HISTOIRE DE NAPOLÉON IER

TOME DEUXIÈME

 

CHAPITRE X. — RUPTURE DU TRAITÉ D'AMIENS.

 

 

Le traité d'Amiens, signé après de longues discussions, le 25 mars 1802, avait laissé de graves questions en suspens entre la France et l'Angleterre. Ces questions, abordées à plusieurs reprises dans le cours des négociations, soit par Joseph soit par lord Cornwalis, avaient été écartées de guerre lasse par suite d'une évidente impossibilité de s'entendre ; et l'arrangement définitif les avait passées sous silence. La plus sérieuse de ces difficultés était l'accroissement considérable de puissance que la France avait gagné pendant même qu'on discutait à Londres et à Amiens les conditions de la paix. C'est à ce moment indécis, où l'on n'était ni en paix ni en guerre, et où l'Angleterre ne pouvait encore invoquer des traités qui n'étaient pas signés, que Bonaparte s'était hâ-U, de réaliser l'asservissement plus ou moins déguisé de la Hollande au moyen de la nouvelle constitution batave, de la Cisalpine au moyen de la consulte de Lyon, de Gênes au moyen d'un changement d'institutions, du Piémont au moyen d'une réunion qui était censée n'être que passagère et momentanée. Il avait compté que le cabinet Addington, dans son désir immodéré de conclure la paix, le laisserait faire sans opposition, et en cela il ne s'était pas trompé. Le gouvernement anglais avait fermé les yeux sur des actes qu'il ne pouvait empêcher, en se disant qu'après tout ils n'étaient que provisoires au moins en ce qui concernait la Hollande et le Piémont, car la Hollande avait été admise, à Amiens, comme puissance indépendante, et rien n'avait été statué définitivement quant au Piémont. Le Premier Consul était allé plus loin et s'était efforcé d'obtenir du ministère anglais une ratification formelle de tous ces actes de violence et d'usurpation. Cette fois il avait échoué. Le cabinet anglais s'était obstinément refusé à reconnaître les simulacres de gouvernement que Bonaparte avait introduits dans ces divers pays. N'ayant plus dans sa situation actuelle aucun moyen de s'opposer à ces changements, il les avait subis comme des faits plus forts que sa volonté, mais il n'avait pas voulu les accepter. C'était assez dire que s'il consentait à tolérer, malgré ses répugnances, un état de choses inquiétant pour son indépendance et nuisible à ses intérêts, il n'en supporterait pas l'aggravation. L'attitude de l'Angleterre signifiait clairement ceci : « Nous avons souffert par amour pour la paix tout ce que vous avez fait jusqu'ici, mais si vous faites un pas de plus, c'est la guerre ! Bonaparte avait tiré de ce refus une conséquence toute différente : « Puisque l'Angleterre, disait-il dans une note lue par Joseph à Cornwalis, le 21 février, refuse de reconnaître ces nouveaux États, elle perd le droit de se mêler de leurs affaires, et de se plaindre de leur complète incorporation à la France. » Et le traité d'Amiens était à peine signé, qu'il se disposait en effet à mettre sa conduite d'accord avec cette exorbitante déclaration de principes.

Un autre sujet de démêlé, bien nouveau dans l'histoire diplomatique des peuples, était la liberté à peu près illimitée dont la presse jouissait en Angleterre. Les délits commis par la voie de la presse y étaient assimilés aux délits commis par toute autre voie, ils étaient soumis au droit commun, et l'on n'avait à en répondre que devant les tribunaux. C'était un gouvernement issu de la Révolution française qui osait ici invoquer un grief auquel l'ancien régime n'avait jamais songé. Aucun fait ne constatait plus cruellement la honte et l'abaissement de la nation de 1789. Bonaparte avait demandé, pendant les négociations, que les libellistes, c'est-à-dire les écrivains qui osaient critiquer sa personne ou blâmer sa politique, fussent assimilés aux assassins et aux faussaires, et comme tels soumis aux lois d'extradition. Cette prétention avait été repoussée, très-doucement il est vrai, par le cabinet Addington, qui même en y employant tous ses efforts, eût été fort embarrassé de faire accepter au Parlement une pareille mesure ; mais le Premier Consul, encouragé par une modération dans laquelle il croyait voir une preuve de faiblesse, n'avait nullement renoncé à l'espoir d'imposer sa volonté à l'Angleterre. N'ayant pas même l'idée de ce que c'est qu'un gouvernement fondé sur l'opinion, il ne voyait dans les ménagements du gouvernement anglais pour la presse qu'une lâcheté, et dans ses scrupules que de l'hypocrisie. Il avait donc conservé l'arrière-pensée de vaincre les résistances d'Addington par la menace et l'intimidation.

A ces dissentiments profonds, ou pour mieux dire inconciliables, sur la façon d'envisager les obligations réciproques des deux pays, leurs droits, leur rôle en Europe, se joignait une opposition d'intérêts industriels et commerciaux, qui par sa nature n'était nullement dangereuse pour la paix, mais qui allait devenir telle grâce aux exigences et aux prétentions du Premier Consul. En négociant le traité d'Amiens, il s'était formellement refusé à la conclusion d'un traité de commerce entre la France et l'Angleterre. Il avait réservé la question comme un moyen sûr d'influer ultérieurement sur les déterminations du cabinet anglais. Si en conséquence de cette politique, il s'était contenté d'interdire aux marchandises anglaises tous les ports et tous les marchés de la France, sous le prétexte plus ou moins spécieux de protéger notre industrie, il n'aurait fait qu'user d'un droit très-préjudiciable aux deux peuples, mais enfin d'un droit strict et qui pouvait se défendre ; mais il entendait leur fermer également l'accès de tous les pays qui dépendaient de nous, celui de la Hollande, celui de la République italienne, de Gênes, du Piémont, de la Suisse, celui même de l'Espagne, qu'il s'accoutumait de plus en plus à traiter en province conquise. Il avait nettement formulé ces diverses prétentions dans les conférences d'Amiens[1]. Une prohibition imposée dans de telles proportions, avait le caractère d'un véritable blocus tracé autour de l'Angleterre et tendait à la faire périr d'inanition au milieu de ses richesses.

Une dernière difficulté allait surgir naturellement de l'exécution même de la clause du traité d'Amiens qui était relative à l'évacuation de Malte. Cette évacuation était subordonnée à l'acceptation par les grandes puissances de la garantie que le traité leur avait déférée, et le cabinet anglais avait mis le plus loyal empressement à leur demander cet acquiescement, pendant que notre diplomatie montrait à cet égard une tiédeur et une négligence difficiles à expliquer ; mais l'on ne tarda pas à apprendre que la Russie était peu disposée à accorder sa garantie et qu'elle y mettait des conditions peu acceptables[2]. De là un retard inévitable dans l'exécution de la clause relative à File de Malte, et par suite, de nouvelles causes de dissentiments et de discordes.

Tels étaient les germes du malentendu existant entre la France et l'Angleterre au moment où fut conclue la paix d'Amiens. Quelque formidables qu'ils soient devenus en très-peu de temps, il était facile au début de ne pas les laisser grandir. Le ministère Addington tenait à la paix, elle était sa seule raison d'être ; il mettait sa gloire à la rendre durable ; il l'opposait avec orgueil à ses nombreux adversaires comme son œuvre propre et comme son titre à la reconnaissance du pays ; ce fait résulte avec une telle évidence de toutes les discussions du temps, et surtout des débats parlementaires britanniques, qu'il n'a pu être méconnu que par la plus obtuse ignorance. La France n'était pas moins intéressée à la paix que l'Angleterre, on peut même dire que son peuple la voulait malgré le goût qu'il avait contracté depuis peu pour les conquêtes et les aventures. II en avait besoin pour son commerce, pour ses manufactures à peine renaissantes, pour la sécurité de ses récentes entreprises coloniales, pour la réparation de tous les maux que lui avaient fait dix ans de guerre. Il était rassasié de gloire militaire, satisfait des avantages obtenus, avide des bienfaits si longtemps différés de la prospérité intérieure. Le Premier Consul lui-même, quelque incompatibles que fussent ses secrètes visées avec le maintien de la paix, parut d'abord la désirer sincèrement. Il s'occupa des moyens de relever notre industrie ; il donna une plus vive impulsion aux travaux de l'intérieur ; il prépara une expédition destinée à prendre possession de la Louisiane que lui avait cédée l'Espagne en échange du royaume d'Étrurie ; il consentit même sur les instances du cabinet anglais â. envoyer en Angleterre un agent chargé de négocier un traité de commerce ; mais la transaction proposée par cet agent était si follement conçue, que sa mission ne pouvait pas être considérée comme sérieuse. Ce traité de commerce, Bonaparte espéra jusqu'au bout se le faire acheter au prix d'une adhésion de l'Angleterre à sa politique.

On vivait en plein dans ces illusions, lorsqu'au commencement de juin 1802, un peu plus de deux mois après la signature du traité d'Amiens, Merry, le chargé d'affaires de l'Angleterre à Paris, fit part à son_ gouvernement des plaintes que le Premier Consul élevait de nouveau au sujet des attaques dont il était l'objet de la part de la presse anglaise et au sujet des menées des émigrés. La presse britannique critiquait en effet sa politique avec une vivacité d'autant plus marquante, qu'elle seule osait parler au milieu du silence du reste de l'Europe. Sa violence était d'ailleurs de beaucoup surpassée par celle de quelques feuilles que rédigeaient à Londres des Français réfugiés, et parmi lesquelles on remarquait surtout l'Ambigu de Peltier, l'ancien rédacteur des Actes des apôtres. Mais ces critiques, tantôt justes, tantôt outrées, étaient de celles qui de tout temps ont été inséparables de la liberté d'écrire. Merry fut chargé de répondre en ce qui concernait la presse, qu'elle jouissait en Angleterre d'une entière liberté garantie par la constitution ; et en ce qui concernait les émigrés qu'on réprimerait leurs actes, mais qu'aller plus loin, et prendre contre eux des mesures préventives serait incompatible avec l'honneur et avec les lois de l'hospitalité[3]. Le gouvernement français ne se tint pas pour battu ; il revint à la charge en insistant sur ses demandes et en réclamant cette fois l'expulsion ou le châtiment de Peltier, de Cobbett et consorts au nom du droit des gens[4].

Cette ingérence, dans les affaires intérieures d'une nation libre, avait quelque chose de singulièrement provocateur ; de la part de Bonaparte elle avait un caractère plus significatif et plus inquiétant encore quand on se rappelait ce qu'il en avait déjà coûté à Venise, à la Hollande, à la Suisse, à l'Espagne pour lui avoir permis une semblable intervention ; avec tout autre ministère elle eût été dès le début repoussée de façon à ne pouvoir pas être reproduite. Mais le faible Addington avait une telle crainte de compromettre la paix, que lord Hawkesbury apporta dans sa réponse une modération exagérée, de nature à faire naître des espérances qu'il ne pouvait pas satisfaire. Otto lui avait communiqué comme pièce à l'appui, un numéro de l'Ambigu, rempli d'injures contre Bonaparte, ; il reconnut qu'elles étaient punissables ; mais, dit-il remarquer avec raison, le gouvernement anglais était lui-même sans cesse en butte a de pareilles attaques, et bien que leurs auteurs fussent placés sous son autorité immédiate il n'y accordait aucune attention. Au reste il consulterait l'attorney général sur ce qu'il y avait à faire à cet égard. Quant aux émigrés, il rappelait que lorsque Jacques II s'était réfugié en France, le cabinet anglais n'avait jamais fait aucune démarche pour demander son expulsion[5]. Cependant il promit à Otto de faire passer en Angleterre les réfugiés de l'île de Guernesey, et lui fit entrevoir la possibilité que Georges et les principaux chefs chouans fussent embarqués pour le Canada, sans toutefois prendre à cet égard d'engagement formel.

