Auxerre (voir livre Ier, chapitre III).Cette manifestation brusque alarma l'opinion. L'Angleterre essaya, comme en 1859, d'empêcher la guerre par un Congrès. Le gouvernement autrichien refusa. Il ne tenait plus à la Vénétie ; mais (comme le ministre l'expliqua à Gramont) il pensait qu'un État ne peut offrir un territoire pour la seule satisfaction de ses voisins. Il comptait, après la défaite de la Prusse, compenser la Vénétie par un territoire équivalent en Allemagne, la Silésie. Le prince Napoléon proposa de faire céder la Vénétie à l'Italie pour la décider à rester neutre. Napoléon communiqua le projet au gouvernement italien en lui demandant s'il se croyait libre ; le gouvernement répondit qu'il était engagé, mais seulement jusqu'à l'expiration du traité. Napoléon hésita entre la guerre et un Congrès pour la cession de la Vénétie ; il pensa à indemniser l'Autriche avec la Bosnie. Drouyn de Lhuys proposa à l'Angleterre et à la Russie un Congrès pour résoudre les trois questions causes du conflit, Vénétie, duchés, réforme de l'Allemagne. Toutes deux acceptèrent, à condition de remplacer le mot Vénétie par un terme vague le différend italien, et de ne pas s'occuper du pouvoir temporel. On rédigea (24 mai) la lettre d'invitation pour le 12 juin. Le monde des affaires espéra la paix. En même temps, Bismarck, informé par les banquiers, cherchait à savoir les projets de Napoléon. Il disait à Benedetti que, si la Prusse restait seule, elle combattrait pour la réforme de l'Allemagne, et parlait de compensations à donner à la France. Il chargea Goltz de prier le gouvernement français de désigner ce qu'il demanderait ; Drouyn de Lhuys répondit que c'est l'État qui s'agrandit qui doit désigner l'équivalent ; Napoléon dit qu'il ne demandait rien. L'envoyé militaire italien Govone, revenu de Paris à Berlin, informa Bismarck des négociations pour la neutralité de l'Italie. Bismarck, inquiet, se retourna vers l'Autriche ; il envoya un agent confidentiel lui proposer une alliance pour partager l'Allemagne en deux confédérations et conquérir l’Alsace. L'Autriche refusa, et décida d'accepter le Congrès ; mais, comme en 1859, elle y mit des conditions qui le rendaient impossible : exclure tout agrandissement, inviter le pape (1er juin). Napoléon, qui ne voulait le Congrès que pour faire céder la Vénétie à l'Italie, regarda la réponse comme un refus. Bismarck prépara la rupture, il fit entrer l'armée prussienne en Holstein. Pour gagner Napoléon, il parlait à Benedetti de compensations en pays de langue française (Belgique, Suisse), peut-être même en pays allemand sur la Moselle ; il paraît avoir tenu des propos analogues à l'Italien Govone. Il a dit plus tard qu'il avait entretenu les hommes d'État français dans leurs illusions, sans leur faire de promesses. Benedetti n'était pas dans le secret de son gouvernement et n'avait pas d'influence ; il transmit les conversations, en avertissant que personne en Allemagne, sauf Bismarck, ne supportait l'idée de sacrifier un territoire allemand. Bismarck luttait encore pour décider le roi Guillaume à sauter le fossé. Guillaume hésitait à prendre la responsabilité d'une guerre ; mais, quand il sut que l'empereur d'Autriche allait rejoindre son armée, il se décida. Napoléon réunit en Conseil les ministres et les membres du Conseil privé. Drouyn de Lhuys exposa la situation sans conclure ; Duruy parla de prendre la rive gauche du Rhin ; Persigny protesta au nom du principe des nationalités, et dit qu'il fallait laisser l'Allemagne du Nord à la Prusse et donner les pays du Rhin à de petits princes. Napoléon décida de rester neutre, niais en demandant à la Prusse la garantie de ne faire d'arrangement que d'accord avec lui. Il n'exigea pas d'engagement écrit, et se contenta des déclarations verbales de Bismarck et de Goltz, affirmant que rien ne serait définitivement réglé sans une entente avec la France. Dans le public on crut à un traité secret. Pour assurer la Vénétie à l'Italie dans tous les cas, Napoléon conclut un traité avec l'Autriche : la France promit de garder une neutralité