HISTOIRE DE NAPOLÉON IER

TOME TROISIÈME

 

CHAPITRE X. — IÉNA. - LE DÉCRET DE BERLIN.

 

 

Quelque profond, sincère et passionné que fût le mouvement national qui venait d'entraîner la Prusse à la guerre après les sanglants affronts que lui avait fait subir Napoléon, la situation militaire de cette puissance, autant que la redoutable activité de son ennemi, gui commandait une prudence extrême, malheureusement peu compatible avec les généreux emportements du patriotisme. La Prusse, pays de plaines sans fin, ouvert de tous côtés à l'invasion, mal distribué, fait de pièces et de morceaux, ne possédait presque aucune de ces grandes barrières naturelles à l’abri desquelles un peuple peut se retrancher comme derrière un rempart, et qui lui donnent le temps d'organiser une insurrection nationale lorsque ses armées ont été détruites. L'Elbe, le seul fleuve qui lui offrit une forte ligne de défense, ne pouvait être choisi comme barrière qu'à la condition qu'on abandonnât d'abord près de la moitié du royaume. Pour surcroît de malheur, l'armée française était à ses portes. Napoléon n'avait pas même à franchir la distance qui dans toute guerre entre les deux pays sépare d'ordinaire les combattants ; il avait déjà cent cinquante mille hommes tout transportés Sur la frontière prussienne en Franconie, en sorte que cet admirable soulèvement d'opinion qui eût pu donner à la Prusse trois cent mille soldats de plus, ne pouvait être utilisé faute de temps. Il allait même devenir un embarras et un danger pour elle en la poussant à commettre des imprudences irréparables, et à prendre une attitude offensive peu conforme à l'infériorité de ses forces. Par une conséquence non moins déplorable de la faiblesse et de l'indécision du roi, l'effectif de l'armée se trouvait au moment de l'ouverture des hostilités moins considérable qu'il ne l'avait été quelques mois auparavant. A la suite du traité du 15 février, le roi de Prusse, pour donner à Napoléon un gage de ses intentions pacifiques, avait licencié une grande partie de son armée, et bien qu'il se fût décidé à la rappeler sous les drapeaux dès le milieu du mois d'août, après de longues tergiversations, il n'avait pas encore réussi à la reconstituer entièrement. Il ne pouvait, d'après les calculs les plus certains[1], mettre en ligne contre Napoléon que cent vingt mille hommes au plus. Cette armée instruite, brave, disciplinée, animée des meilleurs sentiments, avait un défaut plus grave encore que son infériorité numérique, c'était celui de n'avoir jamais fait la guerre. On peut dire que les troupes prussiennes n'avaient pas combattu depuis la guerre de Sept ans, car la courte campagne qu'elles avaient faite contre nous au début de la Révolution n'avait guère été qu'une promenade militaire. Or on n'apprend la guerre qu'en la faisant : si cette maxime n'est pas d'une vérité absolue en ce qui concerne les grands capitaines dont le génie est inné et tient plus de l'inspiration que de l'expérience, 'elle est rigoureusement vraie en ce qui touche les soldats.

A cette armée sans expérience-on avait donné des généraux sans jeunesse et sans ardeur Le duc de Brunswick avait soixante et onze ans, le maréchal Mœllendorff et le général Kalkreuth soixante-dix ; Blücher lui-même, qui était un jeune homme pour l'impétuosité, comme le prince de Hohenlohe, son contemporain, l'était par la présomption[2], avait alors plus de soixante ans. Ces vieux compagnons du grand Frédéric étaient pour la plupart aussi désabusés que leurs soldats étaient confiants. Illustrés dès leur jeunesse par de glorieux services, passionnément dévoués à une patrie qu'ils avaient pour ainsi dire faite de leurs mains vaillantes, mais imbus d'idées stratégiques, qui, en cessant de se modifier selon les circonstances avaient peu à peu passé à l'état de routine, ils étaient en outre engourdis par l'âge et par un long repos ; ils ne pouvaient partager les illusions qui s'agitaient autour d'eux, mais ils n'osaient pas non plus les dissiper dans la crainte d'affaiblir le moral du soldat, en sorte que- l'armée prussienne offrait l'étrange spectacle de l'audace la plus téméraire commandée par la sénilité.

A la tête de la jeunesse accourue pour défendre et venger l'honneur national, on remarquait surtout le prince Louis de Prusse, l'ami de Mme de Staël et le neveu du grand Frédéric, jeune homme ardent et chevaleresque, adoré déjà pour ses nobles qualités. Il avait contribué plus que personne à relever l'esprit public et donna héroïquement sa vie -à la cause qu'il avait embrassée ; à côté de lui le prince Henri, et cette reine si belle et si touchante que Napoléon a immortalisée par de lâches outrages. A l'exemple de Marie-Thérèse, la reine Louise avait voulu animer par ses exhortations l'ardeur et le courage des soldats, mais présence au quartier général avait surtout pour objet de soutenir l'âme indécise du roi dont on craignait toujours quelque retour de faiblesse et de repentir. La cour presque tout entière l'avait suivie au camp, où l'on voyait encore des publicistes comme le baron de Gentz, et jusqu'aux partisans malheureux de notre alliance guéris un peu tard de leurs illusions, d'Haugwitz et Lombard. Des écrivains inoffensifs, des professeurs comme Arndt, des potes comme Kotzebue, appelaient la nation aux armes. Le philosophe Fichte, le défenseur ardent de la Révolution française, devenu l'ennemi non moins résolu du nouveau Césarisme dans ses discours et la nation allemande, avait demandé comme une faveur à être enrôlé dans l'armée prussienne ; mais on ne devait comprendre que plus tard Futilité d'un tel concours. La présence de ces femmes, de ces courtisans, de ces écrivains, de ces hommes d'État disait assez haut à l'armée qu'on s'identifiait avec elle, qu'on était prêt à partager, son sort, qu'on voyait en elle la personnification de la patrie elle-même. Mais- malgré la spontanéité et l'étendue de cet élan patriotique, soit qu'on ne connût pas encore toute la grandeur du danger, soit que le temps eût manqué pour généraliser et organiser le mouvement, cette première prise d'armes était principalement formée par les classes nobles et militaires qui ayant été depuis longtemps préparées à ce 'rôle, devaient naturellement se trouver en première ligne. Ce n'est que plus tard qu'on sentit la nécessité d'y faire entrer la nation tout entière. Pour le moment, cette population courageuse et dévouée, qui ne demandait qu'a partager les périls de ses défenseurs, était encore condamnée à rester simple spectatrice du combat. Là se trouve l'explication des malheurs de la Prusse en 1806 et de la rapidité inouïe de nos triomphes. La nature de son territoire accessible et vulnérable sur tant de points aussi bien que l'immensité des ressources dont disposait Napoléon, exigeaient dès lors que cette puissance fût plus qu'aucune autre une nation armée, et elle avait sur nos autres ennemis du continent cette grande supériorité, qu'il lui était possible et facile de le devenir. Mais c'est seulement de l'excès de ses maux et du cœur d'un patriotisme au désespoir que devait jaillir l'inspiration qui a donné à la Prusse sa forte et grande originalité parmi les nations modernes. Pour le moment la Prusse croyait encore que ses vieilles institutions militaires étaient une défense suffisante, et elle allait payer cher cette illusion.

L'armée prussienne avait été divisée en deux corps. Le premier, composé d'environ soixante-dix mille hommes et commandé par le duc de Brunswick, s'était porté de Magdebourg sur Weimar et Erfurt ; le second sous les ordres du prince de Hohenlohe avait pris par la Saxe et après y avoir rallié un corps de vingt mille Saxons, s'était rabattu sur la Saale vers l'entrée des défilés qui conduisent de Saxe en Franconie. Cette position, beaucoup trop avancée eu égard à la faiblesse numérique de l'armée prussienne et à la position que nous occupions nous-mêmes en Franconie, avait été adoptée principalement dans le but d'entraîner l'électeur de Hesse-Cassel, qui disposait de quinze à vingt mille hommes, et qui s'efforçait de maintenir sa neutralité fort compromise entre deux voisins si puissants. Pour venir plus vite à bout des hésitations de ce prince, le duc de Brunswick avait prolongé sa droite jusqu'à Eisenach, à l'extrémité de. la forêt de Thuringe qui couvrait le front de son armée sur une étendue de vingt lieues. Cette faute rappelait celle que Mack avait commise l'année précédente en s'avançant l'étourdie en Bavière. Comme les généraux de l'Autriche à cette époque, les Prussiens n'avaient aujourd'hui contre un tel adversaire qu'une seule conduite à tenir, c'était de choisir de bonnes positions défensives, et de s'y retrancher successivement de façon à donner à l'armée russe le temps d'accourir à leur secours. Si l'on tenait absolument à ne pas livrer à Napoléon l'entrée de la Saxe sans combat, on avait une première barrière à lui opposer dans la haute Saale[3], on en avait une seconde beaucoup plus forte dans l'Elbe ; enfin, à toute extrémité, on -pouvait se réfugier derrière l'Oder en abandonnant il est vrai h monarchie mais en sauvant l'armée, qui à son tour pourrait tout sauver. Telles étaient les sages résolutions qu'en ce moment même Dumouriez s'efforçait de faire prévaloir à la cour de Berlin avec l'autorité de sa vieille expérience militaire appuyée par les mémorables leçons de l'année précédente. Mais au lieu de se replier sur la rive droite de la Saale, l'armée de Brunswick resta campée entre ce fleuve et la forêt de Thuringe, dans une position presque découverte, et sans même prendre la précaution de garder les nombreux défilés par lesquels on pouvait l'aborder.

