LE SECRET D'UN EMPIRE : LA COUR DE NAPOLÉON III

 

I. — ÉPAVES IMPÉRIALES.

 

 

Lorsque je publiai, récemment, mon livre : l'Impératrice Eugénie, je fis remarquer combien il est difficile d'écrire l'histoire du Second Empire et combien, d'autre part, est grande la curiosité qu'éveillent, dans le public, les bommes, les femmes et les choses qui s'y rattachent.

En vérité, je ne pensais pas que faire connaître au lecteur ce monde des Tuileries, sur lequel il semble que, depuis sa disparition, un voile ait été jeté, pût aussi présenter quelque danger.

C'est ainsi, pourtant, et, quand le Figaro commença d'insérer, il y a quelques mois, ma seconde étude sur l'époque impériale, intitulée : la Cour de Napoléon III, je m'aperçus que la société bonapartiste était fort hostile à mon nom, que des colères, que des menaces même me guettaient.

J'avais été averti que mes révélations sur l'Impératrice Eugénie, que les documents inédits que j'avais publiés à l'appui de ces révélations avaient, dans la société spéciale dont je parle, provoqué quelque surprise, jeté quelque désarroi et fait naître quelque courroux.

Cependant, ces divers sentiments n'avaient eu jusqu'alors qu'un caractère tout platonique, et je n'avais pas jugé utile de m'en préoccuper. Mais, dès la publication du premier chapitre de la Cour de Napoléon III, ils se manifestèrent avec une telle violence qu'il ne me fut plus possible de paraître les ignorer.

Je ne sache point, en effet, d'œuvre qui ait soulevé autant de discussions, qui ait valu à son auteur autant d'injures comme autant de louanges, qu'on me permette de le dire, à l'exclusion de tout sentiment vaniteux, que celle que j'offre aujourd'hui au lecteur.

La grande publicité qui a été donnée aux extraits de cette étude, dans le Figaro, provoqua sans doute ces attaques, ces outrages.

Je les mentionne et les relève, non sans quelque émotion.

Un volume est une chose animée ; il a son histoire, et l'écrivain, dans sa sincérité, éprouve quelque joie, quelque consolation à enregistrer les diverses expressions de sa vie — tel le père marque et retient les bégaiements de satisfaction ou de tristesse inconsciente de l'enfant qui entre en sa maison.

 

Ainsi que je le dis en un chapitre de ce livre, la société impérialiste, qu'un silence relatif protégeait dans son passé, depuis la chute de Napoléon III, est réfractaire à toute révélation, à toute vérité se rattachant à ce passé.

Naguère, en de frénétiques plaisirs, en des joies extrêmes, elle oubliait tout ce qui ne l'intéressait pas directement, et, dans l'autoritarisme qui s'imposait à la pensée, à la presse, elle se savait utilement oubliée. Elle ne peut admettre, maintenant, qu'on exhume les souvenirs qui dorment sous la terre quia été sienne, elle ne peut supporter qu'on la blâme de son imprévoyance, de sa frivolité, de son indifférence patriotique même, et lorsqu'un écrivain se permet de déchirer l'enveloppe dont elle se couvre, pour mourir ignorée et tranquille, se sentant coupable et laide aux yeux du peuple, elle crie à la calomnie, à l'injustice, à la profanation.

Je ne suis pas le seul auteur qui ait écrit sur le Second Empire, mais je suis le seul peut-être qui ait, jusqu'à présent, mis en relief, avec des documents inconnus, la physionomie de la cour des Tuileries, le seul qui, sans afficher la prétention d'avoir inventé ou découvert le Second Empire, ainsi que les hommes qui l'ont servi, ait donné de cette période historique et des personnalités qui l'ont traversée, une narration aussi complète, aussi intime que celle que je publie. De là une colère, parmi les survivants de la cour, dont je supporte tout le poids.

La société impérialiste a fait quelque succès à des livres doucereux et louangeurs, apologistes systématiques et sciemment mensongers de l'Empereur, de l'Impératrice et des personnages qui les entouraient. Elle s'est habituée à la caresse de ces livres, et lorsque les miens sont venus, elle a éprouvé un amer étonnement.

Je n'ai, je le confesse, nullement cherché à provoquer cet étonnement.

Placé, par un hasard heureux, pour être bien renseigné sur les faits publics ou intimes du Second Empire, muni de papiers historiques fort précieux, j'ai simplement, et dans toute l'impartialité et dans toute l'indépendance qui me sont propres, utilisé les documents qui m'étaient apportés, les renseignements, les notes, les mémoires qui m'étaient communiqués, et, s'il ressort de cette accumulation de débris historiques que les hommes et que les femmes des Tuileries ne furent point sans péché, je ne saurais accepter pour mon œuvre la qualification de pamphlet, pour moi-même l'accusation d'avoir falsifié l'Histoire.

Les grossières indignations des uns, les réclamations financières des autres, les menaces même de l'ambassade d'Autriche, ne sauraient, ici, donner le change au public, et, dans le premier chapitre de ce livre, étant chez moi et libre, je n'hésite pas à opposer, aux propos intéressés, aux affirmations fantaisistes, le démenti le plus net.

Un fait bien curieux, comique et attristant à la fois, s'est produit au sujet de la publication de l'Impératrice Eugénie et de la Cour de Napoléon III.

Chaque fois que la presse bonapartiste a pensé que ma narration était à l'avantage de ses sympathies, elle s'est empressée de lui emprunter des extraits, en les accompagnant de commentaires fort élogieux.

La presse bonapartiste s'est méprise, évidemment, sur mes sentiments. Elle a, tout d'abord, cru voir en moi une recrue politique ou littéraire. Mais, dès qu'elle a été convaincue que je n'étais qu'un écrivain impartial, indépendant, hors de toute attache, non compromis dans la promiscuité de ses coteries, elle s'est révoltée et, avec la même force qu'elle avait mise à louanger certains chapitres de mes études, elle a blâmé ceux qui ne lui plaisaient plus.

Il serait puéril de relever cette contradiction, cette expression d'une mauvaise foi insigne, si, vraiment, je n'avais quelque droit, dans la circonstance qui m'occupe, à rappeler la presse bonapartiste à la plus élémentaire reconnaissance.

N'ai-je point détruit, en effet, certaines erreurs, certaines calomnies qui salissaient — et non sans apparente raison — la figure de l'Impératrice Eugénie ? Ai-je hésité, dans le souci de vérité qui m'obsède, à rejeter dans le domaine de la légende cette longue théorie d'amants que l'opinion publique, que des écrivains même fort distingués et sérieux, attachaient aux pas de la souveraine ?

Si j'avais été un pamphlétaire, il m'eût suffi de laisser dans le silence ces imputations, ces particularités intimes de la vie de l'Impératrice, et mon mutisme, en ce cas, et mon indifférence voulue eussent été plus éloquents et plus péremptoires que la calomnie même.

