HISTOIRE DE NAPOLÉON IER

TOME TROISIÈME

 

CHAPITRE VI. — INCORPORATION DE GÊNES. - NOUVELLE COALITION. - ÉCHEC DE L'INVINCIBLE ARMADA DE BOULOGNE.

 

 

Napoléon avait quitté Paris presque en même temps que le pape, c'est-à-dire dans les derniers jours du mois de mars 1805, pour se rendre en Italie où tout était prêt pour son couronnement. Son intention avait été d'abord de donner ce trône à son frère Joseph, car il ne se dissimulait pas le mécontentement et les inquiétudes que ce nouvel accroissement de puissance devait faire naître en Europe. Il avait même notifié au roi de Prusse et à l'empereur d'Autriche l'avènement prochain de son frère, disposant de Joseph sans son aveu et se figurant que ces souverains seraient trop heureux de le voir abandonner à un prête-nom ce qu'il lui était si facile de prendre pour lui-même. Il allait jusqu'à dire à l'empereur d'Autriche « qu'il avait sacrifié sa grandeur personnelle et affaibli son pouvoir, mais qu'il en serait amplement récompensé s'il pouvait avoir fait quelque chose qui lui fût agréable ![1] Il était très-douteux que l'empereur François fût aussi charmé que son bon frère voulait bien le croire, mais ce qui était plus inattendu, c'est que Joseph, qu'on n'avait pas consulté, ne voulut pas entendre parler du présent qu'on lui offrait. Il refusa obstinément d'être roi d'Italie, et cela pour ne pas renoncer à ses droits à la couronne de France, tant l'appétit était venu vite à cette famille d'étrangers, hier encore si obscure et si dépourvue i Napoléon, désappointé, voulut disposer de ce trône en faveur du fils aîné de Louis, en chargeant celui-ci de gouverner jusqu'à la majorité du prince. Mais Louis se récria plus vivement encore que son frère en alléguant « qu'une faveur aussi marquée donnerait un nouveau crédit aux bruits qui avaient couru au sujet de cet enfant », à quoi Napoléon répondit en le jetant violemment par les épaules hors de son cabinet[2]. Il n'en fallait pas tant pour le décider à se proclamer lui-même, et c'est ce qu'il résolut de faire en annonçant à l'empereur d'Autriche, pour justifier ce nouveau revirement, « que le gouvernement de la république italienne avait pensé que tant qu'il y aurait des troupes russes à Corfou et des troupes anglaises à Malte, cette séparation des couronnes de France et d'Italie serait tout à fait illusoire[3], » mais que cette situation cesserait aussitôt que l'Angleterre aurait évacué Malte, et la Russie, Corfou. Une telle déférence pour les avis du gouvernement de la république italienne ne pouvait qu'édifier profondément l'empereur d'Autriche, et la promesse qu'on lui faisait devait, comme on pense, le rassurer tout à fait.

Le voyage de Napoléon en Italie avait encore un autre but que le couronnement, c'était de détourner les yeux de l'Europe de l'expédition de Boulogne qui absorbait plus que jamais toutes ses pensées. On doit, selon toute apparence, attribuer à une préoccupation du même genre les démonstrations pacifiques, auxquelles il s'était livré pendant les mois de janvier et de février 1805 avec une prodigalité exceptionnelle de philanthropie et de grands sentiments. Elles avaient été inaugurées par une lettre au roi d'Angleterre conçue dans le style de celle qu'il avait écrite au début du Consulat, niais qui manqua complètement son effet sur le public : cc. Il se sentait accusé dans sa propre conscience par tant de sang versé inutilement.... Il conjurait S. M. de ne pas se refuser au bonheur de donner la paix au monde, de ne pas laisser cette douce satisfaction à ses enfants !... Il était temps de faire taire les passions et d'écouter uniquement le sentiment de l'humanité et de la raison.... Quant à lui, en exprimant ces sentiments, il remplissait un devoir saint et précieux à son cœur ![4] » Napoléon avait obtenu de si grands succès e-n France en jouant avec des mots, H avait vu tant de fois des déclarations, qui étaient en contradiction flagrante avec ses actes, accueillies par une invariable crédulité, qu'il en était devenu prodigue au-delà de toute mesure et s'imaginait volontiers que ce moyen devait lui réussir toujours et partout. Après tant de manques de foi, il offrait encore sa parole comme un gage assuré de ses intentions : elle devait lier tout le monde, excepté lui-même t Après sa lettre au roi d'Angleterre il était désormais établi qu'il n'avait aucune ambition et ne vivait que pour la paix. Il se hâta de prendre le Corps législatif à témoin de son abnégation et de son désintéressement : « Il avait sacrifié les ressentiments les plus légitimes.... il plaçait sa gloire, son bonheur dans le bonheur de la génération actuelle. Il voulait que le règne des idées philanthropiques et généreuses fût le caractère du siècle[5]. » il s'efforça de tirer le même parti de sa démarche auprès des cabinets européens beaucoup moins faciles à persuader : « La démarche que j'ai faite auprès du gouvernement anglais, écrivait-il au prince de la Paix, aura sans doute convaincu Sa Majesté catholique que je n'ai d'autre but que l'intérêt et le bonheur de la génération présente[6]. » La démonstration était en effet concluante et surtout elle avait été faite à peu de frais. Comment mettre en doute désormais les intentions de ce philanthrope méconnu ?

Cette espèce de fantasia pacifique fut close par un morceau à grand orchestre exécuté solennellement en présence du Sénat et des membres de la Consulte italienne que Napoléon avait chargés de venir lui offrir la couronne d'Italie. Il s'étudia particulièrement à faire ressortir dans ce discours l'extrême modération qui présidait à toutes ses transactions politiques. Nous avions conquis la Hollande, la Suisse, les trois quarts de l'Allemagne ; le partage de la Pologne et la conquête des Indes, qui avaient rompu l'équilibre européen à notre préjudice, nous donnaient le droit de garder ces provinces. Cependant nous les avions restituées. La Hollande et la Suisse étaient indépendantes. Les princes de l'Allemagne avaient plus d'éclat et de splendeur que n'en avaient jamais eu leurs ancêtres.

La réunion du territoire de la république italienne nous eût été avantageux et utile ; cependant nous avions également proclamé son indépendance à Lyon ; « nous faisions plus encore aujourd'hui, nous proclamions le principe de la séparation des deux couronnes de France et d'Italie ! Le génie du mal, poursuivait-il, cherchera en vain des prétextes pour remettre le continent en guerre ; aucune nouvelle province ne sera incorporée dans l'Empire. »

Ainsi les puissances européennes étaient averties. Bien loin d'avoir le droit de se plaindre de nous, en raison des infractions commises aux traités de Lunéville et d'Amiens, elles nous devaient une profonde reconnaissance de ce que nous avions daigné leur laisser quelque chose. Quant à leurs doléances au sujet de la Hollande et de la Suisse, c'étaient là de pures rêveries, ces annexes de l'Empire français n'avaient jamais cessé d'être indépendants ! Enfin la création du royaume d'Italie, loin d'être un sujet d'alarmes, était un nouveau bienfait. S'il fallait juger de la sincérité de la promesse solennelle qui terminait le discours impérial, d'après la sincérité de ces déclarations, on doit convenir que les cabinets européens avaient quelque sujet de se défier d'un pareil langage ; et telle fut en effet la seule impression qu'il produisit. Chaque jour leur apportait une raison nouvelle de s'unir contre nous, et ils n'étaient pas encore remis de leur surprise au sujet de la royauté italienne, qu'ils apprirent la transformation semi-monarchique de la Hollande au profit de M. Schimmelpenninck, la créature et l'instrument de Napoléon, qui sous le titre de grand pensionnaire de la Hollande ne fut en réalité que le pensionnaire de la France. Ces événements rendirent la tâche plus facile à nos ennemis. Pendant que Napoléon s'acheminait triomphalement vers Milan pour y ceindre la couronne des rois lombard, au milieu des acclamations d'un peuple auquel les mots magiques et sans cesse répétés de « patrie italienne », faisaient oublier momentanément les humiliations du joug étranger, Pitt et l'empereur Alexandre mettaient la dernière main à l'œuvre patiente et difficile qu'ils avaient entreprise de concert ; ils rédigeaient, après de longues négociations, le traité d'alliance qui devait reconstituer contre nous la coalition européenne.