Napoléon était déjà prêt à profiter de ces fautes, mais il voulut que le nouveau coup qu'il allait porter aux puissances continentales en la personne de la. Prusse fût plus éclatant et plus terrible qu'aucun de ceux qu'il avait frappés jusque-là afin de leur ôter pour toujours l’idée d'une résistance. Jamais plus immense effort ne fut dirigé contre un État qui n'était après tout qu'un É-UA de second ordre, jamais lutte ne s'ouvrit dans des conditions plus inégales. Ses troupes destinées à opérer immédiatement contre l'armée de Brunswick s'élevaient dé son propre aveu, à près de deux cent mille hommes et au minimum à cent quatre-vingt-dix mille[4]. « J'aurai deux cent mille hommes sur le champ de bataille » écrit-il à Louis le 30 septembre. « Nous marcherons sur Dresde en un bataillon carré de deux cent mille hommes » écrit-il à Soult le 5 octobre, et il ajoute : « avec cette immense supériorité de forces je puis attaquer partout l'ennemi avec des forces doubles[5]. » Ces aveux méritent plus de confiance que les mensonges ordinaires des bulletins dans lesquels le lendemain de la bataille la proportion des deux armées se trouve invariablement changée en sens inverse.

Ces troupes, qui devaient opérer directement sous ses ordres, n'étaient en quelque sorte que le luxe et le trop-plein de l'innombrable armée qui sur tous les points de l'empire était prête à marcher pour les remplacer au besoin. Napoléon laissait derrière lui pour assurer ses communications les cinquante mille pommés de la Confédération du Rhin ; il avait à Wesel un corps de trente mille hommes sous les ordres du roi Louis. Ce prince devait faire dire dans les gazettes que ses troupes montant à quatre-vingt mille soldats, allaient envahir la Westphalie. Vingt mille hommes gardaient Mayence sous les ordres de Mortier. A ces forces se joignaient sur nos frontières du Nord et de l'Est douze mille gardes nationaux mobilisés et trente mille Conscrits. Brune restait chargé de la garde de nos côtes. Marmont avec vingt mille hommes concentrés à Zara en Illyrie, Eugène le vice-roi d'Italie, avec quarante mille hommes appuyés sur Venise et Palmanova, et pouvant au besoin se renforcer de trente mille hommes empruntés au roi Joseph, lui garantissaient la tranquillité de l'Autriche. Celle-ci d'ailleurs s'affligeait médiocrement des malheurs qu'elle prévoyait pour la Prusse. Ce vaste cercle de défense, qui embrassait déjà près de la moitié de l'Europe, était consolidé par une ligne de places fortes inexpugnables s'étendant d'Anvers à Braunau, c'est-à-dire de l'océan à l'Inn. Dans son ardeur à concentrer contre la Prusse toutes les ressourcés et tous les moyens dont il pouvait disposer, Napoléon songeait déjà à exploiter centre elle les illusions du patriotisme polonais, il organisait sous les ordres du général Zayoncbek, une légion polonaise destinée à opérer plus tard dans le duché de Varsovie[6]. En France, ne trouvant pas encore suffisant ce qu'il appelait le rendement de la conscription, il faisait appel aux volontaires, comme si ce mot pouvait avoir un sens sous un régime où il n'y avait pas une seule volonté en dehors de la sienne. Un corps de volontaires fut organisé sous le nom de gendarmes d'ordonnance de l'empereur. Comme on ne pouvait s'adresser ni à l'amour de la liberté ni même au sentiment patriotique pour le soutien d'une guerre que l'ambition seule avait faite, on s'adressa à la vanité des familles. Ce corps ne devait être composé que de jeunes gens riches pouvant s'équiper eux-mêmes et jouissant d'une pension de leurs parents. Le titre même qu'on leur donnait semblait leur promettre des rapports personnels avec l'empereur, c'est-à-dire des occasions précieuses de se distinguer sous ses yeux. C'était en un mot une inestimable faveur que de pouvoir seulement s'y faire enrôler, et le ministre de l'intérieur avait dû supplier l'empereur pour obtenir de lui qu'il daignât accorder à ces jeunes gens une distinction aussi marquée : « Les armées de S. M. disait-il, dans une circulaire, sont si nombreuses qu'elle n'a adhéré à ma demande que sûr mes instances ! » Il est inutile d'ajouter que cette circulaire était rédigée par Napoléon lui-même. Malgré l'irrésistible attrait de, cette promesse, le corps des gendarmes d'ordonnance fit peu parler de lui dans cette campagne. Le zèle des fils de famille devait être stimulé plus tard par des invitations qui furent plus efficaces mais qui leur enlevèrent toute espèce de titre au nom de volontaires.

En dépit de et s préparatifs dont l'immensité eût été suffisante pour écraser un ennemi beaucoup plus fort que ne l'était la Prusse, Napoléon semblait croire cette fois n'avoir jamais assez fait pour assurer la victoire. On eût dit qu'il lui était impossible de se contenter lui-même ; il pressait, il accumulait les mesures, les précautions, les armements, avec une sorte de frénésie d'activité, avec l'ardeur forcenée qu'il devait apporter dans un effort évidemment destiné, selon lui, à décider sans retour de l'empire du monde. Une fois la Prusse anéantie, que pouvait-il craindre désormais ?

La Russie seule restait sur le champ de bataille, il pourrait d'un mot la renvoyer dans ses déserts, et le reste du continent ne lui offrirait plus que des puissances soumises et tremblantes. La campagne qui s'ouvrait était donc l'événement capital de sa vie, la crise décisive de sa destinée. Sous l'empire de cette idée fixe qui la remplissait tout entière, cette âme toujours dominée par les circonstances du moment au point d'en perdre la Mémoire, alla jusqu'à se flatter d'entraîner l'Autriche à se prononcer contre la Prusse. C'est seulement à la veille de l'ouverture de la campagne que les sages conseils de Talleyrand revinrent à l'esprit de Napoléon.

Alors, seulement, il s'aperçut qu'il n'avait pas un seul allié, en Europe, sur lequel il pût compter ; il se dit chue les destins de la guerre étaient changeants, qu'une seule bataille perdue pouvait faire crouler ce gigantesque échafaudage qui ne s'appuyait en définitive, ni sur les principes, ni sur les intérêts, ni sur les passions, et qui n'avait d'autre soutien que son génie militaire. Sous l'influence de ces sages réflexions qui lui venaient un peu tard, il osa proposer à l'Autriche mutilée, à l'Autriche, encore saignante de toutes les bles3ures qu'il lui avait faites, de se joindre à nous pour écraser la seule armée qui lui offrît encore quelque chance de regagner une partie de ce qu'elle avait perdu. Feignant de ne pas croire encore à la guerre, bien qu'il fût déjà campé à Wurtzbourg, il écrivait à La Rochefoucauld, son ambassadeur, à Vienne :

« Je suis résolu à n'être plus l'allié d'une puissance aussi versatile et méprisable que la Prusse. Je serai en paix avec elle, sans doute, parce que je n'ai point le droit de verser le sang de mes peuples sous de vains prétextes. Cependant le besoin de tourner mes efforts du côté de ma marine, me rend nécessaire une alliance sur le continent... des trois puissances de la Russie, de la Prusse et de l'Autriche, il m'en faut une pour alliée. Dans aucun cas, on ne peut se fier à la Prusse, il ne reste que la Russie et l'Autriche.... J'ai estimé l'empereur d'Autriche, je le crois constant et attaché à sa parole ; vous devez vous en expliquer dans ce sens, sans cependant y mettre un empressement trop déplacé[7]. » est presque aussi difficile de croire cette

ouverture sincère que de penser qu'elle n'était qu'une comédie. 'Également blessante et cynique dans les deux hypothèses, elle fait peu d'honneur au tact politique de celui qui l'a imaginée, car elle ne pouvait produire qu'un mauvais effet.

Cependant l'armée française achevait son mouvement de concentration dans la haute Franconie, sur la lisière même de cette forêt de Thuringe, dont l'armée prussienne occupait le revers opposé. Nous n'avions eu pour opérer ce mouvement qu'à franchir les quelques étapes qui séparent la Souabe et le haut Palatinat de Würtzbourg et de Bamberg. Notre armée se développa de Kronach à Hilburghausen, menaçant tous les défilés qui allaient déboucher sur le front des troupes de Brunswick. C'est clans cette situation même que Napoléon devait chercher les éléments de son plan de campagne, et il n'y a pas même lieu de discuter l'hypothèse fantastique d'une marche en Westphalie, pour le plaisir apparemment de faire un détour de deux cents lieues et de se donner l'obstacle du Weser. Napoléon n'était séparé de l'armée prussienne que par cinq à six lieues ; il pouvait, à son choix, l'attaquer à droite par Eisenach et Gotha, ou à gauche par Hof et Schleitz. Dans le premier cas il refoulait les Prussiens sur leur ligne de retraite naturelle, c'est-à-dire sur la Saxe et sur l'Elbe, dans le second il les coupait de l'une et de l'autre, et il les coupait avec des forces tellement supérieures, que cette opération, toujours très-critique à nombre égal, n'offrait presque aucun danger pour lui dans les suppositions les plus désavantageuses, et équivalait au contraire, pour les Prussiens, à une destruction totale. Son génie le portait naturellement à ces opérations aventurées ; tourner l'ennemi, s'emparer de ses communications et commencer par la démoralisation une défaite qu'il allait bientôt achever par les armes, c'était là on peut le dire, sa manœuvre favorite, celle à laquelle il avait d'a ses plus éclatants succès, celle qui devait le perdre un jour ; et comment admettre qu'il allât se départir de cette tactique au moment où il pouvait s'en promettre des avantages plus décisifs que jamais ?

