HISTOIRE DE NAPOLÉON IER

TOME QUATRIÈME

 

CHAPITRE XII. — RUPTURE AVEC L'AUTRICHE.-BATAILLE DES CINQ JOURS.-SECONDE PRISE DE VIENNE.-ESSLING

FÉVRIER-MAI 1809

 

 

Parti de Valladolid le 17 janvier 1809, l'Empereur était aux Tuileries le 23 janvier. On a souvent répété que les intrigues de Paris n'avaient pas moins contribué que les armements de l'Autriche à ce retour inopiné qui surprit tout le monde. Tels furent en effet les prétextes qu'il lui plut d'alléguer pour expliquer son brusque départ de la Péninsule, mais c'est mal connaître ce caractère que de prendre au sérieux les interprétations qu'il lui convenait de donner de sa conduite. Ses vrais motifs, Napoléon ne pouvait les dire. Il ne pouvait avouer que lui qui avait détruit en huit jours la puissance militaire de la Prusse, il se sentait humilié, exaspéré d'avoir passé en Espagne près de trois mois sans venir à bout d'une résistance dont il ne parlait qu'avec le dernier mépris. Au fond ce n'était ici qu'une répétition de la volte-face de Boulogne avec moins d'impatience de faire la guerre, mais avec un égal désir d'avoir l'air d'y être provoqué. Mais les fausses apparences dont il sut habilement s'emparer pour paraître contraint de quitter un pays qu'il lui tardait d'abandonner ne soutiennent pas un examen attentif. Les préparatifs de l'Autriche se poursuivaient lentement ; son agression, dont Napoléon devait hâter l'heure par ses propres défis, était loin d'être imminente. Quant aux prétendues intrigues de Paris, elles se réduisaient à des bavardages inoffensifs.

Il y avait eu, comme toutes les fois que l'Empereur était loin de la France, un peu plus de liberté dans les propos, un peu moins de timidité dans les mécontentements. En dépit de cette muraille chinoise que sa police élevait autour de la France, quelques rayons de lumière avaient fini par y éclairer ces événements d'Espagne qu'il aurait voulu envelopper d'une obscurité impénétrable, et le public, trop démoralisé pour les juger avec l'indignation qu'ils méritaient, osait toutefois blâmer une entreprise que le succès semblait hésiter à sanctionner. Quant à la grande masse, elle commençait à se plaindre des conscriptions qui la décimaient, mais ses griefs n'allaient pas au-delà Quelques-uns des plus hauts fonctionnaires de l'Empire, inquiets de voir leur position compromise, s'associaient discrètement à ces critiques. D'autres remettaient sur le tapis l'inévitable question de savoir ce qu'il y aurait à faire si l'Empereur venait à succomber en Espagne, prévoyance d'autant plus naturelle que la famille impériale était divisée par des haines implacables.

Mais ces murmures avaient peu d'échos en dehors des coteries de salons. Il n'existait alors ni presse ni tribune pour leur donner le retentissement qu'ils auraient dû avoir. Le Corps législatif était, il est vrai, rassemblé, mais quoique peu satisfait de la marche des affaires, il n'élevait jamais la voix que pour faire entendre de basses adulations. En y regardant de très-près, on pouvait toutefois relever un signe presque imperceptible de sa secrète désapprobation dans le nombre assez notable de votes opposants par lequel il accueillait le projet de code d'instruction criminelle. Son courage civil alla un jour jusqu'au rejet d'un article de loi, et il rentra aussitôt sous terre, effrayé de sa propre témérité.

On citait à côté de ce grand événement un autre incident non moins gros de menaces, au dire d'alarmistes intéressés à faire valoir leur zèle. Un rapprochement avait eu lieu entre Fouché et Talleyrand, longtemps ennemis déclarés. Ces deux personnages, qui n'étaient pas hommes à se laisser prendre au dépourvu par les événements, avaient eu ensemble de longs entretiens. Ils avaient compris la nécessité de s'entendre et de se concerter pour une action commune en prévision d'une mort de l'Empereur. On affirmait qu'avant de partir pour Naples, Murat, le propre beau-frère de Napoléon, avait donné son adhésion à tous leurs plans avec l'espoir fondé d'en profiter un jour au moyen de sa popularité dans l'armée[1]. Que de semblables confidences eussent été échangées en effet entre des hommes préoccupés de sauvegarder leur grande position politique, et qui tous avaient eu plus ou moins à se plaindre des procédés.de l'Empereur, c'était infiniment probable. Elles étaient naturellement suggérées par les dangers du présent et les incertitudes de l'avenir ; elles n'étaient qu'une répétition affaiblie de tout ce qu'on avait entendu dans des circonstances analogues, à l'époque de Marengo, d'Eylau et même d'Austerlitz. Mais ces confidences n'étaient pas sorties du domaine de la conversation privée, et, à moins de se faire déclarer immortel, on ne voit pas comment Napoléon aurait pu prétendre les interdire. Enfin, leurs auteurs étaient si loin de songer même à un commencement d'exécution du vivant de l'Empereur, que celui auquel devait échoir le principal rôle, le roi Murat, se trouvait à Naples, poste singulièrement choisi pour conspirer à Paris.

L'importance même qu'on attribuait à ces commérages d'antichambre prouve combien on avait peu de faits sérieux à alléguer ; et si Napoléon en fit tant de bruit, c'est qu'en ce moment il lui fallait à tout prix des coupables afin de pallier le fâcheux effet de son retour précipité. Parmi les nombreux emprunts qu'il avait faits à l'époque des Césars, il n'avait eu garde d'oublier les délateurs. La dénonciation était un des grands ressorts du régime impérial ; elle était imposée comme un devoir à tous les fonctionnaires de l'Empire, depuis le sénateur jusqu'aux membres obscurs de l'Université[2]. L'Empereur avait en outre plusieurs polices occupées principalement à se dénoncer les unes les autres. Fouché, dont la charge consistait à surveiller les autres, était lui-même espionné de plus près que personne. L'Empereur connut bientôt, dans le plus menu détail, le secret de la réconciliation opérée entre son ministre de la police et le grand chambellan. Il arrivait à Paris dans cet état de mauvaise humeur ou plutôt de rage froide qui ne l'avait pas quitté depuis le jour où il s'était vu forcé de renoncer à faire prisonnière l'armée anglaise. Cette colère sourde s'était manifestée dès Valladolid par des torrents d'invectives contre les Espagnols, ses généraux, ses soldats, contre son propre frère. Ses calculs se trouvant d'accord avec ses sentiments pour lui conseiller de marquer son retour par un éclat, il n'eut aucun effort à s'imposer pour faire à Paris l'apparition d'un maître irrité parmi des serviteurs tremblants.

Embarrassé toutefois de formuler contre ces deux hommes des accusations sans preuves, il se borna à censurer l'ensemble de leur conduite politique ou à relever des faits qui étaient de notoriété publique, tels que les propos tenus par Talleyrand au sujet de la guerre d'Espagne. Dans un conseil composé de ministres et de grands dignitaires, il reprocha à Fouché ses ménagements calculés envers les vieux partis, le peu de vigueur de son administration, la direction presque factieuse qu'il imprimait à l'esprit public, car, à force de réussir dans l'art de tromper les peuples, Napoléon en était venu à considérer l'opinion comme une force dont les gouvernements réglaient à leur gré les mouvements. L'opinion était à ses yeux une sorte de valeur de circulation qui devait se fabriquer à la Préfecture de police. Cette administration disposant en effet sur toute la surface de l'Empire des nouvelles intérieures et étrangères, des renseignements de toute espèce, des journaux qui servaient à les propager, ayant le pouvoir souverain non-seulement d'altérer les faits, mais de les inventer au besoin, l'opinion, qui n'est autre chose que la résultante de tous ces moyens d'information réunis, ne pouvait être qu'une élaboration de la police. Ce raisonnement était des plus corrects, mais il supposait en outre une chose essentielle, c'était la foi du public aux éléments d'appréciation qu'on lui transmettait ; or, cette foi était déjà fort ébranlée.

Le plus gros de l'orage tomba sur Talleyrand. Depuis qu'on l'avait si étrangement chargé cc de l'honorable mission d'entourer de plaisirs et de surveillance 20 les princes espagnols détrônés, le grand chambellan jugeait de plus en plus sévèrement cette affaire d'Espagne à laquelle il se trouvait désormais associé malgré lui par le rôle le plus fâcheux. A toutes ses raisons, pour désapprouver une entreprise dont la folie révoltait son bon sens sinon sa moralité, étaient venues se joindre des disgrâces personnelles qui étaient bien faites pour ulcérer un esprit sensible au ridicule. Selon un bruit alors très-répandu à Paris, si Talleyrand n'avait accepté qu'à son corps défendant la mission de distraire les hôtes de Valençay, Mme de Talleyrand l'avait prise fort à cœur et avait secondé les intentions de l'Empereur bien au-delà des désirs de son mari. Ce bruit, vrai ou faux, n'avait pas contribué à réconcilier Talleyrand avec des plans qu'il n'avait approuvés que du bout des lèvres, et, selon l'usage, il s'était vengé de sa mésaventure par quelques-uns de ces mots charmants dans lesquels l'esprit n'était qu'une grâce ajoutée à la raison. Napoléon l'interpella violemment sur ces propos et sur d'autres censures qu'on lui attribuait ; il lui rappela, en l'exagérant, la part qu'il avait prise aux négociations avec Izquierdo, il lui reprocha d'avoir osé blâmer l'exécution du duc d'Enghien après l'avoir conseillée. Alla-t-il jusqu'à l'accuser de l'avoir conseillée par écrit ? On n'a sur cette scène fameuse d'autre témoignage que des souvenirs recueillis dans des conversations du duc de Gaète[3], ce qui est fort insuffisant pour faire autorité. C'est donc avec très-peu de raison qu'on a allégué ce mot comme une preuve sans réplique de la complicité de Talleyrand dans le meurtre du duc d'Enghien, car il n'est pas même établi que ce mot a été prononcé. A supposer que Talleyrand eût joué dans cette circonstance un rôle qui était contraire à la fois et à son caractère et à ses intérêts, il n'était pas assez novice pour en laisser une constatation par écrit ; et si un tel écrit avait existé, Napoléon n'eût pas été homme à s'en dessaisir.

Mais lors même que les paroles attribuées à Napoléon auraient été réellement prononcées, elles ne constitueraient qu'un témoignage de fort peu de valeur, si l'on considère que la moindre protestation de Talleyrand l'aurait perdu irrémissiblement et sans profiter en rien à sa justification. Quelle défense lui était en effet possible contre l'homme qui l'accusait ? Devant quel tribunal aurait-il pu le citer en calomnie ? Il savait au contraire tous les périls que pouvait lui créer un simple démenti. Il fallait, pour les braver, un courage dont les plus intrépides généraux de Napoléon se montrèrent eux-mêmes bien rarement capables. Talleyrand se tut. Il reçut, sans répliquer un mot et avec cette impassibilité froide qui était sa façon à lui d'avoir de la dignité, cette explosion de reproches mêlée de menaces et d'expressions insultantes. Imperturbable, attentif à ne donner aucune prise à la colère de son puissant adversaire, il s'étudiait à éviter le danger sans chercher à raisonner avec lui, comme l'homme en lutte avec un élément, et il le dominait de toute la hauteur de son calme. Quand ce fut fini, il s'inclina profondément et sortit. Napoléon, qui eût trouvé plaisir à le frapper en ce moment, éprouva une sorte d'impossibilité morale à le faire avec avantage à la suite d'une scène qui avait consterné tous ceux qui en avaient été témoins. Il se contenta de retirer à Talleyrand sa clef de grand chambellan pour la donner à M. de Montesquiou, mais l'éminent diplomate n'en garda pas moins sa charge de vice-grand électeur. Il dissimula son dépit sous les dehors d'une parfaite aisance, parut n'avoir conservé aucun souvenir des outrages dont il avait été l'objet, et se montra de nouveau aux Tuileries avec une attitude soumise, mais également éloignée de la contrainte et de l'empressement, comme s'il avait le sentiment que la cour ne pouvait exister sans lui, qu'il était un grand dignitaire-né, indispensable au pays sinon à l'Empereur.

Fouché garda ses fonctions de ministre de la police où l'on n'eût pas facilement remplacé cet homme précieux. Il avait sur ses concurrents plus jeunes l'avantage d'avoir trahi tous les partis depuis l'année 1793, et il commençait à méditer d'ajouter une trahison de plus à ses états de service. En revanche, la foudre impériale tomba sur une femme qui tenait à la fois au nouveau régime par des fonctions de cour, et à l'ancien par sa famille. Mme de Chevreuse avait échappé une première fois à l'exil, grâce à l'intervention alors toute-puissante de Talleyrand ; elle fut enveloppée dans la disgrâce de son protecteur et reçut l'ordre de s'exiler à quarante lieues de Paris. On lui reprochait quelques épigrammes féminines et un refus de remplir les fonctions de dame d'honneur auprès de la ci-devant reine d'Espagne : « Que les Luynes y prennent garde ! s'écria à ce propos l'Empereur S'ils m'échauffent la bile, je ferai réviser la confiscation des biens du maréchal d'Ancre, et il ne manquera pas d'héritiers pour leur réclamer ses dépouilles ! » Quant à Murat, protégé par l'éloignement, il prouva qu'un contre-coup affaibli de la colère du maître. Champagny reçut l'ordre de le réprimander au sujet des décorations de l'ordre des Deux-Siciles qu'il s'était permis de distribuer à des Français sans l'autorisation de l'Empereur, « ce qui était souverainement ridicule[4]. » Le ministre dut enjoindre en même temps à ce souverain de renvoyer sur-le-champ en France les hommes qu'il y avait enrôlés.

