HISTOIRE DE FRANCE CONTEMPORAINE

 

LIVRE PREMIER. — LE GOUVERNEMENT PROVISOIRE.

CHAPITRE II. — L'ORGANISATION DU GOUVERNEMENT ET DU SUFFRAGE.

 

 

I. — LE GOUVERNEMENT PAR PERSUASION ET LA LÉGISLATION HUMANITAIRE.

LE 29 février, le gouvernement prit possession des grandes salles de l'Hôtel de Ville évacuées peu à peu par la foule, et commença à se créer des organes réguliers. Il eut un secrétaire général (l'éditeur Pagnerre), il tint des procès-verbaux de ses séances, il appela les sténographes de l'ancienne Chambre pour recueillir les discours publics de ses membres. L'Hôtel de Ville resta le centre officiel du pouvoir, symbole de la domination de Paris sur la France, théâtre des cérémonies et des réceptions. Mais le gouvernement, préférant travailler en un lieu moins exposé, tint ses séances dans les ministères ou chez son président, au Petit-Luxembourg, puis (en avril) au ministère des Finances.

Le conseil municipal de Paris était dissous : on ne parla pas d'en faire élire un ; le préfet ne fut pas remplacé. Le Gouvernement provisoire nomma maire de Paris un de ses membres (Garnier-Pagès, puis Marrast). Il prit donc à la fois le gouvernement de la France et l'administration de Paris.

Caussidière resta à la préfecture de police avec le titre de délégué, entouré de ses Montagnards en uniforme révolutionnaire, blouse et ceinture rouges, et on n'osa pas le déloger. Le gouvernement n'eut donc à son service aucune force matérielle ; il gouverna par des discours et des circulaires. Il n'a qu'une force prêtée et toute morale, écrivait Lamartine (11 mars). Il continua à faire des réformes par des décrets qu'il rédigeait de façon à donner des leçons de morale politique à la France et à l'humanité. Le 29 février, il annule toutes les condamnations pour faits politiques et faits de presse.

Le 1er mars il décide : Les fonctionnaires de l'ordre administratif et judiciaire ne prêteront pas de serment. Ce décret fonde la tradition républicaine contemporaine qui, interrompue sous l'Empire, a définitivement fait disparaître le serment politique des mœurs de la France.

Le 4 mars, considérant que nulle terre française ne peut plus porter d'esclaves, il crée au ministère de la Marine et des Colonies une commission, pour préparer dans le plus bref délai l'acte d'émancipation immédiate dans toutes les colonies. Ce travail aboutit au décret du 27 avril, qui condamne l'esclavage comme un attentat contre la dignité humaine, et une violation flagrante du dogme républicain, Liberté, Égalité, Fraternité. L'esclavage, aboli par la première Révolution, rétabli par Napoléon, disparaît cette fois définitivement.

Le 6 mars sont abrogées les lois de septembre 1835 contre la presse, violation flagrante de la constitution jurée, qui ont excité dès leur présentation la réprobation unanime des citoyens. — Le 9 mars, la contrainte par corps, ancien débris de la législation romaine qui mettait les personnes au rang des choses, est suspendue comme incompatible avec notre nouveau droit public ; les détenus pour dettes civiles sont relâchés. — Le 10 mars, on relâche les condamnés pour faits de culte, parce que, de toutes les libertés, la liberté de conscience est la plus précieuse et la plus sainte. — Le 12, on abolit, dans la marine, les peines de la bouline, de la cale et des coups de corde, parce que le châtiment corporel dégrade l'homme, qu'il appartient à la République d'effacer de la législation tout ce qui blesse la dignité humaine, que c'est un bon exemple à donner au monde.

La série des mesures humanitaire recommence à la fin de mars.

Le 31 mars, est aboli l'exercice dans les débits de boisson, éminemment vexatoire et onéreux, attentatoire à la dignité des citoyens qui s'adonnent au commerce des boissons.

Le 12 avril, la peine de l'exposition publique est abolie :

Elle dégrade la dignité humaine, flétrit à jamais le condamné, et lui ôte par le sentiment de son infamie la possibilité de la réhabilitation ; elle est empreinte d'une odieuse inégalité, en ce qu'elle touche à peine le criminel endurci, tandis qu'elle frappe d'une atteinte irréparable le condamné repentant. Le spectacle des expositions publiques éteint le sentiment de la pitié et familiarise avec la vue du crime.

Les décrets du 15 et 18 avril condamnent l'impôt sur le sel et l'octroi sur la viande et les vins objets d'alimentation qui peuvent ajouter aux forces physiques des travailleurs.

Par cette législation pédagogique et humanitaire, bientôt en partie abrogée, le passage au pouvoir des républicains de 1818 a laissé des traces durables dans la vie publique de la France.

 

II. — LES DÉLÉGATIONS ET LES ARBRES DE LIBERTÉ.

L'OCCUPATION la plus absorbante est de recevoir les délégations qui viennent à l'Hôtel de Ville présenter au Gouvernement provisoire des adresses de félicitations, des assurances de dévouement, souvent une requête ou une demande de réformes. Un membre du gouvernement écoute l'adresse et répond ; son discours, recueilli par les sténographes, est publié au Moniteur.

