HISTOIRE DE FRANCE CONTEMPORAINE

 

LIVRE III. — LA VIE ÉCONOMIQUE.

CHAPITRE II. — LA PRODUCTION ET LE COMMERCE EXTÉRIEUR.

 

 

I. — PRODUCTION INDUSTRIELLE.

UN fabricant de tissus de Reims déclarait en 1834 Nous employons la houille que nous tirons de Liège, de Mons et d'Anzin. Notre fabrique en consomme 120.000 hectolitres au prix de 5 fr. 20. Ce prix est excessif.... Cela tient à l'élévation des prix de transport (4 francs par hect.) tandis qu'à Leeds nos rivaux payent la houille 0 fr. 55 l'hectolitre, dix fois moins. A la même époque. le fer en barres revient à Paris à 30 francs les 100 kilos, tandis qu'il coûte à Cardiff 15 francs, mais la douane empêche le fer anglais d'entrer en France. Droits de douanes, voies insuffisantes de communication font en France la cherté des deux matières premières les plus nécessaires à la production industrielle. Cette production reste donc coûteuse et lente à cause de cette infirmité d'origine. Car toutes les industries sont conditionnées par le prix du fer et de la houille. Ces prix ne sont pas régularisés par la concurrence étrangère : le marché national les fournit, ou. si l'étranger intervient, c'est à un prix que la douane fait assez élevé pour que ce recours n'ait lieu que rarement et par extrême nécessité. Il reste la fraude, mais elle n'est praticable que pour des marchandises de grande valeur sous un poids et un volume médiocres. Il ne faut donc attendre de progrès techniques dans l'industrie que de l'augmentation de la production nationale en houille et en fer. Elle est très lente. De 1.500.000 tonnes en 1829, la production de la houille passe à 3.400.000 en 1841, à 5.153.000 tonnes en 1847 ; pour la fonte, les chiffres sont de 220.000 tonnes en 1829, de 375.000 en 1841, de 592.000 en 1847 ; pour le fer, de 154.000 tonnes en 1829, de 263.000 en 1841, de 390.000 en 1847. La fonte est fournie par cinq cents hauts fourneaux environ (vers 1840), dont quatre cents marchent au bois ; le fer est plus avancé : les 3/5 sont fabriqués à la houille. — Parallèlement, le nombre des appareils industriels à vapeur s'accroit lentement : il y en a 525 en 1832, avec une force collective de 9.000 chevaux ; 2.807 en 1841, avec 37.000 chevaux ; en 1817, 4.853 avec 62.000 chevaux. On jugera du degré d'avancement de la France si l'on rappelle qu'en 1826, vingt ans auparavant, il y avait en Angleterre 15.000 machines ayant une force de 375.000 chevaux.

Les industries françaises sont donc toutes, avant de naître, grevées d'un poids lourd au moment de leur premier établissement. Puis, chacune dans sa spécialité e sa charge propre. Quelques exemples suffiront.

Mulhouse, qui était déjà une ville de drapiers au XVIe siècle, est devenue peu à peu, depuis la première filature installée à Wesserling en 1802, la capitale de la filature du coton ; le tissage du coton y n peu à peu remplacé l'ancienne draperie, depuis la création de l'industrie des toiles peintes (indiennes de Kœchlin, Schmaltzer et Dollfus), en 1746. Aucune ville en France n'a donné un plus bel exemple, aussi continu, d'initiative et d'application dans le progrès. La Société industrielle, fondée en 1826, en est l'âme. Elle a ouvert en 1829 une école de dessin qui, de 1830 à 1850, pourvoit chaque usine de dessinateurs. En même temps, grandissent à Lille, Roubaix, Tourcoing, la filature et le tissage du coton. La France, qui consommait 28 millions de kilos de coton en 1831, en absorbe près de 65 millions en 1846. Et pourtant, tous ces industriels protégés par l'interdiction des fils fins souffrent assez de la quasi-prohibition du fer et de la houille pour désirer le sacrifice des tarifs qui les protègent. La première filature mécanique a été établie à Leeds en 1820 par Marshall, et ce n'est qu'en 1833 que les filateurs français ont pu imiter les Anglais. Aussi le délégué de Mulhouse à l'enquête de 1834 demande-t-il la liberté des échanges ; et celui du Nord démontre qu'on n'approchera du prix et de la qualité des Anglais (les prix anglais sont inférieurs de 28 p. 100) que lorsque les houilles et les fers entreront et circuleront plus commodément en France.