Dès le 6 novembre 1804, l'Autriche avait signé avec la Russie une convention secrèt3 d'un caractère strictement défensif, analogue à celle qu'Alexandre avait déjà conclue avec le roi de Prusse. Cette convention n'engageait l'Autriche que dans le cas où le statu quo serait troublé soit en Italie, soit clans les États de l'empire ottoman, par de nouveaux envahissements de la France ; elle montre combien les dispositions de cette puissance étaient alors peu belliqueuses, car ce n'étaient point les griefs qui lui manquaient pour nous faire la guerre. Ce résultat était trop mince pour satisfaire Alexandre. Sous l'influence des idées à la fois ambitieuses et philanthropiques, qu'avait fait naître dans son esprit son rôle éphémère d'arbitre de l'Europe, encouragé d'ailleurs par les jeunes gens pleins de générosité et d'illusion qui dirigeaient la politique russe, ce prince avait conçu des plans magnifiques où se révélait longtemps à l'avance l'imagination du mystique ami de Mme de Krudner. Il avait en vue, non plus seulement de réprimer les empiétements de la France, mais d'assurer définitivement le bonheur et la régénération des États européens, par une répartition plus équitable des territoires, et par l'adoption d'un droit public efficace et sanctionné,

Le plan d'Alexandre fut porté en Angleterre par l'un des membres les plus zélés de cet apostolat humanitaire, M. de Nowosiltzoff, qui arriva à Londres dans les premiers jours de l'année 1805. Pitt écouta gravement l'exposé de cette idylle diplomatique décorée du nom d'alliance de médiation, mais il ne tarda pas à faire comprendre au jeune ambassadeur la convenance d'ajourner encore quelque peu la félicité du genre humain, pour s'en tenir au nécessaire et au possible, Faire reculer l'ambition de Napoléon et créer des barrières assez fortes pour la contenir désormais dans de justes limites, lui semblait une besogne suffisante pour l'instant. Tous les autres objets étaient, selon lui, secondaires auprès de celui-là ils ne pouvaient que créer des difficultés pour le moins inopportunes ; une fois ce grand but atteint on aurait toujours le temps de discuter les utopies d'Alexandre. Il écarta donc les unes après les autres toutes les innovations du plan russe, et n'en laissa subsister à peu de chose près que les stipulations qui avaient formé le fond du programme de Lunéville et d'Amiens. Aux termes du traité signé à Saint-Pétersbourg, le 11 avril 1805, par M. de Nowosiltzoff et lord Lewison Gower, les deux puissances contractantes s'engageaient à aider dans la mesure de leurs forces à la formation d'une grande ligue européenne, destinée à assurer l'évacuation du Hanovre et du nord de l'Allemagne, l'indépendance effective de la Hollande et de la Suisse, le rétablissement du roi de Piémont, la consolidation du royaume de Naples, enfin la complète évacuation de l'Italie, y compris l'île d'Elbe. Un article spécial stipulait qu'on ne se mêlerait en rien du gouvernement intérieur de la France, qu'on ne s'approprierait aucune conquête, et qu'à la fin de la guerre un congrès général réglerait la situation de l'Europe. L'Angleterre s'étant refusée à promettre l'évacuation de Malte, l'empereur Alexandre ne voulut signer ce traité que conditionnellement. Il ajourna la ratification. Il se réserva en outre la faculté de faire auprès de l'empereur Napoléon de nouvelles ouvertures de médiation afin d'éviter la guerre ; il se promettait un grand effet de cet arbitrage proposé cette fois au nom de toute l'Europe ; il était sûr en effet de la voir se ranger tout entière derrière lui, la Prusse exceptée. Son envoyé Winzengerode s'était vainement efforcé d'entraîner cette puissance hésitante et versatile qui voulait plaire à tout le monde à la fois. Elle se flattait encore de s'enrichir sans rien exposer, et ne sentit la nécessité de se prononcer que lorsque ce parti ne pouvait plus lui être que funeste. Winzengerode fut plus heureux avec l'Autriche qui, après quelques tergiversations, se décida en principe, à la nouvelle des changements qui s'opéraient en Italie, sauf à débattre ultérieurement avec ses alliés, et particulièrement avec l'Angleterre, le grand financier de la coalition, les conditions de son acquiescement au traité. On était certain d'avance du concours de la Suède et de Naples, et l'on garda l'espérance d'emporter au dernier moment l'adhésion de la Prusse en l'intimidant par une démonstration menaçante opérée sur sa frontière.

Ainsi tout se préparait en Europe pour le renouvellement d'une coalition contre la France. Quelle qu'eût été la réserve apportée dans ces négociations, ce secret était devenu celui de tout le monde, tant la chose paraissait logique et rationnelle. Napoléon qui faisait démentir le bruit dans ses journaux, savait mieux que personne combien il était fondé ; ses ennemis eux-mêmes avaient pris soin de le prévenir comme s'ils avaient voulu avertir avant de frapper. Dès le mois de janvier 1805, dans la note qu'il adressa à Napoléon en réponse à sa lettre au roi d'Angleterre, le cabinet anglais lui avait fait savoir qu'il était en pourparlers pour une entente avec les principales puissances du continent et « particulièrement avec l'empereur de Russie, auquel le liaient des rapports très-confidentiels[7]. » Une foule de symptômes des plus clairs, les allées et venues des envoyés extraordinaires d'une capitale à une autre, les avis de nos diplomates les rapports des gazettes étrangères, même des mouvements de troupes inusités avaient confirmé l'exactitude de cette affirmation. Cependant bien que le projet fût très-avancé, rien n'était encore irrémédiable. L'Autriche, la première exposée aux coups de Napoléon et à demi ruinée par les campagnes précédentes, ne s'engageait dans la coalition qu'avec une répugnance extrême, elle n'avait encore rien signé ; la Prusse était inébranlable dans son indécision, et s'il eût fallu à tout prix se prononcer, elle eût plutôt penché pour nous ; convenablement ménagée par notre politique, cette puissance pouvait tenir le continent en échec ; enfin, Alexandre lui-même ne s'était pas lié irrévocablement. Piqué du dédain avec lequel Pitt avait traité ses plans de régénération européenne, il eût été ravi de prendre sa revanche en résolvant par la diplomatie les difficultés que Pitt voulait trancher par la guerre. Le Czar pour parvenir à ce but s'était décidé à nous faire les plus grandes concessions ; lui seul avait insisté pour qu'un nouvel effort en faveur de la paix fût tenté auprès de Napoléon ; il voulait y employer le même M. de Nowosiltzoff, le confident de toutes ses pensées ; il y apportait les dispositions les plus conciliantes. Profitant de ce que rien n'était encore définitif dans ses engagements avec l'Angleterre, il voulait offrir à Napoléon des conditions bien meilleures que celles du traité. Nowosiltzoff avait pour instruction de maintenir inviolablement l'évacuation du Hanovre et de Naples, l'indépendance de la Suisse et de la Hollande, mais il était autorisé à nous faire en Italie la part beaucoup plus belle que nous n'avions le droit d'y prétendre, car Alexandre consentait à y laisser subsister l'état de choses actuel, à ceci près, que le roi de Sardaigne recevrait Parme et Plaisance comme indemnité du Piémont, et que le royaume d'Italie serait donné à un prince de la maison Bonaparte.

