EN 1789, l'Église de France est très puissante. Elle possède une grande richesse foncière et mobilière ; elle tient les registres de l'état civil ; elle occupe encore une grande place dans la direction de l'assistance, qui tend à devenir une institution d'État, et elle garde presque toute l'éducation. Mais son rôle social et son prestige ont diminué. L'esprit religieux s'est affaibli dans l'Église et chez les fidèles ; les ordres religieux tombent en décadence ; partout s'engagent des conflits, entre le haut et le bas Clergé séculier et régulier. La démocratie cléricale des desservants é portion congrue et des moines, mécontente de son sort et imbue des idées d'égalité et de liberté, s'agite ; elle réclame la suppression du Concordat et l'élection des évêques et des curés par le peuple et le Clergé ; elle réclame même la nationalisation des biens ecclésiastiques et la suppression des ordres religieux. Une très grande partie de la Noblesse et du Tiers État expriment les mêmes vœux. Pour opérer la réforme de l'Église, l'Assemblée se fonda sur des précédents monarchiques. Le Roi avait supprimé les jésuites en 1764, tous les États de l'Europe occidentale avaient fait de même, et enfin le pape avait aboli l'ordre en 1773 ; le Roi avait liquidé, de 1768 à 1780, les biens de neuf congrégations en pleine décadence. Elle rencontrait surtout des exemples à l'étranger : en Autriche, Joseph II avait aboli les ordres religieux, confisqué leurs biens, établi le mariage civil ; en Allemagne, au Congrès d'Ems, en 1786, le haut Clergé rhénan avait été sur le point de rompre avec Home et de créer une Église allemande indépendante ; en Italie, le Concile de Pistoie avait menacé la papauté presque dans son propre domaine. I. - LA RÉFORME ET LA SUPPRESSION DES ORDRES RELIGIEUX. LA question des ordres religieux se posa dans l'Assemblée, à propos de la nationalisation des biens ecclésiastiques, dès 1789. A côté du Clergé séculier vivaient des ordres religieux et des congrégations : les premiers, bénédictins, dominicains, etc., prononçaient des vœux perpétuels ; les congrégations, dispensées de ces vœux, obéissaient à des règles, et se vouaient à la charité, à la science ou à l'éducation : oratoriens, prêtres de la Doctrine chrétienne, frères des Écoles chrétiennes, lazaristes, sulpiciens, etc. En 1789, tandis que les ordres religieux étaient en pleine décadence, plusieurs congrégations, comme les oratoriens, les prêtres de la Doctrine chrétienne, avaient eu un regain de prospérité, après l'expulsion des jésuites Mais chez tous, ordres et congrégations, l'édit de 1768, qui reculait à dix-huit ans pour les filles et à vingt et un pour les hommes l'âge des vœux, et l'esprit du siècle, se répandant partout, arrêtèrent les vocations même dans les pays les plus catholiques. Dans les régions qui devaient former le département du Nord, de 1768 à 1789, le nombre des religieux avait diminué d'un quart. L'Assemblée ne s'occupa que des ordres d'hommes et de femmes qui prononçaient des vœux perpétuels. Ces ordres se divisaient en deux classes : les ordres mendiants — carmes, cordeliers, capucins, dominicains ou jacobins, augustins, récollets, minimes ; — et les ordres non mendiants, bénédictins, chartreux, etc. D'après Treilhard, il y avait 17.000 religieux, mais ce nombre doit être inférieur à la réalité. Les religieuses augustines, clarisses, carmélites, visitandines, ursulines, etc. étaient plus nombreuses. Le sort des ordres fut discuté dès le mois d'octobre 1789. Le Comité ecclésiastique, créé le 12 août 1789, était chargé de présenter un rapport. Mais les quinze membres qui le composaient n'étaient pas d'accord. Les ecclésiastiques, en particulier le président, l'évêque de Clermont, de Bonnal, étaient opposés aux réformes profondes, telles que la suppression des vœux, que désiraient les laïques, comme Treilhard et Lanjuinais. Pour faire cesser ces divergences et arriver à un résultat, l'Assemblée prit le parti de modifier la composition du Comité en y introduisant, le 7 février 1790, quinze nouveaux membres, tous réformateurs : des ecclésiastiques, le chartreux Dom Gerle, les curés