UN DRAME AUX TUILERIES SOUS LE SECOND EMPIRE

 

II. — UNE FAVORITE.

 

 

Lady Stuart, en répondant à l'ambassadeur d'Angleterre, qu'elle avait été simplement intéressée par ce qu'elle avait vu et entendu, aux Tuileries, avait été habile, car elle avait ainsi indiqué la volonté de ne point révéler l'état exact de sa pensée. Elle ne croyait pas utile, en effet, de faire étalage, alors, des sentiments qui la pouvaient animer, comme de sembler connaître ceux qu'elle avait inspirés.

Elle avait été plus qu'intéressée, en vérité, durant la soirée qu'elle avait passée au château, et si elle y était entrée incertaine et comme livrée au courant brutal des choses, à la spontanéité d'un hasard, comme interrogative devant les circonstances qui allaient, plus ou moins rapidement, décider de sa fortune, elle en était sortie joyeuse, enfiévrée par toute l'espérance folle d'un rêve qui eût paru, à tant de femmes, irréalisable.

Dans le succès qui l'avait portée, presque vertigineusement, en avant de toutes les femmes qui, ce soir-là, étaient réunies autour des souverains, elle avait eu la conscience très nette de sa situation, et, de tous les hommes qui lui avaient souri, qui s'étaient inclinés devant elle, elle n'avait vu, elle n'avait voulu voir qu'un homme — l'Empereur. D'un bond prodigieux, son désir, son ambition, son orgueil s'étaient trouvés élevés sur un sommet d'où elle exigeait qu'ils ne descendissent pas.

L'Empereur lui était apparu tel qu'il était toujours, bon, gracieux, galant, quoiqu'un peu ténébreux. Il avait, pour elle, donné quelque importance à son amabilité, et elle avait assez l'habitude d'une Cour pour ne pas ignorer qu'elle pouvait tout attendre, désormais, de cette marque spéciale de bienveillance.

L'Empereur ne lui avait pas déplu. Il savait être un charmeur, en certaines heures, et il avait tenté de la séduire. Cependant, l'impression qu'il lui avait fait éprouver ne la retenait que médiocrement ; et dans le souvenir du tête-à-tête qu'elle avait eu avec lui, elle ne sentait, elle ne voulait sentir qu'une chose : c'est que Napoléon III l'aimerait, si elle l'autorisait, dans l'avenir, à l'aimer.

Là, pour elle, était la question importante : céderait-elle aux prières de l'Empereur et se ferait-elle, comme tant d'autres qui l'avaient précédée, sa maîtresse ?

Elle savait l'énorme facilité qui caractérisait les intrigues amoureuses, aux Tuileries.

Elle savait que la plupart des femmes qui se donnaient au souverain, qui répondaient à son appel, étaient aussitôt délaissées que prises. Elle s'indignait à la pensée d'être traitée ainsi qu'elles et, tout en s'affermissant dans la résolution de s'emparer de l'attention de Napoléon III, elle s'ingéniait à trouver le moyen de n'être pas seulement, pour lui, un dérivatif sensuel — une amusette sans lendemain.

Lady Stuart était fort intelligente, mais toute son intelligence semblait paralysée devant l'inconnu qui se dressait, soudain, en face d'elle, masquant l'au-delà de son espoir comme de son bonheur.

L'hésitation qui la troublait n'avait amené, d'ailleurs, aucun changement dans sa conduite apparente, dans la régularité de sa mondanité, et elle s'était remontrée aux Tuileries, depuis sa présentation, soit dans le cercle des femmes qui fréquentaient ordinairement le château, soit aux Lundis de l'Impératrice.

Napoléon III lui avait continué ses bons offices, et rien, dans la réserve étudiée qu'il témoignait en sa présence, ne paraissait devoir mettre un terme à son impatience intime, lorsqu'une après-midi, étant chez elle et rêveuse, ennuyée peut-être, on vint l'avertir qu'un personnage qui avait refusé de dire son nom, demandait à lui parler.

Lady Stuart eut, un moment, l'idée de congédier celui qui venait ainsi l'importuner dans ses réflexions, dans son repos ; mais elle était morose, mais elle était nerveuse ; elle ne vit, dans le visiteur, qu'un remède offert par le hasard au tourment de sa pensée, et elle commanda qu'on le fit entrer.

L'homme qui se présenta à elle, alors, avait l'aspect vague d'un magistrat. Assez vulgaire d'allures, quoique de tenue irréprochable, la boutonnière de sa redingote parée du ruban rouge, l'œil souriant et inquisiteur, comme mobilisé par une machinale ou instinctive habitude, il s'avança vers la jeune femme et, la saluant profondément, il se nomma. C'était M. Hyrvoix.

En entendant prononcer le nom très redouté du chef de la police particulière de l'Empereur, lady Stuart eut un tressaillement involontaire qui n'échappa point au rusé fonctionnaire et dont il s'égaya même, car un sourire malicieux courut sur sa lèvre. L'inquiétude de la comtesse Ellen s'expliquait. Ayant fait sensation à la Cour, elle pouvait tout craindre, désormais, comme tout espérer. Elle pouvait craindre que sa beauté eût porté ombrage à l'Impératrice, que son triomphe eût déplu à quelque puissant, que sa qualité d'étrangère même — d'étrangère un peu mystérieuse, affectant presque l'attitude d'une aventurière — eût été suspectée, et que l'une de ces raisons, que toutes ces raisons même, ne lui valussent la visite de M. Hyrvoix chargé de la prier, courtoisement, de quitter Paris.

Le policier devina cette appréhension et la dissipa vite.

— Rassurez-vous, madame, dit-il, en dépit de mon nom et de mes fonctions, je suis, aujourd'hui, un messager de paix et je ne viens porter aucun trouble en votre demeure.

— Soyez le bienvenu, alors, monsieur, répondit la jeune femme, en mettant une sorte de franchise brutale dans ses paroles, et veuillez me faire connaître le motif de votre présence chez moi.

Avant de s'expliquer et de s'asseoir, M. Hyrvoix fit rapidement, des yeux, le tour de la pièce où il se trouvait. C'était un petit salon que drapaient, sur toutes ses faces, des tentures.