La presse bonapartiste n'a pas compris le sentiment chevaleresque qui m'a guidé. Elle m'a injurié comme elle injurie quotidiennement ses adversaires, ne pouvant se résoudre à abandonner ses procédés de coup d'Etat, ses façons de garde-chiourme qui, peut-être en un temps, ont eu l'attrait d'une curiosité, d'une monstruosité foraine, mais qui n'émeuvent plus actuellement, qui détournent de la cause qu'elle défend avec tant de maladresse, la jeunesse intelligente, studieuse et amoureuse de liberté.

En vérité, les impérialistes sont bien fondés à se plaindre qu'on ne trouve pas que dans le meilleur des Empires tout ait été pour le mieux, que l'on critique cette cour des Tuileries qui ne sut que rire et que folâtrer, qu'aucune noble pensée n'anima jamais, alors que, chaque jour, leurs journaux déversent sur le gouvernement de la République, ainsi que sur les hommes qui le représentent, leurs outrages et leurs brutalités.

Les impérialistes s'indignent et réclament alors qu'on parle de la légèreté de l'Impératrice, des qualités amoureuses des femmes qui l'entouraient, des petits jeux de la cour et des maîtresses de l'Empereur, mais ils trouvent spirituel et naturel d'insulter les ministres républicains, de ne respecter ni leurs femmes ni leurs enfants, et de ne désigner cette République qui leur est si tolérante que par ce mot : la Gueuse.

Je ne fais point, ici, de polémique, de politique, mais je le demande à tous les hommes de bonne foi : qu'eussent dit, sous l'Empire, ceux qui s'élèvent avec tant de violence contre mon œuvre, si un écrivain s'était ainsi oublié dans l'injure ? Ils auraient réclamé son envoi dans une colonie pénitentiaire, à défaut de la fusillade.

Nous sommes en des temps plus calmes et plus sobres de représailles.

 

Un journal, l'Autorité, dont je m'occuperai plus complètement au cours de ce chapitre, a osé dire que mon récit sur le Second Empire n'était fait que de racontars sans contrôle, et s'est élevé tout particulièrement, en prenant pour point d'appui, dans sa discussion, une lettre de la très indulgente Mme Carette, contre les passages de mon œuvre concernant l'intimité de la cour, les jeux qui se pratiquaient dans le personnel des Tuileries, et les intrigues qui agitaient, qui troublaient la société impériale.

Or, je jette cette question devant le public et je l'oppose à la querelle que l'on m'a cherchée :

Les lettres de MM. le général Fleury, Caro, Walewski, Charles Edmond que j'ai publiées dans l'Impératrice Eugénie, et qui sont relatives au monde officiel aussi bien qu'au monde de salon des Tuileries, sont-elles inspirées par un esprit malveillant aux institutions bonapartistes et ne confirment-elles pas mon récit ? Les lettres, encore, de MM. Rouland, Magne, de Metternich, contenues dans mon précédent volume et dans le présent, ne s'accordent-elles pas pour montrer quelle division existait dans la société qui fréquentait les Tuileries, quelle légèreté, quelle incorrection s'imposaient, dans une fatalité incompréhensible, à chacune des paroles, à chacun des actes de cette société ?

J'ai dit que des amusements plus qu'osés étaient en faveur à la cour et, aussitôt, les survivants du monde impérialiste ont bruyamment protesté contre mes affirmations.

Or, un ancien familier des Tuileries, un ancien diplomate attaché au cabinet de M. le marquis de Moustiers — M. le comte de Maugny — a fait un livre sur le Second Empire dans un esprit bienveillant — ce sont les expressions dont il se sert dans sa préface. Ce livre a paru avant les miens et aux pages 69, 70 et 71, je relève les lignes suivantes, qui témoignent que je n'ai rien exagéré et que si M. de Maugny n'avait point été un bienveillant nous eussions pu apprendre d'assez drolatiques choses.

L'Empereur, dit-il, préférait habituellement la conversation et faisait sa cour aux femmes les plus jolies et les plus spirituelles. Il allait s'asseoir successivement à côté de chacune d'elles et, tout en causant avec sa voisine, il interpellait, par-ci par-là, celles qui passaient ou qui se trouvaient à portée de son regard et de sa voix. Rien d'amusant comme le petit manège des grandes coquettes pour attirer son attention. J'en ai vu qui changeaient de place dix fois en cinq minutes, et qui le suivaient du coin de l'œil des heures entières pour arriver à temps sur son passage.

 

Chaque mot de cette page ne serait-il pas à souligner et dans la malveillance dont on m'accuse, ai-je jamais été aussi net que M. de Maugny, sur l'attitude des femmes qui briguaient les faveurs de Napoléon III ? Et que penser de ces femmes qui, en cinq minutes, changeaient plus de dix fois de place pour se trouver devant l'Empereur, qui le suivaient, qui s'attachaient à sa chair, dans un désir éhonté et non caché de lui appartenir — que penser de leur tenue, en cette cour, tenue qui n'eût point été tolérée une seconde dans le plus humble, dans le plus bourgeois des salons ?

Mais M. de Maugny s'exprime avec trop de vérité, appuie trop bien mon récit pour que je ne le cite point encore.

Après le départ de l'Empereur et de l'Impératrice, continue-t-il, qui se retiraient avant minuit, les hommes faisaient encore de longues séances au fumoir. De plus, certaines coteries d'un chic suprême se réunissaient en catimini dans l'appartement particulier de l'une ou l'autre de ces dames, jusqu'à des heures indues, et ces arrière-soirées, d'un caractère essentiellement privé, ne manquaient ni de gaieté, ni de saveur. Je crois même me souvenir que quelques-unes d'entre elles furent prodigieusement folâtres... — Soyons discrets. Voilà pour l'ordinaire.

 

Ces lignes ne donnent-elles pas le droit de tout supposer, de tout admettre de la part des courtisans et des courtisanes qui entouraient les souverains ? Et ces soirées prodigieusement folâtres sur lesquelles M. de Maugny se fait discret, ne nous apparaissent-elles pas comme des nuitées de maison publique ? — C'était là l'ordinaire des plaisirs de la cour, ajoute le narrateur. Que pouvait être l'extraordinaire de ces plaisirs ?

Je demande pardon au public du ton peut-être sévère que je mets dans ce chapitre et qui, on le reconnaîtra, n'est point habituel à ma plume. Mais sachant que j'ai été attaqué avec un extrême acharnement, il comprendra que je me défende et que je prouve la sincérité de l'œuvre que je lui offre.

Je le déclare, en toute franchise, avec toute la loyauté que j'apporte dans mes travaux, je voudrais demeurer calme en présence des dénégations intéressées, des outrages commandités, mais je ne puis me résigner à un silence qui pourrait être pris pour de la crainte, pour de l'impuissance.

Il faut qu'on le sache, je ne me déroberai jamais aux menaces — et les menaces sont nombreuses que m'a values mon récit — et je ferai tète, toujours, à la meute des aboyeurs avec la même énergie qu'ils mettront à me poursuivre.

A vrai dire, les rodomontades de M. Paul de Cassagnac, les rêves haut cotés de M. le duc de Morny, me troublent peu. Mais je ne les laisserai jamais passer sans y répondre, sans les marquer de mon encre, sans les stigmatiser d'une déchirure ineffaçable.

