HISTOIRE DU DROIT DES GENS ET DES RELATIONS  INTERNATIONALES

TOME I. — L’ORIENT

PREMIÈRE PARTIE. — LES THÉOCRATIES.

LIVRE PREMIER. — L’INDE

CHAPITRE V. — LE BOUDDHISME[1].

 

 

§ 1. Histoire du Bouddhisme.

N° 1. Bouddha, Réformateur du Brahmanisme.

Le Bouddhisme était à peine connu de nous à la fin du dernier siècle : la philosophie de l’histoire ne lui accordait aucune place .dans ses considérations sur le développement de l’humanité. Cependant il s’agit d’une religion puissante qui pour le nombre de ses sectateurs est sur la même ligne que le Christianisme[2]. Il y a entre les deux religions des analogies si considérables qu’on a appelé le Bouddhisme un Christianisme oriental. Bouddha, comme Jésus-Christ, a prêché une doctrine de charité, de fraternité, de paix ; si le Christianisme a régénéré le monde romain et civilisé les Barbares, le Bouddhisme peut se glorifier d’une influence presque aussi éclatante dans l’Orient.

Le Bouddhisme est une des conquêtes les plus importantes de la révolution qui s’opéra au dernier siècle dans la science, et que l’on a si bien caractérisée en la qualifiant de renaissance orientale. Dans cette découverte, comme dans tout ce qui tient a l’Orient, il y a encore des obscurités. L’avenir comblera les lacunes ; dès maintenant la certitude règne la où, il y a cinquante ans, les hypothèses les plus étranges se faisaient jour. Pour les uns, le Bouddhisme était une misérable contrefaçon du Nestorianisme ; d’autres niaient l’existence de Bouddha, et le prenaient pour une planète. Parmi ceux qui admettaient l’originalité du Bouddhisme comme religion, les uns faisaient venir Bouddha (le l’Afrique, parce qu’on le représente avec des cheveux crépus ; d’aulnes de la Mongolie, parce qu’il avait les yeux obliques, ou de la Scythie, parce qu’il se nommait Çâkya ; quelques savants retrouvaient le sage, révélateur d’une religion de paix, sous les traits d’Odin, le dieu de la guerre. Ceux-là mêmes qui croyaient à l’origine asiatique du Bouddhisme, avouaient leur ignorance sur son histoire, et disaient qu’il se perdait dans la nuit des temps[3]. Aujourd’hui ces doutes n’existent plus. Bouddha est un personnage historique ; les contradictions que les sources orientales présentent sur l’époque de sa naissance partagent encore les savants ; l’opinion générale la place au sixième siècle avant Jésus-Christ[4]. Il appartenait à la classe des kçhattriyas[5]. La vie solitaire qu’il embrassa lui fit donner le nom de çâkyamuni[6]. Fils d’un rajah, il fut élevé dans le luxe et la mollesse orientales ; mais à l’âge de vingt-huit ans, une révolution s’opéra dans ses sentiments ; il vit que les douleurs de la naissance, de la maladie et de la mort troublent toutes les joies de la vie[7] ; la misère des hommes l’émut ; elle lui fit mépriser et haïr la gloire de la royauté. Il quitta le ni n de houe méditer dans la solitude sur les moyens, de délivrer les créatures de leurs douleurs[8]. Il se fit d’abord disciple de solitaires brâhmanes, mais le brahmanisme ne le satisfaisant pas, il se replia sur lui-même[9], et par la puissance de ses méditations, il acquit la connaissance suprême, la qualité de Bouddha[10].

On voit par ces traditions que le Bouddhisme est sorti de la doctrine brahmanique. Le brahmanisme avait dégénéré. La caste sacerdotale s’était réservée le monopole de la science et de la religion ; mais elle se montra indigne de cette orgueilleuse usurpation. Les mœurs étaient relâchées ; l’ignorance, la cupidité, les crimes avaient pris la place des vertus recommandées aux brâhmanes par les lois de Manou. L’ordre civil se ressentait de la corruption qui régnait dans l’ordre moral : le despotisme des rois était violent et sans contrôle, la politique qui dominait dans leurs conseils était un système d’exploitation : le peuple est comme la graine de sésame, qui ne donne son huile que quand on la presse, qu’on l’écrase ou qu’on la grille[11]. Il y avait contradiction entre les prétentions de la caste sacerdotale à la possession exclusive de la vérité et ses mœurs, entre la doctrine brahmanique fondée sur la supériorité de l’intelligence et la société livrée à une tyrannie sans bornes. Il se forma une opposition contre le brahmanisme, elle se manifesta d’abord dans le domaine de la pensée. La philosophie connue sous le nom de Sânkya rejeta l’autorité des Védas, ce fondement de la puissance brahmanique ; il ne fallait plus être initié aux livres sacrés pour atteindre la perfection, qui pour l’indien consiste dans l’affranchissement de la renaissance : la science était le moyen la plus efficace. Cette révolution philosophique eut du retentissement dans la religion ; le doux culte de Vishnou prépara les hommes à une religion d’égalité dans laquelle l’odieuse distinction des castes disparaîtra[12].

Pour achever la réaction contre le brahmanisme, il ne s’agissait plus que de faire descendre les doctrines nouvelles dans les masses, d’appeler la nation entière au salut. Telle fut l’œuvre de Bouddha. Il n’attaqua pas ouvertement le Brahmanisme, il ne voulait pas détruire la société, mais la transformer ; Bouddha est le Luther de l’Inde[13], Le réformateur, s’adressant à toutes les classes de la société, devait abandonner la voie d’initiation individuelle que les brâhmanes pratiquaient dans leur caste ; il eut la gloire d’inaugurer le plus puissant instrument de propagande, la prédication. Bouddha passa dix-neuf années de sa vie à prêcher la bonne loi[14].

Les apôtres du Bouddhisme pouvaient, comme ceux du Christianisme, se glorifier d’être porteurs de la bonne nouvelle, ne relevaient-ils pas l’immense majorité des Indiens de la dégradation qui pesait sur eux[15] ? Cependant cette conséquence du Bouddhisme ne parait pas avoir frappé les brâhmanes dans le principe. Bouddha compta des disciples dans la caste sacerdotale ; la secte nouvelle fut tolérée, comme toutes celles qui se produisent dans le sein du brahmanisme. Mais lorsque les brâhmanes s’aperçurent que le Bouddhisme ne tendait à rien moins qu’à bouleverser tout l’édifice de la société indienne, la tolérance fit place à une haine furieuse, implacable. Les bouddhistes trouvèrent d’abord des partisans parmi les kçhattriyas, qui souffraient aussi bien que les castes inférieures de la tyrannie brahmanique ; des rois se firent les ardents propagateurs de la doctrine nouvelle : mais la caste dominante finit par mettre les princes dans son intérêt. Alors une guerre à mort[16] fut déclarée aux paisibles bouddhistes : Que du pont de Rama, disait un de leurs persécuteurs aux ministres de ses vengeances, jusqu’à l’Himalaya blanchi par les neiges, quiconque n’immolera pas les bouddhistes, vieillards ou enfants, soit lui-même livré à la mort[17]. Ils furent entièrement expulsés d’un pays qui était le berceau de leur religion[18]. Mais cette violente persécution tourna à la gloire de la bonne loi et au bien de l’humanité, en répandant le Bouddhisme dans le nord de l’Asie.

N° 2. Extension du Bouddhisme.

Déjà avant leur expulsion, les bouddhistes avaient propagé leur croyance au-delà des limites de l’Inde. Un caractère distinctif du Bouddhisme et qui établit un nouveau rapport entre cette religion et celle du Christ, c’est l’ardent prosélytisme qui anime ses sectateurs. Cet esprit de propagande, étranger au polythéisme gréco-romain, fut inspiré à la secte nouvelle par Bouddha lui-même. Les légendes représentent le grand réformateur animé de la haute ambition de convertir tous les hommes à sa croyance. Çâkya, dit-on, demanda à son précepteur de lui apprendre toutes les langues, comme moyen de prêcher la bonne loi dans l’univers entier[19]. Avant de mourir, il exhorta ses disciples à instruire les hommes, à secourir les habitants des trois mondes qui n’étaient pas encore délivrés des peines de la transmigration[20].

Les disciples obéirent à la voix du maître. Un profond sentiment d’unité animait les premiers Bouddhistes ; comme les Chrétiens, ils se réunissaient dans des conciles[21], pour maintenir et développer leur foi. La troisième assemblée décida que des missions initieraient les peuples étrangers à la doctrine de l’affranchissement[22]. L’année qui suivit le concile, 243 avant Jésus-Christ, le Bouddhisme fut porté à Ceylan[23] : cette de devint un foyer actif d’une nouvelle propagande. Des succès plus étonnants attendaient la doctrine de Çâkya dans un Empire, qui est resté inaccessible à toute influence étrangère même à celle de l’Évangile. La Chine fut visitée par des prêtres bouddhistes, dès le troisième siècle avant Jésus Christ[24] ; en l’an 61 de noire ère la religion indienne tut reconnue officiellement par l’Empereur Mingti[25]. Les Chinois montrèrent un prosélytisme aussi ardent que leurs maîtres ; ils propagèrent leur foi dans la Corée, au Japon[26]. Les persécutions qui chassèrent les Bouddhistes de I’Inde, devinrent le moyen providentiel d’une nouvelle extension : les proscrits trouvèrent un asile dans le Népal et le Tibet : le zèle religieux se fraya une voie dans les montagnes inaccessibles, et les couvrit de monastères consacrés à l’étude et à la pratique de la vie religieuse. Le Bouddhisme pénétra dans l’Asie centrale et y convertit les bordes barbares descendues des glaces du Nord ; les Mongols et les Mandchoux il se répandit jusque dans l’Empire de Russie[27].

§ 2. — Doctrine.

N° 1. Bouddhisme et Brahmanisme.

Nous empruntons à Burnouf un exposé succinct de la prédication de Bouddha. Le monde visible est dans un perpétuel changement ; la mort succède à la vie, la vie à la mort ; l’homme, comme tous les êtres vivants qui l’entourent, roule dans le cercle éternellement mobile de la transmigration, passant successivement par toutes les formes de la vie, depuis la plus élémentaire, jusqu’à la plus parfaite ; la place qu’il occupe dans la vaste échelle des êtres vivants dépend du mérite des actions qu’il accomplit dans ce monde ; ainsi l’homme vertueux renaîtra après cette vie avec un corps divin et le coupable avec un corps de damné. Mais les récompenses du ciel et les punitions de l’enfer n’ont qu’une durée limitée, comme tout ce que le monde renferme ; le temps épuise le mérite des actions vertueuses, tout comme il efface les fautes. La loi fatale du changement ramène donc sur la terre et le Dieu et le damné, pour les mettre de nouveau l’un et l’autre à l’épreuve et leur faire parcourir une suite de nouvelles transformations. Telle étant la condition de tous les hommes, quel doit être leur plus ardent désir, sinon d’échapper à cette loi de la transmigration ? Bouddha leur enseignait la loi de l’affranchissement[28].