Averti des mouvements de l'armée française, le duc de Brunswick concentra son armée aux environs de Weimar ; il rappela à lui le corps de Hohenlohe ; mais il ne laissa que des avant-gardes aux débouchés de la forêt de Thuringe, oubliant la magnifique démonstration par laquelle Moreau avait si bien prouvé à Hohenlinden le danger d'une opération semblable à celle que nous allions entreprendre. Notre armée, obligée de se diviser pour franchir les défilés, put déboucher impunément en Saxe, par trois points différents, sur une étendue de près de quinze lieues, par Hof, par Saalbourg et par Grafenthal : or il n'est pas douteux que si Brunswick eût concentré tous ses efforts sur un de ces corps isolés, il n'eût gravement compromis le succès de nos opérations subséquentes. Pendant que Napoléon exécutait ce passage si important, Brunswick restait comme endormi à Weimar, et dans une inaction telle qu'il est sans intérêt d'examiner les différents plans de campagne qu'on lui a prêtés puisqu'il ne fit rien pour les réaliser.

Nos troupes se répandirent aussitôt sur les deux rives de la Saale, en appuyant surtout vers la droite, de façon à descendre la rivière parallèlement à l'armée prussienne. Un premier engagement eut lieu le 8 octobre à Saalbourg, entre un détachement ennemi et la cavalerie de Murat ; le lendemain, Bernadotte refoulait à Schleitz le général Tauenzien. Le 10 octobre Lannes, dont le corps d'armée formait note gauche avec celui d'Augereau, rencontra à Saalfeld l'avant-garde de Hohenlohe, commandée par le prince Louis de Prusse. Cette fois les deux adversaires étaient dignes l'un de l'autre, mais les positions étaient loin d'être égales.

Débordées dès le commencement de l'action, les troupes prussiennes ne purent tenir devant l'impétuosité de Lannes ; après une courte résistance, elles plièrent sur tous les points. Le prince, désespéré de cet échec, dont il prévoyait le fâcheux effet au début d'une campagne, arrête la déroute et ramène ses soldats. Il charge à plusieurs reprises à la tête de sa cavalerie ; il parvient un instant à rétablir le combat. Dans une de ces charges, emporté au plus fort de la mêlée, on l'aperçut, engagé corps à corps avec nos cavaliers, luttant à outrance en homme qui ne veut pas survivre à la d "faite, et refusant de se rendre après avoir vu tomber tous ses compagnons autour de lui. Un hussard, à la sommation duquel il répondit par un coup d'épée, lui passa son sabre au travers du corps. Ainsi expira, sur le seuil même de son pays envahi, ce généreux jeune homme qui semblait réservé aux plus hautes destinées. S'il ne lui frit pas donné de les remplir, du moins il ne vit pas sa patrie profanée par l'étranger ; il échappa au spectacle des humiliations sans nom, qu'un vainqueur implacable allait infliger à son pays et à sa maison.

Napoléon était à Schleitz. De là il porta son quartier général à Auma, puis à Géra (12 octobre) à peu près à la hauteur de la ville d'Iéna. Aux environs de cette ville étaient établis les avant-postes de l'armée de Brunswick, toujours campée entre Erfurt et Weimar, à quelques lieues plus loin. Notre marche en avant sur la rive droite de la Saale, où la cavalerie de Murat avait déjà atteint Naumbourg, éclaira enfin le vieux maréchal sur les intentions de Napoléon ; il comprit qu'on allait le séparer de la Saxe, le prévenir sur l'Elbe supérieure, peut-être même à Magdebourg, le point le plus essentiel de sa ligne de retraite. Il prit aussitôt la résolution de décamper avec le plus gros de son armée et de longer la Saale jusqu'à Magdebourg, en laissant en arrière le corps d'armée de Hohenlohe et celui du général Rüchel, avec la mission de rallier quelques détachements en retard. C'était diviser ses forces au moment où il allait avoir à combattre, et où il lui -importait plus que jamais de les réunir.

Pour opérer ce mouvement avec sécurité, il était pour lui d'un intérêt capital de garder en sa possession les passages de la Saale jusqu'au point où elle se jette dans l'Elbe„ et particulièrement à Naumbourg, ville placée sur sa ligne de retraite, par où nous pouvions déboucher sur son flanc et arrêter sa marche. Le duc de Brunswick comprit cette nécessité et donna l'ordre à un de ses lieutenants d'occuper Naumbourg, mais tout cela fut fait avec tant de lenteur et de nonchalance, que les corps de Davout et de Bernadotte avaient eu tout le temps de s'emparer de cette position et de s'établir sur la rive gauche de la Saale, lorsqu'on songea à les y prévenir. Le prince de Hohenlohe qui était beaucoup plus menacé que Brunswick, puisque, avec la partie la plus faible de l'armée prussienne, il faisait face à la partie la plus forte de l'armée française, commandée par Napoléon, mit une négligence encore plus inconcevable à garder le passage de la Saale à Iéna. Pendant que Brunswick se dérobait dans la direction de Naumbourg, Hohenlohe l'avait remplacé autour de Weimar, il occupait solidement la route qui va de Weimar à Iéna, mais il n'avait pas même un corps d'observation dans cette dernière ville, en sorte que Lannes put s'établir sur les hauteurs qui la dominent, en présence des avant-postes prussiens qui s'étendaient de Cospoda à Closewitz.

Telle était la situation des deux armées, le 13 octobre au matin : Brunswick marchait avec le roi et environ soixante mille hommes sur Naumbourg et dans la direction du défilé de Kœsen, où il allait rencontrer le corps de Davout ; Hohenlohe, retranché sur la route d'Iéna à Weimar avec environ quarante mille hommes[8], s'apprêtait à le suivre aussitôt qu'il aurait rallié les vingt mille hommes du général Rüchel qui était encore en arrière. Il ne s'attendait nullement à être attaqué par Iéna, vu les difficultés qu'il y avait pour une armée nombreuse à déboucher par les haut-u-s du Landgrafemberg qui couronnent la ville ; il y croyait le corps de Lannes établi en éclaireur et non en colonne d'attaque. Napoléon avait au contraire résolu de porter sur ce point le plus gros de son armée. Il ne connaissait d'ailleurs qu'imparfaitement la position réelle de l'armée prussienne. Il croyait avoir encore devant lui presque toutes les forces de Brunswick ; et par là même se figurait les avoir complétement tournées. « L'armée prussienne est prise en flagrant délit, elle est tournée, » écrivait-il le matin même dans son bulletin[9]. Il en disait autant dans toutes les lettres qu'il écrivait depuis la veille. Cette méprise lui fit commettre une faute qu'il faillit payer cher. Dans la persuasion que les défilés de Kœsen et Naumbourg ne seraient assaillis que par une armée qu'il aurait déjà mise en déroute, il jugea que le corps de Davout serait suffisant pour garder cette position et rappela celui de Bernadotte, ainsi que la cavalerie de Murat qui avait pris la même direction, à Dornburg, point plus rapproché d'Iéna, et où il se proposait de les utiliser pour la bataille qu'il voulait livrer lui-même[10].

Napoléon employa toute la soirée et une partie de la nuit du 13 octobre à faire gravir à son armée les escarpements du Landgrafemberg, et à donner à ses divers corps leur position de bataille. Augereau fut placé à gauche, sur la route de Weimar ; Soult, à Lobstœdt, avec la droite ; au centre, sur le plateau, étaient Lannes, Ney, Murat accouru de Dornburg avec sa cavalerie légère, enfin Napoléon lui-même avec sa garde. L'ensemble de ces forces formait un total de plus du double de l'armée de Hohenlohe. Le 14 octobre au matin, par un brouilard épais, Lannes fut chargé de dégager le terrain, afin de permettre à notre armée de se déployer : il attaqua les avant-postes prussiens avec une vineur qui leur fit bientôt comprendre qu'ils avaient devant eux antre chose qu'un corps isolé. Ils se maintinrent pendant quelque temps dans les villages de Closewitz et de Cospoda, mais ils ne tardèrent pas à en être chassés ; et Hohenlohe n'apprit que par cet engagement préliminaire qu'il allait avoir sur les bras toute l'armée de Napoléon. Il fit aussitôt prendre les armes à ses troupes, se hâta de rappeler à lui le général Rüchel encore à Weimar, puis il se porta en avant pour reprendre une position dont il commençait seulement à comprendre toute l'importance.

A dix heures du matin, la bataille interrompue recommença, engagée cette fois par le maréchal Ney, qui, emporté p.ar son impatience, alla se placer avec trois mille hommes seulement au centre même de la ligne ennemie. Assailli par des masses de cavalerie, le Maréchal avait formé ses bataillons en carré, il se maintenait depuis près d'une heure dans cette position périlleuse, lorsque Lannes accourut pour le dégager. Aa même moment, Augereau attaquait les Prussiens par Iserstedt, après avoir tourné la Schnecke, position qu’ils croyaient inabordable, et Soult, sur notre droite, échangeait une fusillade des plus vives avec leur infanterie, retranchée dans un petit bois situé derrière le village de Closewitz. Lorsque Napoléon vit ses deux ailes gagner du terrain sur les troupes prussiennes, il fit avancer simultanément la garde et toutes les réserves. L'irruption soudaine d'une masse aussi écrasante rompit en un instant le centre de Hohenlohe ; la ligne ennemie plia et, au moment où elle fléchissait, Murat, saisissant l'occasion, fondit sur elle avec toute sa cavalerie. « En un clin d’œil », dit Napoléon, la retraite des Prussiens fut changée en pleine déroute. Les fuyards, poursuivis le sabre dans les reins, •se précipitent dans la direction de Weimar. C'était à cette heure même que le général Michel arrivait sur le champ de bataille avec ses vingt mille hommes harassés par une marche forcée. Il se place intrépidement en travers de la déroute, mais il est presque aussitôt renversé par le choc irrésistible d'une armée victorieuse ; et le torrent arrêté un instant se précipite de nouveau sur Weimar, où nos cavaliers arrivent pêle-mêle avec les fuyards, enlevant les prisonniers par milliers.