C'est pourquoi le progrès est lent. Il faut vingt ans pour que l'outillage mécanique envahisse l'industrie française et pour que certains produits cessent d'être des objets de luxe : un métier qui filait 2 kgr. de coton par jour vers 1815 en file 14 vers 1848 ; c'est à cette date seulement qu'il fournit en quantité suffisante les fils les plus fins dont l'Angleterre avait gardé le monopole jusqu'à 1835. Dans le tissage, le système des cartons Jacquart est appliqué peu à peu, non seulement à la soierie, mais aux cotonnades. La nouveauté apparaît vers 1833 : c'est l'étoffe de laine de fantaisie lancée par la fabrique de Sedan. Lyon devient la métropole de la filature et du tissage de la soie pour cinq ou six départements.

Les industries tendent à se concentrer. Si le petit atelier ne disparaît pas de certaines industries qui s'en accommodent, comme la soierie, l'usine qui l'absorbera commence à grandir. L'idée et le besoin de réduire les frais généraux, et aussi de combattre les effets de la concurrence sur les bénéfices, provoquent des associations de type nouveau. Quand les droits sur le plomb et sur la potasse élèvent de 21 p. 100 le prix total des matières premières nécessaires à la fabrication du cristal, les maîtres verriers, pour diminuer l'effet de ce surcroît de charges, recourent à l'association, sous forme de cartel. Les petits établissements disparaissent, étant trop faibles pour survivre ; il ne reste que quatre grosses maisons Saint-Louis, Baccarat, Choisy et la Gare. Elles s'accordent pour fixer les quantités que chacune doit produire, et fondent à Paris un établissement central de vente qui facture ses ventes à chaque maison.

Enfin des industries nouvelles se créent. C'est la construction mécanique qui naît à Mulhouse avec André Kœchlin en 1820 ; l'outillage renouvelé au Creusot en 1841 par l'invention du marteau-pilon ; la machine-outil qui apparaît à l'exposition de 1844. Engelmann de Mulhouse qui, en 1815, a introduit en France la lithographie, invention bavaroise, crée la chromo-lithographie. A Mulhouse encore, la fabrique des toiles peintes (indiennes) donne naissance à celle du papier peint imprimé au rouleau ; industrie qui, née eu 1827, se développe et se perfectionne sans cesse après 1830. La machine à imprimer (invention allemande de Kœnig) se répand, au moins pour les journaux, après 1830, et remplace la presse à bras. La chimie crée l'industrie de la bougie stéarique (1832) qui remplace la cire et le suif des chandelles ; le bleu d'outremer est la première couleur artificielle ; inventé par Guimet en 1827, il coûte 200 fois moins que le bleu naturel extrait du lapis-lazuli. La photographie, inventée par Niepce et Daguerre, n'est pas seulement une découverte prodigieuse et de conséquence incalculable pour les progrès de la recherche et de la connaissance ; c'est l'origine d'une grande industrie, qui en 1845 compte déjà à Paris 40 fabricants d'appareils et de produits, et une douzaine de praticiens.

La statistique des Expositions des produits de l'industrie française fournit quelques indications utiles. Il y en eut trois, en 1834, en 1839, et en 1841. Celle de 1839 marque surtout les développements dus aux inventions récentes : applications de la vapeur comme force motrice, filature mécanique du lin, fabrication de la chaux hydraulique, phares lenticulaires de Fresnel. Après 1839 les expositions vulgarisent les chemins de fer, le télégraphe électrique, la photographie. Elles font aussi connaître et apparaître dans un jour plus éclatant les progrès accomplis dans l'exécution des produits de caractère artistique qui sont en France un patrimoine et une tradition. Les faïences de Sèvres et de Chantilly, les cristaux de Baccarat, de Clichy, les lithographies de grandes maisons d'édition (Firmin-Didot, Paul Dupont, Marne, Plon), les papiers peints sont l'objet de rapports détaillés, de récompenses, d'un jugement qui les classe comme des productions intellectuelles.

