LE SECRET D'UN EMPIRE : L'IMPÉRATRICE EUGÉNIE

 

IV. — LA FEMME POLITIQUE.

 

 

C'est ici, sans contredit, l'un des chapitres les plus importants de mon étude sur l'impératrice Eugénie, tant par les faits ignorés que je vais livrer au public, que par les lettres graves émanant de personnages divers, que je vais publier.

Ces lettres et ces faits fussent demeurés sous les scellés de l'Etat, s'il en avait été propriétaire, pendant de longues années encore.

Les lecteurs et les historiens me sauront peut-être gré de leur éviter cette attente.

L'Impératrice, je l'ai dit, ne se montra vraiment impératrice, dans l'ordre général de sa Cour, qu'après son voyage en Angleterre. Son séjour parmi nos voisins fut pour elle comme une occasion d'observer et d'apprendre, et elle sut, relativement, profiter des exemples qu'elle eut sous les yeux.

On peut affirmer qu'elle fut, en tout temps, la très gracieuse et la très fêtée, mais ce n'est réellement qu'à partir de son retour en France qu'elle devint la très courtisée.

L'Impératrice, d'ailleurs, se montra, à tous les moments de sa vie, enthousiaste des choses anglaises et son zèle à les patronner aux Tuileries n'est en aucune façon surprenant, si l'on considère que devant son élévation elle ne rencontra, de la part des reines et des princesses étrangères, en Europe, qu'une amabilité polie, tandis que, parmi toutes. la reine Victoria l'accueillit avec une sorte de fraternelle affection.

J'ai indiqué la nature fantasque de l'Impératrice dans les choses de sa vie privée.

Fait singulier et qui prouve bien qu'il y avait absolument deux femmes distinctes en elle, autant elle manifesta d'incohérence, de légèreté dans son intimité, autant elle exprima de volonté, de netteté, de logique dans les questions d'Etat qui l'intéressèrent. Sa politique, au fond de laquelle on retrouve sans cesse une idée, un principe religieux, ne dévia pas d'une ligne durant les dix-sept années de son règne et dans son intelligence, qui était incontestable et très grande, elle fit, parfois, prévaloir ses conceptions et réussit souvent à mettre en échec celles des ministres et celles aussi de l'Empereur.

Ceux qui se sont habitués, sur la foi d'une légende mensongère, à regarder l'Impératrice comme une sorte de fauvette roucoulant sur le dossier de ce fauteuil qu'on appelle un trône, seront surpris de ce portrait. Ce qui va suivre n'est point pour atténuer leur étonnement.

 

Il est une interrogation délicate : l'Impératrice fut-elle aimée de la Cour et du peuple ?

En apparence, oui, la Cour l'aima. Mais la sympathie qu'elle éveillait était une sympathie toute spéciale, contrariée si je puis ainsi dire, non spontanée, et sans cesse sous le coup d'une crainte. L'Impératrice, en effet, au contraire de l'Empereur, qui avait le don de se créer des dévouements et des enthousiasmes, était redoutée dé ceux qui l'entouraient et qui, continuellement sous l'influence de ses brusques variations de caractère et de sentiments, ne savaient trop quelle contenance tenir devant elle, se trouvaient déroutés dans l'hommage de leur affection sincère ou calculée.

Quant au peuple, quant à la foute qui monte sur les bornes et sur tes réverbères au passage des rois, non, très catégoriquement, l'Impératrice n'en fut pas aimée. Malgré sa beauté, malgré sa grâce de femme, elle n'entra jamais dans l'esprit et dans le cœur du peuple, et autant l'Empereur fut près de ce peuple, en un temps de son règne, autant elle eu fut éloignée toujours.

Une reine n'étant, à aucune époque de sa vie, en contact direct avec la foule, il serait oiseux de rechercher dans les régions spéculatives la cause de cette demi-hostilité qui sépara l'Impératrice Eugénie, des français ; il serait plus vain encore de déterminer cette cause en invoquant des tendances politiques qui ne pouvaient être connues publiquement. Trois raisons, prises dans le domaine des petits faits, expliqueront beaucoup mieux que toutes autres l'indifférence ennemie de la foule : l'Impératrice était étrangère ; elle n'était pas fille de roi, et le peuple la salua d'un calembour que lui inspira sou nom, à son avènement. Il n'y a rien là de paradoxal, et l'on n'ignore pas qu'il ne faut au peuple, bien souvent, en France, qu'un calembour pour qu'il adore ou pour qu'il haïsse.

L'impératrice Eugénie eut à son actif, cependant, des heures superbes qui lui valurent l'admiration de cette foule qui se tenait, devant elle, muette. Elle la força, à Amiens, lors du choléra et de sa visite à l'hôpital, où elle entra seule, exigeant de ses dames qu'elles ne la suivissent pas, à l'acclamer. D'autre part, elle avait devant les humbles, des oublis qui ne lui furent jamais pardonnes.

Elle aimait trop, aussi, à s'entourer ostensiblement de personnalités féminines exotiques, et elle ne comprenait pas ou ne voulait pas comprendre que, de ce contact habituel avec des étrangères plus ou moins suspectées par l'esprit public, naissaient un mécontentement, un reproche qui, fatalement, retombaient sur elle seule.

Je viens de rappeler l'attitude de l'Impératrice à Amiens décimé par le choléra. Elle était, en effet, courageuse, quoiqu'elle déclarât souvent, par coquetterie sans doute, qu'elle était une peureuse.

Son courage s'affirma, surfont, dans une circonstance connue, lors de l'attentat d'Orsini, dont certains détails intéressants n'ont point été dévoilés.

Ce soir-là, l'Empereur était convié à une réunion que donnait, au Palais-Royal, le prince Napoléon, et au cours de laquelle on devait jouer une nouvelle pièce d'Augier.

Soit pressentiment, soif caprice de jolie femme, l'Impératrice, avant le départ de l'Empereur pour la chasse, l'avait supplié de se rendre à l'invitation de son cousin et d'abandonner le dessein qu'il avait tonné de ne la pas accepter pour paraître au théâtre comme il l'avait fait annoncer. Lorsque Napoléon III rentra, elle lui dépêcha encore un ami pour vaincre son obstination. Mais tout fut inutile ; l'Empereur lut inflexible et il fit à son tour, prier l'Impératrice de vouloir bien l'accompagner.

On sait le reste. Mais ce qu'on ignore, c'est qu'à l' instant où les bombes éclatèrent devant l'Opéra, un homme, fête nue, les yeux hagards, se précipita à la portière impériale, l'ouvrit, et, le poignard à la main, apparut sur le marche-pied de la voiture.

Alors l'Impératrice eut un cri ; elle se leva d'un bond, se jeta sur son mari, qu'elle couvrit ainsi de son corps, le protégeant dans un mouvement instinctif et admirable, contre toute atteinte.

Mais ses craintes étaient vaines, heureusement. L'homme qui, armé, s'était ainsi présenté, était l'un des deux frères Alessandri, ces Corses fidèles qui ne quittaient jamais l'Empereur.

Il était avec son frère, eu observation près de l'Opéra, lorsque Napoléon III y arriva, et il s'apprêtait à défendre son souverain.

C'est sur son bras que l'Empereur, dont une légère blessure marquait la joue et dont le chapeau était troué, s'appuya pour descendre de sa voiture, Un cheval était littéralement crevé, et une mare de sang inondait le pavé. L'Impératrice qui, ce soir-là, était vêtue d'une robe de satin rose et blanc, eut sa toilette tachée et, quand elle parut sous le péristyle, au bras de l'Empereur, et monta l'escalier conduisant à sa loge, devant cette tache rouge et humide il y eut, dans le public qui se pressait, une poignante émotion.

La femme — impératrice ou bourgeoise — qui prend spontanément, dans un drame, une telle attitude, n'en déplaise aux esprits chagrins, est une femme dans toute l'acception du mot, et surtout, est suprêmement brave.

Lorsque l'Empereur, à cheval, reçut à bout portant, encore, le coup de pistolet de Pianori qui fut détourné par Edgar Ney, ce fut, aussi, l'un des frères Alessandri qui s'empara du meurtrier, et comme il se disposait, le poignard en main, toujours, à lui enlever toute possibilité de recommencer jamais un tel jeu, l'Empereur l'arrêta :

— Ne faites pas de mal à cet homme, dit-il ; contentez-vous de l'arrêter.

Quelques instants après, au Bois, il rejoignait l'Impératrice, à qui il racontait le drame et qui, devant ce récit, demeura stoïque.

Une autre anecdote — moins grave celle-là — dira encore le courage de cette femme.

Pendant les séjours qu'elle faisait à Biarritz, elle aimait à prendre la mer pour des promenades au large et, à cet effet, un vapeur stationnait à Bayonne durant tout le temps de sa villégiature. Une après-midi, une tempête surprit le petit bâtiment et comme, tant bien que mal, il arriva en vue du port, une autre difficulté se présenta, mettant un obstacle à son refuge : le pilote déclara que la barre qui obstrue le chenal de Bayonne ne permettait pas d'atterrir.

La bourrasque était effroyable, et, devant cette déclaration, l'Impératrice ne broncha pas. Elle était calme, allant de l'un à l'autre, s'occupant des femmes surtout, qui l'accompagnaient et qui gémissaient.

Pourtant, le pilote s'approcha d'elle et lui dit :

— Madame, ayez confiance ; nous allons passer.

Et il donna l'ordre de franchir.

Au moment où il s'engagea dans le chenal, le navire eut une secousse terrible ; il se coucha, et si une lame énorme ne l'avait, soulevé et emporté. le jetant comme un paquet plus avant, il est raisonnable de penser qu'un naufrage célèbre de plus compterait dans les annales maritimes.