Après cette satisfaction donnée à la mauvaise humeur, aux ressentiments, à l'orgueil blessé, il était urgent de se préparer à cette guerre qu'on avait rendue à peu près inévitable. Lors même, en effet, que Napoléon aurait eu un désir sincère de la prévenir, ce qui n'était pas, il était bien tard pour revenir en arrière après les démonstrations provoquantes qui venaient de combler la mesure des griefs anciens ou récents du cabinet de Vienne. La circulaire adressée par l'Empereur aux princes de la Confédération du Rhin était une de ces menaces directes devant lesquelles une puissance ne peut plier sans perdre toute influence et tout prestige. Cette menace devait être d'autant plus sensible à l'Autriche qu'elle était le dernier terme d'une longue série d'humiliations, et que la cour de Vienne n'avait rien fait pour se l'attirer. Elle avait, il est vrai, continué sans bruit ses armements afin de mettre, ainsi qu'elle en avait avec raison allégué le droit et la nécessité, son état militaire en rapport avec celui de tous ses voisins, mais elle n'avait pas dépassé la limite de ses privilèges de puissance indépendante ; on n'avait à lui reprocher aucune démarche qui pût motiver l'éclat des manifestes de Valladolid. Napoléon lui-même était maintenant forcé de convenir avec ses confidents de la fausseté de ses accusations : « L'Autriche, écrivait-il à Eugène dès les premiers moments de son retour à Paris, ne fait pas de mouvements comme on l'avait cru ; il faut cependant se tenir alerte[5]. » « Comme on l'avait cru, » voulait dire comme il lui avait plu de le supposer pour avoir le prétexte de quitter l'Espagne. Mais, fondée ou non, la provocation était lancée, il fallait la soutenir ; il fallait surtout rejeter sur l'Autriche l'apparence des premiers torts, et c'est en quoi Napoléon excellait.

Il n'est guère de lieu commun historique plus répandu que celui qui consiste à imputer « à la folle agression de l'Autriche » la responsabilité de la guerre de 1809 ; il n'en est guère non plus de plus insoutenable et de plus faux. L'empereur Napoléon savait à merveille que, pour les esprits incapables de discernement, — ce qui forme l'immense majorité même parmi ceux qu'on appelle les gens d'esprit, — c'est toujours celui qui tire le premier coup de fusil qui est Fauteur de la rupture. Aussi n'a-t-il rien négligé pour accréditer ce thème des provocations autrichiennes. Ses démarches diplomatiques auprès d'Alexandre ont eu surtout pour but de prouver qu'il voulait éviter la guerre ; mais à ce moment il l'avait déjà rendue impossible à prévenir ; et l'on peut dire en toute vérité que jamais gouvernement n'y a été poussé par une nécessité plus inexorable que le cabinet de Vienne en 1809. On n'examine d'ordinaire à cette occasion que les arguties plus ou moins subtiles qui furent échangées dans les notes diplomatiques de la dernière heure ; c'est rabaisser le débat à des proportions puériles. La nécessité de la guerre de 1809 n'est pas sortie à l'improviste du choc de deux rivalités ; elle remonte à la paix de Presbourg, à cette époque où, par un indigne abus de la victoire, Napoléon avait, contre ravis de ses conseillers les plus sages, enlevé d'un seul coup à l'Autriche quatre de ses provinces et un quart de sa population.

Après ce traité inique et imprévoyant qui faisait à l'Autriche une condition de salut et une loi d'existence d'épier l'heure d'une revanche, Napoléon avait-il du moins essayé de regagner par de bons procédés l'amitié de cette puissance ? Il avait complété sa ruine en la contraignant par des menaces peu dissimulées à entrer dans le blocus continental. Il avait affiché à Tilsit l'intention de l'exclure de toutes les grandes affaires européennes. Lui qui n'aurait pas souffert que l'Autriche touchât à un village sur le Danube, il avait, sans la consulter, disposé successivement de la Prusse, du Portugal, de l'Espagne, de la Toscane, des États du pape et enfin de la Moldavie et de la Valachie, provinces situées sur les frontières autrichiennes, comme si c'étaient là des questions qui ne la regardaient pas, comme si l'Autriche était devenue étrangère à l'Europe, comme si de semblables énormités ne compromettaient en rien ni sa sécurité, ni ses intérêts, ni son honneur ! A des envahissements qui lui prédisaient si clairement le sort qui lui était réservé tôt ou tard à elle-même on avait ajouté d'intolérables offenses. Elle n'avait pas seulement été écartée d'Erfurt ; on avait répondu à une démarche courtoise par d'insolentes remontrances. Enfin, lorsque, pour se mettre à l'abri de tant d'avanies, elle avait commencé ses armements, on lui avait presque intimé l'ordre de les cesser ; on lui avait demandé de sanctionner par son approbation toutes les infamies qui avaient indigné l'Europe en reconnaissant le roi Joseph. Et aujourd'hui, après l'avoir poussée à bout, après lui avoir mis l'épée à la main par tant d'affronts successifs, on l'accusait de vouloir la guerre ! On ajoutait l'ironie à la mauvaise foi en lui reprochant de troubler' la paix du monde. On lui promettait toutefois sa grâce pleine et entière, à condition qu'elle consentirait à licencier ses troupes Si l'empereur François se résignait à subir ces dernières humiliations, autant valait pour lui signer dès lors sa propre déchéance.

Il fallait beaucoup compter sur l'ignorance et la crédulité pour espérer accréditer l'opinion que, selon une expression de Napoléon[6], l'attitude actuelle de l'Autriche envers la France était celle du loup avec l'agneau ; mais sous ce rapport il croyait tout possible et l'on doit avouer qu'il y était autorisé par le prodigieux succès de son charlatanisme. Il résolut en conséquence de garder désormais envers cette puissance une grande réserve apparente tout en poussant avec activité ses préparatifs de guerre et ses menées diplomatiques. Pour rendre la cour de Vienne responsable devant l'Europe de la rupture qu'il avait lui-même provoquée, il imagina une grande démonstration collective de la France et de la Russie, par laquelle ces deux puissances offriraient à l'Autriche de garantir son intégrité si elle voulait consentir au désarmement. Cette garantie d'intégrité était une formule bien mal choisie pour rassurer la cour de Vienne, car personne n'ignorait combien Napoléon en avait été prodigue envers la Turquie et combien peu elle avait porté bonheur aux Turcs ; mais après une offre aussi solennelle l'Europe ne pourrait plus douter de son ardent désir de conserver la paix. Et si l'Autriche intimidée venait à reculer à la suite de cette double démarche, si contre toute attente elle se soumettait pour éviter la guerre, Napoléon se disait qu'après tout il serait toujours temps de rendre cette défaite diplomatique presque aussi décisive qu'un désastre militaire.

Romanzoff, l'ambassadeur d'Alexandre et le défenseur de l'alliance française, système dont il se considérait comme l'inventeur, n'avait pas encore quitté Paris lorsque l'Empereur y revint. Napoléon le vit, il s'attacha à lui plaire ; il le combla d'attentions, de présents, de prévenances ; il s'efforça surtout de le pénétrer de ses idées politiques avant de le renvoyer à Pétersbourg Alexandre avait eu jusqu'ici tous les avantages de l'alliance, le temps était venu maintenant d'en payer le prix et de s'en montrer reconnaissant. Allait-on lui demander des sacrifices bien pénibles ? Non, ce qu'on voulait de lui c'était avant tout une démonstration énergique. Faite un peu plus tôt, cette démonstration aurait suffi pour ôter à la cour de Vienne toute idée de faire la guerre. Aujourd'hui encore on pouvait l'en détourner si on savait lui parler un langage qui ne laissât aucune place à l'équivoque, car un cabinet si connu par ses traditions de prudence n'oserait jamais entreprendre de lutter contre les armées réunies de la France et de la Russie. Il fallait donc appuyer les paroles par un déploiement imposant de force militaire, et si l'Autriche refusait de céder, elle serait écrasée par le simple rapprochement des deux colosses.

Rien de plus évident que ces propositions, et il était difficile de les contester ouvertement. On ne pouvait nier ni les engagements ni leur efficacité, et on n'avait que de très-faibles arguments à invoquer pour en éluder l'exécution. En revanche, les objections qu'on ne pouvait pas dire étaient aussi fortes que nombreuses. Alexandre avait eu mille preuves lue Napoléon ne s'était décidé à tenir les promesses de Tilsit que la main forcée par les embarras qui étaient venus compliquer sa situation ; il était donc dispensé de toute reconnaissance et n'avait à envisager que son propre intérêt. En quoi son intérêt lui conseillait-il d'intervenir pour mettre fin à des embarras qui lui avaient été si profitables ?

Il avait au contraire tout avantage à les voir augmenter. En adoptant cette conduite il ne faisait que mettre en pratique les maximes que Napoléon lui avait si souvent prêchées ; il sacrifiait « la politique de fantaisie » à la seule grande, à la seule vraie, à « la politique des intérêts. » Il était élémentaire de prévoir qu'un grand triomphe de Napoléon sur l'Autriche lui suggérerait immédiatement la pensée de reprendre ce qu'il avait donné. Mais ce n'était pas tout, l'empereur des Français montrait maintenant l'intention de porter un coup mortel à cette monarchie. Au profit de qui la détruirait-il ? Ce ne serait pas à coup sûr au profit de la Russie. A qui retourneraient ces possessions polonaises de l'Autriche qui dans les mains de Napoléon pouvaient devenir une arme si dangereuse contre la domination russe ?

Des préoccupations si naturelles dans la position d'Alexandre n'étaient pas faites pour lui inspirer des vœux bien ardents en faveur de notre cause ; mais il ne pouvait désirer non plus nous voir vaincus sans s'exposer à perdre le fruit de ses complaisances passées. Il ne s'était encore établi solidement ni en Finlande où ses troupes mal commandées avaient été plusieurs fois battues par les Suédois, ni dans les principautés que la Turquie, réconciliée maintenant avec l'Angleterre, s'apprêtait à lui disputer énergiquement, et si Napoléon venait à essuyer quelque grand désastre, Alexandre se verrait contraint de renoncer à ces provinces tant convoitées.

Combattu par des sentiments si divers, le czar ne pouvait adopter qu'une conduite équivoque et indécise, et cependant jamais l'occasion d'un plus beau rôle ne s'était encore offerte à lui. Aujourd'hui, et aujourd'hui seulement, il touchait enfin à ce moment qu'il avait toujours rêvé, il était en toute vérité « l'arbitre de l'Europe. » Napoléon semblait vouloir le proclamer lui-même par le bruit qu'il faisait du concours et des armées d'Alexandre. II semblait plus compter sur l'effet de cette menace que sur l'effroi qu'il inspirait lui-même. Nous ne pouvions plus rien en effet sans la permission du czar. Obligés de porter la guerre sur le Danube pendant que la moitié de nos forces était occupée sur le Tage, la folie de notre politique nous avait mis à sa discrétion. Il dépendait de lui de soulever le continent tout entier contre nous. L'Allemagne frémissante, travaillée sans relâche par ses mil e sociétés secrètes, n'attendait qu'un signal pour s'insurger du Hanovre au Tyrol. Le roi de Prusse était venu à Pétersbourg avec la reine (en décembre) ; il avait épuisé les protestations de dévouement ; il eût saisi avec une ardeur désespérée l'occasion d'une nouvelle lutte. L'empereur d'Autriche venait d'envoyer au czar (en février) le prince de Schwarzemberg pour tenter de le ramener à cette cause européenne qu'il avait désertée après l'avoir servie avec honneur. L'Angleterre ne demandait qu'à lui ouvrir les bras. La Turquie elle-même, qui venait de rompre bruyamment avec Napoléon après avoir enfin découvert toutes les trahisons qu'il avait tramées contre elle à Tilsit et à Erfurt, eût été facilement entraînée à combattre contre nous. Si l'on considère que tous les autres pays soumis à notre domination, la Hollande, la Suisse, l'Italie en étaient profondément dégoûtés, que nous avions alors deux cent cinquante mille hommes en Espagne, on est obligé de reconnaître qu'il y avait là tous les éléments d'une coalition de force à prévenir ou à briser toute résistance.

Ces éléments, Alexandre les tenait dans sa main et il pouvait d'un mot les déchaîner ; mais il le pouvait à une seule condition, à la condition de se montrer désintéressé ! En répudiant les bienfaits, il pouvait être ingrat non-seulement sans remords, mais avec la certitude d'être béni comme un libérateur et de laisser un grand nom dans l'histoire. Si sous la cendre refroidie de ses illusions de jeunesse, Alexandre avait gardé au fond du cœur quelque étincelle de ses ambitions premières, il dut sentir avec un amer regret qu'en négligeant cette chance inestimable pour s'assurer des possessions mal acquises, il se reniait une seconde fois lui-même et manquait à sa destinée. Par le plus juste des mécomptes il eut bien des sujets de se repentir de sa faiblesse, et lors de la guerre de 1812, et plus tard en se voyant frustré de la plus grande partie des dépouilles qui avaient tenté sa cupidité. Peut-être ce souvenir ne fut-il pas étranger à la mélancolie de ses dernières années. Mais lorsqu'un homme a eu l'occasion si belle et n'a pas su la saisir, il a pour toujours perdu le droit de se plaindre de la fortune.

Alexandre adopta un parti plus conforme à sa nature indolente et artificieuse. Ne voulant ni renoncer aux avantages que lui valait l'alliance de Napoléon, ni contribuer à la défaite de l'Autriche, il se décida à rester autant que possible simple spectateur du combat. Lorsque Caulaincourt lui fit part des désirs de son maître, il écarta habilement comme inopportune et dangereuse l'idée d'un manifeste collectif adressé à la cour de Vienne, mais il s'engagea à faire tous ses efforts pour la détourner de la guerre. Quant à sa coopération militaire, il n'en contesta ni le caractère obligatoire ni la convenance, mais il ne cacha point qu'elle devait se réduire à peu de chose par suite des embarras et des périls que lui avaient créés les présents incommodes qu'il avait reçus de son auguste allié. Il avait une guerre au nord avec la Suède, il allait avoir affaire au midi aux forces réunies de la Turquie et de l'Angleterre, c'était beaucoup pour un empire épuisé, dont l'opinion était d'ailleurs très-peu favorable à l'alliance française. Tout ce qu'il pourrait faire en notre faveur, ce serait de concentrer un corps d'armée sur les frontières de la Galicie. Ces promesses furent réalisées au moins en partie avec un zèle plein d'ostentation. La Prusse fut avertie qu'il fallait se résigner à se tenir en repos et qu'elle ne pouvait rompre avec la France sans rompre avec la Russie. Le prince Schwarzemberg reçut des déclarations qui n'étaient pas moins décourageantes. Il avait été chargé par sa cour de demander la main d'une sœur du czar pour l'un des archiducs ; on la lui refusa et on assaisonna ce refus des plus graves remontrances sur la conduite imprudente du cabinet de Vienne. Mais en lui prodiguant ces conseils et ces avertissements, Alexandre s'abstint de prendre envers l'Autriche l'attitude menaçante et résolue qui seule eût pu la faire reculer devant la guerre.

