Lorsqu'en 1859 la guerre éclata entre la France et l'Autriche, M. le prince de Metternich se trouvait à Paris, en qualité de secrétaire d'ambassade. Très homme du monde, très élégant, très grand seigneur, en un mot, il eût obtenu, alors, à la cour, les sympathies, les faveurs qui l'accueillirent plus tard, si la question pendante entre l'Italie et l'Autriche et à laquelle l'Empereur s'intéressait directement, dans un sens défavorable à cette dernière puissance, n'avait arrêté, entre le prince et les Tuileries, l'expression d'une cordialité prête à s'affirmer, mais que la raison d'Etat contenait et rejetait dans le domaine des espérances, des possibilités. A cette époque, M. de Metternich avait une trentaine d'années, et si l'expérience lui manquait pour être un diplomate influent, il avait, cependant, la réputation, ayant appris la politique, sous les ordres de son père, d'un habile homme d'Etat. Toutefois, les événements auxquels il a été mêlé, qui ont porté la marque particulière de sa participation, me font penser que M. de Metternich brilla, dans le cours de sa carrière diplomatique, par son amabilité, par sa mondanité, par ses qualités d'esprit, plus que par ses conceptions ou son œuvre politique. Il fut, comme homme d'Etat, dans la bonne moyenne de ceux qui ne commettent ni sottises ni actions d'éclat, il sut concilier à sa patrie, dans une heure difficile, par sa seule affabilité, des sympathies qui se faisaient rebelles et n'eût-il que cet apport à son actif, il ne faudrait point trop le rabaisser. Mais, en dehors de cet aspect officiel un peu terne, M. de Metternich restait un charmeur. Mélomane passionné, sa maison était le rendez-vous de tous ceux qui aiment à entendre d'excellente musique. Il fut l'un des premiers protecteurs de Wagner et ceux qu'inquiétaient déjà ou qu'intriguaient les hardiesses du nouveau maître, se réunissaient chez lui, pour l'audition de ses œuvres, alors peu connues. Très lettré, également, écrivant et parlant le français couramment, il s'intéressait à nos livres, à notre théâtre, et le mouvement artistique et littéraire de France était, en même temps que la politique, l'objet de ses constantes préoccupations. En dépit de cette physionomie agréable, de ce savoir même, M. de Metternich n'eût peut-être pas acquis le renom que l'Histoire a consacré, si auprès de lui, il n'avait eu pour collaboratrice la princesse Pauline Sandor, sa femme. J'ai parlé ailleurs de Mme de Metternich avec assez d'indépendance pour qu'ici il me soit permis d'être simplement juste envers elle. Suprêmement intelligente, initiée aux choses de la politique autant qu'aux choses des salons, elle fut l'âme de son mari et l'on peut dire, sans exagération, qu'elle le fit ce qu'il fut. Elle eut une pensée, la fit passer en lui, et à ce titre mérite, dans la chronique du Second Empire, une place importante. Les femmes de cette nature sont rares, en effet, et bien peu savent, dans le mariage, être mondaines et conseillères à la fois. M. de Metternich, dans l'enthousiasme qu'il éveilla à la cour des Tuileries, après la guerre d'Italie, fut-il, autant que les apparences sembleraient l'assurer, l'ami de l'empereur Napoléon III ? Je crois qu'après le traité de Villafranca, en présence de l'attitude du souverain français qui, alors, cherchait un rapprochement sincère avec l'Autriche, ainsi que je l'ai dit, je crois que M. de Metternich, se conformant aux sentiments de François-Joseph, mit la plus grande franchise dans ses relations avec l'Empereur. Mais cette franchise avorta plus tard, lorsque les événements se précipitèrent, et les affaires de Pologne, comme l'expédition malheureuse du Mexique, lui portèrent un coup fatal, dès avant Sadowa. Contrariée par l'Empereur dans les affaires de Pologne, déçue par le désastre final de la campagne Mexicaine, l'Autriche s'éloigna de nous, et sa défaite de Solférino, non complètement oubliée, rétablit bientôt comme une rancune dans sa politique. M. de Metternich, patriote ardent, ne pouvait que partager les sentiments de son gouvernement, ou plutôt ceux de la cour de Vienne — ce qui n'est point tout à fait la même chose — et, dans la fausseté de cette situation, s'il demeura gracieux et cordial, pour les maîtres des Tuileries, il n'est point téméraire de supposer qu'il ne s'attristait point trop des maladresses qui se commettaient à la cour et qu'il vivait dans l'attente d'un accident qui vengerait indirectement sa patrie. Il n'y a rien