Les délégations sont nombreuses et variées : délégations de nations, Polonais, Irlandais, Hongrois, Italiens. Belges, Roumains, Suisses : délégations d'ouvriers, charpentiers, bijoutiers, tailleurs, porteurs d'eau, ouvriers du gaz, des chemins de fer, des raffineries, des ateliers de construction, des fabriques de produits chimiques, tailleurs de pierre, peintres ; — délégations des commerçants, des gens de Bourse, des journalistes, de la Société des économistes, délégations d'étudiants, des élèves des lycées, des anciens soldats de la garde. On remarqua beaucoup la délégation des dames patronnesses des salles d'asile, crèches et ouvroirs, où figuraient Mme de Lamartine et les dames de l'aristocratie ou de la haute bourgeoisie, catholiques, protestantes, israélites. Elles défilèrent dans les rues avec les enfants de leurs écoles ; leurs bannières portaient les inscriptions : Éducation pour tous les enfants du peuple. — Laissez venir à moi les petits enfants. — Union des cultes, fraternité universelle. Ce fut le symbole du rapprochement des religions.

La délégation des négociants et fabricants de Paris propose d'employer les sommes payées d'avance par les locataires pour former une caisse d'escompte ; Marrast répond que le gouvernement ne peut... entrer dans la discussion des intérêts individuels ; ils sont réglés par des contrais auxquels le gouvernement ne peut rien changer. Quand la délégation propose à créer une caisse de secours pour le petit commerce, Marrast répond :

Nous ne pouvons agir que par voie de conseil ; quelle que soit l'énergie révolutionnaire dont nous soyons armés, il serait difficile d'assurer une sanction... Nous aurons beau décréter que les propriétaires seront tenus de verser à la caisse de consignation ce qu'ils auront reçu par avance sur les loyers : les propriétaires s'y refuseront, nous n'aurons aucun moyen de les contraindre.

La délégation des tailleurs de pierre demande que deux jeunes gens des Écoles viennent avec nous pour dire aux tâcherons de quitter immédiatement l'ouvrage (en exécution du décret qui interdit le marchandage). Marrast répond :

Le gouvernement a pris à tâche d'examiner tous les griefs des divers corps d'état, et de concilier les intérêts des entrepreneurs et des ouvriers ; ni les uns ni les autres ne doivent être froissés.... Les ouvriers ont été longtemps les victimes de l'exploitation ; qu'à leur tour, ils ne rendent pas les autres victimes de prétentions exagérées.

La délégation de l'Association pour la liberté des échanges, formée d'économistes, vient demander l'abolition des droits sur les denrées alimentaires et les matières premières. Marrast répond :

L'état des finances rend dangereux le plus léger trouble apporté dans les questions de douane. Provisoires comme nous le sommes, il ne nous appartient pas de prendre des mesures qui troublent la situation actuelle du commerce et de l'industrie.

La manifestation caractéristique, dans toute la France comme à  Paris, c'est la plantation des arbres de liberté. L'arbre, d'ordinaire un peuplier, orné de rubans, est promené dans la ville ou le village, escorté par la foule, très souvent par la garde nationale, et planté sur la place en présence des autorités. Le curé ou même l'évêque est invité it la cérémonie et bénit l'arbre ; c'est un symbole de la fraternité, et la consécration de la Révolution par la religion.

Pendant les premières semaines, le sentiment universel est la joie, l'enthousiasme, la bonne volonté, la reconnaissance pour le Gouvernement provisoire qui maintient la paix et encourage les espérances ; on jouit des libertés nouvelles et des espoirs illimités. Les ouvriers ont confiance dans la République pour faire cesser tous leurs maux, et sont prêts à patienter. On se répète la formule lancée par le journal de Lamennais : Les ouvriers ont trois mois de misère au service de la République. Les bourgeois savent gré aux ouvriers de n'avoir pas abusé de leur force, et trouvent juste qu'on essaie d'améliorer leur sort.

L'organe orléaniste le Journal des Débats écrit (29 mars) :

Si on nous avait dit il y a six semaines... que tons les appuis sur lesquels repose la société s'écrouleraient, qu'il n'y aurait plus pour tout gouvernement qu'un pouvoir auquel on obéit uniquement parce qu'on veut, bien lui obéir, aurions-nous cru qu'un pareil état de choses pût se prolonger ?... Il dure cependant depuis six semaines. Il dure, et aucune violence, aucun désordre général ne l'a marqué.... Les gens même qui s'alarment le plus facilement sont obligés de rendre justice à la douceur de la population. La France va toute seule.... Ou pillera !... on massacrera !... — On ne pille pas, on ne massacre pas.