— Je vous demande pardon, madame, de retarder notre entretien, reprit-il ; mais comme ce que j'ai à vous communiquer est fort délicat, doit être tenu secret, je désirerais être assuré que nulle oreille indiscrète ne peut être en mesure de m'écouter au travers de ces murs.

Lady Stuart, très-intriguée, se leva, sortit et rentra, presque aussitôt, en fermant à clef les portes du salon.

— J'ai ordonné, fit-elle, qu'on ne me dérangeât sous aucun prétexte, et nous n'avons pas de surprises à craindre, puisque nous voilà enfermés comme deux amoureux.

M. Hyrvoix eut un geste qui marquait comiquement et respectueusement, à la fois, sa neutralité sentimentale, et se rapprochant de la jeune femme, pour ne pas être obligé d'élever la voix, il lui exposa la mission qui lui avait été confiée.

— C'est Sa Majesté l'Empereur qui m'envoie vers vous, madame, commença-t-il.

Lady Stuart eut, comme malgré elle, un sursaut, et un éclair brilla en son regard.

— Sa Majesté ?

— Oui, madame, affirma le policier qui remarqua encore la nervosité de son interlocutrice. Sa Majesté a bien voulu m'ordonner de vous faire savoir qu'Elle s'intéresse beaucoup à vous et qu'elle souhaiterait d'avoir, avec vous, une entrevue.

Et très adroit, feignant de ne pas se douter des intentions qui animaient l'Empereur, il ajouta :

— Vous appartenez, madame, à la haute société anglaise. Vous avez connu, au temps où vous habitiez Londres, un grand nombre de personnages politiques. Je crois que Sa Majesté serait heureuse d'obtenir, de vous, quelques indications confidentielles qui lui seraient utiles personnellement, et dont la divulgation n'entraînerait aucun préjudice pour votre pays.

Lady Stuart ne fut pas la dupe de cette feinte, de cette correction parfaite du langage atténuant la délicatesse extrême du message qui lui était apporté. Mais, à l'exemple de M. Hyrvoix, elle se fit comédienne.

— Je suis aux ordres de l'Empereur, monsieur, déclara-t-elle, et j'attendrai qu'il daigne m'interroger.

Le policier continua :

— Sa Majesté désirerait que l'entretien que vous voulez bien lui accorder, madame, eût lieu en dehors des Tuileries. Vous plairait-il que l'Empereur se rendit chez vous, demain, dans la soirée, dans l'incognito le plus absolu ?

Les faits se précipitaient et lady Stuart, devant leur soudaineté, était un peu pâle.

— Je vous répète, monsieur, que je suis aux ordres de l'Empereur. Demain, je congédierai mes serviteurs et je serai seule : il pourra venir sans redouter d'indiscrétions.

En prononçant ces paroles, elle s'était inclinée. Mais, tout à coup, elle se redressa et parut avoir comme un effroi.

— Savez-vous bien, monsieur, que cette visite de l'Empereur ne me laisse pas sans inquiétude. Si, malgré toutes les précautions, il allait être reconnu en entrant chez moi ou en en sortant ? Si un malheur, un accident, que sais-je, allaient le menacer ?... J'ai peur, je l'avoue, des responsabilités qui me frapperaient, alors. Ne pensez-vous pas que Sa Majesté sera imprudente en accomplissant cette démarche ?

M. Hyrvoix fit, de la main, un geste d'indifférence.

— Soyez sans crainte, madame, pour la sûreté de l'Empereur. Je serai avec Sa Majesté et je sais la garder.

Lady Stuart eut un gentil sourire.

— Vous êtes un dévoué, vous, fit-elle.

M. Hyrvoix, qui s'était levé et qui s'apprêtait à se retirer, mit alors une impertinence aimable et moqueuse dans sa réplique comme le mot cynique qui fait paraître moins équivoque, souvent, une action, en indiquant, chez celui qui la formule, ayant accompli la besogne exigée, la conscience de son action :

— Vous le voyez, madame, murmura-t-il.

Et il quitta la jeune femme.

Quand, ce jour-là, un domestique vint avertir lady Stuart — l'heure du dîner étant sonnée — qu'elle était servie, il la trouva étendue sur des coussins, dans le même petit salon où elle avait reçu M. Hyrvoix, et ce fut comme dans un mouvement d'automate qu'elle obéit à l'appel familier du valet et qu'elle se dirigea, le regard perdu, la pensée loin d'elle-même, vers la salle à manger de son hôtel. Elle était seule. Elle ne toucha à aucun des mets qui lui furent offerts ; elle se fit apporter du champagne, en but quelques verres et, abandonnant brusquement la table, courut s'enfermer dans sa chambre où, dans une détente de tous ses nerfs, elle se jeta sur son lit et sanglota. Les joies et les douleurs, dans la vie, ont cette commune bizarrerie qu'on entre en elles, souvent, en versant des larmes. Etait-ce une joie, était-ce une douleur au-devant desquelles marchait, alors, lady Stuart ? Elle n'aurait pu répondre à cette question ; mais elle payait son tribut à l'avenir mystérieux, en pleurant.

 

Lorsque l'Empereur se présenta, le lendemain, à l'heure convenue, chez la jeune femme, elle était plus calme ; elle avait le sens très net des faits qui, de cette rencontre si vivement souhaitée, pouvaient naître. Prête à la chute, elle avait résolu, cependant, de mettre en valeur l'abandon de sa personne, et ce fut dans tout le calcul précis d'une liaison durable et non dans la frivolité ou dans le banal orgueil d'une curiosité, qu'elle attendit son impérial visiteur.

Elle avait à redouter, pourtant, dans l'exécution du plan qu'elle s'était tracé, pour l'efficacité de ses desseins, que l'Empereur ne se fit, avec elle, ce qu'il était avec presque toutes les femmes — pressant, et oublieux étant satisfait ; ne mît, dans un rapide baiser, le désir en même temps que l'indifférence.