Mais il connaissait bien mal son adversaire, s'il s'imaginait l'apaiser par des ménagements et des demi-concessions. Otto, poussé par le Premier Consul, répliqua, le 17 août, par une note beaucoup plus accentuée que tout ce qu'il avait signifié jusque-là au cabinet anglais. Cette pièce[6] avait moins le ton d'une requête que celui d'un ultimatum : « Les lois et la constitution particulière de l'Angleterre toléraient la censure des actes de son administration intérieure, soit, mais au-dessus de cette constitution il y avait les principes généraux du droit des gens devant qui se taisent les lois des États. S'il était de droit en Angleterre de laisser à la presse la liberté la plus étendue, il était du droit public des nations policées et d'une obligation rigoureuse pour les gouvernements de prévenir, de réprimer, de punir toutes les atteintes qui pouvaient être portées par cette voie aux droits, aux intérêts, à l'honneur des puissances étrangères. Cette maxime du droit des gens n'avait jamais été violée sans préparer les plus grands déchirements... » Otto reprenait ensuite l'énumération de ses griefs contre les libellistes et contre les réfugiés de tout ordre, sans relever toutefois contre ces derniers d'autres faits que 3 leurs réunions, leurs complots, leurs trames odieuses, » vagues imputations qui n'ont jamais été admises par un gouvernement ayant le souci de sa dignité ; il rappelait un article du traité d'Amiens stipulant que les deux nation s n'accorderaient aucune protection à ceux qui voudraient leur porter préjudice ; » il invoquait les dispositions tombées en désuétude de l'alien-bill ; puis il concluait en résumant les réclamations du Premier Consul dans les six points, suivants : 1° emploi de moyens efficaces pour réprimer les publications séditieuses, les journaux et autres écrits publiés en Angleterre ; 2° éloignement des réfugiés de Jersey ; 3° éloignement des ci-devant évêques d'Arras, de Saint-Pol-de-Léon et de tous ceux qui les imitaient ; 4° déportation au Canada de Georges et de ses adhérents ; 5° éloignement de tous les princes de la maison de Bourbon ; 6° expulsion de tous ceux des émigrés français qui se permettaient de porter des ordres et des décorations de l'ancien gouvernement de France.

En lisant le détail de cette étrange sommation adressée à un peuple orgueilleux qui venait à peine de déposer l'épée après dix ans de guerre, on se demande ce que Bonaparte aurait pu y ajouter, si au lieu d'être le ministre de la libre Angleterre, Addington n'avait été qu'un simple délégué de la haute police consulaire. Cette insistance menaçante du gouvernement français l'avait jeté dans le plus cruel embarras, et il n'est pas douteux qu'il n'eût été personnellement très-heureux de lui donner satisfaction, mais son pouvoir n'allait pas jusque-là Le ministère Addington, ébranlé sans relâche par les attaques combinées de la fraction la plus ardente du parti Tory, et de la portion la plus influente et la plus considérable du parti Whig, n'était plus couvert que par la préférence partiale du roi et par la dédaigneuse abstention de Pitt. Dès la première démonstration dans le sens des concessions qu'on lui demandait, il eût été renversé. 11 persista donc à faire entendre raison au Premier Consul. Les attaques dont Bonaparte se plaignait étaient inséparables de la liberté de la presse, et il n'était pas au pouvoir du gouvernement de les réprimer. Mais les crimes et délits commis par cette voie étaient, comme tous les autres, justiciables des tribunaux, et il pouvait porter sa cause devant eux comme le faisaient les particuliers. Au reste, la violence des journaux anglais était au moins égalée par celle des journaux français et du Moniteur ; or, tout le monde savait que le Moniteur était un journal officiel ; « cependant S. M. avait toujours regardé comme au-dessous de sa dignité de faire aucune plainte à ce sujet[7]. » Le seul journal qui eût un caractère officiel en Angleterre, était la London-Gazette, et l'on n'avait rien de semblable à lui reprocher. Quant aux autres prétentions du gouvernement français, on promettait d'y avoir égard en ce qui concernait les réfugiés de Jersey, qu'on éloigna en effet, mais on les repoussait nettement en ce qui regardait les princes de la maison de Bourbon et les émigrés coupables de porter leurs décorations.

L'assertion de lord Hawkesbury relativement au Moniteur était de tout point exacte. Ce journal contenait presque chaque matin, à l'adresse de l'Angleterre des articles qui par leur violence et leur acrimonie auraient pu figurer sans désavantage à côté de ceux de Peltier, mais ce que le ministre britannique ignorait, c'est que ces articles étaient presque toujours inspirés par le Premier Consul, et quelquefois son œuvre personnelle. Ils étaient pleins de défis, d'imputations outrageantes contre le gouvernement, d'insultes contre la nation : « Quel résultat, disait-il un jour, peut attendre le gouvernement anglais en fomentant les troubl.es de l'Église, en accueillant et revomissant sur notre territoire les brigands des Côtes-du-Nord et du Morbihan, couverts du sang des principaux et des plus riches propriétaires de ces malheureux départements ? Ne sait-il pas que le gouvernement français est plus solidement établi aujourd'hui que le gouvernement anglais ? Croit-on que la réciprocité serait difficile pour le gouvernement français ? Quel serait l'effet de cet échange d'injures, de cette protection et de cet encouragement accordé aux assassins ?[8] » Un autre jour il disait à propos des élections : « Jean-Jacques a écrit que les Anglais n'étaient libres qu'une fois en sept ans, lorsqu'ils choisissaient leurs représentants au Parlement. Il n'avait considéré cette liberté comme beaucoup d'autres choses qu'à travers le prisme de son imagination. S'il avait pu être témoin de ce grand acte de liberté, il n'y aurait vu que des scènes de corruption, de licence et d'ivrognerie[9]. »

Pour donner plus de vraisemblance à ces allégations, le Moniteur se faisait écrire de Londres par de prétendus Anglais des lettres pleines de calomnies grossières contre la nation britannique : « Rien n'égale les excès de nos élections. Plus de quarante personnes ont été tuées à cette occasion dans les différentes parties du royaume. Nos élections ressemblent à des saturnales, mais à des saturnales sanglantes.... Celui qui a le plus d'argent est assuré d'avoir le plus de votes, etc.[10]. » Le même journal publiait des études sur le gouvernement anglais pour démontrer qu'il n'avait d'autre base que la corruption[11]. Il examinait son budget pour prouver qu'il touchait à une ruine et à une banqueroute : « Quelle différence, s'écriait-il sous forme de conclusion, entre un peuple qui fait des conquêtes par amour pour la gloire et un peuple de marchands qui devient conquérant ! »

Bonaparte avait organisé une presse spéciale, chargée exclusivement d'insulter l'Angleterre et de déchirer son gouvernement. Il y employait le misérable Barrère, descendu au rôle d'espion de police et d'aboyeur à gages, Fiévée, qui lui adressait d'Angleterre des articles pour le Mercure, indépendamment de ces lettres vides, vagues et ternes, quoique parfois spirituelles, qu'on a imprimées depuis. Il y employait encore des esprits excentriques et dévoyés, tels que Montlosier, des hommes capables de tout, tels que Méhée ou Beauvoisin qu'il envoyait en Angleterre pour y écrire à la fois des libelles et des rapports secrets sur les émigrés, des renégats enfin, tels que ce Goldsmith, qui réfugié en France à la suite d'une condamnation judiciaire, rédigeait en anglais l'Argus, et déversait à prix d'argent l'outrage et l'infamie sur son pays natal. Mais ces représailles ne suffisaient nullement agi Premier Consul, elles ne diminuaient en rien son irritation, car on ne les lisait pas ; et le public avide de tout ce qui s'attaquait à son pouvoir n'accordait aucune attention à ces ripostes payées. Il y avait un coin de terre en Europe, un seul, où l'on pouvait critiquer librement ses actes et sa personne, où l'on pouvait, chose mille fois plus insupportable que les injures, lui dire la vérité à lui, l'homme devant lequel l'univers s'était tu, selon l'expression de la brochure de Fontanes ; il ne voyait plus dans le monde que ce point unique d'où l'on osait encore le braver, et ses yeux ne pouvaient s'en détacher. Il eût voulu l'anéantir. Si l'on veut se faire une idée de son exaspération, on n'a qu'à se rappeler le paroxysme de colère dans lequel l'avaient été les attaques des journaux de Paris à l'époque des interpellations do Dumolard, au sujet de l'occupation de Venise en 1797. Et depuis lors, que de batailles gagnées, et quels pas de géant, non-seulement vers le pouvoir suprême, mais vers la domination de l'Europe 1 Il se considérait aujourd'hui comme à la veille de devenir le maitre du continent ; il croyait n'avoir plus qu'à étendre la main pour saisir le sceptre du vieil empire d'Occident ; et tous ses plans si bien formés pour concourir à ce dénouement allaient être discutés, analysés, percés à jour par une presse active, vigilante, qui pénétrait partout. Ses indignes procédés envers les peuples faibles, ses hypocrites usurpations couvertes par les mensonges du Moniteur, ses violences envers la Hollande, envers l'Italie, envers la Suisse, envers l'Espagne, ses ruses si artistement combinées, toutes les surprises enfin qu'il avait réalisées jusque-là et celles qu'il méditait pour l'avenir, elles allaient être incessamment dénoncées, démasquées, commentées par mille témoins implacables, dont les regards plus clairvoyants que ceux des gouvernements tombés dans l'imbécillité, étaient assidûment fixés sur lui, et dont la voix serait d'autant mieux entendue, qu'elle ne serait plus couverte par le bruit des armes. Il faut le dire bien haut, dans son exécration de la presse anglaise, il n'obéissait pas seulement à l'emportement de son intraitable orgueil, mais à une nécessité logique ; il n'était que conséquent avec lui-même. La politique telle que la pratiquait Bonaparte depuis son élévation au Consulat, était incompatible avec l'existence d'une presse libre, non-seulement en France, mais en Europe. Supposez des écrivains exposant librement jour par jour, même sans les juger les actes de son intervention dans ces divers pays, rien de ce qu'il y avait fait n'eût été possible. Pour maintenir ces résultats acquis, pour consommer ceux qu'il préparait, une chose lui était indispensable : le silence.

