I. — THIERS ET LE PARLEMENT. APRÈS la chute de Broglie, le Roi s'adressa à Thiers. Il aimait sa souplesse ; il retrouvait en lui quelques traits de sa propre nature ; il savait gré à cet homme de juillet d'accommoder ses principes aux circonstances. Thiers n'avait éprouvé aucune difficulté à passer du mouvement à la résistance, des bureaux du National au salon des doctrinaires, sans se fermer la route qui l'eût ramené à son point de départ. Il était le seul chef de parti qui pût en 1836, à son gré, reprendre la lutte contre la gauche ou lui faire des concessions. Or, le Roi, considérant que le moment était venu pour lui de gouverner sinon au-dessus, du moins en marge des partis, était conduit à préférer aux liens étroits d'une majorité fixe et d'un programme précis la liberté d'une direction vague et des majorités d'occasion ; Thiers était donc son homme à cette heure. Mais il fallait le détacher des ministres tombés, auxquels il restait lié par point d'honneur. Ses scrupules ne tinrent pas longtemps ; on le flatta ; le Roi obtint de l'aristocratique désintéressement de Broglie qu'il déliât son ancien collègue de toute obligation de délicatesse envers lui, et Thiers composa aussitôt son ministère avec trois membres du cabinet démissionnaire, Montalivet, ami personnel du Roi, et trois membres du tiers-parti. Ces choix indiquaient peut-être le désir d'une certaine détente après le gouvernement hautain de Broglie ; ils marquaient aussi une discrète avance à la gauche, puisqu'on se rapprochait du tiers-parti. Il n'en fallait pourtant pas conclure que Thiers rompait avec la droite, avec qui il venait de mener pendant trois ans le combat conservateur. A vrai dire, le seul trait important de cette combinaison, c'était la séparation de Thiers et de Guizot, celui des deux qui n'était plus au pouvoir devenant nécessairement l'adversaire de l'autre. Guizot, rentré dans le rang, prit en effet la direction de la droite de la Chambre, qui revenait à son talent. Ainsi naquit une illustre rivalité. Elle n'eut pas pour effet de donner à la monarchie parlementaire deux grands partis à la façon anglaise, mais elle mit une vie parlementaire mal organisée à la merci des intrigues fomentées par cieux grandes ambitions servies par de grands talents. L'instabilité qui en résulta pour le gouvernement et pour les partis n'était pas pour déplaire au Roi. Ayant rompu le triumvirat Broglie-Thiers-Guizot, il espérait, après l'élimination de Broglie, neutraliser les deux survivants l'un par l'autre, et trouver un jour le moment favorable pour désigner en dehors d'eux un président de son choix. Thiers fut bien accueilli ; la droite fut courtoise pour un ami de la veille, le tiers-parti empressé pour un homme qui lui faisait une place dans le ministère, la gauche sympathique à l'homme de juillet enfin délivré d'une longue captivité chez les réactionnaires. On n'avait pas encore vu, sauf au début de la monarchie, un cabinet qui ne rencontrait à sa naissance ni opposition déclarée, ni hostilité sournoise. Thiers, qui ne tenait pas à créer une majorité qui l'eût emprisonné dans un programme, était fort satisfait. Lui aussi, comme le Roi, mais pour d'autres raisons, préférait à cette entrave l'obligation de satisfaire tour à tour les uns et les autres ; jeu où se plaisait sa dextérité. Il ne voulait pas davantage s'engager dans une politique étrangère arrêtée. Si le moment était venu de tenter un rapprochement avec les Puissances de l'Est, il ne s'interdisait pas de revenir en cas d'échec à la politique occidentale fondée sur l'entente anglaise. La condition de la réussite clans cet exercice d'équilibre, c'était le succès personnel du président du Conseil auprès des Chambres et du Roi. Tout pouvait être compromis par une maladresse ou par une imprudence. Ce gouvernement dura du 22 février au fi septembre, un peu plus de six mois. Thiers, à son premier contact avec les Chambres, affirma sa solidarité avec l'ancien cabinet. Rien n'était changé au système du 11 octobre : Vous n'oublierez pas, je l'espère, déclara-t-il en s'adressant à l'ancienne majorité, que, pour la plupart, nous avons administré le pays au milieu des plus grands périls, et que, dans ces périls, nous avons combattu le désordre de toutes