 

II. — LA PRODUCTION AGRICOLE.

UN agronome, Lullin de Châteauvieux, tenta d'établir, vers 1843, sur les données de ses observations personnelles, une géographie agricole de la France. Il distinguait huit régions : le nord (limité par la mer et par une ligne d'Avesne à Auxerre, d'Auxerre à Blois, de Blois à Granville), pays fertile, de grande culture, de céréales et d'herbages, de grands domaines exploités par les grosses fortunes que crée le voisinage de la capitale ; — le nord-est (limité par la frontière politique et par une ligne d'Auxerre à Ferney et d'Auxerre à Avesne), où domine la culture forestière, où il y a la Champagne stérile, et la fertile plaine du Rhin, pays de petits et moyens domaines, sans grands marchés ; — le sud-est (limité par la ligne d'Auxerre à Ferney, les Alpes et la ligne de Colmar à Digne, Donzère, Lyon, Roanne, Nevers, Auxerre), région de petits domaines où la vigne est la culture dominante ; — le sud (limité au nord par la région précédente et au sud par la Méditerranée), pays de vignes, mûriers, oliviers, amandiers, fruits secs, région de petite culture ; — le centre (limité par des lignes allant de Montmorillon à Roanne, Lyon, Donzère, du Vigan à Carcassonne et Castelnaudary, de Montauban à Confolens et Montmorillon), pays de très petite culture dans les vallons et de culture pastorale dans les sommets, avec une population économe, émigrant volontiers, et beaucoup de petits capitaux ; — le sud-ouest (limité par la ligne de Blaye-Montauban-Carcassonne, les Pyrénées et l'Océan), pays de la Garonne avec ses moyennes cultures de vignes, céréales, prairies artificielles, très perfectionnées, et ses landes stériles sur l'Océan ; — l'ouest (limité par la ligne de Montauban, Saumur, Nantes et l'Océan), pays de moyennes et petites cultures quoique de grande propriété, très arriéré dans ses méthodes, pays de prairies et de céréales ; — le nord-ouest, pauvre, pays de landes et d'ajoncs, où pousse plus de seigle que de blé, plus de sarrasin que de seigle, sans grandes villes, sans capitaux. — Cette classification fait apparaître que, le nord et la plaine de la Garonne exceptés, l'agriculture est restée traditionnelle et n'a pas été rénovée par la science. Les besoins immédiats de la consommation peuvent faire varier en étendue ou en nature les produits de la terre, mais le producteur ne crée pas, par un travail approprié aux ressources de son sol, des fruits qui solliciteraient le consommateur, qui modifieraient son goût ou ses besoins. Enfin la petite culture est la règle, sauf dans le nord. On calcule que 20 millions d'hectares sont cultivés par de petits propriétaires, 8.470.000 par des fermiers, 14.530.000 par des métayers.

La nation se nourrit surtout de pommes de terre ct de céréales. Comme la population augmente, ces deux cultures se généralisent. La pomme de terre est cultivée vers 1810 sur près d'un million d'hectares et doline 96 millions d'hectolitres (contre 21 millions en 1815), au moment où la maladie de 1843 arrête, mais pour un temps seulement, son progrès. Quant aux céréales (froment, seigle, orge, sarrasin et maïs), c'est le froment qui chaque année accroît peu à peu sa surface et son rendement au détriment des autres. La surface cultivée en froment passe de 5 millions d'hectares (1829) à 6 millions (1847), et la production, de 52 millions d'hectolitres à 90. Mais les procédés de culture restent rudimentaires. Si, dans le nord, en Flandre, on sait tirer de la terre deux récoltes par an (une de céréales en juin, une de racines destinées au bétail en automne), dans l'est, la terre reste encore une année sur trois en jachère ; la pratique de l'assolement biennal se généralise très lentement : le rendement à l'hectare passe de 12 hectolitres environ en 1829 à 16 et demi en 1847. Le prix le plus bas du blé est de 15 fr. 25 en 1834, le plus élevé (la récolte de 1846 ayant été déficitaire) est de 29 francs en 1847. Le froment est encore rarement consommé (sauf dans les villes) sans mélange. On y joint du seigle dans le nord pour faire le pain, de l'orge et du seigle dans l'ouest ; dans le midi, on le consomme peu : la farine de maïs et la châtaigne le remplacent.