Il lui fallait le silence, et dès le jour où il fut convaincu qu'il ne pouvait l'imposer à l'Angleterre par l'intimidation, il revint à la pensée de lui faire la guerre. Sans doute le choix du moment n'était pas arrêté dans son esprit ; il était engagé dans plusieurs entreprises qui lui défendaient à tout prix de rompre brusquement, mais à partir de l'échec des propositions d'Otto, le projet de recommencer les hostilités est flagrant, et tout en jetant le défi à son adversaire, il prend de loin ses précautions en prévision de cette rupture. Dès le 26 juillet, le Moniteur annonce que le Premier Consul n'a jamais eu l'intention de conclure un traité de commerce avec l'Angleterre ; ce n'était là qu'une revanche des premières déceptions d'Otto. Les derniers refus de lord Hawkesbury ne sont pas plutôt formulés (fin d'août 1802), qu'il lance le décret qui réunit définitivement à la France le Piémont et l'île d'Elbe (commencement de septembre), et il se dissimule si peu les conséquences de cette mesure, que tout en affectant de dire que les « puissances n'y prennent aucun intérêt, » il écrit à M. de Saint-Marsan « qu'il soutiendrait au besoin une guerre s'il le fallait pour s'en assurer la possession. » Il se hâte aussitôt d'y enraciner sa domination au moyen des colonies militaires (17 septembre), disposition empruntée aux Romains et qui rendait la conquête plus odieuse en attribuant une partie du sol à des étrangers qu'on implantait de force au milieu des populations vaincues. Mais ce n'était pas assez de confisquer le pays et de s'annexer les peuples, il fallait, que l'Europe fût convaincue que ceux-ci étaient enchantés de ce changement de fortune, et les moyens qu'il employait pour propager cette opinion ne doivent pas être passés sous silence. Il s'était adressé à lui-même des députés de File d'Elbe, auxquels il avait confié la mission de venir le remercier d'avoir bien voulu s'emparer de leur pays. Ces pauvres gens venaient d'arriver à Paris, assez embarrassés de leur rôle : « Les députés de l'île d'Elbe, écrivait-il à ce propos, seront présentés au ministre de la guerre qui leur donnera à dîner, les présentera aux ministres, aux généraux, etc. Le ministre de la guerre leur fera donner à chacun trois mille francs ; il leur fera connaître qu'à leur présentation du 15 (au Consul), ils pourront faire un petit discours clans lequel ils parleront du plaisir qu'ont les habitants de l'île d'Elbe d'être réunis à la France[12]. »

Le Premier Consul ne pouvait en aucune façon ignorer le profond mécontentement que la réunion de Pile d'Elbe et du Piémont devait causer à l'Angleterre ; les négociateurs anglais s'étaient maintes fois expliqués à ce sujet ; mais connaissant le désir extrême que le gouvernement britannique avait de conserver la paix, il n'avait vu dans cette dangereuse légalisation d'un fait déjà existant mais non passé à l'état de droit qu'un moyen de plus de l'intimider en faisant surgir inopinément devant lui l'épouvantail de la guerre. Le coup était très-risqué, car c'était là un peu trop confondre le ministère Addington avec le peuple anglais lui-même qui était beaucoup plus fier et plus susceptible. A cette menace indirecte qui semblait signifier à l'Angleterre qu'elle n'avait plus désormais à se mêler des affaires du continent, Bonaparte joignait des préparatifs secrets qui témoignaient encore plus nettement de ses intentions. Il inondait l'Angleterre d'une foule d’agents de tout ordre, ingénieurs, statisticiens, publicistes, qui sous le titre d'agents commerciaux et sous prétexte de poser les bases d'un traité qu'il avait déjà déclaré ne pas vouloir conclure, inspectaient les localités, évaluaient les ressources, parcouraient surtout l'Irlande, préparaient les éléments de l'insurrection qui devait bientôt y éclater sous les ordres de Robert Emmet et de Thomas Russell ; étudiaient les côtes, notaient les endroits propres à un débarquement, levaient le plan des places fortes, sondaient les ports, déterminaient « par quel vent les vaisseaux de guerre pouvaient y pénétrer. » Et lorsque plus tard le cabinet anglais saisit et publia les instructions adressées par Talleyrand à Fauvelet, l'un de ces agents, le gouvernement consulaire persista à soutenir à la face de l'Europe « qu'elles avaient un caractère tout commercial et qu'elles étaient de tradition depuis Colbert. » C'est dans le même esprit de sincérité qu'il se proposait d'expliquer la mission de Sébastiani dans le Levant, mission non moins significative et qui date également du mois de septembre. Cet agent commercial d'un nouveau genre, avait ordre de se rendre à Tripoli où il devait se concilier le bey, puis en Égypte et en Syrie. A Alexandrie il devait « prendre note de ce qui est dans le port, des bâtiments de guerre des Anglais et des Turcs, de leurs forces, de l'état des fortifications, de l'état des tours. » De là il devait aller au Caire, y voir les grands cheiks, « prendre note de l'état des fortifications environnantes, de l'état de la citadelle du Caire, dire à tout le monde que Bonaparte aimait le peuple d'Égypte, qu'il désirait son bonheur, qu'il parlait souvent de lui ; tout cela en ayant soin de ne pas se compromettre. Il devait offrir la médiation de Bonaparte entre le pacha et les beys. » Poursuivant ensuite cette tournée commerciale, Sébastiani devait aller à Jaffa « y voir l'état des murailles ainsi qu'à Gaza et à Jérusalem. Il devait voir Djezzar à Saint-Jean-d'Acre, s'informer des fortifications qu'il faisait faire, les parcourir lui-même, etc.[13]. »

Si de telles instructions rapprochées de celles qui étaient données à nos agents en Irlande, du langage du gouvernement français dans ses dépêches et dans le Moniteur, de ses récentes démarches au sujet de la presse anglaise, de sa conduite au sujet du Piémont, n'impliquent pas une arrière-pensée de recommencer la guerre, il faut renoncer aux inductions historiques les plus légitimes et les plus universellement acceptées. Et si en prenant une attitude aussi ouvertement comminatoire, Bonaparte avait en vue le maintien de la paix il faudrait lui dénier toute intelligence politique. Il voulait rompre, il s'y préparait de loin ; mais il croyait pouvoir se réserver le choix du moment, il comptait sur la terreur qu'il inspirait pour rester jusqu'au bout le maitre de contenir ou de déchaîner les tempêtes. Une circonstance contribuait puissamment à cette illusion, de même qu'elle n'avait pas peu contribué à sa détermination si audacieuse au sujet du Piémont, c'était l'incroyable état de dépendance dans lequel il tenait en ce moment les puissances continentales au moyen du règlement des indemnités germaniques.

Le traité de Lunéville, en nous donnant les provinces rhénanes, en retirant la Toscane à la maison d'Au triche pour la donnera la maison de Bourbon, avait stipulé que les princes dépossédés par ces diverses cessions de territoire seraient indemnisés en Allemagne aux dépens des principautés ecclésiastiques. Ce changement était facile à opérer, car ces souverainetés ecclésiastiques étant électives et plusieurs titulaires étant morts dans l'intervalle, on n'avait qu'à s'opposer à leur remplacement pour rendre les indemnités disponibles. Il était d'une importance suprême et vitae pour l'Allemagne et pour les princes eux-mêmes que ce partage se fit en famille et à l'amiable au lieu de se faire avec le concours d'une intervention étrangère. Mais la grossière avidité de la Prusse et de l'Autriche impatientes de saisir la meilleure part de ces dépouilles, la détresse des princes de second et de troisième ordre certains de se voir sacrifiés à la rapacité de ces deux puissances, enfin le véritable état d'abêtissement que ces convoitises avaient produit dans l'esprit des cours germaniques n'avaient pas tardé à rendre une médiation nécessaire pour les mettre d'accord, et par un dernier trait de perspicacité, elles avaient à l'unanimité jeté les yeux sur Bonaparte pour lui confier ce rôle désintéressé ; l'Autriche seule, mieux conseillée par une expérience qui lui avait coûté cher, eût préféré la médiation de la Russie. Bonaparte avait saisi avec empressement cette occasion de se dévouer aux intérêts de l'Allemagne. Pour accroître. la confiance des princes il s'était hâté de s'adjoindre comme coopérateur l'empereur Alexandre dont la vanité flattée par cette démarche devenait ainsi intéressée à soutenir notre politique. Son inexpérience et sa jeunesse défendaient d'ailleurs à ce souverain de prétendre à une influence prépondérante dans une affaire de ce genre. Pouvant s'imposer désormais grâce à ce puissant concours, et grâce à la complicité de la Prusse à qui il s'était décidé à faire la plus belle part, le Premier Consul avait travaillé avec une merveilleuse habileté à accroître les divisions, à aigrir les rancunes, à envenimer les griefs, à surexciter encore les ambitions et les cupidités, tout en parlant incessamment de son désintéressement, de son zèle pour la grandeur et la prospérité de l'Allemagne, de ses vœux sincères pour l'union et la concorde. Ses intentions conciliatrices avaient été couronnées d'un tel succès que vers le milieu du mois d'août 1802, en pleine paix, au début même des délibérations du corps germanique réuni en diète à Ratisbonne, l'Autriche exaspérée avait à moitié tiré l'épée hors du fourreau et occupé Passau de vive force.

Cet état indécis et troublé de l'Europe, la rivalité de la Prusse et de l'Autriche, l'annulation de l'Allemagne, la reconnaissante déférence de la Russie, enfin le complet isolement de l'Angleterre, conséquence naturelle de tous ces faits, avaient permis au Premier Consul de consommer l'annexion définitive du Piémont sans s'exposer aux protestations qu'un tel acte aurait soulevées dans tout autre moment. Le succès avec lequel s'opéra cette transformation, la parfaite indifférence des puissances germaniques exclusivement occupées à s'arracher les dépouilles des principautés sécularisées, le décidèrent à profiter de cette heureuse circonstance pour réaliser enfin ses projets sur la Suisse.

Après la chute de l'administration d'Aloys Reding, chute amenée principalement (27 avril 1802) par les manœuvres déloyales de noire chargé d'affaires Verninac[14], ce malheureux pays, dont les dissensions intérieures étaient systématiquement entretenues par nos agents au moyen de l'influence considérable que nous y donnait la présence de notre armée d'occupation, était resté en proie aux plus tristes déchirements. Le Landamman Dolder que Bonaparte avait voulu faire triompher momentanément, non par préférence pour sa politique, mais simplement pour amener en Suisse une convulsion de plus, avait la minorité dans la nation ; il était incapable de se maintenir un seul instant par ses propres forces. Même avec notre appui secret il luttait à grand'peine contre ses adversaires. Il ne fut pas plutôt installé que cet appui lui fut retiré, comme cela était d'ailleurs arrivé à tous ses prédécesseurs ; mais cette fois, chose extraordinaire, on annonça (fin de juillet 1802) que les troupes françaises allaient évacuer la Suisse. Que s'était-il donc passé ? rien. Tous les prétextes qui avaient été mis en avant pour justifier notre occupation avaient plus de force, de réalité, de vraisemblance que jamais ; la Suisse était plus que jamais divisée, et loin d'avoir désarmé, les adversaires de Dolder soulevaient ouvertement les petits cantons contre lui. Une détermination si subite, si imprévue, si peu en rapport avec les précédents de la politique consulaire, aurait dû avertir les patriotes Suisses de ce qui se tramait contre leur pays. Le Premier Consul avait voulu en effet, avant de frapper le coup décisif, pouvoir dire qu'il avait d'abord tout fait pour satisfaire et pacifier la Suisse. Comment en douter ? il était allé jusqu'à retirer ses troupes ! Quelle preuve plus éclatante de ses bonnes intentions pouvait-on exiger ? Il se hâta de notifier ce trait de modération à toute l'Europe. Mais ce qu'il ne disait pas dans ces notifications c'est qu'il se retirait au moment où les factions étaient le plus excitées les unes contre les autres, grâce à l'huile qu'il avait jetée sur le feu pour éteindre l'incendie, et qu'il laissait le pouvoir aux mains d'un parti incapable de le conserver bien qu'il fût assez fort pour créer des obstacles à ses adversaires. Le résultat était facile à prévoir. Aussitôt nos troupes retirées, le Landamman Dolder fut chassé de Berne où Mullinen fut installé à sa place ; il se réfugia à Lausanne, et la Suisse eut deux gouvernements au lieu d'un. La démonstration était faite. Il était désormais constaté que la Suisse ne pouvait se gouverner sans nous.

