La ruine complète de la maison de Souabe suivit de près la mort de Frédéric. Son fils Conrad mourut prématurément, avant d'avoir eu le temps de relever la cause de l'Empire. Il laissait pour tout héritier un enfant en bas âge, du nom de Conradin, si célèbre depuis par sa destinée tragique et son précoce héroïsme. La féodalité germanique, lasse de la discipline que les Hohenstauffen lui avaient si longtemps imposée, se hâta de profiter de leur faiblesse pour mettre l'Empire aux enchères, et elle l'offrit à des étrangers, à Richard de Cornouailles, à Alphonse de Castille, selon la mode accréditée par les petites républiques italiennes dans l'élection de leurs podestats. Le trône resta vacant pendant plus de vingt ans, sans qu'aucun de ces compétiteurs débonnaires se trouvât ou assez entreprenant pour risquer le voyage, ou assez fort pour étendre la main et prendre la couronne. Cet interrègne rendait à l'Italie la libre disposition de ses destinées. La loi de responsabilité, qui s'impose à l'esprit avec la même force lorsqu'il s'agit d'une nation que lorsqu'il s'agit d'un individu, fait qu'on s'arrête ici avec anxiété et recueillement, comme toutes les fois qu'on se trouve en présence d'un de ces moments solennels où la volonté des peuples décrète et décide pour des siècles. L'Italie venait de rejeter violemment l'Empire hors de son sein, une fortune inespérée la délivrait du fléau périodique des invasions allemandes, qu'allait-elle faire pour constituer, son indépendance sur des bases plus sûres ? Son organisation politique était de nouveau brisée, la chimère du vieux pacte impérial démontrée, la nationalité redevenait possible. Comment allait-elle résoudre le problème ? De tous les éléments assez puissants pour travailler de concert à cette reconstruction, la papauté était incomparablement le plus fort et celui qui possédait au plus haut degré la conscience en même temps que la liberté de son action. Incapable de réaliser ce résultat par ses seules ressources, en raison de son cosmopolitisme et de son infirmité comme système politique, elle pouvait tout comme auxiliaire. Il lui suffisait d'un mot pour donner à un autre la force qu'elle ne trouvait pas en elle-même. Au nord, les républiques lombardes étaient presque toutes tombées sous la domination de petites tyrannies issues de l'institution des podestats et plus encore dos discordes civiles ; il n'y avait donc rien à attendre du principe de la confédération républicaine. Restaient les tyrans eux-mêmes. Mais le seul de ces princes d'aventure en qui se fût manifesté un esprit capable de s'élever à de grandes vues politiques avec l'énergie nécessaire pour les réaliser, était un forcené que des cruautés sans nom avaient mis hors de l'humanité, Eccelino da Romano. Au midi, sur le trône des Deux-Siciles, se trouvait le seul homme qui fût à la hauteur d'une grande destinée politique. C'était Manfred, fils naturel de Frédéric, jeune homme de vingt-six ans, qui unissait aux rares et solides qualités de son père une séduction d'esprit et une grise chevaleresque dont le charme pénétrant s'impose aux chroniqueurs yi ont pris la plume pour le dénigrer, et donne une singulière poésie aux derniers jours de la Maison de Souabe. Manfred était sûr d'avance de l'appui de tous les Gébelins de l'Italie, et il ne représentait aucune des nécessités ni des compromis qui avaient rendu les Souabe odieux aux Guelfes. Il acceptait d'ailleurs toutes les conquêtes de ce parti sur l'Empire, dont il n'était plus solidaire à aucun degré depuis la mort de en frère Conrad et se soumettait d'avance à toutes les conditions que l'Église voudrait lui imposer. C'était, en un mot, le conciliateur le plus habile et le plus impartial auquel l'Italie pût se confier. C'est pour ces qualités météos que Manfred fut replissé et qu'on le combattit jusqu'à la mort. Il y avait, en effet, une chose que la papauté avait détestée d'une haine bien plus profonde que l'Empire, c'était le royaume, cette expression si douloureusement cherchée de la nationalité de l'Italie, de son génie, de son indépendance ; et toujours anéantie par cette implacable ennemie. L'Empire n'avait été qu'est rival, et comme il représentait la suprématie sur le inonde entier, on pouvait partager avec lui. Dans ses étroites limites, le royaume ne souffrait ni rivalité in partage : il fallait se soumettre et abdiquer. Aux anathèmes contre la race impie de Frédéric se joignirent donc toutes les vieilles imprécations des papes contre les Lombards et leurs continuateurs. Et, comme ils n'avaient pas cessé d'être atteints de cette incurable impuissance organique qui semble attachée au gouvernement clérical et nous le montre incapable de la plus vulgaire administration au moment même oh il suffit d'un signe de