Du reste le négociateur animé de l'esprit souple, insinuant de son maître, devait employer auprès de Napoléon les ménagements les plus délicats et éviter avec soin tout ce qui pourrait blesser sa susceptibilité ; il avait ordre de ne pas faire même une allusion qui pût impliquer la participation de l'Angleterre ou de l'Autriche à la démarche tentée par Alexandre. M. de Nowosiltzoff partit pour Berlin où il devait demander des passeports au gouvernement prussien par suite de la rupture de nos rapports diplomatiques avec la Russie, et dans les premiers jours du mois de mai 1805, Napoléon reçut à Milan une lettre du roi de Prusse, qui lui notifiait la mission du représentant d'Alexandre.

Combien ses dispositions étaient éloignées de celles qu'on lui supposait ! Quand on lit sa réponse au roi de Prusse et la note de Talleyrand qui l'accompagnait, on se demande s'il n'avait pas l'idée arrêtée de pousser l'Europe à la guerre à force de défis et de provocations. A la vérité il ne refuse pas les passeports demandés pour Nowosiltzoff, mais il ne pourra le recevoir qu'au mois de juillet, c'est-à-dire plus de deux mois plus tard ! Deux mois de retard dans un moment si critique où les heures comptent pour des jours ! Et dans l'intervalle il allait faire des choses qui devaient rendre toute conciliation impossible. « Il n'attend rien de cette médiation, écrit-il au roi de Prusse ; Alexandre est trop incertain et trop faible ; il n'en espère rien de hon pour la paix générale... Monsieur mon frère, ajoute-t-il, je veux la paix.... Je n'ai point d'ambition ; j'ai évacué deux fois le tiers de l'Europe sans y être contraint, je ne dois à la Russie sur les affaires d'Italie que le compte qu'elle me doit sur celles de la Turquie et de la Perse. Toute paix avec l'Angleterre pour être sûre doit contenir la clause de cesser de donner asile aux Bourbons, aux émigrés et de contenir leurs misérables écrivains ![8] » Ces paroles n'étaient pas encourageantes pour les négociateurs. Un historien a écrit que dans le cas d'une paix solide Napoléon n'aurait pas eu d'objection à évacuer le Hanovre, Naples, la Hollande et même la Suisse ; que sur tout cela il ne devait pas opposer de difficulté sérieuse[9]. Sa correspondance démontre au contraire jusqu'à l'évidence qu'il était fort éloigné de l'idée de céder quoi que ce fût, sur tous ces points à l'exception du Hanovre, et même au dernier 'moment lorsqu'il était pour lui d'un intérêt si capital d'entraîner la Prusse, il défendit à Talleyrand de prendre aucun engagement avec cette puissance au sujet de la Hollande, de la Suisse et des états de Naples[10].

La lettre du roi de Prusse le surprit au milieu de préoccupations qui ne ressemblaient guère au désintéressement qu'il lui plaisait parfois d'affecter. Depuis qu'il avait pris le titre de roi d'Italie, la tentation, déjà fort ancienne, de faire concorder les choses avec les mots, et de mettre la main sur toute la Péninsule, avait acquis sur son esprit un empire irrésistible. Rien ne semblait plus facile que ce dernier changement, grâce à la résignation apparente de l'Europe et à tout ce qu'il avait déjà fait pour le préparer. Les États, encore indépendants de nom qui subsistaient en Italie, étaient de fait complètement livrés à sa discrétion. Gênes, Lucques, l'Étrurie n'avaient plus même un semblant d'autonomie ; quant au royaume de Naples, il en occupait une partie avec ses troupes, et il lui suffisait de souffler sur cette monarchie pour la faire disparaître. Selon sa méthode constante avec les États qu'il voulait perdre, il s'ingérait sans cesse dans les affaires intérieures de ce royaume, affectait d'y découvrir chaque jour de nouvelles conspirations contre son armée, d'attribuer, par exemple, à l'influence de la reine l'envoi des troupes russes à Corfou ; il faisait étalage de ses griefs, blâmait, conseillait, menaçait tour à tour. Les prétextes ne pouvaient, d'ailleurs, lui faire défaut ; à supposer que la cour de Naples eût jamais été bien disposée en notre faveur, il était impossible qu'elle vit d'un bon œil la présence Je nos troupes au cœur de ses provinces, l'impôt forcé que nous prélevions sur son trésor épuisé, la situation de plus en plus menaçante pour elle que prenait notre domination en Italie ; mais trop impuissante pour agir elle se servait de l'arme des faibles, l'intrigue, et assiégeait de ses plaintes les cabinets européens. Il n'y avait rien là dont on pût s'étonner, ou qui fût nouveau dans sa conduite ; mais Napoléon qui depuis longtemps avait ses vues sur le royaume de Naples, ne se contentait pas de prendre acte de toutes ces imprudences, il se plaisait à les provoquer par la dureté de son langage, il signifiait à la cour de Naples ses volontés en s'arrogeant le ton et les droits du maitre le plus impérieux : « Que Votre Majesté écoute cette prophétie, écrivait-ii à la reine de Naples dès le 2 janvier 1805, à la première guerre dont elle serait cause, elle et sa postérité auraient cessé de régner ; ses enfants errants mendieraient dans les différentes contrées de l'Europe des secours de leurs parents. Par une conduite inexplicable elle aurait causé la ruine de sa famille, tandis que la Providence et ma modération la lui avaient conservée ? » Et il terminait cette singulière lettre de bonne année, en faisant connaître à la reine de Naples les conditions qui lui semblaient propres à conjurer l'effet de cette sinistre prophétie, le renvoi du ministre Acton, l'expulsion d'Elliott, l'ambassadeur anglais, et des émigrés français, le rappel de l'ambassadeur napolitain à Saint-Pétersbourg, le licenciement des milices, et enfin l'adoption d'un système de confiance, c'est-à-dire de complète sujétion vis-à-vis la France. A ces conditions la reine de Naples pouvait encore sauver son royaume ; cela équivalait en effet à le remettre absolument dans les mains de Napoléon qui n'eût plus eu aucune raison pour le lui prendre.

Jusque-là toutefois, il avait été retenu par la crainte d'indisposer les puissances, et n'avait fait en quelque sorte que préparer, pour une époque plus ou moins éloignée, les considérants d'une complète annexion des États italiens à l'Empire français ; mais lorsqu'il se retrouva sur ce premier théâtre de sa gloire, au milieu de ces populations à la fois si dociles et si enthousiastes, l'ivresse du pouvoir et de l'ambition ne tarda pas à l'emporter sur les inspirations de la prudence. Il n'était pas homme à se faire illusion sur la solidité des sentiments qu'on lui témoignait, mais les empressements, l'admiration, l'immense curiosité dont il était l'objet, avaient toujours le don de surexciter en lui ce besoin d'étonner et d'éblouir dont il était dévoré. Les bons Italiens ne trouvèrent plus en lui le général modeste et réservé, aux dehors austères, au langage sentencieux et laconique, qu'ils avaient connu à la tête de l'armée républicaine. Combien les temps étaient changés ! Le rôle avait été mis de côté comme le costume, cette défroque empruntée à Plutarque avait été jetée au vent, et l'homme se montrait aujourd'hui sans contrainte sous son véritable aspect, toujours impérieux, mais intempérant, inquiet, excessif, parlant avec une volubilité extrême dans le geste et la parole, tranchant avec une assurance imperturbable les questions qu'il connaissait le moins, dogmatisant sur la médecine, la peinture, la musique[11], étalant enfin un faste de mauvais goût au milieu 'de quelques brusques retours de simplicité, vrai personnage de théâtre visant sans cesse à l'effet. On le vit dans la plaine de Marengo revêtu de l'uniforme et du chapeau qu'il avait portés le jour de la bataille, donner à ses troupes une grande représentation de cette victoire fameuse. Il avait fait venir de Paris ces oripeaux démodés pour frapper plus vivement l'esprit du soldat ; mais cette exhumation ne produisit que de l'étonnement. Il se décerna ensuite les honneurs du triomphe en défilant sous un arc magnifique érigé*à la porte d'Alexandrie. Les fêtes du couronnement à Milan dépassèrent en splendeur tout ce que les contemporains avaient vu dans ce genre. Il profita de la circonstance pour échanger les insignes de son ordre de la Légion d'honneur avec ceux des ordres des principaux souverains de l'Europe, cérémonie qui devait démontrer péremptoirement que l'Empire marchait de pair avec les plus vieilles monarchies.