On voit que Çâkyamuni prenait son point de départ dans le brahmanisme. Les brâhmanes aussi croyaient à la fatalité de la transmigration, à la répartition des récompenses et des peines, à la nécessité d’échapper, d’une manière définitive, aux conditions perpétuellement changeantes d’une existence toute relative. Mais ce qui distingua dès le principe la doctrine du Réformateur, c’est qu’elle était essentiellement morale, tandis que le brahmanisme consistait surtout en pratiques extérieures, en sacrifices pour l’accomplissement desquels l’intervention d’une caste de prêtres, intermédiaires entre l’homme et Dieu, était une nécessité. Les bouddhistes rejetèrent les Veda et les sacrifices, non seulement les sacrifices sanglants, mais même celui du feu[29]. Leur culte était une adoration, un témoignage de respect pour Bouddha, qu’ils manifestaient par une offrande de fleurs ou de parfums à ses images ou à ses reliques[30]. L’essence de leur loi était renfermée dans des préceptes moraux qui finirent par prendre la forme de dix commandements ; les principaux défendaient : de tuer un être animé, de voler, de s’abandonner à la volupté, de mentir, d’offenser personne, de calomnier, de haïr[31].

Le Bouddhisme, par opposition au brahmanisme, est donc une doctrine tout intérieure, une religion de l’attire vie. Les bouddhistes reprochaient aux brâhmanes de rechercher la faveur des dieux, non dans un but moral, mais pour obtenir le bien-être temporel ; le brahmanisme est la religion de cette vie[32]. A ces accusations qui n’étaient que trop vraies, les brâhmanes répondaient par des calomnies, que nous retrouverons dans la bouche des païens, luttant avec le Christianisme[33] ; les bouddhistes prêchaient la nullité des pratiques extérieures du culte, ils rejetaient l’autorité des Védas, donc ils étaient athées ; des athées ne pouvaient être que des matérialistes, adonnés à un sensualisme abject[34]. La vie des bouddhistes réfutait ces misérables reproches. Nous touchons ici au caractère fondamental du Bouddhisme. Les deus doctrines rivales avaient le mente but ; c’étaient des voies pour arriver à la perfection ; mais dans cette œuvre de perfectionnement, le brâhmane ne songe qu’à lui seul. Étrange contradiction de l’esprit humain ! dans une société qui croit à peine à la personnalité, c’est cependant cette personnalité qui absorbe les sages. Le brâhmane se retire dans la solitude ; il se livre à des pénitences inouïes, pour s’élever au-dessus des dieux : c’est le délire de l’orgueil. Les bouddhistes aussi s’infligeaient des tourments volontaires, nais les légendes qui rapportent leurs combats disent que c’est le bonheur du genre humain qui les inspirait. Dans la vie sociale, le brahmane était exclusivement préoccupé des avantages de sa caste ; le bouddhiste n’avait d’autre intérêt que celui de la morale et de la vertu[35]. Le brahmanisme exclut de l’initiation religieuse les membres des castes inférieures ; ainsi l’immense majorité des hommes ne participent pas aux bienfaits de la religion ; le Bouddhisme s’adresse a tous, sans distinction de naissance. Le brahmane croit le salut impossible hors des limites de la région arrosée par les rivières saintes ; les bouddhistes se préoccupèrent du salut de ces peuples déshérités et répandirent parmi eux des principes généreux et salutaires. L’égoïsme est la tache indélébile des brâhmanes. La charité est le trait distinctif des bouddhistes ; c’est à force de charité qu’ils se sont élevés au-dessus de la distinction des castes, si profondément enracinées dans l’Inde ; c’est par là que le Bouddhisme se rapproche surtout du Christianisme et qu’il mérite une belle place dans l’histoire de l’humanité[36].

N° 2. Charité.

Le Bouddhisme comme toutes les spéculations indiennes part de là désolante conviction de l’universalité du mal ; non seulement le mal domine dans le monde, mais c’est le monde lui-même qui est le mal[37]. Les brâhmanes n’ont pas songé à réagir contre les maux de la vie, sauf dans l’intérêt de leur affranchissement. L’esprit de charité qui anime les bouddhistes les a élevés au-dessus d’une fausse doctrine : il y a chez eux un germe de cette vertu active qui respire dans la religion de Zoroastre et dans le génie de l’Occident. Si le mal existe, c’est en nous, et non dans la création qu’il a sa racine, combattons-le donc de toutes les forces que Dieu nous a données. Le précepte fondamental de la morale bouddhiste est s’abstenir du mal, faire le bien[38]. On pourrait presque réduire le Bouddhisme comme l’Évangile, à cette seule loi, la charité[39].

Rien ne caractérise mieux le Bouddhisme que les traits de charité que les légendes rapportent de Bouddha. Çâkya fuyait devant les brâhmanes qui l’avaient chassé de son royaume ; il rencontre un mendiant. Ayant perdu sa puissance et sa fortune, n’ayant plus rien, il commande qu’on le lie lui-même et qu’on le livre au roi son ennemi, afin que l’argent qu’on donnera pour lui serve d’aumône ; le pauvre pour qui Bouddha se dévoue ainsi appartient à la caste des brâhmanes, persécuteurs impitoyables du bouddhisme. Une foule d’actes que la tradition attribue à Gautama expriment, sous une forme parfois bizarre, son dévoilement universel, son inépuisable amour pour tous les êtres. Il fait l’aumône de ses yeux, de sa tête, il livre son corps à un tigre qui mourait de faim[40]. Pour inspirer la charité à ses disciples, il les dépouilla de toute pensée personnelle ; le catholicisme a placé parmi ses saints un homme qui, voulant réaliser l’idéal de Jésus Christ, se voua lui-même et les siens à une pauvreté volontaire ; le Bouddhisme primitif était tut grand ordre de mendiants[41]. La bienfaisance est la loi essentielle des religieux, elle comprend tous les êtres : Les aliments que le mendiant a obtenus seront divisas en trois portions : l’une sera donnée à la personne qu’il verra souffrir de la faim, une autre sera portée dans un lieu désert et tranquille, et déposée sur une pierre pour les oiseaux et les bêtes[42]. Le Bouddhisme a dégénéré de sa pureté primitive, gais il est resté fidèle à l’esprit de charité qui animait son fondateur, les couvents bouddhistes sont ouverts à tous les étrangers, sans distinction de croyance religieuse[43]. Les anciens n’ont pas pratiqué la bienfaisance publique ; le Bouddhisme seul a été le digne précurseur de la charité chrétienne. Les hôpitaux n’existent dans le monde occidental que depuis l’établissement du Christianisme ; la première idée de cette sainte institution est due aux disciples de Çâkya[44].

La charité pratique que le Bouddhisme recommande à tous les hommes depuis les mendiants jusqu’aux princes[45], n’est que l’expression d’un sentiment supérieur qui unit le bouddhiste à toutes les créatures et qui a sa plus haute manifestation dans le prosélytisme, l’ardeur de la propagande était inconnue aux religions de l’antiquité païenne ; on ne la rencontre que, chez les Hébreux et les bouddhistes. Le prosélytisme juif[46] avait sa source dans la conviction que le culte de Jéhova était destiné à embrasser un jour le monde entier. Le prosélytisme des Indiens, dit un savant orientaliste que nous aimons à suivre, est un effet de la bienveillance universelle qui anime le Bouddha, et qui est à la fois la cause et le but de la mission qu’il se donne sur la terre[47]. Rien de plus touchant que les préceptes du Bouddhisme sur le lien de charité qui embrasse tous les hommes : Nous devons notre amour à tons les êtres, parce que nous sommes un avec eux. Celui qui a de la haine pour ses semblables, se hait lui-même. La haine n’a pas d’excuse dans les mauvais penchants des hommes ; s’ils font le mal, c’est par ignorance, il s faut donc avoir compassion d’eux et les éclairer[48]. Le croyant qui est bien pénétré de la loi du salut, ne songe pas seulement à sa libération, mais aussi à celle des autres[49]. L’homme qui a au cœur de Bouddha, doit se dire : Si d’autres apprennent à connaître cette loi, je m’en réjouirai, comme si je venais seulement de l’apprendre ; si d’autres l’ignorent, je m’en affligerai comme d’un malheur personnel.... Notre mérite sera déjà grand, a si nous parvenons à sauver plusieurs âmes ; il sera plus considérable si nous pouvons faire que ceux qui ont été éclairés par nous propagent de leur côté la loi de Bouddha, et ainsi à l’infini. De cette manière, la bonne loi se répandra dans le monde entier, et tous les êtres qui souffrent dans cet Océan de douleurs seront sauvés. Enseigner la bonne loi, c’est le plus grand des bienfaits, parce qu’elle délivre les hommes du plus grand des maux, la renaissance.... Annonce donc la loi à tous les hommes, à ceux avec lesquels tu manges, à ceux avec lesquels tu parles, à tes serviteurs, à ceux que tu connais, à ceux que tu ne connais pas[50].

N° 3. Égalité.

Le brahmanisme avait aussi des instincts de charité et à bienveillante universelle, mais ces sentiments furent étouffés dans leur source par l’esprit de division et de caste. Les bouddhistes voient des frères dans tous les hommes ; il n’y a pas pour eux d’être impur, ils embrassent toute l’humanité dans leurs prières[51] ; la bonne loi est une loi de grâce pour tous[52]. Les prédications des bouddhistes abondent en images pour exprimer cette égalité religieuse. On lit dans un de leurs livres canoniques[53] : C’est, ô Kâçyapa[54] comme les rayons du soleil et de la lune, qui brillent pour tout le monde, pour l’homme vertueux, comme pour le méchant, pour ce qui est élevé comme pour ce qui est bas, pour ce qui a une bonne odeur comme pour ce qui en a une mauvaise ; partout ses rayons torchent également et non pas inégalement. Ainsi font, ô Kâcyapa ! les rayons de l’intelligence, douée du savoir de l’omniscience, des Tathtâgatas[55] vénérables. Je remplis de joie tout l’univers, semblable à un nuage qui verse partout une eau homogène, toujours également bien disposé pour les hommes respectables comme pour le, hommes les plus bas, pour les hommes vertueux comme pour les hommes méchant ; pour les hommes perdus comme pour ceux qui ont une conduite régulière ; pour ceux qui suivent des doctrines hétérodoxes et de fausses opinions, comme pour ceux dont les opinions e : les doctrines sont saines et parfaites[56].

L’égalité s’étendait même aux femmes : le brahmanisme les flétrit comme des êtres impurs, il les met sur la même ligne que les çûdras. Le Bouddhisme non seulement n’exclut pas les femmes de l’initiation religieuse, il les admet dans les rangs les plus élevés de la hiérarchie ; il a ses couvents de religieuses, ses saintes comme le catholicisme[57].

L’égalité est un sentiment si indestructible de la nature humaine, qu’elle se fit jour même dans la doctrine des brâhmanes. Ils la montrent en espérance dans une vie subséquente ; un çûdra peut renaître dans une caste supérieure, et parvenir même à se soustraire à la loi fatale de la renaissance mais là s’arrêtent leurs promesses ; dans le monte actuel, les castes sont l’institution divine, l’inégalité est immuable. Çâkyamuni ne se contenta pas d’offrir à ses sectateurs la perspective de l’affranchissement futur, il leur donna les moyens d’atteindre ce but en les initiant tous indistinctement à sa loi ; tout homme pouvait devenir religieux ; la voie du salut était ainsi ouverte dès cette vie à toutes les castes, l’initiation, réservée dans le brahmanisme aux classes dominantes, était étendue à tous les hommes[58]. Cette doctrine minait par sa base l’organisation des castes : les brâhmanes ne s’y trompèrent pas, ils proscrivirent les bouddhistes.