Il était une heure du matin quand le vapeur se rangea le long du quai sur lequel l'Empereur et une foule considérable, attendaient.

Le pilote, alors, eut un mot charmant et naïf, un mot peuple bien typique.

S'inclinant devant l'Empereur, il lui dit :

— Sire, j'ai passé parce que l'Impératrice était à bord. Jamais je n'aurais fait cela sans elle. Elle m'a porté bonheur.

— C'est fort bien, répliqua l'Empereur ; mais ne recommencez plus. Vous avez gagné la partie. Si pourtant, vous l'aviez perdue ?...

Et il se jeta dans les bras de l'Impératrice, nui venait à lui.

 

Ces quelques considérations et ces quelques anecdotes exposées, afin de bien établir la silhouette de l'impératrice Eugénie, j'aborde pour ne plus le quitter, l'examen du rôle qu'elle joua en politique.

Je l'ai dit, elle ne s'occupa que peu des questions intérieures, et son action s'exerça principalement sur les affaires étrangères.

Il est donc nécessaire de faire deux paris de sa participation dans les choses du gouvernement.

Dans les premières années de son mariage, l'Impératrice ne prit qu'un intérêt relatif et tout à fait platonique à la politique ; ce n'est qu'à partir de la guerre d'Italie que son influence se fait sentir dans les conseils de l'Empereur et que son goût pour les affaires semble se développer.

Etant données, cependant, l'autorité et la compétence qu'elle apporta alors dans les débats publics ou secrets, on peut être fondé à croire, sans trop de témérité, que, dès longtemps, elle observait, et qu'elle n'attendait que l'occasion favorable d'entrer en scène.

Ayant été nommée régente lors de la campagne d'Italie et ayant fait preuve d'une réelle aptitude, sur la demande même du ministre des Affaires Etrangères d'alors, l'Empereur consentit à son initiation, à l'admettre désormais aux conseils, et ce ne fut que lorsque parut une brochure intitulée : Le Pape et le Congrès, signée du vicomte de La Guerronnière, laquelle fut l'une des causes qui empêchèrent les représentants des puissances de se réunir à Paris, qu'elle cessa d'y paraître pour n'y revenir qu'à l'époque de sa seconde régence.

A l'intérieur, la politique de l'impératrice Eugénie se résume essentiellement dans un amour de l'autorité à outrance, dans un antilibéralisme absolu et obstiné qui éclate, en 1869, brutalement, quand se dresse devant elle le spectre de l'Empire libéral.

Très jalouse de l'influence que quelque personne que ce fût pouvait avoir sur l'Empereur, elle n'a qu'un but aussi : écarter des Tuileries, ceux dont les avis, trop écoutés, font échec aux siens, supprimer, par tous les moyens pratiques, les hommes qui entourent l'Empereur et qui lui paraissent devoir s'imposer à lui.

Elle échoua parfois dans cette lutte quotidienne : mais elle eut des victoires, et, dans les dernières heures du règne impérial, elle avait assuré pleinement sa prépondérance.

Parmi ceux qu'elle détestait le plus et dont les tendances l'inquiétaient, davantage étaient, au premier rang, le général Fleury et M. Emile Ollivier.

La présence seule du général l'exaspérait :

— Je saurai m'en débarrasser et en délivrer l'Empereur, avait-elle dit un jour.

Et, en effet, elle s'en débarrassa en le faisant envoyer en Russie en qualité d'ambassadeur.

Alors elle eut une phrase bien caractéristique :

— Maintenant, déclara-t-elle, j'aurai une telle influence sur l'Empereur que rien ne se fera sans que je le sache.

Tour à tour M. de Morny, le comte Walewski, le maréchal Niel, M. Mocquart ont provoqué sa jalouse perspicacité.

M. Rouher lui-même, dont elle partageait, cependant, l'absolutisme, les idées de réaction, n'a pas échappé à sa suspicion et, bien souvent, s'est trouvé en butte à sa mauvaise humeur, à son hostilité.

Mais de tous ces hommes, je le répète, ce fut le général Fleury qui eut le don d'entretenir le plus son inquiétude. Sa haine le poursuivit jusqu'aux dernières minutes de l'Empire, et quand, ambassadeur à Saint-Pétersbourg, au moment où la guerre éclata entre la France et la Prusse, le général réclama son rappel et demanda un commandement à l'Empereur, selon la promesse qu'il lui avait faite, en cas d'événements imprévus et graves, elle s'interposa violemment, obtint qu'il ne fût pas déplacé et qu'il demeurât éloigné.

Le général, elle le savait, entretenait chez l'Empereur le Rêve, c'est-à-dire ce libéralisme qui ne quittait point sa pensée et qui le mena, sans trop de contrainte, aux réformes de 1870.

Le général était un ennemi, à ses yeux ; elle le considérait comme tel, et lorsqu'à l'avènement du ministère Ollivier, il mêla sa voix à toutes celles qui acclamaient le nouveau régime, elle manifesta contre lui un tel courroux que l'Empereur dut intervenir et la forcer à adresser à son conseiller, sinon une lettre d'excuses, mais quelques lignes qui vinssent atténuer l'attitude qu'elle avait prise.

J'ai reçu dimanche, écrit le général Fleury, à ce propos, une lettre de l'Impératrice — très raisonnable — très calme et très sensée. Elle ne récrimine pas sur ce qui s'est fait ; mais insiste avec justice pour que l'on sache bien que l'Empereur a fait toutes ces concessions de son plein gré. Je trouve qu'elle a bien raison de vouloir que l'Empereur hérite au moins de ses propres idées. Il est certain que ses anciens conseillers devaient le pousser dans un sens inverse, et qu'il a dû lui falloir une grande volonté pour ne pas se. laisser aller à la réaction.

 

D'autre part, le général Fleury, s'exprimant sur les événements accomplis, détaillait sa pensée dans les curieuses ligues suivantes :

23 mars, Saint-Pétersbourg.

... Placé loin comme je le suis, à longue distance, les petites imperfections me semblent de peu d'importance.

Quelle que soit l'agitation, quels que soient les tiraillements qui succèdent à la révolution pacifique qui vient de s'accomplir, je n'envisage que le résultat final. Ce résultat est immense. Par ses concessions habiles, l'Empereur a désarmé les partis monarchiques hostiles. — Il a démonétisé les complices des d'Orléans en les prenant pour ministres. Il a fondé l'avenir de sa dynastie en rendant sa succession transmissible ; en un mot, il s'est substitué à tous ceux qui voulaient le renversement de l'Empire, en se faisant le protecteur de la liberté, de tous les intérêts contre la démagogie ! Je trouve que c'est une grande œuvre accomplie et que nous devons savoir un grand gré à Emile Ollivier qui a été le drapeau autour duquel libéraux, parlementaires, orléanistes et même les impériaux sont venus se rallier.

Quand vous le verrez, dites-lui bien que je lui suis dévoué de tout cœur et que, de plus, je lui suis reconnaissant du service immense qu'il a rendu à l'Empire et au pays.

L'Empereur, lui, a été sublime de calme et d'abnégation. S'il a concédé plus peut-être qu'il n'en avait le dessein, la faute en est à M. Rouher et consorts qui ne l'ont pas averti à temps du changement de l'opinion dans le pays. — Tout le monde était las de ne rien être, de ne pouvoir arriver à rien. — De là, les 3.500.000 voix qui se sont élevées contre les candidatures officielles et avec lesquelles il a fallu compter.

Il est évident que dans les premiers temps de celte rénovation, il y aura des fautes, des exagérations, beaucoup de froissements et de blessures d'amour-propre ; mais qu'importe si, à l'aide de ces satisfactions données aux ambitions et aux intelligences, l'Empereur peut mourir avec l'assurance que son fils héritera de sa couronne !

Ici, l'on ne s'y trompe pas. Notre souverain n'a pas perdu de son prestige. Tous, le Czar, les ministres, le monde politique, comprennent que Napoléon est le dernier rempart contre la révolution et que la lutte qu'il soutient est la lutte suprême de la monarchie européenne contre une odieuse démagogie.

Voilà mon sentiment sincère. Je serais heureux que mes convictions vous rendissent un peu de la confiance que j'ai dans l'avenir !

Je continue à être bien accueilli ici. Tant que l'on voudra me laisser dans ce poste de combat de plus d'un genre, j'y resterai volontiers. En France, je n'avais pas de place exacte. En Russie, je puis rendre de bons services, C'est d'ailleurs l'opinion de l'Empereur qui m'a écrit, par le dernier courrier, qu'il était très satisfait de mon attitude et qu'il pensait que je pourrais lui être très utile à Saint-Pétersbourg. Je ne pense donc pas, pour le moment, devoir être rappelé. J'ajouterai même que M. Daru m'a fait dire, de plusieurs côtés, des choses aimables. La Tour-d'Auvergne m'a confirmé les bonnes intentions de mon ministre à mon égard. Contrairement à vos craintes affectueuses, je me laisse donc aller à l'espoir que l'on me permettra de mener à bonne fin la tâche que j'ai entreprise. Si l'on n'était pas mal venu de parler de soi, je dirais que, politiquement, l'on aurait peut-être tort de me changer trop tôt.

Je suis heureux d'apprendre que, de votre coté, tout va bien, que vous êtes satisfait, que vos rapports sont bons. Je reste convaincu qu'avec votre esprit, vous les rendrez encore meilleurs et plus intimes. Vous pouvez, dans votre salon rendre des services qu'aucune des personnes qui entourent l'Impératrice n'est en position même d'essayer de rendre. Votre influence précieuse sur le corps diplomatique, vos relations si nombreuses et si variées vous mettent à même, dans bien des circonstances, de jouer un rôle exceptionnellement utile. Là encore, je pense que l'Empereur a bien fait de vous offrir la situation que vous occupez près de l'Impératrice...

