HISTOIRE DE FRANCE CONTEMPORAINE

 

LIVRE PREMIER. — LES PACIFICATIONS CONSULAIRES.

CHAPITRE II. — PACIFICATION CONTINENTALE.

 

 

I. — TÂTONNEMENTS ET PRÉPARATIFS.

LES deux lettres pathétiques en faveur de la paix que le Premier consul avait envoyées à Londres et à Vienne le décembre 1799 s'adressaient moins à l'empereur François et au roi George qu'aux Français, pour leur faire espérer que le jour de Noël, inaugural de la Constitution, serait aussi le jour initial de la pacification. Bonaparte n'en demandait pas plus. Il va sans dire que ni le roi ni l'empereur ne répondirent eux-mêmes au parvenu corse qu'ils méprisaient. Les lettres du Premier consul étaient contraires à tous les usages. Elles ne paraissaient pas sincères. Grenville et Thugut engagèrent avec Talleyrand une conversation aigre-douce, qui prit  fin dès le 20 janvier 1800 pour Londres, et se prolongea inutilement jusqu'au 16 mai pour Vienne.

Je ferai donc la guerre, puisqu'on m'y force, déclara Bonaparte. Au fond, il avait toujours été pour la guerre. Elle lui était nécessaire, comme il le disait lui-même à Lucien dans une note confidentielle. Il ne doutait pas du succès, et rien ne consolide le prestige d'un gouvernement comme la victoire, même quand le pays a soif de paix. A l'armée du Rhin, Moreau disposait d'environ 140.000 hommes, alors que l'armée d'Italie comptait nominalement 50.000 hommes et l'armée de Batavie 25.000 hommes. Bonaparte aurait voulu (le 4 décembre 1799) que vers la fin de décembre l'armée du Rhin se porte en Bavière : c'est, écrivait-il (le 21 décembre), sur l'armée que commande le général Moreau que repose la principale espérance de la paix de la République en ce moment ; l'armée du Rhin est ainsi sauvé l'armée d'Italie. Mais, après la rude campagne qu'elles venaient de livrer. les armées étaient arrivées au dernier degré d'épuisement. Avant même que Moreau eût pris possession de son commandement (à Bâle, le 26 décembre 1799), Bonaparte avait compris l'absolue impossibilité d'une action immédiate, et c'est là, sans aucun doute, une des raisons pour lesquelles il avait si bruyamment parlé de la paix : il voulait gagner du temps.

Il réussit, non sans peine, à trouver des fonds pour Moreau. Il fit un exemple : Ouvrard, le plus connu des fournisseurs, ayant refusé de consentir une avance, fut mis en arrestation, arbitrairement. Il fit une réforme : le corps des commissaires de guerre (intendants) fut dédoublé (29 janvier 1800) : il conserva la surveillance des approvisionnements, la levée des contributions en pays ennemi, la police des étapes, convois, hôpitaux, ambulances et prisons, la distribution des vivres, habillements et équipements ; mais l'inspection des comptes passa au corps nouveau des inspecteurs aux revues (contrôleurs). Tous les conscrits de la classe de l'an VIII furent déclarés à la disposition du gouvernement pour être mis en activité de service à mesure que les besoins de l'armée le requerront (loi du 8 mars 1800). On devait utiliser aussi des contingents étrangers : suisses, hollandais, italiens, polonais. Enfin l'ordre secret du 25 janvier 1800 publié en forme d'arrêté consulaire le 8 mais 1800 portait création dune armée de réserve sous le commandement direct du Premier consul. Cette armée, forte de 60.000 hommes, devait être constituée avec les dépôts de l'armée de l'Orient, des corps détachés (principalement de l'armée de l'Ouest), des conscrits et des vétérans rengagés.

Puisque Bonaparte s'en réservait le commandement, elle était évidemment destinée à jouer le rôle décisif. Mais où, et dans quelles conditions ? De Dijon comme centre, sa droite à Lyon, sa gauche Châlons-sur-Marne, l'armée de réserve pouvait être dirigée, suivant les circonstances, vers le Rhin et l'Allemagne, le Jura et la Suisse, ou les Alpes et l'Italie. Bonaparte craignait une avance autrichienne en Suisse. Elle eût été en effet très dangereuse ; assurant pour l'ennemi et empêchant pour les Français la coordination des opérations en Allemagne et en Italie. Mais, comme les Autrichiens restaient encore dans l'expectative, Bonaparte imagina (du 18 février an 1er mars) un plan d'offensive grandiose qu'il remania du reste à plusieurs reprises, et pour lequel il eut à discuter longuement avec Moreau, avant de le lui faire accepter (16 avril). Il lui en garda rancune, encore que l'essentiel de la combinaison fût de sacrifier l'armée du Rhin à l'armée de réserve. En effet, Moreau devait pousser une pointe en Allemagne, puis détacher un contingent pour renforcer Bonaparte qui déboucherait brusquement en Italie sur les derrières de l'ennemi.