Les autres cultures restent à peu près stationnaires en surface et en rendement. La vigne, avec ses 2 millions d'hectares, donne une quarantaine de millions d'hectolitres de vin par an. La betterave à sucre, imposée depuis 1837, se cantonne dans le nord. Le lin et le chanvre ont une tendance à décroître, étant concurrencés par le coton.

Il n'est pas moins frappant de constater que la viande reste un produit de luxe, que la production ne suit pas la demande de la consommation, et que les prix montent, sans comparaison possible avec la hausse générale des denrées. Eu 1820, un bœuf vaut à Paris, prix moyen, 243 francs, une vache 170, un veau 62, un mouton 20 francs ; en 1840, les mêmes bêtes valent 380, 204, 99 et 25 francs. Au détail, le prix moyen du kilo est à Paris de 0,80, 0,70. 0,80, 0,90. La consommation individuelle est en France de 14 kilos. On ne mange pas encore de viande de boucherie dans les campagnes, sauf la charcuterie fabriquée à la maison.

L'agriculture est si bien protégée contre les produits étrangers que les propriétaires, petits ou grands, n'aperçoivent pas l'intérêt qu'ils auraient à adopter des outils ou des méthodes qu'ils ignorent. Le seul palliatif à la protection ne peut servir de stimulant : c'est un procédé exceptionnel imaginé pour parer à un déficit de récolte. L'échelle mobile a pour but de permettre l'importation des céréales quand elles manquent en France. Voici le système : à mesure que le prix s'abaisse dans les départements frontières subdivisés en 5 classes et en 8 sections, les droits s'élèvent à l'importation, et s'abaissent à l'exportation Mais le mécanisme est si compliqué qu'il ne fonctionne pas. Il favorise les crises qu'il veut éviter. La porte de l'étranger ouverte ou entrebâillée ne livre pas passage aux grains au moment précis où l'on en a besoin. Il faut 50 jours pour aller d'Odessa à Marseille ; encore faut-il souvent partir de Marseille pour ramener le blé d'Odessa, ce qui fait 100 jours, au minimum. Pendant ce temps le prix des grains a changé. L'opération est donc trop hasardeuse pour être pratique, et la perpétuelle mobilité du droit empêche les marchés à long terme.

A l'intérieur, les denrées circulent peu, à cause des prix élevés de transport, des mauvaises routes. La plus grande partie se consomme sur place. La terre est toujours la forme du capital la plus immobile, c'est elle qui supporte les plus lourdes charges. L'impôt foncier passe de 260 à 300 millions ; avec les droits de mutations, la terre paie 560 millions, la moitié du budget, et probablement un tiers de son revenu net. Les formes de la vie s'y sont à peine modifiées. La plupart des Français mangent le pain qu'ils ont fabriqué avec le blé de leur champ et à l'aide du moulin que fait tourner le ruisseau voisin.

La fiscalité qui, sans aucun doute possible, interrompt ou retarde le progrès de l'agriculture, compromet le domaine forestier. La loi du 25 mars 1831 autorisa le gouvernement à aliéner les bois de l'État jusqu'à concurrence d'un revenu net de 4 millions, dont le produit serait affecté au remboursement de 200 millions d'obligations du trésor. La vente dura de 1831 à 1835 ; 104.640 hectares de bois furent aliénés. Les contrais de vente autorisèrent fréquemment les acquéreurs à défricher, et le domaine forestier se trouva de ce fait encore réduit. De 3 123.000 hectares dont il se composait en 1827 (1.160.000 à l'État, 66.000 à la Couronne, 1.897.000 aux communes) il tombe en 1837 à 2.906.990 (1.098.784 à l'État, 1.808.206 aux communes).