Arrêtons-nous sur ce dogme du Bouddhisme ; c’est la première manifestation du sentiment de l’égalité dans le monde oriental. Burnouf rapporte une belle légende qui nous montre comment Bouddha faisait pénétrer la sainte croyance de l’égalité au milieu d’une société fondée sur l’inégalité. Un jour Ananda, le serviteur de Çâkyamuni, rencontre une jeune fille de la classe des parias qui puisait de l’eau, et lui demande à boire. La jeune fille, craignant de le souiller de son contact, l’avertit qu’elle est née dans une caste impure, et qu’il ne lui est pas permis d’approcher un religieux, Ananda lui répond : Je ne le demande pas, ma sœur, ni ta caste, ni ta famille, je te demande seulement de l’eau, si tu peux m’en donner. Prakriti se sent éprise d’amour pour Ananda. Bouddha profite de cette passion pour convertir la paria ; la jeune fille déclare qu’elle est prête à renoncer an monde. Cependant les brâhmanes apprirent qu’une paria avait été admise à l’initiation ; comment, se dirent-ils, pourra-t-elle remplir les devoirs imposés aux religieuses ? comment pourra-t-elle entrer dans les maisons des brâhmanes ? Le roi entendant parler de cette conversion insolite, en demanda l’explication à Bouddha. Le religieux en présence de ses disciples et du peuple raconta l’histoire d’une des anciennes existences de la jeune fille :

Jadis, au nord du Gange, vivait nu roi des parias, qui voulut marier son fils à la fille d’un brâhmane. Le jeune homme qui n’était autre que Prakriti, était doué de toutes les perfections de l’esprit ; il possédait à fond le Véda et les autres sciences brahmaniques. Le roi paria se rendit dans la forêt auprès du brâhmane, qui s’y livrait à la méditation, et il lui exposa son désir. Mais le brâhmane ne l’eut pas plutôt entendu, qu’il s’écria, plein d’indignation : Hors d’ici, paria, comment celui qui mange du chien ose-t-il parler ainsi à un brâhmane qui a lu le Véda ? Comment oses-tu demander l’union du plus noble avec le plus vil ? Les bons, en ce monde, s’unissent avec les hoirs, les méchants avec les méchants. Tu demandes une chose impossible, en voulant t’allier avec nous, toi qui es méprisé dans le monde, toi le dernier des hommes ! A ces dures invectives, le paria répondit ainsi : Il n’y a pas entre un paria et un homme d’une autre caste, la différence qui existe entre la pierre et l’or, entre les ténèbres et la lumière. Le brâhmane, en effet, n’est sorti ni de l’éther, ni du vent ; il n’a pas fendu la terre pour paraître au jour, comme le feu qui s’échappe du bois que l’on frotte. Le brâhmane est venu au monde de la même manière que le paria. Où vois-tu donc la cause qui ferait que l’un est noble et l’autre vil ? Le brâhmane lui-même, quand il est mort, est abandonné comme un objet impur ; il en est de lui comme des autres castes ; où est alors la différence ?[59]

Bouddha voulut donner aux hommes un témoignage éclatant de l’égalité religieuse qu’il cherchait à leur inspirer. Il promit que, dans, ses incarnations futures il renaîtrait, tantôt dans la classe des brâhmanes, tantôt dans celle des guerriers, tantôt, parmi les marchands ou laboureurs[60]. Les premiers patriarches, successeurs de Çâkyamuni et choisis par lui-même, furent un brâhmane, un kçhattriya, un vâiçya, un çûdra[61]. Le sentiment de l’égalité, une fois né chez l’homme est indestructible ; il se développe jusqu’à ce qu’il ait produit toutes ses conséquences. Bouddha n’avait prêché que l’égalité religieuse ; ses disciples finissent par attaquer ouvertement le système des castes. Il nous reste un témoignage remarquable de ce développement progressif de l’idée de l’égalité dans l’ouvrage d’un bouddhiste[62], écrit sous la forme d’un dialogue avec un brâhmane :

Le Bouddhiste demande quel est l’élément essentiel qui constitue un brâhmane. Ce n’est pas la génération, dit-il. A l’appui de cette réponse qui semble hétérodoxe, il cite des brâhmanes qui d’après la tradition indienne sont nés d’un éléphant, d’un hibou, d’une fleur, d’un singe. Mais admettons, poursuit-il, que la naissance d’un homme et d’une femme appartenant à la caste sacerdotale soit nécessaire pour formes un brâhmane ; comment se fait-il donc que les femmes des brâhmanes qui commettent un adultère avec des çûdras, donnent naissance à des brâhmanes ? Le Bouddhiste insiste et rappelle que d’après la loi de Manou, le brahmane est dégradé, quand il mange de la viande etc. ; preuve que ce n’est pas la naissance qui produit le brâhmane : si c’était la naissance, la qualité qu’elle confère ne pourrait être effacée par aucun acte. Serait-ce la science qui fait le brâhmane ? Plus d’un çûdra devrait alors être admis dans la caste dominante, comme étant plus versé dans les Védas que les prêtres eux-mêmes. Qu’est-ce donc qui constitue le brâhmane ? Le Brahmanisme est ce qui éloigne du péché. Il est écrit dans les Védas que les dieux considèrent comme brâhmane, l’homme qui s’est affranchi de l’intempérance et de l’égoïsme. Il est écrit dans tous les livres sacrés que les marques d’un brâhmane sont, la vérité, la pénitence, l’empire qu’on exerce sur les organes des sens ; la miséricorde ; de même, les caractères d’un tchândâla sont les vices opposés à ces vertus. — Le Bouddhiste attaque ensuite la doctrine brahmanique de l’inégalité des çûdras. Sont-ils vils, parce qu’ils ont été créés les derniers ? Il répond : les dents sont-elles supérieures, en dignité aux lèvres, parce que dans une sentence littéraire, les lèvres sont nommées après les dents ? les dents sont-elles plus anciennes pour, cela que les lèvres ? De ce que les çûdras sont nommés en dernier dans le Code de Manou, on ne peut donc pas conclure qu’ils soient d’une autre nature que les brâhmanes. — Chose étrange, s’écrit le Bouddhiste, vous affirmez que tous les hommes procèdent de Brahmâ ; comment alors peut-il y avoir une inégalité fondamentale entre les quatre castes ? Les différences de race sont marquées dans les êtres par une différence d’organisation, ainsi le pied du cheval ne ressemble pas à celui de l’éléphant. Mais je ne sache pas que le pied d’un kchattriya diffère de celui d’un brâhmane où de celui d’un çûdra. Tous les hommes ont la même conformation, tous sont donc égaux. Les brâhmanes et les çûdras sont semblables pour la chair, la peau, le sang, les os, la figure, la naissance et la mort, ils sont don d’une même nature. Interpellant le brâhmane, son interlocuteur, le Bouddhiste lui demande : Dis-moi, le sens du plaisir d’un brâhmane diffère-t-il de à celui d’un çûdra ? L’un ne vit-il, ne meurt-il pas comme l’autre ? Diffèrent-ils dans leurs facultés intellectuelles, leurs actions ? ou les objets de leurs actions ? ne sont-ils pas tous également exposés à la crainte, et sensibles à l’espérance ?[63] La conclusion du Bouddhiste est que, tous les hommes naissant de la femme de la même manière, tous étant sujets aux mêmes nécessités physiques, tous ayant les mènes organes, les mêmes sens, tous sont égaux. Il n’y a d’autre différence entre eux que celle des vertus qu’ils possèdent. Le çûdra qui emploie sa vie entière dans de bonnes actions est un brâhmane. Le brâhmane dont la conduite est mauvaise est un çûdra et pis qu’un çûdra.

Le Bouddhisme primitif était une religion de l’autre monde ; l’égalité qu’il prêchait était l’égalité religieuse. Il ne songeait pas à renverser la constitution politique et civile de l’Inde qui reposait sur l’institution des castes[64] ; mais sa doctrine conduisait logiquement à ce résultat. Il eu fut de mente, du Christianisme. Dans l’esprit de Jésus-Christ l’égalité ne concernait que les rapports de l’homme avec Dieu, les esclaves restaient sous la puissance de leurs maîtres. Mais les principes ne se laissent pas emprisonner ainsi, ils ont vite force d’expansion irrésistible. Le Christianisme a fini par détruire l’esclavage ; le Bouddhisme a ruiné sinon l’organisation sociale fondue sur les castes, du moins la base de cette organisation[65]. 

Le Bouddhisme a donc accompli dans l’Orient une œuvre analogue à celle qui était réservée au Christ dans le monde gréco-romain. Il a aboli les castes et préparé le régime de l’égalité. Il mérite sous ce rapport d’être placé sur la même ligne que le Christianisme. Inspiré par le même sentiment, la charité, l’égalité, il a dû exercer une influence tout ainsi bienfaisante. Pour apprécier le bien que le Bouddhisme a produit dans les contrées immenses où le zèle des missionnaires l’a répandu, nous devrions connaître l’état des peuples au moment de la prédication, les difficultés qu’il a eu à vaincre, celles avec lesquelles il a dit transiger, enfin la Condition actuelle des populations attachées au Bouddhisme. Sur tous ces points, nous n’avons que de vagues et incomplets renseignements[66] ; mais ils suffisent pour mériter au Bouddhisme la qualification glorieuse de Christianisme de l’Orient.

§ 3. — Influence civilisatrice du Bouddhisme.

N° 1. Le Bouddhisme dans l’Inde.

L’Inde est le berceau du Bouddhisme, il y a régné pendant des siècles, il a même été ce que nous appelons religion d’État : des princes puissants l’ont embrassé et ont travaillé avec ardeur à le propager. La charité, principe essentiel de la bonne loi, a-t-elle modifié la politique, les relations internationales de l’Inde sous le gouvernement du Bouddhisme ? Par un rare bonheur, nous possédons une réponse presque authentique à ces questions. Le plus célèbre des rois bouddhistes, Açoka a pris soin de constater ses sentiments, ses actes dans des inscriptions, que le zèle des savants anglais a rendues à la lumière. Grâce à ces documents, il nous est possible de voir la doctrine bouddhique à l’œuvre.

Açoka ne se convertit à la foi nouvelle qu’après être monté sur le trône. Ses premiers actes nous montrent en lui un de ces rajahs de l’Inde qui poussent le despotisme jusqu’à la cruauté. Pour se frayer la voie du pouvoir il mit à mort tous ses frères. La légende rapporte des traits du prince indien qui tiennent de la folie. Il ordonna de couper les arbres à fleurs et les arbres fruitiers et de conserver les arbres à épines ; ses ministres résistant, Açoka fit lui-même tomber leurs têtes, ils étaient cinq cents. Une autre fois il lit brûler ses cinq cents femmes. Le peuple lui donnait le surnom de Furieux[67]. Le premier ministre représenta au roi qu’il n’était pas convenable qu’il remplit lui-même l’office d’exécuteur, qu’il devait établir des hommes chargés de mettre à mort ceux qui seraient condamnés. Açoka nomma un bourreau. Celui-ci, digne agent d’un prince insensé, lui demanda une faveur : que celui qui mettra le pied dans ma maison ne puisse plus en sortir. Le roi répondit : Qu’il en soit ainsi. Un religieux entre, sans le savoir, dans la belle habitation du bourreau. Il est condamné à subir la loi du sang. On le jette dans un chaudron bouillant ; mais le feu n’atteint pas le saint personnage. Açoka est appelé pour être témoin du miracle. Le religieux profite de la circonstance pour le convertir[68].

La conversion fut complète. Le roi s’occupa sans relâche du bien de ses sujets. il s’accusa publiquement d’avoir autrefois négligé ce devoir[69]. Ses préoccupations religieuses ne l’empêchèrent pas de songer à l’amélioration de la condition matérielle des hommes[70] ; il les appelle ses enfants, il emploie ses richesses à fonder des établissements de bienfaisance[71] ; il prodigue ses trésors aux religieux pour les mettre en état d’exercer la charité qui est leur premier devoir et pour favoriser la propagation de la bonne loi, source de sa bienfaisance[72].