lui pour ébranler l'Europe, se trouvant hors d'état de renverser Manfred, ils appelèrent de nouveau l'étranger en Italie. Ils offrirent le royaume de Naples à tous les princes sans États, à toutes les ambitions en disponibilité ; à Richard de Cornouailles à qui ou avait déjà offert l'Empire, à Edmond, fils de Henri III d'Angleterre, enfin à Charles d'Anjou, le frère de saint Louis. -Dans le même instant où Innocent IV trafiquait ainsi des droits des royautés, ôtant la, couronne à celui-ci pour la donner à celui-là, il tremblait devant le sénateur Brancaleone d'Andalo, dictateur municipal que les Romains lui avaient imposé, et il n'osait s'absenter de Rome sans sa permission. Quelque séduisantes que fussent ses offres pour l'ambition de Charles d'Anjou, ce ne fut que plusieurs années plus tard, sous le pontificat d'Urbain IV, qu'il lui fut permis de les accepter, après que, les sophismes du légat Pignatelli eurent triomphé des scrupules et des répugnances de saint Louis. Ainsi, l'invasion française reparut en Italie sur l'appel des papes, dix ans à peine après la ruine de la domination germanique. Elle était appelée contre Manfred, comme les Allemands d'Othon avaient été appelés contre Béranger II, comme les Francs de Pépin et de Charlemagne contre Didier et les Lombards, comme les Grecs de Justin et de Justinien contre le royaume de Théodoric. Si une telle succession de faits, se répétant avec une si frappante similitude à travers des époques si dissemblables, et tant de fois confirmée depuis lors par de nouveaux exemples, ne peut lias être considérée comme mie conséquence attachée à l'institution qui lés a produits, si ces faits ne peuvent pas être invoqués contre elle en témoignage, ne faut-il pas renoncer à toute généralisation des événements historiques, à toute conclusion sur la valeur comparée des institutions humaines ? Ce qu'il y a de plus révoltant peut-être dans ce travail incessant de destruction où la papauté cherchait son salut et sa consolidation, c'est le peu d'illusion avec lequel chacun de ces libérateurs était appelé. On l'invoquait avec l'idée arrêtée de recommencer avant peu contre lui l'œuvre d'extermination qu'il venait accomplir Contre un autre. C'était un instrument, un vengeur, jamais un allié. Aussitôt sa tâche remplie, il devenait un embarras, et on le traitait en ennemi. On savait d'avance qu'il serait forcé, à son tour, par la logique des circonstances, d'entreprendre ce que ses prédécesseurs avaient tenté, et dès lors on préparait les pièges où il devait tomber comme eux. On le recevait comme un -mal nécessaire, avec des défiances injurieuses, avec des précautions infinies, et en l'enchaînant par tant d'engagements, de promesses, de restrictions ; de clauses de résiliation et de cas rédhibitoires, que, sous le plus léger prétexte, au premier signe d'insubordination, on pouvait retourner contre lui le pacte qu'il avait juré, et l'en écraser. Tel fut, à peu de chose près, celui qu'on exigea de Charles d'Anjou. Il ne consentit à le ratifier qu'après d'assez longues hésitations motivées par la médiocrité effective de ces offres en apparence si brillantes, et après qu'il se fut bien promis d'en imposer l'interprétation, au lien de lu subir, aussitôt qu'il serait assez fort pour se dispenser de reconnaissance. Le principal article de ce traité montrait clairement le mobile qui avait inspiré ses bienfaiteurs. Charles devait s'engager par serment à ne jamais réunir au royaume des Deux-Siciles ni la couronne impériale, ni aucune des provinces importantes de l'Italie septentrionale, tilles que la Toscane ou la Lombardie. Si, en effet ; le nord venait à donner la main au midi, que devenait le domaine des papes ? En d'autres termes, Charles devait promettre de ne jamais se faire roi d'Italie. La réunion de Naples à l'Empire par le mariage d'Henri VI avec la fille des rois normands avait rappelé l'attention des papes sur cette condition si essentielle de leur sécurité. — Par les autres clauses, le frère de saint Louis déclarait accepter son royaume pour lui et ses descendants, comme un fief relevant du Saint-Siège. Il consentait à lui payer un tribut annuel de huit mille onces d'or : et à lui fournir un contingent d'hommes d'armes équipés et entretenus par lui. Dès son-arrivée en Italie, Charles d'Anjou éveilla les défiances de ses protecteurs. Les Romains l'élurent pour sénateur à son passage dans leur ville. Le pape en prit aussi ombrage, sans oser toutefois s'opposer à son acceptation, de peur que le peuple romain n'offrît la charge à Manfred ; mais Charles dut donner sa parole royale de se démettre de cette dignité sur la première injonction du Saint-Siège. Avant même qu'il eût, quitté la France, les hostilités avaient commencé en Lombardie entre