Au milieu de ce grand déploiement de puissance et des complaisantes ovations que lui décernaient les Italiens, Napoléon eut bien vite oublié les engagements qu'il avait pris à deux reprises différentes dans le cours de cette même année en déclarant ct qu'aucune province nouvelle ne serait incorporée dans l'Empire. » Il y avait deux mois à peine que cette déclaration avait retenti dans l'enceinte du Sénat ; il l'avait renouvelée explicitement dans ses lettres particulières aux souverains ; et aujourd'hui l'Europe allait apprendre du même coup l'incorporation de la république de Gênes, et l'érection de Lucques et de Piombino en principauté pour Bacciochi, le mari d'Élisa Il opéra cette transformation sans consulter personne et on ne la connut qu'au moment où elle fut consommée. Ces deux républiques étaient absolument soumises à notre influence, mais rien n'était jusque-là définitif dans leur sort ; et plus leur situation était au fond dépendante, plus il était impolitique d'y toucher et de courir de si grands risques pour un simple changement de mots. Ce changement de mots était grave en effet, il voulait dire qu'avec Napoléon il ne pouvait y avoir ni confiance, ni sécurité, ni foi jurée. Il s'efforça de colorer ce nouvel envahissement d'un beau zèle pour les principes du droit maritime foulés aux pieds par l'Angleterre, de son respect « pour les idées libérales auxquelles les Anglais se refusaient à coopérer[12] », il se fit présenter avec ostentation des volumes de signatures fictives ou extorquées par lesquelles les Génois étaient censés demander la réunion de leur patrie à la France, mais personne ne fut plus dupe de ces grossiers mensonges tant de fois renouvelés, et l'effet produit fut irrémédiable. Tout le monde put voir en même temps qu'il préparait au royaume de Naples une surprise toute pareille à celle qui venait de frapper Gènes. La reine lui ayant dépêché à Milan le prince de Cardito en qualité d'envoyé extraordinaire, non pour se plaindre du titre de roi d'Italie comme on l'a dit, mais pour le féliciter de sa nouvelle dignité, Napoléon l'interpella violemment en pleine audience : « Dites à votre reine, s'écria-t-il, que ses brigues me sont connues et que ses enfants maudiront sa mémoire, car je ne lui laisserai pas dans son royaume assez de terre pour y bâtir son tombeau[13]. » Il joignit à cette menace les noms les plus injurieux pour la reine ; le prince de Cardito s'évanouit, et les assistants interdits virent dans ces paroles l'arrêt de la maison royale de Naples, mais les événements le forgèrent à différer l'effet de cette menace.

La nouvelle de la réunion de Gênes, de la transformation de la république de Lucques en principauté, de la scène outrageante faite à l'envoyé de la reine de Naples, présage certain de la chute prochaine d'une maison qui tenait de si près à celle d'Autriche, mit à néant la mission de Nowosiltzoff. Ce diplomate reçut l'ordre de revenir à Saint-Pétersbourg, et, dès lors, la guerre ne fut plus qu'une question de temps. L'Autriche se mit à armer avec toute l'activité que lui permettait la nécessité du secret et le voisinage d'un ennemi si formidable ; la Russie ratifia le traité qui la liait à l'Angleterre sans insister désormais sur l'évacuation de Malte, et l'on ne s'occupa plus que de la discussion du plan de campagne. Ainsi les puissances européennes qui, au moment de notre rupture avec l'Angleterre, étaient les unes bienveillantes pour nous, les autres fermement décidées à conserver leur neutralité, avaient été amenées pas à pas, et à leur corps défendant, à prendre part à cette lutte par une série d'actes qui étaient l'œuvre de Bonaparte seul, et dont la prévoyance la plus élémentaire eût pu conjurer le péril. L'occupation du Hanovre, la violation du territoire de Bade, le meurtre du duc d'Enghien, la proclamation de l'empire d'Occident, la violation du territoire de Hambourg, l'enlèvement du ministre anglais, la proclamation du royaume d'Italie, l'incorporation de Gênes et de Lucques, c'étaient là autant d'entreprises menaçantes qu'aucune nécessité ne motivait, qui n'avaient d'autre raison d'être que le tourment d'une ambition sans repos, et dont la conséquence ne pouvait être qu'une coalition. Ce résultat paraissait tellement infaillible aux moins clairvoyants, que dès le mois de mai 1805, le traité du 11 avril entre la Russie et l'Angleterre était presque universellement connu ; il était dénoncé par le bruit public, ce qui exaspérait Napoléon, car le bruit public ne devait rapporter que les nouvelles qu'il lui convenait de répandre, et si ce messager n'avait pas été aussi insaisissable il l'eût fort probablement fait traduire devant les tribunaux comme factieux : « Monsieur Fouché, écrivait-il à son ministre de la police à l'occasion de ces bruits d'alliance, faites imprimer dans les journaux plusieurs lettres comme venant de Saint-Pétersbourg, et affirmant que les Français y sont bien mieux traités, que la cour et la ville sentent la nécessité de se rapprocher ; qu'enfin les Anglais y sont mal vus, que le plan de la coalition a échoué, que dans tous les cas la Russie ne se mêlera de rien[14]. » Ses confidents même et ses parents les plus proches devaient être ou paraître trompés à cet égard tout comme le public, jusqu'au jour où il lui conviendrait de laisser connaître la vérité, car il fallait qu'on eût en lui une foi aveugle, et il n'admettait pas qu'on pût supposer qu'un événement quelconque fût arrivé sans sa permission spéciale : « Monsieur mon beau-frère et cousin, écrivait-il le même jour à Murat, ce que vous m'écrivez de la conclusion d'un traité d'alliance entre l'Angleterre et la Russie n'a pas de sens, cela est entièrement faux. Les bruits que les Anglais font répandre pour se tirer d'affaire momentanément sont controuvés[15]. »

