HISTOIRE DU DROIT DES GENS ET DES RELATIONS  INTERNATIONALES

TOME I. — L’ORIENT

PREMIÈRE PARTIE. — LES THÉOCRATIES.

LIVRE II. — L’EMPIRE ZEND ET LE MAZDÉISME

CHAPITRE IV. — INFLUENCE DU MAZDÉISME SUR L’HUMANITÉ.

 

 

L’incertitude règne sur les destinées primitives du mazdéisme, mais un fait parait constant, c’est qu’il s’étendit sur une grande partie de l’Asie occidentale[1]. Les orientalistes remarquent tous les jours de nouvelles affinités entre les langues de l’Orient ; les racines appartiennent à la langue zende ou au sanscrit qui en est une sœur. Burnouf a découvert dans l’idiome des Naçkas les radicaux des noms qui désignent les lieux les plus considérables entre l’Iaxarte, l’Indus et l’Euphrate ; ces contrées ont donc été occupées dans des temps antéhistoriques par la race arienne ; son culte a été la religion dominante de cette partie du monde. On trouve même des vestiges de croyances mazdéennes chez les nombreuses tribus qui occupent les plateaux de l’Asie Centrale : les Mongols conservent plusieurs coutumes qui dérivent de cette source antique et qui ont résisté à l’influence toute puissante du Bouddhisme[2].

Lorsqu’une des branches ariennes devint conquérante et ambitionna la monarchie universelle, le pur culte d’Ormuzd avait déjà dégénéré ; cependant les traits principaux subsistaient ; partout où les Perses s’établirent, on doit s’attendre à ce que leurs croyances s’implantent à la suite de leurs victoires. I : invasion de l«Égypte toit en présence deux peuples théocratiques ; les mages ont-ils exercé une action sur le sacerdoce égyptien ? Nous n’avons que des conjectures, sur ces questions intéressantes. Les guerres remplissent exclusivement les récits des auteurs anciens ; mais les idées circulaient avec les armées. Il est probable que la fusion des dogmes dont l’Égypte devait être le théâtre commença dès lors par le contact de la religion d’Ormuzd et de la science égyptienne[3]. On ne peut douter que les doctrines persanes se propagèrent dans l’Occident ; à l’époque de la décadence du polythéisme le culte de Mithra envahit presque tout l’empire romain, bien que la Perse proprement dite restât en dehors de la domination de Rome. Le dieu de la Perse manqua de devenir celui du monde, lorsque Eliagabale, revêtu de la robe des mages, la tiare sur la tête, image vivante du soleil, monta sur le trône. Le culte asiatique prit une extension immense : on découvre encore aujourd’hui en Allemagne des monuments élevés en l’honneur du dieu persan. D’après une tradition recueillie par Pline, les druides tireraient leur origine des mages[4]. La parenté des langues grecque, latine, germanique avec le zend attestent au moins d’antiques liens entre les populations de l’Europe et la famille arienne. Nos ancêtres, en émigrant de l’Asie, emportèrent comme héritage les croyances de l’humanité primitive. Ces dogmes avaient-ils un rapport avec ceux de Zoroastre ? La nuit des temps couvre le berceau des religions de l’Europe et de l’Orient ; mais la communauté de race suppose une communion d’idées et de sentiments.