là qui soit défavorable à M. de Metternich. Autrichien, il ne lui était pas permis de ne point penser en Autrichien. Cette attitude se retrouve, d'ailleurs, dans ses rapports avec M. le chevalier Nigra, nommé ambassadeur d'Italie, en France, après Villafranca. M. de Metternich devint le compagnon de toutes les heures de son ennemi de la veille et leur intimité même fut célèbre et célébrée à la cour. Je possède des groupes photographiques des divers personnages des Tuileries et l'on y voit MM. de Metternich et Nigra, sans cesse auprès l'un de l'autre. On les appelait, au château, les Inséparables, et le mot leur était justement appliqué. Cependant, est-ce trop s'aventurer que de dire que ces deux hommes, dont les idées, dont les espérances, dont la politique étaient alors diamétralement contraires, ne s'aimaient point ? M. de Metternich luttait contre l'unification de l'Italie, voulait l'intégralité du pouvoir temporel du pape, et souriait, au détriment du roi Victor-Emmanuel, à la possibilité d'une alliance franco-autrichienne. — M. Nigra était un fervent de l'indépendance de son pays, repoussait toute concession dans la question romaine et eût souhaité de réduire l'Autriche sur l'Adriatique. — Quoi clone de plus opposé que l'idéal de ces deux hommes ? Et, pourtant, ils ne se quittaient pas, échangeaient des séductions et des sympathies. Hypocrisie, dira-t-on. — Peut-être. — Mais c'est ainsi et cela ne doit-il pas être ainsi toujours, en politique ? Toutefois, dans les témoignages d'affection que M. de Metternich et que M. Nigra prodiguèrent à l'Empereur, je serais tenté de penser que le premier fut, en tout temps, plus, sincère que le second. M. Nigra, aux Tuileries, tint un rôle, joua un jeu, en effet, qu'on ne peut reprocher à M. de Metternich. Je reviendrai sur ce sujet. L'une des premières et des principales questions qui rapprochèrent assez intimement, sous l'influence de M. de Metternich, les cabinets de Paris et de Vienne, fut la question romaine. M. de Metternich se montra, alors, l'un des plus ardents partisans de l'autonomie pontificale et j'ai publié, déjà, à ce propos, une correspondance politique qui ne permet aucune rectification, aucune équivoque[1]. D'accord, en cette matière, avec l'impératrice Eugénie, il pesa de toute son autorité, de toute son amitié aussi, sur l'esprit hésitant de Napoléon III, pour qu'il continuât au Pape l'appui qu'il lui avait prêté jusqu'alors. Il est, à ce sujet, un mot amusant de l'Empereur. Devant la passion que mettait l'ambassadeur d'Autriche à défendre la Papauté, le souverain murmura, un jour : — Vous verrez que Metternich se fera capucin. Alors M. de C..., qui écoutait cette conversation, faisant allusion à la réputation d'homme à bonne s fortunes qu'avait le prince, répliqua : — Les nonnes y perdraient beaucoup, Sire, et l'Eglise n'y gagnerait rien. M. Nigra, indépendamment de l'amitié apparente qui l'unissait à son collègue d'Autriche, apportait toute son habileté à le combattre dans cette question et une brouille survint même entre eux, lorsque la France rompit ses relations diplomatiques avec l'Italie, à la suite d'une incursion des troupes du roi Victor-Emmanuel dans les Etats pontificaux. On sait, également, par des lettres que j'ai fait connaître, l'attitude qu'eut M. de Metternich dans l'affaire du Mexique[2]. Il prépara, avec l'impératrice Eugénie, ainsi qu'avec plusieurs personnages de la cour et du gouvernement, cette expédition, longtemps avant que le public n'apprît qu'elle était décidée, et il détermina, par ses conseils, l'empereur François-Joseph à en accepter, pour son frère, les résultats. Lorsque l'Autriche, en 1866, fut aux prises avec la Prusse et de nouveau avec l'Italie, sur les conseils de M. de Beust, qui comptait que la grande affection que l'empereur Napoléon III portait au prince déciderait la France à venir au secours de François-Joseph. M. de Metternich mit tout en œuvre pour que cette intervention eût lieu. Ce n'est que sur les vagues réponses, que sur les refus déguisés de Napoléon III qu'il télégraphia à M. de Beust de se rendre à Paris. — Vous seul pouvez gagner le concours de l'Empereur dans cette circonstance, lui dit-il. Là où l'amitié a échoué, l'intérêt politique sera peut-être victorieux. J'ai dit, précédemment, ce qui advint de l'entrevue de M. de Beust avec Napoléon III. Le futur ministre autrichien s'en retourna à Vienne désespéré et irrité. Un instant, cependant, M. de