A Vienne, le Conseil aulique avait, de son côté, décidé de temporiser en Allemagne et de pousser vivement l'offensive en Italie. Toute la péninsule était alors libérée des Français, sauf la Rivière de Gènes où tenait encore Masséna, que menaçait d'autre part la flotte anglaise de la Méditerranée. Melas ne commença ses opérations que le 6 avril, mais le mois n'était pas terminé qu'il avait coupé en deux les lignes françaises et, tandis qu'il poursuivait Suchet sur le Var, Ott enfermait Masséna dans Gènes. Cependant Moreau opérait prudemment le passage du Rhin, à Kehl, Vieux-Brisach, Râle et Schaffhouse (28 avril-1er mai) ; Kra ; s'était laissé prendre à ses savantes manœuvres et il se croyait menacé à sa droite, alors que le gros des forces françaises était déjà sur l'autre rive, à sa gauche. Les combats de Stockach (3 mai), de Mœsskirch (5 mai) et de Biberach (9 mai) venaient de mener l'armée à neuf lieues d'Ulm lorsque Carnot, le ministre de la Guerre en personne, rejoignit Moreau (10 mai) ; il apportait un arrêté consulaire (du 5 mai) : le général avait à détacher d'urgence 25.000 hommes pour l'armée de réserve.

Moreau se résigna et obéit. En secret, pour ne pas décourager ses troupes, mais aussi rapidement que possible. il envoya le contingent demandé, réduit il est vrai à 13.000 hommes (en raison du chiffre réel de l'effectif alors présent à l'armée du Rhin). La campagne si brillamment commencée en Allemagne tournait court : puisque Bonaparte allait en Italie, les lauriers ne pouvaient croître qu'en Italie. Mais Moreau regardait plus haut. Je vous souhaite tous les succès possibles, écrivait-il à Bonaparte (10 mai), et à  Carnot, quelques jours plus tard (28 mai) : La saignée que vous nous avez faite nous a bien gêné pour la suite de nos opérations ; mais, si nous pouvons contribuer au succès de l'armée d'Italie, notre but sera rempli. Bonaparte n'eut pas un mot de remerciement. Pour une âme comme la sienne, le service que venait de lui rendre Moreau était de ceux qu'on ne comprend pas, ou qu'on ne pardonne pas, quand on les comprend.

 

II. - MARENGO ET HOHENLINDEN.

L'ARMÉE de réserve ne comptait que 45.000 hommes, mais les rassemblements de recrues continuèrent pour constituer plus tard une 2e puis une 3e armée de réserve. Lannes avec l'avant-garde quitta Martigny le 12 mai 1800 ; il entrait à Aoste le 16. Le passage du Grand-Saint-Bernard était encore couvert de neige, et la principale difficulté fut de transporter l'artillerie. On avait cru pouvoir se servir de traîneaux ; on fut obligé d'y renoncer et de traîner les pièces à bras d'homme, dans des troncs creusés. Bonaparte traversa le Saint-Bernard le 20 mai ; à l'hospice, il lut, dit-on, le récit du passage d'Annibal dans Tite-Live. La route d'Aoste à Ivrée est commandée par le fort du Bard, qui est imprenable et ne capitula que le 1er juin, quand toute résistance fut devenue vaine ; les troupes passèrent par des sentiers de traverse, mais toute l'artillerie, sauf six canons, resta en arrière.

D'Ivrée et Novare, Bonaparte se dirigea sur Milan. Il savait que par ce détour il sacrifiait Masséna, mais il coupait la ligne de retraite des Autrichiens, et il escomptait l'effet moral que devait produire son apparition inattendue dans la capitale de la Lombardie. Le 2 juin, il entrait à Milan, où il rétablit la République cisalpine (3 juin). Il fit célébrer un Te Deum pour l'heureuse délivrance de l'Italie (4 juin) ; il n'y assista pas, mais, devant une nombreuse réunion d'ecclésiastiques, il affirma sa bienveillance pour la religion (3 juin). L'avant-garde du corps de Moncey envoyé par Moreau à l'armée de réserve venait d'arriver à Milan (5 juin), quand Bonaparte apprit (7 juin) la reddition de Gènes.

La place n'avait cédé qu'à la dernière extrémité, à bout de vivres et de forces. Les Génois les plus riches vivaient de rats et de sucre candi, les pauvres et les soldats mouraient de faim. Des 8.000 hommes qui restaient à Masséna, 4 500 seulement étaient encore en état de tenir les armes. La capitulation, décidée le 4 juin, portait que les troupes françaises seraient transférées à Antibes, d'où elles pourraient reprendre campagne. On n'eut pas le temps de diriger lui-même l'évacuation : le 31 mai, Melas lui avait ordonné de le rejoindre à Alexandrie, car il fallait faire face à l'armée de réserve. Melas, entré à Nice (le 13 mai), allait envahir la Provence avec l'appui des Anglais, lorsque l'arrivée inattendue de Bonaparte le ramena à Turin (25 mai). Derrière lui, Suchet, fort de 13.000 hommes, avait immédiatement pris l'offensive et, clans une vigoureuse campagne d'une quinzaine de jours, il refoula l'ennemi jusqu'à Cherasco (8 juin). Les forces autrichiennes sous les ordres de Melas formaient encore un total de 72.000 hommes, mais 30.000 seulement se trouvèrent concentrés à Alexandrie (le 11 juin), avec 100 canons.