 

III. — LES COMMISSAIRES DU GOUVERNEMENT ET LES INSTITUTEURS.

LE Gouvernement provisoire reprochait à la monarchie ses excès de fonctionnarisme ; il promit de donner pour règle à la République : peu d'employés bien payés. Mais il n'eut le temps ni de réformer l'organisation, ni de changer le personnel. Il laissa à leur poste tous les fonctionnaires de la monarchie, excepté les agents politiques directs. A la Justice, Crémieux remplaça un grand nombre de procureurs. Le gouvernement l'autorisa (31 mars) à se débarrasser de magistrats inamovibles (de la Cour de cassation et de sept cours d'appel), en leur demandant leur démission. Mais, le lendemain, il révoqua cette décision et ne se décida que le 17 avril à suspendre l'inamovibilité.

A l'Intérieur seulement on fit place nette : le ministre, Ledru-Rollin, révoqua tous les préfets et ne conserva que douze sous-préfets ; dans les préfectures, il nomma un commissaire du Gouvernement provisoire, quelquefois deux ou trois, investis des pouvoirs d'un préfet ; des sous-commissaires dans les sous-préfectures, mais sans suivre de règle. Dans neuf au moins des trente départements où une commission provisoire formée de notables du pays avait spontanément remplacé le préfet, le président fut maintenu avec le titre de commissaire, et dans cinq il fut rétabli à la demande de la population. Les autres commissaires furent envoyés de Paris comme les préfets ; mais presque tous furent des hommes du pays. — Sur 61 on a compté 22 anciens députés, 10 membres de la municipalité du chef-lieu, 24 notables républicains, 4 originaires du pays, un seul étranger.

Ce personnel est formé, surtout de républicains de la veille ; mais, parmi les hommes pris dans le pays, une vingtaine sont des royalistes de l'opposition dynastique. Ledru-Rollin n'a fait les nominations qu'après les avoir discutées en Conseil de gouvernement ; il n'a imposé que deux de ses hommes, Delescluze à Lille, Deschamps à Rouen, dont ses collègues ne voulaient pas. Sur 80 (des 110 au total) dont l'opinion est connue, 22 sont des modérés de la nuance de Lamartine, 22 des hommes du National, 14 des orléanistes de l'opposition dynastique, 22, des hommes de la Réforme.

Les commissaires, agents de confiance de l'autorité centrale, autorisés à prendre toutes les mesures d'ordre et de salut public qu'ils jugeront nécessaires, ont les pouvoirs très étendus de ce temps sans autonomie communale : la police, avec le droit de requérir la force armée, le pouvoir de nommer les maires et adjoints, de dissoudre les conseils municipaux et de les reconstituer avec des membres de leur choix.

Ces postes, rémunérés à 40 francs par jour, attirent les solliciteurs ; ils assiègent le gouvernement et scandalisent les républicains habitués à voir dans la curée aux places un abus propre à la monarchie. Quelques commissaires se donnent des allures de dictateurs. Un journal socialiste, la Démocratie pacifique, parle de ces préfets improvisés qui ont reçu leurs administrés à Paris au milieu d'un grotesque attirail de sabres, de pistolets, et ont manifesté des intentions violentes.

Au ministère de l'Instruction et des Cultes, le personnel restait intact, mais le ministre Carnot envoyait des circulaires qui prirent l'aspect de manifestations politiques.

Une circulaire aux recteurs les chargeait d'expliquer aux instituteurs leur rôle dans les prochaines élections.

Les précédents gouvernements ont négligé la formation des enfants comme citoyens... Beaucoup de citoyens, surtout dans nos campagnes, ne sont pas suffisamment instruits de leurs droits, et par conséquent de leurs devoirs. C'est aux instituteurs que revient la charge de réparer le tort que cette lacune dans l'enseignement primaire menace de causer à la France... de corriger... la faute commise dans le passé. Que nos 36.000 instituteurs primaires publics se lèvent donc à mon appel pour se faire immédiatement les réparateurs de l'instruction publique devant la population des campagnes.... Je les prie de contribuer... à fonder la République... il faut la défendre contre l'ignorance et le mensonge.

Les recteurs feront donc composer de courts manuels par demandes et par réponses sur les droits et les devoirs du citoyen, on les enverra aux instituteurs pour en faire le texte de leçons profitables. Ils expliqueront aux paysans qu'il n'est pas nécessaire pour faire un bon représentant d'avoir de l'éducation et de la fortune.... Un brave paysan, avec du bon sens et de l'expérience, représentera... mieux les intérêts de sa condition qu'un citoyen riche et lettré.... étranger à la vie des champs ou aveuglé par des intérêts différents.... Dans une grande assemblée... la majeure partie des membres remplit le rôle de jurés Elle juge par oui ou par non si ce que l'élite des membres propose est bon ou mauvais. Elle n'a besoin que d'honnêteté et de bon sens.... Des hommes nouveaux, voilà ce que réclame la France.

Les instituteurs peuvent prendre place eux-mêmes parmi ces hommes nouveaux, oublier l'obscurité de leur condition qui devient sous la République des plus honorables et des plus respectées.