Le gouvernement de juillet ne semble pas avoir eu un vif souci de développer la production agricole par un enseignement approprié. Aucun établissement ne fut fondé pour seconder les efforts dus à l'initiative personnelle de Mathieu de Dombasle à Roville (1822) et d'Auguste Bella à Grignon (1826). La loi de 1833 ne mit pas l'agriculture au programme de l'enseignement primaire. Elle figura pourtant à partir de 1838 dans celui des Écoles normales ; il fut décidé en 1839 qu'une ferme leur serait annexée, et que l'enseignement agricole y serait confié à un professeur rétribué par le budget départemental. C'est seulement en 1847 que l'État reconnut qu'il ne devait plus, en tant qu'éducateur, se désintéresser du mode d'activité économique qui était celui des deux tiers de la population. Le projet du ministre Salvandy sur la réforme de l'instruction publique porta : L'enseignement primaire comprend les faits principaux de l'agriculture.

 

III. — LE COMMERCE EXTÉRIEUR.

LES conditions faites à la production industrielle et agricole par J  le régime douanier n'étaient pas de nature à favoriser une rapide expansion des relations économiques entre la France et l'étranger. Les chiffres de la statistique officielle accusent pourtant, un accroissement régulier du commerce extérieur. L'importation, évaluée à 489 millions en 1830, atteint 564 millions en 1836, et entre 1837 et 1846 une moyenne de 776 millions. L'exportation, de 573 millions en 1830, est en 1836 de 629 millions, et en moyenne de 713 millions de 1837 à 1846. Au total, le commerce extérieur (spécial), qui est évalué à 1489 millions en moyenne pendant les dernières années du régime, est en accroissement d'environ 500 millions, soit d'un tiers, sur les chiffres de 1830.

Résultats importants et salués au passage par des commentaires élogieux : le rapporteur du budget (de 1838) signale au Roi l'importance des progrès réalisés en 1836 ; ils démontrent la valeur du régime : En comparant les chiffres de 1836 aux temps les plus prospères de la Restauration, on trouve que les principales consommations appellent du dehors deux fois autant de marchandises (cotons, laines, bois à construire, peaux brutes, fils de lin et de chanvre, fonte, fer, acier, plomb, etc.). Il y a un quart ou une moitié en plus pour l'importation des lins et chanvres bruts, soies et sucres. Mais les laines importées ont plus que triplé, et le zinc s'est élevé au sextuple. De même l'exportation a doublé pour la garance, les liqueurs, les sels, la mercerie et l'industrie parisienne, l'horlogerie, les gravures, les lithographies, les meubles ; elle a triplé pour la porcelaine, les miroirs, les machines et mécaniques ; les tissus sont en progrès moins marqué, mais appréciable, etc. En 1841, le Journal des économistes se félicite que les résultats soient chaque jour plus satisfaisants. En 1814, le chiffre de 1& ?9 est doublé. En 1847, les importations sont évaluées à 956 millions, les exportations à 719. La France importe surtout du coton, du sucre, des soies, des laines, et vend ses tissus de soie, de coton, de laine, de lin, et du vin et des eaux-de-vie. Ses principaux fournisseurs sont, par ordre d'importance, les Etats-Unis, la Belgique, l'Angleterre, les États Sardes, la Suisse ; ses principaux clients, l'Angleterre, les États-Unis, les Pays-Bas, l'Espagne, le Zollverein, la Suisse. Ses échanges avec les colonies s'élèvent à peu près au même chiffre qu'avec les États Sardes ou avec l'Algérie (10 millions).

Il est évident que, pour donner un sens à ces chiffres, il faudrait les comparer à d'autres, savoir, par exemple, que, en Angleterre, le commerce extérieur vaut 2.112 millions en 1837 et 4.597 en 1840. Mais ces comparaisons, pour suggestives qu'elles soient, ces chiffres, tout précis qu'ils semblent, ne sauraient apporter que d'assez faibles preuves aux affirmations coutumières sur la prospérité économique de la France. La manière dont ces chiffres sont établis n'offre pas assez de garanties. En France, c'est toujours sur l'échelle des valeurs de 1826 qu'ils sont fondés. Il faut bien aussi noter qu'ils ne sont pas en accord avec ceux de la douane. Ses recettes à l'importation étaient en 1828 de 104 millions ; elles sont en 1840 de 145 millions, en 1846 de 155, c'est-à-dire que l'augmentation ne serait que du tiers, tandis que, au témoignage de la statistique, l'importation (qui donne la presque totalité des recettes) aurait presque doublé. Il y a donc sûrement un accroissement d'affaires avec l'étranger, mais il est impossible de le chiffrer avec précision.