Manfred et un premier corps d'armée, commandé par le gendre de Charles. La guerre contre le fils de Frédéric avait été sanctifiée, bénie, baptisée croisade. Manfred la soutint avec son courage accoutumé, et y déploya une rare habileté. Mais l'avènement du Français Clément IV, qui donna à l'entreprise une impulsion nouvelle, l'arrivée d'une seconde armée française plus redoutable que la première, la défet- fion de ses alliés du Milanais, la trahison de ses généraux, la haine active, inexorable, de tout le clergé chrétien, les pressentiments qui, parmi ses partisans eux-mêmes, s'autorisaient de la ruine si rapide de sa maison, et cette désertion de l'espérance qui, précède et annonce les défaites irréparables, montrèrent bientôt de quel côté la fortune penchait. L'Église n'avait peut-être jamais été si impitoyable et si impatiente. A ceux qui combattaient contre cet ennemi de Dieu, on avait accordé non-seulement les indulgences attachées d'ordinaire aux expéditions entreprises pour la délivrance des lieux saints, mais des faveurs spirituelles-qui s'étendaient à toute leur famille. Débordé par des forces supérieures, hors d'état de défendre ses villes, qui s'ouvraient d'elles-mêmes à Charles d'Anjou, Manfred vint offrir la bataille à son rival près de Bénévent. Lorsqu'il la vit perdue par trahison, après avoir tenu longtemps la victoire dans sa main, il se jeta au plus fort de la mêlée pour y périr. Son corps, découvert trois jours après sur le champ de bataille, fut enseveli près du pont de Bénévent, par les soldats de Charles, sous un énorme monceau de pierres, mausolée improvisé de la pitié et de l'admiration. Mais, sur des ordres venus de Rome, le légat Pignatelli le fit déterrer et jeter dans le fleuve. Cette substitution de la domination angevine à celle d'une dynastie naturalisée en Italie par les liens du sang, par la culture de l'esprit et par les mœurs aussi bien que par le génie et les services, valait-elle, même au point de sue exclusif des intérêts de la papauté, les immenses sacrifices qu'elle lui avait coûtés ? Tout le monde vit bientôt que non, à commencer par les papes eux-mêmes. Caractère ardent sous un extérieur rigide et glacé, âme concentrée, despotique, dévorée de cupidité et d'ambition, insensible jusqu'à la férocité, pleine de calcul, de ruse et de persévérance en même temps que de fanatisme, le taciturne Charles d'Anjou leur eût sans doute offert un prince selon leur cœur, partout ailleurs qu'en Italie : Dans tout autre pays, ils n'eussent pas hésité à favoriser ses projets d'agrandissement ; mais sur cette terre fatale aux rois, et qu'ils considéraient depuis si longtemps comme leur patrimoine, il était condamné à subir le sort de toutes les dominations qui avaient successivement essayé de s'y acclimater et de s'y étendre. Il n'eût pas réussi à se soustraire au sort commun lors même qu'il n'eût conçu aucune des vues ambitieuses qu'il montra par la suite, et se fût strictement tenu à une politique de conservation, car pour se conserver il lui fallait s'accroître. Une conquête ne pouvait se maintenir sur ce sol volcanique qu'à la condition de se fortifier sans cesse. Pour se défendre elle était forcée d'attaquer ; pour ne pas déchoir, de grandir. Les conditions qu'on lui avait fait jurer lui rendaient l'existence même impossible. Les deux grandes factions qui se partageaient ce pays n'y souffraient d'ailleurs aucune autre division que leur propre dualité. Ayant pour ennemis tous les Gébelins de l'Italie, il fallait que Charles d'Anjou fût le roi de tous les Guelfes. Ainsi reparaissait ce fantôme abhorré du royaume unitaire dans l'homme même qu'on avait suscité pour l'anéantir. Moins de deux ans après la mort de Manfred, Charles d'Anjou, emporté par la logique de la guerre, combattait sur les confins du territoire de Pise, à plus de cent lieues de la frontière napolitaine qu'il avait promis de ne jamais dépasser, au mépris des lamentations du pape alarmé, qui lui reprochait amèrement l'abandon de son royaume et les horribles dévastations qu'il y avait lui-même déchaînées en l'appelant. Clément lui remettait en mémoire les engagements qu'il avait contractés en acceptant sa couronne ; mais Charles, sans les contester en aucune manière, poursuivait ses opérations, tantôt sous un prétexte tantôt sous un autre, et agissait en homme fermement résolu à ne tenir aucun compte de ces représentations. La rupture qui était dès lors imminente entre le Saint-Siège et le nouveau roi des Deux-Siciles fut cependant ajournée par une communauté de périls plus forte encore que leurs mutuels ressentiments. Conradin, le petit-fils de Frédéric et le neveu de Manfred, descendait en Italie, appelé par les Gébelins en détresse. Entraîné par la noble témérité de la jeunesse, par