I. — LA LÉGISLATION PROTECTIONNISTE. LA Restauration n'avait rien modifié aux principes qui réglaient les échanges commerciaux de la France depuis le blocus continental, et que l'invasion de 1814 avait consolidés. La protection accordée par la loi aux producteurs coalisés s'était dans la pratique aggravée jusqu'au point de se tourner parfois en prohibition. Mais les inconvénients du système étaient, depuis 1828, devenus manifestes : la stagnation de l'industrie et du commerce, l'insuffisance des moyens de communication, l'immobilité des capitaux, la vie partout réduite ; c'étaient autant de conséquences dont souffraient tous les consommateurs, et même, à cause des représailles exercées par les États voisins contre nos produits, quelques-uns de ceux, industriels ou agriculteurs. à qui la douane procurait une garantie contre la concurrence étrangère. Aussi, vers la fin du règne de Charles X, s'était-il manifesté un désir de réforme. Si la coalition des intérêts particuliers, et, plus encore, la crainte d'un changement qui eût détruit leur équilibre artificiel, avaient alors paralysé le gouvernement, on pouvait penser que l'avènement d'hommes nouveaux lui donnerait plus d'audace dans la pensée et dans les actes. Mais le contraire arriva : d'une part, la classe déjà maîtresse du pouvoir économique sous la Restauration, et qui dès ce temps montrait l'unité de ses vues protectionnistes par-dessus les divergences de ses opinions politiques, fut précisément celle dont la Révolution réalisa l'avènement politique ; d'autre part, le régime gouvernemental instauré par sa victoire ne fut pas assez différent de celui que la Révolution avait détruit pour permettre à d'autres intérêts d'influer sur le système économique établi ; c'est pourquoi la monarchie de juillet demeura, en cette matière, aussi conservatrice que la Restauration. Un député déclarait à la tribune en 1836 : Aucune société ne peut se passer d'aristocratie. Voulez-vous
savoir quelle est celle de la monarchie de juillet ? C'est celle dos gros
industriels ; ils sont la fondation de la nouvelle dynastie. Un système qui
tendrait à tes aliéner me paraîtrait une insigne folie ; ce serait, pour la
Révolution de juillet, se frapper au cœur. — Un pair disait à ses
collègues en 1845 à propos de la discussion d'un droit de douanes : Nous n'avons pas la majorité ; mais vous pouvez nous la
donner. Rendez-nous le service de voter pour nous dans cette affaire, et, en
d'autres choses qui vous concernent personnellement, nous défendrons vos
intérêts. Cet égoïsme de classe, renforcé par la pusillanimité
générale qui paralysa en toute matière tous les gouvernements de la nouvelle
monarchie, à quelque groupe qu'ils se rattachassent, explique aisément
pourquoi les changements de la législation économique furent insignifiants.
Si quelques nouveautés économiques importantes se produisirent entre 1830 et
1848, elles furent causées par des événements plus forts que les opinions et
les lois ; les pouvoirs publics furent contraints de suivre une évolution
indépendante d'eux, et qui les entraîna bon gré mal gré. Le régime douanier issu de la législation sans cesse
aggravée de la Restauration établissait, entre la France et les produits étrangers,
non seulement la porte rétrécie de ses tarifs, mais le mur continu de ses
prohibitions. De nombreux objets de première nécessité pour l'industrie ou
pour la consommation, la fonte brute (par
masse inférieure à 600 kilos), le fer, les ouvrages en fer, en acier
et en cuivre, l'horlogerie, les fils de laine et de coton, les tissus, les
vêtements, les peaux préparées, le sucre raffiné étaient prohibés. Le blé
étranger était, il est vrai, admis moyennant le paiement de droits et de
surtaxes de pavillon, mais seulement dans le cas où le prix des blés
indigènes dépassait 18, 20, 22 ou 24 francs l'hectolitre dans la 1e, la 2e,
la 3e ou la 4e zone prévues par la loi de 1821. Comme il monta en France à un
prix moyen de 22 francs, en 1830, au moment même où la crise industrielle
créait des soucis au gouvernement, on proposa de réduire à 3 francs le
maximum du droit à percevoir et d'abolir au moins pour les navires français
le droit de pavillon, qui était de 1 franc. La mesure fut adoptée, mais à