Quelques jours après, Carnot remerciait les instituteurs d'avoir compris sa pensée. Plus de quatre cents instituteurs, dans les cours d'adultes, avaient essayé cet enseignement civique. Le recteur de Nancy avait fait rédiger par un professeur et tirer à '25000 exemplaires un manuel en forme de catéchisme, et l'avait envoyé aux instituteurs, en les engageant à s'entendre avec le maire pour tenir quelques réunions. On y trouvait la pensée maîtresse de la circulaire : Choisissez... les hommes en qui Volis reconnaîtrez le plus de vertus privées, de lumières, de dévouement et d'abnégation, quelle que soit leur position sociale.

Cette invitation naïve à élire des paysans et des instituteurs rendit Carnot odieux aux conservateurs. Les bourgeois se crurent menacés d'être supplantés par des instituteurs : ils en gardèrent une rancune qui devait éclater pendant la réaction.

 

IV. — L'ORGANISATION DU SUFFRAGE UNIVERSEL.

LE 24 février, dans la Chambre envahie par le peuple, Lamartine annonçait qu'on allait consulter le pays tout entier, tout ce qui porte dans son titre d'homme les droits du citoyen. Le Gouvernement provisoire avait promis le suffrage universel, mais n'avait pas d'idées précises sur la façon de le réaliser. Ledru-Rollin lui-même, le champion attitré, le père du suffrage universel. n'avait jamais essayé de mettre sa proposition en forme de projet de loi. Ce n'était pourtant pas une nouveauté aussi inouïe qu'on se l'imaginait en France. Le suffrage universel fonctionnait déjà en 1818 dans presque tous les États de l'Union américaine ; les cantons suisses depuis 1830 l'avaient adopté un à un, et la Constitution fédérale alors en discussion le rendait obligatoire pour tous. Mais les hommes de 18 ne connaissaient pas ces précédents étrangers ; il n'y est pas l'ait allusion dans les écrits de ce temps.

Le Gouvernement provisoire chargea deux conseillers d'État, de Cormenin et Isambert, de rédiger le projet du décret. Cormenin, qui dirigea le travail, était l'auteur du Livre des orateurs (sous le pseudonyme de Timon) ; juriste et logicien, il tira toutes les conséquences du principe en donnant le droit de vote à tous les hommes majeurs, même les soldats. Odilon Barrot lui fit des objections pratiques, Cormenin répondit que son projet était logique. Il se souciait peu des conséquences, s'il a dit vraiment (ce qu'un orléaniste libéral affirme avoir entendu) : Ces gens-là m'ont appelé pour leur préparer une loi électorale.... Ils veulent le suffrage universel. Je vais le leur donner : j'y fais entrer les paysans, les soldats, les invalides, les domestiques, les mendiants.... Ils s'en tireront comme ils pourront.

Le travail fut lu le 2 mars au Gouvernement provisoire qui à l'unanimité en adopta le principe : Le suffrage sera universel et direct, sans la moindre condition de cens. Le 4 mars, on délibéra sur l'application, on discuta les articles, on les adopta, sauf des modifications de rédaction[1]. Le lendemain on publia au Moniteur les dispositions générales. Tous les Français seraient électeurs à partir de vingt et un ans, éligibles à partir de vingt-cinq. Le scrutin serait secret. L'élection aurait pour hase la population. L'Assemblée constituante compterait neuf cents représentants. L'élection aurait lieu le 9 avril, la réunion de l'Assemblée le 20. Mais toutes les décisions prises ne furent pas maintenues.

On avait décidé d'abord de diviser le pays en circonscriptions de population égale, élisant chacune un représentant (c'était le régime pratiqué en France depuis la Restauration) ; un beau-frère d'Arago ferait les calculs de population. Suivant la règle établie depuis la Restauration, chaque électeur devait écrire lui-même son bulletin dans la salle de vote. Mais le lendemain on expliqua au Conseil que les calculs de population prendraient du temps et, comme on était pressé, Marrast proposa et fit adopter le scrutin de liste par département, système qui n'avait jamais été expérimenté en France — les élections pendant la Révolution se faisaient par des scrutins individuels successifs. — Le vote par écrit devenait impossible, avec des listes de noms, quelques-unes très longues ; on autorisa à remettre un bulletin imprimé.

Sur la question : L'armée votera-t-elle ? le gouvernement avait répondu le 4 : Non, attendu l'impossibilité de faire voter les soldats dans leur commune sans disperser l'armée d'une manière arbitraire et dangereuse pour la sécurité nationale. On voulait éviter de donner au gouvernement le moyen d'agir sur le vote en déplaçant les troupes. Mais, le 7, on craignit de blesser l'armée en lui refusant un droit qui devenait le droit commun, et on décida de lui accorder le suffrage.

 Le régime fut organisé par le décret du 5 mars et l'instruction du 8 mars pour l'exécution du décret. Tous les Français majeurs, même les domestiques et les soldats, avaient droit de vote, à moins d'avoir été privés de leurs droits civiques par une condamnation judiciaire. Il suffisait, pour être inscrit comme électeur dans une commune, d'y avoir six mois de résidence. Les maires dans chaque commune devaient dresser la liste électorale.