les illusions trop complaisantes de proscrits qu'aveuglaient leurs patriotiques regrets, par l'ambition de venger sa famille si cruellement frappée, ce héros de dix-huit ans se trompa d'heure. S'il était venu quelques années plus tard, l'Italie entière se fût levée pour aller au-devant de lui, et les Vêpres siciliennes eussent été inutiles. Mais la domination française n'y était encore ni compromise ni usée, et ses ressources étaient entières, tandis que celles du parti gébelin ne représentaient qu'un effort suprême et désespéré. Vaincu à la suite d'une marche rapide et brillante et d'une bataille où il déploya vainement l'ardeur et l'élan chevaleresques de sa race, le dernier des Souabe périt sur un échafaud avec son ami Frédéric d'Autriche, qui avait voulu partager sa fortune... Ô ma mère ! dit-il, quelle triste nouvelle on te portera de moi ! Tant de grâce, de jeunesse, d'héroïsme et de malheur ne purent toucher flue basse et implacable de Charles d'Anjou ; mais cette fleur de vaillance et de courtoisie est restée une des poésies de l'histoire. Le meurtre de cet enfant et les effroyables tueries qui l'accompagnèrent ne devaient profiter ni au roi ni au pape, qui se retrouvèrent en présence, se comblant à l'envi l'un l'autre de témoignages d'estime et de tendresse, mais avec une insurmontable défiance au fond du cœur, des intérêts divisés et des projets inconciliables. Clément IV étant mort peu de temps après cette exécution qu'il avait conseillée, le Saint-Siège resta vacant pendant près de deux années, dont Charles d'Anjou profita pour établir son pouvoir sur toute l'Italie : au midi, sous lé nom de roi ; au nord, sous à nom de pacificateur ou de vicaire impérial ; à Rome, sous le nom de sénateur, charge dont le pape l'avait forcé à se démettre, et qu'il reprit de sa propre autorité. Lorsque Grégoire X vint da fond de la Palestine prendre possession de la chaire de saint Pierre, Charles d'Anjou était plus puissant en Italie que ne l'avaient jamais été Manfred et Frédéric lui-même. Il avait anéanti dans le Milanais et en Toscane les derniers restes du parti gébelin, et il considérait l'Italie comme si bien domptée, qu'il tournait les regards du côté de Constantinople, et préparait une flotte pour conquérir l'empire d'Orient, dont il avait déjà envahi plusieurs provinces des plus importantes, comme l'Achaïe, la Morée et l'Albanie. Grégoire, effrayé de l'extension menaçante qu'il avait prise, et n'osant encore l'attaquer de front, chercha des prétextes dans les dangers que couraient lés chrétiens de la terre sainte, prêcha la paix et l'union, releva les Gébelins au nom de la réconciliation universelle. Il est possible qu'il n'ait eu en vue en cela que de donner de nouveau à l'Europe la fièvre des croisades, et qu'il n'ait combattu l'entreprise de Charles que dans la crainte qu'elle ne fit échouer ses projets en détournant encore l'expédition sur Constantinople ; mais il faut convenir qu'en tort cas sa tactique concordait merveilleusement avec les intérêts politiques de la papauté. Il s'efforça donc de créer un contrepoids à cette puissance qui était devenue si promptement redoutable, et ne trouvant pas ce contrepoids en Italie, c'est à l'étranger qu'il le demanda, selon les traditions de la politique pontificale. Le royaume se relevait sur les ruines de l'Empire, il rappela l'Empire contre le royaume. Sur ses sollicitations pressantes et réitérées, les électeurs germaniques mirent fin à l'interrègne par le couronnement de Rodolphe de Habsbourg. Rodolphe, homme nouveau, créature des papes, prince besogneux, autorité précaire, sans cesse menacé en Allemagne, désireux de s'y établir solidement, étranger d'ailleurs aux affaires italiennes qu'il ne connaissait que pour avoir accompagné un prélat à Rome, et beaucoup plus préoccupé de conserver la protection du Saint-Siège que de maintenir les droits presque oubliés de l'Empire en Italie, accorda sans le moindre scrupule toutes les promesses ou renonciations qui lui furent demandées, et donna aux papes un allié puissant en échangé d'un pouvoir nominal et subalterne. Nicolas III se fit le continuateur énergique de Grégoire X. Il opposa avec succès l'épée de Rodolphe aux envahissements multipliés de Charles d'Anjou, qui régnait déjà jusque sur les villes du Piémont. Il rappela à l'empereur que le roi de Naples ne gouvernait toutes les provinces italiennes du Nord qu'en qualité de vicaire impérial, mais il eut grand soin de lui faire entendre que Rodolphe lui-même n'y régnerait jamais qu'en qualité de vicaire de l'Église. La menace seule suffit. Charles d'Anjou, intimidé par le vieux prestige de la puissance impériale, retira en frémissant de colère ses troupes de la Lombardie et de la Toscane, rendit tous les châteaux qu'il avait