absolue, et de faire tous ses efforts pour décider l'Italie à rester neutre. L'Autriche s'engagea, si le sort des armes la favorisait en Allemagne, à céder à Napoléon la Vénétie, à ne rien changer à l'état de l'Italie, à s'entendre avec la France pour les remaniements de territoire de nature à déranger l'équilibre européen ; elle comptait regagner un équivalent aux dépens de la Prusse. Une note additionnelle secrète contenait une déclaration réciproque, promettant de maintenir le pouvoir temporel, et de ne pas intervenir s'il se produisait un mouvement spontané pour détruire l'unité italienne. Napoléon marqua sa position officielle par une lettre (du 11 juin) au ministre des Affaires étrangères, lue au Corps législatif. La guerre a trois raisons : 1° la situation géographique de la Prusse, mal limitée, 2° les vœux de l'Allemagne pour une reconstitution politique, 3° la nécessité d'assurer l'indépendance de l'Italie. Les remèdes sont l'accroissement de force de la Prusse dans le Nord, une union plus étroite des États allemands avec un rôle plus important des États moyens, l'annexion de la Vénétie.... La France n'a pas d'intérêt direct, elle ne demande que l'équilibre européen et le maintien de l'Italie ; elle gardera une neutralité désintéressée, assurée par les déclarations des pays en conflit qu'aucune des questions qui nous touchent ne sera résolue sans l'assentiment de la France. Napoléon avait préparé la guerre et la voyait venir avec sécurité, certain d'en tirer en tout cas un avantage pour la France ou pour l'Italie, puisqu'il resterait maitre des décisions finales. Aucune méthode ne permet de préciser les motifs secrets d'un homme qui pensait sans précision ; mais on peut présumer que, si Napoléon n'a ni demandé un engagement écrit ni indiqué les compensations qu'il attendait, c'est qu'il jugeait plus avantageux de ne rien formuler, pour rester maitre de régler ses demandes d'après l'état où la guerre aurait mis les belligérants. La Diète décida de mobiliser l'armée fédérale contre la Prusse ; la rupture devint officielle, sans déclaration de guerre ; la Prusse prit position par une déclaration aux Puissances et une proclamation du roi, l'Autriche, par un manifeste. Les quatre États Allemands du Sud et presque tous les États de l'Ouest prirent parti pour l'Autriche, quelques-uns restèrent neutres, aucun ne soutint la Prusse. La Prusse concentra toutes ses forces contre l'Autriche et ses alliés. Guillaume, en partant de Berlin, déclara à Benedetti qu'il était dans les mains de l'Empereur et comptait sur sa loyauté, et Bismarck lui dit que les Prussiens poussaient la confiance jusqu'à laisser dégarnie la province du Rhin. La France ne rassembla point de troupes de ce côté. IV. — LA POLITIQUE FRANÇAISE PENDANT LA GUERRE DE 1866. LA guerre se fit entre deux coalitions, à la fois en Italie, en Allemagne, en Autriche. En Italie, Victor-Emmanuel, partagé entre les deux plans contradictoires de Cialdini et de La Marmora, divisa ses forces en deux armées elles entrèrent en Vénétie, où l'armée autrichienne commandée par l'archiduc Albert les attendait. La principale fut surprise et mise en déroute à Custozza, l'autre se retira. En Allemagne, une armée prussienne atteignit la petite armée hanovrienne en retraite (à Langensalza), la captura, et s'avança dans l'Allemagne du Sud de façon à paralyser tous les États allemands. La guerre se décida en Autriche. La Prusse mobilisa plus vite, et prit l'offensive ; trois armées (ensemble près de 300.000 hommes), manœuvrant séparément, entrèrent en Bohème. Les Prussiens, armés depuis 1847 du fusil se chargeant par la culasse (surnommé fusil à aiguille), avaient un tir plus rapide et plus précis ; ils repoussèrent les Saxons et les Autrichiens. L'armée autrichienne, concentrée en une seule masse, attendit retranchée dans une région accidentée et boisée ; le général en chef, Benedek, télégraphia à l'empereur qu'une catastrophe était inévitable, et qu'il le priait de conclure la paix (1er juillet). Le 3 juillet, deux armées prussiennes attaquaient. Ce fut la bataille de Sadowa. Elle