DE LA RACE ET DE LA LANGUE DES HITTITES

 

INTRODUCTION.

 

 

Le peuple énigmatique des Hittites, mis à l'ordre du jour de la science par les découvertes de l'égyptologie et de l'assyriologie, soulève quelques-uns des problèmes les plus attrayants de l'histoire de l'Asie antérieure. Comme en toute question controversée, les essais de solution se succèdent, sans cesse réfutés et toujours renaissants ; comme en toute question obscure, on fonde les espérances les plus audacieuses sur les hypothèses les plus hasardées.

On espère éclaircir, grâce aux Hittites, le mystère de l'origine des peuples caucasiens et soulever le voile qui couvre, depuis des siècles, le berceau de la civilisation étrusque. On compte arracher aux populations primitives de l'Asie-Mineure le secret de leurs migrations, et rattacher l'art archaïque de la Grèce aux vieux foyers de l'art oriental. Et ce ne sont là que les prétentions modestes !

Les chercheurs plus entreprenants nous promettent, par surcroît, d'expliquer la langue accadienne ou sumérienne, la langue basque, la civilisation touranienne de l'Asie protohistorique, les inscriptions indéchiffrées de la Sibérie, l'alphabet celtibérien, cypriote, coréen, les symboles des Mound-builders et les pictographies mexicaines. La langue des Hittites a été rangée tour à tour parmi les idiomes alarodiens ou caucasiens, touraniens, semitico-chananéens, araméens et aryens. L'ethnographie a été bouleversée et on a prétendu reconnaître en Syrie les vestiges d'une race qui s'étend en Lybie en France et jusque dans la Grande-Bretagne. L'histoire universelle a été dotée d'un empire nouveau, l'empire Hittite, digne de prendre place, en ses annales, à côté des empires d'Égypte et d'Assyrie.

On voit que l'imagination s'est donné libre carrière. Est-ce à dire que tout soit faux dans les théories qui ont été émises ? Nul n'oserait le prétendre. Les autorités les plus graves ont essayé de discerner la part de vérité et d'erreur qu'elles renferment, et l'on pressent généralement qu'une solution définitive aura pour l'histoire ancienne des conséquences d'une importance extrême et d'un caractère inespéré.

Or, ce qu'il importe de faire pour hâter ce moment, c'est moins d'augmenter le nombre des hypothèses proposées que de fixer des points de repère sûrs, de mettre de l'ordre dans ce que nous savons déjà et de multiplier le nombre des matériaux dont nous disposons actuellement. Depuis quelques années plusieurs expéditions scientifiques ont reçu pour mission de rechercher les vestiges du peuple hittite répandus en Asie-Mineure et dans la Syrie septentrionale ; leurs travaux ont été fructueux[1].

Je voudrais dans ce travail examiner à fond les questions qui se rattachent à la race et à la langue des Hittites. Mon seul but est de mettre de la méthode dans les faits que nous connaissons, d'écarter les hypothèses aventureuses et d'indiquer ainsi, par voie d'élimination, la direction dans laquelle des chercheurs plus heureux pourront trouver la solution du problème.

 

 

 



[1] Je citerai notamment l'expédition Humann et Puchstein en Asie-Mineure et en Syrie, entreprise pendant les années 1882-1883 (Reisen in Kleinasien und Nordsyrien, Berlin, 1890, avec 1 atlas). Un comité, formé en Allemagne, sous le nom d'Orient-Komitee a fait pratiquer des fouilles en Syrie pendant les années 1888, 1889, 1890 sous la direction de M. Humann. Les objets trouvés ont été transportés à Berlin ; ceux provenant des expéditions de 1883 et 1888, sont catalogués dans la Verfzeichnis der Vorderasiatischen Altertümer, Berlin, 1889, not. pp. 37 sq. L'Asia Minor Exploration Fund, établi à Londres, a fait explorer une partie de l'Asie-Mineure et de la Syrie du Nord en 1892 et 1891. Les résultats de ces recherches sont annoncés dans l'Athenæum, 1890, n° du 26 juillet, 16 août, 4 et 18 octobre ; 1891, n° des 15 et 22 août, 5, 12 et 26 septembre. La direction de Tchinly-Kiosk (Constantinople) s'occupe également de recueillir les restes hittites. J'y ai vu, en août 1881, deux énormes lions, une sculpture représentant un homme à cheval, une autre représentant deux personnages assis. Cette dernière porte une inscription de plusieurs lignes en caractères araméens archaïques, en relief. Le tout proviendrait, à ce qu'on prétendait, de Sendscherly (Syrie du Nord).