 

Quant à M. Emile Ollivier, l'Impératrice n'ignorait pas, dès l'année 1866, que des pourparlers étaient engagés entre l'Empereur et lui, et que ses visites aux Tuileries — visites clandestines, il est vrai, mais d'autant plus suspectes à ses yeux — commencèrent dès les premiers jours de 1867.

Deux lettres de Napoléon III sur ces visites— qui se faisaient par une petite porte — sont concluantes.

Le 8 janvier 1867.

... Comme il pourrait être désagréable à M. Emile Ollivier qu'on sût qu'il est venu chez moi, dites-lui d'arriver aux Tuileries demain, par la petite porte qui est du côté de la rivière, dans la cour, et de dire à l'huissier Félix qu'il vient de la part du cte Waleswki ; il n'aura pas besoin de donner son nom.

 

La seconde lettre, en date du même jour, donne contre-ordre au conspirateur et assigne un nouveau rendez-vous.

... Je vous prie d'exprimer à M. E. Ollivier combien je regrette de lui avoir donné rendez-vous pour mercredi sans penser que j'ai conseil des ministres ce jour-là de 4 à 6 heures. Je vous prie donc de le prier de remettre si visite à jeudi à 8 heures.

Je suis très fâché de cet oubli de ma part...

 

L'Impératrice conçut, en face de tous ces faits, un réel dépit, et quoique M. Emile Ollivier, plus tard, en 1869, dans un billet, exprime sa satisfaction de l'accueil que la souveraine lui a fait à Toulon, il n'en reste pas moins établi qu'elle ne le voyait grandir et entrer dans les conseils de l'Empereur qu'avec un sentiment de franche aversion,

Le billet de M. Ollivier est, d'ailleurs, laconique,

9 novembre 69.

... Magne a très bien parlé au Sénat. — J'ai été très content de l'Impératrice à Toulon ; elle a été pour moi charmante et je l'ai trouvée en d'excellentes dispositions.

 

Des embarras journaliers naissaient de cette altitude de l'Impératrice, do cette hostilité qu'elle témoignait à certains hommes d'Etat, de cette ingérence qu'elle apportait dans les affaires.

Bien avant ces faits, déjà, l'Empereur avait eu à combattre son humeur tracassière, et dans un différend qu'eut l'un de ses principaux ministres, en plein conseil, avec M. Fould, l'Impératrice ayant pris parti pour ce dernier, il dut s'occuper de l'incident et s'entremettre pour amener une réconciliation générale.

La lettre que Napoléon III écrivit à ce sujet est curieuse :

... Je vous écris parce que je compte sur votre bonne amitié pour faire cesser une situation qui me peine profondément à cause des sentiments que je vous porte. Je voudrais d'abord que, par une démarche de votre part, vous fissiez une démarche vis-à-vis de l'Impératrice afin de mettre un terme à l'espèce de malentendu qui règne entre vous. Vous savez que l'Impératrice est très vive, mais qu'au fond elle vous aime beaucoup ; un mot de regret arrangera tout.

Maintenant, je tiens également à ce que vous exprimiez à Fould le regret d'avoir employé vis-à-vis de lui, au conseil, des paroles qui n'étaient point polies. Quand on a tort dans la forme, il est très convenable de le reconnaître ; ce n'est point alors s'abaisser, mais, au contraire, se conduire en gentleman.

Il est impossible sans cela que les ministres puissent continuer ensemble à faire les affaires du pays.

Je compte sur tout ce qu'il y a d'élevé dans votre esprit et de tendre dans votre cœur pour amener une réconciliation générale.

Ai-je besoin de vous dire combien sont vrais les sentiments que je vous porte...

 

En dépit du ton impartial, bon enfant et un peu grondeur de cette lettre, on le sent, Napoléon III souffrait de l'initiative gênante de sa compagne et il cherchait à la faire sinon accepter, mais supporter, en adoucissant les blessures d'amour-propre et autres qu'elle causait là où elle se manifestait.

L'antagonisme qui exista entre le prince Napoléon et l'Impératrice est trop connu pour que je le mentionne, avec beaucoup de détails, ici.

Cet antagonisme, quoique atténué par la demi-sympathie qu'avaient l'une pour l'autre l'Impératrice et la princesse Clotilde, puisait quand même dans cette affection contrainte et réservée comme un nouvel élément de durée et de vie.

La princesse Clotilde s'accommodait mal, on effet, dans sou austérité jamais démentie, de la coquetterie de sa cousine, et celle-ci, mise en défiance pur l'éloignement de la princesse — éloignement volontaire et mal caché sous des prétextes polis — s' irritait davantage.

En outre, les deux caractères du prince Napoléon et de l'Impératrice, très opposés, ne pouvaient se convenir. S'acharnant tous deux en des discussions, en des contradictions sans cesse renouvelées, leurs relations s'envenimaient chaque jour. La grande et éternelle question d'un gouvernement libéral les désunissait plus encore et l'Impératrice ne permettait pas au prince d'approcher l'Empereur sans que son regard investigateur l'observât.

On a beaucoup discouru sur le prince Napoléon, et la plupart de ceux qui ont rappelé ses démêlés avec les Tuileries en ont mal compris les causes et le but. Le prince Napoléon est l'un des hommes les plus intelligents de notre siècle, il faut bien le reconnaître, et si on a des maladresses à lui reprocher, ces maladresses, souvent, ne lui ont été inspirées que par les obstacles et les objections vexatoires qu'on a opposés à sa pensée, à sa nature ardente et toute d'une pièce.

Il aimait l'Empereur, je le crois, et lui était dévoué, les idées de son cousin, sur certains points de politique intérieure, surtout, n'étant pas très éloignées des siennes.

Si, pendant le règne de Napoléon III, il a refusé obstinément, et dans une sorte d'entêtement hostile, de se croiser les bras, comme l'exigeait l'Impératrice, s'il a pris parfois l'attitude ennemie qu'on sait, on doit plus cette attitude à la guerre implacable qui lui a été faite, aux soupçons injustes qui l'ont poursuivi, qu'à ses propres et intimes sentiments.

Le prince a vu clair dans les choses de l'Empire, Il en a enregistré les succès comme il en a prévu les défaites et son impopularité vient beaucoup plus de n'avoir pas été compris, que de ses actes ; que de ses théories.

On a cherché à l'amoindrir, alors qu'il eût été habile et nécessaire de lui faire une situation importante en rapport avec ses aptitudes. On a tenté de le déconsidérer, de lui enlever toute initiative, alors qu'il eût été prudent de lui laisser la responsabilité de ses conseils, de le mettre en relief. Son caractère autoritaire, la conscience de sa propre valeur ne lui ont pas permis d'accepter le rôle effacé qu'on lui offrait, et, s'il eût consenti à se soumettre à l'Empereur, il ne lui a pas été possible de se courber sous la tutelle d'une femme que rien ne préparait, en somme, à le traiter avec autant d'implacabilité.

L'Empereur déplorait ce malentendu, sans toutefois oser beaucoup d'efforts pour le faire cesser, redoutant par-dessus tout les scènes de ménage et le trouble de sa politique.

Il aimait le prince, de son côté, et sincèrement avait, pour parler familièrement, un faible pour lui. Le prince n'ignorait pas les sentiments de son cousin à son égard et lui en savait gré ; mais comme chaque fois qu'il se présentait aux Tuileries, il remarquait qu'on l'accueillait en étranger importun, avec maussaderie, il résolut de n'y paraître bientôt plus qu'officiellement, que dans les cérémonies solennelles où son absence eût fait scandale.

Je possède une lettre de M. Charles Edmond ou Choieçki, bien typique concernant les relations des Tuileries et du Palais-Royal. Elle fut motivée par un discours malheureux prononcé par le prince Napoléon sur la politique impériale et par une lettre de l'Empereur insérée au Moniteur, désavouant les paroles de son cousin.

Cette lettre, adressée à un ministre, et que je reproduis en toute impartialité, mieux que du récit, mettra le lecteur en mesure de juger les sentiments qui animaient les parties adverses.

Paris, 22 mars.