resta indécise jusqu'après midi, et fut décidée par l'arrivée de la 3e armée prussienne. L'armée autrichienne se retira, épuisée et démoralisée, hors d'état de défendre la route de Vienne. Cette campagne si rapide, terminée par une bataille si décisive, déconcerta tous les calculs. Personne ne s'attendait à voir l'Autriche, empire de 35 millions d'habitants, réduite d'un seul coup à l'impuissance par un État de 18 millions d'âmes, dont les soldats, recrutés par un service à court terme et n'ayant jamais vu le feu, passaient dans le monde militaire pour une sorte de garde nationale. Tous les gouvernements comptaient ou sur la victoire de l'Autriche ou sur des opérations longues et indécises qui leur laisseraient le temps d'armer et d'imposer leur médiation : Napoléon avait évité de faire des préparatifs militaires avant la rupture, de crainte de l'empêcher, et n'avait pas jugé nécessaire d'en faire après. La nouvelle de la bataille de Sadowa le surprit et d'abord lui fit plaisir ; il y vit le succès de son dessein en Italie : l'ambassadeur autrichien vint en effet aussitôt offrir de lui céder la Vénétie, à condition de faire occuper les placés fortes et d'obtenir de l'Italie un armistice. Napoléon répondit qu'il ne pouvait proposer à l'Italie d'arrêter seule les hostilités ; mais il offrit sa médiation, que l'Autriche accepta ; il télégraphia en Italie pour proposer un armistice général, en Prusse pour avertir que les résultats de la guerre le forçaient à sortir de son rôle de complète abstention (4 juillet). Le Moniteur du 5 annonça que l'empereur d'Autriche cédait à Napoléon la Vénétie et acceptait sa médiation. On eut en France l'impression d'un succès de la politique française : le ministre La Valette demanda s'il l'allait illuminer. Le prince Napoléon déclara honteuse pour l'Italie la cession de la Vénétie par intermédiaire, et fit dire à Bismarck de repousser la médiation, de marcher sur Vienne et d'anéantir l'Autriche ; la France murmurerait, niais ne ferait pas la guerre. Drouyn de Lhuys, favorable à l'Autriche, engagea l'Empereur à rassembler un corps d'armée sur la frontière prussienne, à convoquer les Chambres pour voter les crédits, et à déclarer à la Prusse que la France ne permettrait aucun changement en Allemagne. Napoléon réunit à Saint-Cloud un Conseil pour discuter les mesures militaires. Le ministre de la Guerre Randon dit que l'armée était sur le pied de paix ; mais il croyait pouvoir rassembler 80.000 hommes et 100 canons, et en vingt jours arriver à 250.000 ; il conseilla d'agir, sentant que les Français aussi avaient été vaincus à Sadowa. Drouyn de Lhuys appuya : 80.000 hommes, c'est trop, 40.000 suffisent ; moins encore, les gardes champêtres. Il montra l'armée prussienne très éloignée de sa base d'opérations, les armées des Allemands du Sud intactes, aucun danger de guerre, l'occasion excellente pour réparer les brèches faites en 1815. Le ministre de l'Intérieur La Valette désapprouva cette démonstration militaire peu sûre ; les acquisitions nécessaires pour compenser celles de la Prusse, on les obtiendrait mieux par des négociations ; il fallait éviter une alliance avec l'Autriche, déshonorante pour Napoléon (5 juillet). L'Empereur suivit successivement les deux avis. Il signa d'abord le décret convoquant le Corps législatif', et tint prêt pour le lendemain matin le décret de mobilisation. Le lendemain, croyant son offre de médiation acceptée, il ne signa pas le décret de mobilisation ; le soir, après un entretien avec Rouher, il supprima le décret de convocation. Dès lors, il ne pensa plus qu'à un armistice. Il refusa à l'ambassadeur autrichien d'envoyer des troupes françaises en Vénétie ; à Beust, venu de la part de l'empereur d'Autriche demander des troupes sur le Rhin, il conseilla de conclure la paix. Le gouvernement russe ayant proposé une note identique des trois États neutres pour dénier à la Prusse le droit de détruire seule la Confédération, Drouyn de Lhuys lui demanda de préciser dans quelle mesure il soutiendrait la conclusion de sa note, et refusa de s'associer à une