Ces événements s'accomplissaient dans le cours de ce même mois de septembre 1802 qui venait de voir la métamorphose du Piémont en six départements français. Il y avait deux mois à peine que nos troupes avaient reçu l'ordre d'évacuer la Suisse. Aussitôt les faits prévus réalisés, le Premier Consul fait dire à M. de Mullinen accouru en toute hâte auprès de lui, « que sa présence à Paris est inutile, qu'il faut que la médiation de la France soit acceptée, que si on l'y force, Ney va entrer en Suisse avec trente mille hommes et que dans ce cas c'en est fait de la Suisse, qu'enfin il est temps qu'on en finisse et qu'il ne voit pas de milieu entre un gouvernement Suisse ami de la France ou pas de Suisse[15]. »

Quelques jours après il s'adressait aux Suisses eux-mêmes dans une proclamation où il leur signifiait sa volonté de les sauver au moyen de la médiation : « il est vrai, leur disait-il, que j'avais pris le parti de ne plus me mêler de vos affaires.... mais je ne puis ni ne dois rester insensible aux malheurs auxquels vous êtes en proie, je reviens sur ma résolution. » Il ordonnait ensuite un désarmement général des rassemblements, une convocation du Sénat à Berne, une réunion à Paris à titre d'assemblée consultative des députés du Sénat et de tous les citoyens qui avaient occupé depuis trois ans des postes élevés dans l'autorité centrale, puis il ajoutait : « Habitants de l'Helvétie, renaissez à l'espérance ! votre patrie est sur le bord du précipice, elle en sera immédiatement tirée... Il n'est aucun homme sensé qui ne voie que la médiation dont je me charge est un bienfait de la Providence... il est temps que vous voyiez enfin que si le patriotisme et l'union de vos ancêtres fondèrent votre république, le mauvais esprit de vos factions la perdra infailliblement[16]. » C'était là presque mot pour mot le discours qu'il tenait aux Espagnols en 1808 lorsqu’après des machinations encore plus odieuses il envahissait leur territoire : « Espagnols, votre nation périssait vu vos maux, je vais y porter remède... Je veux acquérir des titres éternels à votre amour et à votre reconnaissance.... Espagnols, soyez pleins d'espérance et de confiance, souvenez-vous de ce qu'ont été vos pères[17]. » On le voit, les procédés de cette politique étaient peu variés ; c'était dans les deux cas la même violence et la même hypocrisie, mais les Suisses en 1802 n'avaient malheureusement pas les mêmes moyens de résistance que les Espagnols en 1808.

Ney était sur la frontière avec 30 000 hommes. La soumission des Suisses se faisant attendre, il reçut l'ordre de pénétrer sur le territoire de la Confédération en concentrant ses troupes et en agissant par niasses de façon à écraser rapidement tout ce qui s'opposerait à sa marche. Il devait en outre rédiger une proclamation dans laquelle il aurait soin de dire que « les petits cantons avaient demandé la médiation du Premier Consul, que le Sénat avait demandé la médiation du Premier Consul, qui touché des maux auxquels ils étaient en proie avait cédé aux sollicitations de la nation Suisse[18]. » C'était là en effet une chose bien importante à constater, mais plus facile à dire qu'à accréditer en Europe. Bonaparte n'avait pas pensé à invoquer cet argument décisif dans son propre manifeste. Les Suisses eux-mêmes ne se doutaient pas de leur goût pour l'intervention étrangère bien qu'une infime minorité d'hommes vendus et de démocrates égarés, eût en effet appelé ce fléau sur leur patrie ; mais comment oser mettre en doute la sincérité d'une déclaration appuyée sur trente mille baïonnettes ? Ils protestèrent toutefois, firent appel aux puissances au nom de l'équilibre européen, du vieux principe de la neutralité helvétique tant de fois garantie par les traités. Mais, ainsi que Bonaparte l'avait prévu, la Prusse et l'Autriche occupées à se disputer à Ratisbonne les lambeaux de terre allemande qu'il voulait bien abandonner à leur avidité ne soufflèrent mot, et Alexandre flatté de se poser en compagnie d'un héros comme le second arbitre de l'Europe, fit taire M. de Markoff qui comprenait beaucoup mieux que son maitre le néant et le danger de cet honneur dérisoire. L'Angleterre seule protesta bien (qu'elle fût infiniment moins intéressée dans la question que les puissances continentales dont la sécurité tenait si essentiellement au maintien de la neutralité Suisse. Une note de Lord Hawkesbury en date du 10 octobre[19], fut communiquée au gouvernement français par M. Merry. Le cabinet anglais y rappelait que le principe de neutralité de la Suisse était étroitement lié à la paix et à l'équilibre de l'Europe, que le traité de Lunéville signé l'année précédente l'avait solennellement reconnu et garanti : malgré tout ce qui se passait dans ce pays il ne voulait pas encore croire à l'asservissement d'une nation indépendante.

En réponse à cette note, encore extrêmement modérée de forme, mais plus ferme de ton que n'avaient été jusque-là les communications du cabinet Addington, le Premier Consul fit écrire à Otto par Talleyrand une déclaration dont le langage inouï[20] montrait combien il se croyait déjà sûr de son ascendant sur l'Europe et quel usage il comptait en faire. Un agent anglais M. Moore ayant dit pour encourager les Suisses à la résistance que l'Angleterre ne permettrait pas qu'on touchât à l'indépendance de leur pays, Otto avait ordre de déclarer que si le ministère britannique avait recours à quelque notification ou publication de laquelle il pût résulter que le Premier Consul n'avait pas fait telle ou telle chose parce qu'on l'en avait empêché, à l'instant même il la ferait ; que quant à la Suisse, quoi qu'on dit ou qu'on ne dît pas, sa résolution était irrévocable ; que Otto ne devait jamais parler de guerre, mais ne pas souffrir qu'on lui en parlât. De quelle guerre nous menacerait-on d'ailleurs ? De la guerre maritime ? mais notre commerce n'était encore qu'une proie de bien peu de valeur. Nos ports seraient bloqués il est vrai ; mais l'Angleterre serait bloquée aussi, car toutes les côtes de l'Europe lui seraient fermées. On la ferait vivre dans les angoisses et dans la crainte d'une invasion toujours menaçante. Elle chercherait sans doute des alliés en Europe. Si elle les gagnait à sa cause, cela n'aurait d'autre résultat que de nous forcer à conquérir l'Europe. Le Premier Consul n'avait que trente-trois ans, il n'avait encore détruit que des États de second ordre ! Qui sait ce qu'il lui faudrait de temps pour changer de nouveau la face de l'Europe et ressusciter l'empire cl' Occident ?

Ces paroles étaient la révélation inconsidérée mais fort exacte des pensées qui depuis assez longtemps déjà remplissaient l'âme du Premier Consul. Si on les envisage au point de vue diplomatique, elles étaient un véritable acte de folie, car, adressées non plus à des peuples faibles et tremblants mais à une puissance orgueilleuse et forte, elles équivalaient à une guerre immédiate et il ne voulait pas d'une rupture aussi prompte ; si on les envisage comme une expression prématurée de ses projets d'avenir, elles étaient d'un esprit extraordinairement enivré du sentiment de ses propres forces et qui s'exagérait sa puissance au-delà de toute mesure. Il avait, il est vrai, à son service deux talismans merveilleux, l'un était un génie militaire incomparable secondé par une nation de soldats à qui il était parvenu à communiquer la fièvre qui le dévorait lui-même ; l'autre était l'attraction encore très-vive que les principes de notre Révolution exerçaient sur les peuples. La Révolution ne leur portait plus la liberté, ils avaient déjà pu le reconnaître, mais elle leur apportait encore certaines améliorations civiles, elle détruisait des privilèges devenus odieux. De là la facilité avec laquelle Bonaparte avait pu renverser des gouvernements qui pour la plupart n'avaient plus qu'une existence artificielle. Même en Suisse notre occupation avait mêlé d'incontestables bienfaits aux maux de tout genre qui l'avaient accompagnée ; elle avait fait disparaître certains abus, par exemple la domination de quelques cuitons sur d'autres. Mais il y avait de sa part une singulière illusion à croire qu'il trouverait autant de facilité à subjuguer les peuples qu'à renverser des gouvernements sans racines. Les griefs des sujets contre les souverains une fois exploitées et les abus détruits, le bienfait disparaissait, on ne voyait plus que l'injure ; la domination étrangère restait seule avec toutes les ignominies qu'elle engendre, et c'est alors seulement que devait commencer la véritable difficulté, c'est-à-dire la lutte non plus contre des gouvernements caducs et déconsidérés, mais contre les nations elles-mêmes. Or cette lutte inévitable, il était de la plus élémentaire politique de la prévoir, et si Bonaparte l'avait prévue, il n'aurait jamais parlé de conquérir l'Europe, il n'aurait jamais été assez dupe des apparences pour se flatter de faire en dix ans ce que les Romains avaient eu tant de peine à réaliser en plusieurs siècles parmi les peuples sans lien et sans solidarité du monde antique. Chose humiliante pour la nature humaine, cette fameuse conception qui devait amener tant de ruines et de désastres n'était au fond qu'un rêve de somnambule !

Otto était un homme de sens ; son embarras fut grand en recevant une pareille note : il en prévit sur-le-champ les sinistres conséquences et prit sur lui de ne pas la communiquer au gouvernement anglais ; il lui en donna seulement un résumé très-adouci. Mais le cabinet britannique n'en vit pas moins clairement qu'on était décidé à Paris à ne tenir aucun 4ompte de ses représentations, et il commença en conséquence à prévoir l'éventualité d'une rupture. Lord Hawkesbury résuma sa réponse à Otto par cette formule : l'état de l'Europe à l'époque du traité d'Amiens ; rien que cet état. A quoi Bonaparte ordonna de répliquer que rien n'était changé depuis cette époque, puisque nous occupions alors comme aujourd'hui la Suisse et le Piémont. En refusant de reconnaître la République italienne et la République helvétique, l'Angleterre avait perdu le droit de se mêler de leurs affaires. Enfin elle avait elle-même fait de nouvelles acquisitions dans les Indes ce qui achevait de lui ôter le droit de se plaindre, et dans aucun cas nous ne lui permettrions d'intervenir en faveur de la Suisse[21].

Rien n'était changé en effet si ce n'est que nous avions rendu définitif un état de choses qui était censé n'être que provisoire. Les députés de la République helvétique élus sous la protection de notre armée, c'est-à-dire désignés et nommés par le Premier Consul[22], arrivèrent à Paris dans les premiers jours du mois de décembre, pour apporter à leur législateur le concours de leurs lumières.

