LE SECRET D'UN EMPIRE : L'IMPÉRATRICE EUGÉNIE

 

VII. — L'IMPÉRATRICE ET L'EXOTISME.

 

 

De l'époque impériale date cette invasion d'étrangers, millionnaires véritables ou supposés, qui ont pris possession de Paris.

Leur physionomie très curieuse, aux temps dont je parle, est restée à peu près la même.

Installés, luxueusement d'ordinaire à l'ombre de l'Arc-de-Triomphe, ils jettent, de là, sur Paris, comme sur la foule, du haut d'un balcon, des viveurs — leur monnaie rastaquouère, parfois bien frappée. Ils campent, chez nous ainsi que des routiers prêts à l'alerte.

En effet, si, à Paris, les Exotiques triomphent aisément, ils y culbutent avec non moins de facilité, en dépit de leurs bonnes espèces sonnantes qui, alors, avec eux, se font trébuchantes.

Paris, indulgent aux richesses — à celles même venues en tortueuse ligne du pays des placers — salue sans trop de raideur en l'échiné, chaque nouveau débarqué.

Il accepte ses invitations, parade à ses fêtes, boit son Champagne, dévore ses victuailles, emprunte son argent, se passionne ainsi qu'une fille, irraisonnablement. Puis, une chose très simple se passe. Les lampions éteints, les violons rentrés, la digestion opérée, Paris un peu surpris de son propre engouement, va aux renseignements. Et tout à coup, sur une parole mauvaise, sur un motif futile et douteux, il fait grise mine à celui à qui, la veille, il faisait des révérences. Paris à l'instar, de M. Choufleury, reste chez lui, et malheur à l'Exotique qui s'aviserait de l'y relancer. Il y a eu, évidemment, exagération dans l'accueil, comme il y a outrance dans la condamnation. Mais c'est ainsi. Rien ne saurait effacer la sentence du monde. L'Exotique atteint, isolé, devient un paria.

Parfois le maudit se cabre devant l'outrage. Il lutte contre la société. Mais la lutte n'a qu'un temps ; les plus solidement bâtis se lassent à ce jeu cruel. A bout de forces, le sacrifié prend la résolution de fuir la grand'ville et son dédain. Et il s'en retourne, l'amertume au cœur, s'il est enthousiaste ou honnête ; le sourire aux lèvres, s'il est sceptique ou taré, en murmurant la ronde des petits enfants :

Nous n'irons plus au bois,

Les lauriers sont coupés...

 

Cependant le monde, pour tous, n'a pas la même barbarie. Il en est, parmi les Exotiques, qui trouvent grâce devant lui. La société, dans ses haines comme dans ses affections, est impénétrable.

Chaque année, presque, des météores passent dans le ciel de Paris, brillant de toutes tes couleurs du prisme, venant on ne sait d'où, allant ou ne sait où. — Chaque année, le monde saisit sa lorgnette et regarde l'évolution de l'astre nouveau.

Ces météores sont, sous une forme très humaine, des princes dégringolés fuyant la colère de leurs peuples ou de leurs parents ; des nababs nés, plus ou moins, dans la jungle asiatique ; des marchands d'esclaves retirés des affaires ; des industriels ayant fait fortune dans les jambons ou les machines à coudre' ; des coquins, même — plus simplement. Le coquin, le marchand d'esclaves ou de machines, le nabab verront s'ouvrir devant eux les portes, alors que le prince, le brave débitant de jambons ne recueilleront que mépris. Où chercher le pourquoi de cet illogisme ? — Le monde lui-même serait embarrassé d'analyser le sentiment qui le mène.

 

Deux femmes, surtout, Mmes de Metternich et de Castiglione, dont je reparlerai plus loin, ont, avec l'Impératrice, acclimaté l'Exotisme à Paris, sons l'Empire.

Il n'a plus, aujourd'hui, pour meneuses, d'aussi hautes têtes.