Expilly, Massieu et Thibaut, et des laïques, le marquis de la Coste et du Pont de Nemours, qui s'étaient déclarés hautement pour la vente des biens d'Église. A l'Assemblée, les patriotes la Rochefoucauld-Liancourt demandaient la suppression totale des ordres ; quelques-uns, surtout Grégoire, l'appelant les services éminents rendus par plusieurs ordres célèbres aux lettres, aux sciences, aux arts et à l'éducation, s'efforçaient de limiter le désastre ; les membres du haut Clergé s'opposaient à toute suppression. Il fallait que le côté droit sentit la partie tout à fait perdue pour qu'il se prêtât à une diversion capable de déchaîner le fanatisme. Le 13 février, à la suite d'une profession de foi rationaliste de Garat, l'évêque de Nancy s'empressa de déposer une motion tendant à ce qu'il fût préalablement reconnu que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion nationale. Les patriotes Lameth, Menou, déjouèrent cette manœuvre : l'Assemblée déclara qu'elle avait le plus profond respect pour la religion, mais repoussa la motion du Clergé, qui eût déchaîné la guerre religieuse. Les vœux solennels et les ordres et congrégations réguliers dans lesquels on fait de pareils vœux sont supprimés. Les religieux auront la liberté de sortir du cloître, en faisant leur déclaration devant la municipalité du lieu ; ils recevront une pension convenable. Ceux qui voudront continuer la vie claustrale devront se retirer dans les maisons qui leur seront indiquées. Aucun changement à l'égard des maisons chargées de l'éducation publique et des établissements de charité. Les religieuses pourront rester dans leurs couvents, en particulier dans les maisons d'éducation publique et de charité. L'Assemblée fixa les pensions suivant les ordres et l'âge des religieux. Les religieux des ordres mendiants recevront 700 livres, jusqu'à l'âge de 50 ans ; 800 livres, jusqu'à 70 ans, et 1.000 livres au delà de cet âge. Les non mendiants, beaucoup plus riches, obtiennent 900, 1.000 et 1.200 livres, soit, au maximum, le traitement des curés de campagne. Quant aux jésuites, dont la pension n'avait d'abord été fixée qu'à 490 livres, ils furent mieux traités, à la suite d'une intervention de Robespierre en faveur de ces victimes du despotisme : ceux qui résident en France, s'ils ne possèdent un revenu égal à celui des religieux, recevront le complément de cette somme ; les frères lais auront 300, 400 et 500 livres, suivant l'âge. Les religieux accueillirent différemment les réformes. Beaucoup d'entre eux, qui, touchés de l'esprit du siècle, avaient réclamé leur liberté, se plaignirent des médiocres avantages accordés. Les religieux des ordres non restés auraient volontiers renié leur qualité de mendiants pour recevoir une pension plus forte. D'autres demandèrent que tout religieux pût se retirer avec son mobilier, afin de payer ses dettes. Mais la plupart, surtout les vieillards, habitués à leur couvent, moins atteints que les jeunes par l'esprit du siècle, ne partirent point. Si quelques maisons se vidèrent tout d'un coup, il n'y eut point de sortie en masse. Les calculs de l'Assemblée se trouvaient déjoués. Alors l'Assemblée décrète que les religieux restés dans leurs couvents peuvent continuer la vie commune ; mais que, s'ils sont moins de vingt, ils devront être réunis à des religieux d'autres ordres, dans des maisons dont le supérieur et l'économe seront élus sous le contrôle des officiers municipaux. Les religieux protestèrent. Dans le Tarn, sur 144, 119 demandèrent à continuer la vie commune de leur ordre, sans être obligés de cohabiter avec des religieux d'un ordre différent. Mais l'Assemblée n'écouta point leurs doléances. Alors, pendant l'année 1791, les couvents d'hommes se vidèrent. Dans le Doubs, 196 religieux sur 266 sortirent ; à Lyon, 147 sur 241 ; dans les Landes, 59 sur 191. Dans le Nord, la grande majorité se retira. La plupart des moines rentrèrent donc tout d'un coup dans la vie du monde. Les uns continuèrent de cultiver les lettres, les sciences et les arts, se firent professeurs, précepteurs, directeurs de bibliothèques. Beaucoup, après avoir prêté serment à la Constitution