titre provisoire et seulement jusqu'au 1er juillet 1831, pour parer aux
difficultés immédiates. — En 1832, d'Argoùt, l'ancien rapporteur de l'enquête
de 1828, devenu ministre du Commerce, proposa une modification plus durable
aux errements douaniers. Ses principes étaient peu hardis, mais pourtant
nouveaux : il n'était, disait-il, ni pour la prohibition, ni pour la liberté
; mais il voulait dégager le régime protecteur de ce
qu'il avait d'inutile, de vexatoire et d'exorbitant. Il proposa donc
de lever les prohibitions sur les fils de coton au-dessus du n° 180 (que la France ne produisait pas), sur les
châles de cachemire, les cuirs de Russie, le cuivre filé sur soie,
l'horlogerie ; de permettre l'entrée et la sortie des soies grèges et
moulinées ; enfin, de réduire les droits d'entrée sur les bestiaux. C'était
sa plus grande audace. L'entrée des bestiaux avait été libre jusqu'à 1816 ;
établis alors pour des raisons fiscales, les droits avaient été décuplés en
1822 ; les consommateurs payaient ainsi au profit des propriétaires un impôt
qu'on évaluait à 37.500.000 francs[1] ; en revenant au
droit de 25 francs par bœuf et de 15 francs par vache, on assurait encore une
prime de 50 centimes par kilogramme de viande aux éleveurs français. La
commission qui étudia le projet d'Argoùt reconnut qu'en effet nos industries
pouvaient se contenter aujourd'hui d'une protection
moins énergique, mais elle consentit seulement à supprimer la
prohibition des cuivres filés sur soie et des cuirs de Russie, et repoussa
tout le reste. D'ailleurs le projet ministériel n'arriva pas jusqu'à la
discussion publique. Pourtant le caractère choquant des prohibitions était assez nettement apparu pour qu'elles fissent l'objet de critiques même à la commission du budget. Le gouvernement proposa de nouveau en février 1834 de laisser entrer les soies et les filés fins de coton moyennant un droit de 30 p. 100, ne fût-ce que pour décourager la contrebande. Mais ce projet ne fut pas plus discuté que l'autre. Le gouvernement, usant alors du droit — qu'il tenait de la loi de 1814 et d'une loi votée le 24 mai 1834 — de modifier en cas d'urgence certaines parties du tarif dans l'intervalle de deux sessions et jusqu'à ratification dans la plus prochaine session des Chambres, se contenta de lever quelques prohibitions par ordonnance (2 juin 1834), en particulier sur les fils au-dessus du n° 143, les vêtements et les outils aratoires. Mais il ne jugea pas prudent d'aller plus avant sans y être autorisé par un mouvement d'opinion, et il le provoqua. Ce fut le but de l'enquête ordonnée par le ministre du Commerce Duchâtel en 1834. On consulta sur le remplacement des prohibitions par des droits les Chambres de commerce et les Chambres consultatives des arts et manufactures. Cette enquête révéla ce qu'on savait déjà, que les commerçants — ceux des ports surtout demandaient l'extension du commerce, qu'ils n'aimaient par conséquent ni les tarifs ni les prohibitions, que les producteurs faisant venir de l'étranger leurs matières premières souhaitaient de ne pas payer de droits d'entrée sur ces matières, mais ne souhaitaient pas moins ardemment que la barrière fût fermée aux objets étrangers analogues à ceux qu'ils fabriquaient, enfin que les propriétaires terriens considéraient comme un devoir indiscutable pour les Français de s'alimenter exclusivement des fruits de leurs domaines. Ainsi le gouvernement fut peu éclairé ; par contre, il fut très effrayé. Il renonça à la réforme douanière, et se contenta de prendre par ordonnance quelques mesures de détail (1834-1835) ; c'est ainsi que les droits d'entrée furent réduits sur les houilles, les laines, les fontes. Hippolyte Passy, ministre du Commerce en 183G, essaya pourtant de livrer une nouvelle bataille et proposa d'abaisser les droits sur les toiles, chapeaux, cuivres, machines, chevaux, peaux, etc. Il y eut un grand débat. Le rapporteur, Ducos, qui était de la Gironde, et par conséquent hostile aux prohibitions, en profita pour critiquer tout le régime : On serait véritablement effrayé du chiffre résultant du renchérissement de tous les objets de consommation obtenu à l'aide des combinaisons restrictives de notre législation ; on serait