Le parti de Bonaparte à l'égard de leur pays était depuis longtemps arrêté. Ne pouvant songer à recommencer ici la comédie usée de la Consulte de Lyon, il avait résolu de se contenter d'annuler la Suisse comme État indépendant. Fort indifférent aux deux opinions qui divisaient les patriotes suisses, il lui était facile de se montrer, comme il le disait, impartial dans leurs querelles. Pourvu que la Suisse fût dépendante et soumise à la France, le reste lui importait fort peu. Mais cette préoccupation même le faisait naturellement pencher du côté des fédéralistes selon la vieille maxime qui dit qu'il faut diviser pour régner. Il vit les députés suisses, s'étudia à leur plaire, leur fit un accueil dont l'affabilité les impressionna d'autant plus favorablement qu'ils arrivaient troublés et intimidés par les malheurs qui avaient frappé leur patrie, enfin il les entretint pendant plusieurs heures des changements à apporter dans leurs institutions. Dans cette allocution, durant laquelle il les étonna par la connaissance qu'il avait de leurs affaires, par l'abondance et l'impétuosité de ses idées, et plus encore par sa facilité à pénétrer et à réfuter celles des autres, il s'attacha surtout à leur démontrer que la géographie, l'histoire et les mœurs de leur pays leur imposaient impérieusement « la diversité des gouvernements », Chaque canton devait avoir sa constitution particulière et se gouverner à son gré ; quant au gouvernement central, les récentes discordes en avaient démontré l'impossibilité ; il fallait le réduire au minimum, sinon l'annuler tout à fait[23].

Tel fut le sens des modifications qu'il introduisit dans la constitution helvétique avec le concours de ces patriciens auxquels il avait prodigué tant d'injures, tant qu'il avait eu à se plaindre de leur docilité. Il leur fit comprendre que la résistance était inutile, que s'ils voulaient lui faire les concessions nécessaires, il ne demandait pas mieux que de partager avec eux, et la plupart d'entre eux acceptèrent la transaction qu'il leur proposait. Ils lui cédèrent les privilèges surannés des suzerainetés et des seigneuries ; ils lui donnèrent en outre la haute main dans les affaires du gouvernement central trop faible pour lui rien refuser désormais ; en revanche il leur laissa l'influence dans les cantons. C'était, sauf ces restrictions, un retour pur et simple à l'ancienne constitution de la confédération suisse. Le Valais, coupé en deux par notre route militaire du Simplon, ne fut pas réuni à la France ; on voulut qu'il fût un témoignage permanent de notre respect pour les principes, et on l'éleva à la dignité de république indépendante ! On s'attendait généralement en Europe à ce que Bonaparte se ferait au dernier moment décerner la présidence de la confédération ; ii n'en fut rien. Il désigna lui-même pour cet honneur le citoyen Louis d'Affry qui avait été au service de la France avant le 10 août. Ce nouvel hommage rendu à l'indépendance de la Suisse, devait fermer la bouche à tous ceux qui persistaient à la déclarer compromise. On doit cependant ajouter que le '21 lévrier 1803, au moment ou d'Affry entrait en fonctions, le grand juge Régnier reçut l'ordre de lui payer une somme de 31 000 francs. « Cette somme, écrivait Bonaparte, sera prise sur les fonds secrets de la police[24]. » Le même jour il écrivait à d'Affry lui-même : « J'ai donné ordre qu'on vous comptât les sommes que vous avez réclamées. J'ai également ordonné que la pension de 1000 francs dont vous jouissiez, vous fût restituée. Je saisirai toutes les occasions de vous être agréable. » De telles lettres disent tout sur l'indépendance de la nouvelle confédération. Au reste, avec les délégués eux-mêmes, Bonaparte fut d'une complète franchise : il leur déclara nettement qu'il voulait rester le maître de leur pays, parce que cela convenait à sa politique. « Il est reconnu par l'Europe, leur dit-H, que l'Italie, la Hollande et la Suisse sont à la disposition de la France[25]. » Il s'avançait beaucoup en attribuant de telles dispositions à l'Europe. Dans sa dernière entrevue il conclut comme toujours en montrant pour dernière raison la pointe de son épée : « Je ne souffrira : jamais en Suisse d'autre influence que la mienne, dût-il m'en coûter cent mille hommes ![26] » L'évaluation était bien modeste en vérité ; c'était près de deux millions d'hommes que devait nous coûter cette glorieuse médiation !

Le Parlement anglais s'était ouvert le 16 novembre 1802, avant que tous ces actes ne fussent consommés, mais alors que le sens en était déjà très-clair, la Suisse étant couverte de nos troupes et Bonaparte ayant déclaré qu'il ne souffrirait pas que l'Angleterre se mêlât de cette affaire. Addington.ne pouvait se résoudre encore à renoncer à l'espoir de conserver la paix, mais il se voyait malgré lui entraîné à la guerre, et le discours de la couronne trahissait clairement cette préoccupation. Le roi déclarait sans détour que malgré ses dispositions toutes pacifiques, « il ne pouvait rester indifférent à la politique des États dont les intérêts avaient toujours été en rapport avec ceux de l'Angleterre, et c'est pourquoi il devait s'occuper de tous les changements qui s'opéraient dans leurs conditions et leurs forces respectives. » Il annonçait en conséquence la nécessité d'adopter des mesures de sûreté dans l'intérêt même de la paix. Ce langage, quoique ferme dans sa modération, était loin de répondre à la véhémence et à l'animosité des sentiments de la nation tout entière qui avait senti le défi et qui commençait à porter dans ce débat la passion concentrée, mais forte, profonde et persistante du caractère anglais. A la Chambre des lords, l'homme qui était alors le bras droit et le glorieux bouclier de l'Angleterre, Nelson, parla le premier, comme celui qui avait acquis le plus de droits à relever le défi. Il parla avec la dignité simple qui va si bien à l'homme d'action et se borna à exposer dans une allocution brève et énergique, la nécessité de soutenir les alliés de l'Angleterre et le devoir de maintenir intact l'honneur national. « Je suis un homme de paix, dit-il, et j'ai horreur des maux de la guerre ; mais notre honneur est le plus précieux de nos intérêts ; c'est à lui que nous devons le respect des nations du continent ; et ce serait acheter la paix trop cher que de la payer d'une seule parcelle de l'honneur anglais[27]. » Tous les anciens adversaires du cabinet Addington se levèrent après lui, dans les deux Chambres, pour triompher des embarras du ministère et l'accabler de sa déconvenue. Voilà donc ce qu'elle avait duré, cette paix dont il était si fier, cette paix signée au mépris de leurs prévisions ! Il venait aujourd'hui, après tant de belles promesses leur déclarer lui-même qu'il fallait de nouveau se préparer à la guerre. Mais sur quoi avait-il pu fonder ses illusions ? Les ministres avaient-ils pu se flatter que le Premier Consul allait du jour au lendemain changer de système et de nature ? Les avertissements leur avaient-ils fait défaut ? Ne l'avaient-ils pas vu pendant la négociation même des préliminaires de Londres et du traité d'Amiens, s'établir en Hollande, s'emparer de la république Cisalpine, vendre à beaux deniers la Toscane, étendre la main sur le Piémont ? Avaient-ils pu croire que la réunion du Piémont ne deviendrait pas définitive ? Mais l'encre avec laquelle on avait écrit le traité était encore humide, la cire qui l'avait scellé était à peine refroidie[28], que Bonaparte se hâtait d'achever ce qu'on lui avait si patiemment laissé commencer, il saisissait le Piémont et l'île d'Elbe, il mettait la Suisse sous le joug, il consolidait sa domination en Hollande, il bouleversait de fond en comble la vieille confédération germanique ; tout récemment encore il venait de confisquer le duché de Parme pour en disposer selon sa convenance. N'y avait-il rien là de menaçant pour l'indépendance de l'Angleterre ? Voulait-on attendre qu'il se tilt emparé de tout le continent pour agir contre lui ? Bonaparte, s'écria Shéridan, a fait un pacte avec les Français ; ils consentent à lui obéir, mais à la condition qu'il les rendra les maîtres du monde !

La conclusion naturelle de toutes ces récriminations, c'est que le ministère était incapable et qu'il devait se retirer pour faire place au seul homme qui pût sauver l'Angleterre dans cette situation difficile. Cet homme était Pitt. Comme tous les caractères vraiment grands, il paraissait plus grand encore dans le péril public si fatal aux médiocrités ; et tous les regards le cherchaient à la place où il avait coutume de s'asseoir. Mais il avait eu la générosité d'épargner sa présence à ce ministère ébranlé. Addington et ses amis expiaient durement des torts après tout fort excusables, car leur désir de maintenir la paix n'était point un sentiment dont ils eussent à rougir et l'on ne pouvait contester leur droiture et leurs excellentes intentions. Lord Hawkesbury, Lord Pelham, et Addington lui-même défendirent le cabinet : ils s'attachèrent moins à nier la légitimité de ces griefs qu'à montrer le danger d'une rupture dans l'état d'isolement où se trouvait leur pays. L'Angleterre ne pouvait pas faire la guerre pour des affaires continentales, si le continent lui-même refusait de s'en mêler ; observation assez juste et qui avait trait aux efforts inutiles que leur diplomatie, et particulièrement leur agent M. Moore, venait de faire pour décider l'Autriche et la Russie à prendre parti pour la Suisse ; ils avouèrent néanmoins que tout en conservant la paix, il fallait se tenir en garde contre des éventualités de rupture devenues possibles.

Un seul orateur influent avait pris défense de la paix, sinon du ministère ; il est vrai que cet orateur valait toute une armée, c'était Charles Fox. Esprit généreux, très-étendu, d'une admirable variété de connaissances et d'aptitudes, d'une culture exquise, âme grande et ouverte à toutes les nobles impressions, Fox avait, dès le début de la guerre entre l'Angleterre et la France, soutenu la cause de la Révolution française contre les haines aveugles du parti Tory. Même à l'époque de la Terreur, il avait persisté à défendre cette cause tout en déplorant les excès qui la souillaient ; il lui était resté inviolablement fidèle à travers toutes les étranges métamorphoses qu'elle avait subies ; et aujourd'hui, malgré les démentis que lui donnaient les événements, malgré les avertissements et la défection de plusieurs de ses amis qui, comme Shéridan, venaient de reconnaître publiquement leur erreur, il s'obstinait, par la plus singulière illusion d'optique, à voir la Révolution dans Bonaparte. Tout récemment vers la fin de juillet 1802, il était venu en France comme beaucoup d'Anglais de distinction[29]. Le Premier Consul, souvent désobligeant pour les étrangers qui lui étaient présentés, à tel point qu'on l'avait entendu adresser à Erskine cette question presque impertinente : « Êtes-vous légiste, monsieur Erskine ? » s'était au contraire attaché à plaire au puissant chef des 'Whigs ; il avait déploré pour lui les grâces insinuantes de sa bonhomie italienne. Fox avait pourtant éprouvé quelques mécomptes en voyant fonctionner de près ce prétendu gouvernement républicain ; mais il les avait gardés pour lui, car il lui en coûtait trop de renoncer à ses illusions : on n'a pas une seule lettre de lui qui soit relative à son séjour à Paris. Il avait entrevu la haine profonde que Bonaparte portait à l'Angleterre, le peu de discernement avec lequel il la jugeait ; il s'était vainement efforcé de le faire revenir de ses préventions réelles ou affectées au sujet de la complicité supposée de Pitt avec les auteurs de la machine infernale, supposition tellement absurde aux yeux de quiconque avait la moindre idée du vrai caractère de cette âme hautaine et stoïque.