Ainsi échoua, comme il était facile de le prévoir, une intervention qui ne pouvait être efficace puisqu'elle ne pouvait être complétement sincère. Il est difficile de croire qu'un esprit aussi pénétrant que Napoléon ait beaucoup compté sur ce moyen de prévenir une rupture, alors qu'il semblait faire lui-même à Paris tout ce qu'il pouvait pour froisser et exaspérer l'Autriche. Depuis longtemps il affectait de ne plus adresser la parole à l'ambassadeur Metternich ; il faisait insulter la cour de Vienne dans ses journaux, provocations sur l'origine desquelles il était impossible de se méprendre depuis qu'on savait qu'ils étaient tous rédigés par sa police ; il ordonnait aux princes de la confédération du Rhin de mettre le séquestre sur les biens de tous les individus absents qui ne seraient pas rentrés dans le délai de trente jours (15 février) ; il leur prescrivait de faire prendre à leurs troupes des positions de guerre sur la limite de leurs territoires respectifs (21 février). Il ne songeait donc plus à la paix, ou si de faibles velléités de la maintenir traversaient par instants son esprit, c'était seulement lorsqu'il éprouvait quelques doutes au sujet de l'issue de la nouvelle aventure où il allait s'engager. Mais il se flattait d'entraîner Alexandre plus loin qu'il ne voulait aller, et se disait qu'après s'être compromis personnellement dans les négociations, le Czar n'aurait plus aucun prétexte pour lui refuser l'appui de ses armées.

Mais, trop habitué à se tenir en garde contre toute surprise pour compter sur un autre que lui-même, Napoléon avait fait tous ses préparatifs de guerre comme si ses troupes seules avaient dû entrer en ligne contre l'Autriche, et leur nombre égalait au moins, s'il ne le dépassait pas, celui des soldats que cette puissance avait mis sur pied. Il avait tout d'abord évalué à quatre cent mille hommes le nombre de soldats qui lui serait nécessaire pour la soumettre ; et dès le jour où il s'était décidé à cette brusque évolution, il avait pris à Valladolid même ses premières dispositions militaires. La garde avait reçu sur-le-champ l'ordre de rétrograder vers la France. Il avait également rappelé d'Espagne de nombreux régiments de cavalerie, plus utiles dans les larges plaines du Danube que dans ces régions montagneuses où ils n'étaient le plus souvent qu'un embarras. Il redemanda en même temps à Joseph quelques-uns des chefs les plus brillants de l'armée d'Espagne, entre autres Montbrun général de cavalerie incomparable ; Lasalle, une des jeunes illustrations de l'armée ; les maréchaux Bessières et Lefebvre, hommes d'exécution d'une bravoure éprouvée, mais plus utiles dans le combat que dans le conseil, et par conséquent mieux à leur place sous les ordres directs de Napoléon qu'en Espagne où les chefs, livrés désormais le plus souvent à eux-mêmes, allaient avoir à se diriger d'après leurs propres inspirations.

Un événement depuis longtemps attendu venai enfin de rendre disponible celui de tous ces généraux que Napoléon tenait le plus à rappeler auprès de lui. Le 20 février 1809, les habitants de Saragosse, à demi ensevelis sous leurs murs en poussière, vaincus par une horrible épidémie encore plus que par nos armes, rendirent au maréchal Lannes les débris fumants de leur cité, après une défense dont le souvenir vivra encore dans la mémoire des hommes lorsque depuis des siècles le nom des victoires les plus retentissantes de ce temps-là aura disparu dans l'oubli. Plus de cinquante mille hommes avaient péri pendant les deux sièges. Comme nous avions employé le plus souvent dans nos attaques la force mathématique de la mine et de la grosse artillerie, nos pertes étaient infiniment moins sensibles. C'était une raison de plus d'user d'indulgence envers les survivants. Le monde entier avait les yeux fixés sur eux et semblait comme interdit d'admiration. Ils avaient poussé le courage jusqu'à la frénésie, et quelques-uns la vengeance jusqu'à l'atrocité ; ils avaient montré tous les fanatismes confondus en un seul ; mais jamais ruines arrosées d'autant de sang ne furent plus resplendissantes d'héroïsme. Jamais soldats trahis par le sort des armes ne furent plus dignes du respect des vainqueurs. On regrette que Lannes n'ait pas su honorer son succès par une générosité égale au malheur de ces glorieux vaincus. Il traita les défenseurs de Saragosse comme une bande de brigands forcés dans leur repaire. En dépit d'une capitulation, très-sommaire il est vrai, mais formelle et signée de sa main, qui garantissait expressément « la sûreté des personnes et des propriétés z (art. vi), il fit exécuter deux des chefs qui avaient le plus contribué à la résistance, et abandonna aux excès de la soldatesque ce cadavre d'une ville morte.

Les historiens français ont toujours nié la réalité de cette capitulation dont l'existence est affirmée avec plus d'énergie encore par les historiens anglais et espagnols[7]. Ce qui est certain, c'est que le texte en fut imprimé intégralement dans la Gazette de Madrid, du 11 mars 1809, à la suite des représentations de la junte de Saragosse ; et on peut lire dans la correspondance du roi Joseph, à la date du 27 février 1809, un mot qui nous paraît trancher le débat : « Sire, écrit-il à son frère, j'ai reçu l'acte de reddition de Saragosse. Cet acte de reddition ne pouvait être que la pièce à laquelle nous faisons allusion, car on ne dresse pas d'acte pour une ville qui se rend à discrétion.

Quoi qu'il en soit, les défenseurs de Saragosse n'avaient pas besoin de capitulation. Ils devaient être à jamais sacrés pour quiconque portait un cœur de patriote ou de soldat. Cela est si vrai que le roi Joseph lui-même, dans le compte rendu officiel qu'il publia du siège, ne put s'empêcher de rendre hommage à leur courage, ce qui lui attira une dure réprimande : « Mon frère, lui écrivait Napoléon, le 11 mars, j'ai lu un article de la Gazette de Madrid qui rend compte de la prise de Saragosse. On y fait l'éloge de ceux qui ont défendu cette ville. Voilà en vérité une singulière politique ! Certainement, il n'y a pas un Français qui n'ait le plus grand mépris pour ceux qui ont défendu Saragosse. » C'est du moins là ce qu'il eût voulu, car ce grand exploiteur de la gloire en était venu à croire que l'honneur ou l'infamie n'existaient plus que par rapport à lui, et qu'on était voué à l'un ou à l'autre, selon les sentiments qu'on lui témoignait. Pour rétablir la balance, l'Empereur fit flétrir de l'épithète de lâche, en plein Moniteur, l'intrépide jeune homme qui avait été Pâme de cette immortelle défense : « Cet homme, disait le Moniteur du 2 mars 1809 en parlant de Palafox, est l'objet du mépris de toute l'armée ennemie qui l'accuse de présomption et de lâcheté. On ne l'a jamais vu dans les postes où il y avait du danger. » Et quelques jours plus tard : « on désespère de la vie de Palafox. Cet homme est en horreur à la ville[8]. » Trouvé mourant à Saragosse, Joseph Palafox fut, par son ordre, amené en France, puis enfermé au fort de Vincennes, où il resta prisonnier jusqu'à la chute de l'Empire, traité comme un malfaiteur pour avoir défendu la plus juste des causes. Ces ignobles représailles contre des vaincus qui étaient l'honneur de leur temps ont pour la plupart passé inaperçues, et ce serait commettre une étrange méprise que de supposer Napoléon capable d'avoir jamais éprouvé un regret quelconque au sujet de pareils actes ; mais lorsque, captif lui-même à Sainte-Hélène, l'auteur de tant de crimes faisait si grand étalage de son martyre et fatiguait l'Europe de ses lamentations à propos d'une bouteille de vin qu'on refusait à sa table, ne vit-il jamais passer dans ses souvenirs la stoïque figure du jeune défenseur de Saragosse ?

D'après tous ces faits, il est permis de supposer qu'en traitant les vaincus avec cette impitoyable rigueur, Lannes n'obéissait pas à ses sentiments personnels, mais à des instructions qui devaient répugner à un homme d'un si vrai courage. Cet épisode n'en reste pas moins comme une tache sur sa mémoire. En se rendant à l'appel de l'Empereur, Lannes ne lui apportait plus qu'une gloire ternie, et une vie dont les jours étaient déjà comptés.

Ces renforts, tirés de l'armée d'Espagne, n'étaient qu'une faible partie de ceux que Napoléon se proposait d'envoyer aux troupes qu'il avait conservées en Allemagne sous les ordres des maréchaux Davout et Bernadotte. Les deux conscriptions qu'il avait levées en septembre 1808, l'une sur l'année 1810, l'autre sur les hommes qui avaient échappé aux conscriptions des années précédentes, montant ensemble à cent soixante mille hommes, étaient encore presque intactes. Il les organisa sur-le-champ au moyen de ses cadres et de ses dépôts, espèce de gouffre toujours ouvert et susceptible de s'élargir indéfiniment.

Il porta ses régiments d'infanterie à trois mille hommes présents sous les armes, ce qui supposait un effectif de près de quatre mille ; ses régiments de cavalerie à mille hommes, ce qui en supposait douze cents. Les officiers lui faisant défaut pour commander à ces troupes de formation nouvelle, il eut recours à des mesures expéditives qui n'ont pas peu contribué à son renom de grand organisateur, mais que, selon toute apparence, la postérité citera avec moins d'admiration que la génération présente.

Il fit prélever, sur les jeunes gens de 17 à 18 ans qui étudiaient dans les écoles militaires, une sorte de conscription de faveur, en vertu de laquelle ces enfants purent anticiper sur les grades, mais en laissant anticiper sur leur sang. Il en prit cent soixante-huit à Saint-Cyr, autant à la Flèche, cinquante à l'École polytechnique, cinquante à celle de Compiègne. Ce résultat ne lui paraissant pas suffisant, il étendit l'opération à tous les lycées de l'Empire. Ces établissements étaient alors au nombre de quarante à dix élèves par lycée, cela lui faisait « quatre cents caporaux-fourriers à envoyer dans les régiments[9]. »

Il fallait songer à combler les vides produits dans les écoles militaires par cette ingénieuse exploitation. Il y avait peu à attendre, sous ce rapport, du zèle spontané des familles, car de semblables mesures n'étaient pas de nature à encourager les pères à y envoyer leurs enfants. Le génie organisateur de Napoléon trouva promptement le moyen d'y pourvoir. A l'époque de la campagne de 1806, il avait eu l'idée de former des compagnies de gardes d'honneur, spécialement destinées à l'enrôlement des fils de famille qu'on espérait entraîner par la perspective des faveurs impériales. Cette création, qui était surtout à l'adresse de l'ancienne noblesse, avait eu peu de succès. Napoléon la reprit sous une autre forme en substituant l'enrôlement forcé à l'enrôlement volontaire. Il ordonna, en conséquence, à Fouché c de lui dresser une liste de dix familles par département et de cinquante pour Paris, » en ayant soin de la composer des familles anciennes et riches qui n'étaient pas dans le système. Leurs enfants, âgés de plus de seize ans et de moins de dix-huit, seraient envoyés de force à l'École de Saint-Cyr : a Si l'on fait quelque objection, ajoutait l'Empereur, il n'y a pas d'autre réponse à faire sinon que tel est mon bon plaisir[10]. »

Ces derniers mots étaient la formule même de l'ancien régime ; mais il eût fallu remonter bien loin et réunir bien des époques néfastes pour y trouver rien qui égalât cet ensemble de mesures. On eût dit qu'elles avaient été systématiquement combinées par une main savante dans le but d'éteindre l'intelligence de la France en même temps que de tarir la source de ses forces vitales. On ne lui prenait plus seulement ces robustes générations de paysans et d'ouvriers qui étaient comme le corps de la nation, on s'attaquait au cœur et au cerveau ; on choisissait avec un soin jaloux, sur les bancs même du collège et des écoles, cette jeunesse d'élite, cette précieuse réserve qui était l'art, la littérature, la science, la civilisation de l'avenir, et avant que son instruction fût terminée on l'en arrachait dans sa fleur, et toute chaude encore des baisers maternels, pour l'envoyer à la boucherie des champs de bataille.

La France était saignée à blanc ; cependant ces deux conscriptions et ces recrues supplémentaires étaient-elles bien tout ce que le pays pouvait donner ? L’œil perçant de Napoléon ne tarda pas à découvrir de nouvelles catégories à ajouter à ces contribuables de l'impôt du sang. En ordonnant une levée de quatre-vingt mille hommes sur les quatre années antérieures à 1808, dont chacune en avait déjà fourni un pareil nombre, il avait porté leur contingent régulier à cent mille hommes ; or, n'y avait-il pas une flagrante injustice à n'en demander que quatre-vingt mille à l'année 1810 ?

Le principe d'égalité, si cher aux Français, exigeait impérieusement la réparation d'un abus aussi criant. Il augmenta donc la quote-part de l'année 1810, mais il l'augmenta de trente mille hommes au lieu de vingt, ce qui détruisit de nouveau l'équilibre, et lui permit de demander un nouveau supplément de dix mille conscrits, pour la garde impériale, aux années antérieures à 1810_ Loin d'avoir à se plaindre, elles se trouvaient encore favorisées, puisqu'on ne leur imposait qu'une contribution de dix mille hommes au lieu de quarante, chiffre nécessaire pour rétablir la balance. Mais cette faveur était d'un mauvais augure et les laissait sous le coup de nouveaux appels.

Toutes ces dispositions, Napoléon les prit et les fit exécuter sans même consulter le Sénat, auquel elles n'étaient d'ailleurs soumises, que par une violation formelle des constitutions de l'Empire[11]. Cette assemblée ne fut appelée à les sanctionner que lorsque l'Empereur était déjà aux prises avec les Autrichiens dans la vallée du Danube[12]. De telles mesures n'étaient en effet possibles, qu'à la condition d'être clandestines. Elles excitaient, dès lors, de graves mécontentements qui, chez les populations de l'Ouest, allaient jusqu'à la révolte, et qu'on étouffait sans bruit sous le nom de brigandage. Elles avaient pour complément indispensable cette atroce législation sur les conscrits réfractaires dont j'examinerai, en temps et lieu, l'esprit et les développements.

