ESSAI SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

 

CHUTE DE LA ROYAUTÉ.

 

 

La courte apparition de l’Assemblée législative sur la scène révolutionnaire offre peu d’intérêt au point de vue des idées. Elle agit plus qu’elle ne parle. Elle n’est pas un sénat, elle est une armée, et chacun de ses actes est un combat. Ministre de colère et de vengeance, on voit qu’elle a hâte d'accomplir la tache qui lui a été confiée ; elle y travaille avec une singulière sûreté de main et de coup d’œil, et aussitôt son œuvre faite, elle se retire et disparait. Les hésitations qu’elle paraît éprouver un instant ne viennent ni d’un remords ni d’un doute, car elle ne connut pas ces sentiments, ils ne portent que sur le choix des moyens. Quant au but elle ne le perd jamais de vue, et ce but c’est le renversement de la royauté. Tel est son mandat ; de là son attitude impatiente et résolue. On s’est obstiné à chercher la cause des premières luttes entre les deux pouvoirs dans les vices de la Constitution ; ils n’en ont pas même été l’occasion. La Constitution n’a fait que servir de champ de bataille. Interrogez, dans les nombreuses confidences qu’ils nous ont laissées et, ce qui est encore plus concluant, dans plusieurs de leurs discours publics où le même aveu leur est spontanément échappé, tous ces hommes si ardents et si jeunes auxquels la France venait de confier sa cause, tous vous répondront qu’ils arrivaient en soldats plutôt qu’en législateurs, et en juges plutôt qu’en politiques. Le roi n’eût pu conserver son trône qu’en ne faisant qu’un avec la nation ; il venait de rendre cette bonne harmonie à jamais impossible. Il avait été destitué le jour même de son départ pour Varennes. La confiance une fois morte, il n’est pas au pouvoir d’une vaine formule de la faire renaître. Sa parole n’était plus qu’un mot. Malheur à ceux qui se parjurent dans un siècle qui croit aux serments ! Cette solennelle trahison donnait d’avance un démenti à ses protestations les plus sincères, et la défiance ne pouvait plus s'arrêter désormais que devant sa chute ou son abdication.

Au reste, si l’on ne peut se défendre d’un profond sentiment de pitié en présence de la fatalité vraiment tragique de cette situation, qui ne laissait aucun recours même au repentir, on arrive bien vite à y voir le plus juste des châtiments lorsqu’on s’assure par l’examen des faits combien cet homme sans force et sans vertu prit à tâche d’en justifier la rigueur par l’odieux de ses fautes. Son honnêteté tant vantée y est elle-même compromise, et ce n’est qu’en accusant son intelligence qu’on peut amnistier son cœur. Il semble s’être étudié à donner raison aux soupçons terribles qui pesaient sur lui. A cet égard, la lumière que le temps a répandue sur les événements ne permet plus d’équivoques ni de jérémiades. Si le jugement qui l’a condamné à mort, aux yeux de l’Europe stupéfaite, a été rendu par des ennemis plutôt que par des juges, et, comme tel, a été cassé par la postérité, celui qui le condamnera à la honte devant l’histoire peut être motivé sur ses propres dépositions et sur celles de ses amis.

Bertrand de Molleville, le ministre de la marine, a pris soin de nous donner avec les plus amples détails, dans ses mémoires, le plan de conduite à la fois simple et perfide que Louis XVI s’était proposé de suivre : en quoi une seule chose peut étonner l’historien, c’est qu’il ait cru nécessaire de le révéler, car il avait été dévoilé, et d’une façon qui ne laisse rien à désirer, non-seulement par tous les actes du pouvoir exécutif, mais par tous les discours des orateurs de la Législative. Ce plan, qui ne demandait pas de grands frais d’invention et qui était d’une exécution facile, n’était autre chose qu’une inertie systématique déguisée sous les dehors d’un respect profond pour la légalité et les formes constitutionnelles. Aux agitations qui bouleversaient le royaume, aux complots des partis vaincus, aux excès d’une populace en délire, aux trames dont les manifestations prématurées éclataient de toutes parts, on opposerait une inaction perpétuelle qui laisserait l’incendie se propager et prendre des proportions telles que les, plus ardents en seraient épouvantés ; puis on rejetterait tout le mal sur la Constitution qui avait refusé au roi le pouvoir de faire respecter son autorité. Et toutes les fois que l’Assemblée abandonnée à elle-même s’armerait du glaive de la loi pour en frapper ses ennemis, on lui opposerait le veto royal et le principe de la séparation des pouvoirs. On tuerait ainsi la Constitution au moyen de la Constitution elle-même. On arrêterait la Révolution par son propre épuisement en donnant un libre essor à sa force d’expansion. Ce calcul était juste et l’explosion prévue arriva ; seulement elle eut pour premier résultat un effet que ses auteurs n’avaient pas pressenti, celui de lancer le trône en mille éclats à tous les points de l’horizon.