Dès qu'il fut auprès d'elle, en effet, Napoléon III se montra tendre, passionné, et lui fit connaître, sans trop de détours, sans trop de précautions oratoires, l'impression qu'il ressentait à sa vue.

Commencé ainsi, l'entretien ne pouvait avoir qu'un résultat : l'immédiat échange d'une caresse aussitôt effacée que partagée.

Lady Stuart comprit que si elle s'attardait avec le souverain, avec celui qu'elle voulait séduire et s'attacher, en ce marivaudage périlleux, c'en était fait de ses projets ; qu'il en serait, de son espérance, de sa personne, comme des espérances, comme des personnes de toutes celles que la pensée d'une heure vécue dans l'intimité de l'Empereur, avait affolées et déçues.

Dans une réserve aimable, dans une coquetterie étudiée et qui se garde, elle laissa l'Empereur lui parler ; elle l'écouta dans l'aveu de son amour ainsi que dans l'expression de son violent désir ; mais lorsqu'il tenta d'être audacieux, elle se défendit et, habilement, avec une phrase, redevint maîtresse de la situation.

Moitié rieuse, moitié sévère, elle arrêta l'élan de son visiteur.

— Etes-vous bien sincère, sire, lui dit-elle, en ce moment, et ne me trompez-vous pas en vous trompant vous-même, sur l'importance, sur la nature réelle des sentiments que vous exprimez ?

L'Empereur, un peu interloqué, balbutia :

— Je vous assure, madame...

— Oui, oui, reprit lady Stuart, je sais, je devine tout ce que vous allez me dire... tout ce que vous avez dit, sans doute, déjà, à tant d'autres femmes. Eh bien, c'est cela qu'il ne faut pas que j'entende. On ne me parle pas, sire, comme à toutes les femmes, ou plutôt, je ne réponds pas de la même manière qu'elles aux tendres discours que l'on veut bien m'adresser.

Napoléon III, de plus en plus surpris, gêné même par l'attitude de la jeune femme — attitude à laquelle il était peu préparé — essaya encore de parler. Mais elle ne lui permit pas de se ressaisir.

— Je m'explique, continua-t-elle. Certes, je n'ignore pas le prix de votre affection, sire. Mais je n'ignore pas davantage que si elle apporte une grande joie passagère, à quelques-unes, elle procure aussi, à quelques autres moins nombreuses, mais plus sensitives, plus soucieuses d'elles-mêmes, des chagrins, des regrets qui ne sont pas éphémères. — Vous m'aimez, dites-vous. Je ne mettrai pas de diplomatie, dans ma pensée, et il me sera aisé, il me sera agréable de répondre à votre aveu par un aveu identique. Je me sens toute disposée à vous aimer. Mais dans cette communion d'idées, de sentiments, qui nous rapproche, se trouve justement le danger qui nous menace, le danger que je veux éviter. — Vous êtes inconstant, sire ; vous n'avez pas le droit, même, d'être fidèle à une femme. Vous seriez inconstant avec moi, si je cédais à vos prières, comme vous l'avez été avec d'autres. Il vous serait ordonné, peut-être, de m'oublier plus vite que toutes les autres femmes, étant donnée ma personnalité, plus vite, oui, que vous n'avez oublié celles que vous avez charmées. Et si la minute qui aurait été nôtre devenait, alors, légère à votre souvenir, elle serait lourde à mon cœur, à mon orgueil. Ne vaut-il pas mieux que, dans l'inégalité de sentiments et de situation qui existe entre nous, je reste, simplement, pour vous, au point de vue intime, une inconnue ?

L'Empereur n'était pas habitué à tant d'éloquence, dans la résistance, de la part des femmes qu'il remarquait à la Cour. Il sentit qu'il avait, devant lui, une individualité peu vulgaire, et au lieu d'éprouver un ennui à l'écouter, au lieu d'être rejeté loin d'elle, sensuellement, par le demi refus qu'elle lui opposait, il s'en éprit davantage.

Lady Stuart semblait l'inviter à une explication décisive, à une promesse à laquelle il lui serait défendu de se dérober. Il ne tenta point de fuir cette explication et, dans les paroles qu'il prononça alors, et qui sont fortcurieuses, il mit comme cette promesse qu'elle sollicitait sans oser la formuler.

S'étant levé et marchant, de long en large, dans le salon, les mains derrière le dos, il se prit à lancer des mots, des phrases, d'abord heurtés, puis plus accentués, plus soutenus ; et bientôt le timbre de sa voix, d'abord sourd, s'éleva fort, comme rythmé.

— Vous avez raison, madame ; vous n'êtes pas de celles qu'on délaisse et qui servent à la satisfaction d'un banal caprice. Vous êtes intelligente autant que vous êtes belle et vous méritez qu'on vous aime, vraiment, dans toute la joie, dans toute la quiétude des affections durables. C'est ainsi que je veux vous aimer et vous avez tort de dresser, contre moi, l'inconstance que j'ai témoignée, je ne saurais le nier, en diverses occasions. — Ah, cette inconstance que l'on me reproche, si vous en connaissiez les causes, si celles mêmes qui en ont souffert avaient pu en deviner les motifs, elle ne vous apparaîtrait plus, elle ne leur apparaîtrait plus sous une apparence coupable. — Un homme peut dire beaucoup de choses à une femme, madame, à une femme qu'il désire, surtout ; et je vais, si vous me le permettez, vous faire une confession. — Je suis inconstant, je recherche la société et les caresses de la femme ; mais pourquoi suis-je ainsi, pourquoi, en moi, cette ardeur au plaisir, sans cesse assouvie, sans cesse renaissante ? L'aveu est pénible à exprimer ; mais vous le recevrez, car vous êtes la seule femme qui m'ait parlé comme vous venez de le faire. J'ai aimé, madame, profondément, follement, et j'ai été déçu. J'ai joué ma fortune politique, mon nom, le prestige de mon trône, le dévouement de mes partisans, contre le cœur d'une femme, et, en échange de tant de choses sacrifiées, je n'ai obtenu que de l'indifférence. Voilà le secret de mon inconstance, de ce que l'on appelle mes nombreuses bonnes fortunes.

