La race zende et la religion de la Lumière ont eu une destinée semblable à celle des Hébreux et du Mosaïsme. Leur origine remonte au berceau du genre humain, et la puissance de l’idée religieuse parait avoir donné l’immortalité aux peuples qui en étaient imbus ; les législations de Zoroastre et de Moïse régissent encore aujourd’hui les Perses et les Juifs que les révolutions politiques ont chassés de leur patrie et rendus errants. Mais si nous en croyons la tradition, les ancêtres des Perses auraient eu une existence plus brillante, plus agitée que l’obscur peuple de Dieu. Sortis du Nord de l’Asie, les Ariens, dit-on, fondirent un immense Empire dans la Bactriane. La domination de la race zende différait essentiellement de ces états éphémères qui naissent et périssent dans l’Orient avec une rapidité qui rappelle la brièveté de la vie humaine. Il y avait en elle un élément de durée qui manquait aux Nomades, la religion. Les Ariens[2] sont une race théologique comme les Indiens, les Égyptiens, les Hébreux. Tandis que les peuples pasteurs qui envahissaient le Midi de l’Asie ne semblent exercer qu’une puissance le destruction, les adorateurs d’Ormuzd[3] propagent une religion qui est devenue la source de la civilisation de l’Asie occidentale et dont les premiers germes ont pénétré jusqu’en Europe, avec les Celtes, les Scandinaves et les Germains[4]. Sur la formation de l’Empire bactrien, sur son étendue, sa durée, nous n’avons rien que de vagues traditions, conservées par les Perses[5]. Dans l’histoire, telle que les écrivains grecs la rapportent, il ne parait sur la scène que lorsqu’il est détruit par les Assyriens[6]. La lutte des deux peuples est figurée sous les noms qui ont acquis le plus de célébrité chez les vainqueurs et les vaincus ; Ninus combattit Zoroastre, le conquérant l’emporta. Mais il y avait dans les vaincus une vitalité qu’on rencontre rarement dans l’Orient qui plie sous la force, comme sous la loi de Dieu : la religion était un lien tout puissant qui sauva la nationalité zende de la destruction. Ce furent des populations ariennes qui prirent l’initiative de l’insurrection contre les rois assyriens. Les Mèdes rétablirent la domination des Mazdéisnans, mais un changement essentiel s’opéra dans la constitution politique du nouvel Empire ; ce n’est plus un état théocratique ; le despotisme y prévaut, comme dans toutes les monarchies de l’Asie occidentale ; les prêtres d’Ormuzd occupent encore un rang considérable, mais secondaire. Des causes que nous ignorons brisèrent l’unité religieuse de la race zende, et par suite des divisions, des guerres éclatèrent entre les populations ariennes. Les Perses détruisirent l’Empire des Mèdes. Les nouveaux conquérants appartenaient à la même famille que les vaincus ; mais ils paraissent avoir eu avant la conquête une religion, différente. Dans le récit d’Hérodote sur les origines de Cyrus on voit les mages effrayés de la future puissance des Perses, ils craignent de descendre au rang d’esclaves, et de ne jouir d’aucune considération auprès de leurs maîtres, à l’égard desquels ils sont étrangers[7]. L’hostilité des deux tribus subsista sous Cyrus et Cambyse ; le massacre des Mages signala encore l’avènement de Darius. Cependant les Perses, plus barbares, furent subjugués par la civilisation supérieure des Mèdes ; le mazdéisme devint la religion du nouvel empire. Mais ce n’était plus la pure adoration de la lumière, enseignée par Zoroastre. Les Perses se répandirent sur toute l’Asie ; la même tendance qui les avait portés à adopter la religion des Mages, les disposa également à s’assimiler les cultes de la nature qui s’étaient développés dans la partie occidentale de leur immense Empire. Il se forma de ces éléments hétérogènes un mélange syncrétique dans lequel dominaient à la vérité les formes mazdéennes, mais qui au fond n’était plus qu’un