Grâce à ces levées de deux cent quarante mille hommes qui venaient s'ajouter aux armées d'Italie et d'Allemagne, Napoléon se trouva promptement en mesure de faire face aux troupes de l'Autriche. Il voulait que le prince Eugène pût entrer en campagne avec cent mille hommes, y compris le corps de Marmont qui occupait la Dalmatie, et lui ordonna de faire ses premières concentrations dans le Frioul ; il dirigea d'Erfurt sur Würzbourg l'armée du Rhin que commandait Davout. Il envoya Lefebvre à Munich pour y prendre le commandement du contingent bavarois qui montait à quarante mille hommes. Il prescrivit à Bernadotte, qui était à la tête du contingent Saxon-Polonais, de remplacer par des Polonais les garnisons françaises de Glogau, Cüstrin, Stettin et Danzig, et de se concentrer autour de Dresde pour observer la Bohème. Enfin, Masséna fut chargé d'organiser à Strasbourg, sous le nom d'armée d'observation du Rhin, un corps de création nouvelle qui devait se tenir prêt à marcher sur le Danube au premier signal.

Les princes de la Confédération du Rhin, dont les forces réunies dépassaient cent mille hommes, reçurent des ordres réitérés de porter leur effectif au grand complet. Obligés de s'armer contre la cause de leurs compatriotes, et témoins de la haine que notre domination excitait en Allemagne ces malheureux princes n'avaient pas même l'illusion de croire qu'en cédant à une douloureuse nécessité, ils y obéissaient du moins volontairement, et agissaient par eux-mêmes. On ne faisait rien pour déguiser le joug auquel ils étaient soumis, et partout leurs corps auxiliaires étaient commandés par nos généraux : les Saxons, par Bernadotte ; les Bavarois, par Lefebvre ; les Würtembergeois, par Vandamme que Napoléon imposa au roi de Wurtemberg, malgré des protestations trop motivées.

L'armée d'Italie devait rester sous les ordres d'Eugène, jeune homme brave et plein de zèle, mais sans passé militaire, chez qui une auguste parenté était censée suppléer à l'expérience et aux services. Quant aux divers groupes de l'armée d'Allemagne, ils devaient, après quelques tâtonnements, se subdiviser définitivement en sept corps d'armée sans compter la garde et la cavalerie de Bessières. D'après la propre évaluation de Napoléon[13], ces forces allaient se répartir de la façon suivante : Lannes devait avoir cinquante mille hommes ; Davout, soixante mille ; Masséna cinquante mille ; Lefebvre, quarante mille ; Augereau, vingt mille ; Bernadotte, cinquante mille ; le roi Jérôme douze mille ; ce qui, avec les vingt-deux mille hommes de la garde, et les vingt mille du corps de Bessières, formait un total de trois cent vingt-quatre mille soldats, et avec ceux de l'armée d'Italie de quatre cent vingt-quatre mille.

Les forces de l'Autriche qui semblaient, au premier abord, égaler au moins cette masse énorme, leur étaient en réalité très-inférieures, parce qu'elles se composaient en grande partie de milices qui ne pouvaient être, sans danger, opposées à des troupes régulières. Ces dernières, qui seules allaient former l'armée active, ne montaient pas à trois cent mille hommes, tout compris.

L'archiduc Jean devait attaquer le prince Eugène avec cinquante mille hommes en s'appuyant sur une insurrection toute prête à éclater dans le Tyrol ; l'archiduc Ferdinand devait menacer la Pologne Saxonne avec quarante mille hommes ; l'archiduc Chartes, enfin, avait sous ses ordres l'armée principale, et occupait la Bohême occidentale avec cent quatre-vingt mille hommes à portée de se jeter sur la Bavière. Deux autres détachements de dix à quinze mille hom-mes observaient l'un la Dalmatie, l'autre le Tyrol. Quant aux milices dont le nombre dépassait cent cinquante mille hommes, on les tenait en réserve aux environs de Vienne et en Hongrie comme une ressource désespérée.

Malgré l'infériorité de ses forces, le cabinet de Vienne avait sur nous un réel avantage s'il savait agir à temps : ses troupes étaient concentrées et les nôtres dans un fâcheux état de dispersion. Si l'on suppose Bonaparte au lieu et place de l'archiduc Charles, la partie n'eût pas été douteuse un instant ; en quelques marches il eût été au milieu de nos corps d'armée épars et les eût battus l'un après l'autre. Mais l'archiduc méthodique et timoré par nature, quoique général habile, éprouvait en outre pour le génie de son adversaire une admiration presque superstitieuse qui paralysait en partie ses facultés, et la lenteur autrichienne n'était pas propre à lui communiquer l'élan qui lui manquait.

Tout le monde sentait pourtant à Vienne la nécessité d'une prompte détermination si l'on voulait mettre à profit l'occasion qu'on avait cherchée. Les partisans de la guerre, Stadion, Gentz, Pozzo di Borgo, y redoublaient d'efforts pour en finir avec les dernières hésitations de la cour. Voulait-on attendre que Napoléon eût terminé ses préparatifs, lui donner le temps d'écraser l'Espagne, laisser l'enthousiasme allemand se refroidir et se décourager ? Que parlait-on des menaces de la Russie ? Ce n'était là qu'un vain épouvantail. Personne n'ignorait qu'Alexandre était seul dans tout l'empire à conseiller la paix, el que l'alliance française y était exécrée. Si l'on ne saisissait pas ce moment unique, il ne restait qu'une chose à faire : c'était de désarmer et de se soumettre, car on allait y être contraint par plus d'une nécessité. En dépit des nouveaux subsides qu'elle venait de recevoir de l'Angleterre, l'Autriche était ruinée par cet immense armement ; la victoire pouvait seule rétablir ses finances épuisées, et si l'on devait être vaincu, mieux valait succomber avec honneur sous les coups de l'ennemi de l'Europe que sous le poids d'une honteuse banqueroute après une défaillance plus honteuse encore.

Il est certain que, d'après les déclarations même du ministre des finances, le comte O'Donnell, les ressources de l'Autriche ne pouvaient plus suffire à l'entretien de l'armée et qu'il « fallait l'envoyer vivre ailleurs ou se laisser dévorer par elle. » Cette nécessité, moins pressante en France, commençait toutefois à s'y faire vivement sentir depuis que nos armées n'étaient plus nourries par la Prusse. Napoléon avait tenu par calcul de popularité à maintenir ses budgets à un chiffre invariable, indépendant du cours des événements comme une sorte de fait providentiel placé au-dessus des influences terrestres. Tous les ans, ou pour mieux dire toutes les fois qu'ils avaient à annoncer quelque entreprise de nature à effrayer le public, ses ministres venaient déclarer avec ostentation au Corps législatif « que les impôts ne seraient pas augmentés. » Les contributions de guerre, les confiscations, les saisies de marchandises anglaises, les aliénations de biens domaniaux dans les pays conquis, de biens nationaux en France, avaient, en effet, permis de tenir tant bien que mal cette promesse et de présenter des budgets à peu près en équilibre, grâce aux ressources cachées qui en couvraient après coup les déficits. Mais cette source longtemps inépuisable allait tarir sans un nouveau coup de cette baguette magique qui était l'épée de Napoléon. Non-seulement les dépenses avaient considérablement augmenté malgré les prétentions que le budget affichait à l'immuabilité, mais les recettes qui étaient censées suivre une progression ascendante avaient diminué dans des proportions encore plus fortes. Le produit des douanes atteint par le blocus continental avait subi une décroissance de plus de vingt-cinq millions ; le produit éventuel des aliénations de biens nationaux avait été réduit par suite du malaise général à une somme très-inférieure aux prévisions. Une douzaine de millions avaient été dissipés dans une lutte insensée contre la baisse des fonds publics, pour empêcher le cinq pour cent de tomber au-dessous de 80. Mollien évalue à un milliard la somme que cette fantaisie financière eût pu coûter à l'État si Napoléon n'avait été forcé d'y renoncer. Ces découverts, joints à quelques autres mécomptes moins importants, portaient à une cinquantaine de millions le déficit de l'année 1808, et cependant, soit en Prusse, soit en Espagne, nos troupes s'étaient presque constamment nourries aux dépens de l'ennemi.

Ce déficit, avec celui des exercices antérieurs non liquidés, s'élevait à près de cent millions, ce qui n'empêchait pas les ministres de maintenir imperturbablement leur budget au chiffre idéal de 730 millions. Or, d'après l'évaluation de Mollien, les dépenses du ministère de la guerre en 1808 montaient à elles seules à 380 millions[14]. Le trésor de l'armée était toujours l'infaillible panacée qui devait tout réparer ; lui seul, au fond, pouvait couvrir efficacement les avances de la caisse de service, car les ventes de biens domaniaux et nationaux, sur lesquelles on affectait encore de compter, devenaient elles-mêmes une ressource précaire faute d'acquéreurs sérieux. Son capital montait à environ 290 millions, mais près des deux tiers de cette somme, derniers termes des contributions à recouvrer sur la Prusse, ne devaient être exigibles que dans le cours des années 1809, 1810, 1811. Napoléon devait donc se trouver comme l'Autriche dans un délai très-court réduit à l'impossibilité matérielle d'entretenir l'innombrable armée qu'il venait d'organiser. D'autre part, les deux puissances se voyaient déjà dans l'impossibilité morale de désarmer. Il résulte de là que si la guerre n'était pas encore déclarée de fait, on peut dire qu'elle était commencée virtuellement.

Cette situation, sans autre issue qu'un recours aux armes, Ôte tout intérêt aux derniers pourparlers qui s'échangent entre les cours de Vienne et de Paris. La diplomatie n'est plus entre elles qu'une sorte de procédure convenue dans laquelle la forme ne sert plus qu'à déguiser le fond et à imprimer une marche régulière à un dénouement prévu. Metternich avait annoncé à Champagny dès le 2 mars que les mesures prises par Napoléon avaient contraint le cabinet de Vienne à mettre ses armées sur le pied de guerre, et le ministre français lui avait répondu par d'aigres récriminations qui auraient laissé peu d'espoir de rapprochement lors même que les griefs eussent été moins sérieux et les passions moins envenimées[15].

A partir de ce moment les deux gouvernements n'avaient plus songé qu'à achever leurs dispositions militaires. Masséna reçut l'ordre de porter son quartier général de Strasbourg à Ulm ; Davout dut s'avancer de Würtzbourg sur Ratisbonne ; Lannes dut concentrer son corps d'armée à Augsbourg. Napoléon, qui se rappelait les difficultés que lui avait créées le Danube dans la campagne de 1805, achemina vers ce fleuve un corps de 1500 marins destinés à lui ménager un passage rapide sur les deux rives. Le major général Berthier fut envoyé à Strasbourg avec l'ordre de presser par tous les moyens l'organisation et la marche des troupes en retard. Il devait centraliser l'armée à Ratisbonne ; mais, ajoutait Napoléon : « Donauwerth et la ligne du Lech est la position à occuper dans le cas où l'ennemi me préviendrait[16]. » En Italie, Murat reçut l'injonction de se porter sur Rome « avec la rapidité de l'éclair » pour y relever les troupes de Miollis envoyées dans la haute Italie, et pour « détruire ce foyer d'insurrection. » L'Empereur lui annonçait son intention de mettre fin au pouvoir temporel et de ne plus laisser au pape que son titre d'évêque de Rome, jugeant, non sans raison cette fois, que cette mesure longtemps ajournée passerait presque inaperçue au milieu des agitations de la guerre[17].

L'Autriche aurait pu nous attaquer avec un énorme avantage dès le 20 mars ; elle dépensa en fausses manœuvres le temps que Napoléon savait si bien utiliser. L'armée de l'archiduc Charles, concentrée en Bohême vers Pilsen, pouvait être en cinq marches à Ratisbonne au milieu de nos corps dispersés. Au lieu d'exécuter cette attaque hardie qui eût jeté le désordre et l'épouvante au milieu de nos cantonnements, il ne laissa en Bohême qu'un corps de quarante mille hommes sous les ordres de Bellegarde, et fit avec les cent quarante mille autres un long détour pour aller repasser le Danube à Linz et se présenter sur l'Inn conformément à la vieille routine des guerres autrichiennes. Il adopta, dit-on, ce plan malgré ses répugnances à la suite d'un long débat entre les généraux Grünn et Mayer dont fun tenait pour le premier projet et l'autre pour le second ; mais sa conduite n'en soulève pas moins d'objections puisque ces dissentiments donnaient plus de poids à l'avis du général en chef qui devait seul décider puisqu'il était seul responsable.

Dans un tel état de choses, les incidents nécessaires pour changer les démonstrations menaçantes en hostilités déclarées, ne se font jamais attendre ; ils se produisirent presque au même instant des deux côtés. Un officier français, porteur des dépêches de l'ambassade de Vienne pour la légation de Munich, mais, sans caractère officiel, fut arrêté à Braunau et tous ses papiers furent saisis et décachetés. A peu de jours de là dans une marche de Würtzbourg sur Ratisbonne, les avant-postes de Davout violaient le territoire de l'empire autrichien[18]. Napoléon n'eut pas plutôt appris l'arrestation de l'officier français, que, par mesure de représailles, il fit saisir sur toutes les routes les courriers du cabinet autrichien. Il n'en fallait pas tant pour consommer une rupture dont tous les actes préparatoires étaient depuis longtemps épuisés. Metternich demanda ses passe-ports, et le 10 avril au matin l'archiduc Charles franchit l'Inn avec son armée, pendant que le Tyrol, prenant feu avec la rapidité d'une traînée de poudre, s'insurgeait tout entier pour chasser les garnisons bavaroises.

Napoléon s'attendait à être attaqué, mais il ne pensait pas l'être avant le 15 avril, époque à laquelle il se proposait de rejoindre son armée sur le Danube. Mais le 10 avril, à la demande que l'ambassadeur autrichien fit de ses passeports, il comprit que l'entrée en campagne était imminente et télégraphia aussitôt à Berthier qui, selon ses suppositions, devait être encore à Strasbourg, d'opérer sur-le-champ la concentration de l'armée, non plus sur Ratisbonne mais sur Augsbourg et Donauwcerth. Dans une lettre du même jour, qui est devenue la base de toutes les accusations qui ont été formulées depuis contre le major général, il expliquait à Berthier sa dépêche et lui recommandait de nouveau « de tout reployer sur le Lech, c'est-à-dire d'Augsbourg à Donauwcerth, si les Autrichiens attaquaient avant le 15 avril. » Si l'ennemi ne faisait aucun mouvement, mais dans ce cas seulement[19], Davout devait se maintenir à Ratisbonne pendant que Masséna opérerait son mouvement d'Ulm sur Augsbourg. Mais en recevant l'avis du passage de l'Inn, Berthier avait quitté Strasbourg dès le 11 pour se rendre à l'armée, en sorte que la lettre et la dépêche de Napoléon ne lui parvinrent que le 16 avril à Augsbourg, alors que l'empereur lui-même était sur le point d'arriver au quartier-général. Berthier n'avait donc d'autre guide que ses instructions du 30 mars, écrites en vue d'un débouché des Autrichiens, non par l'Inn mais par la Bohême, et ces instructions prévoyaient bien l'éventualité d'une concentration sur le Lech, mais, « dans le cas où l'ennemi nous préviendrait », prescription un peu vague et susceptible de plusieurs interprétations différentes.