Bonaparte l'ignorait, et, à son départ de Milan (9 juin), il fut obligé, lui aussi, de disperser ses forces pour rechercher l'ennemi et prendre possession des points les plus importants. Il fit occuper Pavie, et, sur la rive, droite du Pô, Stradella, qui commande la route de Mantoue. Les Autrichiens pouvaient marcher sur Milan, se replier sur Gênes où leur position défensive eût été très solide, s'ouvrir de force la route de Mantoue. De Stradella, Bonaparte décida de pousser devant lui, à la recherche de Melas. Il n'avait plus avec lui que 30.000 hommes et 40 canons (même avec l'appoint de l'armée du Rhin et de l'artillerie trouvée à Milan). La route qu'il suivait passe par Tortone et de là, presque en ligne droite, à Garofalo (5 km. de Tortone), Saint-Julien (4 km. de Garofalo), Marengo (7 km. de Saint-Julien), la rivière de la Bormida (3 km. de Marengo), et Alexandrie (500 m. de la Bormida). Le pays est plat, couvert de cultures — blé, mûriers, vignes —, à peine ondulé près de Saint-Julien et sans autres habitations que quelques bastides et fermes isolées ou réunies en petits groupes, qui ne formaient même pas des hameaux. De Marengo un chemin va vers le Nord, à Castelceriolo (3 km.), parallèlement au ruisseau du Fontanon. Le 13 juin, l'avant-garde française refoula aisément quelques Autrichiens, de Marengo au delà de la Bormida ; Bonaparte en conclut que Melas avait pris une autre direction ; il passa la nuit à Garofalo, et l'armée dormit sur ses positions de marche.

Or Melas avait pris le parti de livrer bataille, pour redevenir maître de la route de Mantoue. Le 14 juin 1800, au matin, les Autrichiens sortent d'Alexandrie et attaquent l'avant-garde française devant Marengo (vers neuf heures). Bonaparte, à l'arrière, fut informé des premiers mouvements autrichiens, mais il crut à une feinte, et, au moment même où l'attaque commençait à Marengo, il expédiait Lapoype avec 3.000 hommes vers le nord, du côté de Milan, Desaix, avec les divisions Boudet (5.000 h.) et Monnier (3000 h.), vers le sud, du côté de Gènes, en quête des Autrichiens. Ce matin-là, l'instinct divinatoire lui fit totalement défaut. Cependant, l'attaque ennemie se dessinait. Melas avançait en 3 colonnes, la gauche sur Castelceriolo, le centre sur Marengo, la droite au sud. Victor, avec les divisions Gardanne et Chambarlhac, résistait énergiquement le long du Fontanon. Mais les lignes commencèrent à fléchir. L'affaire devenait très sérieuse. Vers 11 heures, Bonaparte donna ordre à Lannes d'avancer avec la division Watrin pour soutenir la défensive du Fontanon ; il fit prévenir Monnier (qui n'avait pas dépassé Garofalo), Lapoype et Desaix. Lannes arriva au front vers midi, Monnier vers deux heures. Mais il n'était plus temps. Déjà Victor, dont les troupes n'avaient plus de munitions, commençait à reculer, Lamies et Monnier étaient contraints de faire comme lui, et, vers trois heures, toute l'armée française, en partie débandée, ayant perdu la moitié de son artillerie, faisait retraite sur Saint-Julien. La bataille semblait perdue. Le vieux Melas, contusionné par une chute de cheval, revint à Alexandrie, laissant ses subordonnés continuer la poursuite.

Mais les messages de Bonaparte avaient rejoint Desaix vers une heure, Lapoype vers six heures. Pour ce dernier, il était trop tard. Un peu avant cinq heures, on aperçut Desaix avec la division Boudet qui arrivait en bon ordre, l'arme au bras, comme une forêt que le vent fait vaciller. Bonaparte était tout souriant. Eh bien, général Desaix, quelle échauffourée !Eh bien, général, j'arrive, nous sommes tous frais, et s'il le faut, nous nous ferons tuer. Un rapide conseil de guerre se tint en arrière de Saint-Julien. Il restait 10 canons, Boudet en amenait 8 : on les réunit en batterie à revers de la route. Leur feu inattendu, une admirable charge de cavalerie dont Kellermann prit l'initiative au moment opportun et qui rafla plus de 1.500 prisonniers, l'offensive vigoureuse de la division Boudet, puis des autres corps rapidement ralliés et qui reprenaient confiance, provoquèrent chez les Autrichiens, dont beaucoup étaient ivres d'eau-de-vie, une panique suivie d'un recul et de la débandade. Desaix avait été tué net, d'une balle au cœur, au début de l'action. Il ne portait même pas d'uniforme, n'étant arrivé d'Égypte à l'armée que le 10 ; son corps, mis à nu par les rôdeurs, ne fut trouvé que dans la nuit, et sa mort passa inaperçue. — Vers huit heures du soir, les Français étaient revenus à Marengo, et ils occupèrent même Castelceriolo avant que la gauche ennemie, dont la retraite avait été moins hâtive que celle du centre, y fût arrivée. A deux kilomètres au sud-est de Marengo, à Spinetta, une division de la droite ennemie était encore en position. La lutte se prolongea longtemps. La gauche autrichienne traversa de force Castelceriolo, et la droite dut évacuer Spinetta. Vers 10 heures du soir, tous les ennemis eurent enfin traversé la Bormida. Au matin, ils étaient 30.000 contre 22.000, avec 100 canons contre 20. Le soir, ils avaient perdu plus de 900 morts, 5.000 blessés et 3.000 prisonniers. Les Français comptaient 700 morts, 4.000 blessés et 1.000 prisonniers.