civile du Clergé, furent, comme on verra, élus curés ou vicaires. D'autres devinrent administrateurs de département ou de district. Quelques-uns s'engagèrent dans les gardes nationales. D'autres, enfin, continuèrent de vendre, pour le plus grand profit de leur communauté, l'eau de mélisse des carmes ou le sucre d'orge de l'abbaye de Moret. Les couvents de femmes résistèrent aux décrets et aux vœux des patriotes. Les supérieures tinrent secrètes les lois de l'Assemblée et ne consultèrent pas les religieuses. Il ne sortit presque personne de ces maisons où ne pénétraient point les idées du dehors. Ni les attaques ni la persuasion ne purent rien contre elles. La terreur seule vint à bout de quelques-unes, qui se retirèrent dans leur famille, se marièrent ou se placèrent comme domestiques. La plupart restèrent ; elles ne sortiront en masse qu'en 1792. En somme, l'Assemblée réussit à supprimer en grande partie le Clergé régulier, et commença la vente des biens considérables qu'il possédait. Elle rencontra même dans nombre de religieux, depuis longtemps imbus de l'esprit du siècle, des partisans résolus de son œuvre : le chartreux Dom Gerle, les oratoriens Daunou et Joseph le Bon seront au premier rang des patriotes. II. — LE CLERGÉ SÉCULIER ET LA CONSTITUTION CIVILE DU CLERGÉ. L'ASSEMBLÉE décréta ses réformes sans aucun plan d'ensemble, au gré des circonstances. Elle abolit, en août 1789, les dîmes ecclésiastiques, sans indemnité, mais elle s'engagea à subvenir par d'autres moyens aux frais du culte... Lorsqu'elle eut mis à la disposition de la Nation les biens ecclésiastiques, le 2 novembre 1789, elle décréta encore que c'était à la charge d'acquitter les frais du culte. Elle déclara même, le 13 avril 1790, qu'elle mettait les dépenses du culte à la première place des dépenses publiques. Le 10 avril 1790, au nom du Comité des dîmes, Chasset déclare que les frais du culte, comme de l'armée, sont imposés à tous au moyen d'une contribution générale. Ils le seront donc à tous les citoyens, même aux protestants et aux juifs, dont les cultes, seulement tolérés, ne seront point salariés ; même à ceux qui, nés catholiques, ne pratiqueraient point leur religion. Cet impôt sera inférieur à la valeur des dîmes. Au bout de quelques années, le budget du culte, allégé du paiement d'un grand nombre de pensions, descendra de 140 millions à 65. Quand la question de la vente des biens se posa, les évêques et les gros bénéficiers demandèrent que l'administration en fût laissée au Clergé. Ils s'efforçaient de prouver que les dépenses du culte seraient supérieures aux ressources que la Nation pensait tirer de la vente. L'administration des biens par les municipalités et les départements serait, disaient-ils, très conteuse à l'État ; d'autre part, le Clergé, désormais salarié, y trouvait moins de garanties que dans une dotation foncière. — La majorité des curés demandèrent seulement qu'une partie des biens fût réservée aux curés de campagne qui deviendraient des initiateurs du progrès agricole. Ils craignaient que le budget du culte ne fût un jour supprimé par un vote d'Assemblée. Ils redoutaient aussi, s'il était constitué tout entier en argent, une baisse dans la valeur du l'itinéraire. — Mais les partisans de la vente totale étaient nombreux. Il faut, disaient Treilhard et Rœderer, pour ruiner le Clergé comme corps politique, pour effacer jusqu'à l'idée d'une corporation particulière du Clergé, lui enlever sa puissance terrienne, faire de lui un corps salarié, créancier de la Nation, intimement associé à elle et intéressé à la Révolution. L'abbé de Montesquiou et l'archevêque d'Aix protestèrent. Par une manœuvre inattendue, un moine libéral, le chartreux Dom Gerle, demanda, le 13 avril, que, pour éviter tout malentendu, l'Assemblée déclarât la religion catholique religion de l'État. Mais, l'Assemblée rejeta cette proposition, tout en exprimant son attachement au culte apostolique et romain... au moment où ce culte seul allait être mis par elle à la première place des dépenses publiques ; puis, le 14 avril, elle confia l'administration des biens ecclésiastiques aux départements et aux