Afin de mieux accréditer cette opinion, il prolongeait à dessein son séjour en Italie dans une oisiveté apparente, mais en épiant avec vigilance les premiers armements de l'Autriche. En même temps, il était plus occupé que jamais de son projet de descente en Angleterre, que son éloignement calculé rendait de plus en plus invraisemblable. Il se flattait de lui imprimer au dernier moment une rapidité tellement foudroyante que la coalition déconcertée serait dissoute avant d'avoir pu concentrer ses armées. C'est ainsi qu'il passa le mois de juin tout entier, absorbé exclusivement en apparence par l'organisation du nouveau royaume, et par les fêtes splendides que lui donnaient les cités d'Italie pour célébrer l'avènement du héros libérateur. Mais le mois de juillet venu, il jugea que le moment était arrivé de se rapprocher des lieux qu'il avait choisis pour théâtre du grand duel qui allait s'engager entre la France et l'Angleterre. Il quitta donc précipitamment l'Italie, et franchit en quelques jours la distance qui sépare Turin de Fontainebleau. Il laissait à Milan le prince Eugène, qui devait gouverner en qualité de vice-roi. Le prince reçut, avec le décret qui lui déléguait cette autorité, des instructions qu'on peut appeler caractéristiques. Au milieu de recommandations sages et sensées, dictées par l'expérience des affaires et la connaissance des hommes, on lisait ces paroles significatives dans lesquelles Napoléon se révélait lui-même tout entier : « Mes sujets d'Italie sont naturellement plus dissimulés que ne le sont les citoyens de la France. Vous n'avez qu'un moyen de conserver leur estime, c'est de n'accorder votre confiance entière à personne.... Quand vous aurez parlé d'après votre cœur et sans nécessité, dites-vous à vous-même que vous avez fait une faute pour n'y plus retomber. Montrez pour la nation que vous gouvernez une estime qu'il convient de manifester d'autant plus que vous découvrirez des motifs de l'estimer moins. Il viendra un temps où vous reconnaîtrez qu'il y a bien peu de différence entre un peuple et un autre[16]. »

Pendant le séjour de Napoléon en Italie, les opérations préliminaires de la gigantesque campagne maritime s'étaient accomplies avec un succès incomplet, mais suffisant pour l'encourager dans ses espérances. L'amiral Villeneuve était reparti de Toulon, le 30 mars, avec douze vaisseaux et six frégates, échappant de nouveau à Nelson qui l'attendait entre la côte de Sardaigne et celle d'Afrique ; il avait touché d'abord à Carthagène, puis à Cadix, où il avait rallié l'amiral Gravina, mais avec des vaisseaux infiniment inférieurs en nombre et en qualité, à ce qu'on lui avait annoncé. Sur les seize vaisseaux de la marine espagnole ; il ne put en emmener que six, et encore fut-il presque aussitôt obligé d'en laisser en chemin la plus grande partie. Il avait passé sans accident le détroit de Gibraltar, et put faire voile pour les Antilles. Le 13 mai, il mouillait à la Martinique après une marche lente et pénible, pendant laquelle il avait dû employer une partie de ses vaisseaux à en remorquer une autre. Il se trouvait à la tête de dix-huit vaisseaux et sept frégates, grâce à l'arrivée des bâtiments retardataires ; mais il avait manqué sa jonction avec Missiessy qui en ce moment même rentrait en France. Nelson connut dès le 16 avril la direction qu'avait prise notre escadre ; mais, retenu par des vents contraires, il ne put se présenter devant Gibraltar que le 7 mai ; il apprit là seulement, d'une façon certaine, la destination de Villeneuve. La nécessité de convoyer des transports le retarda de quelques jours encore, et le 13 mai, au moment où Villeneuve appareillait devant la Martinique, Nelson s'élançait à sa poursuite avec onze vaisseaux seulement, n'hésitant pas à aller chercher, sur ces espaces immenses, un ennemi qui possédait le double de ses forces, qui avait sur lui un mois d'avance, et dont il ignorait la position précise.

Villeneuve devait, nous l'avons dit, attendre quarante jours à la Martinique pour laisser à Ganteaume le temps de sortir de Brest et de venir l'y rejoindre. Depuis que Villeneuve s'était mis en route, Napoléon impatient écrivait chaque matin à Ganteaume « Partez.... partez, vous tenez dans vos mains les destinées du monde ![17] » Mais les éléments, qui n'étaient pas dans le secret, furent cette année-là d'une sérénité désespérante, et lord Cornwallis bloquait Brest avec une assiduité et une vigilance que rien ne pouvait décourager. Le mois d'avril s'écoula tout entier dans la vaine attente d'un vent favorable, et il fallut encore une fois modifier ce plan grandiose. Be nouvelles instructions, portées successivement à Villeneuve par l'amiral Magon et par la frégate la Topaze, lui prescrivirent de n'attendre Ganteaume que jusqu'au 21 juin, car si, comme cela devenait probable, cet amiral ne trouvait pas avant le 20 mai une occasion favorable pour sortir de Brest, il recevrait l'ordre de ne plus partir. Une fois le délai écoulé, Villeneuve devait revenir en Europe en se dirigeant sur le Ferrol ; là il trouverait une escadre de quinze vaisseaux franco-espagnols. A la tête de toutes ces forces réunies, qui porteraient sa flotte à au moins trente-cinq vaisseaux, il se présenterait devant Brest, forcerait le blocus de Cornwallis, et, après avoir fait sa jonction avec Ganteaume, il pourrait paraître devant Boulogne, ayant sous ses ordres une immense armée navale montant à cinquante-cinq vaisseaux. On lui laissait pourtant le choix, entre plusieurs autres combinaisons moins compliquées, comme de filer tout droit sur Boulogne en négligeant Brest ; et on ajoutait que si, pour un motif quelconque, il se trouvait dans l'impossibilité de remplir ces instructions, il pourrait se replier sur Cadix[18].

La nouvelle de l'arrivée de Nelson à la Barbade, après une navigation de près de moitié moins longue que la nôtre, força Villeneuve à abréger une expectative qui par le fait aurait été inutile, puisque Ganteaume devait être jusqu'au bout retenu par les calmes. Pendant que son ardent adversaire, égaré par de faux renseignements, courait le chercher à la Trinité, puis à Antigoa, Villeneuve, satisfait de la prise du fort, du Diamant et de quelques dégâts causés au commerce anglais, très-désireux d'éviter une rencontre avec un ennemi dont il s'exagérait les forces, enfin subordonnant tout à la nécessité de remplir sa mission, quittait la mer des Antilles pour revenir en Europe.

Dès le 13 juin, Nelson s'était remis à sa poursuite. S'il avait su que la destination de Villeneuve était le Ferrol, il n'est pas douteux qu'il ne l'eût atteint et combattu en route ; mais, ne soupçonnant rien encore du plan de Napoléon, il s'était lancé à toute vitesse dans la direction de Cadix et de Gibraltar, dans la supposition que Villeneuve chercherait à gagner la Méditerranée. Cependant il prit la précaution prudente d'avertir de ce double retour l'amirauté anglaise ; le brick le Curieux, qu'il chargea de cette mission, rencontra en chemin la flotte française, reconnut la direction qu'elle prenait, et, pendant qu'elle était arrêtée par des vents contraires, fit voile pour Plymouth. Le 9 juillet, l'amirauté anglaise reçut cette précieuse information, et quelques jours après, le 15 juillet, une escadre de quinze vaisseaux, sous les ordres de l'amiral Calder, allait attendre Villeneuve à la hauteur du cap Finistère.