Une convention signée par Melas à Alexandrie le 15 juin 1800 portait armistice de durée indéfinie jusqu'à dénonciation préalable de dix jours à l'avance. En attendant, l'armée française occuperait tout le pays compris entre la Chiese, l'Oglio et le Pô ; les Autrichiens devaient se retirer avec armes, bagages et leur artillerie sur le Mincio ; la bande comprise entre la Chiese, l'Oglio et, le Mincio restant neutre. C'était un immense succès le Piémont, la Lombardie, la Ligurie elle-même se retrouvaient au pouvoir des Français ; à Gênes, les derniers soldats de Masséna venaient à peine d'être évacués (le 13 juin). Mais les Autrichiens gardaient encore la Vénétie, Ferrare, les Légations, une partie des États pontificaux, la Toscane, Ancône ; leur armée leur était rendue ; l'armistice pouvait leur permettre de se refaire ; la guerre n'était pas terminée, tant s'en faut. Bonaparte le comprenait, et, maintenant qu'il avait conquis le prestige d'une nouvelle victoire et qu'il était assuré de l'entretien de ses troupes en Italie, il aurait voulu pouvoir conclure immédiatement la paix, — la paix tant espérée et qui, plus que toutes les victoires, devait le faire maître de la France. La lettre qu'il adressa à l'empereur (le 16 juin) semble sincère, malgré son exagération emphatique :

J'ai l'honneur d'écrire à V. M. pour lui faire connaitre le désir du peuple français de mettre un terme à une guerre qui désole nos puys  C'est sur le champ de bataille de Marengo, au milieu des souffrances et environné de 15.000 cadavres, que je conjure V. M. d'écouter le cri de l'humanité.

Le lendemain, Bonaparte quittait Marengo pour Milan (17 juin), d'où il reprit en hâte la route de Paris (25 juin), laissant à Masséna le commandement de l'armée. Le général comte de Saint-Julien, qui portait à Vienne la convention d'Alexandrie, se chargea de la missive du Premier consul. Mais Londres venait justement de conclure avec Vienne un traité de subsides (20 juin 1800) : contre 50 millions, l'Autriche s'engageait à ne pas traiter avec la France avant février 1801. Il fallait donc que la guerre continuât. Cependant il n'était pas inutile de connaître au juste les intentions du gouvernement consulaire, d'autant plus que l'armistice devenait nécessaire pour la réfection des forces autrichiennes, non pas seulement en Italie, mais en Allemagne aussi.

Après le retranchement, avait dû subir, Moreau avait d'abord manœuvré avec plus de circonspection encore que d'habitude. Il ne disposait plus que de 90.000 hommes contre 140.000. Kray était réfugié à Ulm. Il s'agissait de l'en déloger, mais sans lui laisser à aucun moment la possibilité d'obliquer vers le sud, du côté de l'Italie. Ainsi, de toute manière, Moreau subordonnait son action à celle de Bonaparte. Il occupe le Danube en aval d'Ulm, coupant à Kray sa ligne de retraite (victoire de Hochstedt, 9 juin). Kray essaie de filer par le nord, vers Nordlingen, mais, battu encore — à Nenhourg, 27 juin, où fut tué La Tour d'Auvergne, le premier grenadier de France —, il se replie sur l'Isar, puis sur l'Inn, et obtient enfin à Parsdorf (15 juillet) une suspension d'armes qu'il avait sollicitée dès le 21- juin : la ligne de démarcation passait du Splagen à Coire, au Lech, à l'Inn, remontait le Danube et joignait le Rhin à Mayence par l'Altmühl et le Mein.