conquis au prix de tant de labeur et de sang, se dé-toit de nouveau de sa charge de sénateur de Rome. On remarqua qu'il accueillit avec une douceur et un calme surprenants le légat qui vint, lui dicter ces dures conditions, premier échec de son ambition humiliée. L'homme d'Église l'en félicita et s'en réjouit. Il mit pu s'en effrayer à bien plus juste titre, sans les catastrophes qui empêchèrent Charles de prendre sa revanche. C'est à la suite de cette paix que Rodolphe de Habsbourg signa la charte fameuse qui sépara pour la première fois, d'une façon nette et définitive, les provinces italiennes qui relevaient du Saint-Siège de celles qui continuèrent à dépendre de l'Empire. Toutes les formes successives qu'avait revêtues le pouvoir temporel des papes vinrent ainsi aboutir à la constitution du domaine de saint Pierre, à la 'souveraineté indépendante. Ce pouvoir politique qui avait été une délégation administrative sous les derniers empereurs romains, une influence nationale sous les rois barbares, une association à l'Empile sous les successeurs de Charlemagne, une théocratie à demi réalisée sous Innocent III, il allait entrer dans le cidre étroit des petites royautés. La charte de Rodolphe prenait pour autorité et point de départ des actes notoirement dénaturés ou apocryphes, comme les donations de Pépin et de Charlemagne et la charte de Louis le Débonnaire ; elle légitimait des droits qui n'avaient jamais été bien authentiquement que des prétentions et dont les titres consistaient surtout dans la persévérance avec laquelle on les avait affirmés. C'est ainsi que le patrimoine de saint Pierre s'accrut des provinces de l'Émilie, de la Marche d'Ancône et de la Pentapole, gui n'en avaient jamais fait partie jusque-là. Rodolphe n'hésita pas davantage à abandonner l'héritage de la comtesse Mathilde, et à renoncer aux droits de suzeraineté de l'Empire, attestés .par le serment que toutes les villes pontificales prêtaient à l'empereur. Les États de l'Église furent dès lors constitués dans les limites qu'ils ont encore aujourd'hui. La mort de Nicolas III vint mettre obstacle à l'exécution des plans du Saint-Siège contre Charles d'Anjou, en offrant à celui-ci l'occasion, qu'il n'eut garde de laisser échapper, de placer sur le trône apostolique un homme qui lui était tout dévoué. Avec l'appui du Français Martin IV, élu sous son influence, il regagna rapidement une grande partie du terrain qu'il venait de perdre. Martin lui rendit toutes les provinces que l'Église lui avait reprises, mais Charles dut renoncer pour le moment à recouvrer celles qu'il avait usurpées sur l'Empire. Il se tourna donc d'un autre côté, et revint avec plus d'activité et d'ardeur que jamais à ses projets de conquête contre l'empire de Constantinople. Il entassa dans ses ports de mer d'énormes préparatifs de toute nature, arma une nouvelle flotte, cent galères, vingt gros vaisseaux, trois cents transports, équipa de nombreux corps de cavalerie ; et, lorsque tout fut prêt, fit, selon l'usage, baptiser son entreprise du nom de croisade par le complaisant pontife. On se demandait sui' quel point de l'Empire allait fondre l'orage, lorsque éclata soudainement le tocsin-des Vêpres siciliennes. Charles venait de perdre sa plus belle province avec ses meilleures troupes. Peu de temps après, le roi d'Aragon, complice des insurgés siciliens, attaqua avec son amiral Roger de Loris, et brida sous les yeux mêmes de Charles d'Anjou, tous les vaisseaux et armements préparés pour l'expédition de Constantinople. Cet ambitieux, foudroyé à son tour par la destinée, assista du rivage à cette destruction, qui était la ruine de toutes ses espérances. Ne pouvant rien faire pour l'empêcher, il mordait convulsivement le sceptre qu'il tenait à la main. A partir de cet instant, rien ne lui réussit. Bientôt, à la suite de nouveaux désastres, l'élu de l'Église, le vengeur des papes, le futur empereur de Constantinople mourut de désespoir et d'humiliation. Chose étrange et bien digne d'attention, pendant tout le cours de ce long interrègne qui avait précédé l'élection de Rodolphe, le prestige de la papauté, au lieu de s'accroître en Europe par suite de l'abaissement de l'Empire, s'était comme effacé avec lui, bien qu'elle fût alors au plus haut point de sa puissance. On s'était flatté que la disparition d'un rival si redoutable lui donnerait une prépondérance illimitée ; il n'en fut rien. C'est que ce rival, par cela seul qu'il la combattait, l'élevait jusqu'à sa propre hauteur et couvrait sa faiblesse. Par son opposition même au pape, l'empereur partageait avec lui, l'associait à sa destinée, entretenait l'antique illusion de l'Empire spirituel considéré comme un dés deux pôles éternels autour desquels gravitait le monde, créé pour faire