On pouvait dire, en un certain sens, qu'il ne nous avait pas prévenus, puisqu'après avoir dépassé l'Inn, il s'avançait lentement et péniblement sur l'Isar et n'avait pas encore atteint cette rivière derrière laquelle notre armée était déjà en partie concentrée. Davout occupait en effet Ratisbonne avec un corps qui allait monter à 60.000 hommes lorsqu'il aurait été rejoint par la division Friant encore en arrière, et les Bavarois étaient réunis au nombre de 40.000, partie à Landshut, partie à Neustadt. Cette position était toutefois dangereuse parce qu'on ne pouvait défendre efficacement la ligne de l'Isar, et que cette ligne, une fois forcée, Davout pouvait se trouver coupé du gros de l'armée encore à Augsbourg. Livré à ses propres inspirations, Berthier fit peu de chose pour prévenir ce danger ; il rappela même à Ratisbonne Davout qui l'avait déjà quitté pour se rabattre sur notre centre, et envoya à son secours les divisions d'Oudinot. Mais bien qu'il ait montré en cette occasion l'indécision ordinaire des hommes habitués à n'agir jamais par eux-mêmes, Berthier ne mérita pas tous les reproches qui lui furent prodigués, puisqu'il reçut les ordres de Napoléon trop tard pour les mettre à exécution.

Il était temps que l'empereur arrivât sur le théâtre des événements pour réparer les fautes de son lieutenant. Déjà un maréchal était allé jusqu'à accuser Berthier de méditer une défection[20]. Averti par le télégraphe du passage de l'Inn, le 12 avril à huit heures du soir, Napoléon quitta Paris dans la matinée du 13, et le 17 au matin il arrivait à Donauwerth, au point même où il avait voulu opérer la concentration de son armée. Il n'avait à proximité que les Wurtembergeois de Vandamme qui arrivaient à Ingolstadt, et le corps bavarois qui était cantonné de Geisenfeld à Neustadt. Davout était toujours isolé à Ratisbonne ; Masséna était encore à Augsbourg avec son corps d'armée et les divisions d'Oudinot qui devaient faire partie du corps de Lannes. Quant à la garde, elle avait à peine dépassé le Würtemberg. Notre armée s'étendait ainsi sur une longueur de vingt-cinq lieues, tournant le dos au Danube et faisant face à l'Isar, que les Autrichiens avaient franchi depuis la veille. Dans la journée du 16 avril, leur avant-garde s'était présentée sur l'Isar devant Landshut ; elle y avait engagé le combat avec la division bavaroise Deroy qui défendait la ville ; mais le passage de la rivière ayant été forcé sur deux autres points, Deroy s'était replié sur Neustadt. A la suite de cette affaire, l'armée autrichienne tout entière, moins le corps qui était resté sur la lisière de la Bohême, avait passé l'Isar à Landshut, à Moosburg, à Dingolfing, et s'avançait sur nous, menaçant de couper notre ligne par le milieu.

Les deux armées se trouvaient dès lors en présence, en nombre à peu près égal[21], dans l'espèce de quadrilatère irrégulier dont les deux côtés supérieurs sont formés par le Danube et les deux autres par l'Isar et le Lech ; mais celle qui était concentrée avait sur celle qui ne l'était pas un avantage inestimable. L'archiduc Charles, après avoir débouché par Landshut, pouvait en deux marches au plus, se porter à Obersaal sur le Danube, s'y établir entre le corps bavarois et celui de Davout, et les écraser l'un après l'autre avec la masse de son armée. Mais au moment de s'engager dans un pays couvert, coupé de marais, de bois, de coteaux, au milieu de corps ennemis dont il ne connaissait exactement ni la force ni la position précise, il se sentit repris plus fortement que jamais de ses scrupules de timidité ; sa lenteur, son indécision, ses tâtonnements sauvèrent une seconde fois notre armée d'un échec presque inévitable. Il poussa ses troupes dans trois directions différentes par les trois routes qui partaient de Landshut, mais comme s'il eût voulu observer plutôt que combattre. Les corps de Hiller et de l'archiduc Louis furent envoyés à Mainbourg et à Siegenbourg en face des Bavarois, un détachement de moindre importance alla reconnaître à droite la route de Ratisbonne, et l'archiduc Charles s'avança sur Rohr par la chaussée du centre. (18 avril.)

Autant ces mouvements étaient timides et mal assurés, autant ceux de Napoléon étaient précis, rapides et décisifs. Dès son arrivée, il avait compris l'inconvénient d'une ligne si étendue et la nécessité de concentrer son armée. Il s'était hâté, en conséquence, d'expédier à Davout l'ordre de se rabattre de Ratisbonne sur Neustadt en lui promettant d'aller à sa rencontre avec les Bavarois pour favoriser son mouvement. Il avait en même temps appelé Masséna d'Augsbourg sur Pfaffenhofen, où ce maréchal serait à la fois plus près du centre de l'armée et à portée de menacer Landshut, c'est-à-dire la ligne de retraite de l'archiduc. Au moyen de cette double marche, Napoléon retirait sa gauche trop avancée, et il portait en avant sa droite restée trop en arrière.

Le 19 avril de grand matin, Davout quitta Ratisbonne en y laissant seulement un régiment pour défendre le pont du Danube contre l'armée de Bohême. Sa cavalerie, son artillerie, ses équipages s'acheminaient par la route qui côtoie le Danube. Son infanterie prit par les hauteurs boisées qui dominent la route, d'Abach à Tengen. Cette marche exécutée le long du Danube et sur le front même de l'armée autrichienne était une opération des plus critiques ; elle offrait encore à l'archiduc Charles les plus grandes chances de séparer Davout de Napoléon. Mais au moment où Davout avait quitté Ratisbonne, l'archiduc avait quitté Rohr pour se diriger lui-même sur cette ville, et au lieu de prendre par la chaussée du Danube, ce qui lui eût permis de barrer le passage à Davout, il s'était jeté à droite et avait gagné Ratisbonne par Egloffsheim. Un seul de ses corps, celui de Hohenzollern, vint donner entre Saalhaupt et Tengen sur les divisions Saint-Hilaire et Friant. Après un combat très-vif, connu chez nous sous le nom de bataille de Thann, et chez les Allemands sous celui de combat de Tengen, ces deux divisions rejetèrent Hohenzollern sur Hausen, et Davout opéra sa jonction avec les Bavarois. (19 avril.)

Pendant ce temps, Masséna s'était de son côté avancé jusqu'à Freising, en sorte que notre armée s'était concentrée, tandis que celle de l'archiduc se disséminait. Les corps autrichiens éparpillés de l'Abens à Ratisbonne n'offraient plus aucune cohésion ; ils laissaient à Napoléon l'initiative dont ils n'avaient pas su profiter. Ils offraient à ses coups quatre groupes principaux. Hiller était à Mainbourg, déjà inquiet de la marche de Masséna sur ses derrières, l'archiduc Louis s'étendait de Siegenbourg à Kirschdorff, à trois ou quatre lieues de Mainbourg. A sept ou huit lieues de là aux environs de Ratisbonne, était l'archiduc Charles dont le corps le plus avancé était à Hausen et avait combattu la veille. Napoléon se détermina aussitôt à couper en deux cette ligne démesurément étendue afin d'en détruire ensuite les tronçons séparés. Il laisse Davout devant Hausen avec mission de contenir l'archiduc Charles pendant que l'empereur va se jeter avec le plus gros de ses forces sur l'archiduc Louis à Kirschdorff et à Siegenbourg. Lannes est envoyé â Rohr avec deux divisions afin de prévenir encore mieux toute communication entre les deux ailes ennemies. Ces mesures prises, Napoléon débouche par Abensberg avec les Bavarois et les Wurtembergeois sur Offstetteten et Kirschdorff ; il y culbute les avant-postes de l'archiduc Louis, puis il les refoule sur Rohr où ils sont reçus par Lannes qui achève leur déroute. L'archiduc Louis, attaqué lui-même à Siegenbourg par le général Wréde, se voit avec épouvante sur le point d'être tourné par sa droite ; il se replie à la hâte sur Pfeffenhausen. Il s'y réunit à Hiller qui s'y était rendu de Mainbourg et n'avait pu prendre aucune part au combat. (20 avril.)

Par suite de cette courte bataille où vingt-cinq à trente mille Autrichiens seulement avaient combattu, grâce aux fausses manœuvres du général en chef, l'armée ennemie se trouvait coupée en deux masses qui ne pouvaient plus se rejoindre. L'une était rejetée en désordre sur Landshut où elle courait grand risque d'être prise entre Napoléon qui la poursuivait par Pfeffenhausen, et Masséna qui arrivait par Moosburg et la rive droite de l'Isar ; l'autre était refoulée vers Ratisbonne, et Napoléon qui croyait cette ville encore occupée par les troupes que Davout y avait laissées, se flattait de lui faire essuyer un complet désastre.

Lorsque dans la journée du 21 avril, à la suite d'un troisième combat encore plus rapide que les précédents, Napoléon se vit maitre de Landshut que Hiller essaya sans succès de défendre contre l'attaque combinée de Lannes et de Masséna, il considéra l'armée de l'archiduc Charles comme irréparablement perdue. Elle ne pouvait plus en effet s'échapper que par Ratisbonne qu'on croyait encore en notre pouvoir, par Landshut que nous occupions, ou par Straubing où l'on pouvait espérer la prévenir. Quelque belles qu'eussent été ses manœuvres pendant ces trois journées, il s'en exagérait encore l'importance, mais il voulut surtout l'exagérer aux autres, selon sa constante habitude d'escompter ses succès à outrance afin d'agir plus fortement sur les imaginations. D'après une note qu'il fit imprimer à la date du 21 avril et répandre dans toutes les directions, « l'armée autrichienne avait été frappée par le feu du ciel qui punit l'ingrat, l'injuste et le perfide, elle était pulvérisée. Tous ses corps d'armée avaient été écrasés. Plus de vingt de ses généraux avaient été tués ou blessés ; un archiduc avait été tué et deux blessés. On avait plus de 30.000 prisonniers, etc. De cette armée qui avait osé braver l'armée française, bien peu de débris repasseraient l'Enns, etc. »

Toute la note était dans ce style. Ces forfanteries éhontées ternissaient l'éclat de victoires moins remarquables à coup sûr par leur résultat, quelque brillant qu'il eût été, que par les combinaisons pleines de génie qui les avaient préparées. L'armée autrichienne était loin d'être aussi pulvérisée qu'on voulait bien le dire. Sa séparation en deux masses était accomplie, mais l'archiduc Charles était maitre de Ratisbonne où il avait fait prisonnier le régiment que nous y avions laissé ; il avait attiré à lui une division de l'armée de Bohème, et, certain désormais de pouvoir opérer sa retraite au-delà du Danube par cette ville, il commençait à déborder aux environs d'Eckmühl, au moyen d'une attaque bien tardive, les corps de Davout et de Lefebvre, qui avaient été chargés de le contenir.

L'empereur, après avoir lancé la cavalerie de Bessières à la poursuite de biller, et confié à une partie du corps de Masséna la garde de Landshut, se mit en marche avec tout le reste de ses forces pour aller soutenir Davout. Il arriva à Eckmühl à deux heures de l'après-midi. Par une fantaisie stratégique qui est restée inexpliquée, l'archiduc, au lieu de renouveler son attaque avec tous ses corps réunis, n'avait laissé à Eckmühl que ceux de Rosenberg et de Hohenzollern. Il avait envoyé les autres battre la campagne dans la direction d'Abach, où il n'aurait dû concentrer que ce qui était nécessaire pour défendre la chaussée du Danube contre la cavalerie légère de Montbrun. Les corps établis à Eckmühl résistèrent avec une grande bravoure, malgré leur infériorité, aux assauts multipliés de Lannes, de Lefebvre et de Davout ; mais, après plusieurs heures de combat, Rosenberg, enveloppé de toutes parts et sans espoir de se voir appuyé, se mit en retraite sur Ratisbonne, laissant le champ de bataille couvert de ses morts. L'archiduc accourt avec sa cavalerie pour protéger ce mouvement rétrograde qui est suivi par l'armée entière. Les cavaliers autrichiens sont chargés par les nôtres qui les rejettent sur leur infanterie, mais la réserve du prince de Liechtenstein se précipite à son tour et engage avec nos cuirassiers un combat acharné qui dure jusqu'à la nuit (22 avril).

Napoléon jugea prudent de ne pas pousser plus loin la poursuite, et l'archiduc put regagner Ratisbonne à la faveur de l'obscurité. Il repassa le Danube sur deux ponts, dans la matinée du 23 avril sous les yeux de l'empereur, qui chercha avec peu de succès à entraver cette opération. Il réussit toutefois à forcer à temps l'enceinte de la ville pour faire prisonnière une partie de l'arrière-garde, peu nombreuse d'ailleurs, que l'archiduc y laissa.

Jamais le génie militaire de Napoléon ne s'était montré plus grand, plus sûr, plus fertile en ressources que pendant cette bataille de cinq jours dont les divers épisodes, Thann, Abensberg, Landshut, Eckmühl, Ratisbonne n'avaient été que le développement régulier d'une seule pensée, et où chacune des étapes destinées à rectifier de mauvaises positions, qui n'étaient pas son ouvrage, avait été marquée par une victoire. Rien n'y avait été donné au hasard, à cette tactique de casse-cou où l'on joue la fortune d'un pays pour obtenir un plus grand effet. D'une évolution rétrograde, toujours si difficile à exécuter en présence de l'ennemi, Napoléon avait su faire un mouvement offensif qui enfonçait le centre des Autrichiens et rejetait leur armée divisée sur les deux rives du Danube. Jamais position plus inextricable n'avait été débrouillée, éclaircie et victorieusement relevée avec plus de sang-froid, de suite et de fermeté. Cette entrée en campagne est un modèle de guerre méthodique, un chef-d'œuvre de hardiesse en même temps que de prudence ; elle est digne de tous points de la première campagne d'Italie. On n'en peut guère critiquer que les mensonges qui la déshonorèrent. Napoléon, dans son bulletin, s'attribua 60.000 prisonniers, ce qui, avec les 15.000 morts ou blessés au minimum, diminuait l'armée autrichienne de 75 à 80.000 combattants. D'après les calculs les plus probables, elle avait perdu au plus un quart de ce nombre, tout compris.