Lady Stuart, qui écoutait l'Empereur avec intérêt, avec effroi presque, eut un brusque mouvement, et un cri involontaire jaillit de ses lèvres :

— Eh quoi, sire, l'Impératrice...

Napoléon III se tournant vers elle et s'arrêtant, dans sa marche, répliqua avec une sorte de rudesse :

— L'Impératrice ne m'aime pas, madame, l'Impératrice ne m'a jamais aimé. Mon cas est commun et je ne suis pas le seul homme, je le sais, que le destin frappe ainsi. Mes pareils, ordinairement, se consolent en donnant un dérivatif à leur douleur, à leur amertume : ils boivent ou ils jouent. Un souverain ne peut jouer et ne peut boire, mais il lui reste les femmes. Je suis allé à elles, comme l'amant ou l'époux malheureux va à l'absinthe, va aux cartes. Vous le voyez, mon inconstance n'est pas compliquée, n'a rien qu'une femme sincèrement aimée, comme je sens que je vous aime, puisse redouter et doive, surtout, me reprocher.

L'Empereur se tut. Puis, il reprit sa promenade au travers du salon, attendant, sans doute, que lady Stuart le rappelât auprès d'elle. Mais la jeune femme, accoudée sur un divan, le visage un peu assombri, songeait, et ses yeux, à demi clos, semblaient comme fixés sur la troublante ébauche d'une vision.

Le silence était profond. Napoléon III le rompit :

— Vous ne me répondez rien, madame ?

Lady Stuart, alors, dirigea vers lui son regard alangui.

— Que vous dirais-je, sire ? murmura-t-elle. La confiance que vous venez de me témoigner m'inquiète et me réjouit, en même temps...

Et comme l'Empereur s'avançait vers elle, s'inclinait, elle ajouta, en le maintenant éloigné, de son bras allongé et caressant :

— Je vous plains et je vous aime.

Napoléon III tenta de s'emparer de la main qui le frôlait. Mais lady Stuart le repoussa doucement et, dans une supplication, elle lui dit :

— Oui, je vous aime, sire, mais cet aveu ne signifie pas que je doive être à vous. Je serais heureuse, je serais fière, certes, de vous offrir un peu de joie, de panser les blessures faites à votre âme. Mais c'est là une satisfaction trop haute pour moi et je n'ose pas l'espérer. Je vous en prie, retirez-vous, laissez-moi ; j'ai besoin de réfléchir, de m'interroger, de connaître si, en me donnant à vous, en devenant votre maîtresse — pourquoi taire le mot ? je saurais vous procurer la tendresse que vous méritez ; car le seul souci de votre bonheur s'impose à moi, désormais.

Et elle répéta :

— Je vous en prie, il faut que je sois seule, laissez-moi.

L'Empereur, dans le contentement qu'il éprouvait en pensant que cette femme lui appartiendrait, lui appartenait même déjà, moralement, et dans le renoncement à toute immédiate possession qui lui était imposé, demeurait interdit, sans paroles. La scène que lady Stuart avait amenée, le faisait timide, et ce fut dans le balbutiement d'un adolescent amoureux qu'il l'implora.

— Comment vous revoir, madame ? Comment apprendre votre décision ? La jeune femme apaisa son inquiétude.

— La prochaine fois que je paraîtrai aux Tuileries, je vous donnerai ma réponse, sire. Si je ne porte aucun bijou, vous pourrez me considérer comme votre plus fidèle amie.

L'Empereur eût souhaité d'obtenir une promesse plus formelle. Mais il comprit que lady Stuart ne lui donnerait rien de plus, en cette première entrevue intime, qu'une assurance énigmatique ; et lorsqu'il la quitta, dans la demi certitude qu'il venait d'acquérir, il constata qu'en lui s'était accrue la passion que lui avait inspirée la comtesse Ellen.

De son côté, la jeune femme le vit s'éloigner contente d'elle-même, contente de l'habileté avec laquelle elle avait su se faire désirer, de l'assurance, aussi, qu'elle avait versée dans la nature comme dans les conséquences de sa future liaison.

Lady Stuart ne s'était pas trompée, en vérité, sur les sentiments et sur les impressions qu'elle avait fait naître chez celui qui régnait aux Tuileries. Il attendit sa venue au château avec une impatience fiévreuse ; et quand elle s'y montra, quelques jours après la conversation qui vient d'être rapportée, sans la moindre parure, il eut un frisson délicieux.

 

L'année 1866 s'était achevée dans l'attente de la grande féerie que l'Empire voulait offrir à l'Europe — au monde — et les jours magiques de l'Exposition de 1867 étant nés, ce fut, à la Cour, un redoublement de fêtes et de folies.

Les empereurs et les rois passaient au travers des Tuileries, alors, éblouis, mais aussi comme effarés. Ces hommes et ces femmes qui se présentaient à eux ; dans tout le charme incontestable de frivolités élégantes, les surprenaient ; et, tout en goûtant la séduction de leurs âmes aimables, ils ne pouvaient s'empêcher de songer qu'ils s'étaient fait, de l'entourage de Napoléon III, une idée plus haute, qu'ils avaient eu, de cet entourage, à distance, une impression plus profonde. La Cour leur apparaissait, étrangement, comme une réunion de mâles et de femelles créés pour la joie, réfractaires à toute pensée sérieuse et marchant dans le plaisir, vertigineusement, comme des bêtes emballées dans la surexcitation de leurs nerfs.

Les hommes, quelle que soit leur condition sociale — rois aux citoyens — ne sont puritains, ne se font les défenseurs obstinés de la vertu, qu'en leur milieu, que sous leur toit, ayant des raisons spéciales et personnelles, alors, pour paraître sévères.

Les chefs d'États que Napoléon III avait appelés auprès de lui, en 1867, firent rapidement bon marché de l'étonnement que leur avait causé l'attitude des familiers des Tuileries, et comme, après tout, ils n'étaient pas venus à Paris pour s'ennuyer, ils acceptèrent avec quelque empressement les spectacles qui leur étaient donnés et, ne dédaignant pas de s'y mêler, en qualité d'acteurs même, ils s'amusèrent.