districts, et, le 14 mai, elle détermina les conditions de vente. Il fallut alors entreprendre des réformes plus graves encore. Grégoire et Camus proposèrent la suppression des annates dues au pape par tous les bénéfices vacants pendant la durée de la vacance. Nous ne devons pas, dit Camus, échanger l'or de France contre le plomb de Rome. Mais, demandèrent des ecclésiastiques, s'il n'y a plus d'annates, l'institution des évêques ne sera plus donnée par Rome ; qui donc instituera les évêques ? Camus déclara : La réponse est dans les anciens canons des conciles ; les évêques seront confirmés par le métropolitain, et celui-ci par le Concile national. Il ne semble point qu'il y ait eu alors d'objection. Pourtant la suppression des annates contenait en germe une révolution dans la constitution de l'Église. Le Comité ecclésiastique présenta un projet de Constitution civile du Clergé c'est-à-dire une loi organique réglementant l'Église de France dans sa vie civile et temporelle. Le Comité, déclarait le rapporteur Martineau, désire associer la religion à la vie civile et politique de l'homme. Pour que chaque citoyen prenne pleine conscience de son devoir social, un serment civique est nécessaire ; tout serment, étant un acte religieux, suppose la religion ; la religion est la base de la vie civique. Il faut donc unir intimement la religion à l'État, réformer la discipline ecclésiastique, et les mettre en harmonie avec les besoins et les idées de la société. Le retour aux règles de l'Église primitive, à l'élection des évêques, à la simplicité des mœurs évangéliques, s'impose. Eu cette opinion se rencontrèrent des philosophes spiritualistes, séduits par la beauté de l'âge d'or du christianisme ; des gallicans, fidèles à la tradition d'une Église nationale, aussi indépendante que possible du pape ; parmi ceux-ci des jansénistes, en qui virait, avec la rancune contre Rome, l'espoir de rénover, par la pratique d'une morale austère, la vie religieuse. Les plus influents furent les juristes Lanjuinais et Treilhard, surtout l'abbé Grégoire, et Camus, avocat du Clergé avant 1789, défenseur de ce corps dans la discussion sur les biens ecclésiastiques, profond gallican et même janséniste, représentant de cette partie du barreau parisien qui pratiquait encore avec exactitude la piété et la morale de Port-Royal. A la fin du projet de décret, le Comité avait placé cet article : Le Roi sera supplié de prendre toutes les mesures qui seront jugées nécessaires pour assurer la pleine et entière exécution du décret. Cet article voulait dire que le Roi pourrait négocier avec le pape pour faciliter l'application de la loi, et peut-être même faire des concessions à la papauté, mais, par cette sorte d'insinuation timide, était posée la question de la compétence de l'Assemblée. Les débats commencèrent le 29 mai 1790. L'Assemblée ne peut décider seule en ces matières, déclarent les évêques : le concours de la puissance ecclésiastique est nécessaire. L'archevêque d'Aix réclame un Concile national, car c'est là que réside le pouvoir qui doit veiller au dépôt de la foi. — Les juristes, soutenus par les curés démocrates Jallet et Gouttes, répondent que l'Assemblée a le droit de réformer l'Église, pourvu qu'elle ne touche pas au spirituel. Il s'agit, dit Treilhard, de circonscriptions territoriales, de nominations, toutes choses qui ont constamment varié et peuvent encore varier, qui sont indépendantes du dogme, et que des souverains ; comme les rois carolingiens, ont réglées. Mais qui établirait la délimitation. si délicate, si fertile en controverses, du spirituel et du temporel ? L'Assemblée déclara qu'elle avait le droit, à elle seule, de réformer ; elle laissa tomber le dernier article, — sorte de déclaration de paix tenue en réserve par le Comité. L'Assemblée était toute-puissante, en tout et pour tout. L'Église est dans l'État, l'État n'est pas dans l'Église, disait Camus. Nous sommes une Convention nationale, déclarait encore ce pieux janséniste ; nous avons assurément le pouvoir de changer la religion, mais nous ne le ferons pas ; nous ne pourrions l'abandonner sans crime. A plus forte