contrepoids à l'Empire temporel. Tout le moyen âge avait vécu les yeux fixés sur leurs oscillations et attaché l'ordre universel au maintien de cet équilibre. Les liens de dépendance réciproque qui enchaînaient la papauté à l'Empire étaient la cause de toutes leurs discordes, mais aussi le plus sûr garant de leur force et de leur durée. Séparées, les deux institutions étaient incomplètes et par conséquent faibles ; unies, elles pouvaient défier toutes les attaques. Filles d'une même conception malgré la disparité de leurs origines, jetées et fondues dans le même creuset à l'époque du pacte de Charlemagne, elles étaient solidaires, s'impliquaient l'une l'autre, devaient grandir et décroître en même temps. Une fois séparé de l'Empire, l'établissement pontifical n'avait plus qu'un seul point stable, c'était le petit patrimoine de saint Pierre. Quant à sa domination cosmopolite, fondée sur l'assentiment des consciences plutôt que sur des institutions régulières, elle était souverainement inconsistante et aléatoire. Quels que fussent au contraire les démêlés du Saint-Siège avec l'Empire d'Allemagne, ce dernier n'en était pas moins le seul État de l'Europe avec lequel ses rapports, ses droits, ses garanties, ses privilèges fussent à la fois définis nettement, établis d'une façon normale, et consacrés par la constitution elle-même. Partout ailleurs ils étaient soumis à toutes les fluctuations de la volonté des princes ou de l'opinion des peuples. L'Empire n'avait pas moins à souffrir de cette scission que la papauté. En perdant l'Italie, il perdait son caractère de grandeur et d'universalité. Il pouvait encore être un État plus ou moins étendu, il n'était plus l'antique héritage des Césars transformé par Charlemagne, le cadre idéal de ha confédération des peuples. Telle est la révolution qui avait été, non pas cou-sommée, par elle devait mettre plus d'un siècle à s'accomplir, mais préparée par la chute de la maison de Souabe. Elle annonçait le monde moderne. Quant à la restauration si imparfaite de la constitution impériale et pontificale qui venait d'être tentée par Grégoire X et Rodolphe de Habsbourg, elle n'était qu'une pâle contrefaçon où les anciens noms couvraient des faits tout nouveaux, et qui ne pouvait faire revivre un passé à jamais disparu. Cet immense déchirement ne s'accomplit pas sans laisser des regrets clans les âmes qui avaient le sentiment de la grandeur et de la poésie de cet ordre de choses, et ne se rendaient pas compte des tristes réalités qui s'y mêlaient. Dante écrivit son livre de la Monarchie, testament de la pensée gébeline, magnifique interprétation du droit qui finissait, faite au point de vue de la complète séparation des deux pouvoirs temporel et spirituel que les Guelfes tendaient à confondre au profit de la papauté. Ses regrets se changent en douleur et en désespoir dans la Divine Comédie. Vers le même temps parait Thomas d'Aquin, cette synthèse vivante de la foi guelfe au double point de vue politique et religieux. Mille autres après eux reprirent, le thème, tantôt au nom de la papauté, tantôt au nom de l'Empire, et bien des années s'écoulèrent avant que ce fantôme cessât de hanter les imaginations italiennes. Mais dans les mimes même écrites pour la défense du vieux principe, un signe marquait l'impossibilité de son rétablissement : les deux théories guelfe et gébeline y sont exclusives, absolues, inconciliables. Elles s'y nient radicalement l'une l'autre, et par là rendent toute transaction impossible. Le contre-coup de l'abaissement dont j'ai parlé se fit sentir aussitôt dans les rapports des papes avec les différents États de l'Europe. Quand le pape faisait la guerre à l'empereur, c'était tantôt l'Italie, tantôt l'Allemagne qui fournissaient les armées. Il décrétait la loi, et les peuples se chargeaient de l'exécution. Du sein d'une ville où il était venu en exilé, en fugitif, dénué de toute ressource, il soulevait la moitié de l'Europe contre son rival, sans avoir jamais à se préoccuper des moyens et des frais de la guerre. Au besoin, si le zèle de ses défenseurs faiblissait, il pouvait prêcher la croisade contre l'empereur ; la grandeur de l'ennemi faisait illusion sur la justesse de la qualification. Mais lorsqu'il s'agissait d'un roi de Sicile, ou d'un podestat de Vérone, ou d'un sénateur romain, à qui faire croire qu'il s'agissait de la cause de Dieu ? Comment armer toute la chrétienté contre la famille Colonna ? Tels étaient pourtant les ennemis auxquels le pape avait affaire le jour où la disparition de l'empereur le laissait isolé dans sa petite principauté, face à face avec ses petits voisins. Dès lors les peuples cessaient de s'intéresser à une cause évidemment toute personnelle. Dès lors aussi, il lui fallait une armée et beaucoup