Lady Stuart était depuis quelque temps la maîtresse de l'Empereur, lorsque l'Exposition fut inaugurée.

Elle succédait, dans le cœur du souverain, à une femme à l'influence de laquelle il s'était longtemps soumis. Cette femme — qu'il est inutile de nommer ici — avait elle-même remplacé auprès de l'Empereur la fameuse comtesse de Castiglione, et plus qu'elle, avait été sa conseillère en politique. D'une beauté très piquante, elle était surtout remarquable par son intelligence, et elle avait su, en dépit de quelques incidents, s'imposer à Napoléon III tout en se faisant l'une des inséparables de l'Impératrice. Le souverain avait besoin d'elle, d'ailleurs, plus intellectuellement que sensuellement, et il n'avait pas hésité à la protéger ouvertement, de son autorité, contre toute attaque.

Lady Stuart n'eût pas, certainement, été en mesure de lutter contre elle, sur le terrain de la politique. Elle ne tenta point l'aventure et, habilement, se contenta de l'offrande de ses caresses en permettant à l'Empereur de continuer, avec sa rivale, des relations mondaines ou d'affaires qu'il eût été presque impossible de rompre.

Cependant, l'Exposition en accaparant la vie de Napoléon III, en mettant une réserve forcée dans sa liaison avec lady Stuart, en créant des intermittences dans son intimité avec elle, avait fait de la jeune femme comme une maîtresse qui sent, qui devine toute la puissance de sa chair sur celui qui l'aime, mais qui n'a point encore pu affirmer définitivement cette puissance.

Ce ne fut, en effet, qu'après la fin des fêtes impériales que la force de ses baisers se révéla.

L'empereur Napoléon III eut, certes, de jolies heures avec les femmes, avec Mme de Castiglione, avec la personne dont je parlais incidemment plus haut, et, vers les derniers jours de son règne, avec Mme la comtesse de Mercy-Argenteau dont les avis, dont l'intelligence, aussi, lui furent précieux. Mais on peut affirmer, sans la crainte d'être démenti, qu'il ne goûta avec aucune d'elles autant de volupté qu'avec lady Stuart.

Non seulement cette volupté avait sa source dans la splendeur physique de cette femme, mais elle naissait, principalement, de la façon dont cette beauté charnelle venait à lui. Avec toutes les autres femmes, avec celles simplement que je viens de désigner — car je ne compte pas les éphémères amoureuses qu'un caprice passager jeta dans les bras du souverain — la nature passionnée de l'Empereur était dominée, sans cesse, par la préoccupation d'un habituel échange d'opinions, sur les questions politiques à l'ordre du jour, et il résultait de cet état particulier qui caractérisait ces liaisons, une sorte de contrainte, de froideur qui, fatalement, atténuait en lui les ardeurs.

Une femme, quelque belle qu'elle puisse être, ne possédera jamais complètement les sens d'un amant, si elle impose à cet amant, parallèlement à sa séduction physique, une influence morale. L'homme pourra aimer une telle femme, pourra lier sa vie à la sienne, pourra être malheureux d'en être séparé, mais sa jouissance ou sa peine prendra plutôt naissance, alors, dans son esprit que dans sa chair — car, seul son esprit aura communié avec l'esprit de cette femme, car jamais sa chair n'aura eu de contact absolu avec la sienne, n'aura tressailli avec elle du même spasme. L'homme pourra aimer une telle femme, je le répète, mais il n'aura jamais, devant elle, l'émoi corporel que provoque la femme désirée simplement, dans toute absence de cérébralité — cet émoi que provoque la bête humaine, si l'on veut, qui n'a ni parole, ni pensée, mais qui, magnétiquement, attire le mâle par le seul appel de sa superbe animalité — comme la fleur épanouie et pleine de subtils parfums, attire l'insecte avide de son suc et de sa rosée.

Les grands voluptueux ne demandent pas à la femme d'être intelligente. Ils exigent d'elle, uniquement, qu'elle donne l'envie d'aimer. L'Empereur était un grand voluptueux, et comme lady Stuart ne troublait les relations qu'il avait avec elle par aucune préoccupation étrangère à la passion qu'elle lui inspirait, il trouva auprès d'elle, plus qu'auprès de celles qui l'avaient précédée en son cœur, la douceur ainsi que la fièvre qui font complète une affection.

Une seule femme — Marguerite Bellengé — avait eu la faculté déjà de s'emparer, au même degré que lady Stuart, des sens de Napoléon III. Marguerite Bellengé n'avait compté que sur ses caresses pour s'attacher l'Empereur, et dans la simplicité intellectuelle de sa liaison avec lui, avait été toute sa force.

 

Lorsque le grand tapage qu'avait produit, aux Tuileries, le fantastique spectacle de l'Exposition fut apaisé, l'Empereur éprouva comme une détente matérielle et morale, se tourna davantage vers les choses de son intimité et donna toute sa pensée affectueuse, en même temps que toute l'ardeur de ses désirs, à sa maîtresse.

Il eut, avec elle, des rencontres fréquentes et des minutes charmantes.

Il y avait une année environ, alors, que lady Stuart avait été présentée à la Cour et l'on peut dire que, dans sa rapide fortune, elle marchait triomphante.

Sa puissance de femme, l'influence qu'elle avait su exercer sur Napoléon III étaient telles, qu'elle se gênait à peine pour les dissimuler, et qu'elle mettait même comme une maligne joie à les laisser deviner quand elle paraissait au château où elle était régulièrement invitée.

La situation qu'elle occupait au palais, dans le cœur du souverain, ne pouvait, dans ces conditions, continuer d'être ignorée, et bientôt, en effet, sa liaison avec l'Empereur fit les frais de tous les commérages, alimenta, par mille détails, vrais ou faux, les conversations des familiers.

L'Impératrice qui se tenait sans cesse au courant des nouvelles, des potins, ne tarda point à être initiée à l'intrigue de la comtesse Ellen et une violente irritation la saisit, avec la pensée de mettre un terme au scandale dont sa demeure était le théâtre.