Pendant que la partie se compliquait de ces incidents imprévus, Napoléon se livrait à mille conjectures sur les mouvements probables de la marine anglaise, il se plaisait surtout à lui attribuer les plus fausses manœuvres, comme l'expédition d'une flotte aux Indes, ou l'ordre de débloquer Brest. Il gourmandait l'incrédulité de Decrès, dont l'esprit froid et sensé se refusait à partager ses illusions : « Votre défaut, lui disait-il, est de calculer comme si les Anglais étaient dans le secret[19]. » Quant à lui, il calculait comme si les Anglais n'avaient eu d'autre but que de seconder son entreprise et comme s'il avait fait un pacte avec les éléments. Il se voyait déjà maître de l'Angleterre. « Je ne sais pas en vérité, écrivait-il dans la même lettre, quelle espèce de précaution elle peut prendre pour se mettre à l'abri de la terrible chance qu'elle court Une nation est bien folle, lorsqu'elle n'a point de fortifications, point d'armée de terre, de se mettre dans le cas de voir arriver dans son sein une armée de cent mille hommes aguerris ! » Il se préoccupait beaucoup, et avec raison, de la campagne de Nelson, niais au lieu de tout craindre de la rapidité terrible d'un homme qui possédait presque au même degré que lui le génie de la guerre, il ne lui prêtait que des hésitations, des bévues, des pertes de temps : « Nelson perdra deux jours au cap Vert ; il perdra beaucoup de jours à se faire rallier par les vaisseaux et frégates qu'il fera chasser sur sa route. Quand il apprendra que Villeneuve n'est pas aux fies du Vent, il ira à la Jamaïque, et pendant le temps qu'il perdra il s'y réapprovisionner et à l'y attendre, les grands coups seront portés ; voilà mon calcul[20]. »

Ce calcul devait être trompé, parce qu'au lieu de mettre les choses au pis, comme l'exigeaient le déplorable état de notre marine et la difficulté de l'entreprise, il s'obstinait toujours à les mettre au mieux, en véritable enfant gâté de la fortune. Le bonheur avec lequel s'était opérée la jonction de la flottille batave sous les ordres de l'amiral Verhuell, après un combat insignifiant au cap Grinez, avait exalté ses espérances à un point extraordinaire : à mesure que l'instant décisif approchait il perdait tout son calme, modifiait ses plans et remettait en question les résultats obtenus par l'insurmontable mobilité de ses idées. C'est dans un de ces moments qu'il revint au projet de confier à Ganteaume seul la tâche dont il avait chargé Villeneuve. D'après cette nouvelle combinaison, Ganteaume devait tromper Cornwallis ou forcer sa ligne de blocus, se renforcer au Ferrol et à Rochefort, puis revenir tout droit sur Boulogne[21]. Il ne lui manqua pour l'exécuter que de pouvoir sortir de Brest. Au reste il est à remarquer que dans la mise en œuvre de sa grande campagne maritime, Napoléon se montre en tout l'opposé de ce qu'il était dans la guerre sur terre ; il n'y déploie plus aucune des qualités qui ont fait sa merveilleuse fortune. Au lieu de chercher à voir les événements tels qu'ils sont, il les voit tels qu'il les désire ; au lieu d'adopter un plan fixe et de s'y tenir, il en change sans cesse. Il s'en prend aux hommes du vice des choses, s'irrite contre les objections au lieu de les provoquer, nie les difficultés au lieu de chercher à les résoudre, accable de reproches et d'accusations les hommes du métier unanimes contre son projet, au lieu de s'éclairer des lumières de leur expérience.

Pendant que Napoléon adressait à Ganteaume cet inutile appel, Villeneuve rencontrait le 22 juillet à la hauteur du cap Finistère, à environ cinquante lieues au large, la flotte de Calder que l'amirauté anglaise avait envoyée à sa rencontre. Bien qu'il eût sous ses ordres vingt vaisseaux et sept frégates, et que Calder ne comptât pas plus de quinze vaisseaux, Villeneuve n'avait sur lui qu'un avantage très-contestable en raison de l'accablante infériorité de notre marine ; mais il fut protégé par l'indécision de son adversaire. Le combat, contrarié par une brume épaisse qui ne permettait aucune manœuvre d'ensemble, ne fut pas à notre avantage, mais il eut peu d'importance. La flotte anglaise se retira en emmenant deux des bâtiments espagnols ; elle n'osa toutefois ni renouveler l'engagement ni s'opposer aux mouvements de Villeneuve qui put entrer à Vigo, puis au Ferrol et à la Corogne, où l'escadre franco-espagnole se trouva réunie au nombre de vingt-neuf vaisseaux (2 août}[22].

Jusque-là Villeneuve avait rempli ses instructions. Mais les perplexités qui depuis l'ouverture de la campagne n'avaient cessé d'assiéger son esprit en raison de l'immense responsabilité qui pesait sur lui, et de la connaissance approfondie qu'il avait de notre infériorité maritime, étaient devenues plus vives que jamais depuis son retour en Europe. Le combat du cap Finistère, en dépit du courage individuel que nos marins y avaient déployé, l'avait pleinement confirmé dans son ancienne opinion qu’il résumait ainsi dans une lettre à Decrès : « Nous avons de mauvais mâts, de mauvaises voiles, de mauvais gréements, de mauvais officiers, de mauvais matelots. » Mais tout cela n'était rien encore ; il savait maintenant à n'en pas douter que l'Angleterre était avertie, il savait que tout le fruit de cette longue campagne aux Antilles, faite dans le but d'attirer au loin les forces britanniques et de concentrer les nôtres, avait été perdu. Notre concentration n'était en effet guère plus avancée qu'à l'époque où il avait quitté Toulon, car il n'avait pu rejoindre ni Missiessy ni Ganteaume, et les escadres qu'il avait voulu entraîner à sa poursuite, ou n'avaient point quitté l'Europe, ou y étaient revenues en même temps que lui. Il était donc assuré de les rencontrer sur son chemin, soit au sortir du Ferrol, soit devant Brest ; dans ce cas il regardait la bataille comme perdue, mais quelle qu'en fût l'issue, par cela seul que l'éveil était donné, le plan était compromis. Son collègue Gravina pensait exactement de même ; el les événements ne leur donnaient que trop raison. Nelson était de retour à Gibraltar dès le 18 juillet ; aussitôt qu'il avait pu connaître la direction suivie par Villeneuve, il s'était mis en mesure d'aller rejoindre Cornwallis devant Brest malgré les vents contraires ; il opéra sa jonction le 15 août, lui laissa huit vaisseaux, et avec les deux autres se rendit à Portsmouth. La veille, 14 août, Calder en avait amené neuf de sa propre escadre à Cornwallis qui à cette date se trouvait ainsi à la tête d'une flotte de trente-cinq vaisseaux. Il en fit deux parts égales ; le 17 août, il en envoya une de dix-huit vaisseaux pour aller bloquer de nouveau le Ferrol, et garda l'autre pour surveiller Ganteaume, indépendamment de ces deux escadres. les Anglais avaient de Brest au Ferrol un détachement de cinq vaisseaux sous les ordres de l'amiral Stirling et une foule d'avisos et de bâtiments de toute grandeur qui épiaient tous nos mouvements[23].