De plus hautes destinées étaient réservées au mazdéisme. Il y a dans la tradition sur la naissance de Jésus-Christ et les évènements miraculeux qui l’accompagnèrent un mythe qui au premier abord parait inexplicable. Dieu révèle la naissance de Jésus-Christ aux mages ; les prêtres d’Ormuzd devinent le signe céleste, ils se réjouissent et viennent se prosterner aux pieds de l’enfant divin. Pourquoi parmi toutes les religions de l’antiquité, Dieu choisit-il le mazdéisme pour le mettre en relation avec la loi nouvelle ? La question a préoccupé les théologiens et les savants. L’historien de la Religion des anciens Perses[5] répond que Dieu seul a le secret de la faveur qu’il accorda aux Perses ; il présage que Dieu avait un amour particulier pour cette nation, parce que seule avec les Juifs elle conserva le dogme de l’unité divine. Origène soupçonnait dans ce rapprochement, des rapports entre le culte arien et le christianisme. Un philosophe français, entrant plus profondément dans le sens du mythe, y voit, outre la parenté de deux religions, une reconnaissance de la supériorité du Christianisme sur les croyances dont il s’inspira, mais en les dominant[6]. Les Pères de l’Église ont déjà remarqué les analogies qui existent entre le culte d’Ormuzd et celui des chrétiens ; ne pouvant se les expliquer naturellement par la voie du progrès et de la filiation des idées, ils crurent que c’était l’œuvre du démon[7]. Le savant Hyde, frappé de la pureté des dogmes mazdéens, suppose que Zoroastre fut élevé dans la connaissance du vrai Dieu chez les Juifs ; d’après cela, il n’hésite pas à admettre que la foi des Perses est orthodoxe[8]. Ces hypothèses ne satisfont plus l’esprit critique de notre siècle ; mais elles constatent au moins des liens entre le mazdéisme et la tradition mosaïque et chrétienne. Quelle est l’origine de ces relations ? est-ce dans l’exil de Babylone ou sous la domination des Perses que des communications s’établirent entre les deux religions[9] ? Question obscure dont la solution après tout n’est pas essentielle. Il nous suffit d’avoir prouvé par les témoignages de l’antiquité que le culte d’Ormuzd se répandit dans le monde ancien[10] : il abdiqua devant le Christianisme dans la personne de ses mages, mais il en prépara l’avènement ; il reste encore des traces de son influence dans la religion chrétienne[11].

 

 

 



[1] Real Encyclopædie der classischen Alterthumwissenscchaft, au mot Magi (T. IV, p. 1366). Comparez Movers, Die Phœnizier, T. I, P. 70 et suiv. — Il nous reste un témoignage précieux de la domination que la race zende a exercée dans l’Asie occidentale. Bérose dit que la seconde dynastie de Babylone (c’est-à-dire la première dynastie historique) était de race médique, il appelle Zoroastre le fondateur de la dynastie. Le nom de Zoroastre qui figure dans cette tradition, comme chef d’une dynastie prouve que les conquérants de Babylone étaient de race arienne et suivaient le mazdéisme (Lassen, Indische Alterth.. T. I, p. 751, 752).

[2] Schmidt, Forschungen im Gebiete der Bildungsgeschichte der Völker Mittelasiens, p. 146-153. L’auteur croit que l’écriture zende a servi de type à celle des Mongols.

[3] Voyez plus bas, Livre de l’Égypte, ch. 4.

[4] Pline, H. N., XXX, 4. Reynaud a donné les plus ingénieux développements aux rapports du druidisme et du mazdéisme (Encyclopédie Nouvelle, T. V, p. 405bis et suiv.). D’après Moore (History of Ireland, T. I, p. 18, 21, 25), on trouve des traces du culte d’Ormuzd en Irlande.

[5] Hyde, Historia Religionis veterum Persarum, c. 31, p. 379.

[6] Reynaud, dans l’Encyclopédie Nouvelle, T. VIII, p. 792, 793.

[7] Justin remarque l’analogie qui existe entre les deux religions pour ce qui concerne l’eucharistie (Apologétique, I, 66), Tertullien pour ce qui  regarde le baptême (De baptismo, c. 5).

[8] Hyde, Historia religionis veterum Persarum, c. I, X. L’hypothèse a été reproduite sous une forme plus appropriée à l’esprit historique de notre siècle par Stuhr, Die Religionssysteme der heidnischen Völker des Orients, p. 373-375.

[9] Voyez plus bas, Livre IV, des Hébreux, ch. I, § 2.

[10] Comparez Tychsen, De religionum zoroastricarum apud exteras gentes vestigiis, in Comment. Societ. Gœtting., T. XII, p. 3-21.

[11] La résurrection des morts, le jugement dernier, le règne messianique sont d’origine arienne, d’après Röth (Die Zendsage, p 358 et suiv.). Nous ne parlons pas de quelques croyances secondaires, telle que celle des anges, qui du mazdéisme ont passé dans le judaïsme et se sont perpétuées à travers les siècles. Comparez Matter, Histoire du Gnosticisme, T. I, p. 78-116.