polythéisme sans caractère propre. Tel fut le fondement du culte mithriaque qui envahit toute l’Asie et pénétra même en Europe[8]. La doctrine de Zoroastre dégénéra en un grossier matérialisme qui hâta la décadence de l’Empire des Perses. Sous la domination macédonienne, les populations zendes disparaissent de la scène. L’hellénisme règne dans l’Orient et jusque dans la Bactriane, ce siège antique de la puissance arienne. Cependant le feu sacré brûlait toujours sur les autels d’Ormuzd : la décadence des Séleucides ouvrit l’Asie aux Romains. Mais les légions s’arrêtèrent sur les bords de l’Euphrate ; les circonstances étaient favorables pour les nationalités déchues. La race zende se releva sous les Parthes. L’intérêt des nouveaux dominateurs de l’Asie était de prendre appui sur les populations ariennes. On voit en effet les Arsacides s’entourer de mages, s’associer même, comme les Achéménides, à leur ordre sacré[9]. Mais la restauration de la nationalité et de la religion zendes fut incomplète : la civilisation grecque avait jeté des racines si profondes dans l’orient, que les Parthes eux-mêmes en subirent l’influence toute puissante ; des rois philhellènes[10] devaient être des adorateurs peu fervents d’Ormuzd. L’œuvre que les Parthes avaient commencée fut achevée par les Sassanides. Le culte de la Lumière fut rétabli ; les mages recouvrèrent leur antique influence ; ils intervenaient même dans les affaires politiques, dans les questions de paix et de guerre[11]. L’arianisme régénéré semblait avoir acquis des forces nouvelles : les rois des Perses osèrent disputer la domination de l’Asie et du monde aux Césars. Leurs sanglantes querelles remplissent les derniers siècles de l’Empire ; alors paraissent les fougueux sectaires de Mahomet, les Sassanides succombent ; la plus grande partie des vaincus embrassent la religion du vainqueur. Mais il y avait dans le mazdéisme une vitalité indestructible, les zélés adorateurs d’Ormuzd préférèrent l’exil avec toutes ses misères à l’apostasie ; poursuivis de refuge en refuge, ils finirent par trouver un asile dans l’Inde, où ils suivent encore aujourd’hui la loi de Zoroastre, sous le nom de Parsis ou de Guèbres. |
[1] Zend-Aresta traduit par Anquetil Du Perron. — Burnouf, Commentaire sur le Yaçna. — Rhode, Die heilige Sage des Zendyolks. — Roth, Die zoroastrische Glaubenslehre (T. I de son Histoire de la Philosophie occidentale). — Flathe, dans l’Encyclopédie d’Ersch, IIIe Section, au mot Perser. — Reynaud, dans l’Encyclopédie Nouvelle, au mot Zoroastre.
[2] C’est sous ce nom qu’étaient connus les plus anciens sectateurs de la loi de Zoroastre (Hérodote, VII, 62. — Rhode, die Zendsage, p. 35, 66).
[3] Ormuzd est une altération du nom que Dieu porte dans les livres sacrés des Perses, Ahura-Mazda, l’être omniscient. De là le nom de Mazdéisnans pour désigner les sectateurs du dieu, et celui de Mazdéisme que les savants modernes donnent à la théologie de Zoroastre.
[4] Voyez ce que le savant orientaliste Von Hammer dit dans les Wiener Jahrbücher der Litteratur, 1820, (T. I, p. 21 et suiv.). — Bactres (Balk) est encore aujourd’hui appelée la mère des villes ; elle est considérée comme la plus ancienne du monde (Ritter, Erdkunde, T. II, p. 502).
[5] Voyez le résumé de ces traditions dans Klaproth, Tableaux historiques de l’Asie, p. 5 et suiv. ; — Malcolm, Histoire de Perse, ch. 1 et 2 ; — la Perse par Dubeux, p. 219 et suiv. ; — Cantu, Histoire universelle, T. III, p. 8 et suiv.
[6] Justin, I, 1.
[7] Hérodote, I, 120.
[8] O. Müller, dans les Gœttingische gelehrie Anseigen, 1838, n° 21.
[9] Pline, H. N., XXXVII, 9 ; XXI, 11. — Lucian, Macrob., 4. — Velleius Paterculus, II, 24. — Cless, dans la Real Encyclopædie der classischen Alterthumswisseschaft, T. V, p. 1208.
[10] Des Arsacides prirent ce titre.
[11] Procope, De Bello pers., I, 3, 5. — Agathias, IV, 25.