Battu en Allemagne comme en Italie, l'empereur se décidait à répondre à M. le général Bonaparte (5 juillet), honneur qu'il ne lui avait pas fait à la Noël précédente. Saint-Julien, accompagné du colonel comte de Neipperg, porta à Paris la lettre impériale. Talleyrand lui soumit des préliminaires déduits du traité de Campo-Formio. Ainsi le Consulat oubliait qu'il était solidaire du Directoire, il passait l'éponge ; la France ne demandait pas d'indemnité pour le crime de Rastadt, ni pour l'agression, ni pour les pertes qu'elle avait subies les années précédentes. Modération intempestive, dont on s'étonna que Talleyrand n'eût pas vu le danger. Toute négociation est marchandage, et l'âpreté de Thugut était assez connue pour qu'on pût deviner que, quel que fût le point de départ posé par l'adversaire, il ne pousserait jamais la condescendance jusqu'à s'y rendre. Saint-Julien, moins tortueux, ne vit que les avantages immédiats ; et il signa les préliminaires (28 juillet), encore qu'il n'eût pas les pouvoirs nécessaires. Thugut. qui savait maintenant à quoi s'en tenir, désavoua Saint-Julien à son retour. Mais, puisque aussi bien la France ne demandait que ce qu'elle avait déjà obtenu, on pouvait discuter. Thugut proposa une réunion de plénipotentiaires à laquelle l'Angleterre serait conviée, et qui se tiendrait en un point à peu près central, tel que Sélestat ou Lunéville (11 août). Talleyrand opta pour Lunéville (24 août). Allait-on à l'entente ? A Vienne on ne savait que penser. L'archiduc Charles se trouvait en disgrâce pour avoir déconseillé la reprise de la guerre ; Thugut quitta le ministère pour n'avoir pas à conseiller la paix (25 septembre). Son successeur, Cobenzl, désigné pour aller à Lunéville, rédigea lui-même ses propres instructions (14 octobre). Bonaparte nomma son frère Joseph (2 octobre), mais il pria Cobenzl de venir d'abord à Paris. Le plénipotentiaire impérial arriva le 28 octobre. La conversation ne dura que quelques jours. Elle fut de ton amical ; Cobenzl avait été camarade de Talleyrand au collège d'Harcourt à Paris. Mais derrière le ministre des Relations extérieures grondait le Premier consul. Le désaccord ne portait au vrai que sur l'Italie, et il était capital, car il touchait aux desseins que Bonaparte avait le plus à cœur ; et il était si patent que deux mots le peuvent présumer. Bonaparte disait : Campo-Formio ; Cobenzl : Alexandrie. En d'autres termes, l'Autriche aurait voulu dominer, directement ou indirectement, sur la Vénétie, la Toscane, les Légations et les États pontificaux ; la France au contraire ne lui laissait que la Vénétie, et il ne s'agissait au total de rien de moins que de la prépondérance de la France ou de l'Autriche sur la péninsule. On ne s'entendit pas. Le 5 novembre, Cobenzl cinq heures du matin, Joseph à une heure du soir prirent la route de Lunéville, et Bonaparte manda au ministre de la Guerre : Faites connaître aux quatre généraux en chef qu'ils doivent déclarer aux généraux ennemis que les hostilités commenceront le 1er frimaire (22 novembre), et se préparer en conséquence. La guerre allait reprendre dans le même temps que commençaient à Lunéville les négociations de paix.

Les quatre généraux en chef étaient Moreau à l'armée du Rhin, entre l'Isar et l'Inn (107.000 h.), Augereau à l'armée gallo-batave qui d'ailleurs ne fit rien d'utile— sur le Mein (10.000 hommes), Brune, successeur de Masséna qui s'était rendu impossible à cause de ses concussions, à l'armée d'Italie (100.000 hommes dont 56.000 au front, sur la Chiese et l'Oglio), Macdonald à l'armée des Grisons ou 2e armée de réserve (19.000 hommes). Ils devaient coopérer deux par deux : Augereau en arrière et sur la gauche de Moreau, Macdonald sur la gauche de Brune, contre l'armée autrichienne d'Allemagne (110.000 hommes), placée sous le commandement nominal du jeune archiduc Jean — il n'avait que dix-huit ans — et le commandement effectif de Lauer, et contre l'armée autrichienne d'Italie (80.000 hommes), confiée à Bellegarde. Moreau et Brune n'avaient pas d'autre instruction que d'atteindre l'Enns d'une part, l'Adige d'autre part : Bonaparte gardait pour lui son plan de campagne, qui semble, il faut bien le dire, saugrenu. Avec la garde consulaire et la 3e armée de réserve, alors en formation sous les ordres de Murat, il aurait au moment voulu rejoint Brune renforcé de Macdonald pour marcher sur Vienne. N'aurait-il pas été bien plus court et plus sûr d'aller à Vienne par le Danube, avec Moreau, Augereau, Macdonald et Murat réunis, soit plus de 150.000 hommes ? Mais Bonaparte était hanté par l'Italie, il jalousait Moreau, et il voulait toujours se réserver le mérite du succès final. Il eut la surprise que les généraux français se passèrent de lui. A Sainte-Hélène, son amour-propre en souffrait encore. La campagne d'hiver de 1800-1801 est la dernière en date des guerres de la Révolution et de la République, elle est aussi la plus brillante.