Comme tout, un peu, il s'est embourgeoise, et c'est à peine s'il compte quelque prince authentique dans ses rangs.

Cependant, même dans leur déchéance, dans leur découronnement, les Exotiques restent, les rois de Paris.

La facilité est grande avec laquelle on s'introduit chez nous ; ils en profitent. C'est normal et légitime.

Les Exotiques sont nombreux, à Paris, oui, à qui la société donne droit d'asile. La bienveillance est grande qui va du prince authentique au prince bohème rêvassant en une chambre d'hôtel meublé ; au bellâtre, encore, titré ou non, quêteur d'une aventure qui l'enrichira.

Le monde refuse la consécration à quelques-uns ; mais il se rue aux réceptions de certaine italianisée, duchesse de fraîche date.

La duchesse est très sévère sur le chapitre des préséances ; elle trône au milieu de sou salon et, autour d'elle, sont des sièges de diverses formes et dimensions, luxueux, différemment aussi. C'est, pour une baronne, un tabouret ; pour une comtesse, une chaise ; pour une marquise, un fauteuil. La duchesse couronne, hiérarchiquement, l'assiette de ses visiteuses, comme jadis les rois couronnaient la tête de leurs féaux.

Cependant, les belles arrogantes des deux rives de la Seine trouvent très gentil, très spirituel, l'arrangement fantaisiste de la duchesse, et elles s'inclinent, avec humilité, devant son autorité.

C'est cette duchesse, encore, roturière en instance de noblesse, qui, à la nouvelle de son élévation, télégraphiait à son brave homme de mari, absent :

— Monsieur, vous êtes duc — et qui recevait de lui, par retour d'électricité, cette réponse, cette leçon de sagesse et de bon sens : — Madame, vous êtes folle.

L'Exotisme — cela peut paraître un paradoxe excessif — est d'essence parisienne. Paris est la terre qui lui convient pour s'épanouir. Tenter de le détruire serait, stérilement, imiter don Quichotte. Les Exotiques ont une manière à eux de s'emparer de Paris qui demeure leur secret et leur force.

Leurs femmes sont superbes, bien en pose, avec des lèvres amoureusement rouges et faciles ; leurs filles ont des yeux pervers, des attitudes onduleuses ; leurs hommes ont le visage suffisamment humé pour faire, croire à des autrefois dramatiquement aventureux ; ils sont râblés, aussi. C'est là plus qu'il n'en faut pour Paris et son plaisir, pour la joie de son imagination.

Les Exotiques, dans une assurance de ribauds razziant une cité, le prennent de haut, souvent, avec la grand'ville, ce qui n'empêche en rien celle-ci de leur ouvrir ses bras — et plus ; telle, la fille soumise au gars de barrière qui la rudoie.

Paris, impatienté, dans une heure nerveuse, parfois se cabre. Mais ses révoltes ne durent pas. Fugitives, elles sont suivies d'amabilités renaissantes. Viennent un Brésilien, un Arménien, un Turc — météores inconnus et neufs — en remords des rigueurs témoignées aux dédaignés, Paris ira demander du Champagne et des sandwichs aux nouveaux apparus. Et c'est là toute la moralité de la question.

La méchanceté du monde, un instinct de nature aussi, jetèrent l'impératrice Eugénie vers cette société cosmopolite qui ne demandait, alors, qu'à être accueillie officiellement, et les salons des Tuileries s'emplirent d'une multitude qui s'y trouvait d'autant plus à l'aise qu'on ne lui tenait guère rigueur de son origine et qu'on ne la chicanait que peu au sujet de sa moralité.

L'Exotisme fut, pour l'Impératrice, comme un dérivatif aux dédains de la société royaliste et il semble qu'elle n'appela à elle ces fous et ces folles qui transformèrent sa demeure en une sorte de Babel, que pour mieux oublier ces dédains, que pour mieux peut-être, encore, s'en venger.