Pendant que Napoléon remportait sur Hohenlohe cette facile victoire, Davout luttait seul à cinq à six lieues de là contre la plus grande partie de l'armée prussienne, commandée par le roi en personne et par le duc de Brunswick. Ce maréchal avait profité de la nuit pour commencer l'occupation du défilé de Kœsen que les Prussiens devaient traverser pour atteindre Naumbourg. Le matin du 14, prévoyant qu'il allait avoir affaire à un ennemi supérieur en nombre, sans connaître encore toutefois toute l'étendue du danger, il s'était vainement efforcé de retenir Bernadotte, à qui des ordres positifs, quoique susceptibles de plusieurs interprétations, prescrivaient d'occuper Dornburg. Bernadotte, qui ignorait d'ailleurs le véritable état des choses, s'en tint à la lettre de ses instructions, et quoi qu'on puisse dire pour blâmer ou justifier sa détermination, il est certain qu'en cela il agit conformément à l'esprit que Napoléon avait développé dans son armée. Quand un général affiche de telles prétentions à l'infaillibilité, lui seul est responsable des événements, et il est mal venu à se plaindre des fautes qui sont commises en exécution de ses ordres.

Le 14 octobre, au matin, à l'heure même où la bataille s'engageait à Iéna, le général Schmettau, que Brunswick envoyait bien tardivement en avant-garde pour prendre possession du défilé de Kœsen, vint se heurter à travers le brouillard, contre la division Gudin qui en gardait l'entrée en face d'Hassenhausen. Blücher commandait la cavalerie de Schmettau. Il chargea avec impétuosité celle de Gudin et la fit plier, mais il s'efforça vainement d'entamer notre infanterie, formée en carrés et soutenue par des batteries qui balayaient la chaussée. Les corps du prince d'Orange et de Wartensleben, ayant débouché d'Auërstaedt pour soutenir Schmettau, la division Gudin se trouva un instant assaillie par des forces triples et débordée de tous côtés. Mais, protégée par l'habileté de ses dispositions, favorisée par un brouillard épais qui mettait beaucoup de confusion dans les manœuvres, elle défendit héroïquement le poste qui lui était confié et donna aux autres divisions de Davout le temps d'accourir à son secours. La division Priant parut la première et, par un mouvement vigoureux dégagea la droite de Gudin en refoulant sur Eckartsberge la cavalerie qui menaçait de rompre nos rangs éclaircis. Notre gauche restait en péril. Le duc de Brunswick, alarmé de la résistance inattendue qu'il rencontrait, et désolé de la faute qu'il avait commise en se laissant prévenir à Kœsen, résolut de s'ouvrir un passage à tout prix. Il réunit ses deux divisions d'Orange et de Wartensleben, il les exhorte, se met à leur tête et les conduit lui-même au feu. Il est reçu par une grêle de balles et de mitraille. Ses troupes soutiennent bravement cette épreuve, mais elles n'ont pas l'élan nécessaire pour enlever nos positions. En cherchant à les entraîner, le vieux maréchal est blessé mortellement : tout près de lui tombe Schmettau, un instant après, Mœllendorff lui-même avec ses plus braves officiers également frappés à mort. Cependant la division Gudin épuisée de fatigue allait succomber, lorsque débouche à son tour la division Morand qui renouvelle le combat avec des troupes fraiches. Le prince Guillaume avec sa cavalerie, le roi en personne avec la division Wartensleben l'abordent et la chargent tour à tour sans réussir à l'ébranler ; le premier est blessé, le second a deux chevaux tués sous lui. Nos carrés restent immobiles sous celte avalanche de cavaliers. Reçus par un feu meurtrier les Prussiens sont repoussés en désordre et jonchent la terre de leurs cadavres. Alors, profitant de l'indécision et du trouble que ces échecs répétés ont répandus dans l'armée ennemie, Davout, par un mouvement rapide, porte ses divisions en avant, s'empare des hauteurs d'Eckartsberge et les couronne d'artillerie.

Le moment était des plus critiques pour l'armée prussienne : c'était en effet l'heure précise où s'achevait l'effroyable déroute d'Iéna, et il était plus que jamais important pour elle d'enlever les passages de Kœsen et de Naumbourg. Bien qu'elle eût échoué jusque-là dans sa tentative, une attaque en masse dirigée avec toutes ses forces réunies lui eût probablement rendu l'avantage, car ses efforts avaient été très-décousus et deux de ses divisions n'avaient pas encore combattu. Mais le roi ne se doutait en rien du désastre de Hohenlohe, il avait fait les pertes les plus cruelles, il avait vu tomber ses premiers généraux et ses meilleurs officiers. Il résolut de rejoindre le corps de Hohenlohe, sauf à reprendre, ensuite le même chemin et à forcer le passage du défilé avec toute l'armée prussienne. Il donna en conséquence le signal de la retraite et dirigea ses colonnes sur Weimar. Davout, qui avait perdu de son côté près d'un quart, de son effectif et dont les troupes expiraient d'épuisement, se trouvait hors d'état d'inquiéter la marche de l'armée du roi. Elle put donc arriver en assez bon ordre jusqu'à la hauteur d'Apolda, à mi-chemin entre Auërstaedt et Weimar. Mais, parvenue à ce point, elle y trouva rangé en bataille le corps de Bernadotte accouru de Dornburg, et presque en même temps elle fut comme submergée par le flot des fuyards de Hohenlohe. Ceux-ci vinrent se jeter sur elle éperdus d'épouvante, serrés de près par notre cavalerie qui les poursuivait dans toutes les directions. Obligée de changer son mouvement de retraite au milieu d'une si grande confusion, que l'obscurité augmente encore, l'armée prussienne se rejette en désordre du côté de Sommerda. Bientôt la panique s'empare de ses divisions qui se dispersent sur toutes les routes d'Erfurt à Weissensée.

Tel fut ce dés astre fameux qui anéantit en une seule journée la puissance de la monarchie prussienne. Quelque accablante que fût la catastrophe, l'honneur de l'armée était resté intact, car elle avait combattu avec le plus grand courage. Mais, mal conduite et depuis longtemps déshabituée de la guerre, elle s'était trouvée, à l'improviste et en nombre inférieur, aux prises avec une armée commandée par un capitaine sans pareil, possédant au plus haut degré cette vitesse acquise et cette impétuosité irrésistible que donne une longue suite de victoires. L'issue d'une lutte engagée dans de si déplorables conditions était inévitable ; aussi peut-on dire que la journée d'Iéna ressembla à une boucherie plutôt qu'à une bataille. Quant à ses conséquences elles devaient être plus terribles encore. Une fois cette armée détruite, toute résistance devenait impossible, la Prusse restait découverte et à la merci du vainqueur.

Napoléon rendit compte de sa victoire avec plus d'inexactitude encore qu'à l'ordinaire, afin d'effacer toute trace de la méprise qui avait exposé à de si grands périls le corps isolé de Davout. Ce maréchal avait eu à lutter contre la plus grande partie de l'armée prussienne, tandis que l'empereur écrasait la plus faible avec des forces doubles. Napoléon intervertit complétement les rôles dans son cinquième bulletin ; il avait eu devant lui quatre-vingt mille hommes, tandis que Davout n'en avait eu à combattre que cinquante mille[11]. Il ne fit de la bataille d'Auërstaedt qu'un épisode très-secondaire de la bataille d'Iéna, tandis qu'elle en était l'événement capital et décisif. Il daigna toutefois reconnaître que Davout « avait déployé une bravoure distinguée et de la fermeté de caractère, première qualité d'un homme de guerre » ; ces éloges étaient loin de répondre au mérite dont ce maréchal avait fait preuve dans cette journée, et Napoléon lui rendait beaucoup plus de justice dans ses lettres particulières. Son dépit retomba sur Bernadotte, qui n'avait fait que se conformer à ses instructions. Napoléon lui reprocha avec amertume sa longue promenade entre les deux champs de bataille ; il prétendit lui avoir expédié, pendant la nuit, l'ordre de renforcer Davout ; mais cette assertion fort invraisemblable, vu la prudence connue de Bernadotte, est toujours restée sans preuve.

On attendait avec curiosité) ce que Napoléon allait faire de l'Allemagne livrée désormais sans défense aux caprices de son ambition ; on sut bientôt à quoi s'en tenir sur ce point. Parmi les princes allemands restés en dehors de la Confédération du Rhin, il en était deux qu'il avait tenté d'armer contre la Prusse au début de la guerre : l'un avait réuni ses troupes à celles de nos ennemis, c'était l'électeur de Saxe ; l'autre, bien que les Prussiens eussent un instant occupé sa capitale s'était maintenu dans la plus stricte neutralité, c'était l'électeur de Hesse-Cassel.