En Allemagne, Moreau se préparait à passer l'Inn, méthodiquement, à son ordinaire, lorsque Lauer prit l'offensive, cherchant à le tourner. Moreau, qui avait repéré le pays avec soin, choisit l'emplacement de la rencontre. Il se posta à Hohenlinden, dans une clairière qui sépare les deux vastes forets d'Isen à l'est et d'Ebersberg à l'ouest. Une seule route aboutit à Hohenlinden ; elle entre dans la forêt d'Isen à 2 kilomètres au sud-est de Hohenlinden, et n'en sort qu'à 5 kilomètres de là, à Mattenbett ; le centre autrichien ne pouvait pas ne pas la suivre. La droite et la gauche devaient converger sur Hohenlinden d'Isen (à 7 k. au nord de Mattenbett) à travers la forêt d'Isen, d'Albaching (à 5 k. au sud de Mattenbett) par Saint-Christophe, à travers la forêt d'Ebersberg. La distance n'était pas grande, mais le trajet difficile : terrain accidenté, bois obscurs et profonds, chemins et sentiers mauvais. La bataille était prévue pour le 3 décembre 1800. Il faisait froid, la neige couvrait le sol, et continuait à tomber, en fine poussière qui obscurcissait la vue. Les Autrichiens s'ébranlèrent vers 5 heures du matin. Mais, vers la même heure, Richepanse, suivi de Decaen, se dirigeait sur Saint-Christophe pour les tourner par leur gauche. Vers 8 heures du matin, le centre ennemi commençait à déboucher par la chaussée de Mattenbett dans la clairière de Hohenlinden, où Ney et Grouchy lui opposèrent une solide résistance. A la même heure. Richepanse rencontrait au delà de Saint-Christophe la tête de la gauche autrichienne ; il la dépassa, laissant à Decaen le soin de l'arrêter, et continua audacieusement sur Mattenbett, d'où il attaqua la queue du centre ennemi. La longue colonne autrichienne, encore en partie engagée dans la chaussée forestière, est ainsi prise entre deux feux. Elle hésite. Moreau s'en aperçoit. Il ordonne à Ney et Grouchy d'avancer : charge à la baïonnette. Il était environ deux heures. En peu de temps la colonne se désagrège et disparaît dans la forêt. Le désordre se propagea aux deux ailes. A quatre heures, la débandade était totale. L'ennemi perdait 12 ou 15.000 hommes tués, blessés ou prisonniers, et 100 canons, les Français 1.200 hommes. Moreau commença aussitôt la poursuite : il passa l'Inn, puis la Salzach, puis la Traun, puis l'Enns ; le 23 décembre, la cavalerie d'avant-garde arrivait à Melk, à 75 kilomètres de Vienne. Pendant ces quinze jours les Autrichiens avaient perdu 12.000 tués ou blessés, 25.000 prisonniers, 140 canons. Leur armée était comme anéantie. Irez-vous jusqu'à Vienne ? demandait Decaen à Moreau ; il serait bien glorieux de faire cette conquête. — Mais, Decaen, répondit Moreau, la conquête de la paix vaut mieux encore. L'archiduc Charles avait remplacé son frère cadet. Il assura que l'empereur était prêt à conclure la paix, même seul et sans ses alliés. A cette condition, il obtint à Steyer une suspension d'armes (25 décembre 1800).

Le même jour, au bord du Mincio, Dupont, avec 26.000 hommes contre 50.000, remportait à Pozzolo une des plus étonnantes victoires de toutes les guerres révolutionnaires : les pertes autrichiennes furent de 6.000 hommes contre 2.000 pour les Français (25 décembre 1800), et Brune força le passage du Mincio (26 décembre). Plus étonnantes peut-être encore sont les opérations de Macdonald au plus fort de l'hiver, dans les Alpes Rétiques. Il a traversé le Splügen sous une tempête de neige, avec son artillerie (du 1er au 5 décembre), et il manœuvre de la haute Adda clans la haute Adige, à l'extrême gauche et sous les ordres de Brune. — Après l'Adige, Brune franchit la Brenta, et c'est à Trévise seulement qu'il accorde un armistice (15 janvier 1801) : il aura la faculté d'étendre l'occupation française jusqu'à la Livenza, et les Autrichiens se retireront derrière le Tagliamento. — En Toscane, Miollis, avec 4.000 hommes seulement, avait eu grand'peine à se maintenir contre les Autrichiens aux ordres du Lombard Sommariva, les Napolitains commandés par l'émigré français Damas et les Anglais de Livourne. Mais Murat venait d'arriver à Milan (10 janvier 1801) par le Cenis avec la 3e armée de réserve (10.000 hommes) ; il s'adjoignit le corps d'occupation du Piémont (9.000 hommes avec Soult), les troupes que lui amena Dupont de l'armée d'Italie (7.000 hommes), et il marcha sur la Toscane. Simple promenade militaire : les Autrichiens ne résistant plus, les Anglais disparurent, et les Napolitains s'estimèrent heureux qu'un armistice leur fût accordé, à Foligno (18 février 1801). Au dernier moment, Murat se fit donner une bonne main d'environ un million. Il avait récemment épousé (20 juin 1800) Caroline Bonaparte.