nos forces.... Pour sauver une révolution, il faut la préserver de ses excès. Quand ces excès se sont produits dans les rues ou dans l'usage abusif des institutions, j'ai contribué à les réprimer par la force et par la législation. Je m'honore d'y avoir travaillé de concert avec la majorité de cette Chambre, et, s'il le fallait, je m'associerais encore aux mêmes efforts pour sauver notre pays.... La gauche ne s'émut pas de ce langage, dernière politesse, disait un de ses membres, qu'on fait à ses amis avant de se séparer d'eux. Pendant un mois, on se demanda de quelle majorité Thiers serait le ministre. Une sortie un peu vive qu'il fit à Odilon Barrot fut commentée longuement. On pensait que la bataille qui se livrait d'ordinaire à propos des fonds secrets éclairerait la situation. Le vote de ce chapitre fournissait à cette époque l'occasion de donner ou de refuser sa confiance au gouvernement. Guizot, dans un long discours, fit l'apologie de la politique conservatrice, de la vieille résistance. A quoi Odilon Barrot répondit que cette politique était morte et que le nouveau gouvernement ne pouvait pas l'ignorer. Thiers, obligé de choisir, se dérobe, envoie à la tribune le ministre de la Justice, Sauzet, qui parle de conciliation, de politique nouvelle, qui refuse, en présence de l'apaisement des esprits, de raviver les souvenirs irritants du passé, et qui proteste qu'on n'imposera pas aux nouveaux ministres des amendes honorables et des génuflexions : la gauche applaudit, la droite ne réplique pas, — et les fonds secrets sont votés par 251 voix contre 99 (24 mars). La situation n'est pas changée ; la droite n'a pas voulu lâcher Thiers, la gauche le soutient ouvertement. Le jeu continue. Le cabinet se prononce contre l'amnistie que combat la droite, et donne des places à ses amis de la gauche qui depuis longtemps ont perdu l'habitude des faveurs gouvernementales. Personne ne veut être de l'opposition. On prend sa revanche dans les commissions ; dans les couloirs, en répandant des propos amers. Guizot et Thiers s'éloignent de plus en plus l'un de l'autre. Seuls quelques intransigeants restent étrangers à cette comédie équivoque. Armand Carrel écrit dans le National : Doctrinaires, tiers-parti, gauche dynastique, tant que l'œuvre législative des six ans demeure, tout nous est indifférent. La session fut close en juin sans qu'on sût si le ministère avait cessé d'être conservateur ou s'il l'était devenu. On avait pourtant un peu travaillé, décidé le chemin de fer de Versailles, remanié le tarif des douanes, voté la loi des chemins vicinaux et le budget. Thiers avait montré dans toutes ces discussions une compétence si alerte, si souple, si lucide, une maîtrise oratoire si sûre, qu'il avait pu soutenir son rôle. Mais le réveil des passions révolutionnaires vint rendre du crédit à la droite. L'attentat d'Alibaud contre le Roi (25 juin), la reconstitution des sociétés secrètes (surtout celle des Familles par Blanqui et Barbès), la découverte d'un complot projeté pour le jour de l'inauguration de l'Arc de l'Étoile, et qui fit ajourner la fête fixée au 28 juillet, créèrent de l'inquiétude et du malaise : les alarmes que répandaient volontiers les conservateurs étaient donc fondées, la lutte pour la défense monarchique n'était pas finie ; les avances du ministère à la gauche encourageaient l'anarchie toujours menaçante. Thiers, malgré son adresse, ne donnait plus à la Chambre l'impression qu'il fût l'homme d'une situation sinon brouillée, du moins incertaine et instable, le chef qui convenait à un pays où les institutions étaient fragiles et comme éternellement provisoires. II. — POLITIQUE EXTÉRIEURE DE THIERS. A l'extérieur, l'avènement de Thiers marqua une divergence plus nette avec les vues du gouvernement précédent. Broglie avait maintenu non sans peine l'entente anglaise et la tradition diplomatique inaugurée par la Révolution (le juillet. Thiers adopta les intentions secrètes de Louis-Philippe et poursuivit le rapprochement avec les puissances continentales. Il ne s'agit plus, comme Broglie l'avait un moment espéré, de détacher du bloc austro-prusso-russe l'Autriche seule et de la rattacher au système franco-anglais, niais bien d'entrer dans la confiance des trois