Deux conduites si différentes méritaient, ce semble, de la part de Napoléon, des traitements très-divers. Il en fut ainsi en effet, mais contrairement à ce qu'on pouvait supposer, il renvoya sur parole les prisonniers saxons avec toute sorte de compliments flatteurs pour leur souverain qui nous ava t fait la guerre, etil confisqua les États de l'électeur de Hesse-Cassel qui était resté neutre. On a, selon l'habitude, répété à propos de cet incident toutes les fables qu'il a plu à Napoléon d'inventer pour rendre odieux le prince qu'il avait résolu de dépouiller. Ce prince astucieux, comme l'appellent nos historiens, avait un travers qu'il n'est pas rare de rencontrer même chez des hommes qui n'ont rien de princier, c'était le désir de se conserver lui-même. Sommé de se prononcer entre deux ennemis puissants, qui tous deux convoitaient ses dépouilles, il avait obéi à la criminelle inspiration de ne se déclarer ni pour l'un ni pour l'autre, et il s'était tenu immobile dans sa capitale après leur avoir notifié son intention de garder la neutralité. Si ce n'était pas là un Litre à notre amitié, ce n'était pas non plus un titre à notre haine. Mais depuis quelque temps déjà Napoléon avait résolu de créer en Allemagne un nouvel État qu'il destinait soit à Murat, soit à Jérôme, et malheureusement pour l'électeur de Cassel, la Hesse supérieure occupait précisément la région géographique qu'il avait choisie, tandis que la Saxe était dans une position beaucoup trop excentrique pour remplir ce rôle providentiel. Aussi, quoi que pût faire l'infortuné électeur, Napoléon était d'avance décidé à le trouver coupable, et l'on sait s'il était ingénieux pour créer des torts à ceux qui n'en avaient pas. Au dernier moment, le prince, averti des dangers- qu'il courait, demanda, après de longues hésitations, à faire partie de la Confédération du Rhin ; il se jeta comme fasciné dans les bras de l'ennemi. Napoléon refusa froidement ; il avait sur lui d'autres vues. Le 30 septembre, à la veille d'entrer en campagne, écrivant à son frère Louis, il lui recommandait « d'avoir pour l'électeur de bons procédés, de bien vivre avec lui, de lui prodiguer des paroles d'estime », afin, disait-il, de le maintenir encore quelque temps dans sa neutralité, mais il le prévenait en même temps « qu'une fois le premier acte de la guerre fini, il le chargerait peut-être de conquérir Cassel, d'en chasser l'électeur et de désarmer ses troupes. » Ce qui ne l'empêchait pas de déclarer, en ce moment même, dans une lettre au prince primat « qu'il n'avait aucune raison de se plaindre de l'électeur, qu'il ne l'attaquerait jamais de son plein gré[12]. »

Le lendemain d'Iéna, le premier acte de la guerre est fini, selon l'expression de Napoléon, et le ton change brusquement. Une note, rédigée en style équivoque, est envoyée à l'électeur pour lui apprendre que l'empereur connaît son adhésion secrète à la coalition. On lui fait un crime de n'avoir pas repoussé par la force les troupes prussiennes lorsqu'elles ont traversé Cassel, et par un reproche tout contradictoire, de n'avoir pas licencié sa propre armée. Cette conduite nous oblige à occuper ses États. On pourrait croire, d'après ce langage ambigu, qu'il n'y a là qu'une simple mesure de précaution. Mais Mortier reçoit le même jour des instructions beaucoup plus explicites. Napoléon le charge de s'emparer de la personne de l'électeur et de l'envoyer prisonnier à Metz. Il désarmera sur-le-champ l'armée hessoise et fera administrer les États au nom de l'empereur. « Mon intention, ajoute Napoléon, est que la maison, de Hesse ait cessé de régner et soit effacée du nombre des puissances[13]. » Il annonça cet événement dans son bulletin du 4 novembre, en accablant l'électeur des plus basses insultes, et il les fit suivre de ces consolantes prophéties : « Les peuples de Hesse-Cassel seront plus heureux. Déchargés de leurs corvées militaires, ils pourront se livrer paisiblement à la culture de leurs champs ; déchargés d'une partie des impôts, ils seront gouvernés par des principes généreux et libéraux, principes qui dirigent l'administration de la France et de ses alliés. » Les malheureux Hessois, dont les ossements blanchirent avec les nôtres sur tous les champs de bataille de l'Europe, allaient bientôt savoir ce qu'ils devaient penser de ces roucoulements de colombe et de la félicité sans mélange que leur promettait ce bon faiseur de pastorales. Ils ne furent que trop tôt mis à même de faire la comparaison entre le prince astucieux et le candide empereur.

Napoléon n'était pas homme à perdre du temps pour recueillir les fruits de la victoire d'Iéna. Dès le lendemain même de la bataille, il frappa les pays conquis d'une contribution de guerre de cent cinquante-neuf millions, et décréta « Que toutes les marchandises anglaises qui se trouveraient dans les villes du nord appartiendraient à l'armée[14]. »

Cet acte de brigandage, qui allait ruiner d'un seul coup tous les commerçants de l'Allemagne du nord, sans qu'ils eussent donné le moindre sujet de plainte, puisqu'on les punissait pour des actes antérieurs à notre occupation, fut le prélude du fameux décret de Berlin. Napoléon avait déjà lancé ses troupes dans toutes les directions à la poursuite des débris errants de l'armée prussienne, sans leur laisser le temps de se reconnaître et de se rallier. Blücher réussit à s'échapper à Colléda, en alléguant la conclusion d'un armistice que le roi de Prusse avait en effet demandé, mais sans l'obtenir. Murat fondit avec sa cavalerie sur Erfurt, de là sur Nordhausen, puis sur Magdebourg, point central vers lequel se dirigeaient le prince de Hohenlohe et le maréchal Kalkreuth avec le plus grand nombre des fugitifs. Ney et Soult l'y suivirent, enlevant sur leur route des régiments entiers surpris et déconcertés par la rapidité de nos mouvements. Davout se jeta sur Leipsick. Bernadotte s'était porté sur Balle, où se trouvait un détachement d'environ douze mille hommes, sous les ordres du prince Eugène de Wurtemberg. Ces troupes n'étaient pas en nombre suffisant pour tenir tête au corps d'armée de Bernadotte ; elles ne cédèrent toutefois qu'après une vigoureuse résistance qui nous con' beaucoup de morts et de blessés. Napoléon était accouru de Mersebourg. Visitant le champ de bataille après le combat, il aperçut des monceaux de cadavres appartenant à la 32e demi-brigade qui s'était particulièrement distinguée dans cette sanglante affaire ; lorsqu'on les lui eut dé3ignés nominativement, il lui échappa une de ses plaisanteries familières qui avaient le privilége d'électriser la brute militaire, il est difficile d'imaginer pourquoi, car on ne saurait dire ce qui l'emporte dans cette parole froide et cruelle, du mépris, de l'insolence ou de l'inhumanité : « Encore de la trente-deuxième ! s'écria-t-il avec l'accent d'un joueur qui retrouve au fond de sa poche une somme qu'il croyait avoir déjà dépensée, j'en ai tant fait tuer en Égypte, en Italie et partout, qu'il ne devrait plus en être question[15] ! » Le général Rapp qui, sous les dehors et les allures d'un soudard, ne manquait ni d'un certain esprit ni d'une certaine humanité, cite cependant ce mot avec une admiration intime et convaincue. Il y a là un mystère psychologique digne d'attention. L'adoration fanatique des soldats pour un homme qui les a traités avec beaucoup moins de ménagements qu'on ne traite d'ordinaire les chevaux de course ou les coqs de combat est faite pour rabaisser considérablement l'orgueil de la nature humaine.

Pendant que Murat, Soult et Ney, marchaient sur Magdebourg pour l'investir, Davout entrait à Wittenberg avec Augereau, Lannes à Dessau ; nous étions maîtres du cours de l'Elbe. Le 24 octobre, Napoléon arriva à Potsdam et le lendemain Davout faisait son entrée à Berlin. L'empereur s'arrêta quelques jours au château de Sans-Souci, il se fit conduire au tombeau du grand Frédéric ; il emporta l'épée du glorieux mort, et ne rougit pas d'envoyer à Paris ce trophée barbare, comme s'il eût été impatient de vaincre et de désarmer jusque dans sa tombe le seul capitaine moderne dont la renommée Fût lui porter ombrage. Les flatteurs de sa mémoire trouvent cette conduite toute naturelle ; que diraient-ils du triomphateur qui viendrait saisir aux Invalides l'épée de Napoléon ? Déjà en arrivant à Naumbourg, il s'était empressé de faire enlever et jeter sur une charrette l'humble pierre, perdue au milieu d'un champ, qui rappelait la victoire de Rosbach, comme s'il eût dépendu de lui d'effacer le passé et de refaire l'histoire. Ces représailles étaient d'une âme petite, et Frédéric les eût dédaignées. Il est jusqu'à trois points sur lesquels il domine de très-haut Napoléon. Il a toujours méprisé le charlatanisme ; il a été grand dans les revers ; il a employé des moyens iniques, mais en général pour faire des choses justes et possibles, sauf dans le partage de la Pologne. Au reste, Napoléon avait grand soin d'exploiter dans ses bulletins la mémoire et les exemples de Frédéric. A l'en croire, ce souverain sage et prévoyant aurait eu la prudence d'épargner à son pays une pareille catastrophe, il se serait fait l'allié et l'ami de Napoléon. « Son esprit, son génie et ses vœux, écrivait-il clans le dix-septième bulletin, étaient avec notre nation qu'il a tant estimée, et dont il disait que s'il en était roi il ne se tirerait pas un coup de canon en Europe sans sa permission. » En même temps qu'il enrôlait l'ombre du grand Frédéric contre la cour de Berlin, il ne perdait pas une occasion de déchirer la reine, à l'influence de laquelle il attribuait l'énergie inattendue qu'avait montrée le roi en nous déclarant la guerre. Habitué à aller droit aux obstacles pour les détruire, à les considérer d'une façon abstraite et seulement comme des forces en quelque sorte mathématiques, étranger à tout scrupule de délicatesse ou de générosité, accoutumé à ne tenir aucun compte des sentiments, des préjugés, des convenances, il ne voyait dans cette malheureuse femme qu'une puissance à annihiler, peu importe par quels moyens, et il l'attaquait avec les seules armes qu'il pût employer contre elle, le ridicule, les injures, les calomnies. Il n'était pas de bulletin dans lequel il ne revint sur ce sujet favori, et l'on ferait un volume avec tout ce qu'il a écrit contre elle. Il mettait à détruire l'influence et la réputation de cette femme, l'acharnement méthodique et calculé qu'il eût déployé à faire mitrailler un régiment ou à faire sauter un bastion. Après l'avoir dépeinte comme une personne « assez jolie de figure, mais de peu d'esprit[16] », il s'attachait à la faire exécrer des populations comme l'unique auteur de cette guerre calamiteuse. Par quel étrange mystère cette femme jusque-là absorbée « dans les graves occupations de la toilette, » en était-elle venue « à se mêler des affaires d'État, à influencer le roi ; à susciter partout ce feu dont elle était possédée ? » L'explication.se trouvait, selon Napoléon, dans une gravure alors très-répandue « où l'on voyait d'un côté le bel empereur de Russie, près de lui la reine, et de l'autre côté le roi qui lève la main sur le tombeau du grand Frédéric. La reine, drapée d'un châle, à peu près comme les gravures de Londres représentent lady Hamilton, appuie la main sur son cœur, et a l'air de regarder l'empereur de Russie. L'ombre de Frédéric, ajoutait Napoléon, a dû s'indigner de cette scène scandaleuse[17]. »