La charité qui anime le roi bouddhiste ne le porte pas seulement à des œuvres de bienfaisance matérielle, il veut améliorer les hommes, d’après cette belle maxime de Bouddha que la conversion est la plus belle des aumônes ; il cherche à réprimer les mauvaises passions, à développer les bons penchants[73]. La douceur qui anime la religion indienne se fit jour dans la répression des crimes. Nous avons dit combien les peines sont cruelles dans le Code de Manou. Açoka commença par abolir un grand nombre de supplices ; si nous en croyons une touchante tradition ; le prince bouddhiste aurait même la gloire d’avoir le premier aboli la peine de mort[74].

Cette humanité, vertu si rare dans l’antiquité, accompagnait le roi jusque sur le champ de bataille. Une de ses inscriptions constate qu’après la prise d’une ville, les prisonniers ne furent ni tués, ni réduits en esclavage[75]. La guerre occupe une petite place dans la vie d’Açoka ; il y avait une gloire qui pour lui présentait plus d’attraits que le bruit des armes, c’est la conversion de tous les hommes à la doctrine de bouddha. Il déclare dans ses Inscriptions que le gouvernement de son royaume ne satisfait pas le besoin qu’il éprouve de faire du bien ; il a une plus haute ambition, un plus grand devoir, c’est de procurer le salut au monde entier[76]. L’ardeur de prosélytisme qui l’anime, ne le rend pas intolérant ; il vénère les brâhmanes, il étend sa bienfaisance jusqu’à eux ; c’est par la pratique de la charité, c’est en faisant le bonheur de ses sujets, qu’il cherche à propager la bonne loi[77]. La propagande bouddhiste est comparable à tout ce que la douceur du prosélytisme chrétien a de sublime[78].

Voila quelques traits de la vie d’un prince bouddhiste. Au jugement d’un savant orientaliste, Açoka est un des rois les plus humains, les plus justes, dont l’histoire de l’Orient ait conservé le souvenir[79]. Cependant l’Inde rejeta le Bouddhisme. Est-ce à dire que la doctrine brahmanique l’emporte sur la réforme de Çâkyamuni ? Un historien allemand dit qu’il ne faut pas déplorer l’expulsion des bouddhistes, que la civilisation de l’Inde était attachée au brahmanisme et ne pouvait s’accomplir que par lui[80]. Peut-être le génie de l’Inde était-il trop profondément imbu du dogme brahmanique de l’inégalité, pour accepter une religion basée sur la fraternité humaine[81]. Mais si nous envisageons la lutte des bouddhistes et des brâhmanes du point de vue de l’humanité, nous devons prendre parti jour les premiers. Le brahmanisme était corrompu, usé ; un vice intérieur le rongeait et le rendait incapable de présider au développement progressif de la société dont il s’était arrogé la direction[82]. Le Bouddhisme renfermait un germe de progrès, la destruction des castes ; il rapprochait l’orient de la doctrine qui règne en Europe ; il pouvait faire de l’Inde une nation, assez forte pour maintenir son indépendance. Le brahmanisme, en augmentant à l’infini l’esprit de division livra l’Inde sans défense à l’étranger[83].   

Le Bouddhisme n’a-t-il laissé aucune trace dans l’Inde, où il a régné pendant des siècles ? Le défaut de monuments ne nous permet pas de répondre à cette question. Un savant orientaliste pense que la secte des Djainas se rattache au mouvement de réforme opéré par Çâkya ; leur doctrine parait être une tentative de transaction entre le Brahmanisme et le Bouddhisme[84]. Il y a encore aujourd’hui des sectes qui rejettent les castes ; se seraient-elles inspirées de la bonne loi ? Elles méritent au moins une mention dans nos Recherches.

Lacroze, l’auteur du Christianisme des Indes[85], parle d’un prophète qui reprocha aux brâhmanes leur doctrine sur les castes. La pluie du ciel, disait-il, tombe-t-elle avec quelque différence sur les unes et sur les autres ? Le soleil leur distribue-t-il inégalement sa lumière ? Le genre humain est un, comme Dieu est un seul Dieu.

Le même auteur mentionne une secte qui n’a aucun égard à la distinction des castes. N’avons-nous pas tous, disent-ils, la même origine ? N’avons nous pas tous la même langue et les mêmes lois ? Nous vivons et mourons tous de la même manière ; pourquoi dès lors établir une distinction dans le genre humain ?

Ces sentiments d’égalité se sont transmis jusqu’à nos jours. Il existe parmi les linganistes une secte qui rejette la distinction des castes ; elle soutient que le lingam rend tous les hommes égaux ; un paria même qui embrasse ce culte n’est pas, à leurs yeux, inférieur à un brâhmane. Là où se trouve le lingam, disent-ils, là aussi se trouve le trône de la divinité, sans distinction de rang ou de personnes ; l’humble chaumière du paria où est ce signe sacré est bien au-dessus du palais somptueux où il n’est pas[86].  

Ainsi au milieu du monde oriental, berceau et siége du dogme de l’inégalité naturelle des hommes, la vérité s’est fait jour. Elle n’est pas parvenue à soustraire l’Inde à l’influence toute puissante des brâhmanes ; mais elle a déposé des germes dans le sol indien qui se développeront un jour sous l’inspiration de la civilisation européenne.

N° 2.  Le Bouddhisme dans la Chine.

Le Bouddhisme avait pénétré dans la Chine longtemps avant son expulsion de l’Inde, il est resté la croyance de la plus grande partie du Céleste Empire. Les historiens disent que la bonne loi ne produisit pas sur les Chinois l’influence bienfaisante qu’on serait tenté d’attribuer à une religion de charité et d’humanité ; humble dans le principe et méprisée des lettrés, elle agit favorablement sur l’esprit grossier et ignorant du peuple ; mais lorsque les prêtres eurent l’ambition de faire de leur foi la religion de l’état, la doctrine pacifique et humaine de Bouddha devint un instrument d’intrigue, de révolte et d’oppression[87]. Il est difficile de porter un jugement sur ce qui concerne la Chine, objet des appréciations les plus contradictoires. Un fait recueilli par l’histoire témoigne cependant que le Bouddhisme ne perdit pas son esprit d’humanité en passant en Chine : un empereur, attaché à la bonne loi[88], abolit la peine de mort au nom d’une croyance qui ordonne de respecter la vie de tous les êtres. Si le Bouddhisme ne remua pas plus profondément les âmes dans l’Empire du Milieu, c’est qu’il y avait une opposition radicale entre le caractère de la société chinoise et la religion indienne.

Les bouddhistes apportaient un culte étranger chez une nation infatuée d’elle-même, et dédaignant tout ce qui vient du dehors ; cette religion prêchait le célibat, elle brisait les liens de la famille, le respect des ancêtres, fondement de la société chinoise ; elle enseignait le néant du monde à une race essentiellement positive. Si une chose doit étonner en présence de ces tendances contraires du Bouddhisme et du peuple auquel il s’adressait, c’est qu’il ait trouvé accès dans l’Empire Céleste[89]. Une fois qu’il eut pris racine, cette opposition nième entre le génie de l’Inde et l’esprit de la Chine produisit tin mouvement considérable dans les esprits. Les. Bouddhistes avaient contre eux le corps des lettrés, il’ fallait lutter de science avec eux ; ils se mirent à traduire en chinois les textes sacrés de leur religion ; l’étude des monuments de la sagesse chinoise était une nécessité tout aussi impérieuse[90]. Le contact de deux races, de deux civilisations essentiellement différentes a  dû agir sur l’une et l’antre : Quelles furent les modifications que la Chine imposa au Bouddhisme ? Quelle fut l’influence de l’Inde sur la Chine ? Les témoignages nous manquent pour répondre. LR science européenne a cependant révélé un monument curieux ; qui atteste la profonde impression que le Bouddhisme fit sur les Chinois.

Le Foë-kortë-ki[91] contient l’itinéraire de plusieurs religieux bouddhistes qui partirent de Si’-an, dans la province de Chen Si, l’an 399. Ils traversèrent la Tartarie et s’engagèrent dans les montagnes du Petit-Tibet, où sont les plus hautes chaînes du globe ; franchissant à l’aide de cordes ou de ponts volants, des vallées Inaccessibles et des précipices de huit mille pieds de profondeur, ils arrivèrent sur les bords de l’Indus, qu’ils passèrent pour pénétrer dans des contrées où aucun Européen n’a encore porté ses pas. Après avoir visité l’Afghanistan et les contrées voisines, ils repassèrent l’Indus, et atteignirent le Gange ; ils descendirent ce fleuve et s’embarquèrent à son embouchure pour Ceylan : ils rentrèrent en 414, dans leur patrie, après avoir passé la mer des Indes, relâché à Java et débarqué dans le Chan-toung. Les religieux chinois firent par terre une course de plus de douze cents, et par mer une navigation de plus de deux mille lieues. Quel était le but de cet immense voyage qui nous effraie presque au dix neuvième siècle ? C’est un long pèlerinage dans les diverses régions où Bouddha est honoré ; les pieux voyageurs saluent les lieux qu’illustrent des légendes[92] ou des reliques célèbres, ils recueillent des traditions, des enseignements, des livres sacrés ; ils visitent les monastères[93]. Le Bouddhisme a donc eu la puissance d’inspirer des sentiments profondément religieux à un peuple que l’on a voulu déclarer athée ; il est devenu un lien Intellectuel entre l’Inde et la Chine : n’est-ce pas remplir la mission de la religion ?

N° 3. Le Bouddhisme chez les Barbares.

La Chine était déjà civilisée, lorsque le Bouddhisme s’y introduisit. L’exemple du Bas Empire prouve combien il est difficile à la religion de transformer les vieilles sociétés ; pour une doctrine nouvelle, il faut une race qui ne soit pas usée. C’est avec l’aide des Barbares du Nord que le Christianisme régénéra le monde. C’est aussi sur les nations barbares que le Bouddhisme exerça l’action la’ plus puissante. Les peuples reconnaissants ont conservé dans leurs traditions le souvenir de leu r conversion à la butine loi, comme l’époque d’une nouvelle vie morale : Les Siamois disent que Bouddha commença sa prédication en représentant aux hommes ce qu’il y a de criminel dans la dévastation, et le pillage ; il leur enseigna à cultiver la terre, il les appela à la paix, entre eux et avec toute la création[94]. A Ceylan, l’agriculture, l’instruction, les établissements de bienfaisance, le caractère des habitants, attestent l’influence favorable du Bouddhisme[95]. Les Tibétains étaient barbares ; lorsqu’ils furent visités par les missionnaires indiens ; ils n’avaient rien d’humain, disent les historiens bouddhistes, pas même la forme du corps[96] ; leur religion était un culte sanglant, terrible, né de la peur ; les prêtres étrangers y apparurent comme des messagers célestes ; ils apportaient la paix et l’humanité[97], principe d’une civilisation supérieure.

C’est encore la religion de Bouddha qui a civilisé les peuples nomades de la Tartarie. Nous avons un précieux témoignage de l’action exercée sur les Mongols par le Bouddhisme : une histoire des Mongols orientaux écrite par un Mongol[98]. Un esprit religieux respire dans cette chronique ; l’historien, comme nos annalistes du Moyen Age, ne prend intérêt qu’aux évènements qui concernent sa foi. On petit suivre dans ses récits et dans les notes du savant traducteur les efforts que les princes bouddhistes firent pour humaniser un peuple appartenant à la plus barbare de toutes les races. Nous avons vu dans Açoka le type d’un monarque inspiré par la bonne loi. Chez les Mongols le même spectacle se présente ; mais chez les Barbares de la haute Asie, tout était à créer, agriculture, instruction, douceur des mœurs et des sentiments[99]. La transformation fut complète[100]. Avant leur conversion, les Mongols épouvantèrent l’Asie par leurs atrocités. Ils égorgeaient des tribus entières : des monceaux de cadavres étaient les seuls monuments qu’ils laissaient de leur passage ; les villes et tout ce qui rappelait la civilisation devenait la proie d’une destruction complète. Ce même peuple se soumit à une religion qui considère comme le plus grand péché de tuer un être vivant, ne fût-ce qu’un insecte[101].