L'Impératrice connut toutes les maîtresses que posséda Napoléon III. Dans les premiers jours qui suivaient l'annonce d'une liaison de l'Empereur, elle se montrait boudeuse, nerveuse, brutale. Mais, elle semblait bientôt s'accoutumer à la fantaisie de son mari, et elle supportait, en apparence, assez débonnairement, la présence de celle qui devenait ainsi sa rivale. Elle se vengeait simplement, des infidélités de l'Empereur, en l'accablant de réclamations, de colères.

Il en eût peut-être, sans doute même, été ainsi au sujet de lady Stuart, si une circonstance n'était venue, soudain, aggraver la situation qui lui était faite devant la souveraine.

La comtesse Ellen cessa, tout à coup, de paraître aux Tuileries, quitta brusquement Paris, et nul ne put dire, tout d'abord, où elle était allée.

Mais cette fuite imprévue excita les curiosités, détermina des commentaires. L'Impératrice elle-même s'étonna d'une absence que rien ne semblait justifier, et les chercheurs de mystères, partis en campagne, mirent le comble à l'intérêt que présentait l'aventure, en déclarant, un beau soir, que lady Stuart, devenue enceinte de l'Empereur, s'était réfugiée dans une localité voisine de Paris, pour y attendre ses couches.

Le fait était exact.

Lady Stuart, consternée et heureuse en même temps, avait, une après-midi, appris à son impérial amant qu'elle allait être mère.

L'Empereur savait toute l'appréhension de l'Impératrice au sujet de ses amours et de leurs conséquences possibles. Il savait que sa compagne n'eût pas admis l'existence avérée d'un enfant né de lui et placé en face du fils qu'elle en avait eu. Il savait que, dans son exaltation, elle eût été capable des pires résolutions et envisageant, avec effroi presque, les résultats qu'une telle révélation était susceptible d'avoir, il exigea l'éloignement immédiat de sa maîtresse.

La scène dans laquelle lady Stuart avait informé Napoléon III de sa maternité future, n'avait pas été exempte de charme simple et de tristesse émue.

Comme l'Empereur, surpris, était resté quelques minutes sans répondre à la jeune femme, celle-ci s'était inquiétée.

— Ah, sire, lui avait-elle dit, aimez-moi bien aujourd'hui encore. car demain, sans doute, nous serons plus inconnus l'un a l'autre que si nous ne nous étions jamais vus. Napoléon III l'avait alors regardée fixement.

— Pourquoi parlez-vous ainsi ? avait-il demandé.

— Parce que, en vous avouant que je vais être mère, sire, j'ai mis, je le sens, le mot fin sur la dernière page de notre roman.

— Vous vous trompez. Je vous aime assez, madame, pour ne point vous oublier, pour ne point renoncer à vous, même si un accident, fâcheux, je le reconnais, vient interrompre nos baisers. Vous allez être mère et je ne vous cache pas que j'eusse préféré que vous ne la fussiez pas. Mais ce n'est point cette constatation qui me tourmente. Je songe à cet enfant qui va naître, à cet enfant qui est le mien autant que le vôtre et que je ne pourrai pas aimer.

Lady Stuart tressaillit.

— Eh quoi, sire, vous n'aimerez pas mon enfant, notre enfant ? interrogea-t-elle, anxieuse.

— Hélas, madame, il est, dans la vie, des situations difficiles. Comprenez-moi. Un simple particulier, un bourgeois, un gentilhomme, ne feignent-ils pas d'ignorer, souvent, pour obéir aux lois, aux conventions sociales, le fils ou la fille qu'ils ont eue d'une maîtresse chérie ? Ces lois, ces conventions qui s'imposent aux citoyens, pèsent davantage sur les rois, sur les hommes publics. Vous me voyez triste parce que, je le répète, je ne pourrai pas aimer votre enfant comme j'aurais voulu l'aimer, parce que je pense à tous ceux qui se trouvent dans son cas et qui, moins heureux — car votre enfant sera heureux — errent lamentablement, au travers de l'humanité. L'amour a ses cruautés et la paternité inavouable est l'une d'elles.

L'Empereur était, on le sait, sans cesse sous l'influence de son rêve humanitaire et, dans l'obsession qu'il lui faisait éprouver, il lui reportait toutes les phases de son existence de souverain. Il était né avec des instincts de bonté et de paternité. Il aimait profondément son fils légitime, le Prince Impérial ; il eût souhaité de pouvoir aimer, au même degré et dans la même lumière, peut-être, l'enfant clandestin dont le sort le chargeait.

Lady Stuart fut touchée de la bonhomie de ses paroles, de la philosophie tendrement mélancolique qui s'en échappait, et elle ne lui opposa aucune objection quand il lui eût démontré qu'il était nécessaire qu'elle s'éloignât, momentanément, de Paris.

Après avoir pris ses dispositions pour une longue absence, elle se rendit à Versailles, sous un nom d'emprunt, et y attendit sa délivrance.

Un ennui sincère s'était emparé de l'Empereur lorsqu'il avait vu que ses familiers, lorsqu'il s'était aperçu que l'Impératrice avaient découvert la cause de la retraite de sa maîtresse, lorsqu'il avait été obligé, surtout, d'entendre les propos que provoquait la disparition de la jeune femme. Il eût désiré interdire ces cancans qui n'étaient plus des cancans, il faut le reconnaître, mais il lui était malaisé, sans compromettre sa dignité, de mêler sa voix à celle des courtisans, soit pour démentir leurs affirmations, soit pour blâmer leur inconvenance. L'eût-on écouté, l'eût-on obéi, même, dans son intervention ? On peut douter de l'efficacité de cette intervention, si l'on songe que l'Impératrice fut, en tout temps, omnipotente aux Tuileries, inspira, en tout temps, les habitués du palais, et qu'en cette circonstance, les hommes ainsi que les femmes de l'entourage impérial, eussent fait bon marché du mécontentement de Napoléon III, pour plaire mieux à celle dont ils acceptaient l'écrasante et tracassière autorité.