effrayé de l'énorme capital que les taxes prohibitives dévorent tous les ans à l'agriculture ; car le dommage est moins pour elle dans la cherté des instruments dont elle se sert que dans la privation de ceux dont elle ne se sert pas. On calculerait avec effroi le sacrifice immense qu'ils imposent à l'ouvrier dans ses outils, dans son fer, dans son bois, dans sa laine. Le projet du gouvernement fut voté (lois des 2 et 5 juillet 1836) avec de nombreuses modifications, mais il marqua cependant un recul de la prohibition ; les cotons filés furent soumis à un droit et le gouvernement eut la faculté de remplacer par un droit la prohibition sur les fils de laine. Ces mesures étaient destinées à arrêter la fraude que la prohibition rendait nécessaire et presque officielle. La réforme n'était pas très profonde. On n'alla pas beaucoup plus loin dans la suite. Quand, en 1840, le gouvernement proposa une réduction sur les fils de chanvre et de lin et sur les toiles, le rapporteur Martin (du Nord) célébra la liberté commerciale, félicita les théoriciens de lutter pour l'intérêt du consommateur, puis conclut en reprochant au gouvernement de ne pas augmenter les droits à l'entrée des fils de lin et les droits à la sortie sur les bois de construction. — En 1842, le gouvernement interrogea le Conseil des manufactures : Y a-t-il lieu de conserver dans son intégrité le tarif actuel ? ou ce tarif, qui équivalent à 70 p. 100 sur la fonte et à plus de 110 p. 100 sur le fer, peut-il, sans inconvénient pour nos intérêts métallurgiques et au grand avantage des autres intérêts industriels, agricoles et commerciaux, être soumis à un nouveau dégrèvement ? Le Conseil répondit : Oui il y a lieu de conserver encore, quant à présent, le tarif des fers et des fontes dans son intégrité. — Le sésame était depuis 1840 l'objet d'une grande consommation pour la fabrication du savon ; 50 usines à Marseille en importaient 170.000 quintaux (1845). Les protestations du colza, de l'œillette, de l'olive et du lin, que Dunkerque n'envoyait plus à Marseille, ne se firent pas attendre. Le droit sur le sésame était de 2 fr. 50 ; le gouvernement proposa 5 francs. Un député, Darblay, au nom de l'agriculture, demanda 10 francs. Le colza du Nord et l'olivier du Midi, ligués sous la bannière de la phalange agricole, battirent le cabinet et votèrent les 10 francs, encore qu'il eût été copieusement démontré que le prix de l'œillette n'avait pas baissé depuis 1840 et que le prix de l'huile d'olive augmentait à Marseille. — En 1847, Cunin-Gridaine proposa de supprimer 15 prohibitions, d'accepter en franchise 298 articles sur 666 dont se composait le tarif, en particulier pour les matériaux destinés à la construction des navires, les fers en barre, le cuivre et le zinc bruts ou laminés, le lin et le chanvre. C'était, cette fois, un projet hardi. Mais la monarchie succomba avant qu'il vint en discussion. La question des sucres était de plus en plus compliquée. Elle engageait des intérêts qui, pour n'être pas ceux des industriels français, n'étaient néanmoins pas négligeables : celui du Trésor public et celui des producteurs colons. Le sucre colonial, qui payait 40 francs le quintal à l'importation, était éliminé pou à peu par le sucre de la betterave métropolitaine (50 millions de kilogrammes, 540 usines en 1836). Le fisc y perdait des recettes, et les colonies à sucre annonçaient leur ruine prochaine : leurs importations, de 80 millions de kilogrammes en 1830, étaient tombées à 57 en 1837. Duchâtel proposa de dégrever de 20 francs le sucre colonial et de réduire de 44 à 29 francs la taxe des sucres étrangers. Le sucre colonial rendu dans nos ports hors droits revenait à 40 francs ; le sucre de betterave, à la sortie des fabriques, à 49 francs. Le droit de 20 francs laissait encore 11 francs par quintal de bénéfice aux sucriers français : on le frappa d'un impôt de 10 francs, qui serait porté à 15 à partir de 1839. Mais la taxation du sucre indigène n'enraya pas la décadence de la sucrerie coloniale. Il fut question d'interdire le sucre de betterave et de racheter les raffineries françaises pour 40 millions. Puis l'impôt sur le sucre indigène fut fixé par ordonnance à 25 francs (1840), et ce régime