Malgré toutes ces déceptions, Fox avait persisté à se faire l'avocat de la France, en devenant toutefois beaucoup moins prodigue de louanges à l'adresse du gouvernement consulaire. Il s'efforça d'établir dans son discours, que tous les changements dont on se plaignait étaient nécessairement impliqués dans ceux qui avaient eu lieu pendant les négociations et que par suite on avait perdu le droit de s'y opposer. Personne, ajoutait-il, ne voyait avec plus de regret que lui les agrandissements de la France, mais ces agrandissements étaient pour la plupart antérieurs au traité d'Amiens, et ils n'étaient pas encore de nature à justifier une guerre. Tout son discours, véhément, chaleureux, mais planant à dessein dans la région des généralités, laissait trop voir l'intention d'éluder un examen précis et rigoureux des faits. Au reste ce grand orateur, dont l'âme sympathique, le caractère facile jusqu'au laisser aller avaient gardé toutes les illusions philanthropiques du dix-huitième siècle dans une époque si différente quoique si rapprochée, était peu propre à diriger les hommes, parce qu'il les connaissait mal ; il était plus homme de plaisir et d'imagination que d'action, il manquait de suite et de consistance ; et ses belles facultés étaient plutôt littéraires que politiques. Sa correspondance est remplie de citations empruntées aux poètes de l'antiquité. La vue d'une belle œuvre d'art, la lecture d'un de ses chers classiques grecs lui faisaient oublier en un instant les débats qui l'avaient le plus passionné ; tandis que son grand rival agissant jusque dans le repos, l'esprit absorbé par une pensée unique, les yeux incessamment fixés sur le vaste théâtre où s'agitent les nations, n'en perdant pas une scène, pas un mouvement, pas un signe, était avec moins d'éclat et moins de séduction, mais avec incomparablement plus de force, la personnification même de l'esprit politique. Il n'y avait au fond dans les arguments de Fox qu'un parti pris d'optimisme de plus en plus difficile à soutenir. Y avait-il, oui ou non, dans les derniers actes de Bonaparte une entreprise formée contre l'indépendance des nations européennes ? toute la question était là et Fox qui contestait le fait à la tribune n'était pas éloigné de l'avouer dans sa correspondance privée : « Peut-être, écrivait-il à Ch. Grey peu de temps après son discours, peut-être pourrai-je aller jusqu'à convenir avec vous que l'affaire de la Suisse est une juste cause de guerre ; mais vous conviendrez avec moi que ce n'est là qu'un prétexte bas et hypocrite qui n'en impose à personne, et que notre victoire aurait pour résultat l'acquisition de Malte, du Cap, de Cochin, toute autre chose en un mot que l'indépendance de la Suisse[30]. » On voit par-là qu'il contestait moins la légitimité de la guerre que la droiture des intentions de ceux qui voulaient la faire.

Le discours de Fox eut un grand succès de tribune, mais il fut peu goûté par le public. II écrivait lui-même à son neveu, vers la même époque, qu'on l'accusait à Londres d'être « un agent du Premier Consul[31] ». Cette boutade du public anglais à l'adresse de l'homme qui avait si longtemps été son favori montre combien la nation était excitée. Cependant soit qu'elle fût satisfaite de l'attitude plus digne que le gouvernement avait prise, soit que ses ressentiments fussent calmés par l'écho même qu'ils avaient trouvé dans les deux chambres, cette émotion fit bientôt place à une tranquillité relative. C'est à ce moment, c'est-à-dire vers le commencement de décembre 1802, que l'ambassadeur du Premier Consul, Andréossy, arrivait en Angleterre, et que celui d'Angleterre, lord Whitworth, arrivait à Paris. Lord Whitworth était un grand seigneur, un peu froid et réservé de manières, mais d'un esprit juste et sagace, sa correspondance diplomatique en fait foi, et d'une parfaite loyauté. Il avait été antérieurement ambassadeur en Russie, Et ce motif avait paru suffisant à Bonaparte pour l'impliquer dans l'assassinat de Paul Ier. Au reste, la promptitude et la facilité avec lesquelles Bonaparte imputait à ses adversaires les actes les plus atroces sont un trait caractéristique, et elles doivent d'autant plus être notées ici, qu'au moment dont je parle, on jugeait en Angleterre l'attentat du colonel Despard contre la vie du roi Georges, crime en tout semblable à celui dont le Consul avait failli être victime, et que malgré les fortes présomptions qui indiquaient que le complot avait des ramifications en France[32], pas une voix ne s'était élevée pour exploiter ce grief vrai ou faux contre le gouvernement français.

Bien que les deux nations fussent maintenant placées face à face et en quelque sorte l'arme au bras par suite de tout ce qui s'était dit ou fait de part et d'autre, les deux ambassadeurs furent reçus à Londres comme à Paris avec de grandes démonstrations de bienveillance et de courtoisie. Il y eut des deux côtés pendant les mois de décembre et de janvier un accord tacite pour ne pas aborder les questions irritantes. La France ne parla ni de la presse britannique, ni de l'évacuation de Malte qui n'était pas encore effectuée en raison des conditions que la Russie mettait à sa garantie, ni de l'évacuation de l'Égypte déjà commencée mais non encore accomplie ; l'Angleterre ne parla ni de la Hollande, ni du Piémont, ni de l'île d'Elbe, ni de Parme, ni de la Suisse dont le sort était d'ailleurs encore en suspens. On semblait vouloir s'étourdir volontairement pour mieux jouir des derniers rayons de la paix. Le Premier Consul qui avait de bonnes raisons pour prévoir sa courte durée, envoyait renforts sur renforts à Saint-Domingue pour remplacer l'armée d'expédition anéantie par la fièvre jaune. Quinze mille hommes étaient partis en novembre et en décembre, quinze mille autres devaient bientôt les suivre[33] ; il était homme à y engloutir dix armées plutôt que de renoncer à sa conquête. A l'intérieur jamais il n'avait été plus sûr de son pouvoir. Le vote sur le consulat à vie avait frappé ses ennemis de stupeur et de mutisme. Il avait mis à profit ce surcroît de puissance en se débarrassant de Fouché, homme utile qui avait eu la faiblesse de se croire nécessaire, et qui avait montré en quelques occasions plus de clairvoyance qu'on ne lui en demandait. Les despotes n'aiment pas les instruments qui raisonnent. Fouché se prêtait, il ne se donnait jamais ; c'est là surtout ce qu'on ne pouvait lui pardonner. Rœderer devenu trop exigeant en raison même de ses services, fut disgracié en même temps, ainsi que Bourrienne qu'on accusa de vénalité, crime devenu capital seulement depuis qu'on voulait se débarrasser de lui : son vrai tort était de montrer trop souvent dans le serviteur l'ancien égal de l'école militaire et le témoin des jours de jeunesse et de pauvreté. Le Premier Consul devait beaucoup à ces trois personnages, mais il ne se déterminait pas par des raisons de sentiment ; ses anciens favoris le savaient de reste. Ils n'avaient, pour se consoler, qu'à jeter les yeux sur le spectacle qu'offrait alors sa famille. Joséphine à qui il avait refusé le mariage religieux, malgré ses supplications, et qui avait déjà de sérieux motifs pour craindre un divorce, vivait dans les angoisses et dans les larmes ; Lucien était en guerre ouverte avec son frère pour avoir gardé sa parole envers le roi d'Espagne ; Joseph se plaignait amèrement à son ami Miot des procédés du Premier Consul[34] ; enfin Louis, marié à son corps défendant depuis le 4 janvier 1802, gémissait sur sa triste aventure qu'il a lui-même racontée en ces termes : « Jamais cérémonie ne fut plus triste ! Jamais deux époux ne reçurent plus vivement le pressentiment de toutes les horreurs d'un mariage forcé !... Pendant le cours de cette union qui a fait le malheur de leur vie, les deux époux ont séjourné ensemble un espace de temps d'à peine quatre mois ![35] »

Bonaparte était alors dans toute la force de l'âge, et sa constitution toujours robuste sous de frêles apparences, mais longtemps comme enfiévrée par un

mal contracté dès le siège de Toulon, avait enfin triomphé de cette infirmité grâce à l'habileté de Corvisart. Ses facultés loin d'être écrasées par le fardeau d'un pouvoir si étendu, y avaient trouvé un stimulant qui avait doublé leur puissance et surtout accru leur activité au point de la rendre effrayante. Ce besoin d'agir a tout prix, d'agir sans trêve et sans relâche, qui le poursuivait jour et nuit, qui l'éveillait en sursaut au milieu de son sommeil, était dès lors le trait le plus marquant de sa nature et devenait dangereux jour lui par le caractère de précipitation qu'il -imprimait à toutes ses œuvres et par la multiplicité des aventures dans lesquelles il le jetait. Il y avait là tous les symptômes d'une manie d'homme de génie, mais d'une manie farouche, incurable, et d'autant plus terrible que rien ne pouvait l'en distraire, car Bonaparte avait peu de goût pour les plaisirs, même pour ceux de l'esprit. Ce redoutable travers était servi par une puissance de travail prodigieuse et par une rapidité de conception qu'aucun autre homme peut-être n'a possédée au même degré. Avec cela un don extraordinaire pour manier les hommes, remuer les passions, inspirer aux autres des sentiments qu'il n'éprouvait pas lui-même. Ce pouvoir qui tenait de la fascination, il en était en partie redevable à la force de calcul et de dissimulation dont il était seul armé au milieu du peuple le plus inconsistant et le plus irréfléchi de la terre, le plus incapable d'un dessein suivi, et, avec tout son esprit, le plus prompt à prendre le change et à se laisser tromper, non pas faute de pénétration mais faute de suite dans les idées ; peuple d'autant moins fait d'ailleurs pour deviner un Bonaparte qu'il ne retrouvait en lui aucun trait de notre vieux type national chez qui la duplicité même était toujours alliée à une certaine noblesse et à la générosité chevaleresque, témoin Henri IV si populaire en France. Tout était étranger en lui, son origine, ses manières de voir et de sentir, son caractère si différent de celui de ses contemporains tous dominés par des passions et des idées générales qui n'avaient aucune prise sur lui. Aussi est-il resté pour la plupart d'entre eux une indéchiffrable énigme. Une génération issue du dix-huitième siècle ne pouvait rien comprendre à ce contemporain de César Borgia. De là les illusions, les méprises dont il a été l'objet de son vivant ; de là l'inconcevable aberration des jugements qu'on a portés sur lui après sa mort. On a vu des hommes de beaucoup d'esprit passer vingt ans de leur vie à étudier ce caractère et comprendre aussi peu ses ressorts et ses mobiles que s'ils avaient eu à juger un Pharaon de la vingtième dynastie. On ne le reconnaît plus sous le masque débonnaire et bourgeois qu'ils ont placé sur son fin et dur visage d'airain. Sa personnalité gagne sans doute à ce travestissement au point de vue de la morale, mais elle y perd infiniment au point de vue de l'art. On ôte ainsi à cette physionomie tous ses côtés originaux et profonds polir lui donner je ne sais quoi de médiocre et d'affadi qui en diminue singulièrement la grandeur perverse ; et sans parler des droits trop méconnus de la vérité, il y a quelque chose d'humiliant pour des esprits libres dans cette éternelle duperie, à demi volontaire.