d'argent pour subvenir à son entretien. De là la mesquinerie honteuse et l'hostilité continue des rapports de la cour pontificale de la seconde moitié du treizième siècle avec les autres cours de l'Europe. Sa diplomatie n'a plus pour objet que des tributs et des exactions, des impôts volontaires ou forcés qui la rendent odieuse aux rois et aux peuples. Les taxes étant, au fond, le seul rapport bien régulier qui fût établi entre elle et les gouvernements, les querelles de suprématie une fois écartées, les contestations pécuniaires restaient presque seules. Les chroniques du temps sont pleines à chaque page des plaintes les plus vives contre l'insatiable avidité du fisc ecclésiastique. En Angleterre, ce sont les évêques eux-mêmes qui se font les interprètes de la réprobation publique. On ne dépassera jamais la sévérité et l'énergie avec lesquelles Robert Grosse-Tête, évêque de Lincoln, flétrissait la rapacité des exacteurs apostoliques, qui mesuraient les indulgences selon l'argent, et vendaient aux rois des croisés comme on vend un bœuf, un porc ou un mouton. En France, c'est saint Louis lui-même, ce modèle des rois pieux, qui se charge d'exprimer les sentiments de ses sujets. Sa célèbre pragmatique-sanction, publiée dans un esprit qui était loin d'être hostile à l'Église, puisqu'elle parut la veille de son départ pour la croisade, n'est pas autre chose qu'une mesure défensive contre les exactions intolérables par lesquelles la cour de Rome avait appauvri le royaume, ainsi que l'ordonnance elle-même le constatait. Joinville rapporte un trait qui peint fidèlement, sous une forme naine, la fermeté que cc grand justicier sut opposer aux envahissements du clergé, malgré l'appui qu'ils trouvaient dans ses croyances religieuses : Sire, vint un jour lui dire l'évêque d'Angers, tous vos prélats me font dire que vous perdez la religion. Le roi, stupéfait, se signa et dit : Évêque, dites-moi comment cela se fait. — Sire, reprit le prélat, cela vient de ce qu'on aime mieux mourir excommunié que de faire satisfaction à l'Église. Ordonnez à vos prévôts qu'ils contraignent l'excommunié à se faire absoudre. — Volontiers, répondit le roi, pourvu que les juges soient d'avis qu'il a fait tort à l'Église. L'évêque se récria sur leur incompétence, mais le roi fut inébranlable. Ce que les prélats lui demandaient sous cette forme bénigne n'était rien moins que l'investiture du pouvoir judiciaire. Boniface VIII fut la personnification la plus complète de cette période, qu'on pourrait nommer l'âge d'argent de la théocratie, alors que la papauté, restée seule debout en Italie au milieu des ruines qu'elle y avait faites, semblait n'être plus qu'une administration financière, et home le comptoir central de la chrétienté. Toutes ses querelles, même celles qui sont en apparence désintéressées ou inspirées par la seule ambition, n'ont en réalité d'autre objet que des créances vraies ou fausses et des dettes non acquittées. Ses légats sont des percepteurs, ses anathèmes des sommations, ses faveurs spirituelles un négoce, et ses foudres ne tombent que sur des payeurs récalcitrants. Quand il revendique un royaume, comme il arriva pour la Bohême, la Hongrie, la Pologne, l'Écosse, l'Empire d'Allemagne et quelques autres États, c'est qu'il désire un tribut ; quand il le donne faute de pouvoir le refuser, comme il arriva pour la Sicile, c'est encore un tribut qu'il exige. Il faut bien fournir aux dépenses de Charles de Valois, le général de l'Église. Boniface VIII voulait d'ailleurs voir ses goûts partagés, rendre les gens heureux et repus autour de lui ; il gorgea ses Romains de richesses en attirant des milliers d'étrangers à Rome par le grand jubilé de l'an 1300. Boniface succédait à un pauvre ermite nommé Pierre de Morone ; qu'on était allé chercher au fond de sa cellule pour le placer sur la chaire de saint Pierre, et qui n'y avait fait qu'une apparition de quelques mois. Ce saint homme étonna le monde par un acte inouï jusque-là. Élu après une vacance de plus de deux ans, et par suite de l'impossibilité où se trouvaient les cardinaux de s'accorder sur un autre choix, ce simple d'esprit habitué à la vie contemplative des ascètes se trouva tellement dépaysé, abasourdi, sur ce trône autrefois objet de sa vénération et où il voyait aboutir tant d'intrigues, de mensonges et de turpitudes, qu'il en perdit la tête, abdiqua, demanda en grâce à retourner au désert. Aussitôt sa renonciation acceptée, il s'enfuit précipitamment comme s'il eût craint qu'on le contraignit à reprendre la tiare. Désigné pour lui succéder, Boniface, son protégé, son conseiller et le rédacteur de l'acte que Dante a nommé il gran rifiuto, fit immédiatement courir après lui. Pour prévenir chez lui toute velléité de repentir et tout esprit