l'ut provisoirement maintenu jusqu'à 1843. Alors, après beaucoup de discussions, on s'entendit sur un droit calculé de manière à égaliser graduellement les chances de lutte entre les deux sucres suivant les rendements de la récolte (1843). Solution médiocre et timide, qui ne savait ni arracher au fisc une industrie fatiguée, ni mettre une industrie nouvelle à l'abri de ses atteintes. II. — ÉCHEC DES TENTATIVES LIBÉRALES. LE gouvernement était peu porté de lui-même à recourir à un autre moyen de diminuer les tarifs, au traité de commerce : le dernier, celui de 1786, avait laissé chez les industriels un souvenir de cauchemar, et la légende en faisait la cause de toutes les misères économiques. Mais l'heureux succès du Zollverein allemand donna à réfléchir. On s'en occupa ; on discuta en 1835 le préjudice qu'il causait à l'exportation des vins, des soieries, des cotonnades. Il fut question de négocier avec ceux des États allemands, Bade, Nassau. Francfort, qui étaient encore en dehors de l'Union. Broglie déclara qu'il valait mieux, pour traiter, attendre que l'union douanière allemande fût achevée. D'autres, dont Léon Faucher résuma les arguments dans un article remarqué de la Revue des Deux Mondes (1er mars 1837), demandèrent qu'on répondît au Zollverein par une Union du Midi, Belgique, France, Espagne et Suisse. Le gouvernement français rédigea même un projet d'union franco-belge : la ligne douanière qui séparait les deux États eût été supprimée et transportée à la frontière commune ; notre système d'impôts indirects transporté en Belgique ; les monopoles du tabac et du sel mis en commun ; les produits répartis proportionnellement à la population par une commission mixte de huit membres. Ce projet mit tout le monde économique en grand émoi Les drapiers, les métallurgistes, les propriétaires de mines, c'est-à-dire tous les adversaires de la concurrence belge, prirent feu, tandis que d'autres producteurs, qui escomptaient l'ouverture d'un marché pour les produits qu'ils vendaient et l'abaissement des barrières pour ceux qu'ils achetaient, applaudirent. Paris, Arras, Reims, qui achetaient la houille belge, Mulhouse, Lyon, Marseille, surtout Bordeaux que son vignoble faisait libre-échangiste, entrèrent en lutte contre le Nord. Le gouvernement ajourna l'affaire. En 1849 (16 juillet), une convention avec la Belgique ayant stipulé que les deux pays s'accorderaient réciproquement les faveurs qu'ils seraient amenés à faire à des tiers, le projet d'union douanière fut repris, sans plus de succès. Cette fois, de nouvelles difficultés apparurent ; elles étaient d'ordre diplomatique. Lord Aberdeen protesta à Berlin, à Vienne, à Pétersbourg que l'union violerait la neutralité belge, que les signataires du protocole de 1831 avaient le droit de s'y opposer (oct. 1842), et il déclara à notre ambassadeur : Vous concevez que l'Angleterre ne verrait pas d'un bon œil les douaniers français à Anvers. Vous auriez à combattre aussi du côté de l'Allemagne. Dans une autre conversation, il parla encore de l'union douanière comme d'une atteinte à l'indépendance belge et conséquemment aux traités qui l'avaient fondée. Il n'en fallait pas tant pour faire reculer le gouvernement français ; la crainte d'affronter un double conflit, économique avec une partie de l'opinion, politique avec l'Europe, renforça son goût naturel pour le statu quo. Ses moindres initiatives étaient surveillées par les protectionnistes : ayant conclu avec la Suisse une convention qui abaissait les droits sur les bestiaux, il dut en réduire la durée de six à quatre ans pour céder aux réclamations des éleveurs. Aussi, quand l'affaire belge revint en discussion devant la Chambre de 1846, Guizot l'enterra-t-il sous des phrases embarrassées : La science s'est aperçue que les intérêts de ceux qui consomment n'étaient pas suffisamment consultés, que la part accordée à ceux qui produisent était trop grande ! Alors elle n'a plus parlé que des intérêts des consommateurs, et elle a demandé la liberté illimitée du commerce. Les gouvernements ne peuvent suivre la science dans cette voie ; ils ne sont pas des écoles philosophiques ; ils ne sont pas chargés de poursuivre le triomphe d'une certaine idée, d'un certain