A M. Paul de Cassagnac, ce capitan politique, qui n'a jamais effarouché que les timides, que tous les partis conservateurs ont employé, que tous rejettent aujourd'hui, je dénie le droit du critique même — le droit de parler en moraliste.

A M. le duc de Morny — cet ex-roi de la Gomme — ce mondain insignifiant qui sait mieux la science des cosmétiques que celle de l'orthographe, qui naguère mit tous ses soins à s'enjuponner, à se faire épiler et qui n'est point encore revenu de cette émasculation, je dénie l'autorité, l'instruction même nécessaires pour me donner des leçons d'histoire.

Ces deux hommes — épaves d'Empire — sont les inspirateurs volontaires ou involontaires, les complices des soudards ivres, des revenants des tueries populaires qui, durant tout le temps qu'a eu lieu la publication des extraits de ce livre, m'ont assailli de lettres ordurières, menaçantes, anonymes.

Je n'ai point à discuter avec eux, je n'ai qu'à faire justice de leur outrecuidance, de leur besogne impudente et c'est à cette tâche que je vais consacrer quelques-unes des pages suivantes — le public étant juge et restant libre dans son appréciation.

 

Les premières hostilités publiques qui furent dirigées contre mon œuvre et contre ma personne —laissant de côté des attaques de presse — eurent pour auteur M. de Baulny, gendre de M. Rouher, et pour prétexte l'un de mes articles sur le prince Napoléon.

Sur un renseignement fantaisiste, la Gazette de France, en reproduisant mon article, ayant dit que mon nom servait de pseudonyme à M. de Baulny, ce dernier, très ému, paraît-il, se rendit au journal et réclama l'insertion d'une note ainsi conçue :

Nous recevons de M. le baron Christian de Baulny une lettre dans laquelle il déclare qu'il est complètement étranger à l'article du Figaro, signé Pierre de Lano, que nous avons reproduit, et dans lequel le caractère si noble de l'impératrice Eugénie est jugé d'une manière absolument fausse.

 

Cette note m'ayant été communiquée, je trouvai naturel que M. de Baulny déclinât toute responsabilité dans une chronique dont il n'était ni l'auteur ni l'inspirateur, mais je trouvai, également, qu'il sortait de la réserve qui lui était imposée, en commentant mon article et en s'inscrivant en faux contre mes affirmations.

Je réclamai, à mon tour, de la Gazette de Finance, la publication d'une note et dans le numéro du 25 mars 1891, cette note paraissait, en réponse à celle de M. de Baulny. La voici :

Nous recevons de M. Pierre de Lano une communication dans laquelle il déclare qu'il n'a rien de commun avec M. de Baulny — gendre de M. Rouher — en ajoutant qu'il maintient l'exactitude des anecdotes, puisées aux sources les plus authentiques, qu'il a contées dans le Figaro et que la Gazette a reproduites.

 

Cet incident semblait terminer, lorsque le journal la Patrie qui, cependant, à diverses reprises avait, en me décernant des éloges, reproduit mes articles sur le Second Empire, le réveilla et l'envenima en s'attaquant, non plus seulement à mon œuvre, mais à ma personne.

Je répondis à la Patrie en lui rappelant que, naguère, elle me témoignait quelque amabilité — à une époque où je rencontrais souvent son Directeur dans un salon voisin de la Madeleine.

Je ne mentionne, d'ailleurs, cet incident que pour mémoire.

Mais puisqu'il a plu à M. de Baulny de prendre vis-à-vis de moi une attitude agressive, me permettra-t-il de lui demander s'il a connaissance d'un fait qui pourrait singulièrement atténuer la bonne opinion qu'il professe au sujet de la générosité de l'impératrice Eugénie ?

Ce fait est intimement lié à la vie de son beau-père, M. Rouher, et se rapporte à une réclamation que l'Impératrice, par l'intermédiaire de l'ex-vice-Empereur, faisait adresser à son neveu le duc d'Albe.

Il est simple et peut être dit en deux mots : le duc d'Albe devant deux termes de loyer à l'Impératrice et ne pouvant les payer, l'ex-souveraine n'hésita point à lui envoyer un huissier pour le forcer à s'acquitter envers elle. Ce fut M. Rouher qu'elle chargea de liquider cette affaire et, par une lettre en date du 15 juillet 1875, l'ancien ministre formula les exigences de l'Impératrice.

Je tiens cette lettre à la disposition de M. de Baulny.

Il me paraît difficile qu'il en détruise la saveur par une note rectificative.

 

Lorsqu'eut lieu, dans le Figaro, la publication de la Cour de Napoléon III, ce fut contre moi une clameur dans le clan des anciens familiers des Tuileries et dans celui, aussi, de leurs rejetons. Parmi ces derniers, M. le duc de Morny se fit remarquer par une attitude plus militante, plus hostile.

Je demande, ici, la permission de répondre, en quelques mots, à sa morgue hautaine de jeune seigneur régnant chez les rastaquouères.

M. de Morny, dont le nom s'écrit en un seul mot, selon l'almanach de Gotha (page 366, Charles-Auguste-Louis-Joseph DEMORNY) et selon l'acte de naissance de son illustre père, publié par le journal Paris, M. de Morny, laissa, un jour, tomber de sa dédaigneuse bouche cette précieuse phrase qui me concerne :

— Qu'est M. de Lano ? Je l'ignore. On m'assure que ce nom n'est pas un pseudonyme, que ce monsieur existe en chair et en os.

En vérité, à l'époque où M. de Morny m'ignorait, je le connaissais, et j'eusse pu dire qui il était dans un autre style que celui de la Cuisine Bourgeoise, dont il se sert à merveille.

Je savais que M. de Morny avait, jadis, au temps de son célibat quelque peu carnavalesque et tapageusement public, tenu dans les cercles parisiens, l'emploi d'éphèbe et avait fait montre d'habileté et d'élasticité en exhibant ses formes émasculées ; je savais qu'un jour il avait joué, à la ville, le rôle d'un Antony au rebours et qu'il avait aux mains un peu du sang de la pauvre fille — Mlle Feyghine, de la Comédie-Française — qui s'était tuée chez lui. Je savais qu'il avait essayé d'être élu député et que ce passé qu'il traîne derrière lui, passé fait de poudre de riz et de blague tragique, ne lui avait point permis de réaliser son désir.

Mais ce que j'ignorais, moi aussi, c'est qu'il voulût se refaire une virginité d'homme grave et raisonnable. Il a tenté l'expérience en s'attaquant à ma personne. Cette expérience ne lui a pas réussi et je doute qu'il ait l'envie de la recommencer.

Cette évocation d'un temps où la Chronique scandaleuse enregistrait ses prouesses, lui agréera-t-elle ? M. de Morny a toujours eu du goût pour la publicité et à l'heure où il fait paraître la correspondance de son père — mémoires qui n'eussent présenté de réelle curiosité qu'à la condition d'être sincères, mais qu'en fils pieux, il se gardera bien de ne point expurger à la grande déception du public — à l'heure, dis-je, où il livre au lecteur quelques souvenirs de son père, M. de Morny ne sera point trop, sans doute, contrarié de la réclame que je lui fais, ici, gratuitement. On sait que les questions pécuniaires ne sauraient le trouver indifférent.