Dans la crainte que cette allusion aux malheurs domestiques supposés du roi de Prusse ne fût pas assez claire pour lui, Napoléon y revenait dans ses bulletins suivants : « Tous les Prussiens accusent le voyage de l'empereur Alexandre des malheurs de la Prusse. Le changement qui dès lors s'est opéré dans l'esprit de la reine qui, de femme timide et modeste est devenue turbulente et guerrière, a été une révolu- lion subite. Tout le monde avoue que la reine est l'auteur des maux que souffre la nation prussienne. On entend dire partout : combien elle a changé depuis cette fatale entrevue avec l'empereur Alexandre !... On a trouvé clans l'appartement qu'habitait la reine à Potsdam, le portrait de l'empereur de Russie dont ce prince lui avait fait présent[18]. » Il ne manquait à cette espèce d'instruction judiciaire que la production des lettres d'amour de ce couple adultère. Ici les lacunes de l'organisation morale de Napoléon équivalaient à un manque d'intelligence, car s'il blessait les scrupules les plus délicats de la conscience humaine c'était faute de les retrouver dans son propre cœur ; il se trompait gravement en traitant les autres hommes comme s'ils eussent été aussi dépourvus qu'il l'était lui-même de tout sentiment d'honneur et de moralité ; il ne s'apercevait pas que ces basses insinuations dirigées contre une femme fugitive et désarmée par un homme qui commandait à cinq cent mille soldats, allaient directement contre leur but, qu'elles étaient faites, non-seulement pour exciter le dégoût de toutes les âmes élevées, mais même pour révolter les cœurs les plus vulgaires.

Une fois l'Elbe franchi, toute la Prusse était à nous jusqu'à l'Oder. Spandau se rendit le 25 octobre. Hohenlohe, après avoir perdu deux jours à rallier ses débris à Magdebourg, s'était mis en retraite en totale bâte pour gagner Stettin à l'embouchure de l'Oder. Mais déjà la cavalerie de Murat l'avait devancé, et les troupes de Latines inondaient le pays. Atteint et battu à Zehdenick, puis cerné entre Prenzlow et Passewalk, il mit bas les armes, le 28 octobre. Le lendemain, Stettin se rendait à la première sommation. Küstrin capitula en même temps à la première apparition de Davout. Depuis le grand désastre qui avait marqué l'ouverture de la campagne, les troupes prussiennes étaient complétement démoralisées ; elles considéraient toute résistance comme inutile, et le spectacle qu'elles offrirent alors n'a rien qui diffère de celui que présentent tous les écroulements d'empire, particulièrement dans les monarchies centralisées. Quand la clef de voûte se détache, tort l'édifice tombe ; quand le centre est aux mains de l'ennemi, les extrémités perdent tout intérêt, et l'on ne songe plus à les défendre. De là ces généraux en désarroi, et ces garnisons qui vont au-devant de l'ennemi pour lui remettre leurs places. Magdebourg seule tenait encore, et ne tarda pas à se rendre. La veille, 7 novembre, avait succombé un dernier détachement de l'armée prussienne commandé par Blücher. Coupé de sa retraite sur l'Oder, ce général avait dû se rabattre brusquement de l'est à l'ouest. Poursuivi à outrance par les corps d'armée de Bernadotte et de Soult, Blücher avait réussi après une marche pleine de périls à se jeter dans Lubeck, mais nos troupes y pénétrèrent de vive force presque aussitôt que lui, et livrèrent cette malheureuse ville-à toutes les horreurs d'une prise d'assaut. Il s'échappa pourtant, mais atteint de nouveau le lendemain, acculé vers la mer, cerné, sans munitions, entre la Trave, la frontière neutre du Danemark, et des troupes qui lui fermaient toute autre issue, Blücher capitula à son tour, après avoir eu avec le duc de Weimar l'honneur de tirer les derniers coups de fusil de la campagne contre les ennemis de son pays.

 Malgré tous les malheurs de cette grande déroute, au milieu de l'inexprimable confusion de ces scènes de découragement, de nobles exemples avaient été donnés dont la mémoire ne devait pas périr, et la nation prussienne avait du moins la consolation de pouvoir imputer ses revers à la fortune, à l'inexpérience., à la disproportion des forces plutôt qu'à une défaillance de ses défenseurs. Ses généraux les plus renommés s'étaient fait tuer sur le champ de bataille ; les princes de la famille royale avaient payé de leur personne, ils avaient répandu leur sang avec la plus éclatante bravoure ; la noblesse qui composait presque exclusivement le corps des officiers avait vu tomber l'élite de ses enfants sous les balles de nos soldats. La Prusse avait été écrasée, elle n'était pas avilie à ses propres yeux. Une douleur profonde et universelle, un véritable désespoir patriotique avait succédé à la confiance présomptueuse des premiers jours, et toutes les classes partageaient ces sentiments, bien que l'impôt du sang eût particulièrement frappé celles que leurs privilèges exposaient à l'envie. Les excitations que, selon leur habitude, les Français s'efforçaient encore de propager contre l'aristocratie des pays envahis au nom des principes d'une révolution dont ils étaient maintenant plus éloignés qu'aucun autre peuple, trouvèrent peu d'échos en Prusse. On ne leur fit généralement dans les villes qu'un accueil morne et glacial, conforme à la dignité d'une défaite imméritée. Lors de notre entrée à Magdebourg, après la capitulation de cette place, on vit, symptôme plus grave, les soldats prussiens insulter leurs officiers, et leur reprocher en termes sanglants de n'avoir pas voulu prolonger la résistance[19]. Enfin, bien que la nature du pays fût extrêmement défavorable à une guerre de partisans, on vit bientôt des hommes comme Schill, Œls Brunswick, le fils du vaincu d'Auërstaedt, et plus tard Blücher lui-même tenir la campagne, et exécuter les coups les plus hardis au milieu de nos cantonnements.

Le 27 octobre, Napoléon avait fait à Berlin une entrée triomphale à la tête de son armée, afin de terrifier dès le premier jour cette capitale par un immense déploiement de force militaire. Le corps de la ville conduit par le général Hullin vint lui présenter les clefs de Berlin. Il reçut la députation au milieu d'un appareil tout militaire, le visage hautain et irrité, et avec tous les dehors qu'il jugeait de nature à augmenter l'intimidation. A la tête de ces magistrats était le prince de Hatzfeld, à qui le roi de Prusse avait laissé le gouvernement civil. Napoléon qui voulait humilier la noblesse, et caresser la bourgeoisie qu'il supposait moins accessible aux susceptibilités du patriotisme et de l'honneur national, chassa de sa présence le prince de Hatzfeld : « Ne vous présentez pas devant moi, lui dit-il, je n'ai pas besoin de vos services ; retirez-vous dans vos terres ![20] » Il interpella ensuite le comte de Neale, lui reprocha avec dureté les nobles sentiments que la fille du comte exprimait dans une lettre interceptée, et rejetant les malheurs de la guerre sur les intrigues de la noblesse et de la cour : « Le bon peuple de Berlin, s'écria-t-il, est victime de la guerre, tandis que ceux qui l'ont attirée se sont sauvés. Je rendrai cette noblesse de cour si petite, qu'elle sera obligée de mendier son pain ![21] »

Il voulut dès le lendemain commencer à mettre cette menace à exécution en frappant la noblesse prussienne dans la personne de ce même prince de Hatzfeld, qu'il avait si brutalement traité dans son audience de la veille. Son premier soin en entrant à Berlin avait été de faire mettre la main sur la poste et d'ouvrir toutes les correspondances publiques et privées. Le prince venait précisément d'écrire à son souverain pour lui rendre compte des circonstances de notre entrée à Berlin, et il était si loin de se douter qu'il y eût quelque chose de criminel dans un acte si naturel, qu'il n'avait pas hésité à confier sa missive à la poste. Cette lettre, dont la copie a été conservée et qui était des plus insignifiantes, fut mise sous les yeux de Napoléon. Il y saisit aussitôt le prétexte dont sa politique avait besoin pour faire un exemple à l'adresse de la noblesse prussienne. Il rendit séance tenante un décret qui traduisait le prince de Hatzfeld devant une commission militaire composée de sept colonels, pour y être jugé comme traître et espion. L'institution des sept colonels rappelait la lugubre histoire de Palm et du duc d'Enghien, elle disait assez haut ce que devait être le jugement. Quant à l'imputation d'espionnage et de trahison dont on osait flétrir un homme de cœur et d'honneur, à propos d'une communication inoffensive, adressée à un prince aujourd'hui sans États et sans armée, déjà menacé dans son lointain asile au-delà de l'Oder, comme si le salut de nos deux cent mille soldats eût dépendu de la divulgation d'événements qui avaient eu tout un peuple pour spectateur, elle était le dernier mot de l'impudence et de la dérision. Les familiers les plus intimes et les plus soumis de Napoléon, Berthier, Duroc, Rapp se révoltèrent à l'idée de voir répandre le sang d'un homme honorable et estimé, dont le seul crime était d'être resté fidèle à son souverain. Ils entourèrent Napoléon, le supplièrent avec l'accent de la plus vive douleur de ne pas souiller sa gloire et de pas faire de ses compagnons des bourreaux. Ils le trouvèrent d'autant plus inflexible que sa résolution était le résultat d'un calcul froid et réfléchi. Il ne faisait en cette occasion qu'appliquer méthodiquement le système que dans toutes ses lettres il pressait Joseph d'adopter à Naples. Se montrer terrible clans le premier moment, afin d'ôter aux vaincus toute idée de révolte, et de pouvoir ensuite gagner tous les cœurs par une douceur inespérée, tel était ce précepte renouvelé de César Borgia, dont l'empereur avait fait son axiome favori, et que le débonnaire Joseph ne pouvait se résoudre à mettre en pratique. Le prince de Hatzfeld n'était choisi comme victime qu'en raison de sa position éminente et de la part bien connue qu'il avait prise à la déclaration de guerre. Heureusement pour lui, on parvint à le cacher pendant les premiers moments, et ce retard le sauva. L'impression d'horreur que produisit la seule annonce du soit qui lui était réservé fut tellement générale, qu'il devint impossible de songer à une exécution ; le moment avait été manqué, on recula devant l'effet d'une atrocité ébruitée à l'avance, et l'on arrangea la petite scène de clémence qui a si souvent excité l'attendrissement de nos historiens, en faisant toutefois plus d'honneur à leur sensibilité qu'à leur pénétration. Jamais, à coup sûr, homme n'a été plus célébré et plus exalté pour s'être abstenu de faire assassiner un innocent.

