LE SECRET D'UN EMPIRE : LA COUR DE NAPOLÉON III

 

XVIII. — LA GUERRE.

 

 

Ce récit s'achève, et c'est par quelques pages curieuses sur l'impression que la déclaration de guerre à la Prusse, en 1870, causa à la cour, que je le terminerai. Ces pages sont tout entières de la main d'un familier des Tuileries, et je les publie telles qu'elles m'ont été communiquées.

Voici cette narration, écrite avec sobriété et dans une brutalité de détails qui en font l'une des plus dramatiques relations qui aient été données sur l'histoire des dernières heures du Second Empire.

 

La guerre était déclarée. Au moment du départ de l'Empereur pour l'armée, le général Lepic, aide de camp et maréchal des logis chef, fut désigné par Sa Majesté pour remplir les fonctions d'adjudant général du Palais.

J'ignorais ce changement d'attributions et lorsque j'allai au Louvre, chez Lepic, qui m'avait donné rendez-vous pour nous entendre au sujet de notre départ probable, je le trouvai fort mécontent.

En effet, il avait souhaité d'accompagner l'Empereur à l'armée et les ordres du souverain l'avaient déçu.

Il voulait envoyer sa démission à Napoléon III, mais je lui fis comprendre qu'il ne pouvait et ne devait point abandonner Sa Majesté, en une heure où tous ses serviteurs devaient se grouper autour d'Elle et lui témoigner leur dévouement. Le général se calma et écrivit à l'Empereur une lettre très digne dans laquelle il lui exprimait son chagrin de ne pas le suivre sur les champs de bataille. Le lendemain, Sa Majesté lui adressait, en réponse, une longue missive, toute de sa main, dans laquelle Elle disait qu'Elle concevait très bien que son cœur de soldat devait souffrir de ne pas être à ses côtés dans les dangers, mais qu'Elle lui laissait la garde de l'Impératrice et que peut-être dans cette situation, il courrait de plus grands périls que sur les champs de bataille.

Cette lettre de l'Empereur confirmait les tristes pressentiments qu'il n'avait cessé d'exprimer depuis le jour où la déclaration de guerre avait été rendue définitive.

Le général Lepic remplaçait le général de Courson que l'Empereur emmenait avec lui.

Lepic restait à Saint-Cloud, avec l'Impératrice, et j'attendais des ordres de Sa Majesté lorsque le 27 juillet, à sept heures du soir, un de mes amis, attaché au service de la presse, m'apprit la défaite de Wissembourg et le retour de l'Impératrice à Paris.

Ma première pensée fut que tous les fidèles de Sa Majesté devaient se réunir autour d'Elle, spontanément, sans qu'il fût besoin d'un ordre de rappel, et quittant ma résidence de..., n'emportant avec moi qu'un petit sac de toilette pour l'utilité de quelques jours, je me rendis aux Tuileries, convaincu que notre alerte serait bientôt calmée.

Hélas l je me trompais étrangement et ne devais revenir à... qu'après les cruelles épreuves d'un siège.

Le 28, à neuf heures un quart, M. Gally, régisseur du Palais, m'apprit que l'Impératrice était arrivée la veille avec toute sa maison et que le général Lepic, pour mieux concentrer son service, avait installé ses bureaux dans les appartements du Prince Impérial, qui se trouvaient, on le sait, au rez-de-chaussée du château, entre le pavillon de Flore et le pavillon de l'Horloge, du côté de la cour.

Je me rendis immédiatement chez lui. Le général était absent, mais je me rencontrai avec M. Battet, secrétaire général des bureaux du grand maréchal qui venait se mettre à la disposition de Lepic.

Vers dix heures et demie, le général rentra et nous causâmes des malheureuses nouvelles qui nous venaient de l'armée, ainsi que des complications qui pouvaient en résulter, sans néanmoins nous inquiéter autrement de nos premières défaites dont l'impression pouvait disparaître à la suite d'une bataille gagnée.

Cependant, les dépêches que nous recevions de Metz n'étaient pas bonnes. Malgré toute la réserve que le gouvernement mettait à les communiquer, nous en avions connaissance par des officiers qui revenaient de la frontière et qui dînaient à notre table.

Les officiers de la maison, les hauts dignitaires qui entouraient l'Impératrice prenaient des airs mystérieux et importants et, en somme, ils ne savaient rien de plus que ce qu'annonçaient les journaux.

Je cherchais à les éclairer sur la situation grave et obscure que je devinais, mais ils ne voulaient rien entendre, rien comprendre. Ils préféraient se tromper eux-mêmes, garder sur leurs yeux un épais bandeau, plutôt que d'admettre la vérité et que d'informer l'Impératrice.

A tous les avis, à tous les conseils, on ne faisait qu'une réponse : — Ne vous mêlez de rien si vous tenez à ne point vous faire du tort.

Cette manière de recevoir des observations me froissa. Une fois de plus, je vis dans cette attitude du personnel du château l'aveuglement obstiné d'hommes qui ne pensaient qu'à se donner de l'importance en cherchant à effacer ceux qui leur portaient ombrage.

Dès lors, je vis clairement tout l'égoïsme dont l'Impératrice était entourée et je gardai pour moi, la tristesse au cœur, toutes les impressions qui me frappaient.

Quelle étude il y aurait à faire sur les personnages qui étaient groupés alors autour de l'Impératrice ! Je les voyais se chercher, s'interroger, semant tantôt la crainte, tantôt l'espoir, selon les événements et selon les propres sentiments qui les inspiraient. Au milieu de tous, surtout, une femme, Mme L..., inquiète, n'ayant qu'une préoccupation : sauver du naufrage ce qui lui appartenait, déménageant déjà l'appartement qu'elle possédait aux Tuileries, jetait le désarroi et l'effarement. D'autres répandaient l'alarme également, et c'était comme un sauve-qui-peut, avant même le combat.