Un mot encore.

Si M. de Morny douta, un moment, que je fusse en chair et en os, j'ose croire qu'aujourd'hui il est fixé sur la nature de mon individu.

 

Un incident très curieux et qui ne fut point révélé aux lecteurs, marqua la publication de la Cour de Napoléon III, dès son début. Mme de Metternich réclama. Faisant agir le Gouvernement Austro-Hongrois, ordre était transmis à l'Ambassade d'Autriche, à Paris, d'avoir à s'interposer pour qu'il ne fût plus question de la princesse dans mon ouvrage.

En l'absence de M. le comte Hoyos, ce fut M. le comte Zichy qui se chargea de cette mission et qui fit savoir les volontés de Mme de Metternich.

Je trouvai le procédé employé par ces étrangers quelque peu violent et autoritaire, mais je l'excusai presque en songeant que Mme de Metternich qui avait vu tant de ses désirs exaucés aux Tuileries, n'agissait que dans une sorte d'habitude et d'inconscience, surtout, de la situation présente.

Mme de Metternich, par la voie de l'Ambassade d'Autriche, menaçait, et je dus m'incliner devant des exigences officiellement exprimées.

Je savais que la publication des lettres de M. le prince de Metternich, sur l'affaire du Mexique, publication faite précédemment dans mon livre l'Impératrice Eugénie, avait fort indisposé Mme de Metternich contre moi et, il y a quelque temps, on me rapportait le propos suivant qu'aurait tenu la princesse, sur mon compte, à la lecture de mon volume :

— Si la République n'existait pas là-bas, si la France avait demain un gouvernement honnête, comme on l'emballerait celui-là !

Je suis vraiment désolé de ne pouvoir changer le gouvernement de mon pays pour être agréable à Mme de Metternich. La phrase qu'elle m'a consacrée est tout à fait charmante et digne de l'ancienne meneuse des plaisirs de la cour des Tuileries. Mais me permettra-t-elle de lui demander pourquoi le gouvernement actuel de la France ne lui paraît point honnête ? Il me semble que ce mot honnête s'écarte un peu de son sens dans la bouche de la princesse. Le comprit-elle même jamais ?

Mais c'est là un détail sans importance. Il est un autre mot de Mme de Metternich qui mérite plus d'attention.

Lorsque l'incident dont je parle se produisit, l'Ambassade d'Autriche fît insérer dans quelques journaux une note dans laquelle il était dit que Mme de Metternich aima passionnément notre pays.

Pour complaire à une femme, je comprends que l'on feigne d'admettre bien des invraisemblances. Cependant, ici, je ne puis, sans protester, enregistrer l'affirmation dont il s'agit.

Mme de Metternich n'aima en aucune époque, ni la France, ni les souverains qui régnaient aux Tuileries. J'ai rapporté, dans l'Impératrice Eugénie, le mot sanglant qu'elle eut un jour, à Fontainebleau, au sujet de la compagne de Napoléon III : — Mon impératrice, à moi, est une vraie impératricela vôtre n'est que Mlle de Montijo. — J'ai rapporté le rôle qu'elle tint, avec tant d'énergie, dans l'affaire du Mexique, l'attitude encore qui fut la sienne au moment de la déclaration de guerre à la Prusse ; il est un mot — celui que j'indiquais, plus haut — qui la peint mieux et pleinement, dans les sentiments qu'elle nourrissait à notre égard.

Ce mot est abominable, atroce, mais peu surprenant, tombant de cette même bouche qui disait : — On s'embête chez l'Empereur.

Or donc, lorsque la guerre fut décidée, Mme de Metternich obsédée, à l'imitation de l'Impératrice, par un besoin sans cesse nouveau de sensations neuves, dans la peur de s'embêter sans doute, s'écria, dans un entretien qu'elle eut avec l'une des femmes de la cour, dans une discussion, plutôt, qui n'était point sans mettre en cause son attitude indifférente :

— C'était trop toujours la même chose, ici, après tout. Il fallait du changement. On va donc, enfin, avoir de la distraction.

Puiser de la distraction, dans la terre sanglante des champs de bataille, dans la détresse des mères, des sœurs, des femmes et des fiancées, dans la chute certaine, même, de cet Empereur et de cette Impératrice qui l'avaient si généreusement accueillie, dans l'écroulement de tout un peuple dont elle avait été l'hôte tolérée, c'est là ce que Mme de Metternich appelle aimer passionnément la France.

Il me paraît inutile et pénible d'insister sur un tel sujet.

Mme de Metternich fut, je l'ai dit, le génie dissolvant de la cour de Napoléon III. Elle apprit aux femmes à ne plus rougir, aux hommes à tout oser, et nos désastres ne lui enlevèrent point un atome de sa sérénité, de sa blague faubourienne et voulue.

Mme de Metternich est une femme, me dira-t-on, et doit être ménagée.

Ma réponse sera nette : Mme de Metternich est une femme, oui ; mais une femme politique qui appartient, corps et âme, à l'Histoire. Or, l'Histoire n'a que faire de galanteries vaines, de mondanités hypocrites. — Les femmes, d'ailleurs, sous le Second Empire, furent néfastes à la France et ce serait duperie de leur accorder trop d'indulgence.

 

Il est bien entendu que je ne relève, dans ces pages, que les incidents qui ont eu pour auteurs des personnalités en vue soit dans la politique, soit dans la société mondaine de l'ancienne cour.

Conformément à la règle que je me suis tracée, je mentionnerai donc l'intervention assez plaisante de M. Tristan Lambert.

M. Tristan Lambert, prenant des moulins pour des géants — c'est-à-dire ne comprenant pas un mot de ce que j'écrivais ou tronquant à dessein ma narration, me donna la charge dans un journal de province et son article fut reproduit, à Paris, par l'Univers.

Je ne sais quelle salade — qu'on me pardonne cette expression — de Pape, d'Empereur, d'Impératrice, de prince Jérôme, de duc de Morny, d'Allemands et d'Italiens il me servit ; mais ayant eu un instant l'envie de répondre à l'article, pour rétablir un peu d'ordre dans les propres idées de son auteur même, en relisant le dit article, un fou rire me prit et j'abandonnai ma plume.

M. Tristan Lambert doit beaucoup à l'Empire, son père ayant occupé un emploi dans la vénerie. Il a été lui-même l'ami très dévoué du Prince Impérial et je ne saurais lui reprocher de défendre ceux qui seraient en droit de réclamer sa reconnaissance.

Mais je lui demande de ne point pousser cette reconnaissance jusqu'à m'accuser, lorsque je traite une question d'histoire moderne que j'ai, sans doute, étudiée mieux et avec plus d'indépendance que lui, d'être mal renseigné.

Faut-il lui fournir une preuve de la sincérité de mes récits ?