L'opération du vote conservait la forme — qu'elle avait toujours eue en France — d'une assemblée électorale. Le gouvernement avait, après discussion, repoussé le vote à la commune : il craignait la pression des influences locales. L'assemblée se tenait donc au chef-lieu de canton, présidée par le juge de paix ; chaque commune avait son tour de vote fixé d'avance, le chef-lieu d'abord, puis les communes les plus éloignées, pour laisser aux électeurs le temps de rentrer chez eux. Chaque électeur votait à l'appel de son nom dans sa commune. Si l'opération n'était pas terminée, on l'achevait le lendemain. Après l'appel de toutes les communes, on faisait le réappel de tous les électeurs qui n'avaient pas voté. Le dépouillement des votes se faisait au chef-lieu du canton, le recensement des voix au chef-lieu du département.

Tous les soldats originaires d'un même département dans chaque garnison se réunissaient en une section, sous la présidence du plus élevé en grade ; leurs votes étaient envoyés au chef-lieu du département et ajoutés aux autres.

Le scrutin de liste par département bouleversait le système du vote : 1° Au bulletin écrit par l'électeur il substituait la liste apportée du dehors, en fait le bulletin imprimé. 2° L'élection se faisait dès le premier tour à la majorité relative. Ainsi disparaissait la vieille institution française du ballottage ; le gouvernement n'en avait même pas discuté le maintien, il s'était borné à exiger un minimum, le chiffre infime de 2.000 voix. La majorité relative, adoptée pour les élections législatives, allait être étendue à toutes les autres élections, conseils municipaux, généraux, d'arrondissement, et devait durer jusqu'en 1852 ; mais le ballottage proprement dit (le choix entre les deux candidats qui ont eu le plus de voix au premier tour) ne devait jamais être rétabli en France.

En même temps le gouvernement fixait les conditions de la représentation dans l'Assemblée. Le nombre des représentants de chaque département était réglé d'après sa population : ce qui donnait un maximum de 34 (Seine), un minimum de 3 (Hautes-Alpes). Sur le total de 900 sièges, 4 étaient réservés à l'Algérie, 12 aux colonies (Martinique 3, Guadeloupe 3, Réunion 3, Sénégal, Inde, Guyane 1).

On rompait avec la règle censitaire du mandat gratuit, pour revenir au principe démocratique de la Révolution, l'indemnité parlementaire, qui ouvrait à tous les citoyens l'accès de l'Assemblée. Par une assimilation fraternelle avec le salaire de l'ouvrier, le Gouvernement provisoire régla l'indemnité du représentant à la journée : 25 francs par jour pendant la durée de la session. Les ouvriers goûtèrent peu ce salaire de 25 francs.

Aucun pays n'avait eu un corps électoral aussi restreint que la France du régime censitaire ; aucun pays d'Europe n'a eu un suffrage aussi étendu que la France depuis 1848. Elle a passé d'un coup de moins de 250.000 électeurs à plus de 9 millions. En un jour la masse du peuple français e acquis un droit que presque tous les autres pays ont mis un demi-siècle à arracher par lambeaux.

Cette révolution, dont les conséquences ne sont pas encore épuisées, passa sans protestation au milieu de la crise. Aucun journal conservateur ne contesta le principe du suffrage universel : il paraissait l'application inévitable de la souveraineté du peuple ; les critiques ne portèrent que sur les mesures d'exécution.

 

V. — LA CRISE ÉCONOMIQUE.

AU moment où éclata la Révolution, la France traversait une de ces périodes de dépression commerciale qui durant tout le me siècle sont revenues à des intervalles inégaux. La crise, commencée en Angleterre et en Allemagne dès 1846, avait atteint la France en 1847. Les commandes ayant diminué, la production était ralentie, surtout dans les industries textiles ; en Normandie, les tisserands à domicile étaient en chômage, il avait fallu ouvrir des ateliers de charité.

La dépression se répercutait sur le crédit. L'industrie et le commerce de la France opéraient en ce temps avec un capital très limité et des instruments de crédit rudimentaires. Un seul grand établissement, la Banque de France, concentrait tous les capitaux qui alimentaient l'escompte nécessaire aux opérations de commerce. Son action était restreinte par ses règlements : elle n'acceptait que les effets sur Paris ou sur les villes où elle avait une succursale ; elle n'escomptait que pour 90 jours au maximum ; elle exigeait, outre les deux signatures des négociants (le créancier qui avait créé la traite et le débiteur sur lequel elle était tirée), une troisième signature pour garantir leur solvabilité. Des banques privées prenaient les effets de commerce et fournissaient la troisième signature ; elles se procuraient des capitaux en recevant des dépôts à vue, et plaçaient leurs fonds de réserve en rentes sur l'État ou en bons du Trésor. La dépression du commerce avait rendu leurs opérations difficiles ; la Révolution transforma la crise en désastre.

A Paris, tous les bourgeois étaient requis pour le service de gardes nationaux, les ouvriers étaient occupés comme insurgés ; tout travail cessa. La circulation entre Paris et les départements fut interrompue, les paiements ne purent être faits. Les affaires s'arrêtèrent brusquement.