 

III. — LUNÉVILLE.

LE Premier consul était partagé entre le dépit et la joie. Il ne pardonna pas aux généraux vainqueurs, mais il pouvait, grâce à eux, parler en maître à la Maison d'Autriche. Le message qu'il adressa au Tribunat, au Corps législatif et au Sénat conservateur, le 2, janvier 1801, est très caractéristique : La République triomphe.... La victoire de Hohenlinden a retenti dans toute l'Europe.... L'armée du Rhin a passé l'Inn ; chaque jour a été un combat et chaque combat une victoire ; mais Moreau n'était pas nommé, non plus qu'aucun de ses généraux, et, si le gouvernement proposait de déclarer que l'armée du Rhin avait bien mérité de la patrie, il demandait la même distinction pour les trois autres armées, auxquelles il adjoignit encore, quelques jours plus tard, l'armée d'Orient, comme si leurs succès à cette date avaient été semblables.

Bonaparte ne se décida à complimenter Moreau de sa victoire, en un billet très bref (5 janvier 1801), qu'après que celui-ci l'eut félicité, très froidement, d'avoir échappé à l'attentat de la rue Saint,- Nicaise. A l'instigation évidente du Premier consul, le ministre de la Guerre mit une extrême mauvaise volonté à donner suite aux propositions d'avancement faites par Moreau pour ses officiers ; il refusa notamment de nommer général de division Lahorie, dont il savait que Moreau l'avait en particulière estime. Ce fut seulement en mai, trois mois après la paix, cinq mois après la cessation des hostilités, que l'armée du Rhin fut rappelée en France, quand le souvenir de ses foudroyants succès était déjà lointain. Le Moniteur, journal officiel, publia alors contre Moreau de perfides articles qui laissaient entendre que le général en chef de l'armée du Rhin avait tripoté clans les contributions levées en Allemagne (44 millions au total) et gardé pour lui l'argent destiné à la solde des troupes. Venant de Bonaparte, qui s'était enrichi comme on sait, l'insinuation est le comble de la vilenie. Indigné, Moreau voulut répondre. Par ordre, tous les journaux refusèrent d'insérer sa justification, et les pièces comptables ont aujourd'hui disparu des archives. — Brune était adoré de ses troupes et il avait, brillamment réussi : Bonaparte conclut qu'il ne paraissait pas fait pour un commandement en chef, et il ne l'employa plus dans des commandements importants. Les soldats d'Italie revinrent en France sans bruit, pour être expédiés aussitôt en Portugal. A Lyon, les curieux leur demandaient : Vous venez d'Italie ?Oui, Messieurs !Vous n'avez pas la gale ?Non, Messieurs !C'est incroyable. Macdonald resta longtemps suspect. Dupont devait éprouver plus tard les sentiments de Bonaparte à son égard. Richepanse et Decaen furent expédiés en de lointaines colonies ; Richepanse y mourut. Lecourbe fut mis en non-activité. Sauf Ney, aucun des généraux des armées de Moreau, de Brune et de Macdonald n'a joui pleinement des grâces impériales. Beaucoup étaient sincèrement républicains et réprouvaient les usurpations de Bonaparte en France. Il leur répugnait d'être les marchepieds et les sujets d'un homme qui, après tout, n'était que le premier parmi ses pairs. Par ses victoires mêmes, la campagne d'hiver de 1800-1801 a creusé pour longtemps un fossé entre Bonaparte et une partie de l'armée.

Mais elle a accéléré la paix. Le message du 2 janvier 1801 proclamait à la France et à l'Europe entière les intentions invariables du gouvernement. J'ai attaché moins d'importance à l'Allemagne, disait Bonaparte, qu'a la conservation de l'Italie. C'est là qu'est le véritable objet des négociations et le vrai gage de la paix. A Lunéville, le 2 janvier 1801, Joseph et Cobenzl ouvrirent le protocole officiel de leurs délibérations. Jusqu'à présent, leurs menus propos pouvaient être tenus pour négligeables ; mais, maintenant que le maître pariait, il ne restait plus qu'à enregistrer, en bonne et due forme. Les négociations de Lunéville eurent ainsi quelque chose de brutal. L'Autriche vaincue subissait trop ostensiblement la loi du vainqueur. Le fond était modéré, la forme violente. Mais les hommes sont ainsi faits qu'ils s'accommodent plus aisément du contraire. L'Autriche n'accédait pas à la paix, comme la Prusse à Bâle, avec le sentiment de la liberté. Elle subissait la contrainte, et elle s'en souviendra. Il ne fallut qu'un mois pour venir à bout des dernières difficultés. Joseph s'y employa de son mieux : avec maladresse ; mais Talleyrand le tenait en lisière, et il se donnait volontiers les allures du parfait homme du monde, chagriné des mauvaises manières de son cadet. L'Angleterre n'était plus en cause puisque le traité du 20 juin 1800 arrivait à expiration. Le Corps germanique fut supposé consentant, eu égard aux décisions prises par la députation de l'empire au précédent congrès de Rastadt (il donna en effet son adhésion le 7 mars). Et le traité fut signé le 9 février 1801.