Cependant, un soir, à l'un des Lundis de la souveraine, l'Empereur perdit patience et donna une leçon aux médisants.

Comme dissimulé par quelques groupes, il passait non loin de femmes que lutinaient de jeunes hommes, il entendit que l'on prononçait le nom de lady Stuart et que des chuchotements semblaient mettre un mystère autour de ce nom.

Il savait trop de quelle nature pouvait être cette conversation et, se montrant brusquement, il marcha droit aux causeurs.

A son approche tous se turent et s'inclinèrent, inquiets, dans l'espérance qu'il s'éloignerait. Mais l'Empereur s'arrêta et, lentement, effilant sa moustache, il laissa tomber ces mots :

— Je vous engage, mesdames et vous aussi, messieurs, à assister au prochain sermon qui aura lieu dans la chapelle du château. On y prêchera sur la médisance et sur le respect que l'on doit à autrui.

Et il ajouta, en tournant le dos à ses familiers :

— Je compte, n'est-ce pas, sur votre présence.

Les courtisans, interdits, se dispersèrent. L'incident fit quelque bruit dans les salons et, à partir de cette heure, en dépit de leur soumission à l'Impératrice, les familiers se firent, plus prudents en leurs commérages.

Mais le scandale que l'autorité de l'Empereur avait conjuré, momentanément, éclata à la Cour, sans restriction, lorsqu'on apprit que lady Stuart, dont la nouvelle résidence avait été découverte, venait de donner le jour à un fils.

La jeune femme croyait avoir tout arrangé, autour d'elle, pour que son secret ne fût pas révélé, pour que son accouchement même demeurât ignoré. Mais elle avait compté sans les mille traîtrises qui menacent les plus humbles et qui la guettaient d'autant mieux qu'elle était influente et qu'elle était jalousée.

Aussitôt après sa naissance, l'enfant avait été confié à une femme, sorte de paysanne embourgeoisée, d'apparence aisée, choisie tout particulièrement, qui habitait une petite localité, près de Rambouillet, et qui avait emporté son nourrisson avant même que la mère ne fût remise de sa secousse.

Une grande tristesse avait envahie lady Stuart, après le départ de son fils. Cette venue tardive et quoique irrégulière d'un enfant, se rattachait trop au souvenir des années où, mariée, elle avait espéré une maternité qui lui avait sans cesse été refusée, pour qu'elle ne ressentit pas, alors, dans ce brutal éloignement du petit être qu'elle avait créé, une douloureuse émotion. Il lui eût été doux de pouvoir le garder auprès d'elle, de l'aimer, de lui parler, de recevoir ses inconscientes caresses et, dans l'amertume, dans le regret cruel que sa disparition forcée lui inspirait, elle se prenait à haïr les mondanités qui accaparaient sa vie, toutes les choses qu'elle avait souhaitées et qu'elle aurait échangées, sincèrement, contre une heure de réelle indépendance.

Mais elle savait que cette indépendance constituait, pour elle, un rêve presqu'irréalisable, dans le genre d'existence qu'elle s'était faite ; et comme l'Empereur l'aimait, comme il l'appelait avec impatience, elle se résigna et résolut de quitter Versailles dès que sa santé serait rétablie.

Lorsqu'elle put sortir, sa première pensée, cependant, ne fut pas pour son amant, mais alla tout entière à son fils.

Elle se rendit à La Verrière, où l'on avait emmené l'enfant, et elle resta tout un jour avec lui, heureuse de le regarder, de l'embrasser, saisie par cette folie spéciale et charmante — triste aussi — des mères qui, privées de leurs petits, semblent vouloir les fondre en elles, quand il leur est offert de les visiter.

On était, alors, au mois d'août 1868. La maison où se trouvait placé le petit garçon, était bâtie au milieu d'un assez vaste jardin et lady Stuart, radieuse de jouer à la maman, s'était retirée avec son fils sous quelque ombrage.

Tout à coup, en le faisant sauter sur ses genoux, en essayant d'attirer le rire sur ses lèvres — ce premier rire si cher à toutes les mères — elle remarqua que son fils portait une sorte de cicatrice derrière l'oreille droite. Elle allait s'alarmer, lorsqu'elle reconnut, à un examen attentif, que ce qu'elle avait pris pour une blessure n'était autre chose qu'un signe, qu'une marque de naissance. L'enfant avait, en effet, presqu'au ras de l'oreille, un point rose qui se détachait, sur sa peau blanche, en relief, ainsi qu'un gros pois.

Rassurée, elle posa sa bouche sur le grain de beauté du bambin et l'ayant rendu à sa nourrice, elle s'en alla.

Quelque temps après cette visite à son fils, elle faisait sa rentrée officielle dans le monde, et cette rentrée fut retentissante.

La Cour étant en villégiature d'été, elle n'y parut pas, sur un avis de l'Empereur qui jugeait opportun de retarder sa présence au milieu de ses familiers ; mais il recommença, avec elle, l'intimité interrompue et elle s'en vint, plus d'une fois, vers lui, à l'insu de tous ceux qui avaient cru que l'aventure de sa maternité amènerait, entre elle et le souverain, une rupture.

Cependant, lady Stuart n'ignorait pas les propos dont elle avait été l'objet durant sa longue absence, les médisances, les calomnies, même, qu'avaient produites contre elle, les habitués du château, et elle avait hâte, dans un esprit de bravade et de représailles, de se montrer à ceux et à celles qui l'avaient ainsi, impitoyablement, poursuivie de leurs sarcasmes, plus belle encore peut-être, plus influente, plus enviée qu'avant l'événement qui l'avait exilée de Paris.

Ce fut encore une fête donnée aux Tuileries, dans la saison d'hiver de 1868, qui lui servit de prétexte pour revenir à la Cour.

L'Empereur, qui redoutait un scandale, avait tenté de la dissuader de cette folle démarche, en lui conseillant d'entourer de moins d'éclat son retour aux Tuileries. Mais elle ne l'avait pas écouté, mais elle s'était révoltée contre l'ostracisme qui la frappait, et dans une caresse, elle avait obtenu du souverain qu'il ne s'opposerait pas à son projet.