Le commerce extérieur se fait surtout par mer. Les droits de navigation passent de 2.972.000 francs en 1829 à 3 107.000 en 1840, à 3.585.761 en 1846. Les ports de Marseille, du Havre, de Paris, Bordeaux, Nantes, Dunkerque et Rouen absorbent à eux seuls 60 p. 160 du trafic ; les autres ports. 15 p. 100. Le trafic par terre représente un quart tin trafic total : la proportion était plus favorable en 1830 an commerce par terre : il représentait alors environ -15 p. 100 du commerce total. Mais cet accroissement du trafic maritime profite surtout au pavillon étranger. Malgré le monopole algérien, malgré les primes au pavillon national, la marine marchande diminue à mesure que la vapeur remplace la voile ; il faut encore le répéter : le fer et le charbon sont trop chers en France. La France n'a guère que de petits bâtiments, 16.000 environ, qui jaugent 670.000 tonnes ; 700 seulement dépassent 300 tonnes, ils faisaient encore en 1830 plus de la moitié du trafic maritime en 1813, ils n'en font plus que les deux cinquièmes. L'outillage français est évidemment insuffisant au moment où les échanges internationaux grandissent. De même que la France n'a pas les machines qu'il lui faut pour produire, elle n'a pas non plus celles qu'il lui faudrait pour transporter hors de ses frontières.

Elle a pourtant fait un effort considérable pour l'outillage de ses ports et pour le développement de sa flotte. D'importantes dotations sur le fonds extraordinaire des travaux publics ont été affectées aux ports, 25 millions en 1837, 40 en 1839. Comme le développement des relations commerciales avec les pays d'outremer faisait désirer un service régulier de correspondance postale, on essaya d'abord des contrats avec des armateurs : en 1827, un service régulier fut ainsi assuré entre Bordeaux, les Antilles et le golfe du Mexique ; d'autres furent mis en adjudication ; le premier service des paquebots à vapeur sur la Méditerranée fut établi en 1830, entre Marseille et le Levant. Mais l'expérience démontra bientôt que ces entreprises dépassaient les forces de l'industrie privée ; et les adjudications proposées ne trouvèrent plus d'enchérisseurs, tandis que les anciens contrats cessaient d'être exécutés. L'État dut se charger d'un service qui exigeait avant tout une régularité, une ponctualité que ne comportait pas toujours l'intérêt commercial des entrepreneurs privés. La loi du 3 juillet 1835 créa six lignes d'État pour le transport de la poste et des voyageurs dans le Levant. Toutes sont au départ de Marseille ; elles mènent : à Naples, par Livourne et Civita-Vecchia ; à Constantinople, par Malte et Smyrne ; à Alexandrie, par le Pirée ou par Malte ; à Ajaccio ; à Bastia. Sauf les lignes de Corse desservies deux fois par semaine, les autres paquebots partent tous les dix jours. Le service est assuré par 23 bâtiments commandés par des officiers de la marine royale. Il ne faut plus que vingt-quatre heures pour aller en Corse et huit jours pour aller à Malte en passant par Livourne et Naples. On calculait que cinquante jours étaient nécessaires à un Marseillais pour recevoir une réponse à une lettre qu'il expédiait à Constantinople ; il peut désormais l'avoir en vingt jours. Sur l'Océan, la première ligne postale, entre le Havre et New-York, fut créée en 1840.

Mais on en est encore à la construction en bois ; l'exemple donné par l'Angleterre, où la Compagnie péninsulaire et orientale construit en 1841 le premier navire à coque de fer, bientôt, suivi par les États-Unis, provoque cependant une mission de Dupuy de Lôme en Angleterre en 1844. Apôtre passionné de cette nouveauté, il présenta un projet pour la construction en fer des vaisseaux de guerre ; mais la réalisation n'en fut entreprise que longtemps après la chute de la monarchie.