M. Tristan Lambert ne me connaît pas, je n'ai pas davantage l'honneur de le connaître, et cependant, comment l'aventure suivante dont il fut le héros, qui n'eut pour témoin que le Prince Impérial, fait-elle partie de ma collection d'anecdotes ?

On sait que pendant son séjour en Angleterre, après la guerre, le Prince recevait des amis de France et que, parmi ces amis, se trouvait fréquemment M. le baron Tristan Lambert qui avait voué au fils de Napoléon III une sorte de culte.

Or, le Prince Impérial qui savait son compatriote fort chatouilleux sur le chapitre de la galanterie, résolut, un matin, de loi jouer un tour de sa façon.

A l'heure où il savait que son ami faisait son habituelle promenade dans une sorte de parc non loin de Camden-Place, il revêtit des vêtements de femme et se mit à sa poursuite.

Il ne tarda point à le découvrir sur un banc, à demi caché par le feuillage. Il s'avança vers lui, très voilé, donnant à sa tournure des airs provocateurs, et il s'assit auprès de lui.

M. Tristan Lambert se recula. Le Prince se rapprocha encore. Puis, d'une voix câline, bravant les regards soupçonneux du baron, il lui adressa la parole — comme une déclaration.

M. Tristan Lambert, se redressant alors, s'écarta en hâte de sa pseudo-tentatrice ; mais un éclat joyeux le retint à sa place et il reconnut le Prince qui fut heureux, pendant tout le jour, de cette plaisanterie.

L'anecdote n'a rien de désobligeant pour mon contradicteur. Elle est tout à l'avantage d'une vertu que je lui souhaite de posséder encore intacte et comme je le sais honnête homme, je suis certain qu'il ne la démentira pas.

 

J'arrive, enfin, à l'incident Cassagnac, l'un des plus importants de cette série.

Le journal de M. Paul de Cassagnac, l'Autorité, dans son numéro du 16 septembre 1891, publiait une lettre de Mme Carette contenant un paragraphe relatif à la Cour de Napoléon III, alors en publication dans le Figaro.

Ce paragraphe était ainsi conçu :

Quelques pages envenimées ne sauraient porter atteinte à la dignité des femmes qui formaient l'intimité de la cour et dont la plupart portaient les noms les plus honorés, les plus glorieux de la France moderne.

 

De son côté, l'Autorité faisait suivre cette lettre du commentaire suivant :

Nous n'ajouterons qu'un seul mot pour regretter que le Figaro accueille, sans contrôle, des racontars de la nature de ceux contre lesquels proteste Mme Carette et qui fourmillent dans l'étude de M. Pierre de Lano sur la cour de Napoléon III.

 

Si je n'avais eu à répondre qu'à Mme Carette sur la vertu des femmes des Tuileries, vertu tellement blasonnée, parait-il, qu'elle en devient invulnérable, je me serais contenté de la renvoyer à la lecture du livre de M. le comte de Maugny dont je parlais précédemment, de M. le comte de Maugny qui fut un habitué des fêtes des Tuileries et des ministères et que Mme Carette compte, sans doute, au nombre des amis du régime déchu. Mais le commentaire du journal ne me permettait plus de dédaigner l'attaque dirigée contre moi.

Ayant eu la rare bonne fortune, parmi les écrivains modernes, d'être le premier à publier des lettres de l'Empereur, de l'Impératrice et des divers personnages de leur entourage, je ne pouvais, sans protester, entendre que l'on qualifiât de racontars sans contrôle, non seulement mes récits, mais surtout l'ensemble des documents que j'avais offerts au public.

J'adressai donc à l'Autorité, la lettre suivante, comptant sur la bonne foi de ce journal pour l'insérer :

Paris, le 17 septembre 1891.

A Monsieur le Directeur ou à Monsieur le Gérant du journal l'Autorité.

Monsieur,

On me communique le numéro de l'Autorité du 16 septembre qui contient une lettre de Mme Carette, faisant allusion à mes chroniques sur le Second Empire, et que suit un commentaire traitant de racontars sans contrôle les documents et les notes que je publie.

Mme Carette ne peut, dit-elle, laisser affirmer qu'elle se trompe, lorsqu'elle écrit sur la cour des Tuileries. J'ai le même souci pour mes travaux, et, aux termes de l'article 13 de la loi sur la liberté de la presse, ayant été mis en cause dans votre journal, je vous prie d'accueillir la déclaration que voici :

J'ai publié une centaine de lettres signées de l'Empereur, de l'Impératrice, des ministres du Second Empire, de M. de Metternich, du prince Napoléon, du général Fleury, etc., concernant les divers événements mondains et politiques du règne de Napoléon III.

J'ai publié des notes provenant de la succession d'hommes d'Etat ayant occupé, sous l'Empire, de hautes fonctions politiques, ou appartenant à d'anciens familiers de la cour.

Je possède, actuellement, un volumineux dossier renfermant des papiers signés de toutes les personnalités en vue aux Tuileries.

Mme Carette, que je n'ai jamais nommée et qui m'attaque bien mal à propos — je lui répondrai mieux, d'ailleurs, dans la préface d'un prochain livre — et vous, Monsieur, mettrez-vous en doute l'authenticité de ces notes et de ces documents ?

Si non, tout est bien.

Si oui, je n'ai qu'une réponse à vous faire : je les tiens à votre disposition absolue, au cas où il vous agréerait de les venir contrôler chez moi.

Mme Carette voit les choses du passé au travers de son rôle très restreint de lectrice de l'Impératrice, et vous, Monsieur, trop peut-être au travers de vos anciennes sympathies.

Etant indépendant, je me sers, avec impartialité, des documents qui me sont fournis et s'il y a, dans cette question, quelque équivoque, quelque tromperie intéressée — ce sont mes pages envenimées qui s'adressent ici à Mme Carette — cette tromperie, cette équivoque, ne sont pas de mon côté.

Veuillez recevoir, Monsieur, l'assurance de mes sentiments distingués.

 

Contre mon attente, M. de Cassagnac n'accueillit point ma rectification. Je me décidai, alors, à la lui envoyer par ministère d'huissier.

Furieux d'être obligé, sous peine d'une amende de cinquante à cinq cents francs, de publier mon démenti, M. de Cassagnac prit sa plume des grands jours et me dédia l'un de ses articles les plus grossiers, les plus épileptiques.

A titre de curiosité et pour bien prouver à M. de Cassagnac que ses outrages, que son vocabulaire d'antichambre me touchent peu, je donne ici cet article intitulé : Aux Tuileries.

Nos lecteurs n'ont certainement pas oublié une lettre que m'adressait tout dernièrement Mme Carette, ancienne lectrice de l'impératrice Eugénie et qui protestait avec une légitime indignation contre une publication faite par le Figaro et signée de M. Pierre de Lano.

Dans cette lettre se trouvait le passage suivant, qu'il est utile de rapporter :

Quelques pages envenimées ne sauraient porter atteinte à la dignité des femmes qui formaient l'intimité de la cour et dont la plupart portaient les noms les plus honorés, les plus glorieux de la France moderne.