Toute cette tactique machiavélique et criminelle fut aussitôt pénétrée, percée à jour, dénoncée dans les journaux, dans les clubs, à la tribune nationale. Peut-être même fut-elle soupçonnée avant d’avoir été réellement conçue, tant elle était vraisemblable et conforme à cette logique qui mène les partis. L’Assemblée avait lancé contre les émigrés rassemblés en armes sur les frontières, et contre les prêtres factieux qui soulevaient les départements et fomentaient les premiers troubles de la Vendée, deux décrets dont le premier était juste quoique rigoureux, et dont le second était plus urgent encore, mais avait le tort de substituer aux mesures répressives, seules avouables par un pays libre, des dispositions préventives et un système de présomptions qui n’ont jamais le droit de tenir lieu de preuves. Le roi leur opposa son refus de sanction, qui fut considéré universellement comme la première application de la politique d’expectative que la cour était censée avoir inaugurée. C’est, en effet, l’époque où elle l’adopta. A chaque émeute, à chaque catastrophe, dont les courriers apportaient la nouvelle, les ministres, violemment interpellés, répondaient invariablement, ou que les moyens de répression leur faisaient défaut, ou qu’une telle initiative n’était pas dans leurs attributions. Et lorsqu’il se rencontra au ministère un homme de bonne volonté, qui vit les dangers de cette conduite et essaya d’y remédier en remplissant loyalement les devoirs de sa place, on l’enchaîna si bien que ses efforts furent tout à fait paralysés, et que le jour où il s’en plaignit, on le remercia. Le témoignage du duc de Narbonne, le dernier conseiller sincère et éclairé que le roi ait eu, est d’autant plus accablant qu’il part d’un cœur ami et qu’il ne fut pas destiné à la publicité. Il est consigné dans un mémoire adressé à Louis XVI peu de jours avant son renvoi du ministère, c’est dire qu’il est motivé non sur des souvenirs, mais sur des observations actuelles, écrites sous la dictée des faits et étudiées de fort près :

« On pourrait croire, disait le duc, que le roi ne redoute pas assez les suites de l’entière désorganisation qui nous menace lorsque, soit par sa conduite privée, soit par la nonchalance et la nullité des actions du gouvernement, il donne un si sensible appui aux deux factions destructives qui ont spéculé sur l’excès de nos maux, car de tous les moyens de détruire un empire, il n’en est pas de plus infaillible que l’inaction du gouvernement. Le corps politique expire si cet organe nécessaire vient à s’arrêter... Il est donc clair que si le roi avait aussi quelques espérances sur l’excès de la dissolution de l’État, une conduite inactive, expectante et stationnaire, aidée de tous les efforts des factions aristocratique et républicaine, serait un moyen trop assuré d’y parvenir. »

Le pouvoir exécutif était donc en déshérence. A tous les griefs qui armaient l’Assemblée contre le trône, venait se joindre une nécessité immédiate et pressante de remplir en personne ces fonctions, pour ainsi dire, vacantes. Chaque jour de retard était une menace et apportait un désastre. Néanmoins, pour ôter tout prétexte et toute excuse à ses ennemis, elle voulut avertir avant de frapper. Elle le fit, non-seulement par les sommations réitérées de ses plus éminents orateurs, qui ne laissaient jamais passer huit jours sans dénoncer la conduite du pouvoir exécutif, par Isnard, par Guadet, par Cambon, par Condorcet, par Brissot et par Vergniaud surtout, dont le magnifique discours, où il évoquait contre l’inertie ministérielle les fantômes accusateurs des victimes de la Glacière d’Avignon, est resté dans toutes les mémoires, mais par des adresses d’une franchise encore pleine de ménagements, où elle laissait voir toutefois, sous la modération du langage, une indomptable volonté. Le roi répondait par des assurances pleines de belles promesses et ne changeait rien à sa façon d’agir.

Bien qu’on ait peine à concevoir qu’il ait cru devoir persister dans ce fatal système, en présence des avertissements effrayants qu’il recevait tous les jours, on est forcé de se rendre à l’évidence des faits qui attestent qu’il n’en tint aucun compte. Bientôt il ne se contenta plus de ce rôle d’abstention préméditée, qui de chaque heure de son existence faisait un crime, il revint à ses anciens projets et remit en œuvre toutes les ressources de la conspiration active.

