LE SECRET D'UN EMPIRE : L'IMPÉRATRICE EUGÉNIE

 

PRÉFACE.

 

 

Un fait très significatif marque le temps actuel : une notable portion du public qui lit — qui sait lire, dirai-je mieux — se désintéresse du Roman et se tourne, curieux, vers le récit historique, que ce récit emprunte son intérêt à l'apparente frivolité de la chronique, ou bien à la cruelle brutalité du document.

De toutes les relations contemporaines, celles, incontestablement, qui présentent le plus d'attraits, qui captivent le plus l'esprit de l'observateur, se rattachent au règne de Napoléon III ; et elles émeuvent, et elles passionnent avec d'aidant plus d'intensité que le silence, jusqu'à nos jours, s'était fait sur les hommes et sur les choses de l'Empire. Ce silence parait devoir cesser. Il semble que l'Epoque impériale soit très loin de nous. Mais beaucoup, encore, parmi ceux qui furent les témoins ou les acteurs de ses gloires comme de ses revers, sont debout, et des mémoires, des souvenirs, des silhouettes, des anecdotes sont, maintenant, offerts à l'impatiente et légitime curiosité de la foule. La physionomie de l'Empire se fixe davantage, et le public va vers ce temps disparu et très pieu connu, comme guidé par une sorte d'attirance inquiète et chercheuse.

L'Empire s'est écroulé et le silence, je le répète, — le grand silence de la mort — s'est fait sur sa mémoire. Météore fabuleux, durant une période de vingt années, presque, il a mis des lueurs sur la France, éblouissant les yeux et les canes, et, dans un éclat de fournaise, dans la poussée géante d'une catastrophe, il s'en est allé à tous les vents, il s'est fondu dans la nuit, ne laissant même point dans le ciel — lui, l'astre colosse — la fine et diamantée poussière de l'étoile filante.

Pourquoi ce silence, pourquoi ce mutisme, pourquoi ce néant ? La question est aisée à résoudre. Ceux qui seraient en mesure de parler, ceux qui auraient l'autorité d'écrire sur l'Epoque impériale se taisent, et se taisent de parti pris.

L'Empereur avait inspiré des dévouements profonds, des affections sincères. Les hommes qui l'ont aimé, fidèles à son ombre, croiraient, de bonne foi, pour la plupart, commettre une félonie en livrant au public, c'est-à-dire à la haine, à la colère des uns, au scepticisme, à la raillerie des autres, son étrange personnalité. Comme, aussi, ceux que l'Empire séduit — romanciers ou chroniqueurs — manquent de notes pour en établir la version exacte, il se trouve, fatalement, que la génération actuelle reste devant les vingt années du règne de Napoléon III comme devant un grand trou.

Un écrivain, M. Emile Zola, cependant, s'est montré qui, avec un talent voisin du génie, parfois, a émis la prétention de fixer, en son œuvre, non seulement la formule sociale qui fut à la mode sous l'Empire, mais encore la physionomie des différentes classes d'alors. Cet homme s'est trompé. Ses romans ne sont, en aucune façon, le reflet des temps impériaux. Ils ne marquent ni les grandeurs, ni les folies, ni les mondanités, ni les amours qui donnèrent à l'Empire une allure si particulière. Ils ne renferment aucun écho vrai de la vie d'alors et, dans leur solennité bourgeoise ou dans leur populeuse majesté, ils n'offrent que des contours incertains, très estompés, des choses et des êtres de jadis. L'ignorance des hommes et des femmes qu'ils mettent en relief, s'étale en chacune de leurs pages et ils sont exempts de toute impression de ce mouvement social vers lequel, présentement, dès l'annonce d'une œuvre sur l'Epoque impériale, le lecteur se porte, interrogateur.

Jeter quelques pelletées de terre en ce trou qui est entre nous et l'Empire, et aider à le combler, m'a paru besogne utile. D'autres, sans doute, viendront après moi qui feront mieux. Si les pages que je donne, aujourd'hui, au public, ont un mérite, ce mérite, qu'on me permette de le dire, est tout entier dans la vérité, dans la scrupuleuse exactitude des faits légers ou graves qu'elles racontent. — Elles m'ont été dictées, presque, par d'anciens familiers des Tuileries, collaborateurs secrets ou publics de Napoléon ; elles sont semées d'anecdotes et de documents authentiques et inédits ; elles sont faites de notes que des mains impartiales ont tracées, sur l'intimité des Tuileries et qui, placées en face des matériaux plus importants qui vont servir à ma relation, ne me paraissent pas devoir être dédaignées. En matière d'histoire ou de politique, nul apport n'est, en effet, négligeable et la silhouette intime des hommes comme la physionomie simple des choses contiennent, souvent, le plus d'intérêt.

Les deux figures de l'empereur Napoléon et de l'impératrice Eugénie sont singulièrement ignorées de notre génération. L'Impératrice, surtout, demeure aux regards de notre modernité, comme une vapeur légère qu'un coup de soleil vint, un jour, éclairer, qu'un coup de foudre, un soir, dissipa. La vision spéciale de ceux qui, au lendemain de sa chute, avaient dix ans et qui, maintenant, ont trente ans, la représente comme la seule personnification d'une coquette beauté, comme la découpure banale d'une image aux couleurs voyantes et criardes, un peu. L'Impératrice fut peut-être ceci et cela, mais autre chose encore et non ce que des écrivains trop intéressés à la louer comme à la blâmer l'ont faite. — Vingt années se sont écoulées depuis qu'elle a quitté la France ; vingt années ont mis sinon la paix, mais la sereine quiétude de l'Histoire sur sa tête. — C'est l'heure de parler. — Celle qui fut adulée s'est isolée ; celle qui fut rieuse est devenue austère. Une légende s'est levée autour d'elle, et dans l'éclosion de cette légende, l'Impératrice se dresse, se dessine, — fantôme. — Elles sont loin les élégances, les mondanités qui étaient les siennes ; elles sont loin les intrigues d'amour et de politique dont elle s'est amusée ; ils sont loin ceux qui — hommes et femmes, folles et fous — l'entouraient et se pressaient dans ses Tuileries comme en un champ fertile en épis mûrs et dorés, comme en un Eden où la Vie est meilleure, pleine de rêves, exempte de soucis, sans lendemains nuageux ; ils sont loin ceux qui — hommes et femmes — allaient vers Elle, en des rires, en des danses, en des chansons, en des hymnes, faisant risette et la nique aux étoiles. Les étoiles se sont voilées. Celle qui brillait, au firmament, en l'honneur de César et de sa Compagne s'est éteinte ; la débâcle et le deuil sont venus... Et c'est la ballade douce et triste du Poète : — Où sont les neiges d'antan ?

 

PIERRE DE LANO.