de retour, il le fit enfermer, avec les plus grandes démonstrations de respect, dans une prison tellement malsaine que, ses gardes y tombaient malades, bien qu'ils fussent relevés chaque jour, et tellement étroite que le malheureux vieillard était obligé de coucher au pied de autel où il disait la messe. Il y mourut après une courte captivité. Tels avaient été les débuts de Boniface, et son règne tint tout ce qu'ils promettaient. Les démêlés de ce grand pontife de la fiscalité catholique avec les princes ses contemporains n'ont d'ailleurs, à part le motif qui les caractérise, rien qui mérite l'attention de l'histoire, après les luttes mémorables où ses prédécesseurs avaient déployé tant de persévérance, de courage et quelquefois de grandeur. La jactance y remplace l'énergie, et la cupidité y supplée au fanatisme. Ils n'attestent que la prompte déconsidération où était tombé le pouvoir pontifical à l'apogée de ses succès, le contre-coup qu'il avait reçu de l'écroulement de l'ordre de choses dont il était la clef de voûte, la lassitude produite par l'abus des influences spirituelles dans le siècle même où elles avaient remué le monde à des profondeurs jusque-là inconnues. Qui croirait qu'il s'écoula à peine cinquante ails entre les triomphes d'Innocent III et le soufflet impuni que Boniface reçut, pour une querelle d'argent, de la main de l'envoyé, de Philippe lé Bel ? Si ce soufflet n'est qu'une allégorie, comme on l'a prétendu, elle est du moins suffisamment expressive, et Dante, en plaçant Boniface VIII dans la bolge des simoniaques, n'était que l'interprète de la conscience universelle. Avec cette décadence du principe théocratique concordait l'essor des nationalités qui se manifestaient dans toute l'Europe par une foute de créations originales et variées. Au lieu d'aller en s'affaiblissant depuis l'invasion des barbares, comme on le suppose d'ordinaire, elles suivaient, au contraire, une marche progressive et ascendante, même en Italie, dans cette patrie du cosmopolitisme à qui la papauté semblait vouloir interdire à jamais tout développement national. Le génie de cette terre féconde brisait le moule étroit de l'organisation ecclésiastique, enfantait une langue admirable en opposition du latin, la vieille langue de l'orthodoxie universelle, qui partout était délaissée pour les idiomes nationaux ; et, loin d'être épuisée par les convulsions de la guerre et des révolutions, son indomptable vitalité produisait en se jouant les merveilles de l'art, de la littérature, de la poésie, à côté des miracles industriels de Venise, de Pise et de Gènes ; créait avec une égale facilité des héros et monstres, les Eccelino da Romano en même temps que le Dante, le Giotto, Cimabue, les deux Villani, saint Thomas d'Aquin, etc. Non-seulement elle ne doutait pas d'elle-même, mais elle se sentait assez forte pour donner au monde un nouveau Messie, car tel était le sens de la doctrine de l'Évangile éternel de Joachim de Flore interprété par Jean de Parme et les Francis-ceins. Partout, en un mot, les littératures, les arts, les institutions, les lois, les mœurs, au lieu de graviter ers l'uniformité nécessaire à l'établissement du système unitaire rêvé par la cour romaine, se révélaient sous des formes merveilleusement diversifiées, selon le caractère et le génie de chaque race. C'est un préjugé très-faux, quoique très-répandu, de croire que l'individualité, et par conséquent la nationalité, ait été plus fortement prononcée chez les peuples d'origine barbare à t'époque des invasions qu'elle ne le fut plus tard. Elle allait au contraire chaque jour en s'accentuant avec plus d'énergie. Il en est à cet égard des peuples comme des individus, ce qui constitue en eux le caractère et la personnalité este fait de la virilité et non celui de l'enfance. De là la surprenante facilité avec laquelle les races barbares s'étaient pliées à l'unité spirituelle représentée par les papes. Elles n'avaient encore ni passé, ni tradition, ni histoire, rien de ce qui constitue l'originalité d'une nation, lui donne une destinée, une volonté, avec la force de résister aux assimilations étrangères. Sans ce point d'appui, sans ce capital accumulé d'intelligence et de vertu, sans cette trace de son activité qui lui montre dans le chemin parcouru jusque-là la voie à suivre pour l'avenir, un peuple hésite, doute de lui-même et appartient au premier occupant. C'est ce qui était arrivé aux nations de l'Europe en présence de lé conquête théocratique. Mais à mesure que, grâce à leur activité intellectuelle et morale, elles se constituaient des traditions, elles revenaient de leur première surprise, acquéraient la conscience d'elles-mêmes et de leur rôle dans le monde, et commençaient à s'affirmer en se voyant agir et parler. |