intérêt ; ils ont tous les intérêts, tous les droits, tous les raits entre les !nains ; ils sont obligés de les consulter tous.... En somme, aucun changement appréciable ne fut apporté au régime que la monarchie de juillet avait hérité de la Restauration. Il fut seulement, comme on l'a vu, atténué çà et là. Il convient de rappeler aussi quelques mesures de détail, utiles et libérales. Une loi de 1832 autorisa la création d'entrepôts réels ; Paris en eut un en 1833 ; on permit aux colonies de recevoir dans certains cas des produits étrangers ; quand furent réglées les relations économiques franco-algériennes, on stipula que tout transport entre la France et l'Algérie serait exclusivement réservé au pavillon français ainsi que le cabotage d'un port algérien à un autre (ordonnance du 11 nov. 1835), et que les produits français, sauf les sucres, entreraient en franchise en Algérie ; mais on accepta l'importation en franchise de marchandises, même étrangères, nécessaires à la cou-sommation des colons — graines et farines, légumes frais, fourrages, bois à brûler, charbons, bois de construction, pierre à bâtir, chaux, tuiles, ardoises, métaux bruts ou laminés, etc. —. Les lois de finances, les ordonnances levèrent certaines prohibitions que les Chambres n'osèrent pas rétablir. Le désir de favoriser le commerce français fit enfin admettre en franchise les machines anglaises destinées aux bateaux à vapeur. La fraude fut aussi, comme sous la Restauration, dans certains cas, un palliatif au régime. L'entrée clandestine des fils fins de coton dura jusqu'à l'ordonnance de 1833. Elle donnait lieu à un commerce régulier, qui se dissimulait à peine, et que sans doute on ne persécutait guère, puisqu'il permettait à une industrie de vivre et qu'elle ne pouvait s'en passer : Avant l'ordonnance, demandait au délégué des tullistes de Calais le président de l'enquête de 1831, vous n'employiez que du fil anglais ? — Oui, car le fil qu'on nous donnait pour français était anglais. — Quelle était à cette époque la prime d'assurance ? — La prime d'assurance variait de 25 à 30 p. 100. Il parait qu'alors les fraudeurs n'avaient pas organisé les moyens dont ils disposent maintenant, car cette prime est baissée considérablement. Aujourd'hui on fraude, dit-on, à moins de 10 p. 100. — Comment alors se fait-il que, dans le mois de septembre dernier (c'est-à-dire depuis l'ordonnance), on ait acquitté le droit sur une si grande quantité de cotons anglais ? — Beaucoup de fraudeurs s'étaient abstenus d'introduire des cotons anglais, dans l'attente de l'effet que produirait la levée de la prohibition. Il a donc fallu en faire venir en masse, pour subvenir aux besoins de la fabrication qui en manquait. Voilà comment on s'est trouvé dans la nécessité d'acquitter le droit sur une grande quantité. Un autre tulliste ajouta : Les faits sont de notoriété publique. Dans la réunion des fabricants qui a eu lieu à Calais avant notre départ pour Paris, on a annoncé qu'on avait, à Dunkerque et à Bergues, autant qu'on en voulait, des cotons filés à 2 francs et 2 fr. 50 le paquet au-dessus des prix d'Angleterre, c'est-à-dire que le n° 180 qui conte, pris à Douvres, 25 francs, était donné, à Dunkerque et à Bergues, à 27 francs et 21 fr. 50. Mais, tant qu'à frauder, il y a plus d'avantage à importer le tulle fabriqué que le fil, et c'est ce que les commerçants n'ont pas manqué d'apercevoir. Ils achètent directement le tulle anglais au fraudeur : la prime payée au fraudeur, déclare un tulliste de Calais, n'excède pas, terme moyen, 15 p. 100 ; ainsi le tulle anglais revient en France à 22 fr. 19 ; le tulle français à 30 fr. 60 ; différence au préjudice de ce dernier, 8 fr. 41 centimes, ou 38 p. 100. Sans doute, il y a sous un régime d'entraves d'autres fraudes moins affichées. Mais, le plus grave, c'est que les entraves subsistent au moment où, dans les conditions de la production industrielle et du transport des marchandises, des modifications se produisent qui rendent nécessaire à un marché la collaboration, la communication avec ses voisins. |
[1] En supposant une consommation de 25 kilos par habitant et par an ; ce chiffre est très exagéré, la consommation individuelle ne dépassant pas 14 kilos.