Puissances, de réconcilier le roi des barricades avec les souverains absolutistes et légitimes. A Berlin, à Vienne, à Pétersbourg, on salua avec joie les dispositions de Thiers ; les ambassadeurs se réjouirent de n'avoir plus à se heurter à la raideur de Broglie. Ils le firent savoir à Thiers, qui fut sensible à cette flatterie : Monsieur, l'Europe vous attend, lui avait dit Talleyrand. Il se persuada — bien qu'il ne lût ni naïf ni crédule — qu'en effet ou attendait de lui une grande œuvre d'avenir à laquelle il serait glorieux d'attacher son nom. Metternich ne perdait pas une occasion de l'avertir que dans l'alliance anglaise nous faisions un métier de dupes : nos intérêts et ceux de l'Angleterre étaient partout opposés ; la brouille était inévitable. Malgré sa vanité, Thiers était trop avisé pour jeter par-dessus bord tout le passé diplomatique de juillet. Il faisait encore, le cas échéant (par exemple à la séance du 1er juin 1836, à la Chambre des pairs), l'apologie de l'amitié anglaise, et se flattait de ne pas la rompre, tout en en recherchant d'autres : double jeu facile à un homme qui savait rester fidèle à la droite tout en se donnant pour un ami de la gauche. Mais le Roi, qui poursuivait son dessein, et qui était disposé à en payer le succès, même d'une rupture avec l'Angleterre, poussa de toute sa force au rapprochement continental. Le moment était venu de faire figure de dynastie durable, de s'allier aux Puissances, aux familles qui confèrent la légitimité aux parvenus. Le moyen, c'était d'abord une alliance personnelle. L'héritier du trône était célibataire, il fallait le marier. Grande affaire, qui prima bientôt toutes les autres préoccupations. En toute occasion, Thiers s'employa à ménager l'Autriche. A Cracovie, en Suisse, en Espagne, il montra que le libéralisme de la monarchie de juillet savait être accommodant. Le jour ou, sous prétexte d'en expulser les vaincus des insurrections polonaises qui y étaient réfugiés, les armées autrichienne, russe et prussienne entrèrent sur le territoire inviolable de la république neutre et indépendante de Cracovie, Thiers, bien loin de crier à la rupture des traités, fit dire à Metternich que la conduite turbulente d'un certain nombre de réfugiés polonais à Cracovie autorisait les Cours voisines à exiger que ce foyer d'agitation fût dissous. En Suisse, depuis 1829, les radicaux poussaient activement l'œuvre de la régénération, c'est-à-dire l'application de leur programme démocratique et centraliste. La majorité des cantons avaient adopté une constitution démocratique (1830-1833). Une section de la Jeune Europe, la Jeune Suisse, fut formée (1833), qui s'appuyait sur les réfugiés politiques nombreux et actifs (ils tentèrent un jour une expédition sur Neuchâtel et sur la Savoie). Les radicaux voulaient la révision de la Constitution fédérale en vue de renforcer le pouvoir central, qui saurait alors obliger les cantons d'ancien régime à accepter le suffrage universel, l'égalité civile, la liberté de presse et de religion. Comme les réfugiés s'en mêlèrent, ce programme devint une affaire internationale. En 1834, l'Autriche, la Prusse, la Russie, les princes italiens avaient demandé à la Suisse leur expulsion. La France et l'Angleterre soutenaient alors le gouvernement fédéral, qui s'y refusait au nom de l'indépendance de la Suisse. Là, comme ailleurs, la France apparaissait encore comme le défenseur naturel des démocrates contre l'Europe d'ancien régime : l'occasion était belle d'affirmer l'antagonisme profond qui séparait la monarchie de juillet des monarchies continentales, en accord avec la tradition diplomatique libérale fondée en France six ans auparavant, et suivie depuis Laffitte et Casimir Perier jusqu'à Broglie. Or c'est à cette tradition même que Louis-Philippe voulait se soustraire. Thiers écrivit donc à son ambassadeur comme eût fait Metternich : Quand en France les factions sont terrassées, quand le pouvoir y est fermement dirigé dans le sens de l'ordre et de la modération, il est ridicule de penser qu'un petit pays comme la Suisse puisse, entre les mains d'une poignée d'agitateurs, remuer à son gré le reste de l'Europe (25 avril) ; il n'était pas tolérable (7 juin) que la Suisse devint un foyer d'action