Le gouvernement essaya d'abord de maintenir le cours régulier des transactions : il ouvrit la Bourse le 13 février ; mais il y vint si peu d'agents de change qu'il fut impossible de reprendre les opérations. Caussidière empêcha ensuite de l'ouvrir, ne voulant pas, disait-il, l'exposer à être envahie par les ouvriers. La Bourse resta fermée jusqu'au 7 mars. Les agents de change convinrent entre eux de liquider au cours le plus bas du mois ; les vendeurs à terme protestèrent ; le ministre des Finances imposa un compromis : on suspendit toute opération, et, pour les marchés à terme antérieurs, on fixa un chiffre de liquidation.

Pour le commerce, le gouvernement prit dès le 26 une mesure d'urgence. Attendu que les citoyens, occupés à la défense commune, ont dû suspendre le cours de leurs affaires et de leurs paiements, les échéances des effets de commerce à Paris furent prorogées de dix jours. La mesure fut étendue à toute la France.

Mais la crise aiguë des journées d'insurrection fut suivie d'une débâcle. Elle commença par les banques, qu'atteignaient à la fois les demandes brusques de remboursement et la dépréciation de leurs valeurs d'État en portefeuille. Leurs clients pris de panique réclamèrent leurs fonds de dépôts. Plusieurs banques, obligées de rembourser et ne pouvant réaliser leurs valeurs, firent faillite — un des grands banquiers de Paris, président du tribunal de commerce, se suicida —. La crise des banques se répercuta aussitôt sur le commerce. Les commerçants, ne trouvant plus la troisième signature exigée par la Banque de France pour escompter leurs effets, restèrent à court d'argent, au moment même où leurs clients riches s'enfuyaient de Paris ou restreignaient leurs dépenses. Plusieurs maisons cessèrent leurs paiements. La crise du commerce aggrava la dépression de l'industrie. Les commerçants, privés de crédit, cessèrent leurs commandes. Les industriels, privés de débouchés et de commandes, diminuèrent leur production. Les ouvriers, surtout des industries de luxe, ne trouvèrent plus de travail. Le malaise atteignit toutes les classes.

La crise des affaires se compliqua d'une crise monétaire et d'une crise financière. Lus possesseurs de billets de banque et les dépositaires des caisses d'épargne se firent rembourser, et cachèrent leur argent. L'encaisse de la Banque de France diminua rapidement ; il ne resta plus en circulation assez de numéraire pour les paiements.

Les finances de l'État subirent le contre-coup de toutes ces crises. Les derniers budgets du règne de Louis-Philippe s'étaient soldés par des excédents de dépenses : Garnier-Pagès évalua le déficit total depuis 1840 à 600 millions, la commission de l'Assemblée législative à 456 seulement[2]. Pour construire les chemins de fer, l'État avait dépensé 435 millions (il en fallait encore 400 pour les travaux décidés). On s'était procuré les ressources en émettant des bons du Trésor, pour 330 millions. Les fonds des caisses d'épargne (évalués à 355 millions), dont les dépositaires pouvaient exiger le remboursement immédiat, étaient placés en rentes sur l'État ou en actions qu'on ne pouvait réaliser. La dette flottante se montait ainsi à 960 millions, et la dette consolidée exigeait un intérêt de 175 millions par an. Le Trésor avait en caisse 192 millions (d'après Garnier-Pagès 135 seulement en numéraire), pour la plus grande partie absorbés par le coupon de rente (67 millions) et les bons du trésor échus (50 millions). L'État allait se trouver devant une caisse vide, et sans aucun moyen de la remplir. Le peuple menaçait de ne plus payer les contributions indirectes, officiellement reconnues injustes ; à Paris on avait détruit les barrières de l'octroi.

Le 3 mars, le ministre des Finances Goudchaux vint au Conseil exposer la détresse des finances. Ses collègues furent consternés. On discuta les moyens de salut. Non seulement on repoussa la banqueroute ; mais, pour faire cesser le bruit que le gouvernement la préparait, Goudchaux fit décider de payer par anticipation le 6 mars le coupon semestriel de rente 5 p. 100, qui n'était dû que le 22. Le lendemain, il déclara ne pouvoir gérer les finances en un temps où l'on prêchait des doctrines qui effrayaient le crédit. Le 5, il donna définitivement sa démission.

Garnier-Pagès, nommé ministre des Finances (avec Duclerc comme sous-secrétaire d'État), ne trouva plus que 31 millions disponibles, et la crise s'aggravait. Le paiement anticipé du coupon. loin de rassurer le public, l'effrayait comme un expédient désespéré. Quand la Bourse l'ouvrit le 7 mars, on put mesurer la baisse du crédit de l'État. Le 5 p. 100, qui le 23 février était à 116 francs, ouvrit à 97,50 et ferma à 89 ; le lendemain il tomba à 75. Le 3 p. 100. à 73 francs le 23 février, ouvrit à 58 et tomba le lendemain à 47. (Le cours le plus bas fut pour le 5 p. 100 de 50 francs, pour le 3 p. 100 de 32,50). La baisse atteignit tous les objets en vente : on cita l'exemple d'une maison achetée 120.000 francs en 1847, revendue 11.000, d'une voiture de luxe tombée de 5.000 à 150 francs, et de chevaux achetés 2.000 francs, revendus 60.