Ce fut d'abord, autour d'elle, un public de femmes, portant haut et loin le regard, parfois aussi, les lèvres ; un public de femmes aux allures garçonnières, aux goûts excentriques, aux désirs fiévreux, au rire tentateur, amoureux et prometteur — comme une réunion de sultanes étrangères et françaises, dont la nationalité, dont la différence de sang, disparaissaient devant un même et suprême but : le plaisir.

Ces femmes ont, dans la chronique, un qualificatif : les Cocodettes ; dans l'histoire, une désignation : les Femmes de l'Empire, et je demande la permission de rappeler ici une page que je leur consacrai, il y a quelques années.

Les femmes de l'Empire, disais-je alors, ont laissé un renom spécial. Elles restent comme la représentation absolue d'une époque toute aux aspirations voluptueuses, aux jouissances charnelles, aux enfièvrements aigus de la passion. Dans le détraquement moral d'alors, les hommes ne furent que des comparses, que des inconscients. Les femmes ont la première et la plus large part des responsabilités. Le sensualisme qui filtrait au travers de leurs corps, les coups de passion qui soulevaient leurs poitrines, prirent les hommes. Ou aimait facilement et follement, alors.

Les jeunes gens, saisis par l'ivresse de chair qui montait à leur cerveau, oublièrent les choses du cœur ; le mâle en eux remplaça l'homme ; et, puisque les femmes s'évertuaient à cacher leur âme pour ne montrer que de beaux membres, ils ne cherchèrent point l'extase. Et ce fut l'orgie ; orgie parfumée, coquette, gracieuse ; orgie d'autant plus séduisante qu'elle était voilée, dont fa polissonnerie était pleine de caresses mondaines, dont l'élégance était ht principale force. Peu ou point de cynisme ; le cynisme était pour le huis-clos. Ces duchesses, ces marquises, dont la plupart avaient troqué une origine, un nom roturier contre la noblesse d'un époux ; ces grandes daines du lendemain, qu'agitaient des désirs de vie. des instincts de courtisane, après s'être offertes sans vergogne, se donnaient aisément, sans doute ; mais, dans une inconscience de filles, l'heure de la possession était, aussi, pour elles, l'heure du respect. Nues et ardentes, les artères battant la charge de l'amour, ou plutôt du plaisir, elles se jetaient, pâmées et frénétiques, dans les bras d'un amant ; elles se tordaient farouches et insatiables, sur leurs couches : mais le sacrifice consommé, elles n'eussent pas permis à l'homme qui les avait fait râler, de relever seulement le bas de leurs jupes et de toucher du doigt la boucle de leurs jarretières. C'était là le côté piquant et attrayant de cette corruption féminine, devant laquelle les hommes les plus forts parfois demeuraient indécis. Ainsi que les filles de profession, les grandes et belles débauchées d'alors avaient comme des pudeurs de vierge, hors de leur abandon. Cela donnait du ton à leur folie.

D'aucunes, libres, prises soudain d'un assoiffement d'orgie et du vertige de l'inconnu, contraintes, pour ainsi dire, par un besoin brutal de jouissances, s'en allaient chercher aventure, la nuit, sur le boulevard, quêtant un garçon bien taillé, ou entraient les soirs de bal à l'Opéra, dans la fournaise populeuse, terminant leur odyssée dans l'affaissement du cabinet particulier, heureuses de sentir deux bras de hasard étreindre, dans un spasme, leurs reins tendus. L'histoire romaine était à la mode sous l'Empire et l'on jouait aux Romains.