Il y aura à l'avenir et pour toujours paix, amitié et bonne intelligence entre Sa Majesté l'empereur roi de Hongrie, stipulant tant en son nom qu'en celui de l'Empire germanique, et la République française. Le Rhin servira de limite à la France. La Vénétie revient à l'Autriche, Le duc de Modène sera indemnisé en Brisgau. Le grand-duc de Toscane renonce à son duché et recevra une compensation en Allemagne (à Salzbourg), de même que les princes héréditaires dépossédés sur la rive gauche du Rhin — par conséquent, puisqu'il n'est question que des princes laïcs, on procédera par sécularisation de territoires ecclésiastiques —. Le traité est déclaré commun aux républiques batave, helvétique, cisalpine et ligurienne, qui sont ainsi reconnues par l'Autriche et dont les puissances contractantes se garantissent mutuellement l'indépendance. Aucune allusion à la Sardaigne, au pape et à Naples : l'Autriche, obligée de renoncer à sa traditionnelle hégémonie d'Italie, les abandonnait au vainqueur.

Le traité conclu à Florence (le 29 mars 1801) avec Naples montra presque aussitôt l'usage que Bonaparte allait faire de sa prépotence. Naples cédait ses présides de Toscane avec Piombino et Elbe. Pendant un an, un corps de 10.000 hommes destiné à l'Égypte résidera à Otrante et Brindes, un autre corps de 3.600 hommes pourra occuper Pescara, indéfiniment. Les ports seront fermés aux Anglais. En d'autres termes, le royaume de Naples était soumis à l'occupation française et utilisé comme voie d'accès au Delta.

La paix continentale était donc faite. Dans son adresse en réponse au message consulaire le 2 janvier 1801, le Corps législatif exultait : La paix ! la paix ! c'est le cri de toute la France. Sa joie fut plus grande encore après le 9 février : Ô paix ! ô céleste paix ! s'écriait Mollevaut, fixez à jamais votre séjour parmi nous, et vous ne trouverez nulle part des adorateurs plus passionnés et plus constants ! Au Tribunat, le président Thibault disait :

Sénateurs, législateurs, tribuns, consuls, ministres, conseillers d'État, fonctionnaires publics, réunissons-nous autour de la gloire de nos héros pour chanter la paix ; qu'une heureuse harmonie la cimente à jamais, et que tous les Français, dans un transport unanime, s'écrient : Vive la République !

Car Thibault, ancien curé et ancien évêque départemental, Conventionnel et Centriste girondisant, était — et resta — républicain. Il célèbre les héros et non le héros de la France. Dans son énumération hiérarchique, il n'oublie, il est vrai, que les citoyens, après les fonctionnaires publics ou avant les sénateurs. Mais les citoyens étaient d'accord. Les rapports de police montrent les ouvriers portant la santé du gouvernement chez les marchands de vin. La joie était unanime, profonde, sincère, se répercutant en manifestations nombreuses et variées. Elle consolidait le gouvernement, elle augmentait l'autorité du Premier consul. Mais il est difficile de préciser. Les journaux ne l'enseignent plus sur l'esprit public. Au Tribunat, Sédillez osa dire :

Au 18 brumaire de l'an VIII, Bonaparte contracta une dette immense dont lui seul connaissait tonte l'étendue, comme lui seul connaissait sa solvabilité. Le Premier consul en paie en ce moment le capital, avec les intérêts. Mais nous ne donnons quittance qu'au héros. Le gouvernement nous doit encore beaucoup, comme réparateur, comme ordonnateur, comme législateur.... Soyons tranquilles, il acquittera cette nouvelle obligation connue il a acquitté la première. Vous êtes les organes de la sensibilité nationale... Comment en exprimer tons les efforts et tous les mouvements ? Soulageons-nous par tut seul mot, par une exclamation profonde qui dicte tout : Vive la paix !

Ce n'est pas une critique : même pas une restriction dans l'éloge. Pourtant le discours fut supprimé au Moniteur.

Un seul fait semble certain : la France est profondément, résolument pacifique. Jamais elle n'a été moins militariste qu'au lendemain de ses plus grands succès militaires. Elle acclame la paix parce que c'est enfin la paix. Que cette paix soit glorieuse, plus magnifique qu'aucune de toutes celles qu'ont signées les anciens rois, elle en est fière, certes, mais elle y est moins sensible qu'à la paix même. Les destinées de la Batavie, de l'Helvétie, de l'Italie et des princes allemands ne l'intéressent qu'indirectement ; il suffit que la sécurité de la France, pour toujours assise dans ses limites naturelles, ne soit plus menacée. Les combinaisons lointaines de Bonaparte lui sont étrangères. La nation était plus lasse encore qu'au temps du Directoire. Elle se croyait au but. Mais l'homme qui dirigeait déjà en autocrate sa politique extérieure n'avait, pas de but, parce qu'il le déplaçait toujours et plus loin.