raison l'Assemblée a-t-elle le droit, tout en respectant le dogme, de réformer la discipline de l'Église. L'Assemblée commença par modifier les circonscriptions ecclésiastiques. Cette réforme, disait le Comité, n'est pas d'ordre spirituel. La juridiction épiscopale est sans limite territoriale ; quand les apôtres se dispersèrent par le monde pour l'évangéliser, leur juridiction était universelle ; plus tard seulement, et peu à peu, cette juridiction fut limitée à un pays. Le pouvoir civil a donc le droit de déterminer le territoire où s'exerce la juridiction ecclésiastique. Camus alléguait le Concile de Chalcédoine de 451, qui, disait-il, avait établi le droit de la puissance civile. Les évêques et le côté droit répondirent que l'évêque a le droit d'administrer certains sacrements qui sont de sa compétence exclusive, d'édicter des règlements et d'instituer les ministres du culte, mais que ce pouvoir est borné à son diocèse. L'étendre ou le restreindre territorialement, c'est le modifier lui-même, dans son essence ; du moins faut-il le consentement de l'Église comme celui de l'État. En outre, supprimer des évêchés, ce serait destituer autant d'évêques, qui perdraient leur juridiction spirituelle ; ce serait contraire aux lois de l'Église, les évêques étant revêtus d'un droit irrévocable et sacré. L'Assemblée passa outre et décréta qu'il y aurait autant de diocèses que de départements, c'est-à-dire 83 : c'était supprimer 52 évêchés. De ces 83 sièges épiscopaux, 10 seront érigés en métropoles : Paris, Reims, Besançon, Lyon, Aix, Toulouse, Bordeaux, Bourges, Rennes, Rouen ; c'étaient pour la plupart les métropoles ecclésiastiques de l'époque romaine. Les paroisses étaient trop nombreuses dans certains diocèses : celles qui seront reconnues inutiles seront réunies à d'autres. Les églises cathédrales, c'est-à-dire celles des chefs-lieux de diocèse, seront ramenées à leur état primitif d'églises à la fois paroissiales et épiscopales. Les chapitres seront supprimés : l'évêque sera le curé de la cathédrale. Conformément aux principes de la Révolution et aux traditions de l'Église primitive, le Comité proposa l'élection des évêques et des curés ; le corps électoral serait les assemblées électorales de département et de district. Les évêques et le côté droit ne voulaient pour électeurs que les ecclésiastiques et les membres des corps administratifs. De Boisgelin, Goupil de Préfelne et Garat voulaient exclure les non-catholiques. Mais l'Assemblée répugnait à l'institution d'un corps électoral spécial. Elle attribua aux assemblées électorales de département l'élection des évêques. Cette élection dépendait ainsi des laïques. Les électeurs se réuniront un dimanche, à l'issue de la messe paroissiale, dans l'église principale du chef-lieu de département. Après avoir prêté le serment civique, ils éliront l'évêque parmi les ecclésiastiques ayant exercé pendant quinze années le ministère dans leur diocèse : curés, vicaires, chanoines, missionnaires, vicaires généraux, ecclésiastiques attachés aux hôpitaux ou chargés de l'éducation, anciens bénéficiers tenus à hi résidence. Les curés seront élus par les assemblées de district, parmi les vicaires ayant au moins cinq ans de ministère. Les curés, comme ils l'avaient demandé, nommeront leurs vicaires, qu'ils choisiront parmi les prêtres ordonnés ou admis dans le diocèse par l'évêque. Les métropolitains confirmeront les élections épiscopales. Mais, si un métropolitain croit devoir refuser une confirmation, les causes du refus seront données par écrit, signées de lui et de son conseil ; l'évêque élu et non confirmé pourra se pourvoir par voie d'appel comme d'abus devant la puissance civile. Il est défendu aux nouveaux évêques de demander au pape aucune confirmation ; ils lui écriront comme au chef visible de l'Église universelle, en témoignage de l'unité de foi et de la communion qu'ils doivent entretenir avec lui. — Tout évêque sera consacré dans sa cathédrale par son métropolitain, ou à son défaut par le plus ancien évêque de l'arrondissement de la métropole et deux évêques voisins, un dimanche, pendant la messe, en présence du peuple et