Mon cher ami,

Je vous transmets, sans perdre de temps, le résultat des démarches que j'ai tentées à la suite de notre conversation d'hier soir. La lettre de ce matin insérée au Moniteur a produit l'effet d'un coup de foudre. En admettant que les griefs qui l'ont motivée fussent légitimes, un simple entrefilet au Moniteur eût suffi et au delà. Actuellement, la mesure a été dépassée. Au Palais-Royal, on ne se fait pas illusion sur la main qui a porté le coup et l'on comprend que le projectile a été lancé par la vengeance rancunière et implacable de M. Bidault. Aussi, l'on a beau vouloir contenir et cacher son exaspération, elle déborde quand même, elle ronge à l'intérieur, elle brûle. Les conséquences de celte agitation, de ce supplice moral ne peuvent qu'être déplorables pour l'ensemble de la situation en général, et pour notre cause en particulier. Les ennemis de la dynastie sont les seuls à s'en réjouir ; ils aspirent, ils dégustent, ils sirotent ce breuvage corrosif et dissolvant de la discorde auquel semblent vouloir se désaltérer les membres de la famille impériale. Le discours aurait pu être modifié, j'en conviens, — mais je vous le demande, était-il possible de le prévoir dans tous ses détails, la veille du jour où il fut prononcé ? Vous vous rappelez nos conversations ; — elles tournaient autour de deux points : s'abstenir de toute attaque contre l'Autriche et respecter le parti catholique grâce à la noble attitude qu'il avait prise dans la question polonaise. Ces deux buts furent également atteints. De l'empereur Alexandre, il n'en a pas été question, et fort malheureusement et à mon grand regret, et à mon grand remords, je l'avoue ; autrement rien n'eût été plus facile que d'échapper aux inconvénients d'une agression personnelle, tout en élargissant l'horizon du discours et en augmentant par là même sa portée. La vérité seule aurait suffi à la tâche. Nicolas était un homme féroce ; il se complaisait dans les souffrances, dans la douleur de ceux qu'il considérait comme ses ennemis. Mais son successeur n'est pas du même acabit. Son cœur est humain ; l'affranchissement des serfs doit lui être compté. Alexandre est autre, oui, il est bon, oui, il est magnanime, comme dit M. Bidault, oui, il est généreux, mais sa situation vis-à-vis de la Pologne est telle que ce même homme doux, bon, magnanime, se voit condamné à dépasser chez nous la tyrannie de son père. Mettez saint Vincent de Paul sur le trône de Russie en lui imposant la condition de conserver à tout prix la Pologne, et l'apôtre se transformera à vue d'œil en bourreau ; couronnez un ange du diadème des tzars et l'ange fera en Pologne œuvre de démon. C'est ainsi qu'au point de vue français et philosophique à la fois, et à notre grand profit, on aurait pu présenter la situation forcée de tout souverain russe vis-à-vis des Polonais. D'un autre côté, si le discours a créé des embarras au gouvernement, celui qui l'a prononcé n'est pas le seul coupable. Qu'est-ce qui empêchait l'Empereur de s'en faire la veille communiquer la substance, de le discuter, de l'épurer, je dirai plus, de le dicter d'un bout à l'autre à son cousin ? La parole fougueuse et surabondante du prince Napoléon ne s'était-elle donc pas jusqu'ici jamais révélée ? Le prince Napoléon na-t-il pas jusqu'ici saisi avec bonheur chaque occasion de suivre pas à pas toute ligne de conduite que l'on s'était donné la peine de lui tracer à l'avance ? Personne mieux que moi ne connaît le prince Napoléon et je maintiens que je l'ai toujours vu se complaire dans l'accomplissement de toute action concertée à l'avance avec son auguste cousin. Par malheur, ces occasions ne lui furent offertes jusqu'ici que beaucoup trop rarement. Aussi ne faudrait-il pas l'écraser toujours sous le poids de toute la responsabilité. D'autres devraient bien en prendre leur part légitime. L'opinion publique qui n'observe qu'à distance, qui ne voit qu'imparfaitement et qui ne juge qu'à faux, est convaincue que l'Empereur est bien aise toutes les fois qu'il peut déconsidérer le prince Napoléon aux yeux du pays. Je vous en citerais au besoin une foule d'exemples. Les badauds stupides prennent pour de la perfidie ce qui n'est en réalité que l'effet d'une honte un peu trop passive, d'une condescendance un peu trop nonchalante peut-être. Malheureusement, les faits semblent se ranger à l'appui de cette manière de voir fausse et absurde. D'autres, plus insensés encore, en présence d'une aventure comme celle d'aujourd'hui, prétendent que le prince doit la majeure partie de ses déboires, à la haine que lui porte l'Impératrice. Je vous parle du monde officiel, je vous parle des gens de la Cour, je vous parle d'une foule d'individus qui, de près ou de loin, tiennent aux Tuileries ou bien au Gouvernement et qui calomnient ainsi et le caractère de l'Impératrice et les dispositions du prince à son égard.

Depuis longues années je ne quitte pour ainsi dire pas le prince Napoléon. Je n'oublierai jamais le jour du mariage de l'Impératrice. Le prince habitait alors une maison rue de l'Université. Je me trouvais chez lui le matin. Son salon était encombré d'une foule de gens que leur passé ou leurs affaires mettaient en contact avec h population parisienne. Le prince les sermonnait ; il leur donnait ses instructions. Ses paroles retentissent encore à mes oreilles.

— Les faubourgs, disait-il, doivent acclamer la jeune Impératrice ; il faut qu'ils illuminent, il faut qu'ils manifestent haut leurs sympathies, car l'épouse de l'Empereur est ce qu'elle parait être, elle porte son âme sur son visage, elle est aussi bonne que belle !

Depuis, j'ai eu maintes occasions de causer avec lui ou de l'entendre parler de l'Impératrice, et toutes les fois qu'il en a été question, il me semble encore voir son œil et sa bouche sourire en même temps, comme on le fait lorsqu'on passe à un sujet d'entretien qui n'ouvre l'issue qu'à des sentiments de bienveillance, d'affection — de cœur. Mais l'expansion en face lui répugne, et la forme chez lui donne souvent le change sur le fond. — Eh bien ! malgré tout cela, il n'en est pas moins vrai que la situation entre les Tuileries et le Palais-Royal se trouve souvent tendue, et aujourd'hui, elle l'est plus que jamais. Vous comprendrez à merveille le préjudice qu'un pareil étal de choses cause à la dynastie, à la France et en dernier lieu à notre pauvre chère Pologne ; vous devinez parfaitement à quel point il serait désirable que la crise se dénouât, comme elle devrait le faire, par l'enlèvement des chevaux de frise qui jonchent le chemin entre les deux résidences. Pour aboutir à ce résultat, je ne vois qu'un seul moyen et il n'en faut pas davantage puisque celui que je compte vous indiquer me paraît infaillible. Le comte exerce en ce moment une influence notable sur l'esprit du prince, influence dont j'ai pu apprécier l'intensité, et qui résulte, d'abord du retour au jugement consciencieux, impartial, et juste sur la valeur du haut personnage, ensuite d'un sentiment de regret du passé, ou si vous voulez absolument que je dise le mot, d'un sentiment de remords, d'avoir jadis mal jugé, mal compris. C'est donc le comte qui peut mieux que personne appliquer le premier pansement sur la blessure. La douce intervention de l'Impératrice ferait le reste. Le Sénat va ouvrir une discussion sur l'Algérie. Le prince doit prendre la parole. Ne serait-il pas possible qu'à cette occasion, il reçût une lettre au moins aussi bienveillante que celle qui a été adressée aujourd'hui à M. Billault. De plus, la question polonaise, sympathique également à tout le monde, n'offre-t-elle pas déjà un terrain unique cl merveilleux pour se réconcilier et faire disparaître des malentendus qui n'ont aucune raison sérieuse, aucun droit logique et justifié de brouiller les relations intimes de famille. Toutes les conditions de succès se réunissent à la fois si l'on veut se prêter à la démarche. Au cas contraire, qu'en résultera-t-il de bon pour tout le monde, pour toute ; les causes ?... Je vous le demande[1].

 

Quoique se développant, donc, dans un cadre relativement restreint, l'influence de l'Impératrice dans les choses de la politique intérieure ne fut pas aussi secondaire que des légendes fantaisistes ou que des récits intéressés voudraient le faire supposer.

Cette influence a, il est vrai, un caractère de taquinerie intime qui la laisse sans relief. Ce n'est, réellement, que dans les questions de politique extérieure qu'elle s'affirma, qu'elle précipita des événements, qu'elle eut des résultats et que l'Histoire doit la mentionner, pour l'absoudre ou pour la condamner.

Ce n'est guère, je le répète, qu'à partir de la campagne d'Italie que l'Impératrice mêla son action à celle de l'Empereur et de ses collaborateurs, dans les questions de politique générale et de politique extérieure principalement.

Elle s'était — et j'ai indiqué déjà les causes de cette opposition — élevée contre toute alliance avec Victor-Emmanuel, devinant, dans l'absolu de ses sentiments religieux, que de cette alliance, faite on vue de l'indépendance italienne, naîtrait un danger, sinon immédiat, mais certain, pour le pouvoir temporel de la Papauté.

Bien avant que les hostilités fussent déclarées entre la France et l'Autriche, elle avait tenté de peser sur l'esprit de l'Empereur, de toute son autorité de femme, pour l'amener à renoncer à son projet, et plusieurs scènes violentes avaient eu lieu entre elle et Napoléon à ce sujet.

— Les Italiens, lui avait-elle dit un jour, ne vous sauront aucun gré du sang que vous allez faire verser pour eux. Et si vous croyez vous assurer des amis en servant aujourd'hui leurs ambitions et leur vanité, vous vous trompez. Qu'un péril vous menace : ils vous tourneront le dos !

Une discussion beaucoup plus importante s'éleva, également, entre l'Impératrice et Napoléon III relativement à l'approbation que donnait le gouvernement français aux revendications italiennes.

L'Impératrice n'ignorait pas les engagements que son mari avait contractés envers certaines personnalités politiques d'au delà les Alpes et ce fut le souvenir de ces engagements qui motiva entre elle et lui une assez vive querelle.

— Vous êtes le jouet, l'esclave de Mazzini ! s'écria-t-elle, une fois.

Et comme l'Empereur se défendait, et, sans nier les promesses qu'il avait faites, cherchait à les expliquer en les conciliant avec ses tendances personnelles, avec sa politique, elle lui reprocha en tenues amers ce qu'elle nommait des compromissions, et lui déclara que de toutes ces choses, il ne sortirait rien de bon pour la dynastie impériale.

Qui pourra dire jamais si Napoléon III fut un enthousiaste sincère de la guerre d'Italie ? Dans sa philosophie faite de rêve et d'utopie, un peu, pensa-t-il vraiment faire œuvre humaine et sociale en permettant à l'Italie d'assurer son indépendance ? Dans son intelligence, dans sa prévoyance, ne prit-il parti qu'à regret pour un peuple dont les sympathies ne pouvaient lui être certifiées ? Quoi qu'il en fût, il n'écouta point, dans cette circonstance, les objections, les prières, les menaces même de l'Impératrice et, dans un fatalisme de beau joueur, il alla résolument de l'avant.

