Moins d'un an après la proclamation de l'Empire, Napoléon III conduisait à Notre-Dame Mlle Eugénie de Montijo et en faisait une impératrice, selon qu'il l'avait dit quelque temps auparavant. Ce mariage, qui donna lieu à tant d'intimes discussions, à tant de fièvres et d'intrigues autour de l'Empereur, lit également tomber de la bouche d'un des hommes d'Etat le plus en renom d'alors un mot qu'on a peut-être oublié. Tandis que tous disaient, parlant de Napoléon III : Il est fou, et cette union est une sottise ! l'homme d'Etat en question se contenta de résumer la situation, sans colère comme sans amertume, et il prononça, peut-être sans s'en douter alors, la formule psychologique du second Empire, dans son présent ainsi que dans son avenir : — Ce mariage, murmura-t-il en souriant, est un joli poème. Et il ajouta : — L'Empereur fait concurrence à M. de Musset et son règne ne sera, je le crains, que le chant d'une nuit. Si, entièrement, l'appréhension n'est point exacte devant l'Histoire, il faut reconnaître qu'elle ne manque pas, devant la Chronique, de piquant. Le 30 janvier 1853, Napoléon III épousa donc Mlle de Montijo, dans une hâte peu comprise de ceux qui l'entouraient, peu comprise encore de ceux qui, actuellement, interrogent, curieux, le passé. L'Empereur était un sentimental ; mais ce n'est pas dans sa sentimentalité qu'il convient de rechercher l'empressement qui le fit s'allier avec Mlle de Montijo. Très appréciateur de l'élément féminin et habitué à la satisfaction presque immédiate de ses caprices, de ses désirs, il lui arriva de tomber amoureux de Mlle de Montijo, et, comme seule de toutes les femmes qu'il aima ou qu'il sembla aimer, elle ne lui permit aucune privauté, elle le tint sans cesse dans un éloignement de son cœur, il se piqua au jeu, eut l'obsession de son amour, et comme pour le faire palpable, il n'eut devant lui que ce moyen, le mariage, ainsi que tous les amoureux, obstiné dans sa passion, il se jura d'être heureux, sans calculer les conséquences politiques de l'acte qu'il accomplissait, ou mieux, en refusant de les envisager. On peut croire, aussi, qu'après les événements dramatiques qui avaient marqué et sa présidence et son élévation au troue, l'Empereur éprouvait le besoin d'une paix intime, d'une affection sincère qui vinssent mettre une douceur familiale sur sa vie. Cette douceur eût pu lui être offerte par toute autre femme que Mlle de Montijo, par quelque femme digne, par sa naissance, de s'allier à lui ; niais, je le répète, l'Empereur n'aimait point une fille de roi ; il aimait une simple fille d'Espagne et il n'écouta que son amour. Regretta-t-il, plus tard, alors que les années firent lointaine en lui, sa folie, cette explosion d'une passion qui intéressa et troubla si fort l'Europe ? — Nul ne saurait le dire. Il se rendit évidemment compte, comme tout homme qui dresse sou bilan d'amour, des obstacles qu'avait suscités à son règne cette union. Mais il était bon, mais il était chevaleresque, mais il était fataliste ; et jamais il ne formula une plainte à ce sujet, jamais il ne blessa les oreilles de l'Impératrice par quelque allusion que ce fût à ce que ses amis avaient appelé sa sottise. Mlle de Montijo était Espagnole, et, comme telle, superstitieuse. — Un jour, clans une promenade, étant toute jeune fille, elle avait rencontré une bohémienne — ô le joli conte de Perrault : les Fées ! — à qui elle avait fait l'aumône et qui, en revanche, lui avait dit la bonne aventure et lui avait déclaré qu'elle serait reine. Bien qu'en apparence elle parut toujours n'avoir ajouté que peu de foi à cette prédiction — même après son mariage — il est certain que la bohémienne avait troublé son intime pensée et qu'ayant pu épouser les plus hauts seigneurs de son pays, le duc d'Ossuna d'abord, qui avait demandé su main, le duc de Sesto, alors duc d'Alcanizès, ensuite, dont elle avait été éprise, elle refusa la requête du premier et fit taire, en faveur du second, ses secrets désirs, faisant montre d'une grande sympathie pour la franco et les français, elle exprima la volonté de n'épouser