du clergé. — L'évêque pourra examiner le curé élu sur sa doctrine et ses mœurs, et lui donner ou lui refuser l'institution canonique ; en cas de refus, l'élu pourra recourir à la puissance civile. Une Église nationale est ainsi créée, indépendante de Rome, indépendante du Roi. Cette Église est étroitement liée avec la Nation. Évêques et curés, élus par les assemblées de département et de district, devront prêter, avant la consécration, en présence des officiers municipaux, du peuple et du clergé, le serment solennel de veiller avec soin sur les fidèles du diocèse ou de la paroisse qui leur est confié, d'être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi, et de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le Roi. A côté des ministres du culte, sont établies dus assemblées qui feront collaborer au gouvernement de l'Église tous les ecclésiastiques, comme les citoyens français collaborent au gouvernement de l'État. Ainsi sera renouée une tradition conforme aux principes de l'Église primitive et même de l'Église, gallicane. A côté du métropolitain, un Synode métropolitain représentera les ecclésiastiques de la province ; à côté de l'évêque. un Synode diocésain, les ecclésiastiques du diocèse. De plus, dans chaque diocèse se tiendra en permanence, à côté de l'évêque, un Conseil. Le Conseil habituel et permanent de l'évêque sera composé des vicaires de l'église cathédrale, au nombre de 16 dans les villes de plus de 10.000 habitants, et de 12 dans les autres villes, du vicaire-supérieur et des vicaires-directeurs du séminaire, au nombre de 4 ; soit, en tout, 20 ou 16 membres, sans compter l'évêque. Les vicaires de l'église cathédrale seront choisis par l'évêque parmi les prêtres de son diocèse qui auront exercé le ministère pendant dix ans au moins ; les vicaires du séminaire seront nommés par l'évêque et son Conseil. L'évêque composera donc la plus grande partie de son Conseil comme il l'entendra ; mais, ce Conseil une fois constitué, les membres en seront inamovibles, et ne pourront être destitués ni par l'évêque ni par son successeur. Ainsi fut, non pas systématiquement battue en brèche, mais limitée l'autorité épiscopale, qui souvent dégénérait en un despotisme dont tous les curés s'étaient plaints si vivement dans leurs Cahiers. Dans l'Église, comme dans l'État, s'établissait le gouvernement constitutionnel. Cette Église nationale est salariée par la Nation. — Les évêques, les curés et les vicaires recevront un logement convenable, à charge pour eux de faire toutes les réparations locatives. Les évêques auront un traitement de 20.000 livres dans les villes de 60.000 habitants et de 12.000 dans les petites ; l'évêque de Paris recevra 50.000 livres. — Les vicaires des évêques toucheront à Paris 5.000 livres, et, dans les villes de plus de 50.000 âmes, 4.000 livres, comme les curés de ces villes. Les curés des petites paroisses, inférieures à 1.000 habitants, auront 1 200 livres, et les vicaires, 700 livres. Autrefois, la portion congrue était de 700 livres pour les curés, et de 350 livres pour les vicaires[1]. Tous les curés perdaient la jouissance des terres de cure, malgré le désir du Comité de les leur laisser. La résidence est obligatoire pour les ecclésiastiques, sous peine de privation de traitement. Les prêtres devront être attachés à leur ministère et ne pourront devenir désormais in maires, ni officiers municipaux, ni membres des directoires ; mais ils pourront être électeurs et députés, membres des conseils du département, du district ou (le la commune. La Constitution civile l'ut achevée le 12 juillet 1790 ; mais le côté droit reprit pour son compte le dernier article du projet du Comité par lequel, on l'a vu, le Roi était supplié, en termes ambigus, de s'entendre avec le pape. Gobel, suffragant de l'évêque de Bâle, soutint cet article et demanda même qu'il fût renforcé. Mais Treilhard s'y opposa. L'Assemblée déclara qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur cet article que Treilhard déclarait si dangereux. Le Roi restait libre de négocier, s'il le désirait, mais en dehors et sans l'assentiment exprès de l'Assemblée, qui