De grandes maisons de banque, entraînées par cette baisse énorme, firent faillite ; leur chute menaçait les autres établissements. Les gens d'affaires de Paris, banquiers, commerçants, industriels, saisis de panique, tinrent deux réunions agitées. Le 8 mars, une foule nombreuse de bourgeois du monde du commerce et de l'industrie se rendit à l'Hôtel de Ville, et réclama la prorogation de toutes les échéances à trois mois. Garnier-Pagès refusa cette mesure révolutionnaire, qui lui apparaissait comme la banqueroute universelle ; les délégués insistèrent, la discussion fut longue et violente. Le bruit courut que cette troupe irritée menaçait le gouvernement ; les élèves des Écoles arrivèrent à de Ville pour le défendre. Une nouvelle députation de banquiers et d'industriels demanda une prorogation de quinze jours : elle fut refusée.

 

VI. — LES MESURES FINANCIÈRES DU GOUVERNEMENT.

GARNIER-PAGÈS ne voulait employer que les procédés réguliers. Il essaya de se procurer de l'argent en faisant appel au patriotisme. Il publia le 10 un Rapport sur la situation financière de la République, où il promettait la vérité, tout entière, sans crainte, mais sans ménagements. La monarchie était responsable de la crise ; elle avait accru la dette de près d'un milliard, mis le budget en déficit, entrepris des travaux sans mesure, laissé une dette flottante, immobilisé les fonds des caisses d'épargne. Cette situation, la République l'accepte, et elle va la liquider. Comment ? Par des mesures sages, énergiques, promptes. Pour empêcher que les espèces ne s'écoulent du Trésor, elle réduira le nombre des emplois tout en accordant une juste rémunération (point de sinécures, peu d'employés, bien payés). Pour faire rentrer le numéraire dans les caisses on vendrait les diamants de la Couronne, on ferait fondre l'argenterie du Roi, ce qui aurait le caractère d'une expiation ; on vendrait une partie des forêts de l'État (ces magnifiques propriétés ne rapportant guère que 2 p. 100) : et surtout on émettrait un emprunt national en rente 5 p. 100 au pair, pour lequel on pouvait compter sur la magnifique expansion de patriotisme, de dévouement, d'abnégation suscitée par la République. Un grand nombre de citoyens avaient offert au gouvernement le don de sommes considérables. Ainsi la situation n'avait plus rien d'effrayant, et le rapport concluait : La République a sauvé la France de la banqueroute.

Mais déjà on frappait d'une mesure révolutionnaire les créanciers des caisses d'épargne qui réclamaient leurs dépôts. Le gouvernement, ayant reconnu que la plupart des gros dépôts appartenaient à des familles aisées, décidait de ne rembourser en numéraire que les dépôts inférieurs à 100 francs. Au-dessus de 100 francs, il rembourserait la moitié en rentes 5 p. 100 au pair : c'était une banqueroute d'un tiers. Les bons du Trésor échus étaient remboursés en rentes au pair : ce qui faisait perdre de 25 à 40 p. 100.

Pour couvrir l'emprunt, Garnier-Pagès comptait sur l'enthousiasme civique. Depuis qu'on savait le Trésor dans la détresse, beaucoup de républicains, surtout des ouvriers, apportaient naïvement à l'Hôtel de Ville de petites sommes, ou même des bijoux. Une commission des dons et offrandes patriotiques les recevait. Ce fut une affluence de gens de tous les métiers, venant offrir une partie de leurs économies ou le salaire de leurs journées de travail. Il y eut des cas touchants. Un ouvrier écrivit : J'ai pour toute fortune 300 francs à la caisse d'épargne ; je vous prie de m'inscrire pour 400 francs. Les ouvriers imprimeurs sur étoffes, durement atteints par le chômage, apportèrent 2.000 francs. Ce fut un élan spontané, semblable au mouvement d'offrandes prussien de 1813, que les historiens allemands ont célébré. Mais les possesseurs de fonds ne poussèrent pas le patriotisme jusqu'à payer 100 francs un titre de rente qui à la Bourse n'en valait pas 70 ; l'emprunt national ne fut pas couvert.

Le numéraire se retirait de plus en plus. La Banque de France avait continué de faire l'escompte au commerce et de rembourser ses billets en argent (elle n'émettait alors que des billets de 1.000 et de 500 francs). Les demandes de remboursement étaient devenues rares, et la crise semblait évitée quand le bruit courut à la Bourse — peut-être répandu à dessein — que la Banque avait fermé ses guichets : les changeurs exigèrent un agio de 50 francs pour changer un billet de 1.000 francs. Les porteurs de billets de banque se présentèrent alors en si grande foule à la Banque qu'on ne parvint pas à les servir tous : la Banque ferma ses portes. Le 13 mars au soir, il ne lui restait en caisse que 59 millions à Paris, 64 dans les départements, contre un passif de 260 millions de billets en circulation et 85 millions de comptes courants.