L'alinéa que nous venons de citer, visait certains chapitres des prétendus souvenirs de M. Pierre de Lano sur le Second Empire et dans lesquels étaient racontées des choses aussi nauséabondes que mensongères.

Ainsi, il y était dit que les dames d'honneur de l'Impératrice jouaient à saute-mouton, avec la désinvolture que comporte cet exercice, et à la main-chaude, avec les libertés plus ou moins graveleuses dont ce jeu peut donner l'occasion entre hommes et femmes.

En un mot, l'entourage de l'Impératrice était représenté comme une collection de véritables cocottes et de femmes de vie moins que douteuse.

Mme Carette, qui avait occupé, aux Tuileries, une situation de confiance et qui n'a été, de toutes les femmes de la cour, ni la moins belle, ni la moins respectée, a trouvé odieuse cette façon d'écrire l'histoire.

Elle l'a dit.

L'Autorité a publié sa lettre et l'a nettement approuvée.

Or, voici que M. de Lano, mécontent d'avoir été si vertement relevé, nous écrit et nous demande la publication de sa lettre.

Tout d'abord, nous n'avions pas voulu la publier, estimant que cela est roide de la part de ce monsieur, de s'élever contre les dénégations indignées que provoque sa publication et alors que tous ceux qui ont fréquenté la cour des Tuileries auraient le droit de le cribler de démentis dans le journal où il écoule sa triste marchandise.

Mais M. de Lano insiste et m'envoie un huissier.

C'est trop fort.

Car je ne lui reconnais aucun droit légal ou autre, pour me forcer à publier sa lettre.

Néanmoins, je consens à la publier.

Mais M. de Lano n'y perdra rien et j'en profiterai pour lui dire tout ce que je pense du métier qu'il fait.

M. de Lano est un inconscient.

Il a dû rencontrer quelque part une vieille femme, qu'on nomme tout bas, et qui s'est servi de lui pour écouler de vieilles petites rancunes et un tas de potins rances et gâtés comme elle.

Et bien sérieusement, il s'imagine faire de l'histoire.

Inutile de dire, n'est-ce pas, que M. de Lano n'a rien vu des Tuileries, ni de près ni de loin.

Et c'est à des gens comme Mme Carette et moi, qu'il a l'outrecuidante prétention d'apprendre ce qui se passait aux Tuileries !

C'est à nous qu'il oppose des rectifications !

Si M. de Lano manque absolument de talent, il ne manque pas d'aplomb.

Ses chroniques sont un tissu d'erreurs et de faussetés, dont il n'est pas coupable, mais dont il est responsable.

Déjà l'impératrice Eugénie, dont il a eu l'étrange prétention de publier une biographie, le lui a fait dire, avec la haute autorité qui lui appartient.

Mme Carette le lui a répété.

Morny en a fait autant.

Et moi je contresigne ce que l'Impératrice, Mme Carette et Morny ont déjà déclaré.

Les chroniques de M. de Lano sur le Second Empire, constituent une publication indigeste, malsaine et d'une inexactitude révoltante.

C'est au-dessous du dernier almanach qui se respecte.

Le lecteur qui achètera ce livre pour savoir ce qui se passait aux Tuileries, sera indignement volé.

Et il ne me plaît pas que, plus tard, on vienne fouiller là dedans, pour y trouver de prétendus documents historiques.

J'ignore si c'est cette appréciation sévère, que M. de Lano a cherchée en m'envoyant un huissier, mais en tous cas, il l'aura trouvée.

Et j'ajouterai que je ne suis pas fâché qu'il m'en ait imprudemment et maladroitement donné l'occasion.

Mais je n'aurais pas accompli tout ce que je dois, si je ne flétrissais, avec la dernière énergie, cette manie qui devient une tradition au Figaro, de rechercher les publications scandaleuses et honteuses.

Il faut être bien à court d'intérêt pour faire appel à des Mermeix et à des Lano, pour montrer les faux dessous du Boulangisme ou de l'Empire, et publier des mémoires où l'ignorance la plus crasse le dispute au manque absolu de sens moral.

Le Figaro, qui a tant chanté le général Boulanger aux heures passagères de son triomphe, commettait une mauvaise action lorsqu'il publiait, plus tard, les infâmes coulisses du Boulangisme.

Et il ne se conduit pas plus proprement lorsqu'il supporte qu'on bave, chez lui, sur les nobles femmes, compagnes de l'impératrice Eugénie.

Car le Figaro sait fort bien que ce qu'il publie là est faux, archifaux. Il était renseigné exactement sur ce qui se passait aux Tuileries, lui, qui flagornait jadis l'Empereur et l'Impératrice et qui, pour ses reportages de courtisan, recevait un porte-crayon d'or du Prince Impérial, dans la personne de son reporter d'alors.

Qu'on attaque et qu'on juge aussi sévèrement qu'on voudra la politique du Second Empire, on le peut librement.

Mais qu'un journal qui se dit conservateur prête ses colonnes pour des outrages aux femmes de la cour, cela n'est ni tolérable, ni supportable.

Voilà pourquoi je ne le tolère pas et ne le supporte pas.

PAUL DE CASSAGNAC.

 

Avant de dire à M. Paul de Cassagnac ce que je pense de lui, il me semble utile de relever divers points de son article.

Tout d'abord, M. de Cassagnac ment, et ment effrontément, pour cacher à ses lecteurs la honteuse nécessité dans laquelle je l'ai placé, en le forçant à publier ma lettre, M. de Cassagnac ment, dis-je, en affirmant qu'il ne me reconnaît aucun droit légal ou autre, pour l'obliger à insérer ma lettre et en ajoutant qu'il consent à la publier.

M. de Cassagnac a publié ma lettre parce qu'il n'a pu se dérober à cette insertion, parce qu'il n'ignorait pas que la loi, à défaut de son consentement, eût mis à ma disposition son journal au cas d'un refus, parce qu'il n'ignorait pas davantage qu'une amende le guettait, qu'il eût été obligé, consentant ou non, cette fois encore, de verser entre les mains du fisc, parce qu'enfin, indirectement, j'avais fait savoir à l'Autorité — et cela se répétait dans les bureaux de ce journal — que si, dans les délais légaux, ma lettre n'avait point paru, une assignation en police correctionnelle allait suivre ma première sommation.

M. de Cassagnac est un singulier moraliste. Il me reproche de calomnier et d'insulter les femmes du Second Empire et lui-même, dans un paragraphe de son article, s'en prend, en termes outrageants, à je ne sais quelle femme, dont il oublie, dans son besoin de grossièretés, et le sexe et la qualité. Mais n'est-il point entendu que M. de Cassagnac est au-dessus des lois, comme au-dessus de toute honnêteté, de toute élémentaire politesse ?

M. de Cassagnac qui a la science infuse, nie mon talent — ce qui est son droit, cette fois — mais il ment derechef en disant que l'impératrice Eugénie, au sujet de mon premier livre qui n'est point une biographie comme, dans son ignorance de ce livre même, il le prétend, m'a fait dire son mécontentement.