démarche qui aurait un caractère comminatoire. Napoléon laissa ainsi passer le moment d'intervenir efficacement. L'offre de médiation irrita à la fois le roi de Prusse vainqueur, qui voulait profiter de sa victoire, le roi d'Italie vaincu, qui comptait réparer sa défaite. Guillaume dit : C'est incroyable ! Il télégraphia qu'il acceptait, mais en se réservant de fixer les conditions de l'armistice et de se mettre d'accord avec l'Italie. Victor-Emmanuel reprocha à Napoléon de manquer de bonne foi ; il demanda à consulter ses ministres et à s'assurer des dispositions de son allié. Sans refuser nettement la médiation, chacun des deux se couvrit de l'autre pour tenir en suspens son consentement. Les Italiens, humiliés de recevoir la Vénétie de Napoléon, voulaient la conquérir eux-mêmes ; dans plusieurs villes la foule manifesta contre les Français. Quand Napoléon télégraphia à Victor-Emmanuel que le roi de Prusse acceptait la médiation s'il y consentait, Victor-Emmanuel répondit que cette forme de cession de la Vénétie n'atteindrait pas le but de consolider les garanties de la paix ; l'armée italienne se remit en marche. Sur une nouvelle proposition de Napoléon, le gouvernement italien télégraphia à Berlin qu'il marcherait en tout d'accord avec la Prusse représentant la nation allemande. En même temps, Guillaume envoyait à Napoléon une lettre remettant l'armistice jusqu'à ce qu'on se fût mis d'accord sur les conditions de la paix. Le rôle de médiateur échappait à Napoléon. Il avait compté sur une guerre normale sans résultat décisif, qui lui permettrait d'imposer la paix au vainqueur, comme Guillaume la lui avait imposée en 1859. Le succès anormal de la Prusse créait une situation nouvelle Mais le personnel français ne se résigna pas à changer sa politique pour l'adapter à ces conditions exceptionnelles. Il continua à vouloir exécuter le projet préparé avant la surprise de Sadowa. V. — LE RÔLE DE LA FRANCE DANS LES NÉGOCIATIONS DE PAIX. LES belligérants se dérobaient à la médiation ; le gouvernement français décida de les y obliger par une démarche personnelle. Le ministre ordonna à l'ambassadeur Benedetti d'aller rejoindre le roi de Prusse à l'armée pour lui demander d'accepter un armistice et de le faire accepter à son allié italien (9 juillet). Benedetti parvint à atteindre le roi au camp à Zwickau (11 juillet). Bismarck ne cacha pas son déplaisir ; la médiation ne profitait qu'à l'Autriche qui, laissée seule, aurait été obligée de demander la paix. II déclara pourtant que le roi l'acceptait, mais sous conditions et d'accord avec l'Italie. Benedetti proposa de suspendre la marche de l'armée, Bismarck répondit que les opérations militaires étaient du domaine de l'état-major. Le lendemain, Benedetti vit le roi, qui manifesta son désir de plaire à Napoléon, mais se réserva de consulter son chef d'état-major. Un conseil décida de s'abstenir d'hostilités pendant trois jours, à des conditions que Bismarck fit parvenir écrites aux Français. L'armée continua sa marche, Benedetti, invité par le roi, le suivit en Moravie. A Paris, l'envoyé du roi, Reuss, et l'ambassadeur Goltz virent Napoléon abattu et inquiet. Il apercevait les conséquences de sa politique ; il dit à Goltz, devenu son intime, qu'en travaillant à affranchir la Vénétie il n'avait pas prévu les difficultés, et se trouvait dans une situation intenable : Goltz eut l'impression que Napoléon avait perdu la tête, et engagea son gouvernement à lui faciliter une issue pour éviter un revirement subit qui le mettrait sous l'influence du parti hostile à la Prusse. Napoléon chargea Goltz de préparer un projet de paix préliminaire, et l'accepta (14 juillet). Bismarck craignait une action combinée de la France et de l'Autriche ; soupçonnant le gouvernement italien de s'entendre avec Napoléon, il le fit sommer d'agir. Un conseil tenu à Ferrare (14 juillet) décida d'envoyer une armée vers l'Isonzo, l'autre assiéger Padoue. L'amiral de l'Adriatique reçut l'ordre d'attaquer l'escadre ou les forteresses de l'Autriche, pour obtenir un fait important qui permît de soutenir les