Les craintes de l'Empereur n'étaient pas vaines, pourtant, et toute l'audace de lady Stuart devait, en cette circonstance, échouer devant la colère, devant l'attitude suprêmement dédaigneuse de l'Impératrice.

A l'entrée de la comtesse Ellen, dans les salons, au bras de M. le comte d'A..., l'un des chambellans, réquisitionné spécialement par Napoléon III pour accompagner la jeune femme, une manifestation qui ne laissait aucun doute sur les sentiments, sur les impressions que sa présence provoquait, se produisit.

Il y eut, autour d'elle, comme un sourd murmure, et tandis que les uns la regardaient avec une curiosité anxieuse, avec une sorte de stupéfaction, les autres feignaient de ne la point voir, peu désireux de se compromettre auprès de l'Impératrice, s'ils la saluaient, ou de mécontenter l'Empereur en mesurant, trop ostensiblement, leur hommage.

Lady Stuart, sans paraître remarquer ces défections et ces hypocrisies, était, cependant, arrivée jusqu'au salon où se tenait la souveraine et s'avançant vers elle, elle s'apprêta à la révérence habituelle.

Ce fut, alors, comme un coup de théâtre. Un drame était dans l'air — selon une expression consacrée — et chacun en attendait, fiévreux, les péripéties ainsi que le dénouement.

L'Impératrice, en apercevant lady Stuart, s'était levée comme mue par un ressort, et se silhouettait droite, pâle, la face hautaine, sévère, la main frémissante.

Ses familières étaient silencieuses, comme sous l'agitation intime d'une panique.

Sans être déconcertée par l'accueil de la souveraine, lady Stuart avait encore fait quelques pas et, comme si rien d'anormal ne se fût passé autour d'elle, elle s'était inclinée et avait souri.

Mais l'Impératrice était demeurée immobile, n'avait répondu ni à son salut, ni à son sourire ; et quand la comtesse Ellen s'était redressée, elle l'avait trouvée dans la même posture hostile, courroucée et outrageante.

Alors, elle avait compris que sa présence aux Tuileries étant impossible, désormais, il lui fallait au moins sortir de ce palais, où elle avait triomphé, en victorieuse.

Toute droite, à son tour, le visage contracté, l'œil effroyablement dur, elle avait opposé, à l'attitude de l'Impératrice, comme un défi.

Un moment — quelques secondes à peine — les deux femmes étaient restées ainsi, menaçantes, en face l'une de l'autre, se demandant peut-être si, oubliant leur qualité, le lieu où elles étaient, elles n'allaient pas se déchirer comme de simples femmes du peuple, comme de simples bêtes qui se rencontrent, dans le besoin d'un même instinct à assouvir, dans le désir d'une même offense à venger.

On ne sait, en vérité, comment cette scène se serait terminée, si l'Empereur qui n'en avait perdu aucun détail, n'avait mis fin à, la situation qu'elle créait. Il avait envoyé M. le comte d'A... vers lady Stuart, et le chambellan offrant de nouveau son bras à la favorite révoltée, l'avait entraînée en voilant son autoritaire intervention par le mensonge d'une galante causerie.

La comtesse Ellen que le sang-froid abandonnait difficilement et qui avait vite deviné qu'une querelle avec l'Impératrice l'eût perdue à tout jamais, dans son intimité avec son amant, même, n'avait nullement résisté à M. d'A... et l'avait suivi, aimable en apparence.

Mais comme elle ne voulait pas avouer sa défaite, elle lui avait dit, en appuyant sur les mots :

— Est-ce pour me reconduire jusqu'à ma voiture, monsieur, que vous vous montrez si empressé ?

M. d'A..., un peu embarrassé de la mission qui lui était échue, ce soir-là, avait répliqué :

— Je n'ai reçu aucun ordre à ce sujet, madame. Je suis simplement chargé, par, l'Empereur, de vous prier d'éviter le salon de l'Impératrice et j'ose vous conseiller, respectueusement, de vous conformer à ce désir.

Puis, il avait quitté la jeune femme.

Le prince Napoléon qui avait observé toutes les phases du petit drame qui venait de se jouer, se trouva, en ce moment, comme par hasard, devant lady Stuart.

Il s'approcha d'elle, lui parla longuement et cet entretien, d'abord très commenté, puis rapporté à l'Impératrice, ne contribua pas peu à accroître la haine que la souveraine nourrissait contre son cousin.

L'Impératrice eut tort, cependant, dans cette occasion, de s'irriter. Le Prince n'arrêta, ce soir-là, la comtesse Ellen que pour la complimenter sur sa beauté et comme c'était un charmeur et un galant, il réussit à l'intéresser.

Néanmoins, la causerie que le Prince offrait à lady Stuart, s'offrant comme une compensation à l'accueil de la souveraine, la jeune femme mit quelque affectation à la considérer ainsi, et elle se retira sans avoir adressé la parole à nul autre des invités.

La réserve de l'Empereur qui s'était, à dessein, tenu éloigné d'elle, durant le peu d'instants qu'elle avait paru au château, lui avait été pénible et l'avait inquiétée. Quoique cette réserve eût sa raison d'être et fût aisément explicable, la comtesse Ellen résolut de ne la point accepter et de connaître si elle ne cachait point un péril pour elle-même, pour sa liaison.

Dès le lendemain de cette soirée mouvementée, elle écrivit à l'Empereur pour solliciter de lui une entrevue.

Napoléon III vint la voir et comme, en dehors des reproches affectueux qu'il lui adressa, relativement à son équipée et aux suites lamentables qu'elle aurait pu avoir, il lui prodigua les mêmes tendresses qu'avant l'incident, elle s'apaisa. Et sa rancune contre l'Impératrice prit même, alors, une forme platonique qui n'était pas sans esprit. Les Tuileries lui étaient interdites, dorénavant, mais en dépit de l'affront qui lui était fait et contre lequel elle était impuissante, ne restait-elle pas la plus forte, puisqu'elle possédait le cœur ainsi que les sens de l'homme qui les emplissait de son nom ?