Pour apprécier ce que cette révolution a eu de bienfaisant, on n’a qu’à comparer les nations de race turque et mongole que la conquête réunit momentanément sous la domination de Tchingiskhan. Du temps du célèbre conquérant, elles étaient également féroces. Les Turcs sont restés attachés à l’islamisme ; le fanatisme d’un culte intolérant donna un nouvel aliment à leurs habitudes turbulentes et les poussa au carnage et à la rapine ; les Mongols ont embrassé le Lamaïsme ; aussi pacifiques maintenant qu’ils étaient autrefois cruels, ils se livrent exclusivement au soin de leurs troupeaux[102]. Ce changement miraculeux est l’œuvre de la bonne loi.

§ 4. — Bouddhisme et Christianisme.

N° 1. Bouddhisme et Christianisme.

Le Bouddhisme qui a porté la civilisation dans une grande partie de l’Orient, n’a-t-il pas eu de retentissement chez les peuples de l’antiquité classique ? Nous entrons ici dans le domaine des conjectures, tout est matière à discussion, tout est incertitude. Une des plus intéressantes découvertes faites par les orientalistes est une inscription d’Açoka, dans laquelle le prince indien déclare que les rois des Javanas (des Grecs) suivent la bonne loi[103]. Nous tenons compte de l’exagération orientale : nous ne croyons pas que le Bouddhisme ait converti les successeurs d’Alexandre cependant un fait d’une haute importance reste acquis à l’histoire des relations internationales : des rapports ont existé entre le roi bouddhiste, les Séleucides et les Ptolémées ; les bouddhistes ont songé à porter leur religion en Occident. Les barrières de la Chine n’arrêtèrent pas l’ardeur de leur prosélytisme, dans l’Occident les obstacles étaient infiniment moindres. Les communications religieuses étaient possibles ; les inscriptions d’Açoka les rendent probables. Les dogmes de Bouddha auraient donc pénétré quelques siècles avant notre ère dans le monde gréco-romain ; ils auraient été un des éléments de cette grande fusion des philosophies et des cultes qui caractérise la fin de l’antiquité. Il est constant que le Bouddhisme eut une influence puissante sur certaines hérésies chrétiennes, notamment celle des Manichéens[104]. Mais le Christianisme naissant ne s’est-il pas lui-même inspiré de la doctrine bouddhique ?

Les analogies ne manquent pas entre les deux religions. L’esprit qui les anime est le même, c’est la charité. Les rapports sont si nombreux, qu’on a considéré la religion de Bouddha comme une espèce de Christianisme, importé par les Nestoriens. Les ressemblances sont plus étonnantes encore entre le Bouddhisme dans la forme définitive qu’il a revêtue au Tibet, et le Christianisme tel qu’il s’est développé dans l’Église de Rome. Les premiers missionnaires catholiques dans l’Asie Centrale ne’ furent pas peu surpris de trouver au c’entre de l’Orient des monastères nombreux, des processions solennelles, des pèlerinages, une cour pontificale, des collèges de lamas supérieurs, élisant leur chef, souverain ecclésiastique et père spirituel de millions de fidèles. Les pieux voyageurs n’hésitèrent pas à représenter le Bouddhisme comme un plagiat du catholicisme. Les philosophes du dernier siècle relevant et exagérant tous les traits de cette singulière parenté, insinuèrent que la théocratie lamaïque pourrait bien être le modèle de la Papauté[105].

On peut expliquer une partie de ces analogies par des emprunts que le lamaïsme fit au catholicisme. A l’époque où les successeurs de Bouddha s’établirent au Tibet, la partie de la Tartarie qui touche cette contrée était remplie de chrétiens ; les bouddhistes, pour multiplier le nombre de leurs sectateurs, s’approprièrent les pompes du culte catholique qui attirent et frappent la foule ; ils introduisirent quelques-uns de ces usages de l’Occident, que les ambassadeurs du Khalife et du Pape leur vantaient également[106]. Mais cette explication que nous empruntons à un savant orientaliste n’est pas entièrement satisfaisante. Le Bouddhisme est antérieur au Christianisme ; il n’a pas pu emprunter aux catholiques l’idée du célibat et des religieux mendiants ; les couvents d’hommes et de femmes existaient dans l’Inde six siècles avant Jésus-Christ dis cette époque les bouddhistes pratiquaient la confession[107] ; ils honoraient les saints et les saintes[108] ; ils vénéraient les reliques[109] de Bouddha dont ils avaient trouvé moyen de conserver jusqu’à l’ombre[110]. Il est presque impossible que tant d’institutions et de croyances se soient développées identiquement en Orient et en Occident, sans qu’une liaison ait existé entre les deux religions. N’est-il pas probable que le Christianisme a puisé aux sources du Bouddhisme, comme il a profité des autres traditions religieuses et des spéculations philosophiques de l’antiquité[111] ?

N° 2. Appréciation du Bouddhisme.

Le rapprochement que nous établissons entre le Christianisme et toutes les doctrines antérieures indique suffisamment qu’à nos yeux la religion qui a civilisé l’Occident n’est pas une copie de la loi de Bouddha. Quelle que soit l’analogie qui existe dans les sentiments de charité, de fraternité, des chrétiens et des bouddhistes, une immense distance les sépare, c’est la notion de Dieu et de la Vie. Tout naît et périt, renaît et périt de nouveau, d’après une inconcevable fatalité[112]. Cette désolante conviction que le Bouddhisme a trouvée enracinée dans l’Inde, et qu’il n’a pas songé à détruire, conduit logiquement à une espérance plus désolante encore, celle de l’extinction de la personnalité. Si la vie est le mal, il faut détruire la vie pour échapper au mal[113], Le suprême désir du bouddhiste est le nirvâna. Si nous en croyons Burnouf, le nirvâna est l’absorption de la vie individuelle dans le néant, la destruction finale de l’esprit précipité dans le vide[114]. Cette conception de la vie conduit à l’athéisme, ou plutôt elle en dérive ; aussi l’orientaliste français admet-il que l’enseignement primitif du Bouddhisme a été absolument athée[115].

Si telle était effectivement la doctrine de Bouddha, on devrait dire avec un écrivain belge que le Bouddhisme est la plus monstrueuse erreur qui ait signalé les temps antérieurs à Jésus-Christ[116]. Mais il nous répugne de croire que le néant et le vide soient le principe d’une religion qui a prêché la charité et la maternité, et qui a civilisé un monde. L’accusation d’athéisme a été, trop prodiguée ; nous dirons avec Voltaire, qui est ici l’organe du sens commun de l’humanité : aucun gouvernement ne fut athée par principe et ne le sera jamais[117]. N’en est-il pas ainsi a-t bien plus forte raison de la religion[118] ? Une religion, sans Dieu est une chose monstrueuse, impossible[119]. Que les bouddhistes se soient trompés sur Dieu et la vie, nous l’admettons, et c’est dans cette fausse conception que nous voyons son immense infériorité vis-à-vis du Christianisme. Ce qu’on appelle une doctrine athée, c’est ce panthéisme fatal u on trouve au fond de tous les dogmes, de toutes les spéculations de l’Inde. Le Dieu du Christianisme est distinct du monde, il en est le Créateur ; les hommes conservent leur personnalité vis-à-vis de l’Être suprême ; le mal n’est pas l’œuvre de Dieu, il a sa source dans la volonté humaine, c’est aux hommes à le détruire en développant leurs facultés intellectuelles et morales ; mais si leur destinée est de se rapprocher de Dieu, ils ne se confondront jamais arec lui. Le Dieu du Panthéisme est un Dieu sans individualité, sans conscience de son être, un Dieu soumis à la fatalité, car le monde émane nécessairement de son sein ; un Dieu qui n’aime point, car il n’y a pour lui ni mauvais ni bon ; lui-même ne peut être ni bon ni mauvais, toute distinction se perdant au sein de son indiscernable unité[120].

La conception de Dieu étant fausse, toute la doctrine du Bouddhisme a dû s’en ressentir. En vain prescrit-il la charité, l’humanité ; ces vertus ne sont que des degrés inférieurs conduisant à une perfection plus haute, et cette perfection, c’est l’anéantissement de l’activité humaine. Aussi la religion de Bouddha, bien que ses tendances morales la rapprochent du Christianisme, entraînée par le principe panthéistique qui la domine, s’est-elle perdue comme les autres .religions de l’Inde, dans les extravagances du quiétisme. La distinction du juste et de l’injuste, du bien et du mal n’existe plus pour celui qui a atteint au plus haut degré de cet état de perfection : Pour l’ascète, un ennemi ou lui-même, sa femme ou sa fille, sa mère ou une prostituée, tout cela est la même chose ![121] Que peut devenir la morale dans un pareil système ? On a reproché au catholicisme l’abus des observances machinales ; mais l’ascétisme matériel de l’Espagne n’approche pas de l’usage des roues de prière[122], l’apathie asiatique a appliqué la machine à la communication essentiellement spirituelle de l’homme à Dieu.

Offrir comme but à l’humanité, l’anéantissement, présenter le monde comme livré à un fatalisme irrémédiable ; c’est détruire la moralité, la civilisation dans leur source. Il n’y a pas de moralité sans liberté, il n’y a pas de civilisation sans effort, sans lutte. Le Bouddhisme engourdit au lieu de les développer, les forces vives de l’homme. Le triste idéal d’une société bouddhique existe au Tibet : c’est une nation de moines contemplatifs, le monde n’existe pas pour eux, ils ont oublié jusqu’à la charité de leur maître[123]. Cette absence d’activité, de vie est la raison qui a empêché le Bouddhisme de pénétrer dans l’Occident, c’est une religion indienne, orientale ; malgré ses prétentions à l’universalité, elle partage le caractère local, national, de tous les cultes de l’antiquité. Le Christianisme est la première religion qui ait eu le droit de s’adresser à l’humanité entière.

Mais si nous admettons l’incontestable supériorité du Christianisme sur la religion de Bouddha, nous ne pouvons nous associer à la critique exagérée qu’on a faite de la doctrine bouddhique Un orientaliste qui nous a servi de guide dans nos travaux, attaque pour ainsi dire le Bouddhisme corps a corps[124]. Après l’avoir accuse d’athéisme, il lui conteste son action civilisatrice, il fait de l’état des populations livrées au culte de Bouddha un acte d’accusation contre la’ doctrine elle-même[125]. On dirait que les écrivains catholiques voient un adversaire dans le Bouddhisme ; mais au lieu de le combattre sur le terrain de la propagande, ils nient ce qu’il y a de réellement grand dans ce christianisme indien :ils ne s’aperçoivent pas qu’une partie des reproches qu’ils adressent au Bouddhisme retombent sur leur propre foi.