Quelques merveilleuses que fussent les aptitudes de cet étonnant génie, il leur manquait toutefois un complément sans lequel les plus admirables facultés n'aboutissent qu'à une action désordonnée, c'était la mesure, ce grand régulateur de l'intelligence humaine, cette harmonie supérieure qui fait qu'on se maîtrise et qu'on se domine soi-même, chose surtout indispensable pour gouverner les autres, la mesure, le don le plus divin que le ciel ait départi à l'homme. On avait déjà pu le reconnaître à des signes certains, ce prodigieux esprit manquait d'équilibre. Il avait une tendance irréfrénable à se laisser sans cesse emporter au-delà des limites du vrai, du raisonnable, du possible. De succès en succès il était arrivé à l'instant le plus critique de sa carrière ; il y était arrivé avec une rapidité vertigineuse, en tendant les ressorts jusqu'à les rompre, en faisant violence aux choses et aux hommes, en surmenant sa fortune ; mais enfin il était, encore temps pour lui de s'arrêter sur la pente, de se reprendre, de se modérer, de revenir à une politique plus sûre et plus sensée. Les deux chemins étaient encore ouverts devant lui : entre celui qui lui offrait une carrière stable et aplanie, et celui qui l'attirait vers l'abîme à la poursuite d'iule grandeur extravagante, il ne tenait qu'il lui de choisir, et ce choix définitif, irrévocable, allait dépendre de sa conduite avec l'Angleterre.

Peut-être est-ce à un vague sentiment de la gravité de cette détermination qu'on doit attribuer l'espèce de silence formidable qui succéda au dialogue déjà menaçant et irrité que Bonaparte avait engagé avec la diplomatie anglaise. Quoi qu'il en soit, cette trêve fut de bien courte durée. Vers la fin de janvier 1803, Talleyrand, poussé par le Premier Consul, interpellait de nouveau Lord Whitworth au sujet des attaques de la presse anglaise, plainte qui prenait un caractère agressif par le seul fait de son insistance. Lord Whitworth se contenta de répondre cette fois que la violence de ces attaques était au moins égalée par celle de la presse française, et comme Talleyrand niait ce fait avec la froide et imperturbable effronterie qui le caractérisait, le diplomate anglais lui répliqua que pour le constater il suffisait d'ouvrir un journal français le premier venu, ce qui était vrai[36]. Talleyrand insista ensuite pour que le cabinet anglais expliquât ses intentions au sujet de Malte. Malgré tous ses griefs contre nous, malgré ses motifs de défiance et de mécontentement, ce gouvernement était encore disposé à évacuer Malte aussitôt que le lui permettrait la reconstitution de l'Ordre et l'acquiescement de la Russie aux conditions du traité ; mais trois jours après l'entrevue de Talleyrand avec Whitworth, survint un événement qui changea du tout au tout ses dispositions. Le Moniteur venait de publier, le 30 janvier, le rapport de Sébastiani au sujet de la mission que le Premier Consul lui avait confiée en Orient.

Ce rapport rempli d'imputations injurieuses contre l'Angleterre et contre son armée, était une sorte d'évaluation très-claire et très-complète des ressources et des éléments de tout genre que l'Orient offrait pour une seconde conquête de l'Égypte. Il occupait huit colonnes du Moniteur. Dispositions des populations à notre égard, état des ports, des arsenaux, des fortifications, des places fortes, des ponts, et même des poudrières, situation économique du pays, sentiments des cheiks à l'égard de la France, assurances et promesses du Premier Consul, rien ne manquait au tableau. Il n'était pas une ligne de ce rapport qui n'impliquât l'intention de recommencer l'expédition d'Égypte. Sébastiani allait jusqu'à insinuer que le général Stuart avait voulu le faire assassiner, parce qu'en présence de ses menées le général avait communiqué au Pacha une ancienne proclamation de Bonaparte en complète contradiction avec les sentiments qu'il s'attribuait aujourd'hui. « Je fus indigné, disait-il à ce sujet, qu'un militaire d'une des nations les plus policées de l'Europe se dégradât au point de chercher à [aire assassiner par de pareils moyens. » Il donnait le chiffre exact des forces anglaises et leur état nominatif ; il y joignait celui des forces turques ; il évaluait cette double armée à un peu plus de seize mille hommes et après avoir assuré que « ce n'était pas là une armée mais un ramassis d'hommes mal armés, sans discipline, usés par les excès de débauche » ; il disait en forme de conclusion : « Six mille français suffiraient aujourd'hui pour reconquérir l’Égypte ! »

Telle est la pièce que depuis ce temps-là on est convenu chez nous d'appeler le rapport commercial de Sébastiani. Ce manifeste menaçant, publié dans un moment où les deux nations étaient profondément irritées l'une contre l'autre, eut le retentissement d'un cri de guerre. Il produisit sur le peuple anglais tout entier un effet extraordinaire, et le ministère Addington entraîné par le sentiment public, renonça dès lors et résolument à son système de paix à tout prix. On lui demandait des explications, et il en réclama lui-même au sujet de cette publication si provoquante et si insolite. Il ne chercha plus à s'excuser de n'avoir pas encore évacué Malte. C'était au gouvernement français à dire lui-même pourquoi il n'évacuait ni la Hollande, ni le Piémont, ni la Suisse. Le traité d'Amiens avait pour base l'état-des possessions de chaque pays au moment où on l'avait signé ; il était fondé sur le principe des compensations et tout accroissement de territoire d'une part en impliquait un aussi de l'autre[37].

Le Premier Consul aurait pu juger d'après ce changement de ton significatif qu'en s'efforçant d'intimider. Il atteignait un but tout contraire. Cependant il n'y avait point renoncé ; mais il résolut d'y joindre le langage de la persuasion et voulut avoir avec lord Whitworth une entrevue personnelle, dans laquelle il emploierait pour le convaincre toute la puissance et toute la séduction de son esprit. Il fit venir l'ambassadeur aux Tuileries dans la soirée du 18 février, le reçut avec cordialité, et après quelques paroles insignifiantes, il aborda l'éternelle récapitulation de ses griefs contre l'Angleterre, la non-évacuation de Malte et d'Alexandrie, l'impunité de la presse, la protection accordée à Georges et aux autres émigrés. Chaque vent qui soufflait d'Angleterre ne lui apportait, disait-il, que des inimitiés. 11 ne voulait pas la guerre, mais il ne consentirait à aucun prix à voir les Anglais rester à Malte ; il préférait les voir en possession du faubourg Saint-Antoine. Quant à l'Égypte il aurait pu facilement s'en emparer, mais cela ne valait pas la peine de risquer une guerre, puisque tôt ou tard elle appartiendrait à la France, soit par la chute de l'empire ottoman, soit par quelque arrangement conclu avec lui. Il se livra ensuite à un de ces longs monologues qui lui étaient familiers, sur les dangers d'une guerre avec l'Angle terre, sur les difficultés d'une descente, sur la force naturelle des deux pays ; il reconnut qu'il y avait contre ce projet cent chances pour une ; mais il était prêt à le tenter néanmoins si on l'y contraignait. Si au contraire l'Angleterre voulait s'unir à lui quelle fortune pour elle ! il l'associerait au gouvernement du monde ; partage dans les indemnités, partage d'influence, traités de commerce, elle aurait tout ce qui pourrait tenter son ambition. Pour réaliser ce rêve deux choses suffisaient : réprimer sinon la presse anglaise, du moins les journaux français qui s'imprimaient à Londres ; retirer à Georges et à ses adhérents la protection du gouvernement britannique ![38]

Lord Whitworth qui jusque-là avait h peine pu placer un mot pendant cette fougueuse et éloquente divagation, répondit alors que quant aux avantages et aux agrandissements dont le Premier Consul venait de parler, il pouvait l'assurer que l'ambition de Sa Majesté Britannique tendait à conserver plutôt qu'à acquérir ; il réfuta quelques-uns de ses reproches, rappela les motifs de défiance et de mécontentement de son cabinet, et comme il allait parler de notre récente augmentation de territoire, le Premier Consul l'interrompit en lui disant : « Je suppose que vous voulez parler du Piémont et de la Suisse ? Ce sont des bagatelles ! il fallait prévoir cela pendant les négociations ; vous n'avez pas le droit de vous plaindre à cette heure ! » Ces mots redoutables, témoignage de l'aveugle obstination de celui qui les prononçait, étaient reproduits en français dans la dépêche de lord Whitworth, et ils s'en détachaient en traits de feu. C'est qu'en effet tout le reste de la conversation n'était plus qu'un vain pariage : il n'en restait qu'orne chose, c'est qu'en appelant l'Angleterre à une conciliation, Bonaparte commençait par établir que pour son compte il entendait ne rien céder de ses prétentions. Il en résultait encore que ces deux faits si graves n'étaient à ses yeux que des bagatelles ! Que méditait-il donc pour l'avenir ? Quelle sécurité était possible avec lui ? Ce mot « ce sont des bagatelles ! » fut répété à plusieurs reprises dans le cours des discussions du parlement anglais, et chaque fois il y produisit une sensation nouvelle.

Deux jours après cet entretien une nouvelle surprise, beaucoup plus grave que tout ce qui avait précédé, vint fondre sur l'ambassadeur anglais[39]. Le Moniteur publiait l'exposé annuel de la situation de la République au Corps législatif. Bonaparte s'y applaudissait comme à l'ordinaire de toutes les choses glorieuses qu'il avait accomplies dans le cours de l'année, puis passant à l'état de nos relations extérieures il annonçait le terme de notre médiation en Allemagne et le règlement des indemnités conclu à la satisfaction de tout le monde ; il s'arrêtait ensuite à l'Angleterre :

« En Angleterre, disait-il, deux partis se disputent le pouvoir. L'un a conclu la paix et paraît décidé à la maintenir ; l'autre a juré à la France une haine implacable. De là cette fluctuation dans les opinions et dans les conseils, cette attitude à la fois pacifique et menaçante. Tant que durera cette lutte des partis, il est des mesures que la prudence commande au gouvernement de la République ; cinq cent mille hommes doivent être et seront prêts à la défendre et à la venger ! Étrange nécessité que de misérables passions imposent à deux nations qu'un intérêt égal et qu'une égale volonté attachent à la paix ! Quel que soit à Londres le succès de l'intrigue, elle n'entraînera pas d'autres peuples dans des ligues nouvelles ; et le Gouvernement le dit avec un juste orgueil : seule, l'Angleterre ne saurait aujourd'hui lutter contre la France. » (20 février 1803.)

Jamais coup de tocsin donnant le signal de l'appel aux armes ne souleva une émotion comparable à l'effet que produisirent en Angleterre ces présomptueuses et insolentes paroles. Ici ce n'était plus le gouvernement britannique qui était mis en cause, c'était la nation anglaise elle-même qui se sentait frappée au visage. Il était inouï qu'en pleine paix un chef d'État eût pris un pareil ton dans un acte public et solennel à l'égard d'une grande nation européenne, à l'égard de celle qui passait pour la plus fière et la plus susceptible. Bonaparte la traitait déjà comme une de ces malheureuses républiques que leur faiblesse avait mises à sa merci ; il censurait son gouvernement, son organisation, ses luttes, ses glorieuses luttes de parti qui faisaient son orgueil, sa grandeur, sa vie ! Enfin il osait la menacer ouvertement, lui faire peur de ses cinq cent mille hommes ! la défier de recommencer la lutte, et ce défi formulé sous cette forme grossière et barbare qui consiste à faire étalage de ses forces, c'était au peuple anglais lui-même qu'il l'adressait !