Pour compenser le fâcheux effet de son refus de sanctionner les décrets de l’Assemblée, il avait fait aux vœux de l’opinion publique cette concession d’adresser aux émigrés des exhortations à la paix et à la résignation. Sous l’empire de la même pensée, c 0 il écrivit publiquement au duc d’Artois et au comte de Provence, ses frères, et flétrit leur conduite en termes sévères. Le public ne vit dans cette double démarche que le plus grossier des artifices. Les panégyristes sensibles et larmoyeurs de Louis XVI n’ont pas manqué de faire ressortir ce qu’une telle défiance avait de cruel et d’offensant. Mais que n’ont-ils ajouté que, dans le même temps, ce meilleur des rois équipait et soldait, aux frais de la liste civile, l’avant- garde des émigrés, composée presque entièrement de ses anciens gardes du corps, et que l’état de ces dépenses existe encore ; qu’à la même époque il entretenait avec ses frères une correspondance secrète où il rétractait de point en point pour les cours étrangères les lettres ostensibles qu’il leur avait écrites dans le but d’endormir ses ennemis, et se déclarait à jamais solidaire avec eux ; qu’il soudoyait à Paris une nuée de petits écrits et de journaux contre-révolutionnaires expressément destinés à décrier la Constitution et l’Assemblée ; qu’il encourageait sous-main les révoltes des prêtres insermentés ; qu'enfin, il reconstituait clandestinement sa garde en l’augmentant de quatre mille hommes de plus que les décrets ne le lui permettaient, et en la composant d’hommes bien connus par leur haine pour le nouveau régime. Que devient la vérité avec de pareilles réticences ?

Compromis sans retour aux yeux du peuple, les Constitutionnels n’avaient pas même les bénéfices de leur impopularité, puisqu’ils n’en étaient pas mieux vus par la cour qui haïssait en eux les premiers auteurs de ses humiliations. En vain ils se serraient autour de ce trône jadis ébranlé par eux comme pour lui faire un rempart de leurs corps, et expier ainsi leurs premiers exploits ; elle ne se servait de leur dévouement que pour achever de les perdre. En toute occasion elle favorisait secrètement leurs ennemis, sans se douter qu’elle sacrifiait en eux ses derniers défenseurs. C'est ainsi que, lorsqu’il fallut remplacer Bailly comme maire de Paris, elle fit échouer la candidature de Lafayette et prévaloir celle de Pétion. Ils perdaient un à un tous les postes importants delà magistrature populaire, aujourd’hui l’hôtel de ville, demain la garde nationale. Dépossédés de toute influence sérieuse sur l’Assemblée législative élue contre eux et jalouse de leur gloire, privés de toute action directe et personnelle sur le gouvernement par le désintéressement si impolitique de la Constituante, en butte aux calomnies des clubs et de la presse, conciliateurs impuissants entre des partis implacables : aigris, découragés, vaincus, ils s’agitaient vainement dans le club des Feuillants, leur dernier refuge. Il devenait de plus en plus évident qu’on passerait, sans coup férir, sur cette ombre pour aller jusqu’à la royauté. Mais on n’en eut pas besoin. Ce parti tomba de lui-même en dissolution au milieu du vide qui s’était fait autour de lui. Le plus grand nombre céda à sa mauvaise fortune après la retraite de Narbonne : le reste fut recueilli par les deux camps qui se disputaient l’empire. Les uns, las de servir malgré lui un roi qui les trahissait, se rallièrent franchement à l’opinion républicaine ; les autres, emportés par un ressentiment aveugle, se donnèrent sans réserve à la Cour et firent cause commune avec elle. Barnave, qu’un charme invincible enchaînait auprès de la reine depuis le voyage de Varennes, avait renoncé, lorsque le 10 août survint, à lui donner des conseils qui n’étaient jamais suivis. Quant à Lafayette, qui montra le plus d’illusion dans cette circonstance et qui se crut tenu d’agir en gentilhomme plutôt qu’en politique, il put juger de la reconnaissance de ceux auxquels il se sacrifiait, lors- que, accouru de la frontière à Paris pour faire son coup d’État contre l’Assemblée, il vit, pour la première fois, la garde nationale manquer à son appel. Qui fit avorter cette chevaleresque entreprise, ce rendez-vous si décisif ? le parti populaire ? Non, ce fut la Cour.