entendait rester maitresse de ses décisions. L'Église perdit l'Assistance, devenue service public. Elle était, menacée de perdre aussi l'Instruction publique. L'Assemblée décréta, en tète de la Constitution du 3 septembre 1791, qu'il serait créé une instruction publique, commune à tous les citoyens, gratuite à l'égard des parties d'enseignement indispensables pour tous les hommes... Elle entendit même un rapport de Talleyrand sur l'organisation des établissements d'instruction ; mais elle ne prit aucune décision. Les congrégations religieuses continuèrent à enseigner ; mais bientôt, comme on verra, un grand nombre de leurs membres ayant refusé de prêter le serment exigé par la Constitution civile du clergé, elles se dissoudront avant que l'Instruction ait été organisée. Une des parties essentielles de l'œuvre de la Révolution n'était même pas ébauchée[2]. L'Assemblée, cependant préoccupée de l'éducation civique et morale, décréta qu'il serait établi des fêtes nationales pour conserver le souvenir de la Révolution française, entretenir la fraternité entre les citoyens, et les attacher à la Constitution, à la patrie et aux lois. Déjà plusieurs grandes cérémonies et Pètes avaient été célébrées — la glorification de Mirabeau, en avril 1791, et celle de Voltaire, en juillet, et en 1790, comme on verra, les fêtes données par les Fédérations des gardes nationales, véritables manifestations de la foi nouvelle. Une Église grande propriétaire, vivant de son propre fonds, puissante par sa richesse, par le monopole de l'Instruction et de l'Éducation publiques, par le monopole, atténué, il est vrai, de l'Assistance, dépendante à la fois du Roi et du pape, mais de ces deux autorités seules, indépendante de la nation, ordre à part, le premier des deux ordres privilégiés, telle était, sous l'Ancien régime, l'Église de France. L'Assemblée lui a pris ses biens, l'a transformée de propriétaire en salariée, lui a retiré définitivement l'Assistance, lui a fait prévoir qu'elle lui enlèverait aussi l'Instruction publique, a rompu le lien qui l'unissait au Roi et au pape, l'a incorporée à la nation, et même, par le mode électoral de recrutement, presque laïcisée. Cette institution d'une Église nationale, d'une Église d'État, était une révolution, qui n'est point sans quelque analogie avec celle qu'opéra Henri VIII lorsqu'il établit l'Église anglicane. Ne verrait-on pas en France, comme on avait vu en Angleterre, des résistances de non-conformistes, des violences et des troubles ? Sans doute, le dogme avait été respecté ; mais la discipline avait été bouleversée, sans que le pape eût été consulté, sans même que fût convoqué un Concile national. Il était certain que tous les catholiques ne reconnaîtraient pas que l'Assemblée eût le droit de réformer l'Église. Des curés en très grand nombre et quelques évêques avaient consenti à la réforme, ou même l'avaient vivement désirée ; mais d'autres avaient fait entendre des protestations véhémentes. Si l'État, pour défendre son Église contre les non-conformistes, a recours à la force, s'il persécute des catholiques, lui qui tolère les protestants et les juifs, et même les fait voler dans les assemblées qui élisent les curés et les évêques, que deviendront ses principes de liberté ? Et la persécution ne provoquera-t-elle pas la guerre civile ? L'Assemblée constituante, confiante en ce qu'elle estimait son droit, infatuée de sa toute-puissance, soutenue par une foule de prêtres, ne vit point le péril. Elle le verra bientôt. En réalité, déjà, sans que tous les Français eu eussent conscience, une religion nouvelle, la religion de la Patrie et de l'Humanité, cherchait à absorber la religion catholique traditionnelle. C'était toute une révolution, et la plus grave certainement de celles qu'avait réalisées ou favorisées l'Assemblée nationale. |
[1] La condition des curés était très différente suivant les paroisses. Les uns possédaient beaucoup plus que la portion congrue et même plus de 1.200 livres ; d'autres avaient environ 1.200 livres ; d'autres, la portion congrue, seulement, ou même moins.
[2] Voir livre V, les réformes de l'Assemblée législative.