Metternich crut avoir la belle dans cette partie terrible. Fort de l'affection que lui portait l'impératrice Eugénie, fort aussi de celle plus intime et plus près du cœur qu'il avait pour elle, il la supplia d'engager l'Empereur à jeter sur le Rhin une armée. Mais, hélas — et c'est ici un problème de philosophie sentimentale — si l'Impératrice avait connaissance des sentiments de M. de Metternich, elle ne répondait pas à ces sentiments et elle se fit simplement consolatrice devant la douleur patriotique de l'ambassadeur. Lorsqu'il s'agit, pourtant, de démembrer l'Autriche, devant l'explosion d'indignation qui saisit M. de Metternich, elle reprit avec lui les entretiens délaissés et elle usa de son influence sur son ami pour qu'il cessât de s'opposer à cette mutilation. C'est alors que la Vénétie fut offerte à l'empereur Napoléon III qui la remit au roi Victor-Emmanuel. La Vénétie livrée à l'Italie, c'était un gage donné aux ennemis du pouvoir temporel du Pape, et l'Impératrice pensait qu'ainsi ces ennemis, leur faim relativement apaisée, songeraient moins à leurs troublantes revendications. La place me manque ici pour parler, en détails, de cette heure romanesque et cruelle. Il faut avouer, cependant, que le sujet prêterait au développement de pages curieuses et émouvantes. M. de Metternich, en 1870, fit-il quelque tentative, quelque effort pour que l'Autriche s'alliât à la France ? La question est délicate et a été posée, maintes fois déjà, sans qu'il y fût répondu. Il ressort d'une conversation que j'ai rapportée dans mon récent livre, l'Impératrice Eugénie, que l'Autriche n'avait aucunement, en 1870, l'intention d'unir ses armes aux nôtres pour combattre la Prusse. Mais cette conversation ne dit rien en ce qui concerne l'attitude qu'eut alors M. de Metternich. Or, s'il faut être net, sur la foi de témoignages irrécusables, j'ajouterai que, en 1870, M. de Metternich demeura inactif, ne fit rien pour que son gouvernement s'entendît avec le cabinet des Tuileries, avant comme après l'engagement des hostilités. Il orienta même sa politique, à ce moment, vers l'Allemagne et, aux Tuileries, si entre l'Impératrice et lui, les entretiens de 1866 recommencèrent, ce fut sur un thème différent, avec des rôles renversés. L'Impératrice — et cette attitude reste tout à son honneur — supplia, à son tour, M. de Metternich de s'entremettre pour que François-Joseph attaquât l'Allemagne ; mais, hélas, le cœur de l'homme est changeant, oublieux plus encore ; les heures poétiques, les ivresses intimes des années écoulées n'étaient plus, et le prince demeura sourd à toutes les prières de la souveraine. Il l'écouta, s'attrista, mais opposa à toutes les demandes la plus absolue immobilité. Et, en vérité, peut-on faire un crime à M. de Metternich de cette conduite ? La politique de l'Autriche, en 1870, était une politique d'expectative vis-à-vis de la France, et comme l'empereur Napoléon III, dans sa constante bienveillance pour l'Italie, lui portait ombrage, dressait presque, en face d'elle, un péril permanent, il n'était pas sans intérêt pour sa quiétude, d'être délivrée de cette menace au prix même d'une défaite infligée à notre pays. Lorsqu'après 1870, M. de Metternich reparut à l'ambassade d'Autriche à Paris, il ne s'accorda point avec M. Thiers qui le tenait en suspicion à cause de ses attaches avec la famille impériale exilée. Il abandonna ses fonctions, alors, se retira à Vienne ou dans ses propriétés de Hongrie et ne remonta plus sur la scène politique. En résumé, ce fut un homme aimable qui apporta le goût des arts, des lettres et des plaisirs à la cour, qui fut, un instant, notre ami sincère et qui, dans sa retraite, devant l'écroulement passager de la France, observa une absolue correction de gestes et de paroles, une attitude digne et respectable. Il fut notre hôte, s'amusa chez nous et nous amusa ; il fut, aux Tuileries, le héros sentimental d'un roman inachevé — celle qu'il aimait demeurant impeccable dans l'acceptation même de son hommage ; — il fut l'un des charmeurs de cette cour impériale qui vit tant de charmeurs, et son souvenir reste très au-dessus de tous les souvenirs qui s'échappent de l'histoire du Second Empire. Il portait beau dans les parades et dans la politique des Tuileries. La chronique doit le prendre ainsi pour le présenter au lecteur — pour le fixer papillon éblouissant — en sa physionomie générale, comme on fixe les papillons — sur les feuillets d'un livre. |