D'autres, plus poétiques, d'un tempérament, — sinon moins ardent — du moins plus sobre d'apparences, se complaisaient dans des intrigues de sacristie. Les abbés Louis XV ne sont pas rares, à Paris, et plus d'une main sacrée pourrait écrire d'intéressants mémoires. Ces hommes, qui vivent avec le Christ, ont sur certaines femmes une influence magnétique. En eux, lorsqu'elles quittent l'amant, elles retrouvent l'apôtre. Il résulte de ces deux oppositions une sorte de mysticisme qui emplit l'âme et finit par annihiler toute conscience. Elles ne comprennent pas le prêtre du peuple. Elles veulent un homme du monde dans le prêtre ; elles exigent de lui un rabat parfumé, de même qu'elles exigent, à l'autel, un Christ d'or ou d'ivoire pour leurs baisers de dévotes. Une croix de bois tes ferait fuir et tuerait leur foi irraisonnée ; une soutane sévère porterait un coup terrible à leurs sens.

Il en était, certes, de radieuses et de pures qui passaient, sereines, au milieu de cette cohue. Protégées par leur vertu ou, ce qui est mieux — car la vertu est relative — protégées par quelque rêve chaste, par quelque amour d'épouse ou de mère, il en était qui sortaient immaculées de ce tourbillon. Pareilles à ces lambeaux de papier griffonné que les marins, dans un jour de naufrage, confient à la mer, enfermés dans une bouteille, que les vagues roulent à la plage intacts et sacrés — ces femmes, après avoir été secouées par la tourmente des passions qui grondait autour d'elles, revenaient au foyer, au lit conjugal avec toute leur grâce, tout leur charme de pures ; et aux cris d'affolement des mondains, à l'hymne stérile des enfiévrés, elles répondaient par le murmure doux et simple du cantique des cantiques de l'amour fécond et infini.

Le branle-bas joyeux de l'Empire n'avait été que le corollaire de la crise sociale que le pays venait de subir. Après la Révolution de 1848, après le coup d'Etat de Décembre, après les guerres de Crimée et d'Italie, une détente nerveuse avait fait bondir toutes les jeunes imaginations. La guillotine de 1793 devait, fatalement, engendrer le Directoire, c'est-à-dire les Incroyables, les Muscadins et les Merveilleuses. Le canon de Décembre, les barricades du faubourg Saint-Antoine, l'austérité apparente du nouveau pouvoir, la claire sonnerie des clairons revenant de Sébastopol et de Solferino devaient, non moins fatalement, enfanter une réaction des sens et des esprits.

On s'amusa. Ce n'était pas là, cependant, l'abjecte dégradation d'une société qui, pourrie, s'affaisse sur elle-même. Tous ces hommes, toutes ces femmes, ces don Juans et ces Ninons, avaient du sang très sain dans les veines, du feu sous la peau ; ils se tenaient debout. Ces hommes étaient braves, ces femmes étaient belles ; les uns et les autres, intelligents.

Parmi les premiers, plus d'une illustration littéraire ou artistique se levait ; parmi les secondes, il en était qui régnaient en souveraines sur les choses de l'art et de la politique. Des salons s'étaient formés, ayant à leur tête, ceux-là quelque aristocratique personnalité féminine, ceux-ci quelque radieuse beauté bourgeoise. De leurs doigts effilés, bourgeoises ou patriciennes menaient la grande farandole des oisifs et du plaisir ; de leurs regards, elles cherchaient les poètes, les artistes qui travaillent dans l'ombre. Avec leur instinct de Parisiennes, elles mettaient l'art à l'encan. Un sourire, une fleur prise sur un corsage palpitant, pour un croquis ; — un baiser, plus encore quelquefois, pour un sonnet. — La chair appelait l'esprit, et de cet accouplement furtif, de cette union d'appétits, naissaient de gentilles choses. Un beau tableau, un beau livre, après tout, valaient bien une nuit d'amour. — Et, toujours, la farandole se formait, repartait, déroulant ses anneaux, comme une chaîne animée, se tordant, onduleuse, ainsi qu'un serpent : et l'on riait, l'on vivait !...

 

Avec bien peu de variantes, si cette page était à écrire, je l'écrirais, actuellement, telle que je viens de la reproduire.