Il brusque, comme à plaisir, les événements, il précipite l'action comme s'il avait hâte d'eu finir avec cette question terrible qui gène la marche de son règne, comme s'il avait hâte, encore, de payer un billet prêt à échoir, et dès longtemps avant le conflit, il se prononce nettement en faveur de Victor-Emmanuel.

Dans les circonstances actuelles, écrit-il en date du 21 février 1837, il m'est impossible d'appuyer en quoi que ce soit les récriminations de l'Autriche vis-à-vis du Piémont et, en conséquence, il faut écrire au duc de Gramont de ne soutenir en aucune façon les prétentions de l'Autriche et la note du comte de Beust.

 

Contrairement à l'avis de son ministre des Affaires Etrangères, l'Empereur, dans sa proclamation, au moment de son départ pour l'armée, avait déclaré qu'il irait jusqu'à l'Adriatique. L'Impératrice fut contraire, également, à cette affirmation. Mais, par un revirement soudain et qui est bien dans la nature de la femme, dans sa propre nature surtout, lorsque l'Empereur voulut traiter de la paix, elle s'opposa à tout arrêt dans la marche victorieuse de nos régiments et désapprouva hautement l'entrevue de Villafranca.

Le rôle de l'Impératrice est, ici, quelque peu effacé encore pourtant. Ce ne sont, de sa part, que des tentatives, que des jalons jetés devant la volonté de l'Empereur. Ce rôle prendra de l'importance dans la question du Mexique et dans la question romaine, reléguant, alors, au second plan, toute initiative qui ne découlera pas de lui.

Siégeant au conseil des ministres, d'ailleurs, après la campagne d'Italie, elle fut largement en mesure de prendre part aux discussions gouvernementales et internationales. Et comme elle avait montré, dans sa régence, une surprenante facilité d'assimilation, l'Empereur, condescendant ou redoutant de nouvelles discordes intimes, lui permit d'accentuer ainsi, chaque jour, sa personnalité.

Cette initiation de l'Impératrice dans les conseils de l'Etat eut un but, aussi, qu'il est utile de faire connaître. L'Empereur, inquiet du tour frivole que sa compagne donnait à son esprit, les ministres désireux de faire cesser les attaques dissimulées qui atteignaient la souveraine, résolurent d'offrir à son imagination quelque dérivatif, une occupation qui fût plus digne du rang qu'elle possédait et de détruire ainsi les accusations de légèreté qui étaient dirigées contre elle.

On l'admit, donc, aux conseils afin qu'il ne lût plus dit, en France et à l'Etranger, qu'elle ne songeait qu'au plaisir et afin qu'il fût avéré qu'elle était l'utile collaboratrice de son mari.

Tout d'abord, l'Empereur repoussa cette ingérence de sa compagne dans les affaires publiques. Mais il céda, je le répète, aux avis de ses conseillers et autant pour ne pas les combattre que pour déférer aux vœux do l'Impératrice qui s'était ardemment éprise des fonctions qu'on lui destinait, il se résigna.

La jeune souveraine fut ravie de l'importance qui lui était ainsi officiellement reconnue. Haussa jalousie instinctive envers tout ce qui approchait l'Empereur, elle vit dans cette consécration de son individualité comme un moyen efficace d'atténuer des influences et, aussi, sa fierté naturelle lut flattée, étant la seule femme de roi, en Europe, qui fût initiée aux événements, en dehors de toute circonstance qui la forçât à les étudier.

Dès lors, elle organisa ce qu'on peut appeler sa politique et elle s'occupa, activement, de tout ce qui intéressa l'esprit public comme celui des Cours et des cabinets étrangers.

En vérité, fut-elle tant et sciemment coupable ? Et les adulations de ceux qui l'entouraient ne mirent-elles pas, plutôt, en elle, cet orgueil, cette assurance de soi, qui pourraient lui être reprochés ? Et puis, n'était-elle pas une épouse, une amoureuse, quoique impératrice, et cette jalousie, qui évidemment fut néfaste à la politique impériale, ne mérite-t-elle point quelque indulgence ? Femme d'un homme pour qui toutes les lèvres avaient des sourires, peut-être des baisers, n'avait-elle pas le droit intime — ce droit vulgaire de la bourgeoise — de vouloir que ses lèvres seules donnassent l'hommage à celui qu'elle aimait et qui, dans une puissance incontestée et comme fabuleuse, grandissait toutes les affections, tous les dévouements qui venaient vers lui ?

C'est là du roman, et nous écrivons de l'histoire.

Pourtant, qu'il me soit permis de citer une lettre, curieuse à plus d'un titre, à l'appui de ma théorie. Cette lettre est de M. Rothan— mort récemment ; — elle a trait à l'entrevue de Stuttgard qui précéda de deux années la campagne d'Italie et quoique ne se rattachant pas absolument aux événements qui concernent celte guerre, elle dit assez les hommages que recueillait Napoléon III, les flatteries qui tombaient devant l'Impératrice, pour qu'elle puisse servir d'excuse à sa jalousie de femme, sinon de souveraine, et de pardon à son orgueil.

 

Stuttgard, 28 septembre 37

Mon cirer ami, je m'étais proposé de t'envoyer, chaque jour, l'impression de la veille. Mais le moyen d'écrire au milieu de nos agitations ! Hier, j'ai dicté quelques lignes à M... au moment de la fermeture de la valise. Nous te disions que le succès de noire Empereur était complet, général, qu'il n'y avait d'yeux et d'oreilles que pour lui. L'intérêt qu'il inspire ne fait qu'augmenter et il se traduit à chacune de ses sorties par des hurralis plus intenses. Samedi, avant le dîner, il a pris le bras du général Bauer et a parcouru avec lui la ville sans aucune espèce de suite. Au milieu de sa promenade, il a été reconnu et aussitôt une foule énorme de l'entourer et de le suivre avec les marques de la plus profonde sympathie, Le général Bauer, effrayé de sa responsabilité, engageait l'Empereur à rentrer, mais S. M. n'a tenu aucun compte de ses observations et a continué sa promenade au milieu de la foule avec une satisfaction marquée. Hier matin, en entrant à l'église et en sortant de la messe, les démonstrations se sont renouvelées. Son succès à la Cour et auprès de toutes les personnes qui ont eu l'honneur de l'approcher, ne laisse rien à désirer. Il séduit tout le monde par sa grâce et sa simplicité. La conquête de la Reine, il l'a faite dès le premier jour. La Reine de Hollande en raffolait avant de l'avoir vu, je présume qu'aujourd'hui elle en aura la tête tournée. Au milieu de tout cela, la grande et impassible figure de l'Empereur Alexandre passe à peu près inaperçue. Il y a autour de noire Empereur un rayonnement qui semble la jeter complètement dans l'ombre. La Légation de Russie s'aperçoit fort bien de la différence et on dirait presque qu'elle en a de l'humeur. L'impératrice Marie est arrivée. Une lutte de beauté d'élégance et d'esprit eût été tout à son désavantage si l'impératrice Eugénie était ici. Autant que je puis en juger, elle semble affecter la simplicité. Au grand dîner d'hier soir, suivi de spectacle, elle était mise un peu comme une petite bourgeoise. Absence presque complète de crinoline ; une robe bleue modeste aplatie sur les hanches et ne bouffant que parle bas. Son port n'a rien d'impérial ; elle sent la province, ou, ce qui revient au même, la petite Cour d'Allemagne. Tu sais qu'elle n'est pas la fille de son père ; il est de notoriété qu'elle doit son origine à un M. de Grancy. Aussi, avant son mariage, elle était traitée à la Cour de Darmstadt, comme Cendrillon. C'est l'Empereur qui lui a donné le bras pour la conduire à table ; l'Empereur Alexandre conduisait la Reine de Wurtemberg et a présidé le dîner. Le Roi avait à son bras la Reine de Grèce et la Reine de Hollande. L'Empereur Alexandre a porté le toast, mais en allemand, ce qui a un tant soit peu frappé ; le Roi lui a répondu ; il a eu le bon goût de le faire en français... Les Russes ne sont restés que jusqu'au commencement du second acte ; on disait l'Impératrice un peu souffrante ; l'Empereur a tenu bon jusqu'à la fin, toujours gracieux et aimable pour la vieille Reine délaissée.

La lettre se termine sur une note comique.

Entre autres Français, nous avons ici un M. de Ladoucette qui s'est permis de prier par le télégraphe le Maréchal de la Chambre qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam, de vouloir bien l'inviter à toutes les fêtes où paraîtrait l'Empereur. Il se recommandait de son titre de sénateur. On a eu la bonhomie de prendre cette demande au sérieux et M. de Ladoucette ligure partout sans avoir été présenté à qui que ce soit. L'histoire est revenue aux oreilles de l'Empereur, qui l'a fort mal prise !

 

Au fond, la guerre d'Italie, abstraction faite des divisions intimes qu'elle amena entre l'Empereur et sa compagne, laissa, en apparence, celle-ci à peu près indifférente. Elle ne provoqua en elle nue réelle et bien féminine curiosité qu'en ce qui concerne la nouvelle cousine qu'elle allait lui valoir par le mariage du prince Jérôme-Napoléon avec la fille de Victor-Emmanuel.