qu'un français, et, sans crainte de se tromper beaucoup, il est permis de supposer qu'établie chez nous, devant cet Empereur célibataire qu'il lui était possible d'approcher, elle ne fut pas sans songer au vœu de la bohémienne, comme aux fiancés que, dans une convenance mondaine, ou dans un penchant de son cœur, elle eût pu choisir et qu'elle avait répudiés. De son côté, l'Empereur n'avait point manqué, dès le lendemain du Deux-Décembre, d'alliances conformes au rang qu'il venait de prendre. Certaines jeunes femmes même qui avaient repoussé ses hommages et sa recherche, alors qu'il n'était que Prince et quelque peu aventurier, telle que la duchesse de Hamilton, fille de la grande-duchesse Stéphanie de Bade, sa cousine ; telle, aussi, que la princesse Mathilde, sa cousine encore, ne furent pas sans regrets, en ce temps-là. L'aventurier avait une couronne dans chacune de ses poches, une pour lui, une autre pour celle qui. voudrait bien être sa compagne. N'étant que Prince-Président encore, la fille du prince de Wagram lui avait été proposée, et il y eut, à l'hôtel de la rue de La Rochefoucauld, résidence du prince de Wagram, une fête offerte à Louis-Napoléon Bonaparte, pour appuyer les préliminaires d'un mariage. Le Président se rendit à l'invitation de son hôte et assista au bal donné en son honneur. Mais la jeune fille ne lui plut pas. Qui sait ? Peut-être était-il amoureux déjà ? Et, s'étant retiré et n'étant pas revenu, le projet n'eut pas de suite. Plus tard, il voulut marier Mlle de Wagram au prince Jérôme-Napoléon. Mais la réponse du père fut nette : — J'aurais donné ma fille, dit-il, au Prince-Président. Mais je la refuse à son cousin. Il y a de la fierté dans ces paroles. Mais, hélas ! ne viennent-elles pas compléter la fable du Héron ? Le prince de Wagram, en effet, accorda la main de sa fille, quelque temps après cet incident, au prince Joachim Murat. L'alliance la plus sérieuse, au point de vue politique, dont on se soit occupé pour Napoléon III est, sans contredit, celle qu'on chercha à établir entre lui et la maison de Prusse. Il fut question, eu effet, de marier l'Empereur avec la princesse de Hohenzollern, sœur du prince fameux qui nous valut la guerre de 1870. A quoi tiennent les destinées des peuples ! Beau-frère du prince Léopold de Hohenzollern, il est plus que certain que Napoléon III ne se fût pas inquiété des événements d'Espagne et que la catastrophe qui nous a frappés n'eût pas existé. Mais à quoi bon, avec facilité, récriminer et discuter sur des faits après leur accomplissement ? Le cœur des rois comme le cœur des simples hommes est à la merci d'un beau regard. Le mot de La fontaine : Amour, amour, quand tu nous tiens, on peut dire adieu prudence ! est pour les uns comme pour les autres, et nul n'est le maître de ses instincts, de sa vie. Le mariage de l'Empereur avec Mlle de Montijo ne se conclut pas sans difficultés, et les démêlés qu'il provoqua entre Napoléon III et son oncle, le vieux Jérôme, sont connus. Mlle de Montijo était extrêmement belle — rousse, un peu, aux traits réguliers, d'un roux sombre assez ignoré, car elle se blondissait artificiellement. Dès que l'Empereur la vit, il en devint éperdument amoureux et ne cacha point son sentiment. Mlle de Montijo, invitée avec sa mère aux chasses de Compiègne, le séduisit plus encore par la grâce qu'elle apportait en montant à cheval. L'Empereur, admirable écuyer, aimait, en effet, d'instinct, tous ceux qui, hommes ou femmes, savaient monter. Que de racontars n'a-t-on pas colportés au sujet des séjours de la future souveraine à Compiègne ? Et pourquoi les reproduire ici, même pour les démentir ? J'en veux, cependant, retenir un parce qu'il a été mentionné par un homme de talent qui est l'un de nos meilleurs écrivains, M. de Concourt. M. de Concourt, se trouvant un soir en wagon, eut devant lui un vieillard — c'était au lendemain de la déclaration de guerre, je crois — qui parlait de l'Empereur et narrait l'histoire de son mariage, prétendant tenir l'anecdote de M. de Morny, à qui Napoléon III lui-même l'avait confiée. Un