L'effet moral de ce magnifique début fut quelque peu atténué par les mauvaises nouvelles qui arrivèrent successivement d'Italie, du Tyrol et de la Pologne. En Italie, le prince Eugène, attaqué à l'improviste par l'archiduc Jean avant d'avoir pu concentrer son armée, s'était vu enlever son avant-garde à Pordenone et s'était ensuite fait battre complétement à Sacile. Il avait été ramené de là jusque sur l'Adige. En apprenant ces fâcheux événements, Napoléon avait reconnu, non sans une douloureuse surprise, que son adoption n'avait pas eu la vertu qu'on attribue au Saint-Esprit. Il avait bien pu faire du prince Eugène, jeune homme doué d'ailleurs de qualités excellentes, son fils et son lieutenant, mais non lui donner par surcroît le génie et l'expérience qui lui manquaient. Sa déception s'exhala en termes pleins d'amertume « Je vois avec peine, lui écrivit-il, que vous n'avez ni habitude ni notion de la guerre.... J'aurais dû vous envoyer Masséna et vous donner le commandement de la cavalerie sous ses ordres. En vous donnant le commandement de l'armée, j'ai fait une faute. Je sais qu'en Italie vous affectez de mépriser Masséna ; si je l'eusse envoyé, ce qui est arrivé n'aurait point eu lieu. Masséna a des talents militaires devant lesquels il faut se prosterner[22]. »

Il est certain qu'il eût été infiniment plus juste et plus habile de confier à ce grand homme de guerre un commandement auquel il avait tant de droits, que de l'employer sur le champ de bataille d'Eckmühl

à porter des ordres » comme un officier d'ordonnance, ainsi que l'empereur le constatait avec une sorte de vanité mesquine dans son premier bulletin mais à qui la faute, si ce n'est à celui dont l'infatuation se communiquait aux plus modestes ? Dans une autre lettre, Napoléon écrivait à Eugène : « Je reste à concevoir comment mes troupes ont été battues par cette canaille d'Autrichiens. Ils étaient 300.000 ici, je les ai toujours battus n'étant qu'un contre sept[23]. » Canaille d'Autrichiens, canaille d'Espagnols ; plus les ennemis de Napoléon devenaient redoutables, plus il affectait de les mépriser, comme s'il eût dépendu de lui de les rendre en effet méprisables, et de diminuer les obstacles en les dédaignant. De là ce ton de jactance et de présomption qu'il mit à la mode parmi ses généraux et qui, par la suite, ne contribua pas peu à leurs revers en leur inspirant une confiance aveugle en leur supériorité. Le mépris de l'ennemi encourage les coups d'audace, mais il engendre aussi des négligences et des illusions funestes, et l'on peut dire qu'il a fait perdre plus de batailles qu'il n'en a fait gagner. En imitant la gasconnade par laquelle on cherchait à le stimuler, et en réglant ses calculs sur ceux qui établissaient que l'empereur avait combattu un contre sept, Eugène aurait pu facilement transformer ses deux défaites en victoires éclatantes. Il est incontestable en effet que si, au début de cette série de combats, les positions de notre armée avaient été des plus défavorables, son nombre avait tout au moins égalé celui des troupes de l'archiduc Charles. On voit par toutes les lettres de Napoléon que Davout avait 60.000 hommes, les Bavarois unis aux Wurtembergeois n'en formaient guère moins de 50.000, le corps de Masséna, la cavalerie de Bessières, les divisions Oudinot en comptaient au moins autant, et leur nombre croissait d'heure en heure, tandis que l'archiduc n'avait pas eu plus de 130.000 hommes disséminés sur ces divers champs de bataille.

Napoléon songea un instant à donner à Murat le commandement de l'armée d'Eugène, mais l'arrivée de Macdonald au quartier général du vice-roi ne tarda pas à le faire renoncer à ce projet. Il était, d'ailleurs, évident que la retraite de l'archiduc Charles allait forcer l'archiduc Jean à rétrograder sur les Alpes Noriques. Eugène ayant désormais pour conseiller un général d'un mérite si éminent, pouvait suffire à la tâche de poursuivre et de harceler son antagoniste. En 1809, comme en 1805, l'impulsion de l'armée qui opérait sur le Danube, entraînait tous les corps qui cherchaient à agir sur ses ailes, et l'action principale dominait tous les événements épisodiques. L'archiduc Jean était irrésistiblement entraîné dans la déroute de son frère ; l'insurrection tyrolienne n'était plus elle-même qu'un hors-d'œuvre, malgré son brillant succès. Comme elle n'était ni placée sur la ligne directe de nos communications, ni capable de se mobiliser sous forme de force régulière, comme elle pouvait en outre être facilement circonscrite, sinon réprimée, on n'avait qu'à la laisser s'user sur place, en attendant que son isolement croissant et le contrecoup des grands événements de la guerre permissent de l'attaquer avec avantage. Lefebvre fut envoyé à Salzburg avec les Bavarois, pour empêcher les Tyroliens de déborder sur nos flancs. En Pologne, l'archiduc Ferdinand avait occupé Varsovie et refoulé Poniatowski au-delà de la Vistule ; mais son succès même l'entraînait plus loin qu'il n'aurait dû aller et ne pouvait avoir qu'une influence très-secondaire sur l'issue de la campagne.

Après avoir repassé le Danube à Ratisbonne, l'archiduc Charles avait repris le chemin de la Bohême-, pour venir, selon toute apparence, se rabattre à Linz ou à Krems, s'il pouvait y arriver à temps pour nous y devancer. Mais il était obligé de faire un long et pénible détour par Budweiss, tandis que marchant tout droit par la chaussée qui longeait la rive droite du Danube, nous avions mille chances d'occuper ces positions avant lui. Le corps de Hiller était, en effet, hors d'état de nous arrêter sur les divers affluents du Danube, parce que nous menacions, en les abordant sur toute leur étendue, plus de points qu'il ne pouvait en défendre. On ne doit pas chercher ailleurs les motifs qui décidèrent Napoléon à ne pas suivre l'archiduc en Bohême. Il y eût trouvé une route longue et difficile, des positions dont les gorges du Bœhmer-Wald rendaient l'accès dangereux, et il eût, en outre, été contraint de diviser ses forces. En suivant la chaussée du Danube, il allait plus vite par des chemins qui lui étaient mieux connus ; il gardait l'avantage de sa concentration, il avait la presque certitude d'atteindre Vienne avant son adversaire et de pouvoir exploiter ce grand effet moral que produit toujours l'occupation d'une capitale ennemie.

Déjà il avait lancé à toute vitesse son armée sur la route de Vienne. S'adressant à ses soldats, après la prise de Ratisbonne, pour les remercier de leur ferme attitude, il les félicitait « d'avoir glorieusement marqué la différence qui existait entre les soldats de César et les cohortes de Xerxès. » Rapprochement contestable s'il en fut, car l'Autriche était seule contre nous, et Napoléon avait réuni pour l'accabler les forces de plusieurs nations. Il avait pour lui le nombre et la masse ; et si quelqu'un rappelait Xerxès par l'orgueil et la démence de l'ambition, ce n'était pas, à coup sûr, le modeste archiduc. Malheureusement pour tout le monde, le nouveau Xerxès était doublé d'un autre Alexandre. L'ordre du jour impérial se terminait par cette prédiction hautaine : « Avant un mois nous serons à Vienne. » Il n'y avait plus, en effet, entre cette ville et nous, qu'une trentaine de mille hommes, à peine en état de retarder notre marche.

Hiller, après un retour offensif assez heureux sur l'Inn, avait en toute hâte repassé cette rivière, dont il n'essaya pas même de nous disputer le passage. Il résolut de nous arrêter quelque temps sur la Traun à Ebelsberg, dont les hauteurs couronnées par un vieux château, lui offraient des positions très-fortes. A peu de distance de là se trouvait le pont de Mauthausen sur le Danube, par lequel on supposait à tort que l'archiduc avait l'intention de déboucher pour rejoindre Hiller. Aussi Masséna, qui formait l'avant-garde avec son corps d'armée et la cavalerie de Bessières, donna-t-il sur-le-champ l'ordre d'attaquer, bien qu'on eût la certitude de faire tomber les positions autrichiennes en les tournant par Larnbach. Le général Cohorn emporte successivement le pont et la ville d'Ebelsberg, sous un feu épouvantable. Chaque maison est plusieurs fois prise et reprise au milieu de l'incendie qui consume la ville. Cohorn était sur le point de succomber, lorsque la division Legrand s'élance à son tour au milieu des cadavres calcinés. Nous enlevons alors le château et nous en restons définitivement les maîtres à la suite d'un des combats les plus sanglants et les plus acharnés dont il soit fait mention dans l'histoire de ce temps. Les Autrichiens se voyant tournés par Lambach où avait passé le corps de Lannes, se retirent après avoir détruit le pont de Mauthausen (3 mai).

L'armée continua son mouvement sur Vienne, laissant derrière elle dans les principales places, à Ratisbonne, à Passau, à Linz, de forts détachements destinés à protéger nos communications et à défendre le Danube contre un retour possible de l'archiduc. Le soin de surveiller le cours du fleuve avait été confié à Davout. Après avoir suivi l'archiduc jusqu'au pied du Bœhmer-Wald, ce maréchal s'était rabattu sur Straubing et fermait la marche de l'armée. L'arrivée attendue de Bernadotte à Ratisbonne allait avant peu permettre à Napoléon d'appeler à lui le corps de Davout.

L'archiduc Charles avait espéré nous devancer à Krems et s'y joindre à Hiller pour couvrir Vienne. Il ne tarda pas à renoncer à cette illusion. Elle lui était d'autant moins permise qu'il avait perdu beaucoup de temps à Budweiss en Bohème dans une complète inaction. Il ordonna donc à son lieutenant de repasser sur la rive gauche du Danube, ce que Hiller, serré de près par notre avant-garde, s'empressa de faire en détruisant le pont de Krems. Hiller laissa derrière lui un détachement chargé d'aller renforcer les milices viennoises qui se préparaient à défendre la capitale.

Le 10 mai 1809, l'armée française parut devant Vienne. La vieille ville avait encore l'enceinte bastionnée qui avait jadis résisté aux efforts des Turcs, mais elle contenait à peine un tiers de la population de la capitale, et ses vastes faubourgs étaient sans moyens de défense. L'archiduc Maximilien, chargé du commandement de la place, avait sous ses ordres une quinzaine de mille hommes de troupes régulières, indépendamment de la milice. Il sacrifia les faubourgs, se retrancha derrière les vieux remparts et rejeta fièrement les propositions qu'on lui fit de se rendre. Mais après un court bombardement, Napoléon ayant fait jeter quelques compagnies de voltigeurs dans l’île où est situé le Prater, l'archiduc, menacé de perdre ses communications, évacua la ville en toute hâte pour éviter d'être fait prisonnier avec son détachement ; et nos troupes firent pour la seconde fois leur entrée victorieuse dans Vienne.

Fidèle à sa vieille tactique d'exciter les populations contre les souverains, l'empereur recommanda, avec affectation, les habitants à l'humanité de ses soldats. Il déclara « prendre sous sa protection spéciale ce bon peuple de Vienne délaissé, abandonné, veuf, cette capitale que les princes de la maison de Lorraine avaient désertée, non comme des soldats d'honneur qui cèdent aux circonstances et aux revers de la guerre, mais comme des parjures que poursuivaient leurs propres remords. En fuyant de Vienne, disait-il, leurs adieux à ses habitants ont été le meurtre et l'incendie ; comme Médée, ils ont de leurs propres mains égorgé leurs enfants ![24] »

Cette mauvaise déclamation de tragédie à propos d'une tentative honorable et patriotique pour défendre la ville, ne pouvait plus tromper personne, mais plus les accusations devenaient insoutenables, plus on forçait le ton pour les faire accepter. On s'imaginait imposer aux autres, à force de violence, une conviction qu'on n'avait pas soi-même. Les épithètes d'ingrat, de lâche et de parjure revenaient à chaque ligne des bulletins et proclamations à l'adresse de l'empereur d'Autriche. En les entendant répéter chaque jour, la multitude ignorante des soldats avait fini par se persuader qu'en effet Napoléon avait dû, dans quelque circonstance inconnue, accabler ce prince de ses bienfaits avant de l'accabler de ses coups ; mais pour espérer accréditer cette invraisemblable légende chez les peuples qui avaient partagé la mauvaise fortune et les avanies infligées à l'empereur François, il fallait beaucoup compter sur la puissance du charlatanisme. Il fallait porter cette confiance jusqu'à la folie pour venir aux Hongrois, la main ouverte, en leur offrant « l'indépendance et la liberté[25] », quand cette main était encore toute rouge du sang des Espagnols. Il fallait la pousser au-delà de toute limite pour s'exprimer dans les termes suivants au sujet du noble et généreux Schill, en apprenant qu’il venait de soulever son régiment à Berlin, pour l'entraîner vers la Westphalie : Le nommé Schill, espèce de brigand, qui s'est couvert de crimes dans la dernière campagne de Prusse[26].