Je possède, transcrite de la main de l'Empereur, la dépêche que le prince, à son arrivée à Turin, lui expédia pour lui apprendre sa première entrevue avec sa future femme, et je la donne ici comme un spécimen d'amour panaché de politique. Les philosophes ou les romanciers en feront peut-être leur profit.

Turin.

Déchiffrement.

Arrivé hier à 3 heures. Accueil très sympathique de la population. Hier le roi très embarrassé ; tout le monde agité ; conférence cette nuit avec le comte de Cavour ; discuté et expliqué la situation. Il a compris et agira bien. Le matin tout a été bien. Vu princesse : bien. Impression réciproque bonne. Le roi très bien. Expédier de suite au général Niel pour faire demande officielle. Tout ira bien selon les désirs de l'Empereur.

 

L'influence politique de l'impératrice Eugénie serait donc vraiment insignifiante, si elle s'était arrêtée aux seuls débats que motiva la campagne d'Italie.

Mais cette influence s'accroît, domine et embrasse tout quelques années plus tard ; et lorsque surgit l'opportunité d'une guerre contre le Mexique, elle s'affirme et s'impose, impérieuse[2].

On a dit mille choses sur l'affaire du Mexique et, en somme, tout ce qu'on a dit a fort ressemblé, jusqu'à présent, au secret de Polichinelle.

Certes, des tripotages d'argent, auxquels l'Empereur, toujours, est demeuré étranger, des vanités, des compétitions, se sont agités autour de cette expédition et en ont dénaturé non seulement le but, mais surtout le point de départ.

Ce que l'on ignore, c'est que la guerre du Mexique fut arrangée de longue date, comme on arrange un roman, et ne fut, en vérité et en définitive, qu'un roman dont la dernière page s'éclaboussa soudain de sang, à la grande surprise de ceux qui se proposaient de la rendre idyllique.

L'affaire du Mexique fut un conte de fées où l'ogre a raison de Petit-Poucet, rien de plus, rien de moins, et elle fut aussi une revanche de l'impératrice sur l'Italie, qu'elle continuait de ne pas aimer.

L'Impératrice organisa de toutes pièces celte expédition, avec Mme de Metternich, croyant de bonne foi, assurément, faire oublier à l'Autriche la perte de ses provinces en lui donnant un Empire lointain à gérer.

Puis l'esprit capricieux et enthousiaste de ces deux femmes ne vit bientôt plus, dans cette création d'un Empereur et d'une Impératrice amoureux l'un de l'autre, qu'un joli poème, et elles mirent tout en œuvre pour la réalisation de cette chimère.

Depuis plusieurs années les relations de la France et de l'Autriche s'étaient faites très amicales et cette intimité était assez forte même pour que dès 1860, M. de Metternich fît la pluie et le beau temps, non seulement à la Cour, mais encore dans certains journaux parisiens dévoués à l'Empire, ainsi que le témoigne la lettre suivante :

Mercredi, 4 décembre 1860.

Mon cher ami,

Le journal la Patrie, qui ne cesse de se distinguer par son hostilité envers l'Autriche, cite dans son bulletin de ce soir un article du Morning Hérald d'après lequel l'Empereur d'Autriche dans le but de traverser les desseins de son véritable adversaire serait disposé à s'allier à Victor-Emmanuel !

Le journal de M. Delamarre au lieu de se moquer de cette incroyable boutade, fait semblant d'y croire et parle te illusions caressées à Vienne comme d'un fait certain. Le but de ce procédé absurde et hypocrite est facile à entrevoir.

Je viens vous demander si vous ne pouvez pas faire relever celte façon d'agir de la Patrie, dans le Pays, par exemple ?

Pardonnez-moi de vous importuner de cette affaire de presse, mais vous me connaissez assez pour comprendre ma juste fureur de voir des journaux répandus comme la Patrie, continuer à jeter de l'huile dans le feu au moment où nous ne demandons pas mieux que de l'éteindre à tout jamais. Je m'adresse à vous dans les grandes comme dans les petites circonstances. Vous ferez ce que vous voudrez, ce que vous ferez sera bien l'ait. Ne me répondez pas, je vous verrai demain en sortant de chez Thouvenel à 2 heures ½.

 

Lorsqu'en 1861 — un an après cette lettre — ou agita, dans les secrets de l'Impératrice, la question de savoir quelle satisfaction on offrirait à l'Autriche, la personne du malheureux Maximilien et celle de la princesse Charlotte se présentèrent immédiatement à l'esprit des conspirateurs comme devant bénéficier de la situation.

Des réunions, des conciliabules eurent lien, alors, entre l'Impératrice, Mme de Metternich, M. de Metternich, M. Hidalgo, Mme d'Arcos et deux ou trois autres personnes que, pour des motifs de convenance, je m'abstiens de nommer, mais qui se reconnaîtront aisément dans ma restriction, à quelques lieues de Paris, dans une petite localité.

On se rendait, là, le soir, dans une villa — l'Impératrice soigneusement voilée, comme en domino — et l'on établissait le plan de la campagne future. M. Hidalgo, dont l'ambition était grande, affirmait que le Mexique acclamerait les Français ainsi que l'archiduc Maximilien et que celte expédition ne serait, tout au plus, qu'une promenade en bateau.

M. et Mme de Metternich n'étaient pas moins enthousiastes, et, pour complaire à l'Impératrice, approuvaient à l'avance tout ce qu'elle décidait.

En vain, des ministres s'interposèrent alors ; en vain l'Empereur montra des hésitations.

Rien ne prévalut contre les arrêts du Comité. L'Impératrice et son amie tenaient à leur roman et n'attendaient qu'un prétexte pour l'écrire.

Chez l'Impératrice aussi, un sentiment plus personnel guidait la pensée. Très espagnole ton jours, haïssant les Mexicains, elle n'était point tâchée d'imposer à ceux qu'elle considérait, avec tous ses compatriotes, comme des renégats, une royauté qui les rapprocherait malgré eux de cette Europe qu'ils avaient reniée, et qui les mettrait comme en tutelle. Entretenue dans ces idées par la société espagnole avec laquelle elle n'avait pas cessé de correspondre et d'avoir des relations, elle s'obstina dans sou projet et n'eut de repos que lorsqu'elle se fut assuré l'approbation de l'Empereur.

C'est ainsi que, du rêve de deux femmes, sortit le drame le plus lugubre des temps modernes.

Les faits que j'expose ici sont graves et seraient immanquablement démentis si je ne m'étais mis en mesure de les prouver.

Une lettre, encore, viendra, dans cette circonstance, à l'appui de mon récit. Et cette lettre, signée du prince de Metternich lui-même, paraîtra sans doute, aux yeux des incrédules ou de ceux qui ignorent, et ignorent systématiquement, un document suffisamment authentique.

Voici cette lettre dont je conserve la disposition, l'orthographe et la ponctuation.

Château de Kœnigswart,

le 23 septembre 1861.

Mon cher ami,

Je commence par vous donner une idée de la distance effroyable qui nous sépare. Votre bonne et intéressante missive a mis sept jours à parcourir le long chemin qui mène de Biaritz à Kœnigswart, juste le temps nécessaire pour aller de Paris à Saint-Pétersbourg, et encore !

J'ai mis 2 longs jours avenir ici de Vienne. C'est vraiment le bout du monde, et nous avons le sentiment des exilés en Sibérie. Le froid qu'il fait ajoute à la vraissemblance. Pauline m'avait précédé de quelques jours. J'ai trouvé avec Pauline ma sœurbelle-mère— et nous avons eu deux visites, ce qui tient du prodige : le général Benedeck et un Saxon de nos amis, qui a bien voulu nous donner la preuve la plus convainquante de son amitié en venant ici malgré le mauvais temps, la distance et les atroces diligences.

J'ai profité de mon séjour à Vienne pour exposer l'affaire en question et je me propose de revenir sur ce chapitre avec mon aug. Maître. Nous sommes bien préoccupés de nos affaires intérieures pour nous laisser aller a des rêves californiens. Vous concevez que je ne puis entrer ici dans certains détails n'ayant à ma disposition que la poste qui traverse 3 royaumes et une dizaine de principautés dont la curiosité politique ne prend pas toujours la mesure de leur importance matérielle et morale. Soyez persuadé néanmoins que je me montrerai digne de la confiance et des grandes idées qu'un esprit bienveillant, un cœur d'or et l'influence gracieuse du domino noir vous a inspirées. Je suis très touché de ce que mon apathie allemande, ma répugnance contre le premier plan de campagne, loin de rebuter le domino, ait au contraire donné lieu à un petit revirement en faveur des intentions que j'avais exprimées de prime abord.

Veuillez dire à qui vous savez que la question me parait entrer dans une phase plus pratique. On me trouvera bien égoïste, mais pourvu qu'on ne me trouve pas ingrat, c'est tout ce que je demande. On connait d'ailleurs mon dévouaient personnel, et la bonne pensée qui m'arrive de Btz (Biarritz) par votre entremise ne peut qu'augmenter un sentiment bien cher à mon cœur.

Lorsque vous rendrez compte de ma réponse, vous voudrez bien me faire partager le baisemain.

METTERNICH.

 

Quelques mois après cette lettre, en effet, le rêve californien prenait une forme. Le prétexte pour écrire le roman était trouvé ; M. Hidalgo était dans la joie et... douze balles trouaient le cœur de l'infortuné prince, victime inconsciente d'une intrigue de Cour.

 

On sait le faste de la réception qui eut lieu à l'ambassade d'Autriche, ainsi qu'aux Tuileries, lors du passage à Paris de l'archiduc Maximilien et de l'impératrice Charlotte, avant de se rendre au Mexique. Ce qu'on ne connaît pas, peut-être, c'est la scène tragique qui se joua à Saint-Cloud, quand la pauvre femme revint en Europe pour implorer des secours, pour tâcher de sauver le mari qu'elle adorait de la bagarre dans laquelle on l'avait engagé.