Garnier-Pagès se résigna à l'expédient traditionnel des temps de crise, le cours forcé des billets de banque. Mais, pour se concilier le monde des affaires, il attendit que le gouverneur de la Banque vint solliciter l'intervention de l'État. Ce fut le conseil de la Banque[3] qui demanda le cours forcé. Le gouvernement, couvert par cette démarche officielle, ordonna, par le décret du 13 mars, que les billets seraient reçus comme monnaie légale ; la Banque était jusqu'à nouvel ordre dispensée de les rembourser en espèces ; elle publierait tous les huit jours sa situation ; le chiffre d'émission des billets serait limité à 350 millions. Le cours forcé fut bien accueilli : les billets, après avoir un peu baissé. remontèrent au pair ; la Banque put prêter de l'argent à l'État.

Il fut plus difficile de procurer des ressources au Trésor. Les propositions ne manquaient pas ; mais le gouvernement les rejeta toutes parce qu'elles risquaient d'ébranler le crédit ou ne procuraient pas de ressources immédiates ; il ne voulait pas effrayer le monde des affaires, et il ne pouvait pas attendre. L. Blanc demandait une Banque d'État avec pouvoir d'émettre des billets, mais c'eût été ruiner les billets de la Banque de France et évoquer le spectre des assignats. On proposa de confisquer les domaines de la famille d'Orléans, mais on craignit d'effrayer les propriétaires. On proposa une suspension des paiements, mais la banqueroute, même partielle, parut dangereuse. On parla d'anticiper sur les recettes en faisant payer d'avance les contributions de l'année, mais cet expédient aurait jeté le désordre dans la perception. La vente des forêts ne pouvait être exécutée sur-le-champ. L'impôt sur le revenu, que le gouvernement adoptait en principe, exigerait plusieurs mois pour être organisé. Élever les impôts indirects eût été contraire aux principes du gouvernement, qui condamnait l'impôt de consommation comme pesant phis lourdement sur le pauvre.

Le gouvernement se rabattit sur le procédé le plus expéditif, conseillé par les journaux conservateurs et autorisé par des précédents (1813, 1814, 1815, 1830). Il décida un supplément exceptionnel aux contributions directes, et le fit porter. non seulement sur le principal dû à l'État. mais sur les centimes additionnels du département et de la commune, parce qu'il fallait l'établir sur les rôles déjà préparés. On ne discuta que le chiffre du supplément. La majorité voulait doubler la contribution (comme en 1814 et 1815) ; Garnier-Pagès déclara n'avoir besoin que de 45 p. 100. Ledru-Rollin et Louis Blanc proposèrent d'épargner les petits contribuables en fixant un minimum au-dessous duquel on serait exempt : Garnier-Pagès représenta qu'il serait plus pratique de dégrever ceux que le percepteur jugerait incapables de payer. Vous ne connaissez pas la campagne, dit le vieux Dupont : en ce cas on ménage le riche qui a de l'influence, plutôt que le pauvre. Le décret du 18 mars établit un impôt supplémentaire de 45 centimes par franc sur toutes les contributions directes ; les percepteurs dresseraient plus tard la liste des contribuables à dégrever.

 Le gouvernement essayait aussi d'aider les commerçants et les industriels à traverser la crise. Pour remplacer les banques en faillite qui fournissaient la troisième signature exigée par la Banque de France, un décret du 7 mars créa à Paris un Comptoir national d'escompte, destiné à escompter les effets à deux signatures, et à faire les opérations de banque, encaissements, recouvrements, comptes, courants. Un comptoir analogue devait être créé dans chacune des villes de commerce (en trois ans il s'en créa 62). Le capital était formé de trois parts égales, fournies par l'État, par la ville, par des actionnaires associés ; mais l'État payait en bons du Trésor, les villes en obligations, les actionnaires seuls fournissaient de l'argent comptant. Il aida à liquider l'encombrement des portefeuilles en escomptant 213 millions d'effets en 1848.

 

 

 



[1] D'après les Procès-verbaux inédits du Gouvernement provisoire, dont les dates ne sont pas identiques à celles des extraits donnés par Garnier-Pagès.

[2] Les chiffres publiés par le Gouvernement provisoire en 1848 ne concordent pas avec ceux du règlement du 25 juin 1851 fait par la commission de l'Assemblée législative. Le budget d'un grand État se prête à des évaluations différentes suivant les artifices employés ; en 1848 on grossissait les dépenses de la monarchie, en 1851, on les diminuait.

[3] Dans le récit de Garnier-Pagès la proposition du cours forcé apparait comme une réponse inattendue du ministre des Finances qui en aurait pris l'initiative. Le gouverneur et le sous-gouverneur de la Banque se sentent délivrés. On convient ensuite que la Banque paraitra faire spontanément la demande et la justifiera devant le public.