Jamais monarque asiatique, jamais idole humaine jetant ses oracles aux foules prosternées n'avait tranché avec une infaillibilité plus tranquille les grands problèmes du bien et du mal. Le bien n'était plus qu'une émanation de sa propre personne ; c'était tout ce qui servait ses desseins ; le mal, c'était tout ce qui les contrariait. Les actions des individus comme celles des peuples n'avaient plus d'autre critérium que l'intérêt de Napoléon. Telle était la morale simple et nouvelle qui s'étalait ouvertement dans les manifestes impériaux et qu'on enseignait à l'Europe à coups de canon. Napoléon commençait visiblement à croire qu'il n'aurait plus beaucoup d'efforts à faire pour lui inculquer cette doctrine. La prise de Vienne avait produit l'effet moral sur lequel il comptait. Les nouvelles des autres armées étaient redevenues excellentes. Le prince Eugène poursuivait avec des forces presque doubles l'archiduc Jean, forcé de se rabattre sur la Hongrie pour éviter d'être pris entre deux feux ; Lefebvre avait battu les insurgés dans le Tyrol et occupé Insprück ; Poniatowski avait repris Varsovie à l'archiduc Ferdinand, obligé de regagner les frontières autrichiennes pour se rapprocher de son frère. Encore un coup à frapper, et selon toute apparence cette monarchie faite de pièces et de morceaux allait tomber en dissolution. Dans l'exaltation de ses espérances, Napoléon jugea inutile de retarder plus longtemps l'exécution des mesures qu'il méditait contre la cour de Rome. Cette surprise, plus saisissante par les souvenirs qu'elle évoquait que par l'importance des changements qu'elle allait opérer, lui parut remplir convenablement l'intermède de son séjour à Vienne. Il était tout à fait dans son rôle d'homme du Destin, en donnant à un empire qui tombait le spectacle d'une domination déjà frappée.

Il lança, en conséquence, le 17 mai 1809, le décret fameux qui mettait fin au pouvoir temporel des papes. Il se plut à le dater « de son camp impérial de Vienne, » comme pour bien constater que le siège de sa souveraineté était partout où il lui convenait de l'établir. Il motivait, d'ailleurs, très-justement, la mesure, non sur ses griefs personnels, mais sur les abus qui ont résulté de tout temps de la confusion des deux pouvoirs spirituel et temporel. Mais sa folle infatuation se faisait jour dans le premier considérant, où il introduisait « Charlemagne, son auguste prédécesseur, empereur des Français, » et invoquait contre les souverains pontifes les termes de la donation carlovingienne. Cette exhumation gothique, qu'il croyait propre à augmenter l'effet, le diminua, en montrant dans quelles régions arriérées se complaisait son imagination. On ne pouvait, d'ailleurs, le croire sincère dans le jugement historique qu'il portait sur cc les évêques de Rome, » car leur histoire lui était suffisamment connue, alors qu'il restaurait leur pouvoir. Le souvenir de leurs iniquités ne l'avait nullement embarrassé lorsqu'il espérait profiter de leurs services. Il ne les renversait que parce que Pie VII ne s'était pas montré assez complaisant, et si le pouvoir qu'il leur ôtait devait accroître le sien, cette révolution légitime, dont il se faisait l'instrument, n'était plus qu'un fléau au lieu d'être un bienfait.

Le dispositif du décret contenait une particularité caractéristique. Il décidait que les revenus du pape seraient augmentés d'une rente annuelle de deux millions (art. 5). Cet appât, qu'on pouvait retirer à volonté, était destiné, dans la pensée de Napoléon, à maintenir la papauté dans le devoir par la crainte de perdre une si riche dotation. Voilà au juste quelle idée le nouveau Charlemagne avait de l'institution qu'il avait relevée et du pontife par qui il avait voulu être sacré. En cela, il se trompait grossièrement, mais on n'en doit pas moins tenir compte F dans un certaine mesure, de l'appréciation d'un esprit si prompt à pénétrer les faiblesses des hommes. Il est incontestable qu'il jugeait les prélats de la cour romaine, et le pape lui-même, capables d'accepter un pareil marché : « Vous avez vu par mes décrets, écrivait-il peu après à Murat, que j'ai fait beaucoup de bien au pape ; mais c'est à condition qu'il se tiendra tranquille. :0 On voit par ces paroles que ses rapports multipliés avec la cour de Rome ne lui avaient pas inspiré beaucoup d'estime pour ceux qui la dirigeaient.

Pendant que ces nouveaux incidents occupaient l'attention publique, Napoléon avait tout préparé pour en finir avec l'armée de l'archiduc Charles, dont il n'était plus séparé que par le Danube. Le passage des fleuves en présence de l'ennemi a toujours été considéré comme une des opérations les plus difficiles de la guerre ; celui du Danube, fleuve d'une largeur exceptionnelle, eût été impraticable sous le feu d'une armée si forte, sans les circonstances topographiques qui, aux environs de Vienne, en diminuent considérablement le danger. Resserré, rapide et profond jusqu'aux approches de cette capitale, le Danube, une fois arrivé là s'étend et se ralentit, embrassant dans son cours une multitude d'îles qui divisent ses eaux, de sorte que le courant présente, au lieu d'un obstacle unique, une série de bras assez étroits, qu'il est relativement facile de traverser. Deux de ces îles paraissaient surtout favorables à un passage : celle de la Schwarze-Lake, située en avant de Vienne et en face de Nusdorf, et celle de Lobau, située à environ une lieue et demie en arrière.

L'empereur fit faire des préparatifs de passage sur ces deux points ; mais les deux bataillons qu'il envoya prendre possession de la Schwarze-Lake, ayant été enlevés par les Autrichiens, il s'en tint, de ce côté, à de simples démonstrations et concentra tous ses moyens d'action sur la Lobau. Cette île a une largeur d'une lieue, une circonférence d'environ trois lieues, ce qui permettait d'y établir une armée à l'abri du canon ennemi. L'archiduc avait négligé de l'occuper ; on put donc s'en emparer facilement et établir en toute sécurité un pont sur le bras qui la séparait de nous et qui était de i beaucoup le plus long. Quant au bras qui la séparait de la rive gauche où se trouvait l'ennemi, comme il n'avait qu'environ cinquante-cinq toises de largeur, il était aisé de le franchir rapidement au moyen d'un pont volant, et la difficulté se trouvait réduite à celle que présente le passage d'une rivière ordinaire. L'obstacle était encore diminué par ce fait, que la Lobau forme autour du point où nous devions jeter le second pont, un demi-cercle rentrant qui permettait à notre artillerie de le rendre inaccessible à l'ennemi. Au moyen de ce grand pont placé à l'abri de toute attaque, de cette île qui pouvait servir à ses troupes de station et de place d'armes, du petit pont qui pouvait être jeté en deux ou trois heures, Napoléon se croyait assuré de faire déboucher son armée sur la rive gauche avant que l'archiduc, dont il ignorait la position précise, pût s'y opposer avec succès.

On venait, en effet, de lui annoncer qu'un corps d'armée autrichien avait fait une tentative de passage à Linz, pour tomber sur nos derrières, ce qui semblait indiquer que l'archiduc Charles avait tenté un mouvement rétrograde pour nous tourner, ce qui prouvait tout au moins qu'il avait divisé ses forces. L'empereur résolut de précipiter le passage, en dépit d'une crue menaçante du Danube, dont les eaux, grossies par la fonte des neiges dans les Alpes, ébranlaient surtout le pont principal établi sur des bateaux très- solides, mais avec des amarres insuffisantes. Dans l'après-midi du 20 mai, le pont volant fut établi en trois heures et le corps de Masséna prit position sur la rive gauche. Au-delà d'un petit bois où nos troupes mettaient pied à terre, s'élevaient à droite et à gauche deux jolis villages, Aspern et Essling, qui devaient bientôt ne plus offrir qu'un monceau de ruines. Les divisions Boudet, Molitor et Legrand s'y retranchèrent aussitôt avec une partie de la garde. Unis par un canal, traversés dans toute leur longueur par une seule rue transversale, offrant plusieurs bâtiments construits en grosse maçonnerie, ces villages formaient une sorte de front fortifié très-favorable à la défensive. L'archiduc continua à rester invisible ce jour-là ; il ne nous montra qu'une grosse avant-garde de cavalerie qui observa nos mouvements en battant la vaste plaine du Marchfeld. Le lendemain 21 mai, il se décida à attaquer Napoléon, avant que notre armée fût passée tout entière sur la rive gauche. La lenteur inexplicable de ses mouvements eût pu lui coûter cher. Heureusement pour lui, notre grand pont s'était rompu pendant la nuit. La réparation avait pris du temps, et Napoléon n'avait pu concentrer encore qu'une partie de ses forces.

L'archiduc s'avança contre nous très-tard dans la journée, avec environ soixante-dix mille hommes et trois cents pièces de canon, formant une ligne concentrique autour des villages d'Aspern, d'Essling et d'Enzersdorf, dans lesquels nos troupes s'étaient retranchées[27]. On ne peut pas évaluer à moins de quarante mille hommes les forces qui se trouvaient déjà réunies de notre côté clans cette première journée[28]. Cette grande infériorité numérique nous réduisait forcément à la défensive, mais les deux positions d'Aspern et d'Essling avaient été rapidement transformées en véritables citadelles et il n'était pas facile d'en chasser de pareils soldats commandés par des chefs tels que Lannes et Masséna. Masséna s'était enfermé dans Aspern ; il y reçut le premier choc de l'armée autrichienne. Assailli presque simultanément par les deux corps de Hiller et de Bellegarde, il soutient l'attaque avec vigueur, et son feu bien dirigé, fait subir des pertes énormes à ces masses resserrées dans un espace où elles ne peuvent se déployer. Bientôt cependant, les colonnes autrichiennes, vivement ramenées en avant, font plier la division Molitor et dans leur élan, elles emportent le village. Mais Masséna, retranché dans l'enceinte du cimetière, leur oppose une résistance que rien ne peut ébranler. Il lance sur leurs flancs la cavalerie de Marulaz et fait reprendre le village par la division Legrand.

Lannes gardait Essling avec la division Baudet ; il y repousse avec une aussi ferme contenance les assauts du corps de Rosenberg. Il lui cède d'abord le village d'Enzersdorf, qu'il renonce à défendre, vu le petit nombre de ses troupes ; mais toutes les fois que les Autrichiens s'avancent sur Essling, ils sont reçus par une pluie de balles et de mitraille qui les fait reculer en désordre. En présence de l'insuccès de cette double attaque sur nos deux ailes, l'archiduc Charles fait avancer sur notre centre le corps de Hohenzollern, soutenu par la cavalerie de Liechtenstein. Pendant que son artillerie couvre de boulets les deux villages, Hohenzollern pénètre dans l'intervalle qui les sépare. Bessières fond sur ces nouvelles colonnes à la tête de toute notre cavalerie. Il s'efforce en vain d'entamer leurs rangs ; mais il les arrête, puis il les dépasse et va charger les batteries autrichiennes. Mais déjà les escadrons de Liechtenstein, accourus au galop, sont engagés avec les nôtres dans une mêlée furieuse. Le général des cuirassiers d'Espagne tombe frappé à mort ; les charges se succèdent des deux côtés sans amener de résultat décisif. Nous perdons toutefois du terrain, et nous sommes peu à peu refoulés dans la presqu'île que le rentrant du Danube forme au-dessous d'Essling. Pendant ce temps, Bellegarde et Hiller ont recommencé, avec une nouvelle énergie, leur attaque contre Masséna. Cette fois nos troupes sont culbutées et le cimetière lui-même tombe au pouvoir de l'ennemi ; mais Masséna revient à la tête des divisions Carra Saint-Cyr et Legrand ; il réussit à reprendre une moitié du village, à la suite d'une lutte acharnée.

La nuit approchait : l'archiduc fit suspendre le combat. Avec un effort de plus, il aurait vraisemblablement poussé l'armée française jusqu'au Danube. Mais ce prince, d'ailleurs excellent général, n'avait rien de cette obstination à outrance qui arrache à la fortune les faveurs qu'elle hésite à accorder. Il avait dans sa manière de faire la guerre quelque chose de la nonchalance du grand seigneur ; il s'y piquait d'une courtoisie excessive, et y apportait des procédés qui eussent été plus à leur place dans un tournoi. Il semblait considérer comme un manque de goût ou de générosité de pousser jusqu'au bout ses avantages, faute capitale avec un ennemi si attentif à tirer des siens tout ce qu'ils pouvaient donner. Son âme froide, lente et méthodique, était étrangère à cet implacable acharnement qui ne pardonne pas à un adversaire, qui n'admet ni ménagements ni transactions et finit toujours par maîtriser les événements, car la victoire se donne bien plus souvent à celui qui a le plus de volonté, qu'au plus habile. Déjà au début de la campagne, il avait à propos d'un échange de prisonniers accablé son vainqueur de compliments exagérés qui n'eurent d'autre réponse qu'un dédaigneux silence. Il manqua, dans cette première journée, l'occasion de faire expier à Napoléon une des plus graves imprudences de sa carrière militaire. Si, en effet, notre armée s'était vue forcée de combattre en nombre insuffisant, cette faute ne pouvait être imputée qu'à la témérité d'un plan indigne du génie de l'empereur. La crue extraordinaire du Danube laissait assez prévoir la rupture du grand pont. Avec plus de prévoyance et plus de ménagements pour la vie de ses soldats, Napoléon aurait fait dès lors ce qu'il fit plus tard, il n'aurait opéré le passage sur la rive gauche qu'après avoir réuni dans la Lobau, à l'abri des accidents du grand pont, toutes les troupes nécessaires pour assurer la victoire.

Il était malheureusement un peu tard pour reconnaître cette vérité, dont la journée du lendemain fut la confirmation éclatante. Des troupes en nombre considérable passèrent pendant la nuit ; c'étaient les quatre divisions du corps de Lannes, deux brigades de cavalerie, la garde qui comptait vingt-deux mille hommes au début de la campagne et qui n'avait pas combattu jusque-là Ces forces atteignaient-à un chiffre au moins aussi élevé que celui des troupes qui avaient combattu la veille, ce qui, défalcation faite des pertes, ne permet pas d'abaisser le total au-dessous de 75 à 80.000 hommes ; mais le grand pont se rompit de nouveau pendant la nuit, et une partie de notre artillerie resta en arrière, sur la rive droite, avec le corps de Davout. Les communications furent rétablies de grand matin, et le défilé recommença, mais après avoir subi un retard des plus fâcheux.

Le 22 mai, vers trois heures du matin, les deux armées qui avaient bivouaqué, en présence l'une de l'autre, avaient déjà repris les armes. La fusillade commença avec le jour dans Aspern, occupé moitié par les Français, moitié par les Autrichiens. Soutenu par des troupes fraîches, Masséna attaque à la baïonnette les régiments de Hiller et de Bellegarde, qui ont pris position dans le village ; il leur enlève successivement le cimetière et l'église, puis les refoule sur leur ligne de bataille. Essling, toujours confié à la division Boudet, n'essuie encore qu'une violente canonnade. Comme la veille la ligne ennemie forme autour de nous, d'Aspern à Enzersdorf, un vaste demi-cercle, dont tous les feux convergent sur notre centre. Mais cette fois Napoléon n'est plus réduit à l'immobilité qui lui a causé tant de pertes le jour précédent. Il a résolu de percer au centre cette ligne trop étendue pour être bien solide, et c'est Lannes qu'il a chargé de porter à l'archiduc ce coup qui doit couper son armée en deux.