Charlotte se trouvait dans le salon du château, entourée de l'Empereur, de l'Impératrice, de la Cour et faisait peine à voir, selon l'expression d'un témoin, dans son attitude de veuve prématurée, lorsque, tout à coup, elle se dressa et, dans un geste égaré, demanda à boire.

L'Empereur, tristement, profondément désespéré de ne pouvoir venir en aide à la malheureuse, se leva et avec empressement lui apporta un verre d'eau mélangée de sirop d'orgeat.

Alors Charlotte, saisissant le verre, le regarda, tourna ses yeux vers celui qui le lui avait offert et, le rejetant avec effroi, eut par tout le corps comme un long frémissement. Puis reculant, elle se prit à repousser comme des spectres imaginaires et murmura, cherchant à fuir, dans un accent de terreur :

— Ils veulent m'empoisonner... ils veulent m'empoisonner !

C'était lamentable, c'était tragique, je le répète, et ce ne fut qu'à grand'peine qu'on parvint à la calmer.

On lui donna des soins et, le lendemain, elle ne garda nul souvenir de cette démence passagère, avant-coureuse de l'autre, l'éternelle folie qui, humaine plus peut-être que la raison, s'est emparée d'elle depuis, à tout jamais.

Cette idée de poison, cependant, devait la hanter encore avant le naufrage définitif de son intelligence.

A Rome, au Vatican, où elle habitait, une scène identique à celle de Saint-Cloud se renouvela et le Pape dut goûter, devant elle, des aliments qui lui étaient servis pour qu'elle se décidât à les toucher.

Puis, une nuit, elle sortit de son appartement, s'en alla vers celui du cardinal Antonelli et voulut forcer sa porte. Le prélat, averti, la fit reconduire et dès lors, le délire ne la quitta que par intermittences.

Et maintenant, parmi toutes les reines, insouciantes ou heureuses, peut-être aimées, c'est la reine folle — jusqu'à la mort — hasta la muerte — pour parler la langue de ceux qui ont tué son mari.

 

Une autre question politique passionna au même degré que la précédente, mais dans un sentiment différent, l'impératrice Eugénie. Je veux parler de la question romaine.

L'amoindrissement du pouvoir temporel du Pape inquiétait, dans une obsédante hantise, l'esprit de l'Impératrice. Elle avait, d'ailleurs, sur la division intérieure de l'Italie des idées particulières et ne cessait de solliciter l'Empereur pour qu'il les adoptât.

Elle eût voulu, par exemple, que les Romagnes fussent rendues à la domination du Saint-Père, que l'on cantonnât l'autorité du roi Victor-Emmanuel dans le nord de la Péninsule et qu'on laissât a Naples le roi François II. Quant aux autres gouvernements de l'Italie, ils lui importaient moins et elle ne s'en préoccupait pas.

Mais ce qui la tourmentait, ce qui lui causait un sincère chagrin, c'était la pensée que le Pape pût, à un moment donné, devenir le vassal du Roi, et cette pensée l'exaspérant, elle ne cessait de la communiquer avec ses craintes à l'Empereur qui dut même, résistant à ses instances, s'interposer et, par une note, toute de sa main, dégager sa politique et répudier la volonté compromettante de sa compagne.

Voici cette note :

L'Empereur n'a pas eu d'avance connaissance de la réponse du Roi. Il a écrit au Roi pour empêcher la députation des Romagnes de venir à Paris. Ce qui rend la position de l'Empereur difficile, c'est la conviction que ce qu'il y aurait de plus funeste pour le Pape comme pour l'Empereur serait l'emploi de forces étrangères pour ramener le peuple dans son devoir.

 

L'Impératrice eut encore, dans celte question, deux auxiliaires puissants dans Mme de Metternich et dans son mari. Le prince, en effet, secondait les désirs de l'Impératrice et n'hésitait pas même à les appuyer auprès du cabinet français.

La lettre qu'il écrivit à ce sujet est intéressante.

Château de Kœnigswart,

27 septembre 1862.

Mon cher ami,

Un de mes amis m'écrit que vous semblez inquiet des efforts que fait le parti extrême pour amener de nouvelles concessions dans la question romaine. Je vous assure qu'après ma dernière entrevue avec l'Empereur et l'Impératrice à Saint-Cloud, je ne puis croire que ce parti ait la moindre chance de réussite. Les paroles que j'ai recueillies de la bouche de l'Empereur étaient si explicites et si dignes que j'ai emporté la conviction — des faits seuls pourraient me la faire abandonner — que le statu quo sera maintenu à Rome tant que l'armée française ne pourra quitter honorablement la ville éternelle. Vous savez, mon cher ami, combien je me félicite de pouvoir proclamer hautement la fermeté avec laquelle l'Empereur a toujours tenu les promesses qu'il m'a faites et maintenu les assurances qu'il m'a données — aussi suis-je persuadé que l'Empereur, tout en ménageant ses intérêts en Italie, ne cédera pas sur le fond de la question. Telle était la conviction de Celle qui, pour moi et pour beaucoup de monde, personnifie la dignité de la France et la loyauté dynastique.

Veuillez, si vous ne m'oubliez pas, me rappeler au souvenir de LL. MM.

METTERNICH.

 

Une anecdote, aussi, montrera quelle obstination l'Impératrice apportait dans cette question et quelle volonté elle mettait à faire partager ses sentiments par l'Empereur qui, il faut bien le dire encore, ne s'engagea jamais qu'à demi convaincu et satisfait, dans la défense du pouvoir temporel de la Papauté et lut, à diverses reprises, sur le point de l'abandonner. Mais les menaces de l'Impératrice l'empêchèrent toujours d'accomplir ses résolutions.

Pendant la guerre d'Italie, quelque temps avant la signature de la paix et comme l'on prévoyait la cessation des hostilités, elle expédia à l'Empereur un ami qu'elle chargea de l'aller trouver dans son camp, pour lui représenter, de sa part, qu'il devait obtenir de Victor-Emmanuel des garanties formelles en faveur de Pie IX, qu'elle voulait maître absolu dans ses Etats, et qu'il ne fallait pas oublier, dans cette circonstance, qu'il était le parrain du Prince Impérial ; qu'enfin, un abandon, même relatif, de ses intérêts porterait malheur à son fils.

Comme l'Empereur ne prêta aucune attention à cette requête, elle fut, durant plusieurs jours, désolée.

Les craintes de l'Impératrice n'étaient pas sans fondement, quant aux convoitises de l'Italie, d'ailleurs, ainsi que le démontre la lettre suivante du général de Montebello datée de Rome, 9 décembre 1862.

D'après tout ce que j'entends dire, il me semble qu'on est en train d'arracher au gouvernement pontifical certaines concessions insuffisantes, illusoires, qui ne contenteront personne et qui, si elles ont l'avantage de permettre à M. Drouyn de Lhuys de se présenter aux Chambres avec un peu plus de faveur, n'avanceront pas la question et pourront même la gâter. Car il vaut mieux la réserver tout entière. On dit que la nouvelle tactique adoptée à Turin, c'est de renoncer à ses prétentions sur Rome, — de prendre prétexte de cette renonciation pour obtenir le retrait de notre corps d'occupation, qu'on remplacerait par une force armée quelconque avec l'espérance de se rendre vite maître du terrain, lorsque la France ne serait plus là protégeant seule et directement le Pape et la Papauté. Ce plan, qui n'est pas sans habileté, est approuve par le parti Mazzinien à Rome qui est décidé à attendre. Aussi, tout en me tenant toujours sur mes gardes, je n'attache aucune importance aux avis réitérés qui me sont donnés sur un projet de soulèvement à Rome et je puis presque assurer d'avance que personne ne bougera.

 

Cependant, les conseillers de Napoléon III se mirent résolument en travers de son influence, et M. Magne lui-même, qui n'était pourtant pas un farouche autoritaire, dut, pour combattre efficacement cette influence, exposer la situation au Conseil dans des termes qui ne laissent aucune équivoque.

Voilà l'impossible, dit-il, si on veut concilier absolument et par un accord amiable l'Italie qui veut Rome, et le Pape qui veut ses Etats perdus.

Il est évident que ces deux termes sont inconciliables ; qu'ils le seront dans vingt ans comme ils le sont aujourd'hui, qu'ainsi il faut pour forcer l'Italie à renoncer à Rome, et pour forcer le Pape à renoncer à ses Etats, il faut une volonté plus forte que la leur qui s'impose à eux d'une manière irrésistible ; c'est la volonté commune de l'Europe. — Est-ce bien réellement impossible de l'obtenir dans des conditions raisonnables qui laissent au Piémont ce que la force a établi, ce que le temps a déjà consacré, ce qu'une grande partie de l'Europe a reconnu et qui d'un autre côté garantissent au Pape ce que la générosité de l'Empereur lui a conservé ?

Ou je me trompe beaucoup, ou la masse de l'opinion — à part les exaltés des deux côtés — serait satisfaite de revenir aux principes de Villafranca, à la confédération. Mais nous sommes déjà bien loin de la source pour qu'il soit possible de remonter le courant ; je le crains du moins : et je vois un intérêt si grand pour nous à sortir de notre fausse position, que je ferais volontiers le sacrifice de mes tendances personnelles, en faveur de la consécration du statu quo équitablement réglé, s'il n'y avait pas moyen de faire mieux.

 

C'était ainsi, sans cesse, entre l'Impératrice et les ministres, une lutte de toutes les heures qui lassait, énervait et usait l'initiative de l'Empereur.