Villeneuve fut forcé de prolonger son séjour au Ferrol et à la Corogne jusqu'au 11 août par la nécessité de réparer ses avaries. Il ne put mettre t la voile avec toute sa flotte que le 13. S'il s'était dirigé sur Brest avant cette date comme Napoléon impatient le lui avait prescrit, il serait venu heurter avec ses vingt-neuf vaisseaux les trente-cinq bâtiments de Cornwallis, et il eût été écrasé avant que Ganteaume eût pu faire un mouvement. Partant plus tard, il ne lui restait que la chance fort, improbable de se croiser en route avec la flotte que Cornwallis envoyait pour le bloquer au Ferrol, sous les ordres de Calder ; mais quelle vraisemblance qu'il pût dérober sa marche à une escadre suivant exactement la même ligne que lui sur une mer sillonnée de tous côtés de croiseurs ennemis qui le suivaient pas à pas[24] ? Lors même qu'il eût réalisé ce miracle, il eût pu devancer Calder devant Brest mais non dans la Manche où cet amiral serait retourné en toute hâte. Son départ de Brest d'ailleurs ne lui était pas connu, car Calder ne quitta Cornwallis que le 17 août, et Villeneuve devait raisonner dans l'hypothèse d'une triple jonction entre Nelson, Calder et Cornwallis. Il sortit donc du Ferrol en proie à l'irrésolution, au découragement, pliant sous le poids de sa responsabilité, et le cœur plein d'angoisses mais d'angoisses patriotiques, car s'il tremblait ce n'était pas pour lui-même, il le montra assez à Trafalgar. Gravina, qu'on s'est plu si souvent à lui opposer, le suivait lui-même le cœur atterré des ordres auxquels il lui fallait obéir, et selon l'expression de Villeneuve « avec le dévouement du désespoir[25]. » De telles dispositions ne pouvaient aboutir qu'à un désastre. Pour comble de malheur les vents nous étaient redevenus contraires ; nos bâtiments manœuvraient si mal que plusieurs d'entre eux s'abordèrent au sortir du port ; enfin nous étions suivis par deux vaisseaux de ligne et plusieurs frégates britanniques qui ne perdaient pas un seul de nos mouvements[26]. Dans cette situation un vaisseau marchand ayant donné l'avis reconnu faux plus tard de rapproche d'une flotte anglaise de vingt-cinq vaisseaux, Villeneuve n'hésita plus, vira de bord vers le sud, et fit voile pour Cadix en tournant le dos à Brest.

Pendant que le malheureux Villeneuve, cédant à des inspirations peu héroïques mais sages et sensées, retardait l'heure de la destruction de notre marine, avec la certitude de n'avoir pour récompense que les reproches du plus exigeant des maîtres, Napoléon en observation sur la plage de Boulogne, les regards fixés vers l'horizon où il s'attendait sans cesse à voir paraître sa flotte victorieuse, passait par toutes les agitations de la crainte et de l'espérance, il subissait le cœur plein de colère le tourment qu'il était le moins capable de supporter, celui de l'incertitude. Depuis longtemps tout était prêt à Boulogne et dans les ports environnants. L'immense flottille n'attendait qu'un signal ; les troupes répétaient chaque jour leurs manœuvres d'embarquement. Ganteaume avait reçu l'ordre de mouiller dans la rade de Bertheaume pour pouvoir opérer plus facilement sa sortie. Napoléon n'avait connu l'engagement du cap Finistère que le 7 août ; quoique très-mécontent de Villeneuve il lui avait écrit pour l'encourager : « Paraissez ici vingt-quatre heures, lui disait-il, et vous aurez rempli votre mission ![27] » Quelques jours plus tard, le 22 août, il avait lu une lettre clans laquelle Villeneuve exprimait à Decrès ses perplexités en quittant le Ferrol, et cette lecture l'avait exaspéré. « J'estime, écrivait-il au ministre de la marine, que Villeneuve n'a pas le caractère nécessaire pour commander une frégate ! » Il voulait en conséquence lui retirer le commandement pour le donner de nouveau à Ganteaume. Il n'avait d'ailleurs aucune idée exacte de la situation réelle des choses, niait sans aucun fondement la jonction de Nelson avec Calder et Cornwallis, affirmait même d'après les journaux anglais que Nelson avait dû partir pour les îles Canaries[28]. Cependant il croyait encore que Villeneuve marchait sur Brest, et il lui adressait dans cette ville même les lignes suivantes : « Monsieur le vice-amiral, j'espère que vous êtes arrivé à Brest. Partez, ne perdez pas un moment, et avec nos escadres réunies, paraissez dans la Manche. L'Angleterre est à nous ! » (22 août.)

Cette illusion fut promptement dissipée, et Decrès qui avait la même opinion que Villeneuve, sur l'issue inévitablement désastreuse d'une tentative sur la Manche, mais qui n'avait jamais osé dire à Napoléon sa pensée tout entière, se décida enfin à lui faire entendre la vérité avec mille ménagements, mais avec une complète franchise. Cette entreprise ne pouvait, selon lui, qu'entraîner les plus grands malheurs, et si la flotte était partie pour Cadix, il fallait considérer cela comme l'arrêt du Destin ; il fallait revenir au principe d'une guerre maritime compatible avec la médiocrité de nos ressources, c'est-à-dire laisser de côté ces opérations gigantesques d'une exécution presque impossible même avec des marins consommés, et faire à l'Angleterre une guerre de détail. Ainsi tous les hommes éminents qui avaient été les principaux coopérateurs de Napoléon dans cette colossale entreprise étaient au fond du même avis sur ses résultats probables ; car Ganteaume pensait comme Decrès, et Gravina, celui que Napoléon appelait « cette bête de Gravina qui était tout génie et tout feu dans le combat, » pensait comme Villeneuve. Napoléon dut donc se résigner à ce misérable avortement de tant de projets si pompeusement annoncés. Jamais préparatifs plus menaçants et démonstrations plus hautaines n'avaient abouti à un plus piteux dénouement. Un grand désastre, comme celui de la Vogue, lui eût du moins servi d'excuse, et en tout cas l'eût sauvé du ridicule : quand Napoléon pressait si vivement Villeneuve de se faire détruire pourvu que Ganteaume pût sortir de Brest, on peut croire que ce n'était pas sans quelque arrière-pensée d'échapper, même au prix d'une bataille perdue, dont la responsabilité retomberait après tout sur un autre, à la fausseté de sa propre situation.

Tous ses calculs furent trompés à la fois, et sa colère fut proportionnée à ses mécomptes : il se répandit en plaintes amères sur l'incapacité de ses hommes de mer, sur la mauvaise volonté de Decrès, sur la honteuse faiblesse de Villeneuve qui était à la fois un lâche et un traître, accusant en un mot tout le monde excepté lui-même, unique auteur du mal par son infatuation et son aveugle entêtement. Si les choses avaient suivi leur cours naturel, il n'y aurait pas eu assez de sifflets en Europe pour célébrer cet immense fiasco, mais Napoléon avait déjà pris ses précautions pour que l'attention des peuples se portât d'un autre côté.

Ce qui paraîtra en effet mille fois plus incroyable encore que les péripéties que nous venons d'exposer, c'est que pendant tout ce temps-là et à la veille même d'opérer cette descente si chanceuse en Angleterre, loin de chercher à apaiser ses ennemis du continent, Napoléon n'avait pas cessé un instant de les provoquer et de les pousser à la guerre. Ses relations, déjà si tendues, avec l'Autriche, n'avaient fait qu'empirer de plus en plus. Dès le 31 juillet, il écrivait à Talleyrand : « Les renseignements d'Italie sont tous à la guerre. » Cette puissance armait à force, il le savait, il là i avait signifié à plusieurs reprises d'avoir à cesser ses armements ; il faisait insérer dans le Moniteur les articles les plus menaçants ; le 12 août il lui adressait de nouvelles sommations en lui annonçant ti qu'il allait lever ses camps de l'Océan et faire entrer ses troupes- en Suisse » ; il savait enfin, d'une façon certaine, que derrière elle il y avait la Russie, la Suède et Naples, que la Prusse était chancelante, qu'aucun de -nos alliés n'était sûr, et en présence d'une situation pareille il n'en persistait pas moins à vouloir se jeter en Angleterre avec la seule armée qui pût couvrir la France. Que voulait-il, qu'espérait-il donc, ce génie halluciné ? tomber à Londres comme la foudre et être de retour avant que l'armée de la coalition eût pu mettre le pied sur notre territoire ? C'était là l'idée la plus aventurée et la plus folle I Qui peut croire, sans une insigne puérilité, qu'une nation si énergique et si fière ne lui eût pas même opposé la résistance qu'il avait rencontrée chez les nègres de Saint-Domingue ? Les historiens français ont réduit et atténué jusqu'au ridicule les forces militaires que pouvait alors nous opposer l'Angleterre. Il résulte de tous les documents officiels publiés alors sur l'état des forces britanniques, qu'elles montaient à quatre cent mille hommes pour les volontaires seulement. A supposer que Napoléon eût réussi clans l'opération si périlleuse du débarquement, malgré Nelson, malgré la flotte com binée de Cornwallis et de Calder, malgré l'innombrable quantité de navires de toute grandeur qui étaient prêts à nous disputer le passage, à supposer qu'il eût réuni sur un seul point du rivage britannique ses cent cinquante mille hommes au grand complet, est -il admissible que ces quatre cent mille volontaires soutenus par une armée régulière de la plus grande solidité ne lui eussent pas résisté assez longtemps pour permettre à la coalition d'envahir la France sans défense ? C'est là un roman tellement chimérique qu'il ressemble aux visions d'un cerveau malade et qu'on serait invinciblement amené à penser que tout n'y a été que mensonge et comédie, sans les milliers de témoignages qui attestent combien Napoléon a pris ce rêve au sérieux. A tous ceux que j'ai déjà cités, j'en ajouterai un dernier qui n'est pas le moins curieux. C'est une médaille où l'on voit d'un côté la tête de l'empereur couronnée de lauriers, et de l'autre, l'image d'Hercule étouffant dans ses bras le géant Antée. La devise porte : « Descente en Angleterre », et au-dessous en petits caractères : « frappée à Londres en 1804[29] ». Cette légende menteuse, éternel monument de la présomption de celui qui la fit frapper, fut tout ce qui resta de la grande expédition.