A la suite du refus de Napoléon d'accorder un armistice, des pourparlers pour un traité de paix s'étaient établis dès le 20 octobre à Wittenberg entre le marquis de Lucchesini et Duroc. L'empereur était en état de dicter les conditions, et il le fit avec toute la rigueur d'un conquérant impitoyable. La cession de toutes les provinces que la Prusse possédait entre l'Elbe et le Rhin, l'engagement de ne plus s'occuper désormais des affaires d'Allemagne, enfin le payement d'une contribution de guerre et la reconnaissance de tous les princes nouveaux qu'il se proposait d'établir sur le territoire germanique, telles furent les exigences que Duroc fut chargé de signifier à la Prusse[22]. Lucchesini se hâta de communiquer ces dures conditions à son maître qui, dégoûté de la guerre et pressé d'en finir, lui envoya immédiatement sa ratification. Napoléon refusa de souscrire au traité qu'il avait lui-même rédigé. Dans l'intervalle, nos troupes avaient remporté de nouveaux succès, Magdebourg allait capituler, et des envoyés polonais proposaient d'organiser un soulèvement sur les derrières des armées russe et prussienne. Un horizon tout nouveau s'ouvrait devant Napoléon, et des projets démesurés occupaient sa pensée. La Russie était le dernier État qui prit lui résister sur le continent ; il ressuscitera contre elle la Pologne. Il écrit sur-le-champ à Fouché de lui envoyer Kosciusko. Lui qui, l'année précédente, ne voulait faire avec ses ennemis que des paix séparées, il déclare maintenant aux plénipotentiaires prussiens qu'il ne se dessaisira de ses conquêtes en Prusse que lorsque l'Angleterre nous aura restitué toutes nos colonies ainsi qu'à la Hollande, lorsque la Russie aura pris l'engagement de garantir l'indépendance de la Moldavie et de la Valachie. C'est à la modération de ces deux puissances qu'il mesurera l'état futur de la monarchie prussienne. Il veut faire peser les malheurs du roi de Prusse sur les résolutions d'Alexandre et du cabine t britannique, et il renoue ainsi les liens de leur ancienne solidarité. La Prusse n'est plus à ses yeux qu'un équivalent échangeable comme le Portugal à l'époque de la paix d'Amiens. La laissera-t-il subsister en monarchie ? En fera-t-il une république, comme il le dit à M. Bignon ? Il délibère et il lui échappe de s'écrier « que dans dix ans sa dynastie sera la plus ancienne de l'Europe ! » En attendant, la Prusse est un gage qu'il est toujours à temps de restituer, une position offensive contre la Russie, une base d'opérations pour son armée, une mine inépuisable à exploiter pour ses finances et ses approvisionnements. Afin de prévenir toute remontrance et toute sollicitation sur ce point, il s'empresse de rendre publique sa résolution en se liant en quelque sorte par une déclaration solennelle et irrévocable :

« Tant de succès, dans son bulletin du 10 novembre, ne doivent pas ralentir en France les préparatifs militaires... L'armée française ne quittera pas la Pologne et Berlin que les possessions des colonies espagnoles, hollandaises et françaises ne soient rendues, et la paix générale faite. » Quelques jours plus tard, le 21 novembre 1806, une mesure beaucoup plus extraordinaire qu'aucune de celles qu'il avait adoptées jusque-là vint compléter et préciser le système au moyen duquel il se flattait de réduire et de faire capituler l'Angleterre. Ce système, annoncé par de nombreux actes préparatoires tels que la ligue des neutres et la saisie des marchandises anglaises dans toutes les villes du nord, consistait à fermer le continent au commerce britannique. Le préliminaire indispensable d'une telle entreprise, si l'on ne voulait pas s'en tenir à une vaine fanfaronnade, était la conquête du continent, œuvre, il est vrai, déjà fort avancée, mais dont l'achèvement pourrait présenter quelques difficultés. On a déclamé à perte de vue sur la question de savoir si le droit de représaille autorisait ou non Napoléon à prendre une pareille mesure pour punir l'Angleterre des abus qu'elle commettait dans l'exercice du droit de visite et de blocus. C'est demander s'il est permis de répondre à une injustice dont on croit avoir à se plaindre, par une monstrueuse iniquité dont les victimes sont étrangères au débat. Il serait plus utile d'examiner si ayant pris la mesure, il était en son pouvoir de l'exécuter. Or, ces prétendues représailles n'étaient pas seulement mille fois plus révoltantes que les abus qu'elles devaient réprimer, elles étaient la plus vaine et la plus chimérique des utopies. Les abus dont Napoléon se plaignait étaient réels, excessifs, souvent même ils étaient odieux, mais comment oublier que ceux qu'il exploitait le plus bruyamment contre les Anglais avaient été son propre ouvrage ? De quel front osait-il leur reprocher de faire prisonniers les matelots de ses bâtiments de commerce, lui qui avait fait prisonniers non-seulement les matelots des vaisseaux marchands, mais tous les particuliers inoffensifs qui se trouvaient en France, en Hollande, en Italie, à l'époque de la rupture ? Comment osait-il leur faire un crime du blocus de l'Elbe et du-Weser, lui qui ne s'était emparé de l’embouchure de ces fleuves que pour les fermer à leur commerce ? Qu'était-ce d'ailleurs que les inconvénients et les abus du droit de visite auprès des maux et des privations qu'il se croyait en droit d'infliger au continent pour venger ses propres injures ? Le continent fermé aux marchandises anglaises, c'était le continent privé non-seulement des produits manufacturés en Angleterre, mais de tous les produits du nouveau monde, devenus objets de première nécessité, tant ils étaient entrés dans la consommation journalière ; c'était plus encore, c'était l'anéantissement de toute la marine marchande européenne, hors d'état de lutter contre la marine britannique. Et il supposait les peuples assez stupidement crédules pour imputer à l'Angleterre des maux dont il était si visiblement le seul auteur ! Il les supposait assez aveugles pour se liguer contre la seule nation qui n'eût pas fléchi devant lui, pour se laisser affamer par admiration pour un si grand homme, pour se réjouir de leur propre ruine, pourvu qu'elle assurât sa dernière victoire, pour épouser au prix de tant de souffrances et de sacrifices la querelle d'un conquérant insatiable, qui ne s'était fait connaître à eux que par des spoliations !

Telles furent les illusions extravagantes qui donnèrent naissance au fameux décret de Berlin. Une chose lui manqua radicalement dès son origine, c'est de pouvoir être exécuté ; car son exécution supposait non plus la docilité, maïs le zèle et le concours des populations qui devaient en être victimes ! aussi produisit-il beaucoup de maux et de vexations, mais il ne fut jamais une loi que sur le papier, et l'on doit moins y voir un acte que le défi d'une colère impuissante. Ce roi des rois, qui ne pouvait pas, en réunissant toutes ses ressources et tous ses moyens, parvenir à mettre une barque à la mer, il décrétait avec un sang-froid superbe « que les îles britanniques seraient désormais en état de blocus ». Il interdisait tout commerce et toute correspondance avec elles, il décidait que « tout individu, sujet de l'Angleterre, trouvé dans les pays occupés par nos troupes, serait fait prisonnier de guerre », que les marchandises d'origine -anglaise seraient saisies partout où on les découvrirait ; que toute propriété quelconque, appartenant à un sujet anglais, serait déclarée de bonne prise. En lisant le dispositif de cette mesure insensée, on songe involontairement à tous ces rois de hasard, à ces favoris de la multitude auxquels leur grandeur subite donnait le vertige. On croit entendre le tribun Rienzi, étendant du haut du Capitole son épée vers les quatre points cardinaux en s'écriant : Ceci est à moi, ceci est à moi, ceci est à moi 1 Talleyrand eut l'ordre de communiquer sur-le-champ ce décret à tous nos alliés, y compris le Danemark, à qui il fut spécialement chargé de faire savoir que Napoléon n'entendait pas violer les traités, mais qu'il espérait que le cabinet de Copenhague ne tolérerait ni aucun courrier réglé, ni aucun bureau de poste anglais en Danemark[23]. Le décret fut envoyé au Sénat avec un message dans lequel Napoléon disait en substance que son extrême modération ayant seule amené le renouvellement de la guerre, il avait dû en venir à des dispositions « qui répugnaient à son cœur ; car il lui en coûtait de faire dépendre les intérêts des particuliers de la querelle des rois, et de revenir, après tant d'années de civilisation, aux principes qui caractérisent la barbarie des premiers actes des nations[24]. »

On ne pouvait mieux qualifier ce monument de folie et d'orgueil. Le décret de Berlin fut lu dans toute l'Europe avec plus de surprise encore que d'indignation, car si la tyrannie de Napoléon était justement exécrée, on croyait en général à son génie po-Inique, et en présence d'un pareil trait de délire, il était impossible de ne pas reconnaitre que l'ivresse du succès avait troublé la lucidité de cet esprit toujours si prodigieux dans la conduite des opérations militaires. Ce décret allait en effet lier invinciblement et pour jamais l'Europe à l'Angleterre. Depuis longtemps sans doute les nations européennes avaient été amenées, par une oppression toujours plus menaçante, à faire des vœux en faveur de la cause britannique, mais ce mouvement d'opinion s'était déclaré surtout chez les classes politiques et gouvernantes généralement plus sensibles que les autres aux questions d'indépendance. Par suite du décret de Berlin, les classes les plus humbles allaient être les plus frappées. Les masses populaires, que nous avions ménagées jusque-là devenaient les plus intéressées à notre défaite et au triomphe de l'Angleterre. Le blocus continental, c'était la gêne, les privations, la misère entrant dans chaque maison, au sein des plus pauvres familles pour nous y faire des ennemis. Aucune mesure n'a plus contribué à soulever les populations contre nous et à accélérer la chute du régime impérial.