 

Parmi ces femmes, deux surtout — exotiques - se tirent remarquer autour de l'Impératrice et lu préoccupèrent de diverses façons : Mmes de Metternich et de Castiglione.

Quant aux autres, étant de nature moins aventureuse, elles ne mirent sur l'esprit de la souveraine qu'une empreinte superficielle et boute du moment.

Mme de Metternich fut l'amie apparente de l'impératrice Eugénie ; Mme de Castiglione lui fut hostile, ouvertement, se posa devant elle en rivale et, eu un temps, en rivale victorieuse ; — de là, logiquement, d'un côté une affection qui, peut-être, dure encore ; d'un autre côté, une haine qui ne s'éteindra que dans la mort.

Ces deux femmes eurent des titres réels non seulement à l'attention de la souveraine, mais à celle du public, encore.

La princesse de Metternich était laide, spirituelle, originale, d'une brusquerie voisine de l'insolence, sans pourtant cesser jamais de demeurer la grande clame qu'elle devait être.

Très élégante, avec l'Impératrice elle était certes aussi, la femme qui possédait dans sa mise ht plus grande correction, parmi toutes les femmes de la Cour.

Mondaine au plus haut degré, aimant les lettres et les arts, et en particulier la musique, elle tenait presque chaque soir son salon ouvert à de nombreux amis — hommes politiques pour la plupart, dont elle se servait pour entretenir avec les Tuileries une intimité constante et pour exercer, sur les décisions de l'Impératrice spécialement, une influence qui ne peut être contestée.

Mme de Metternich, je l'ai dit dans un précédent chapitre, nous apparaît comme ayant pris à tâche de discréditer dans l'opinion publique, les mœurs de la Cour impériale, par les excentricités, par les légèretés, par la tenue équivoque et suspecte qu'elle mita la mode aux Tuileries. Son influence, en effet, n'eut point un résultat heureux sur les destinées des entreprises de Napoléon III et de sa compagne, et si c'était le cas, ici, d'examiner la sincérité des sentiments que le prince de Metternich et l'ambassadrice semblaient professer à l'égard de l'Empereur et de l'Impératrice, on serait dispose à se demander si ces deux personnages, dès leur venue en France, ne jouèrent point une comédie, la comédie de l'amitié — pour mieux aider à la chute d'un homme, qu'au fond ils ne pouvaient aimer.

Je ne voudrais point porter, à leur sujet, cependant, un jugement téméraire, et me contenterai de constater que l'attitude plus que libre de la princesse de Metternich, applaudie et imitée par Inities les femmes de la Cour, devint la cause des premières révoltes de l'opinion.

La princesse de Metternich, irréprochable dans son intimité d'épouse — contraste singulier — mit le trouble et l'indécence presque, à la Cour des Tuileries. — Imposant ses caprices à l'Impératrice qui ne voyait que par ses yeux, n'entendait que par ses oreilles, elle fit de cette Cour qui eût dû, toujours, répondre par une correction absolue ans railleries des Cours étrangères, comme une sorte de préau à usage d'écoliers.

On connaît son aventure avec Thérésa — la chanteuse populeuse et populaire — la faubourienne de génie. Elle la fit venir aux Tuileries, après avoir pris d'elle des leçons, et ne tarda pas à la remplacer, en l'imitant merveilleusement, au grand émoi de ceux que toutes ces folies attristaient.

Mme de Metternich dont les audaces ne se comptaient plus, réussit même à faire accepter la chanteuse célèbre, dans le vieux faubourg et un soir de bal, chez la duchesse de Galliera, elle la présenta à tout l'héraldisme de France, indigné.

Une jeune fille même, Mlle de L..., donnant une leçon à l'ambassadrice, comme Thérésa s'apprêtait à chanter, se leva et, allant droit au duc d'H..., homme de grand esprit, lui dit :

— Pensez-vous, monsieur le duc, que le moment soit venu, pour une jeune fille, de se retirer ?