Quant à l'Impératrice, elle donnait l'exemple de la force et de l'énergie, et par son intelligente initiative tenait, seule, les rênes de ce gouvernement qui agonisait. Personne n'a connu comme moi ce que cette femme a eu de courage, en cette heure suprême, les nuits qu'elle a passées sans prendre le moindre repos, faisant l'admiration de tous, luttant contre l'adversité avec une implacabilité superbe.

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Les nouvelles devenaient, chaque jour, plus désastreuses, et le 3 septembre je rentrais aux Tuileries avec le général Lepic, vers cinq heures du soir, lorsque nous trouvâmes, dans son cabinet, un de nos amis qui revenait de la Chambre et qui nous apprit la catastrophe de Sedan.

Bientôt des rassemblements se formèrent autour des Tuileries, des bandes parcoururent la rue de Rivoli en chantant et en proférant des malédictions contre l'Empereur. Devant l'hôtel du ministère de la maison de l'Empereur où était installé le gouverneur de Paris, c'était aussi une foule innombrable.

On demandait à voir le général Trochu et l'exigence du peuple ne se calma que lorsqu'un officier s'avisa de crier du haut d'une fenêtre que le gouverneur était très fatigué et qu'il lui était impossible de se montrer.

Aux Tuileries, l'inquiétude était extrême. A dix heures du soir, le général Lepic fit prier le général Mellinet de doubler le bataillon de garde dans la crainte d'un coup de main nocturne, mais ce ne fut que vers une heure du matin qu'arrivèrent des grenadiers ainsi qu'un escadron des guides. On installa les premiers dans les salles du pavillon de Flore, qui fait suite aux galeries du Musée, et les seconds dans les postes de la cour.

Nous passâmes toute la nuit dans une angoisse affreuse. Nous espérions qu'un ministre, qu'un député, ou qu'un officier de la maison viendrait rendre compte à l'Impératrice des débats qui avaient lieu à la Chambre. Mais les heures s'écoulèrent et nul ne se montra.

A huit heures du matin, le 4 septembre, un silence absolu régnait dans le château, comme si le désastre qui avait frappé l'Empereur et l'armée avait tué, du même coup, et dispersé tout ce qui habitait le Palais.

Le vide, en effet, commençait à se faire autour de l'Impératrice. Le salon de service était presque désert et les valets de pied s'étaient enfuis, abandonnant leurs postes.

A deux heures, on apprit, par Mme de Selves, que la République était proclamée.

A trois heures, l'ordre fut donné de faire évacuer le jardin et on en ferma les grilles.

J'étais depuis quelques instants dans la cour des Tuileries, pour surveiller l'exécution de cet ordre, lorsque je vis venir vers moi un gardien militaire tout effaré. Il m'annonça que la grille de la place de la Concorde avait été forcée et que le peuple envahissait les jardins.

Ce fut alors que le général Mellinet fit placer les grenadiers devant la porte du côté du jardin réservé.

Mais une foule compacte s'avançait, lentement, avec une sorte de discipline et paraissant dirigée par un homme qui s'efforçait de la maintenir. A la hauteur du grand bassin, cette foule s'arrêta, un parlementaire s'en détacha et le peuple reprit sa marche derrière lui.

Tout me parut perdu, alors, et, ne songeant plus qu'à l'Impératrice, je me hâtai de regagner le château afin de l'avertir du péril qui la menaçait.

Comme j'entrais dans le vestibule, je le trouvai désert, tous les serviteurs ayant fui. Seul le cent-gardes de faction à la porte des appartements de Sa Majesté était resté.

Je parcourus, affolé, les diverses pièces de ces appartements et allai ainsi jusqu'au cabinet de toilette de l'Impératrice.

Il n'y avait plus, aux Tuileries, l'ombre même de ceux qui en avaient été les hôtes.

Toutes les portes étaient ouvertes, le désordre était partout et, de-ci, de-là, des boîtes vides, des cadres sans toiles, des objets divers indiquaient un bouleversement hâtif, un départ précipité.

La porte communiquant avec la galerie de Diane était ouverte également. Je la franchis en courant. Et au moment même j'aperçus deux personnes en noir qui s'engageaient dans la galerie du Louvre. C'étaient l'Impératrice et Mme Le Breton. La porte se referma sur elles et je ne devais plus les revoir.

En revenant sur mes pas, je me rencontrai avec le cent-gardes qui, imperturbable, n'observant que sa consigne, continuait tranquillement sa faction. Je le relevai de son poste et l'envoyai rejoindre ses camarades.

Dans l'escalier, je me trouvai face à face avec le général Lepic, en uniforme.

Nous descendîmes à son cabinet et, après avoir fermé les appartements, aidés de l'huissier Robin et d'un mobile, nous quittâmes le château.

Derrière nous la foule prenait possession des Tuileries.

 

Ces pages, dans leur sécheresse littéraire même, renferment, je le répète, un sentiment dramatique très intense. Elles sonnent le glas du Second Empire, en ses moindres détails, le glas, aussi, de choses aimées par celui qui les a écrites, et chacune de ses phrases tombe sur tant d'espoirs déçus, sur tan d'affection perdue, comme les ondes murmurantes des cloches — dans les villages — descendent sur les cercueils.

 

FIN DE L'OUVRAGE