Le message de Napoléon au Sénat se terminait par une demande fort inattendue pour ceux-là même qui prenaient le moins au sérieux ses déclamations en faveur de la paix. Après de si brillants succès remportés, assurait-il, presque sans perte d'hommes ; après ces bulletins triomphants dans lesquels il constatait que sur une armée de cent vingt mille hommes, il avait fait cent soixante-dix mille prisonniers ; après toutes les levées d'hommes qu'il venait de faire en France et en Allemagne, on avait peut-être le droit d'espérer un peu de calme et de repos, on se flattait de l'avoir bien gagné ; mais loin de songer à rien de semblable, il exigeait que le Sénat mit à sa disposition quatre-vingt mille conscrits qui, selon les règles ordinaires, ne, devaient partir qu'un an après, en septembre 1807. « Et dans quel plus beau moment, disait-il en signifiant cet ordre aux sénateurs, pourrions-nous appeler aux armes ces jeunes Français ? ils auront à traverser pour se rendre à leurs drapeaux les capitales de nos ennemis et les champs de bataille illustrés par les victoires de leurs aînés. »

Les sénateurs, comme beaucoup d'esprits prudents et modérés, s'étaient réjouis de la rapidité de nos victoires, parce qu'ils y avaient vu le gage du prompt rétablissement de la paix ; c'était bien mal comprendre le maitre qu'ils s'étaient donné. Cette anticipation sur le sang des jeunes générations, qui furent dès lors mises en coupe réglée, vint leur prouver combien ils s'étaient abusés, en même temps que le décret de Berlin vint leur inspirer leurs premières appréhensions sérieuses sur l'avenir de la fortune à laquelle ils avaient lié leur destinée et malheureusement aussi celle de leur pays. Au mépris des avis les plus clairs et de la plus vulgaire prévoyance, ils avaient voulu faire un grand homme, créer un César ; ils avaient voilé ses infirmités aux yeux de la nation trompée, ils lui avaient fait honneur de leurs travaux, lui avaient sacrifié leur part de gloire, ils avaient pour ainsi dire résumé en lui seul tout ce qu'ils avaient de force, de popularité, d'intelligence, ils s'étaient faits les serviles instruments de son pouvoir dans l'espoir d'être admis à en partager, sinon les hommages, du moins les jouissances. Maintenant l'idole était achevée, le héros échappait d'un bond. à leur timides étreintes ; il était trop tard pour l'arrêter, trop tard pour détromper ses adorateurs. En vain ils s'efforcent de le retenir, en vain ils balbutient d'une lèvre tremblante des conseils qu'il n'écoute pas, il faut le suivre sans trêve et sans repos ; après avoir fait César il faut lui donner le monde.

Chose caractéristique et honorable pour la clairvoyance de ce juge invisible, impersonnel et incorruptible qui fait l'opinion publique, c'est au moment où Napoléon a atteint ce sommet vertigineux, c'est au moment où il semble le plus inattaquable et où cependant la tête commence à lui tourner, c'est 'à ce moment que des rumeurs persistantes, qui ne sont fondées sur aucun fait réel, commencent à prédire sa chute comme prochaine et inévitable. La police s'en prend aux fausses nouvelles, mais ce qu'elle ne peut atteindre, c'est la disposition d'esprit qui fait qu'on y croit, il y là tout autre chose qu'une manœuvre de parti, c'est un sentiment intime et profond que ces succès éblouissants ne sont qu'apparence, que cette grandeur sans mesure est un rêve invraisemblable, une surprise qui ne peut être durable. Voilà ce que tout le monde sent avec l'infaillible justesse du bon sens public, et ce qui donne créance aux bruits les plus extraordinaires et les plus dépourvus de vérité. Napoléon s'en irrite avec raison, car il y voit non-seulement la preuve qu'on croit à ces fables, mais qu'on ne croit ni en lui, ni à son œuvre. Il y voit son génie mis en doute et son étoile insultée. Ces rumeurs et la foi qu'on y ajoute sont un démenti que lui jette au visage le plus insaisissable des contradicteurs. Le jour même où nous sommes entrés triomphants à Berlin, le bruit a couru tout à coup que l'Italie nous a été reprise par les Anglais, que Masséna a été tué, que les Russes nous ont chassés de la Dalmatie[25]. Napoléon exaspéré répond qu'il a deux cent mille hommes en Italie, vingt-cinq mille en Dalmatie, que son armée d'Allemagne est sur la Vistule et n'a jamais été plus forte. — Qu'importe ? ce qu'il y a au fond de l'esprit public et ce qu'il n'est pas en son pouvoir de détruire c'est l'idée que dans la situation périlleuse, anormale où nous sommes, nos revers sont devenus plus probables que nos victoires, et cette conviction est si naturelle, que Napoléon la retrouve avec colère jusque dans les préoccupations des hommes qui lui sont le plus dévoués et qui ont tout intérêt à la repousser : « Mon cousin, écrit-il à Cambacérès le 16 novembre, où donc avez-vous été chercher que l'Espagne était entrée dans la coalition ? Nous sommes au mieux avec l'Espagne. Toutes les places fortes sont entre mes mains. »

Cambacérès ne croyait pas dire si vrai, et en réalité ses craintes devançaient quelque peu l'événement. Mais que le fait fût exact ou non, qu'il s'accomplit aujourd'hui ou demain, il paraissait vraisemblable, voilà ce qui était grave ; et de tous ces bruits vrais ou faux il se dégageait une impression très-nette, c'est que cette fantasmagorie ne pouvait durer, qu'un semblable domination n'avait ni stabilité ni raison d'être, qu'elle était contraire à la nature des choses à la marche de l'esprit humain, qu'on ne devait y voir qu'une apparition d'un instant, un phénomène accidentel et passager, enfin qu'il était temps de revenir à une politique plus sage si l'on voulait sauver une faible partie de ce qu'on avait acquis.

 

FIN DU TROISIÈME VOLUME

 

 

 



[1] Quelques-uns de nos historiens ont porté ce chiffre jusqu'à 185.000 hommes, en y comprenant, il est vrai, les garnisons prussiennes. A ce compte il faudrait évaluer l'armée.de Napoléon à 500.000 hommes. C'est là une des fictions habituelles de l'histoire dite nationale. D'après les états officiels publiés par le duc de Brunswick le total de l'effectif prussien ne s'élevait pas au-dessus de 117.000 hommes, y compris le contingent saxon.

[2] On ignore sur quelles données M. Thiers dépeint le prince de Hohenlohe, qui était né en 17/i6, comme le principal des jeunes gens.

[3] Jomini.

[4] L'évaluation que donne à cet égard Fezensac dans ses Souvenirs militaires, nous parait celle qui approche le plus de la vérité. Sur d'autres points ses appréciations sont beaucoup moins exactes en ce qui concerne cette campagne.

[5] Napoléon à Soult, 5 octobre 1806.

[6] Napoléon au général Dejean, 20 septembre.

[7] Napoléon à M. de La Rochefoucauld, 3 octobre 1806.

[8] Napoléon lui-même en jugea ainsi lorsqu'il fut arrivé à Iéna : « L'ennemi est avec quarante mille hommes entre Weimar et Iéna », écrit-il à Ney la veille de la bataille. Ce nombre allait monter à 80.000 hommes dans le cinquième bulletin.

[9] Quatrième bulletin, 13 octobre.

[10] L'ordre tant contesté depuis est aussi précis que possible : « Porte-vous, le plus tôt possible avec le corps de Bernadotte Dornburg ». Napoléon à Murat, 13 octobre. Une lettre expédiée le soir du même jour à Davout par Berthier ajoutait : « Si le prince de Ponte-Corvo était dans vos environs vous pourriez marcher ensemble, mais l’empereur espère qu'il aura déjà marché avec la cavalerie du grand-duc de Berg pour Dornburg. On laissait donc à Bernadotte la faculté de choisir, mais on donnait la préférence à ce dernier mouvement.

[11] Erreur d'autant plus volontaire et calculée qu'il l'aggrava encore dans la relation officielle qu'il fit rédiger plusieurs années après l'événement. Cette relation a été publiée dans le Mémorial du Dépôt de la guerre, t. VIII.

[12] Napoléon au prince primat, 1er octobre.

[13] Napoléon à Mortier, 23 octobre.

[14] Décret d'Iéna, 16 octobre. — Article V.

[15] Mémoires de Rapp.

[16] Neuvième bulletin.

[17] Dix-septième bulletin.

[18] Dix-huitième et dix-neuvième bulletins.

[19] Fezensac, Souvenirs militaires.

[20] Vingt et unième Bulletin.

[21] Vingt et unième Bulletin.

[22] Lucchesini. Sulla causa e gli effetti della Confederazione renana.

[23] Napoléon à Talleyrand, 21 novembre.

[24] Message de Napoléon au Sénat, 21 novembre 1806.

[25] Vingt-neuvième Bulletin, 10 novembre 1806.-