Le Bouddhisme, dit-on, n’a pas arraché la Chine à son isolement volontaire, à son esprit exclusif, à sa haine de l’étranger[126]. Pour être justes, les adversaires du Bouddhisme auraient dû se rappeler l’impuissance de l’Évangile à rendre une vie nouvelle à la société ancienne, il a fallu l’invasion des Barbares pour régénérer le monde. Le Bas Empire, où les peuples germaniques ne pénétrèrent pas, ne cessa de végéter dans la plus longue décrépitude, malgré le Christianisme. Au dix-septième siècle, on proclama dans toute l’Europe que les missionnaires catholiques avaient converti l’Empire chinois ; les missionnaires ont fini par être expulsés, et leurs longs travaux sont restés stériles. Le commerce a été plus puissant que la religion, il a brisé l’isolement de la Chine ; cette révolution donne l’espoir d’un nouvel avenir pour le, monde oriental.

L’état politique, religieux, social de l’Indochine paraît encore plus défavorable au Bouddhisme[127]. Il est certain que la religion y a dégénéré en un cérémonial purement matériel[128] ; les populations sont restées à demi sauvages ; malgré la douceur de la morale bouddhique, elles se distinguent par leur cruauté ; nulle part il n’y a tant de mépris pour la vie de l’homme, tandis qu’on recule devant le meurtre l’un animal, comme devant le plus grand des crimes[129]. Nous pourrions encore charger davantage ce sombre tableau ; mais est-ce au Bouddhisme qu’il faut attribuer la barbarie, l’immoralité qui règnent dans les royaumes de Siam, d’Ava, du Tonkin et de la Cochinchine ? Lassen, tout en reconnaissant que le Bouddhisme n’a pas pu civiliser les Indochinois, en cherche avant tout la raison, dans les dispositions de la nation ; c’est une de ces races malheureuses que la civilisation détruit, mais qu’elle n’élève pas[130]. Le Christianisme est-il parvenu à transformer des sauvages eu chrétiens ?

Nous ne poursuivrons pas plus loin la justification du Bouddhisme contre des reproches que nous croyons exagérés. Un enseignement assez triste résulte de ces discussions. S’il est vrai de dire que le Bouddhisme est infecté du vice radical de toutes les doctrines indiennes, s’il ne lui a pas été donné de pénétrer dans le monde occidental, le Christianisme aussi a été impuissant jusqu’ici à transformer l’Orient. Les missions ont échoué au point qu’un écrivain anglais a pu dire que pas un seul Indien ne s’était sincèrement converti à la foi chrétienne[131]. Doutant de la force de l’Évangile, des indianistes distingués n’ont pas hésité à déclarer que peut-être la bonne loi serait plus propre à régénérer l’Inde[132]. En présence de ces faits, soyons sobres d’accusations et de reproches, et tout en déplorant l’impuissance actuelle des religions, ne désespérons pas de l’avenir, car ce serait nier la providence. Mais aussi la décadence actuelle du Bouddhisme : ne doit las nous empêcher de reconnaître les services qu’il a rendus à l’humanité dans le passé. Quand il n’aurait fait qu’introduire dans l’Orient l’idée de l’égalité, nous devrions y voir un immense progrès vers une meilleure organisation sociale pour tout un monde qui a gémi jusqu’ici sous le régime de l’inégalité. S’il n’a pas pu transformer entièrement les peuples au milieu desquels le zèle des missionnaires l’a répandu, il les a du moins arrachés à la barbarie primitive[133]. Le Bouddhisme a été un lien entre des peuples qui étaient séparés par les distances, divisés par les haines[134]. Il a donc contribué dans l’Orient, comme le Christianisme, dans le reste du monde, à préparer l’unité du genre humain[135].

 

 

 



[1] Burnouf, Introduction à l’histoire du Bouddhisme indien, 1844.

Idem Considérations sur l’origine du Bouddhisme (Revue Indépendante, 1re série, T. VIII, p. 282).

Lassen, Indische Alterthumskunde, t. II.

Nève, De l’état actuel les études sur le Bouddhisme (Revue de Flandre, T. I).

[2] D’après Berghaus (Grundriss der Geographie, Bülfs und Nachtweisungstafeln, p. 122), le Christianisme comprend 474.490.700 âmes, le Bouddhisme 455.160.000 ; la religion mahométane compte 69.880.000 sectateurs. Mais ces calculs ne sont qu’approximatifs ; les 358 millions de Chinois, que Berghaus attribue au Bouddhisme, ne suivent pas tous cette religion. D’un autre côté les renseignements exacts, manquent sur l’Indochine.

[3] Burnouf, Considérations (Revue Indépendante, T. VIII, p. 232) ; Introduction, p. 70.

[4] Voyez sur ces difficultés chronologiques, Lassen, T. II, p. 51-61.

[5] De là son surnom de Çâkya sinha, le lion de la race des Çâkya. Lassen, T. II, p. 67.

[6] Le solitaire de la race des Çâkya. Lui-même s’appelait Çramana Gautama (ascète de la famille des Gautama, un richi des temps anciens). Burnouf, Introd., p. 155 ; Lassen, T. II, p. 67.

[7] Cette consciente du mal qui s’éveille dans Çâkyamuni, a donné lieu à de belles légendes : Un Dieu se place quatre fois sous ses pas, avec un déguisement différent. C’est d’abord sous l’aspect d’un vieillard. Le prince demande : Qu’est-ce que cet homme ? On lui fait une peinture énergique et sombre des misères de la vieillesse. Bouddha, tourmenté du désir de connaître la vraie doctrine, et déjà accablé de tristesse, revient plus triste encore. — Le prince sort de nouveau. Le dieu prend cette fois la forme d’un malade gisant au bord du chemin. Ses yeux ne voyaient pas les couleurs, ses oreilles n’entendaient pas les sons, ses pieds et ses mains cherchaient le vide, il appelait son père et sa mère, et s’attachait douloureusement à sa femme et à son enfant. Le prince demande : Qu’est ceci ? Suit une peinture de l’état de maladie. Le prince réfléchit de lui-même peut être semblable a ce malheureux ; il pense à la triste condition des hommes et il s’écrie : Je regarde le corps comme une goutte de pluie ; quel plaisir peut-on goûter dans le monde ? Un autre jour, le dieu se changea en un homme mort, qu’on portait hors de la ville. Le prince demanda : Qu’est-ce que cela ? Ici un horrible tableau des suites physiques de la mort. Le prince poussa un long soupir, prononça quelques vers mélancoliques, et s’en revint à son palais, considérant tristement que tous les êtres vivants étaient soumis aux tourments et aux douleurs de la vieillesse, de la maladie et de la mort. Enfin le dieu se déguise eu religieux, et révèle au prince la vraie doctrine, par laquelle on s’élève au-dessus des misères de la vie et des vicissitudes de l’être, en supprimant les désirs, et en atteignant, par la quiétude, à la simplicité du cœur. Quand un homme est parvenu à ce point d’abnégation, il est délivré de l’affliction et de la douleur, il obtient le salut par l’extinction (Ampère, dans la Revue des deux Mondes, 1833, T. Il, extrait de la Relation des Royaumes bouddhiques. Comparez Lassen, T. II, p. 69).

[8] Mahâvansi, p. 2, v. 11. Lassen, T. II, p. 69, n° 1.

[9] Burnouf, Introduction, p. 154.

[10] La racine sanscrite budh, signifie, parvenir à la connaissance, savoir, de là le mot buddha, celui qui est parvenu à la connaissance, le sage (Schott, Über den Buddhaismus in Hochasien und in China, dans les Jahrbücher der Berliner Akademie, 1844, p. 162). — Comparez Burnouf, Introduction, p. 71, note).

[11] Burnouf, Considérations, p. 235. Introduction, p. 145. — Benfey, dans l’Encyclopédie d’Ersch, Sect. II, T. XVII, p. 38.

[12] Von Bohlen, De Buddhaismi Origine, p. 6-8 ; Id., Das alte Indien, T. I, p. 321. — Burnouf, Journal Asiatique, 1re série, T. VII, p. 200. — Lassen, Indische Alterth., T. I, p. 830 et suiv. ; T. II, p. 60.

Dans le Bhagavad-Gitâ il y a des traces d’égalité religieuse ; le brâhmane et l’homme le plus dépravé, les êtres les plus vils sont égaux aux  yeux de Crichna, tous sont appelés au salut : Quicunque ad me confugiunt, etiamsi in peccati utero sint concepti, tum mulieres, coloni, nec non servi ; hi quoque supremam viam ingrediuntur (IX, 82). — In Brachmana, doctrina et modestia prædito, in boye, in elephanto, tunc etiam in cane atque in homine, qui canina carne vescitur, sapientes idem cernunt.

Ce sentiment d’égalité est aussi empreint dans le Bhâgavata Purâna, le livre sacré des adorateurs de Bhagavad. L’homme de la plus haute extraction, sur ta laque duquel ton nom se trouve, devient par là l’homme le plus respectable (III, 33, 7). Je ne vois pas, si ce n’est dans la pratique, le moindre fondement a cette opinion qu’il existe des différences entre les hommes (V, 10, 13). Alors Bhagavad aborda les habitants de la ville, saluant tout le monde, de la tête, de la voix, de sourire ; en bénissant jusqu’aux tchândâlas eux-mêmes (I, 11, 22, 23).

[13] Charma, Philosophie orientale, p. 9.

[14] C’est ainsi que les Bouddhistes appellent leur doctrine. Lassen, T. II, p. 70, 71, 79. — Burnouf, Introduction, p. 159, 194.

[15] Lœbell, Die Weltgeschichte in Umrissen, T. I, p. 110, 111.

[16] la lutte dura huit siècles (Wilson, Sanscrit Dictionnary, Préface, p. XX). — Lassen (T. II, p. 445-447) donne quelques détails sur la lutte.

[17] Vers du Sancara Vigaja de Mâdhara, cités par Wilson, Sanscrit Dictionaary, Préface, p. XVIII.

[18] Au VIIe siècle de notre ère (Nève, Revue de Flandre, p. 469).

[19] Klaproth, Vie de Bouddha d’après les traditions mongoles (Journal asiatique, 1re série, T. IV, p. 16, 17).

[20] Deshauteraye, Recherches sur la religion de Fo (Journal asiatique, 1re série, T. VII, p. 168).

[21] Lassen, Tome II, p. 79, 84. Les Bouddhistes se rendaient à ces conciles des contrées les plus étonnées de l’Inde. Après que la Chine fut initiée à la bonne loi, on vit des voyageurs chinois faire des voyages de six cents lieues, pour visiter la terre sainte où avait germé le Bouddhisme (Lassen, T. II, p, 452).

[22] L’an 240 avant notre ère, sous le célèbre roi bouddhiste Açoka. Lassen, T. II, p. 229, 230, 242. Comparez plus bas, § 3, n° I.

[23] Lassen, T. II, p. 247 et suiv.

[24] L’année 247. Lassen, T. II, p. 54.

[25] Lassen, T. II, p. 55.

[26] Dans le premier siècle de l’ère chrétienne, d’après Kaempfer, Histoire du Japon, p. 141.

[27] Nève, du Bouddhisme (Revue de Flandre, T, I, p. 462, 469, 470).

[28] Burnouf, Introduction, p. 152, 152 ; Considérations, p. 225.

[29] Dans la théorie du Véda, les dieux se nourrissent de ce qu’on offre au feu, qui est leur messager sur la terre, Burnouf, Introduction, p. 339.

[30] Lassen, T. II, p. 440. — Burnouf, Introduction, p. 335, 336, 339.

[31] Benfey, dans l’Encyclopédie d’Ersch, S. II, T. XVII, p. 202. — Stuhr, Die Religionssysteme der heidnischen Völker des Orients, p. 183, 184.

[32] Stuhr, Die Religionssysteme, p. 187.