Le gentilhomme se prit à sourire et montrant à son interlocutrice, le nonce, Mgr Chigi, qui assistait à cette fête et ne fuyait point la présence de Thérésa, répondit :

— Pourquoi donc, Mademoiselle, vous retirer ? Là où le nonce se trouve, une jeune fille ne peut-être en péril, je suppose.

Quant à Mme de Metternich, lorsqu'on lui rapporta cet incident, elle se contenta de hausser les épaules.

— Ah ! les vieilles perruques — même sur les jeunes têtes, s'écria-t-elle, je les ai donc un peu défrisées !

Elle avait ainsi des mots terribles qui la faisaient tout à la fois redouter et rechercher. Elle ressemblait, en cela, à sa belle-mère — femme du prince de Metternich, fameux au congrès de Vienne, dont l'une des répliques faillit provoquer une rupture diplomatique entre la France et l'Autriche.

C'était sous le règne du roi Louis-Philippe, M. le comte de Sainte-Aulaire étant ambassadeur à Vienne,

Or, un soir, dans un bal, à la Cour, le comte s'étant approché de la princesse et lui ayant fuit compliment sur la couronne qu'elle portait, recul d'elle la réponse suivante, qui pour être comprise veut que l'on sache que son auteur haïssait le roi des Français, le considérant comme un simple usurpateur de trône.

— Oui, eu effet, monsieur l'ambassadeur, dit-elle, en regardant bien en face le comte de Sainte-Aulaire, ma couronne est très belle ; je puis vous assurer qu'elle est bien à moi et que je ne l'ai pas volée.

Puis, tournant le dos au diplomate, elle s'éloigna.

Mais celui-ci, remis de sa stupéfaction, quitta le bal, brusquement, et avisa le cabinet de Paris de l'incident.

Hélas, l'esprit a des mécomptes cruels : la princesse de Metternich dut, par ordre, se rendre quelques jours après sa boutade, à l'ambassade de France, et offrir, en personne, à notre représentant, des excuses officielles.

Mme de Metternich — celle qui nous occupe — eut d'ailleurs, également, une aventure désagréable, à une soirée offerte par l'archiduc V... chez qui se trouvaient l'Empereur et l'Impératrice d'Autriche.

S'étant présentée fort tard et ayant reçu d'affectueux reproches de la part de l'archiduc qui lui fit remarquer que la souveraine, depuis longtemps, était dans ses salons, et l'avait plusieurs fois demandée, Mme de Metternich se redressa et répliqua :

— Ah ! vraiment, l'Impératrice s'est occupée de moi ? — Pourtant, pour ce qu'elle a à me dire — elle faisait ainsi une allusion à la causerie un peu banale de sa souveraine —, elle pourrait bien me permettre de ne me point tant hâter.

Ce propos, répété, valut à Mme de Metternich une disgrâce de quelque temps.

Aux Tuileries, cet esprit méchant qui était en elle, se donna libre cours et les victimes de ses railleries furent nombreuses.

Elle n'en prit aucun souci, pas plus d'ailleurs que des murmures que provoquèrent, dans le public, dans la presse, même dans les conseils de l'Empereur, son indépendance, son étrangeté, ses audaces de langage et de gestes.

Elle tint tête au cancan et, pour mieux braver l'opinion encore, n'hésita pas, un soir, à jouer, dans une charade, le rôle d'un cocher, avec le costume de l'emploi.

Il y eut des femmes qui — ayant la beauté qui lui faisait défaut — pour être à l'unisson du Ion qu'elle donnait, se mirent à demi nues.

Ces incohérences, ces démentes manifestations d'une société décadente plaisaient à l'impératrice Eugénie qui les encourageait et qui les autorisait dans une inconscience de jolie femme, grisée par un imprévu bonheur, par une inespérée royauté.