Le milieu étant ainsi dévoré par les extrêmes, et emportant dans sa ruine la frêle barrière qui les contenait, la situation devint plus nette et le dénouement plus prochain. En instituant sa commission des douze, l’Assemblée s’était saisie de l’autorité nécessaire pour suppléer à l’inaction du pouvoir exécutif et sauver le peuple de ses propres excès. Mais en le modérant d’une main, de l’autre elle le tenait en éveil et lui désignait l’ennemi commun, car elle se souvenait que toute sa force était en lui. Elle l’armait, activait la fabrication des piques, afin de paralyser les mécontents de la garde nationale. Elle lui faisait espérer l’abrogation des lois électorales qui lui étaient odieuses. Bientôt, son audace croissant avec l’insolence de ses ennemis, elle contraignit le roi de déclarer la guerre aux souverains complices de l’émigration, pour le mettre enfin en demeure de se prononcer ouvertement ; ce qu’il fit avec joie, comptant bien l’écraser plus tard avec son armée victorieuse s’il triomphait, avec les armées étrangères s’il était battu, la chose devant être réglée d’avance selon le parti qui paraîtrait le plus avantageux. Mais, pénétrant sans peine cet espoir coupable et profitant du prétexte que lui offrait le renvoi de Narbonne, le seul ministre qui eût ses sympathies, elle lança un décret d’accusation contre ses collègues et, par-là, s’empara du ministère.

Les ministres qu’elle imposa au roi appartenaient à un groupe d’orateurs et de publicistes qu’on commençait à désigner du nom de Girondins, à cause des soldats éminents que lui avait fournis la députation de la Gironde. Ils s’étaient signalés dans la presse et à la tribune par d'éclatants succès, par une éloquence brillante et passionnée, par un courage digne des temps antiques, par des idées jusque-là un peu indécises et aventureuses, mais qui se précisaient de plus en plus au choc des opinions. La guerre était leur ouvrage, et elle les portait naturellement au ministère.

Dans les longs débats auxquels cette résolution donna lieu aux Jacobins et à l’Assemblée, ils avaient provoqué, par leur ardeur à la soutenir, la scission qui devait tôt ou tard se révéler au sein du parti démocratique, parce qu’elle tenait à des causes plus profondes. Moins généreux, moins hardis, moins confiants dans le génie de la Révolution, Robespierre, Billaud-Varenne, et à leur suite une très nombreuse fraction des sociétés jacobines, n’y virent qu’un piège, une entreprise périlleuse qui ne pouvait tourner qu’au triomphe de ses ennemis. Danton s’essayait dès lors à son rôle de conciliateur : il plaida le pour et le contre. Robespierre produisit beaucoup d’effet en insistant sur les dangers de l’ambition des généraux et en évoquant le souvenir de César, lieu commun oratoire qu’on a rappelé depuis comme une prédiction, et qui ne mérite d’être signalé qu’en raison de sa singularité dans une telle bouche. Ce ne sont point les guerres étrangères qui font les Césars, ce sont les guerres intestines, ce sont surtout ces doctrines de la démocratie absolue dont Robespierre a été l’apôtre, et qui n’ont pas une seule fois paru dans le monde sans amener le règne de la force. Elles ont fait César, Cromwell et Bonaparte.

La guerre, conduite par des généraux dévoués au parti constitutionnel et hostiles au plan de Dumouriez, s’ouvrit par des désastres qui portèrent au comble l’irritation et la défiance. Il n’y avait de leur part qu'irrésolution, inexpérience et mollesse ; on crut à la trahison. Si l’on se trompait à leur sujet, du moins on devinait juste à l’égard du roi, sur qui retombait la principale part de responsabilité. Au moment même où Brissot dénonçait à la tribune les machinations du comité autrichien, Louis XVI concertait avec l’empereur les péripéties de la lutte qui commençait, dans ce plan si terrible pour sa mémoire, où la défaite des armes françaises était prévue comme un succès pour lui. Là étaient désignés d’avance les hommes qu’à l’entrée des alliés il faudrait châtier sans pitié et ceux qu’on recommandait à leur clémence. Tel est le testament de Louis XVI comme souverain.

Cependant, encouragés par ces revers, les ennemis de l’intérieur relevaient la tête. L’Assemblée frappa sur eux de nouveaux coups en redoublant de rigueur contre les prêtres non assermentés, en licenciant la garde royale, en ordonnant la formation d’un corps de vingt mille hommes auprès de Paris, enfin en se déclarant en permanence ; ce qui était proclamer sa dictature.