Je n'ai, en vérité, jamais reçu de communication de l'impératrice Eugénie et les seules protestations qui m'aient été remises, à propos de mes œuvres sur le Second Empire, proviennent d'amis maladroits, dont la tenue et le style de cabaret ne sauraient être revendiqués ni approuvés par l'ex-souveraine.

Pour répondre à M. de Cassagnac, librement et sans réserve, il faudrait employer son langage de portefaix. Je ne puis me résoudre à utiliser cet argot et c'est pourquoi je ne relève, de son article, que quelques passages.

M. de Cassagnac, sachant très bien encore qu'il est de mauvaise foi, établit un parallèle entre ma situation d'écrivain contant l'histoire anecdotique du Second Empire et celle de M. Mermeix publiant les Coulisses du Boulangisme.

Sans examiner le cas de M. Mermeix, sans chercher à savoir, ici, s'il a commis une mauvaise action en révélant aux lecteurs les secrets d'un parti, d'un homme qu'il avait servis, je répondrai à M. de Cassagnac qu'il n'est point heureux dans ses rapprochements.

Quelle comparaison, en effet, est-il possible d'établir entre M. Mermeix et moi ? Ai-je servi l'Empire ? Ai-je jamais reçu un centime du gouvernement impérial ? Ai-je jamais partagé le pain et le sel avec les hôtes des Tuileries ? Dois-je, pour quelque raison que ce soit, de la reconnaissance à l'Empereur, à l'Impératrice, à quelqu'un de leurs familiers ?

M. de Cassagnac qui ne pourrait, avec une telle aisance, affirmer son indépendance, sait fort bien que j'étais un enfant sous le Second Empire et que n'ayant, en aucun temps, eu recours aux faveurs impériales ou simplement bonapartistes, après même la chute de la Dynastie, je demeure libre dans mes convictions, comme dans la direction à donner à ma vie publique, à mes opinions.

Il sait très bien que ces opinions, que cette direction, que ces convictions ne relèvent que de moi-même, ne regardent personne, et lui, moins que tout autre.

Mais c'est ainsi, et avec d'aussi pitoyables et indélicats arguments, qu'il combat ses adversaires.

Enfin, M. de Cassagnac termine son article par ces mots épiques :

Je ne tolérerai pas la publication de M. Pierre de Lano et ne la supporterai pas.

 

C'est là une des fanfaronnades ordinaires à cet homme.

Je voudrais bien savoir, en effet, comment M. de Cassagnac s'y prendra pour m'empêcher d'écrire sur le Second Empire. Je voudrais bien savoir par quels moyens M. de Cassagnac m'imposera silence. Il se croit, en certaines heures, encore aux temps où les siens n'avaient qu'une parole à prononcer, qu'un geste à faire, pour que l'orateur, pour que l'écrivain fussent bâillonnés. Ces temps sont finis et la meilleure réponse que je puisse opposer aux ridicules menaces de ce capitaine Fracasse qui ne fracasse personne, c'est la mise en vente de ce livre, c'est la publication prochaine de cet autre volume, l'Empereur, qui succédera rapidement à ces pages.

L'attitude terrible, mais qui n'est, au fond, que bouffonne, de M. de Cassagnac, donne trop souvent le change à la foule. On se plaît à répéter que cet homme est un épouvantail, qu'il fait peur aux gens, et on menace de son nom les personnes point sages, ainsi qu'on fait entrevoir à l'enfant capricieux quine veut point aller se coucher, le nez crochu de M. Croquemitaine.

Il est, cependant, des hommes qui n'ont point l'effroi de M. de Cassagnac. Je suis de ceux-là, et je viens, surabondamment, de le démontrer.

J'ai dit que j'offrirai à M. de Cassagnac toute l'expression de la pensée qu'il fait naître en moi. Je réclame, ici, son attention.

Je connais beaucoup M. de Cassagnac, non seulement dans sa vie publique, mais encore dans son existence privée que je n'ai pas le droit, je le déclare, de livrer au lecteur. Il y a quelques années, je le rencontrais, fréquemment, dans un salon voisin de la Madeleine, dans ce même salon où je me trouvais en présence de M. Guyon, directeur de la Patrie, et ce seul détail lui prouvera que j'ai été à même d'être bien renseigné sur son compte.

Je ne saurais dire la répulsion que cet homme m'a toujours inspirée. Dès que je l'eus observé, cette répulsion se changea en mépris et en une sorte de dédaigneuse pitié.

La vie misérable qui est la sienne n'exclut pas, en effet, ce dernier sentiment.

Ecrivain, c'est le plus vulgaire des pamphlétaires ; il n'a ni l'esprit de Rochefort, ni l'amertume hautaine de Vallès, ni la fougue chevaleresque de Lissagaray. Il est grossier, brutal, ordurier ; il a un répertoire de mots sales qu'il emploie, qu'il manie, comme un joueur remue les pions d'un damier ; il est incapable de soutenir une discussion sérieuse, n'ayant, à l'appui de son étroite pensée, nul argument, nul sens, nulle raison. Il injurie et quand il a injurié — ainsi qu'une terreur de barrière — il se croise les bras, exhibe ses biceps, et semble dire à son adversaire : — Viens-y ! — Il fait de la littérature de carrefour. C'est un camelot qui a de l'orthographe.

Homme politique, c'est — pour me servir de la pittoresque expression d'Alphonse Daudet — un raté. Qu'on le sorte de son journal, qu'on le jette en dehors de la clôture au travers de laquelle il aboie aux passants, il ne restera plus rien de lui.

A la Chambre, dans les couloirs de laquelle il passe avec un mauvais regard — le regard de l'esclave affranchi — il n'a aucune influence, aucune notoriété. On s'amusait de lui, au temps où la République, mal affermie et gouvernée par des hommes qui la combattaient, tolérait ses incartades, ses démonstrations bruyantes et ses outrages. On ne l'écoute plus aujourd’hui. Il a compris son discrédit, et il se tait.

Sans convictions, sans sincérité, ne croyant ni à l'Empereur, ni au Roi, ni au Pape, n'ayant que le souci de la vente de son journal, il est, en outre, maladroit dans son rôle de député, maladroit ainsi qu'un sanglier qu'on placerait au milieu d'un cercle de coquilles d'œufs ; c'est, aussi, un jettatore et il suffit qu'il entre dans un débat, pour ramener à son parti, à ceux qu'il tente de défendre, toute l'antipathie du Parlement.

C'est un phraseur, un bellâtre de tribune, rien de plus, c'est Tours de la Fable dont le pavé est sans cesse à craindre.

L'Empire n'eût su que faire de lui ; il l'eût, sans doute, laissé à sa chaire de langue grasse et l'avenir ne lui réserve nulle situation politique. Il n'a aucune des qualités nécessaires à l'homme d'Etat.

J'ai rappelé, ailleurs, le mot du prince Napoléon sur son compte : — C'est un bon zouave pontifical. — Ce n'est qu'un bon zouave pontifical, en effet, et encore il ne faudrait pas que, dans ce rôle, il trouvât, devant lui, au moment de l'action, une cave Baratin, comme à Sedan, pour s'y cacher.