La juste confusion qui était inséparable d'un pareil Échec, l'état d'hostilité ouverte auquel il avait poussé ses ennemis, obligeaient Napoléon à prendre une résolution prompte et hardie s'il voulait éviter le ridicule et profiter de ses avantages. Il en avait en effet de très-considérables, il possédait selon sa propre expression la plus belle armée de l'Europe, armée tout entière disponible, tandis que les troupes de la coalition dispersées sur d'immenses espaces n'étaient qu'à moitié organisées et pas du tout aguerries ; il connaissait les vues des coalisés, qui ne savaient rien de ses plans ; en agissant avec sa rapidité habituelle, il pouvait être à Vienne avant que les Russes ne fussent en Moravie. Toutes ces circonstances lui étaient connues, il avait mille fois agité dans son esprit l'éventualité d'une volte-face de son armée de l'Océan vers l'Allemagne, ses lettres à Talleyrand, à Cambacérès, le prouvent jusqu'à la dernière évidence. Il avait d'ailleurs, depuis longtemps, l'habitude de faire toujours comme il le disait « son thème en deux façons, e afin de n'être jamais pris au dépourvu. Il y a donc plus de fantaisie que de sérieux à nous le montrer transformant en un instant ses plans déconcertés par la défection de Villeneuve, et improvisant dans une dictée à Daru, par un sublime effort sur lui-même, le plan de sa magnifique campagne en Allemagne. Il y pensait depuis plusieurs mois, en se réservant à la vérité le choix du moment ; et il avait déjà pris bien des précautions préliminaires, ce qui d'ailleurs n'ôte rien au mérite de la conception. Si, comme on le donne à entendre, Napoléon n'avait songé qu'au dernier moment à la possibilité de ce revirement, il faudrait lui dénier toute prévoyance, et refuser à son intelligence politique beaucoup plus qu'on n'accorde à son génie militaire.

Il prit donc immédiatement le parti de se dérober aux embarras de la situation la plus fausse et la plus intolérable, en se jetant sur l'Allemagne avec toute son armée que ces deux ans de continuels exercices avaient portée à un degré de force incomparable. Ses principaux corps commencèrent aussitôt à s'ébranler ; ses lieutenants reçurent sur tous les points des instructions relatives à leurs premières dispositions. Bernadotte qui commandait l'armée du Hanovre, eut l'ordre de masser ses troupes vers Gœttingue ; Eugène, de porter les siennes sur l'Adige ; Saint-Cyr, de se tenir prêt à se jeter sur Naples ; Marmont de se disposer à marcher du Texel sur Mayence, le tout dans le plus grand secret, afin de laisser à ses ennemis toute leur sécurité. En même temps Duroc partit pour Berlin avec la mission d'offrir le Hanovre à la Prusse pour prix d'une démonstration comminatoire contre l'Autriche ; mais il ne devait pas souffrir qu'on mît en question l'indépendance de la Suisse, de la Hollande ou de Naples. Faite quelques mois plus tôt, cette offre eût été décisive et nous eût valu l'alliance de la Prusse ; aujourd'hui il était bien tard pour la faire accepter à une puissance devenue défiante et liée par d'autres engagements.

 

 

 



[1] Napoléon à l'empereur d'Autriche, 1er janvier 1805.

[2] Mémoires de Miot de Mélito.

[3] Napoléon à l'empereur d'Autriche, 17 mars.

[4] Napoléon au roi d'Angleterre, 2 janvier 1805 ; Moniteur du 5 février.

[5] Discours au Corps législatif, 10 février 1805.

[6] Napoléon au Prince de la Paix, 19 février.

[7] Lord Mulgrave à Talleyrand, 14 janvier 1805.

[8] Napoléon au Roi de Prusse, 9 mai 1805.

[9] Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire.

[10] Napoléon à Talleyrand, 22 août 1805.

[11] Carlo Botta, Storia d'Italia dal 1789 al 1814.

[12] Discours à la députation du Sénat et du peuple de Gênes, 6 juin 1805.

[13] Pietro Colletta, Storia dei reame di Napoli.

[14] Napoléon à Fouché, 26 mai 1805.

[15] Napoléon à Murat, 26 mai 1805.

[16] Napoléon au prince Eugène, 7 juin 1805,

[17] Napoléon à Ganteaume, 11 avril 1805.

[18] Napoléon à Decrès, 8 mars 1805. — A Villeneuve, même jour, première et deuxième instruction.

[19] Napoléon à Decrès, 9 juin 1805.

[20] Napoléon à Decrès, 28 juin.

[21] Napoléon à Ganteaume, 20 juillet.

[22] Rapport et journal du vice-amiral Villeneuve. — Rapport de Calder à l'amiral Cornwallis, en date du 23 juillet, Annual register for the year 1805.

[23] M. Thiers dit au sujet de cette jonction (tome 6me, page 130) : « La nouvelle de la réunion de Nelson avec les amiraux Calder et Cornwallis était vraie sous quelques rapports, car Nelson avait visité Cornwallis devant Brest, mais elle était fausse en ce qu'elle avait d'important puisque Nelson ne s'était pas arrêté devant Brest et avait fait voile vers Portsmouth. » Il ne s'y était pas arrêté en effet, mais il y avait laissé sa flotte à l'exception de deux vaisseaux ; n'était-ce pas cela qui était l'important ?

[24] M. Thiers n'hésite pas : « il se serait croisé, dit-il, sans se rencontrer avec Calder qui serait venu bloquer le Ferrol vicie ; il aurait surpris Cornwallis, etc. » M. l'amiral Jurien de la Gravière, sévère pour Villeneuve, dit cependant : « il est plus probable que Calder aurait été informé des mouvements de Villeneuve. » Guerres maritimes.

[25] Villeneuve à Decrès, 22 août.

[26] Villeneuve à Decrès, 22 août.

[27] Napoléon à Villeneuve, 13 août.

[28] Cette lettre, qui est capitale pour la justification de Villeneuve, est du 22 août 1805.

[29] Un des exemplaires est en Angleterre, et lord Stanhope, à qui j'emprunte ce fait curieux, en possède une copie.