révolutionnaire, un lieu de rassemblement pour les factieux de tous les pays, quand, partout, la Révolution, terrassée au profit de l'ordre, est impuissante et réduite à n'oser relever la tête. Et comme le gouvernement fédéral, effrayé, promettait d'engager les cantons à faire arrêter les réfugiés dangereux, Thiers insista rudement (18 juillet), déclarant insuffisante une promesse qui n'était appuyée d'aucun moyen de coercition, et donnant à entendre que la France aurait à pourvoir à ce que lui prescrirait l'intérêt de sa propre sécurité. Metternich et Nesselrode le félicitèrent. La diète fédérale, intimidée, céda. La complaisance de Thiers, enhardie, passa les bornes et alla jusqu'au ridicule. La police française découvrit en Suisse, après l'attentat d'Alibaud, un sieur Conseil qui passait pour être l'un des plus agités parmi les réfugiés ; elle en fit un complice de l'attentat Fieschi. Mais les réfugiés dénoncèrent conseil comme un agent provocateur, et Conseil finit par avouer lui-même ses rapports avec le gouvernement français. Les radicaux suisses en ressentirent contre la France une vive colère, qu'ils ne laissèrent pas ignorer. Il en alla de même en Espagne. La guerre civile se poursuivait entre la reine-mère et régente Christine et son beau-frère don Carlos. Carlos ayant pour lui les moines, les villes de Castille, les volontaires royaux, les provinces des Pyrénées, Christine, pour avoir un parti, dut s'appuyer sur les libéraux. L'Angleterre et la France soutinrent les Christinos, les monarchies continentales soutinrent les carlistes. L'Espagne devint une monarchie constitutionnelle (statut de 1834), et le gouvernement libéral entreprit la guerre contre les carlistes. Il ne parvint pas à les détruire. Des émeutes populaires, soulevées par les plus avancés des libéraux (progressistes), saccagèrent les couvents à Saragosse, à Barcelone, à Madrid, et assommèrent des moines. La reine donna le pouvoir à un juif, Mendizabal, que soutenaient les Anglais et les progressistes. Palmerston, qui jusque-là s'était opposé à toute intervention en Espagne, proposa une action commune pour mettre fin à cette guerre civile : les Français auraient occupé Fontarabie, le port de Passage et la vallée du Bastan ; la flotte anglaise aurait pris les ports. Thiers refusa, et proposa à l'ambassadeur d'Autriche un mariage entre Isabelle et le fils de don Carlos. Palmerston l'apprit, et fut mécontent : c'eût été exclure l'Angleterre du règlement des affaires d'Espagne, anéantir son influence, toute-puissante dans la péninsule depuis la mort de Ferdinand. Metternich exultait : La détestable politique de la branche aînée des Bourbons, déclara-t-il à l'ambassadeur de France, perdait l'Europe ; nous espérons que Louis-Philippe la sauvera. C'est alors qu'en récompense de tant de sagesse, Louis-Philippe se prit à espérer que l'empereur donnerait une archiduchesse au duc d'Orléans. Thiers y comptait : à la fois faiseur de roi et fondateur de dynastie, il allait réconcilier, par un coup de maître, la légitimité et les barricades. Le projet de mariage autrichien n'était pas de son invention. Broglie y avait songé, non sans réserve ni sans méfiance. Lorsque l'ambassadeur Sainte-Aulaire avait, sur sa demande, parlé à la cour de Vienne d'un projet de voyage du duc d'Orléans, Metternich avait montré quelque froideur ; puis la mort de François II, l'avènement de son fils Ferdinand Ier, qui était fort stupide, avait donné au chancelier une influence qu'accrut encore l'appui de la belle-sœur de l'empereur, l'archiduchesse Sophie. qui n'avait jamais dissimulé le mépris que lui inspirait la monarchie de juillet : les chances de succès de l'affaire étaient donc fort médiocres quand Thiers la reprit. II crut l'enlever en la brusquant. Le voyage des ducs d'Orléans et de Nemours à Vienne et à Berlin fut annoncé, et aussitôt entrepris. Ils partirent en mai, furent bien reçus à Berlin, où le vieux roi vanta la sagesse de leur père, et où leurs bonnes manières conquirent toutes les sympathies. C'était un premier succès. A Vienne, l'ambassadeur fort inquiet voulait qu'on ne parlât pas tout de suite de mariage ; le duc se ferait voir ; c'était assez : Il faut engager la partie avec la plus grande réserve et avec le