Le roi refusa sa sanction, et du même coup renversa les ministres girondins et avec eux Dumouriez, qui avait cru les supplanter.

Mais, plus habiles en ceci que les Constitutionnels, les Girondins avaient su se maintenir indépendants vis-à-vis la royauté, et n’avaient jamais fait cause commune avec elle ; aussi se retrouvèrent-ils aussitôt debout pour l’accabler. A aucune époque l'irritation n’avait été si générale, si vive et si profonde. On ne songea plus, des deux côtés, qu’à une lutte suprême et désespérée. Au 20 juin, la multitude essaya ses forces et vint inspecter le camp ennemi. Mais s’étant montrée ce jour-là ce qu’elle est trop souvent, cruelle, brutale et grossière, elle procura à la Cour une espèce de réaction de la pitié qui lui donna encore quelques semaines de répit. C’est la fatalité des révolutions de ne pouvoir réussir que par le concours des multitudes, et il semble qu’en expiation d’une telle alliance elles soient également condamnées à périr par elles. Ce fut sans doute ce pressentiment qui, joint à des considérations d’humanité, décida les Girondins, vers le milieu de juillet 1792, à une dernière tentative auprès du roi. Leurs propositions furent repoussées.

La Révolution n’était plus séparée que par une bien faible distance de ce qui semblait devoir être le terme de ses longs efforts ; elle la franchit avec la rapidité de la foudre. De nouveaux désastres venaient d’humilier les armées ; la Prusse entrait ouvertement dans la coalition, et ses troupes faisaient jonction avec celles de l’empereur. L’Assemblée appelle à Paris les fédérés pour y célébrer l’anniversaire de la prise de la Bastille. Elle déclare la patrie en danger ; elle ouvre dans chaque commune les immortels registres des enrôlements volontaires de 92. C’est alors que se posa la question de la déchéance du roi. Péthion la porta devant elle au nom de la ville de Paris. et presque en même temps parut le manifeste de Brunswick, insolente bravade de l’invasion étrangère.

Le dix août lui répondit.

La légitimité de cette grande journée a pu paraître jusqu’à un certain point discutable aux contemporains, parce que, réduits le plus souvent à deviner les machinations qui aujourd’hui sont si bien éclaircies pour nous, ils manquaient des premiers éléments d’une instruction complète et motivée, mais elle ne peut plus être mise en question désormais ; elle se passe de justification. Le simple récit des faits, s’il est exact et fidèle, parle plus haut que toutes les apologies.

La chute de la royauté entraînait celle de la Constitution, qui pourtant était profondément républicaine, et avec quelques modifications de pure forme pouvait s’adapter à la situation nouvelle. Une opinion énergiquement prononcée en sa faveur eût probablement réussi à la sauver au premier moment. Mais ses défenseurs naturels étaient dispersés et leur appui ne pouvait plus que la compromettre. D’ailleurs cette Constitution, qui avait à peine été soumise à l’épreuve de la pratique, était trop peu connue du peuple pour qu’il s’y fût attaché.

Il éprouvait même à son égard un sentiment de désillusion qui lui était plutôt défavorable. On eût dit qu’aussitôt cette grande loi dont on avait fait tant de bruit, votée et promulguée, ses maux auraient dû cesser comme par enchantement. Ce sentiment s’est presque toujours produit dans les circonstances ana- logues. Les peuples sont fort enclins à se persuader qu’une fois l’édifice des institutions nouvelles terminé, ils n’auront plus qu’à se reposer à son ombre. Cette illusion flatte trop leur paresse pour n'être pas toujours accueillie avec empressement ; et c’est elle aussi qui fait leur enthousiasme pour tout ce qui est nouveau, et leur promet un de ces changements qui ne sont d’ordinaire que les pénibles évolutions d’un malade sur son lit de douleur. De là, les réactions et les désenchantements qui suivent de si près les époques de reconstruction. Les constitutions ne sont des instruments de progrès qu’autant qu’elles sont secondées par le concours actif et persévérant des volontés. Elles sont le cadre où se meut la vie des nations, elles ne sont pas cette vie elle-même, et il n’est pas donné à un mécanisme de pouvoir en tenir lieu. Elles en favorisent le développement, mais ce développement n’a pas sa source en elles. De là ce contraste si fréquent dans l’histoire : de grandes choses faites avec des institutions très défectueuses, et des constitutions combinées avec un art infini, ne recouvrant que l’immobilité et le sommeil de la mort.