Mme de Metternich — le fait est avéré — profita de l'intimité que son originalité peut-être voulue, peut-être étudiée et calculatrice, fit naître entre elle et l'Impératrice pour devenir, sans aucun doute, une habile collaboratrice de son mari, dans sa politique. A la faveur de cette intimité, elle arracha. évidemment, des confidences précieuses à celle qui la considérait comme une amie dévouée, et c'est ainsi que paraissent devoir être expliqués les échecs que trop souvent éprouvaient l'Empereur et ses ministres auprès des diplomates étrangers.

Bien souvent, je l'ai dit, l'Empereur exprima son mécontentement et ses craintes à sa compagne, au sujet des familiers exotiques qu'elle admettait auprès d'elle. Mais, prenant plus souci de sa joie personnelle que des intérêts du pays, l'Impératrice ne tint, en aucun temps, compte des observations qui lui furent faites.

Elle marchait dans les adulations que lui valait sa beauté, comme d'autres marchent dans leur folie.

Que pouvait l'Empereur contre une telle obstination, contre une telle imprévoyance, contre une telle indifférence ?

Une rupture seule eût pu le délivrer de sa tristesse et délivrer, du même coup, le pays du péril constant qui le menaçait. Mais pouvait-il, devait-il vouloir cette rupture ? Et songea-t-il même jamais à la provoquer ?

 

Mme la comtesse de Castiglione, la seconde parmi toutes les femmes entourant l'Impératrice qui la préoccupa vivement, eut, plus que Mme de Metternich, la réputation d'être une femme politique et ne fut, cependant, pas autant qu'elle l'agent d'un gouvernement étranger.

La comtesse de Castiglione fut avant tout, sous l'Empire, et aux Tuileries, une femme d'amour qui mit la nudité à la mode et si, dans quelques occasions, sa beauté, sa chair faites de luxures, devinrent les auxiliaires du cabinet de Turin, il serait exagéré de prêter au rôle qu'il lui a été offert de remplir, une importance qu'il n'a jamais eue, qu'il ne pouvait avoir.

Un soir, elle parut aux Tuileries et comme elle avait toutes les audaces, et toutes les splendeurs, elle eut d'impériales amours. Napoléon III, dans son intimité, la nommait la Mina, et je crois qu'elle tenait beaucoup plus, alors, à cette douce appellation qu'à une gloire de diplomate en jupons.

 

L'Exotisme, sous l'Empire, eut, parmi les hommes, pour chefs de file, pour meneurs attitrés, MM. de Metternich et Nigra — le premier un moment très amoureux de l'Impératrice et cédant plus aux prières de celle qu'il aimait ou qu'il avait aimée, après Sadowa, dans la question de la Vénétie, qu'aux obligations de son patriotisme ; le second, feignant une passion pour la souveraine, afin de mieux utiliser ses indiscrétions.

L'Exotisme sentait sa fin prochaine, le publie s'étant lassé de son autorité encombrante, lorsqu'on 1867, des rois vinrent à Paris lui souiller une nouvelle vie.

Après l'Exposition, les rois — comme dans la chanson de Carnaval — nous ayant quittés, l'Exotisme reprit aux Tuileries sa vogue et sa folie.

Et lorsqu'en 1869, des symptômes alarmants se manifestèrent dans la politique intérieure du pays ainsi que dans sa politique extérieure, il ne s'en inquiéta pas.

Ce fut, alors, comme un oubli de tout, à la Cour, devant le regard rêveur et attristé de l'Empereur impuissant à rendre la raison à son entourage. Ce fut de la part de l'Impératrice, de Mme de Metternich et de toutes les femmes, comme un assaut donné à toutes les ivresses, à tous les plaisirs. Les bouches se firent plus osées, les corps se dévêtirent davantage, en des exhibitions de tableaux vivants, l'écurie et le cabaret tinrent le haut de la suprême élégance ; Rome décadente fut surpassée dans l'ordre des sensualités et des humaines jouissances.

Un arrêt, dans cette griserie, devenait nécessaire et fatal. Lugubre, le coup de canon de 1870 marqua cet arrêt.