plus petit enjeu possible. Il faut éviter de compromettre le gain déjà réalisé. N'est-ce pas quelque chose d'avoir logé nos princes sous le toit de Marie-Thérèse et dans l'appartement de Madame la Dauphine ? Ils y logèrent en effet, et eurent le même succès personnel qu'à Berlin. Mais le duc d'Orléans était, comme Thiers, décidé à ne pas se contenter d'approcher, d'observer l'ennemi ; il voulait livrer bataille, rapporter un consentement ou un refus : il demanda à l'archiduc Charles la main de sa fille Thérèse. L'archiduc répondit qu'il donnait son consentement, mais que Metternich refusait le sien, l'ayant réservée pour le roi de Naples. L'ambassadeur Sainte-Aulaire reçut l'ordre de donner l'assaut à Metternich, qui se déroba d'abord, puis fit répondre par l'archiduc Charles lui-même avec tant d'hésitations qu'on ne put insister davantage. Un moment, on crut avoir trouvé une autre archiduchesse, la fille de l'archiduc Renier, vice-roi de Lombardie et de Vénétie. Les princes partirent pour l'Italie ; ils y rencontrèrent la princesse, niais y reçurent en même temps la nouvelle de l'attentat d'Alibaud, qui écourta le voyage. Ils rentrèrent à Paris. Metternich triompha : une archiduchesse n'entre pas clans une famille tant exposée aux balles. Thiers ne renonça pas encore ; il écrivit longuement à Sainte-Aulaire, le pria de remontrer à Metternich la gravité d'un refus définitif : Il faut que M. de Metternich sache qu'en cas de refus, c'en est fait de toute amitié avec nous. Metternich refusa pourtant : Personne ne mettra en doute que la maison d'Orléans, écrivit-il à son ambassadeur à Paris, ne soit une grande et illustre maison ; c'est le trône du 7 août qui la rapetisse. Le duc de Chartres eût été un parti désirable ; le prince royal des François ne l'est pas. C'était un rude échec pour Thiers ; le mariage autrichien manqué, il perdait aux yeux du Roi sa raison d'être au pouvoir et de le garder. Il voulut parer le coup, envoya des circulaires à ses agents diplomatiques pour leur enjoindre de trouver une princesse. Le roi de Prusse proposa la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin : J'en fais mon affaire, disait-il bonnement, le mariage se fera, dussé-je enlever la future pour l'envoyer à Paris. C'était au moins un expédient pour couvrir la retraite. Mais la revanche nécessaire, Thiers voulut la prendre sur Metternich. Brusquement, il changea de politique : Si je suis trop Sainte-Alliance en Suisse, je me referai en Espagne. La cause d'Isabelle y était fort compromise. Son ministre Isturitz demandait l'intervention française. Thiers, qui l'avait refusée à Palmerston le 18 mars, s'y déclara aussitôt favorable. On enverrait en Espagne, sinon un corps français, du moins des volontaires recrutés dans l'armée française ; ils seraient commandés par un général français et combattraient sous le drapeau espagnol. Louis-Philippe l'oignit d'abord de partager l'irritation de son ministre, et le laissa faire. Mais Metternich devint menaçant, et Louis-Philippe, très décidé à ne compromettre, pour se venger d'une déconvenue, ni la paix générale, ni les résultats acquis de toute sa politique, ni surtout. ce qu'il en espérait, exigea nettement la dissolution du corps de troupes qui se préparait. Thiers offrit sa démission. Le Roi l'accepta. Tout était pour le mieux. Thiers, l'homme du mariage autrichien, tombait en champion du libéralisme occidental. Et le Roi, s'il n'avait pas obtenu d'archiduchesse, touchait à un autre succès non moins ardemment désiré. Il avait vu disparaître successivement tous ceux qui l'avaient porté au trône ou qui l'y avaient soutenu : Laffitte, Lafayette, Perier, Broglie, Guizot, Talleyrand. Voici qu'il renvoyait celui qui avait dit : Le roi règne et ne gouverne pas. C'était un coup de maitre. L'Europe admira Louis-Philippe. Car il fit, comme à l'ordinaire, ses confidences aux ambassadeurs étrangers : Priez le roi, dit-il au ministre de Prusse, de prendre en considération, en me jugeant, les difficultés de ma position.... J'ai dû prendre pour six mois M. Thiers pour montrer à la France ce qu'il vaut. Il me faut infiniment de patience et de persistance pour conduire ma barque. Et il fit appeler le comte Molé, un homme de confiance, cette fois. |