jour — c'est M. de Concourt qui s'exprime sous la dictée du voyageur — l'Empereur demanda à Mlle de Montijo, avec une certaine insistance, et faisant appel à l'honneur d'un homme, si elle avait jamais eu un attachement sérieux. Mlle de Montijo avait répondu : — Je vous tromperais, Sire, si je ne vous avouais pas que mon cœur a parlé, et même plusieurs fois : mais ce que je puis vous assurer, c'est que je suis toujours Mlle de Montijo. Sur cette affirmation, l'Empereur avait dit : — Eh bien, mademoiselle, vous serez impératrice. L'anecdote peut être vraie ou fausse. Nul ne viendra en affirmer ou en infirmer l'authenticité. Telle, cependant, que l'Impératrice m'apparait dans les notes que je possède, elle me semble vraisemblable. Et alors, on ne sait ce qu'on doit le plus admirer : ou la naïveté d'amoureux de cet homme devant qui tout tremblait alors ; on la brutale franchise de cette vierge sur le front de laquelle, comme dans un rêve, descendait un diadème. Ayant résisté aux obstacles qui lui venaient de ses propres parents, de ses hommes d'Etat même, au sujet de son mariage avec Mlle de Montijo, l'Empereur eut encore à vaincre l'opposition de son entourage plus intime, et celle, surtout, des femmes de ses familiers. Une anecdote — charmante, celle-là — m'a été contée concernant le temps où, libre encore, c'est à-dire non fiancée à celui devant qui l'Europe s'inclinait déférente, en apparence, mais avec une arrière-pensée maussade et hostile — celle qui devait être l'Impératrice, se rendait à Compiègne. Les femmes qui approchaient l'Empereur — et parmi elles Mmes Drouyn de Lhuys, de Fortoul, Saint-Arnaud — s'étaient insurgées à la nouvelle que Napoléon III, épris de Mlle de Montijo, était fort capable de l'épouser. Toutes déclaraient ce mariage impossible, criant qu'il était inadmissible que l'Empereur épousât cette jeune fille, et quand elle se trouvait devant elles, elles affectaient de la dédaigner, de l'éloigner du cercle habituel de leurs relations. Plusieurs d'entre elles, un jour, à Compiègne, cachèrent si peu leur haine et leur hostilité que Mlle de Montijo, froissée dans ses plus intimes sentiments de femme, n'hésita pas à se plaindre à l'Empereur lui-même de l'accueil qui lui était fait. La scène se passait dans le parc ; et non loin de Napoléon et de son interlocutrice, se remuaient, épiant les moindres gestes, les plus simples paroles du souverain, les ennemies de la jeune fille. L'Empereur écouta, tranquille et souriant, la belle plaignante. Et quand elle eut parlé, il arracha d'un bosquet quelques branches flexibles de feuillage, on fit une couronne qu'il posa, coquettement, sur la tête de Mlle de Montijo, en disant assez haut pour être entendu : — En attendant l'autre. Pas un murmure ne s'éleva du groupe des révoltées, et à partir de cette heure, l'impératrice Eugénie existait dans l'esprit de ces femmes qui, changeant de tactique, se firent autant aimables et obséquieuses qu'elles avaient été arrogantes et dédaigneuses. Quant aux observations des hommes politiques qui le servaient, l'Empereur n'en tint pas compte davantage. A. toutes les objections qui lui furent présentées, il se contenta d'écouter — comme il faisait et fit toujours — la paupière baissée, le visage impassible, et ne répondit que ces mots, sans cesse les mêmes : — Je suis décidé à épouser Mlle de Montijo et je l'épouserai. Par une singulière coïncidence, ce fut ce même homme d'Etat — un diplomate — qui avait dit : L'Empereur fait concurrence à M. de Musset, et son règne, je le crains, ne sera que le chant d'une nuit — qui fut chargé par Napoléon III de se rendre officiellement auprès de Mlle de Montijo qui habitait alors place Vendôme, pour lui annoncer que l'Empereur l'avait choisie pour être sa compagne, donnant ainsi aux fiançailles un caractère officiel. La mission, cependant, ne s'accomplit point encore sans hésitation, sans discussion. L'homme d'Etat en question, très lié avec l'Empereur, crut, avant de lui obéir et de faire irrévocable sa démarche, soumettre au souverain quelques dernières observai ions. Ainsi qu'à