Nul n'était plus capable que ce chef intrépide de comprendre et d'exécuter cette grande manœuvre. Lannes débouche entre les deux villages, avec une masse irrésistible formée par les deux divisions d'Oudinot, celle de Saint-Hilaire et plusieurs divisions de cavalerie, sous les ordres de Bessières. Ses colonnes trop profondes font d'abord de grandes pertes, mais elles se déploient en chemin et marchent tout droit sur Breitenlée où se trouve le quartier général de l'archiduc. Le corps de Hohenzollern, qui s'efforce de nous barrer le passage, est à demi renversé ; il se replie sur Breitenlée en recevant avec bravoure les charges de notre cavalerie. La ligne d'artillerie, dont le feu a fait dans nos rangs de si cruels ranges, est rompue. Lannes continue à s'avancer sur le centre autrichien où l'archiduc, accouru un drapeau à la main, rallie ses soldats et déploie ses réserves de grenadiers. Déjà quelques-uns de nos escadrons viennent charger jusqu'à Breitenlée, lorsque Lannes, à sa grande surprise, s'aperçoit qu'il n'est pas soutenu. Le centre de l'archiduc a reculé devant nous, mais si nous allons plus loin, ses ailes vont se rabattre sur nos flancs dans l'espace que nous laissons à découvert. Bientôt le maréchal reçoit l'ordre de rétrograder sur Essling. Napoléon vient d'apprendre que le grand pont s'est rompu de nouveau. Il est forcé de renoncer à l'appui de Davout, et la nécessité de garder ses communications avec l'île Lobau le fixe aux positions d'Aspern et d'E5sling. Les deux ailes de notre armée restant dans l'immobilité, le mouvement de Lannes n'était plus qu'une manœuvre excentrique qui.ne pouvait aboutir.

Il est certain toutefois que si le mouvement de Lannes avait jeté l'ennemi « dans la plus épouvantable déroute, » comme Napoléon l'assura dans son bulletin et plus tard dans ses notes sur la bataille d'Essling, l'empereur n'aurait pas hésité à compléter cette déroute par un mouvement de toute l'armée, au risque d'exposer ses communications, car cette crainte ne l'a jamais arrêté lorsqu'il a cru toucher au succès. La manœuvre de Lannes avait été brillamment exécutée, mais elle ne pouvait s'achever qu'au prix de longs et sanglants efforts, qui eussent exigé la présence du corps de Davout. Déjà la nouvelle qui nous oblige à la retraite commence à se répandre dans les deux armées, elle consterne nos soldats et ranime l'ardeur de nos adversaires. Lannes se replie pas à pas sur Essling, serré de près par les troupes que tout à l'heure il chassait devant lui. Dans cette marche rétrograde, un des généraux les plus braves et les plus estimés de l'armée, Saint-Hilaire, est mortellement blessé. L'ennemi s'efforce en vain d'-ébranler les trois divisions que Lannes ramène à Napoléon, mais il a reformé sa ligne d'artillerie, et ses boulets font d'affreuses trouées dans nos rangs.

La bataille désormais sans combinaisons pour nous, se trouvait ramenée aux conditions de celle de la veille, c'est-à-dire à une défensive opiniâtre derrière les maisons croulantes des deux villages d'Aspern et d'Essling. Vivement attaqués par les colonnes autrichiennes, qui sentent la nécessité d'un effort suprême pour saisir la victoire, ces deux réduits sont de nouveau pris, repris, disputés pied à pied, au milieu de mille scènes de confusion, de désespoir, de car nage. Les maisons, les rues sont encombrées de cadavres ; partout les blessés du jour tombent sur les morts de la veille. Essling-est emporté jusqu'à cinq fois par les Autrichiens, et cinq fois ils en sont chassés. Les attaques dirigées contre notre centre, où Lannes est venu reprendre ses positions du matin, ne sont pas plus décisives. Le corps de Hohenzollern et la cavalerie de Liechtenstein y retrouvent les divisions qu'elles viennent de combattre dans la plaine du Marchfeld ; elles ne peuvent forcer ce poste dont dépend notre salut, mais elles noms infligent sans le savoir une perte plus sensible qu'une défaite. Le maréchal Lannes tombe les genoux fracassés par un boulet. A ce moment, grâce à un élan d'une irrésistible impétuosité, Rosenberg a enfin réussi à se rendre maître d'Essling ; il en arrache les débris mutilés de la division Baudet et s'y retranche avec les réserves de l'archiduc. Déjà nos soldats sont refoulés vers l'étroite presqu'île où ils vont se trouver acculés sur le fleuve. Mais le général Mouton, le même que notre génération a connu sous le nom de comte Lobau, s'avance alors à la tête des fusiliers de la garde. Rien ne résiste à sa froide intrépidité ; il charge les Autrichiens à la baïonnette, et les rejette jusqu'à l’extrémité du village.

Cette dernière tentative a découragé l'ennemi, qui se borne désormais à nous canonner à distance. N'ayant pas réussi la veille à nous forcer dans ces mêmes positions alors qu'il nous était si supérieur en nombre, il comprend qu'il doit renoncer à cette espérance aujourd'hui que nos forces sont presque égales aux siennes. Mais son artillerie, à laquelle la nôtre ne répond plus que faiblement, parce qu'on craint de manquer de munitions, multiplie les victimes dans nos rangs et prolonge les pertes de la bataille après la cessation du combat.

Les deux journées d'Aspern-Essling avaient été une des affaires les plus sanglantes du siècle et restaient sans résultat très-marqué pour l'un comme pour l'autre parti. Mais cette absence même de résultat était pour Napoléon un grave échec, et, sous ce rapport, la bataille d'Essling ne peut être comparée qu'à celle d'Eylau. Il était forcé de faire un mouvement rétrograde, d'abandonner cette rive gauche du Danube pour la possession de laquelle il venait de verser tant de sang, et par là même tout se trouvait remis en question. Il lui était défendu pour longtemps, sous peine de ridicule, de parler de la canaille autrichienne. L'archiduc Charles s'était montré dans cette seconde journée aussi vaillant soldat que brillant général ; mais il n'était plus en son pouvoir de réparer la faute qu'il avait commise la veille, pp la lenteur et la mollesse de ses attaques contre une armée alors peu en état de lui résister.

La nuit venue, Napoléon lit repasser ses troupes dans l'île de Lobau. Cette He lui offrait une sorte de camp retranché d'une force à peu près inexpugnable ; ses abords étaient couverts de batteries qui balayaient la rive gauche du Danube. Les divisions de Davout bordaient la rive droite. Eres allaient y donner la main au prince Eugène qui accourait à la tête de l'armée d'Italie. Les corps de Bernadotte et de Lefebvre gardaient le cours du fleuve depuis les environs de Vienne jusqu'en Bavière. Les approvisionnements de la Lobau étaient assurés, grâce au voisinage de la capitale autrichienne. On pouvait tenir là au besoin, plusieurs mois. Ce poste fut confié à Masséna, dont l'indomptable force d'âme n'avait jamais plus excité l'admiration de l'armée qu'au milieu des périls de ces deux journées. Au moment où Napoléon passait dans File Lobau, il aperçut la litière où gisait son vieux compagnon d'armes, Lannes, qu'on venait d'amputer. Il se précipita vers lui et le couvrit d'embrassements. Le lendemain il alla le voir dans une maison d'Ebersdorf où le maréchal avait été transporté. On dit que le mourant, revenu d'un long évanouissement précurseur du dernier sommeil, tourna vers lui des regards qui n'étaient plus ni d'un serviteur ni d'un ami, mais d'un juge. En présence du grand mystère qui dissipe les illusions humaines, et ne voulant plus ménager que la vérité, Lannes repoussa des consolations dont il connaissait tout le néant. Il se répandit en plaintes amères contre l'ambition, l'insensibilité du joueur effréné pour qui les hommes n'étaient plus que cette petite monnaie qu'on expose sans scrupule et qu'on perd sans remords. Lannes avait été républicain ; il était resté un patriote ardent ; plus d'une fois il avait déplu au maitre par la hardiesse de ses censures, et montré un front désapprobateur au milieu d'une cour servile. Les paroles qu'on lui attribue à ses derniers moments n'ont donc rien que de très-conforme à son caractère, et les dénégations passionnées de Napoléon leur donnent un assez haut degré de probabilité. Mais l'entretien n'ayant pas eu de témoins avoués, on sera toujours réduit sur ce point à des conjectures plus ou moins vraisemblables[29].

Un massacre horrible d'au moins cinquante mille nommes tombés en une seule rencontre sans autre résultat que des bravades de bulletin ; la fortune de nouveau incertaine ; les nations inquiètes, agitées par un souffle de liberté et n'attendant qu'un signe pour courir aux armes ; Napoléon arrêté dans sa course et tenu en échec par un adversaire étonné de n'avoir pas été vaincu : tels étaient les incidents inattendus, émouvants que l'Europe suivait avec une attention pleine d’anxiété, les yeux fixés sur cette île obscure où ses destinées allaient bientôt se jouer pour la seconde fois. Pendant que les peuples se demandent quelle va être l'issue de ce grand duel, un nouvel acteur à déjà paru sur la scène. Tout au loin, à l'autre extrémité de l'horizon, sur les confins de cette terre des étonnements qu'on appelle l'Espagne, on distingue un pêle-mêle tumultueux qui se rapproche et grandit d'heure en heure. C'est l'armée de Wellington qui débouche du Portugal, chassant devant elle les légions de Soult.

 

FIN DU QUATRIÈME VOLUME

 

 

 



[1] Voir à ce sujet, dans le Journal de Stanislas Girardin, une conversation avec l'impératrice Joséphine à la date du 24 février 1809, écrite évidemment le jour même.

[2] Cette obligation était inscrite dans les statuts de l'Université (art. A6). En ce qui concerne les sénateurs, voir le 3e volume.

[3] Notamment par Méneval et par Thiers. Gaudin n'assista d'ailleurs pas plus à la scène que Mollien qui en parle également par ouï-dire dans ses Mémoires d'un ministre du Trésor (t. III). Mollien ne dit pas un mot de l'accusation relative au duc d'Enghien.

[4] Napoléon à Champagny, 2 ! janvier 1809.

[5] Napoléon à Eugène, 26 janvier 1809.

[6] Napoléon au roi de Würtemberg, 17 mars.

[7] Voir entre autres sur ce point l'Histoire du siège de Saragosse du général Rogniat. — La Défense de Saragosse, de Manuel Cavallero. — Robert Southey, History of the Peninsular War. — Toreno, — Enfin le Mémoire sur le second siège de Saragosse, par Pedro Maria Ric, le négociateur lui-même (dans la Coll. suppl. des Mém. relatifs à la Rév. française).

[8] Moniteur du 8 mars.

[9] Napoléon à Clarke, 8 mars 1809.

[10] Cette lettre, du 3 décembre, est de celles qu'on n'a pas jugé à propos d'insérer dans la Correspondance de Napoléon.

[11] Napoléon à Lacuée, 31 mars 1809.

[12] Dans la séance du 18 avril.

[13] Napoléon à Berthier, 8 avril.

[14] Mollien, Mémoires d'un ministre du Trésor.

[15] Pièces communiquées au Sénat, n° VIII et XIV.

[16] Instructions du 30 mars 1809.

[17] Napoléon à Murat, 5 avril.

[18] Ce fait est constaté par une lettre de Napoléon à Clarke, à la date du 5 avril.

[19] L'auteur de l'Histoire du Consulat et de l'Empire, commet ici une méprise en supposant que la dépêche était ambiguë et prescrivait à Berthier de laisser Davout à-Ratisbonne dans tous les cas. La lettre et la dépêche sont d'une parfaite clarté. On y dit à la vérité que Davout restera à Ratisbonne « dans tous les événements » ; mais la phrase qui précède : « Si l'ennemi ne fait aucun mouvement », ne laisse aucune place à l'équivoque.

[20] Général Pelet, Mémoires sur la guerre de 1809.

[21] Selon le général Stutterbeim, les forces que l'archiduc avait sous la main, montaient à 126.000 hommes, Histoire de la guerre de 1809.

[22] Napoléon à Eugène, 30 avril 1809.

[23] Napoléon à Eugène, 26 avril.

[24] Proclamation du 13 mai 1809.

[25] Proclamation aux Hongrois, 15 mai.

[26] Sixième bulletin.

[27] Deux de ses corps d'armée étaient, l'un près de Linz sous Kollowrath, l'autre devant Vienne sous l'archiduc Louis. En outre sa réserve était restée à Breitenlée.

[28] Je suis ici en contradiction avec toutes les relations françaises qui portent ce chiffre de vingt-cinq à trente mille. Il y avait de notre côté, en infanterie, les quatre divisions Boudet, Molitor, Legrand, Carra Saint-Cyr. Il faudrait expliquer par quel mystère impénétrable ces divisions, composées les unes de trois, les autres de deux brigades, c'est-à-dire formant les unes six régiments, les autres quatre, pouvaient se trouver réduites à cinq mille hommes en moyenne, lorsqu'on a constaté qu'au début de la campagne le régiment comprenait trois mille hommes présents sous les armes. Ces quatre divisions comprenaient seize régiments en totalité, c'est-à-dire 30 à 32 000 hommes au minimum, en admettant une réduction de mille hommes par régiment. Le même calcul doit être appliqué à la cavalerie, qui comptait quatre divisions formant de huit à dix mille cavaliers. Les deux divisions Lasalle et Maralaz comptaient à elles seules dix régiments de cavalerie qui, composés primitivement de mille hommes présents sous les armes, devaient en avoir encore sept à huit cents au minimum.

[29] Cet entretien a été reproduit d'après le récit des amis qui entouraient Lannes, par Cadet de Gassicourt, qui fut chargé d'embaumer le corps du maréchal. (Voyage en Autriche en 1809 à la suite des armées françaises.) Le démenti que lui donne à cet égard le général Pelet dans ses Mémoires sur la guerre de 1809, est sans valeur puisqu'il ne s'applique pas à la scène dont parle Cadet de Gassicourt, mais à la première entrevue du blessé avec Napoléon.