prétentions au moment de la paix. Le résultat fut l'attaque contre Lissa, qui aboutit au désastre de la flotte italienne. L'Autriche fit revenir d'Italie une partie de ses troupes. L'armée battue en Bohême parvint, par un long détour, à regagner les environs de Vienne. L'armée prussienne était gênée par la difficulté de s'approvisionner ; elle avait perdu beaucoup d'hommes par le choléra. L'ambassadeur français à Vienne, Gramont, télégraphia à son gouvernement de profiter de cet état de choses exceptionnel pour faire une démonstration militaire vers les provinces rhénanes, afin d'appuyer la médiation. La Prusse, ayant engagé toutes ses forces militaires, était désarmée. Il est absolument impossible que la Prusse s'expose à une guerre avec nous. Bismarck a déclaré plus tard qu'il était résolu à éviter cette guerre à tout prix. C'est dans ces conditions que Guillaume reçut à Nikolsburg le projet rédigé à Paris par Goltz et Napoléon : la Confédération serait dissoute et remplacée par une fédération de l'Allemagne du Nord qui pourrait s'étendre au Sud jusqu'au Main ; la Prusse aurait les duchés, sauf le nord du Slesvig, dont la population librement consultée déciderait le sort ; Napoléon avait fait ajouter l'intégrité de l'empire autrichien, sauf la Vénétie. Guillaume protesta contre la limite du Mein, la consultation des habitants du Slesvig et le silence gardé sur les agrandissements de la Prusse en Allemagne. Bismarck le décida à ne pas rejeter, mais il n'accorda qu'une suspension d'armes de cinq jours, et télégraphia à Napoléon qu'il ne trouvait pas le projet suffisant et chargeait Goltz de lui expliquer la nécessité d'un accroissement de la Prusse (17 juillet). L'empereur d'Autriche, craignant une attaque sur Vienne, se décida à accepter les préliminaires proposés par la France ; mais le gouvernement français enjoignit à Benedetti de s'enfermer dans le rôle de médiateur et de ne pas signer le traité. La négociation officielle se fit entre la Prusse et l'Autriche. C'est à Paris que fut réglée la question capitale, celle des territoires d'Allemagne que la Prusse s'annexerait ; Bismarck tenait à obtenir le consentement de la France. Il envoya à Goltz deux projets, un minimum réduit à des morceaux de Saxe, de Hanovre et de liesse, un maximum s'étendant sur tous les États belligérants au nord du Main. Goltz vit d'abord le ministre des Affaires étrangères ; Drouyn de Lhuys, fidèle à la politique traditionnelle de protéger les petits États, pour empêcher l'unité de l'Allemagne, n'accepta qu'une annexion de 300.000 âmes, motivée sur la contiguïté des territoires, et en demandant pour la France des compensations de nature à augmenter... sa force défensive. Goltz profita de ses relations familières pour aller à Saint-Cloud traiter directement avec l'Empereur. Napoléon méprisait les petits États, et se plaisait à voir détruire les traités de 1815 en Allemagne ; il ne répugnait pas à un agrandissement de la Prusse, qu'il lui offrait depuis 1850 et qui justifierait une opération analogue au profit de la France : c'était reprendre la politique de Napoléon lei, qui avait commencé à nettoyer l'Allemagne de ses petits États. Il accorda le projet maximum, l'annexion de plus de 3 millions d'âmes, le Hanovre, la Hesse-Cassel, le Nassau, la ville libre de Francfort ; et il s'abstint de préciser les compensations pour la France. Goltz revint annoncer son succès à Drouyn de Lhuys, en ajoutant que l'Empereur réservait à des négociations ultérieures de fixer les compensations. Napoléon, après avoir permis à la Prusse de détruire l'ancienne Allemagne, l'aidait à acquérir un territoire compact et la domination sur toute l'Allemagne du Nord ; il facilitait même sa politique envers l'Autriche. Bismarck désirait n'imposer aux Autrichiens aucun sacrifice qui pût empêcher de conclure plus tard avec eux une alliance cordiale. Guillaume, par vengeance et par point d'honneur militaire, voulait exiger un lambeau de territoire et l'entrée de son armée dans Vienne : Bismarck, aidé du prince royal, parvint à le décider à n'enlever aucun territoire