tous, Napoléon III lui lit la réponse fatidique : — Mlle de Montijo sera impératrice. Alors le diplomate redevint diplomate. — Devant une chose à faire, Sire, dit-il, je dis mon sentiment. Mais devant une chose accomplie, j'ai pour habitude de garder le silence et de trouver partait ce qui ne peut être empêché. Et s'étant incliné, il prit le chemin de la place Vendôme où il fut, comme on le pense, bien accueilli. On le voit, le mariage de l'Empereur et de Mlle de Montijo n'était point sans éveiller les étonnements et les susceptibilités des familiers, comme les étonnements et les appréhensions du monde politique. La jeune fille, pas plus que sa mère, d'ailleurs, n'ignorait les surprises et les hostilités qu'elle faisait naître, et quand Mme de Montijo apprit, que son enfant allait être, décidément, impératrice, elle ne put se défendre d'une sensation pénible, d'une sorte de compassion et d'inquiétude maternelles pour celle devant qui tous allaient se montrer respectueux et empressés, mais qui, à peine à l'aube de sa vie d'épouse et de souveraine, provoquait tant de haines et de jalousies. Mme de Montijo était liée d'amitié avec le marquis de la R..., qui fut ministre de France à Berlin et qui, rallié à l'Empire, devint sénateur au grand scandale de sa famille et de ses amis du faubourg Saint-Germain. Lorsque le choix et la décision de l'Empereur furent officiels, elle adressa au marquis une lettre où tout son cœur de mère, réjoui et triste à la fois, débordait. Je ne sais, disait-elle, si je dois être heureuse ou si je dois pleurer. Combien de mères m'envient actuellement qui, voyant tes larmes qui emplissent mes yeux, ne comprendraient pas ! Eugénie va être reine, dans votre pays de France, et, malgré moi, je songe que, chez vous, les reines ont peu de bonheur. Malgré moi le souvenir de Marie-Antoinette m'obsède et je me demande, avec épouvante, si ma fille n'aura point le même sort. Quant à Mlle de Montijo, elle semblait, eu apparence, ne pas se préoccuper des inimitiés qu'elle avait éveillées. Toute à sa joie, elle la faisait partager à ses amies et, parmi elles, Mlles de la R..., filles du marquis, qui devinrent, plus tard, deux de ses dames du Palais, n'étaient pas les moins empressées à lui faire fête. Mlle de Montijo, d'ailleurs, demeurait, dans son élévation, fidèle à ses sympathies. Quelque temps avant l'annonce officielle de ses fiançailles et alors que la volonté de l'Empereur n'était que peu certaine encore et connue d'elle seule, à peu près, n'avait-elle point juré et fait jurer à ses amies que la première d'entre elles qui arriverait à une grande situation mondaine soutiendrait l'autre dans la vie ? Peu de jours après ce serment, elle venait elle-même, à l'hôtel de la rue du Bac, trouver ses amies et leur apprenait qu'elle allait être impératrice. Comme elle traversait la cour de l'hôtel, le ministre de Saxe, qui faisait un whist avec le marquis, la vit. Il était, lui aussi, depuis la veille, au courant des événements et, se tournant vers les jeunes filles, il leur dit : — Riez aujourd'hui encore avec votre camarade, mesdemoiselles, car demain il vous faudra, devant elle, être graves et respectueuses. Comme elles s'étonnaient : — Mlle de Montijo épouse l'Empereur, continua le diplomate ; mais feignez d'ignorer la grande nouvelle et laissez-lui la satisfaction de vous l'annoncer. Après son mariage, l'Impératrice n'oublia pas ses
compagnes. Elle les appela auprès d'elle, je le répète, et écrivant à l'une
d'elles, elle la priait de la tutoyer comme
autrefois, ajoutant qu'elle se trouvait seule
dans son palais, qu'elle s'ennuyait et que les bouderies qu'elle sentait
autour d'elle la chagrinaient. Ce sont, ici, des notes jetées en des pages, comme la main du semeur jette le grain à même un champ. Le grain germe, lève et se dore au soleil de juin, devenu moisson. Quel poète, quel romancier, quoi philosophe liront ces notes, les recueilleront, s'en serviront — comme la terre se sert du blé — pour les rendre au public en un livre, — étude, roman ou poème — qui sera le Livre de l'impératrice Eugénie ? |