Telles ont été les destinée de la race zende. L’antique Empire qu’elle a fondé dans l’Orient disparaît dans la nuit des temps ; quand elle ressaisit la domination avec les Mèdes et les Perses, son histoire confond avec celle des États despotiques[1]. Ce n’est donc pas de l’existence extérieure de la race arienne que nous avons à nous occuper, mais de sa vie intérieure, de ses dogmes. L’étonnante persistante du culte d’Ormuzd, depuis la plus hante antiquité jusqu’à nos jours, suffirait à elle seule pour attester l’importance de cette religion : elle en acquiert encore davantage si nous considérons qu’elle a inspiré une grande partie du genre humain, et précisément les populations les plus progressives, celles qui se sont répandues sur l’Asie occidentale et l’Europe : le mazdéisme renferme les sources premières de notre civilisation. Mais dans ces origines tout est obscur. Le nom auquel se rattache le culte d’Ormuzd, Zoroastre est une des grandes figures de l’humanité, mais la tradition l’a entouré de fables au point que son existence même est devenue problématique[2]. On l’a confondu avec tous les personnages célèbres qui remplissent l’histoire sacrée et profane, il est devenu tour à tour Cham, le fils de Noë, Nemrod, le grand chasseur devant Dieu, Abraham, le patriarche révéré de tout l’Orient, Osiris le dieu de l’Égypte, Moïse le législateur des Hébreux[3]. Pour concilier les témoignages contradictoires des anciens, les savants ont distingué plusieurs Zoroastre, on en a énuméré jusqu’à six[4]. Ceux qui n’admettent qu’un seul Zoroastre ne s’accordent pas sur l’époque a laquelle il vécut ; les uns le placent dans l’antiquité la plus reculée, les autres en font le contemporain de Darius Hystaspês[5]. La même incertitude plane sur les livres sacrés, les Naçkas, qui sont pour les adorateurs d’Ormuzd, ce que la Bible est pour les Hébreux, les Védas pour les Indiens. Révélés à l’Europe par les travaux héroïques d’Anquetil, niais incomplets et mal traduits, ils ont donné lieu aux systèmes les plus divers. D’après quelques orientalistes ils sont antérieurs aux Védas et à la Genèse, où au moins aussi anciens ; d’autres croient qu’ils ne furent rédigés qu’après la destruction de l’Empire persan par les Mahométans[6]. Les travaux ingénieux de Burnouf sur la langue zende, et de J. Reynaud sur Zoroastre, s’ils ne dissipent pas toutes les obscurités, conduisent cependant il des résultats que la science peut accepter. Lu combinant les témoignages des anciens qui sont presque unanimes, sur la haute antiquité de la doctrine des mages et de Zoroastre, avec le texte des Naçkas et les variations de la langue zende, le philosophe français est arrivé à la conclusion, que 1a tradition mazdéenne est une des plus anciennes de l’Orient[7]. Nous allons essayer, en nous aidant de ses travaux, de tracer un système des doctrines morales et politiques de Zoroastre. Zoroastre est représente comme le révélateur d’une loi nouvelle qui vient compléter et remplacer une loi ancienne[8]. Les croyances primitives de la race arienne se perdent dans des temps antéhistoriques ; une seule chose parait certaine, c’est que les théologies de l’Inde et de l’Ariane sont sorties d’une souche commune ; cette parenté, dent il reste des traces dans les Védas et les Naçkas, est attestée par l’identité radicale des langues des deux races qui se sont partagé l’Orient ; le nom par lequel les populations se désignent est le même[9]. Cependant une violente scission s’opéra entre les croyances des Ariens et celles des Indiens ; les dieux des uns devinrent les démons des autres[10]. Nous ignorons la cause, l’époque de la rupture ; mais le culte d’Ormuzd, révélé par Zoroastre, y a joué un rôle considérable c’est le trait distinctif des deux religions[11]. |
[1] Voyez plus bas, Livre des Perses.
[2] Herder (Persopoliranische Briefe, An Zoroaster) nie l’existence de Zoroastre. Movers (Die Phönizier, L I, p. 350-353) l’identifie avec une divinité chaldéenne.
[3] Brucker, Historia critica Philosophiae, Lib. II, c. 2. — D’Herbelot, Bibliothèque orientale, au mot Zerdascht.
[4] Brucker, ibid.
[5] Anquetil place Zoroastre au sixième siècle, avant Jésus-Christ. Cette opinion suivie par Ruth (Geschichte unserer abendländischen Philosophie, p. 347-352), a perdu tout crédit. Elle est basée sur une conciliation des traditions mythiques des Perses avec les récits des historiens grecs ; mais les travaux des orientalistes ont démontré qu’il n’y a aucun rapport entre le Déjokès d’Hérodote et le Djemschid des Perses, ni entre Guschtâsp ou Vistâçpa sous lequel parut Zoroastre, et Hydaspès, le père de Darius (Lassen, T. I, p. 517, note 2, et 752, 758).
[6] Cette dernière opinion a été soutenue par Meiners, dans les Commentarii Societatis Gœttingensis, T. I, p. 37-47.
[7] Tychsen (Observationes de Zoroastre ejusque scriptis, dans les Commentarii Societatis Gœttingensis, T. XI, p. 112-127) se prononce dans le même sens. — Comparez Lœbell, Die Weltgeschichte in Umrissen, T. I, p. 148, 144, 533, 554.
Le savant orientaliste Lassen, qui met tant de circonspection dans ses travaux, admet la haute antiquité de Zoroastre, mais il convient qu’à raison des témoignages contradictoires des auteurs classiques et de l’absence complète de toute histoire chez les anciens Perses, il est impossible de fixer l’époque à laquelle vécut le grand réformateur (Lassen, Indische Alterthumskunde, T. I, p. 751).
Rhode (Die Zendsage, p. 186, 187) dit qu’on ne peut pas déterminer l’âge de Zoroastre d’une manière précise, parce qu’il s’agit de temps antéhistoriques. Il le considère comme plus ancien que Moïse, au moins le cinq ou six siècles (Ibid., p. 157).
[8] Rhode, p. 112, 118, 126.
[9] Encyclopédie Nouvelle, 789, 787, 790 — Lassen, Indische Alterthumskunde, T. I, p. 516 et suiv.
[10] Lassen, Indische Alt., T. I ; p. 521 et suiv.
[11] Encyclopédie Nouvelle, T. VIII, p. 780.