[33] Julien appelle les chrétiens des athées, parce qu’ils ne croient pas aux idoles (Epist. XLIX, p. 429, D, éd. Spanheim.)

[34] Stuhr, Die Religionssysteme, p. 100, 191. — Les brâhmanes reprochaient aux bouddhistes d’enseigner que le plaisir est le but principal de la vie ; que tous les actes d’abstinence, de culte, de charité, ne servent à rien ; que le corps est le vrai bien de l’homme, et doit seul être soigné ; qu’une nourriture recherchée, des vêtements précieux, des femmes aimables font le bonheur de l’homme. Bochinger, De la vie contemplative, p. 178, 179.

D’après Burnouf, (Introduction, p. 161), la caste sacerdotale avait des griefs plus personnels et plus intéressés contre les bouddhistes. Ces derniers, livrés comme les brâhmanes à la vie ascétique, et se recommandant aux respects du peuple par la régularité de leur conduite, enlevaient aux religieux des autres sectes une partie des hommages et des profits qui leur revenaient auparavant.

[35] Lassen, T. II, p. 441. — Burnouf, Introduction, p. 159.

[36] Burnouf, Introduction, p. 336 : Le Bouddhisme, par son principe de charité universelle a conquis le premier rang parmi les anciennes religions de l’Asie.

[37] Stuhr, Die Religionssysteme, p 1559 179. — Schott, Über den Buddbaismus, p. 162. — Les Bouddhistes renchérissent sur les Indiens dans le tableau qu’ils font du néant de la vie : La naissance et la mort se confondent ; la vie n’a rien de réel, elle disparaît sans laisser plus de traces que l’arc-en-ciel dans les airs. Il n’y a pas plus de réalité dans la parole, elle s’évanouit comme un éclair ; le corps est une fleur du temps sans bornes, qui ne fait que s’épanouir et se faner (Schmidt, Geschichte der Ostmongolen, p. 30).

[38] Benfey, dans l’Encyclopédie d’Ersch, II, 17, p. 202. — Schott, Über den Buddhaismus, p. 162.

[39] Bouddha lui-même enseigna cette loi aux hommes. La troisième révélation qu’il reçut, portait : La force de la miséricorde établie sur des bases inébranlables, une compassion sans bornes pour toutes les créatures. Klaproth, Vie de Bouddha (Journal Asiatique, Ire série, T. IV, p. 76).

[40] Relation des royaumes bouddhistes, traduite du chinois, par Rémusat, p. 75. La légende sur le sacrifice que Bouddha fait de sa vie pour sauver et celle d’un tigre est rapportée d’après les sources mongoles par Schmidt (Grammaire mongole, p. 166 et suiv.). La tradition place cette action dans une existence antérieure de Gautama, ainsi à une époque où il n’avait pas encore atteint la qualité de Bouddha ; fils d’un prince, il rencontre dans une forêt une tigresse qui menaçait de périr d’inanition avec ses petits ; il se jette devant la tigresse, celle-ci ne le touche pas ; croyant que la faiblesse de l’animal l’empêche de le dévorer, il fait lui-même sacrifice de sa vie. (Comparez Schmidt, Forschungen im Gebiete der Bildungsgeschichte der Völker Mittelasiens, p. 183-186).

[41] Bouddha depuis sa retraite du monde ne vécut que d’aumônes (Lassen, T. II, p. 74). Ses disciples portaient le nom de mendiants, bhixu (Lassen, T. II, p. 71. — Bhixu signifie littéralement celui qui vit d’aumônes. Voyez Burnouf, Introd., p. 275).

[42] Ampère, dans la Revue des deux Mondes, 1837, T. II, p. 411. — Burnouf, Introduction, p. 335. Dans une belle légende sur la charité, Bouddha dit à ses disciples : Si les êtres, ô Religieux, connaissaient le fruit des aumônes, le fruit et le résultat de la distribution des aumônes, comme j’en connais moi-même le fruit et les résultats, certainement, fussent-ils actuellement réduits à leur plus petite, à leur dernière bouchée de nourriture, ils ne la mangeraient pas sans en avoir donné, sans en  avoir distribué quelque chose (Burnouf, Introduction, p. 90 et suiv.).

[43] Von Bohlen, Das alte Indien, T. I, p. 329.

[44] Les voyageurs chinois qui visitèrent l’Inde au quatrième siècle font la description d’un de ces asiles élevés par la charité de leurs coreligionnaires : ce tableau mérite une place dans des Recherches qui ont pour objet de poursuivre le développement historique de l’idée de l’humanité : Les délégués que les chefs du royaume entretiennent dans la ville y ont établi chacun une maison de médicaments de bonheur et de la vertu ; les pauvres, les orphelins, les boiteux, enfin tous les malades des provinces vont dans ces maisons, où on leur donne tout ce dont ils ont besoin. Les médecins y examinent leurs maladies ; on leur sert à boire et à manger selon les convenances, et on leur administre des médicaments. Tout contribue à les tranquilliser. Ceux qui sont guéris, s’en vont d’eux-mêmes.

[45] Les princes doivent faire personnellement le bien et exciter la bienfaisance, une partie des bonnes actions qu’ils provoquent leur seront comptées comme un mérite personnel (Von Bohlen, Das alte Indien, T. I, p. 329, 330).

[46] Voyez plus bas, Livre IV, des Hébreux, chap. 3, § 3.

[47] Burnouf, Introduction, p. 87 ; Considérations, p. 285.

[48] Schott, Über den Buddhaismus, p. 278, 279.

[49] Schott, Über den Buddhaismus, p. 247.

[50] Schott, Über den Buddhaismus, p. 255, 256.

[51] Von Bohlen, Das alte Indien, T. I, p. 328, 330.

[52] Burnouf, Introduction, p. 198, 199.

[53] Les passages que nous citons sont extraits d’un des livres religieux des bouddhistes népalais, intitulé le lotus blanc, de la bonne loi ; des fragments ont été traduits par Burnouf, Revue Indépendante, Ire série, T. VII, p. 520-534.

[54] C’est le nom d’un des premiers disciples de Bouddha. Kâçyapa était de la caste brahmanique (Burnouf).

[55] Le terme Tathâgata est synonyme de Bouddha, il signifie celui qui est venu comme les Bouddhas antérieurs (Burnouf).

[56] Revue indépendante, T. VII, p. 521, 522.

[57] Benfey, dans l’Encyclopédie d’Ersch, II, 17, p 20, 203. Les religieuses, de même que les religieux, sont soumises à l’observation de la chasteté et à la nécessité de mendier pour vivre ; ou les nomme Bhikchunis ; les Bhikchus appellent, les religieuses leurs Sœurs dans la loi (Burnouf, Introduction, p. 278).

[58] Burnouf, Introduction, p. 210-211 ; Considérations, p. 240

[59] Burnouf, Introduction, p. 205-210 ; Considérations, p. 238-240.

[60] Rémusat, Mélanges d’histoire et de littérature orientales, T. I, p. 134.

[61] Rémusat, ibid., p. 118, 119.

[62] Hodgson l’a traduit dans les Transactions of the royal asiatic Society of Great Britain, T. III, p. 160 et suiv.

[63] Il y a une ressemblance remarquable entre  le raisonnement du Bouddhiste et la magnifique apostrophe du Juif de Shakespeare (Merchant of Venice, III, I).

[64] Burnouf, Introduction, p. 210.

[65] Il n’y a pas de castes chez les peuples qui suivent le Bouddhisme. Par une singulière exception à ce fait, la distinction des castes subsiste chez le peuple qui a le premier adopté la bonne loi, chez les Singhalais. L’anomalie est plus apparente que réelle ; en effet la caste des brâhmanes sur laquelle repose tout l’édifice social de l’Inde, ne peut pas se maintenir là où pénètre la doctrine, bouddhique. Le sacerdoce à cessé d’être héréditaire à Ceylan ; le corps chargé d’enseigner la loi ne se recrute plus par la naissance, il est remplacé par une assemblée de religieux voués au célibat qui sortent indistinctement de toutes les classes (Burnouf, Introduction, p. 212-213 ; Considérations, p. 241).

[66] Dans l’état actuel de nos connaissances, dit un des plus savants orientalistes, il est impossible d’écrire une histoire du Bouddhisme, qui embrasse les destinées de cette religion dans l’Inde, et chez les peuples qui l’ont successivement adoptée (Burnouf, Introduction, p. II).

[67] Tchandâçoka, Açoka le furieux.

[68] Burnouf, Introduction, 365 et suiv. — Lassen, T. II, p. 225 et suiv.

[69] Lassen, T. II, p. 254-255.

[70] Voyez quelques détails dans Lassen, T. II, p. 258.

[71] Le décret est rapporté dans les Göttingische gelehrte Anzeigen, 1839, T. II, p. 981 et suiv. — Comparez Lassen, T. II, p. 258-259. — Benfey, dans l’Encyclopédie d’Ersch, S. II, T. 17, p. 70,

[72] Les traditions sur la libéralité d’Açoka sont empreintes de l’exagération orientale. Il fit présent à l’assemblée des Aryas de la grande terre, de ses femmes, de la foule de ses ministres, de lui-même. Cependant les inscriptions prouvent qu’il y a un fond de vérité dans ces traditions (Burnouf, Introduction, p. 426-130. — Lassen, T. II, p. 260 et suiv.).

[73] Lassen, T. II, p. 259.

[74] Des mendiants brahmaniques brisèrent des statues de Bouddha. Açoka, transporté de fureur s’écria : Celui qui m’a portera la tête d’un mendiant brahmanique recevra un Dînâra. Le frère du roi, qui avait embrassé la vie ascétique, s’était retiré pour une nuit dans la cabane d’un pasteur ; il souffrait encore d’une maladie, ses vêtements étaient en lambeaux ; ses cheveux, sa barbe, ses ongles d’une longueur démesurée. La femme du pasteur eut cette réflexion : C’est sans doute un brâhmane que cet homme, qui est venu dans nôtre cabane pour passer la nuit. Elle propose à son mari de tuer le mendiant. On porte a tête au roi. Asoka à cette vue tombe évanoui. Ses ministres lui dirent : Tes ordres, ô roi, ont attiré le malheur même sur un sage exempt de passion : accorde, en les révoquant, la sécurité à tout le monde. Le roi rendit le repos au peuple en défendant qu’à l’avenir on mît personne à mort (Burnouf, Introduction, p. 123 et suiv. — Lassen, T. II, p. 291).

[75] Lassen, T. II, p. 259.

[76] Lassen (T. II, p. 256, note 1) donne le texte de l’Inscription.

[77] Lassen, T. II, p. 263-264.

[78] Burnouf, Considérations, p, 237 : Un roi pressait Bouddha de confondre ses adversaires par des miracles. Ô roi, lui répond Bouddha, je n’enseigne pas la loi à mes disciples en leur disant : Allez et opérez des miracles devant les brâhmanes et les maîtres de maison que vous rencontrerez ; mais voici comment je la leur enseigne : Vivez, ô religieux, en cachant vos bonnes œuvres et en montrant vos péchés.

[79] Lassen, T. II, p 254 et suiv.

[80] Lœbell, Die Weltgeschichte in Umrissen, T. I, p. 118.

[81] Comparez Benfey, dans l’Encyclopédie d’Ersch, S. II, T. I7, p. 205.