Une seule question trouva d'accord, par une bizarre coïncidence de pensée, l'Impératrice et le prince Napoléon. Ce fut la question polonaise.

Lorsqu'en 1863, l'Empereur fut très vivement sollicité de prendre parti pour la Pologne et de déclarer la guerre à la Russie, l'Impératrice se montra très ardente encore en faveur de cette guerre, mue toujours, dans cette circonstance comme dans toutes les autres, par ses sentiments exclusivement religieux. En secourant les Polonais, en leur rendant leur autonomie, il lui semblait qu'elle venait en aide au Pape, qu'elle maintenait son autorité et qu'elle faisait plus libre la religion pour Laquelle, de tout temps, elle manifesta tant d'attachement

Quant au prince Napoléon, est-il besoin de le dire, rien de religieux n'entrait dans ses calculs politiques. Très partisan des nationalités, il basait son opinion en faveur de la Pologne sur des causes et sur des effets d'un tout autre ordre, et la lettre suivante qu'il écrivit, alors, fera mieux connaître sa pensée qu'une longue analyse de ses impressions.

Palais-Royal, ce mardi 21 avril 1863.

Je lis un article du Pays d'hier répété ce malin par le Constitutionnel. J'ai appris également qu'on a fait venir le rédacteur en chef de l'Opinion nationale pour lui interdire de discuter nettement l'éventualité d'une guerre avec la Russie ; je crois savoir que celte conduite du gouvernement a été inspirée à l'Empereur par MM. de Morny et Persigny. Les symptômes sont très graves et rendent une action contre la Russie, de la part de la France seule, peu probable.

L'Empereur attend la réponse de la Russie ; nous pouvons prévoir qu'elle sera douce et modérée dans lu forme tout en ne donnant aucune satisfaction efficace dans le fond sur la question polonaise. Si l'Empereur, qui prévoit aussi bien que nous, celte réponse, voulait agir seul, il s'y préparerait ; ne le faisant pas, c'est qu'il veut encore négocier, c'est-à-dire perdre un temps si précieux, que toute expédition deviendra impossible cette année. L'Angleterre et l'Autriche ayant commencé une négociation à trois, ne permettront pas à la France de s'en dégager et tout en cherchant à continuer un semblant l'entente diplomatique, nous empêcheront de rien faire seuls par les armes.

Les hommes politiques qui entourent l'Empereur seconderont cette attitude des deux puissances, le temps passera, l'insurrection polonaise sera écrasée, et nous ne ferons rien cette année et encore moins dans l'avenir. Si l'Empereur voulait agir, il serait plus décidé qu'il ne l'est et il ne céderait pas aux premières difficultés que lui font ceux qui veulent qu'il n'appuie pas par les armes la Pologne.

A la réponse de la Russie, on répondra par de nouvelles négociations avec Vienne et Londres, aucune décision ne sera prise ; cependant la saison ne permettant pas ces ajournements, il arrivera que même, ce que je ne crois pas, l'Angleterre et l'Autriche fussent-elle entraînées à une action, nous ne pourrons plus rien ni militairement, ni maritimement.

La guerre arrêtée aujourd'hui résolument pourrait encore être entreprise, dans quelques semaines elle sera impossible et si elle était commencée trop tard, elle me donnerait de grandes appréhensions. Je résume ainsi la situation : si l'Empereur était décidé à agir seul sans perdre de temps, si, entouré d'hommes dévoués à cette idée, il faisait les préparatifs indispensables, la guerre serait sinon nécessaire, du moins possible, et toutes les chances en notre faveur ; s'il attend, elle devient une aventure remplie de périls ! D'autant que se préparer dès aujourd'hui, c'est se mettre en mesure de faire la guerre, sans être forcé de la faire si elle ne se présente pas avec des chances favorables.

Toutes ces considérations me font penser que rien ne se fera, l'Empereur n'étant pas décidé dès aujourd'hui. Nous avons causé souvent de cette grave question sur laquelle nous sommes d'accord, c'est ce qui me porte à vous en dire franchement mon sentiment.

 

L'esprit de l'Empereur n'était point encore, en cette époque, irrémédiablement lié à celui de sa compagne ; il put résister à ses désirs et il ne lit point la guerre à la Russie. La question polonaise, d'ailleurs, ne l'intéressait que relativement et il l'envisageait d'une manière beaucoup plus calme que certains hommes d'Etat de son entourage. Elle ne lui paraissait pas devoir être mise en relief et devenir ainsi l'un des principaux motifs des querelles européennes peut-être.

L'avenir semble ne pas avoir infirmé cette appréciation.

 

L'année 1867 vit l'apothéose du régime impérial ; elle vit aussi ce germe d'influence que l'Impératrice avait semé dans le cœur de son mari, croître et s'élever rapidement.

A partir de cette heure toute aux joies et aux envolées, toute aux certitudes et aux sérénités, elle assure son autorité sur l'Empereur et, à mesure que la volonté de Napoléon III décline, la sienne grandit, brise les obstacles et marche, à grands pas, vers les suprêmes rivalités et vers les folles résolutions de 1870.

Lorsque, dans un autre volume sur le second Empire, j'examinerai la politique générale de Napoléon, j'aurai l'occasion de revenir sur différents points qui ne sauraient avoir de place ici.

Ce chapitre s'achève d'ailleurs et veut une conclusion. Mais quelle conclusion ?

Hélas ! il découle de ces pages que la pensée de l'Impératrice, planant, sur celle de l'Empereur, la couvrit comme d'une ombre fatale et néfaste. Il découle de ces pages qu'un Empire, fondé par la force, sombra dans le sourire d'une jolie femme. Est-ce une raison, toutefois, pour maudire ceux que ce sourire charma, et l'Histoire, qui est l'impartiale dispensatrice des blâmes ou des louanges, ne nous apprend-elle pas que souvent, ainsi, les trônes s'édifient dans un grondement de tonnerre cl s'abattent sous un souffle enchanteur et sorcier ?

C'est là, peut-être, une philosophie de résigné. Mais, à tout prendre et en définitive, n'est-ce point la meilleure ?

 

 

 



[1] Au sujet, toujours, des relations existantes entre Napoléon III et son cousin, il m'a été conté par M. D..., l'un des fameux Cinq, une anecdote très amusante qu'il m'a donne l'autorisation de reproduire, ne voulant, me dit-il, la faire figurer dans aucun de ses ouvrages.

L'Empereur aimait, quand il lui était possible de s'échapper des Tuileries, à se rendre chez le prince Napoléon, à le surprendre même dans son travail, pour causer familièrement avec lui tout en fumant des cigarettes.

Or, une après-midi, comme M. D.., se trouvait avec le prince dans son cabinet, deux ou trois coups légers furent soudain frappés à une porte dérobée qui menait sur un couloir souterrain reliant les deux palais.

Le prince ayant permis d'entrer, ce fut l'Empereur qui se présenta.

M. D... se leva aussitôt et voulut se retirer. Mais l'Empereur se tournant gracieusement vers lui le pria de demeurer.

Après un échange de mots quelconques et après un silence, Napoléon III s'étant adossé à la cheminée interpella ainsi son cousin :

— Dis-moi, Napoléon, ta femme te fait-elle des scènes ? Le prince regarda l'Empereur, étonné.

— Quelles scènes me ferait-elle, répondit-il ?

— Des scènes de jalousie, par exemple, continua l'Empereur.

— Non.

— C'est bien étrange ; car enfin, lu es un mauvais sujet, un coureur de guilledou, toi, Napoléon, chacun sait cela, et Clotilde pas plus que les autres ne doit l'ignorer.

— C'est vrai, déclara le prince avec quelque philosophie, je suis ce que vous dites, sire, et ma femme sans doute est au courant de mes habitudes. Mais pourquoi Clotilde m'ennuierait-elle, m'adresserait-elle des reproches ? Victor-Emmanuel, son père, n'est-il pas aussi un coureur de guilledou ? Elle le sait. Et puisque son mari ressemble à son père, elle doit penser, dans son honnêteté, que c'est ainsi chez les rois.

L'Empereur se mil à sourire.

— Tu es un singulier moraliste, dit-il. Et tu es un homme heureux. Je voudrais bien avoir une femme comme la tienne. La vie est impossible avec Eugénie. Je ne puis recevoir en audience quelque visiteuse ou jeter l'œil sur quelque jupe, sans courir le risque d'une querelle violente. Les Tuileries sont pleines des lamentations trop bruyantes de l'Impératrice.

Il y eut un silence, encore, quelque gêne, même.

Mais bientôt l'Empereur reprit la parole.

— Dis-moi, Napoléon, tu ne connaîtrais pas un moyen pour empêcher Eugénie d'être ainsi querelleuse ?

Le prince réfléchit un instant, puis avec sa brusquerie ordinaire :

— Il n'y en a qu'un, sire.

— Et lequel ?

— C'est de f... à votre femme une bonne raclée la première fois qu'elle se permettra de vous faire une scène.

L'Empereur secoua tristement la tête, sans être autrement surpris de cette liberté de langage qu'il aimait d'ailleurs chez son cousin.

— Tu n'y penses pas, murmura-t-il simplement. Si j'avais le malheur de menacer seulement Eugénie, elle serait capable d'ouvrir l'une des fenêtres des Tuileries et de crier à l'assassin !

[2] Quelques jours après la publication de cette page, dans le Figaro un écrivain qui signe Whist, sous ce titre : L'impératrice Charlotte reprenait mon récit, dans le même journal du 23 novembre 1890 et reproduisait, en des termes différents, et avec talent d'ailleurs, les principaux faits que, le premier, je venais de faire connaître au public. — P. de L.