ni à l'Autriche ni à la Saxe ; l'agrandissement énorme consenti par Napoléon assurait à la Prusse une prépondérance qui rendait inutiles d'autres annexions. L'Autriche accepta les préliminaires par télégraphe le soir du dernier jour d'armistice (26 juillet). Le ministre de Bavière, venu pour conclure la paix, fut d'abord menacé par Bismarck si rudement qu'il demanda la protection de Benedetti. Puis Bismarck lui fit savoir que Napoléon demandait à Goltz pour la France une partie du Palatinat bavarois, et lui offrit un traité d'alliance que le Bavarois accepta avec joie. Victor-Emmanuel se plaignit que la Prusse traitât seule ; Bismarck répondit que la condition prévue dans l'alliance était remplie par la cession de la Vénétie. L'envoyé italien, n'ayant pas d'instructions, refusa de signer. Le gouvernement italien déclara n'accepter l'armistice qu'à condition de garder ce qu'il occupait (Garibaldi avait envahi le Tyrol italien) ; mais l'Autriche, délivrée de la Prusse, somma l'Italie d'accepter ou de refuser dans les huit jours. Le gouvernement italien hésita, puis retira ses troupes du Tyrol. La Russie essaya d'intervenir. Le tsar, scandalisé de la dépossession des princes légitimes en Allemagne, fit dire à Berlin qu'il regardait les annexions comme non avenues tant qu'elles ne seraient pas acceptées par un Congrès des puissances signataires des transactions de 1815, qui avaient organisé l'Allemagne. Il semble que Bismarck ait répondu par des menaces. La paix de Nikolsburg donna à la Prusse le droit de réorganiser l'Allemagne en formant une union plus étroite d'où l'Autriche était exclue, et où entrait toute l'Allemagne excepté les quatre États du Sud. Elle fut accueillie en France comme une défaite. Thiers dit que la France n'avait pas eu de plus grand malheur en 400 ans. L'impression fut accrue par une note du Moniteur, disant qu'en présence des événements, il était indispensable pour la France de remanier son organisation militaire. VI. — L'ÉCHEC DES DEMANDES DE COMPENSATION. NAPOLÉON s'était abstenu de lier la Prusse par un traité, pour IN n'avoir pas à préciser ce qu'il demanderait ; son calcul se retournait contre lui : il ne pouvait rien réclamer ni rien imposer à la Prusse, libre de tout engagement et sortie des embarras de la guerre. Il avait attendu pour formuler ses demandes d'être devenu impuissant à les soutenir. Le personnel français, pris de vertige devant l'agrandissement énorme de la Prusse, espérait obtenir de sa reconnaissance, par de simples négociations, un agrandissement équivalent. Magne écrivit à l'Empereur : Le sentiment national serait profondément blessé si... la France n'avait obtenu de son intervention que d'avoir attaché à ses flancs deux voisins dangereux. Rouher proposait une série d'annexions en Allemagne. Le sentiment public se prononce de plus en plus dans le sens d'un agrandissement.... Si nous pouvions dire officiellement : La Prusse consent que nous reprenions les frontières de 1814, — l'opinion publique aurait un aliment. Je ne crois pas que cette rectification obtenue vaille quittance pour l'avenir. Napoléon malade était parti pour Vichy ; Drouyn de Lhuys l'y rejoignit ; il écarta les réclamations de la Russie en lui faisant dire que l'Empereur ne désirait pas de Congrès ; le gouvernement anglais se déclara satisfait des agrandissements de la Prusse, et fit observer qu'on s'était bien passé de Congrès pour les annexions en Italie. Benedetti fut chargé de présenter à Berlin un projet de convention secrète (daté de Vichy) : la France recouvrerait les places que lui laissait le traité de 1814, elle obtiendrait le Luxembourg et les territoires de la rive gauche du Rhin appartenant à la Bavière et à la Hesse. Bismarck répondit d'abord qu'il ne se chargeait pas de présenter au roi cette note. — Benedetti insista pour qu'elle lui fût remise. — Bismarck notifia le refus du roi (7 août) : il était impossible de céder aucun territoire allemand, sans mettre la France en guerre contre toute l'Allemagne. — Benedetti répliqua que, si Napoléon n'obtenait pas un territoire, sa dynastie