[82] Rémusat, Mélanges asiatiques, T. I, p. 142,144 : La réforme samanéenne eût été un grand bienfait politique pour les habitants mêmes de l’Indoustan, si elle avait pu prévaloir parmi eux sur le culte des brâhmanes, de ces mortels si sages qui n’enseignent que des folies, qui craignent d’écraser un insecte, et qui tolèrent les sacrifices humains ; défenseurs intéressés d’un ordre de choses où non seulement les rangs, les dignités, les avantages de la vie sociale, mais les péchés et les mérites, les châtiments du vice et les récompenses de la vertu sont, depuis trois mille ans, subordonnés une classification fantastique ; héréditaire et irrévocable. Moins entichés d’observances puériles et de préjugés barbares, les bouddhistes ont, à la vérité, permis l’usage de la chair des animaux, mais ils ont rappelé l’homme à la dignité qu’il tient de son Créateur ; ils ont eu moins de respect pour les vaches et les éperviers, mais ils ont montré plus de commisération pour les artisans et les laboureurs.

[83] Lassen, T. II, p 441. — Benfey, dans l’Encyclopédie d’Ersch, S. II, T. 17, p. 75.

[84] Benfey, dans l’Encyclopédie d’Ersch, S II, T. II, p. 206.

[85] Lacroze, Histoire du Christianisme des Indes, livre VI (T. II, p. 297, 298).

[86] Dubois, Mœurs et coutumes des Indiens.

[87] Klaproth, Tableaux historiques de l’Asie, p. 62. — Pauthier, la Chine, p. 257.

[88] Pauthier, La Chine, p. 277

[89] Schott, Über den Buddhaismus, p 181, 182.

[90] Rémusat, dans son Mémoire sur un voyage dans l’Asie Centrale, exécuté à la fin du IVe siècle de notre ère par plusieurs Samanéens de la Chine (Mémoires de l’Institut, T. XII), donne quelques détails sur ce mouvement littéraire. Dès le IIe siècle de l’ère chrétienne, des ouvrages bouddhiques furent traduits en chinois, par des religieux venus de l’étranger. Un religieux indien qui s’établit à Si-an-fou vers la fin du IVe siècle, forma plusieurs disciples qui tous s’occupèrent à rassembler et à interpréter en chinois les textes sacrés de leur religion ; plusieurs passèrent dans l’Occident, les uns dans le pays des Ouigours, les autres dans la Ville des Fleurs (Patna), avec la mission de recueillir des livres. Les religieux étrangers venaient, en foule à Si-an-fou.

[91] Foë-kortë-ki ou Relation des royaumes bouddhistes, traduit du chinois, par Rémusat, 1836. Ampère a donné une analyse intéressante de cet ouvrage dans le Revue des deux Mondes, 1877, T. II.

[92] Ici, il naquit au pied d’un arbre, et l’on voit encore l’étang où se fit sa première ablution. Là, il obtint les sublimes connaissances qui devaient l’assimiler à la divinité. Plus loin, il commença à faire tourner la roue de la doctrine, c’est-à-dire à prêcher sa religion. Dans un autre endroit, il fut placé sur un bûcher, et s’abîma pour jamais dans une divine extase. Non loin de là, quatre puissants rois des Indes, à la tête d’armées nombreuses étaient sur le point de livrer une bataille sanglante ; on les accorda en leur partageant par égales portions les reliques du saint personnage qui venait de quitter la terre.

[93] Rien n’égale la richesse des monastères, la somptuosité des ornements du culte, la magnificence des cérémonies qui se pratiquaient dans les principales villes... Au milieu de ces pompes, les Bouddhistes étaient si modestes, si graves, si attentifs à leurs devoirs, si rigides observateurs des lois de la décence et de la religion, qu’un des voyageurs chinois ne put se résoudre à les quitter. Il jura, qu’alors même qu’en vertu des lois de la métempsycose, il atteindrait un jour à la dignité divine ; il voudrait passer ses jours au milieu de ces saints personnages. Il se fixa parmi eux, laissant ses compagnons achever leur voyage et retourner sans lui dans une patrie qui était loin de lui offrir un spectacle aussi édifiant.

[94] Stuhr, Die Religionssysteme der heidnischen Völker des Orients, p. 296.

[95] Stuhr, Die Religionssysteme, p. 288. — Ritter, Asien, T. IV, p. 284. — Lassen, T. II, p. 419.

[96] Schmidt, Geschichte der Ostmongolen, p. 461.

[97] Pavie, le Tibet (Revue des deux Mondes, 1847, T. III).

[98] Geschichte der Ostmongolen, übersetzt von Schmidt, 1819.

[99] Schmidt, Geschichte der Ostmongolen, p. 31, 329 et passim.

[100] Klaproth, Journal Asiatique, Ire Série, T. IV, p. 9, et Tableaux historiques de l’Asie, p. 62, note : Les farouches nomades de l’Asie Centrale ont été changés par le Bouddhisme en hommes doux et vertueux. — Comparez Rémusat, Mélanges posthumes, p. 383 ;  id., Recherches sur les Tartares, p. 224.

[101] Schmidt, Geschichte der Ostmongolen, Préface, p. XVI.

[102] Rémusat, Mélanges asiatiques, T. I, p. 143, 144.

[103] Lassen, Indische Alterthumskunde, T. II, p. 140-143.

[104] Von Bohlen, Das alte Indien, T. I, p. 369-390.

[105] Rémusat, Mélanges d’histoire et de littérature orientales, T. I, p. 163-164.

[106] Rémusat, Mélanges, T. I, p. 188, 189.

[107] La confession était déjà en usage, du vivant de Çâkyamuni (Burnouf, Introduct., p. 299). L’institution des monastères est également fort ancienne dans le Bouddhisme (Burnouf, ibid., p. 311).

[108] Comparez Von Bohlen, Das alte Indien, T. I, p. 338-348.

[109] Sur le culte des reliques, voyez Burnouf, Introduction, p. 348-357.

[110] Benfey, dans l’Encyclopédie d’Ersch, S, II, T. 17, p. 202.

[111] Cette intéressante question partage les savants : Ch. Emmanuel (dans l’Encyclopédie Nouvelle, au mot Thibet, T. VIII, pp 491) croit que le Christianisme s’est inspiré du Bouddhisme. Biot (Journal des savants, 1845, p. 188, note) émet l’opinion contraire : Si, l’on compare les systèmes de doctrines qui caractérisent les deux croyances et les circonstances seulement humaines qui ont accompagné leur développement, il est aisé de reconnaître que cette dérivation serait philosophiquement non moins qu’historiquement impossible.

[112] Stuhr, Die Religionssysteme der heidnischen Völker des Orients, p. 156.

[113] Schott, Über den Buddhaismus, p.171.

[114] Burnouf, Introduction, p. 18, 19, 521, 522, Appendice, note 1. — D’après Hodgson, la question de savoir si le nirvâna est un anéantissement éternel ou le repos éternel, partage les diverses sectes, entre lesquelles le Bouddhisme est divisé. La plupart de Bouddhistes, dit-il, admettent !a première opinion ; ceux mêmes qui soutiennent la dernière, avouent que le nirvâna fût-il l’anéantissement absolu, serait encore un bien ; l’homme étant dans le cas contraire condamné à une migration éternelle à travers toutes les formes de la nature, dont la plus désirable n’est pas à envier et doit même être évitée à tout prix (Hodgson, Notice sur la religion des Bouddhistes du Népal, dans le Journal asiatique, IIe série, T. VI, p. 261).

[115] Burnouf, Introduction, p. 520, 521.

[116] Nève, Revue catholique, 1845, mai, juin.

[117] Voltaire, Fragments historiques sur l’Inde, art. XXII.

[118] Von Bohlen, dans sa Dissertation sur l’origine du Bouddhisme, combat avec force l’accusation d’athéisme portée contre la doctrine de Bouddha on croirait, dit-il, que la haine des brahmanes poursuit leurs rivaux jusqu’en Europe (p. 9). D’après lui aucune religion n’est plus opposée à l’athéisme que celle de Çâkya ; le savant orientaliste ajoute qu’il y a presque de la démence à croire tout un peuple athée, lorsqu’on rencontre à peine un homme qui ose nier l’existence de la divinité (p. 14).

[119] Schott (Über den Buddhaismus, p. 170) donne une autre interprétation du nirvâna qui se concilie avec l’existence d’un être suprême.

Von Bohlen interprète le nirvâna dans le même sens ; d’après lui, ce mot indique plutôt une unification qu’une annihilation.

Rémusat, dans ses Mélanges posthumes d’histoire et de littérature orientales (p. 24), suppose que les sectateurs les plus éclairés de Çàkya ont partout et toujours reconnu un Bouddha pour principe, dont les autres ne sont que des émanations : Mais il est certain, dit-il, que cette notion fondamentale est demeurée étrangère aux bouddhistes pris en masse, aux nations converties, comme aux indiens eux-mêmes. Le Bouddhisme est un système athée. Ailleurs le savant orientaliste s’exprime d’une manière moins défavorable. M. Hodgson, dit-il (Journal des Savants, 1881, p. 724), a eu parfaitement raison d’admettre comme base du système entier, l’existence d’un être parfaitement bon et intelligent. On ne saurait opposer à son opinion que des arguties mystiques, fondées sur une intelligence incomplète des textes, ou sur des obscurités résultant de l’imperfection du langage philosophique chez les différents peuples qui ont embrassé le Bouddhisme. Enfin, dans un autre passage, Rémusat qualifie la doctrine des Bouddhistes de panthéisme, et la compare à celle des Stoïciens (Mélanges posthumes, p. 185, 186).

[120] Ampère, dans le Revue des deux Mondes, 1887, T. II, p. 413. — Schott, Über den Buddhaismus, p. 172.

[121] La plume se refuse, dit Burnouf, à transcrire des doctrines aussi misérables (Introduction, p. 358).

[122] On colle sur des roues ou cylindres des morceaux de papier sur lesquels sont écrites diverses oraisons. Au lieu de réciter les prières, on tourne la roue ; cette opération compte aux assistants, comme sils eussent dit l’oraison ; dans certains endroits, on a tellement simplifié le travail, que les roues tournent par l’effet d’un poids suspendu comme un tourne-broche, ou du vent, comme les moulins. Il ne manque à cette sublime invention bouddhiste, dit un spirituel écrivain, que l’application de la machine à vapeur ; mais les Anglais sont dans l’Inde, et il ne faut désespérer de rien (Ampère, dans la Revue des deux Mondes, 1887, T. II, p. 412).

[123] Pavie, le Thibet, dans la Revue des deux Mondes, 1847, T. III.

[124] Nève, De l’état présent des Études sur le Bouddhisme (Revue de Flandre, T. I).

[125] Nève, Revue de Flandre, p. 457 et suiv., 527 et suiv.

[126] Nève, p. 539.

[127] Nève, p. 540.

[128] Benfey, dans l’Encyclopédie d’Ersch, S. II, T.17, p. 335, 336.

[129] Ritter, Asien, T. II, p. 1175 et suiv.

[130] Lassen, Indische Alterthumskunde, T. I, p. 461. – Comparez Benfey, dans l’Encyclopédie d’Ersch, S. II, T. 17, p. 834, 842, 848.

[131] Montgomery Martin, The political, commercial and financial condition of the Anglo Indian Empira in 1842, p. 194.

[132] Benfey, dans l’Encyclopédie d’Ersch, II, 17, p.188.

[133] Klaproth, Journal Asiatique, Ire Série, T. IV, p. 9 : Aucune autre religion, excepté celle de Jésus-Christ, n’a autant contribué à rendre les hommes meilleurs que celle de Bouddha.

[134] Lassen, Indische Alterth., T. II, p. 442, 443.

[135] Rémusat, Mélanges posthumes : On a appelé le Bouddhisme, le Christianisme de l’Orient, et, à la convenance près, cette exagération exprime assez bien l’importance des services qu’il a rendus à l’humanité.