Ses métamorphoses politiques sont fort curieuses. D'abord bonapartiste, puis impérialiste — il y a une nuance — puis flairant l'air, et pistant sur l'orléanisme, il a, je le répète, servi tous les partis conservateurs et les a, tour à tour, trahis. Et cela, dans une belle inconscience — dans l'inconscience du mercenaire — injuriant, louangeant, au gré des événements, au gré surtout du tirage de son journal.

Cette gloire suprême de la France — parmi tant d'autres — Victor Hugo — n'a point même trouvé grâce devant lui. Il l'a éclaboussée de son venin.

Faux ami, il n'hésite pas, lorsqu'il veut se débarrasser d'un témoin gênant de ses actes, à le calomnier, à le diffamer.

M. Robert Mitchell fut sa victime, naguère, et M. Edmond Poirier qu'il attaquait indignement, le traduisit en police correctionnelle et le fit condamner.

On le voit, lorsque M. de Cassagnac le prend de trop haut avec des écrivains indépendants, il manque son but.

Il n'est que peu responsable, d'ailleurs, moralement, de ses inconséquences. Il va où le pousse le vent — le bon vent des abonnements à l'Autorité — et il faut le plaindre plutôt que le blâmer.

M. de Cassagnac aime à faire montre de sentiments chevaleresques envers les femmes. Or, je tiens en réserve une anecdote qui édifiera le public sur la valeur de ces sentiments.

C'est par cette historiette que je terminerai ce portrait.

Une après-midi, comme j'étais en visite, dans le salon que j'ai déjà indiqué, j'y rencontrai Mlle  B... de la Comédie-Française, puis quelques minutes après mon entrée, M. de Cassagnac fut annoncé.

Il s'assit et la conversation étant générale, on ne s'inquiétait guère de lui.

Soudain, sa voix, cependant, se fit entendre et s'adressant à Mlle B... qui semblait occupée à rendre sage un gentil gamin qui la nommait maman, il lui dit, sur ce ton traînard, empâté et faubourien qui lui est propre :

— Tiens, vous vous faites donc appeler maman par votre mioche ?

Et après une pause, avec un accent méchant :

— Pourquoi pas ma tante ?

Le silence était complet dans le salon lorsque ces mots furent prononcés et ceux qui les entendirent — on était une quinzaine de visiteurs — furent indignés, ressentirent quelque gêne, et Mlle B... se prit à rougir, tandis que ses yeux se mouillaient de larmes.

L'injure était gratuite, infâme, et la frappait brutalement.

Pourtant, elle se remit promptement et fut spirituelle et charmante en sa réponse :

— Monsieur, déclara-t-elle, je ne suis point une hypocrite et je me fais appeler maman par mon fils, parce que je suis très heureuse et très fière d'être mère.

M. de Cassagnac eut un ah ! banal, comme le hoquet d'une bête qui a trop bu, trop mangé, et ce fut tout.

L'anecdote, évidemment, n'est point révélatrice d'un crime, mais elle aide à voir clair sous le masque de gentilhomme que porte — en ville — M. de Cassagnac et qui, parfois, comme en l'heure que je viens de rappeler, mal attaché, laisse deviner le visage de celui qui s'en affuble.

M. de Cassagnac est un marchand d'oripeaux qui utilise, pour son compte, les défroques de son décrochez-moi ça.

Il me demandait, dans son article, si sa réponse me satisfaisait. Lui adresser la même question serait puéril ; je pense qu'il ne sera pas mécontent de la mienne.

 

Quant à Mme Carette, je comprends peu qu'elle m'ait attaqué, car, dans le joli arrangement auquel elle se livre sur l'histoire des Tuileries, elle sait mieux que personne que je dis la vérité.

Mais je conçois parfaitement que Mme Carette soit tenue à une extrême bienveillance vis-à-vis des anciens hôtes des Tuileries. S'étant trouvée jadis, après la guerre, dans une situation difficile et ayant éprouvé la générosité de l'Impératrice qui, pour elle, voulut bien se montrer bonne, elle n'a plus sa liberté de parole et elle doit reconnaître les bienfaits qu'elle a reçus par une indulgence perpétuelle.

Je lui demanderai, cependant, si elle m'attaque encore, de ne point mettre dans nos débats une préoccupation commerciale qui me chagrine.

Lorsque je publiai la Cour de Napoléon III, Mme Carette ou ses amis firent faire l'annonce suivante, en effet, dans les journaux, annonce qui se fût aisément passée de mon nom et qui eût gagné à ne point être présentée dans la forme qui fut la sienne :

Au moment où le Figaro publie les polissonneries d'un sieur de Lano qui pourraient être intitulées les Mémoires d'une portière, on ne saurait trop recommander la lecture des Souvenirs intimes des Tuileries, de Mme Carette.

J'excuse la réclame, mais non l'insulte, et lorsque cette insulte s'appuie sur le nom d'une femme honorable, elle est doublement regrettable.

 

Ce chapitre s'achève.

En le terminant, je prie, une fois encore, les lecteurs d'en excuser le ton amer, dont je suis peu coutumier. Mais, je le répète, ils comprendront qu'ayant été attaqué avec une excessive violence, j'aie tenu à répondre aux outrages, à me défendre.

J'eusse volontiers, d'ailleurs, dédaigné ces outrages et je ne serais point revenu sur les incidents qui les ont provoqués, si ma personne seule avait été, ici, en cause. Mais au-dessus de moi il y avait un droit, le droit de l'historien, à sauvegarder, à protéger, à affirmer, et je n'ai pas cru possible de me dérober au devoir qui s'imposait à moi.

C'est qu'en vérité, si j'avais montré, je ne dirai pas quelque timidité, mais quelque indifférence devant les menaces qui ont tenté d'arrêter ma plume, les adversaires de la liberté de la Presse se fussent enorgueillis de mon silence comme d'une victoire, et j'eusse laissé se créer, là, un précédent dont d'autres que moi eussent pu être victimes.

Je pense donc avoir démontré la sincérité de mon œuvre, la mauvaise foi de mes adversaires ; je pense avoir posé avec énergie, devant les revenants des coups d'État, le droit qu'a chaque écrivain de parler du Second Empire en l'appréciant comme il lui plaît, de parler de la cour des Tuileries, des hommes et des femmes qui la composèrent, avec toute indépendance.

Pour n'avoir point été un acteur dans les plaisirs de cette cour, mes renseignements n'en sont pas moins sûrs, basés sur des documents irréfutables. Je regrette qu'ils ne m'aient point permis d'être plus souvent indulgent.

Je ne puis demander à mes contemporains, aux survivants, surtout, nombreux encore, de la cour impériale, le calme nécessaire pour juger mon œuvre.

Le temps peut-être la consacrera.

Je suis le joueur de flûte solitaire, qui, sur les ruines d'une époque de folie, parmi les ombres d'une nécropole, fait entendre, tranquille et triste, le murmure doux et moqueur de sa pensée, faite de philosophique résignation, de patriotique espérance, de rêve, de pitié.