serait exposée à une révolution. Il partit aussitôt pour voir le ministre à Paris. Bismarck dit à l'envoyé italien : L'Empereur a envoyé enfin sa note d'aubergiste ; c'est ce qu'il a appelé la politique du pourboire (Trinkgeld). Pour divulguer la proposition secrète de la France, il se servit du correspondant de guerre du journal français le Siècle. Il lui avait accordé une audience et l'avait fait attendre en lui faisant savoir qu'il était en conférence avec Benedetti ; il lui fit dire par un ami que la France aurait la guerre si elle persistait dans sa demande. Le Siècle publia la nouvelle ; la presse allemande la reproduisit. Napoléon essaya de rendre son ministre des Affaires étrangères responsable de cet échec ; il écrivit au ministre de l'Intérieur que Drouyn de Lhuys avait rédigé ce projet qui devait rester secret (19 août) ; mais on en a fait du bruit, et les journaux vont jusqu'à dire que les provinces du Rhin nous ont été refusées.... Faites contredire énergiquement ces rumeurs par les journaux. Drouyn de Lhuys, ainsi désavoué, donna sa démission — il rectifia plus tard les faits par une lettre à l'Empereur, où il lui rappelait que le projet n'avait été ni rédigé à l'insu de Napoléon ni combattu par Benedetti. Cet incident, connu de toute l'Europe, ruina le crédit de Napoléon ; rapproché de ses déclarations de désintéressement de 1859 suivies des annexions de 1860, il montrait entre ses promesses et ses actes une contradiction qui ressemblait à de l'hypocrisie. L'impression fut qu'il provoquait des guerres en Europe pour s'agrandir, et couvrait ses entreprises de conquête du masque de sa politique désintéressée en faveur des nationalités. Le tsar, irrité contre la Prusse, fut retourné par le récit de ces négociations, qui lui expliquaient pourquoi l'Empereur avait refusé un Congrès ; il écrivit au roi de Prusse qu'il ne s'allierait jamais à ses adversaires. Rouher, ayant pris l'intérim des Affaires étrangères, envoya à Benedetti par message spécial (16 août) un projet de traité ostensible, qui ne donnait à la France que les places de 1814, ou le Luxembourg, et un projet d'alliance secrète où la France ne demandait rien à la Prusse et prenait ses compensations sur la Belgique. Benedetti transcrivit le projet de sa main et le porta à Bismarck (20 août). C'était un traité d'alliance offensive et défensive : la France reconnaissait les acquisitions de la Prusse, et déclarait ne pas s'opposer à une union fédérative entre les États du Midi et la Confédération du Nord ; la Prusse faciliterait à la France l'acquisition du Luxembourg. Au cas où l'Empereur serait amené par les circonstances à faire entrer ses troupes en Belgique ou à la conquérir, la Prusse assurera le concours de ses armes. Bismarck, sans accepter cet arrangement, laissa à Benedetti l'impression que la Prusse ne s'y opposerait pas. Il garda le texte du projet et, en 1870, le publia pour brouiller la France avec les Belges et les Anglais. Benedetti déclara alors l'avoir écrit sous la dictée de Bismarck ; mais les Allemands, ayant occupé le château de Rouher à Cercey, y trouvèrent dans ses papiers (qui furent publiés dans le Reichsanzeiger du 20 octobre 1870) la lettre où il indiquait à Benedetti les propositions à faire suivant les chances de succès qu'il rencontrerait. Le projet, renvoyé à Paris, revint avec les observations du gouvernement français (29 août) ; il priait la Prusse de démanteler par courtoisie les places de 1814, et proposait de choisir pour conquérir la Belgique le moment où la Prusse s'étendrait au sud du Main. Bismarck parut approuver, niais en exprimant la crainte que Napoléon n'employât ce traité à brouiller la Prusse avec l'Angleterre ; puis il prit un congé. Quand le chargé d'affaires français à Berlin reprit la négociation en y joignant des observations sur la situation de la Saxe, Bismarck se mit en colère, reprochant à la France de s'ingérer dans les affaires allemandes, et l'affaire fut renvoyée indéfiniment. VII. — LES RÈGLEMENTS DÉFINITIFS DE PAIX. LA paix définitive fut conclue d'abord entre la Prusse et l'Autriche à Prague (23 août). L'empereur d'Autriche reconnut la dissolution de la Confédération, et promit de reconnaitre la future Confédération du Nord. 11 céda au roi de Prusse ses droits sur le Holstein et le Slesvig. Napoléon refusa de signer le traité, mais il y fit inscrire les clauses qui l'intéressaient. Il espérait empêcher l'unité de l'Allemagne en opposant à la Confédération du Nord une Confédération du Sud, où entreraient les quatre États au sud du Mein (Bavière, Wurtemberg, Bade, Hesse-Darmstadt) ; il fit donc insérer les mots : les États du Sud libres de former une union allemande qui jouira d'une existence nationale indépendante. En l'honneur du principe des nationalités, la cession des duchés fut faite avec la réserve que les districts nord du Slesvig seraient rendus au Danemark, si les populations par un libre vote font connaitre le désir d'être unies au Danemark ; satisfaction de sentiment sans aucune sanction pratique. Les États allemands du Sud avaient déjà conclu avec la Prusse des traités secrets d'alliance offensive et défensive (13-22 août). Bismarck les y avait décidés en leur montrant les propositions de compensation faites par la France à leurs dépens à la fin de juillet. Il se donna le plaisir de dire à Benedetti que l'intervention de l'Empereur n'avait pas été étrangère au succès de la mission de l'envoyé de, Bavière. La Confédération du Sud, rêvée par Napoléon, était rendue impossible au moment même où il en faisait reconnaître le principe. L'Italie ne signa la paix avec l'Autriche que le 3 octobre, à Vienne. Elle espérait une rectification de frontières en Tyrol, et voulait recevoir la Vénétie sans passer par l'intermédiaire de la France. Napoléon fit comprendre à Nigra qu'il ne pouvait renoncer à cette satisfaction morale, le seul profit qu'il eût tiré de la guerre. L'Autriche céda la Vénétie à Napoléon, et donna son assentiment à ce qu'elle fût unie à l'Italie. L'Empereur envoya un commissaire prendre possession du pays et le transmettre à l'Italie. Ce fut un froissement d'amour-propre pour les Italiens. Victor-Emmanuel déclara ridicule la conduite de la France. Le gouvernement italien prétendit régler par un décret le plébiscite d'annexion, et fit afficher la convocation des électeurs. Le commissaire français, le général Lebœuf, exigea l'annulation du décret, mais il accepta que l'acte officiel de transmission s'opérai dans un hôtel de Venise ; une cérémonie dans le palais l'eût exposé à des insultes. La politique de Napoléon ne lui avait rien rapporté, ni une compensation territoriale, ni l'alliance de la Prusse, pas même l'amitié de l'Italie. De cette crise qu'il avait provoquée pour s'agrandir, la France sortait isolée et déconsidérée, menacée par le voisinage d'une Allemagne unie devenue grande puissance militaire. L'Empereur cacha sa déception par une circulaire aux agents diplomatiques (16 sept.) : L'opinion flotte incertaine entre la joie de voir les traités de 1815 détruits et la crainte que la puissance de la Prusse ne prenne des proportions excessives entre le désir de maintenir la paix et l'espérance d'obtenir par la guerre un agrandissement territorial. Suivait le tableau de l'Europe depuis 1815 : la Sainte Alliance, la coalition des trois cours du Nord contre la France, la Confédération germanique avec ses 80 millions d'habitants, aucun allié possible. Maintenant la coalition des trois cours est brisée. Le principe nouveau qui régit l'Europe est la liberté des alliances. L'Italie est unie et rapprochée de la France qui a versé son sang pour elle, l'Allemagne a imité la France en s'unifiant. Une puissance universelle... pousse les peuples à se réunir en grandes agglomérations en faisant disparaître les Etats secondaires. Napoléon Ier a commencé cette œuvre. La France avec l'Algérie reste la plus nombreuse de toutes, elle n'a rien à craindre. Le véritable équilibre consiste dans la satisfaction des peuples. La grandeur d'un pays ne dépend pas de la faiblesse de ses voisins. La France doit perfectionner son organisation militaire ; mais elle n'a rien perdu de sa grandeur. |