A partir de ce moment la guerre devint inévitable. Le cabinet anglais répliqua aux menaces de l'Exposé par un message du roi Georges, en date du 8 mars 1803, informant la chambre des Communes « que vu les préparatifs militaires qui se faisaient dans les ports de France et de Hollande, il avait cru devoir adopter de nouvelles mesures de précaution pour la sûreté de ses États. Ces préparatifs étaient, il est vrai, présentés par la France comme ayant pour but des expéditions coloniales, mais comme il existait entre Sa Majesté et le gouvernement français des discussions d'une grande importance et dont le résultat demeurait incertain, Sa Majesté s'était déterminée à s'adresser à ses fidèles communes, et comptait sur leur concours pour l'emploi de toutes les mesures qu'exigeraient l'honneur et l'intérêt du peuple anglais. »

On voit par-là que le ministère Addington conservait encore un faille espoir de maintenir la paix dont la nation ne voulait déjà plus, car au lieu d'aborder le vrai fond du débat, il s'en tenait à un prétexte et prenait une position défensive. Les armements dont il parlait étaient réels, il y avait dans le port d'Helvœtluis en Hollande, une expédition prête à partir pour la Louisiane, et il est incontestable que Bonaparte pouvait s'en servir contre l'Angleterre ; il avait en outre vingt vaisseaux en construction dans ses ports de guerre[40]. Mais il n'en est pas moins vrai que ce n'était là qu'une question accessoire auprès des griefs qui divisaient les deux pays. On peut toutefois juger d'après le ton de ce message s'il est vrai, ainsi qu'on l'a tant de fois répété après Bonaparte, que ce manifeste fut une provocation. Il annonçait la nécessité de prendre des « mesures de précaution » et de se tenir en garde contre certaines éventualités, mais on ne doit pas oublier que c'était Ut une réplique, et qu'était-ce qu'un pareil langage auprès du manifeste consulaire déclarant que cinq cent mille hommes devaient et allaient être prêts à dé fendre et à venger la République ? Qui avait rendu nécessaires de pareilles démonstrations ? ne quel côté étaient la réserve et la prudence dans la conduite, la modération et la dignité dans le langage ? Si une semblable question doit être décidée non d'après les principes d'une raison impartiale et éclairée, mais d'après l'abjecte routine des passions populaires et des préjugés nationaux, il faut se taire et renoncer à émettre un jugement historique.

Le surlendemain du jour où le message fut connu à Paris, le dimanche 13 mars 1803, lord Whitworth s'étant rendu à l'audience des Tuileries, le Premier Consul l'aborda avec tous les signes extérieurs d'une violente agitation : « Ainsi, lui dit-il, vous voilà déterminés à nous déclarer la guerre ? — Non, répondit l'ambassadeur, nous sommes trop sensibles aux avantages de la paix. — Nous avons déjà fait la guerre dix ans, reprit Bonaparte avec une animation croissante, vous voulez la faire encore quinze ans, vous m'y forcez ! » Et s'adressant à Markoff et à Azara : « Les Anglais veulent la guerre, mais s'ils sont les premiers à tirer l'épée, je serai le dernier à la remettre dans le fourreau. Ils ne respectent pas les traités, il faut les couvrir d'un crêpe noir ! » Il revint alors à Whitworth : « Pourquoi des armements ? Contre qui des mesures de précaution ? Je n'ai pas un seul vaisseau de ligne dans mes ports Vous voulez vous battre, je me battrai aussi ! Vous pouvez tuer la France, mais jamais l'intimider — On ne voudrait ni l'un ni l'autre, dit l'ambassadeur ; on voudrait vivre en bonne intelligence avec elle. — Il faut donc respecter les traités, s'écria-t-il, malheur à ceux qui ne respectent pas les traités !'[41] »

On est confondu de surprise lorsqu'on songe à tout ce qu'avait fait jusque-là l'homme qui en appelait avec tarit d'assurance à la foi des traités I C'était lui qui osait les invoquer, lui, qui les violait d'une main pendant qu'il les signait de l'autre ! On ne pouvait crier plus audacieusement : malheur à moi-même ! Cette inconvenante sortie qui frappa tout le monde de stupeur, avait pour témoins deux cents personnes. L'attitude du gouvernement anglais avait été jusque-là expectante et passive ; le 15 mars, résumant ses notes antérieures, il formulait encore sa politique dans le principe de l'état des possessions à l'époque du traité, ruais sans en faire toutefois une loi absolue, et il ne prétendait nullement garder Malte, mais seulement le conserver jusqu'à ce qu'on lui eût donné des explications satisfaisantes[42]. De son côté Andréossy répondait (le 28 mars) « que loin de s'être accrue en puissance depuis le traité d'Amiens, la France avait évacué beaucoup de pays, et n'avait reçu aucun degré d'augmentation. » Il donnait ensuite l'explication demandée au sujet du rapport de Sébastiani, et cette explication se réduisait à dire que la publication de ce rapport avait été une réponse « à un livre rempli de calomnies atroces contre l'armée française ; que Sébastiani avait dû penser que l'Angleterre voulait déclarer la guerre puisqu'elle n'exécutait pas les conditions du traité. »

Les communications diplomatiques des deux puissances se maintinrent pendant quelque temps dans ce cercle de redites, de récriminations et d'explications vaines ou dérisoires qui ne pouvaient rien changer à un dénouement devenu fatal. Aussitôt qu'il avait eu connaissance du message, Bonaparte avait vu que la guerre était imminente et il avait pris ses mesures en conséquence. Dès le 11 mars il écrivait à tous les souverains pour les intéresser à sa querelle ; il envoyait ses aides de camp Duroc et Colbert à Alexandre et au roi de Prusse pour les engager à faire cause commune avec lui ; il décrétait la formation d'une flottille de cinq cents bateaux et chaloupes canonnières, il offrait et peu après vendait la Louisiane aux États-Unis au prix de quatre-vingts millions. Il eût voulu soulever le monde entier contre l'Angleterre, ce qui ne l'empêchait pas de dénoncer incessamment les efforts du cabinet britannique pour gagner les puissances continentales. Témoin du peu de succès des invectives insultantes du Moniteur et de sa presse soudoyée, il forçait les États faibles, censés indépendants, à fournir leur contingent d'imprécations contre le peuple anglais afin que l'injure fût moins suspecte venant de gens inoffensifs. C'est ainsi que sur la réquisition de son agent Rheinard, le Sénat de Hambourg dut consentir, par ordre, à l'insertion dans la gazette de cette ville d'un article envoyé de Paris et rempli des récriminations les plus outrageantes, à l'occasion du message du roi d'Angleterre et de l'adresse du parlement : « On ne pouvait dire si un pareil acte était l'ouvrage de la folie, de la faiblesse ou de la trahison.... On était tenté de se demander si le message du roi d'Angleterre n'était pas une plaisanterie ; si une pareille farce était digne de la majesté d'un gouvernement ; enfin on ne voyait aucun motif raisonnable auquel on pût rapporter un pareil acte, si ce n'est à la mauvaise foi, à une inimitié jurée envers la France, à la perfidie, au désir de violer ouvertement un traité solennel. En lisant ce message on se croyait transporté dans le temps où les Vandales traitaient avec les Romains dégénérés, lorsque la force usurpait la place du droit et que par un appel subit aux armes on insultait ceux qu'on avait envie d'attaquer ! »

L'effet produit par ce morceau de rhétorique fut encore plus grand que ne l'espérait Bonaparte, car tout le monde sut presque aussitôt qu'il avait été imprimé de force dans la Gazette de Hambourg et qu'il émanait directement du Gouvernement français. Une diplomatie qui se signalait presque chaque jour par de pareils procédés était faite pour abréger les délais et réduire considérablement les temporisations. Le cabinet anglais, jusque-là hésitant, sentit enfin la nécessité de substituer à ses vagues demandes d'explication auxquelles on ne répondait que par des fins de non-recevoir, quelque chose de plus précis et de plus catégorique. Il résuma dans les six points suivants les satisfactions qu'il exigeait : 1° la cession de l'île de Lampédouse qu'il se chargeait d'obtenir du roi des Deux-Siciles ; 2° l'occupation de Malte pendant dix ans à titre de garantie ; 3° l'évacuation de la république batave ; 4° celle de la Suisse ; 5° une indemnité pour le roi de Sardaigne ; 6° à ces conditions l'Angleterre reconnaîtrait le royaume d'Étrurie et la république Cisalpine.

Tel était le résultat des intimidations du Gouvernement français. Cet ultimatum fut signifié le 26 avril avec une fermeté tout à fait inattendue après les preuves multipliées de longanimité qu'avait données le ministère Addington ; il n'avait pris cette résolution qu'après avoir épuisé tous les moyens dilatoires et dépensé toute la somme de patience permise à des hommes soucieux de l'honneur de leur pays. Il ne pouvait pas garder le pouvoir une heure de plus sans donner satisfaction au sentiment national. L'ambassadeur avait ordre de quitter la France si au bout de sept jours ces conditions n'étaient pas acceptées. Ce brusque changement de ton produisit la plus soudaine et la plus complète interversion des rôles.

Le Premier Consul qui voulait à tout prix gagner du temps se mit à protester « de ses intentions pacifiques ». Il assurait « n'avoir aucune difficulté à évacuer la Hollande aussitôt que les conditions du traité d'Amiens seraient remplies ». Quant à Lampédouse, elle n'appartenait pas à la France, et il ne dépendait pas de lui de la céder[43]. Mais comme il ne parlait pas des autres points de l'ultimatum, Whitworth répondit en demandant ses passeports. Cette circonstance aggravante adoucit encore plus le Gouvernement français jusque-là si irritable. « On conçoit moins que jamais, lui écrit aussitôt Talleyrand en feignant de ne voir que Malte dans toute cette contestation, comment une nation grande, puissante et sensée pourrait vouloir entreprendre une guerre dont les résultats entraîneraient des malheurs si grands et dont la cause serait si petite, puisqu'il s'agit d'un misérable rocher.... Le Premier Consul accoutumé depuis deux mois à faire des sacrifices de toute espèce pour le maintien de la paix, ne repousserait pas un terme moyen qui serait de nature à couvrir les intérêts et la dignité des deux pays[44]. »

Ainsi cette île de Malte qui naguère équivalait aux yeux de Bonaparte à la possession du faubourg Saint-Antoine, n'était plus aujourd'hui qu'un misérable rocher ! Le terme moyen proposé était une transaction au sujet de Malte, à laquelle l'ambassadeur répondit en reproduisant imperturbablement ses six points (à la date du 10 mai), et en réclamant de nouveau ses passeports. Il quitta Paris le 12 mai et s'éloigna à petites journées pour laisser une dernière chance à une réconciliation qu'il n'espérait plus. Le Premier Consul s'efforçait encore le 13 mai de trouver un expédient qui lui permit de traîner les choses en longueur ; il chargeait Andréossy de proposer une occupation simultanée de Malte par l'Angleterre et de Tarente par la France pendant dix années : « Il est important, lui faisait-il écrire, que si cette proposition ne peut réussir, Andréossy n'en fasse aucune communication qui en laisse des traces, afin qu'on puisse toujours nier ici que le Gouvernement ait pu adhérer à cette proposition[45]. »

Artifices inutiles ! Bonaparte ne voulait pas entendre parler des seules conditions qui eussent pu prévenir la rupture. Il repoussait comme un déshonneur la politique généreuse, équitable, modérée, qui eût affranchi au lieu d'opprimer, substitué le respect du droit au système des conquêtes, et régné par l'influence au lieu de gouverner par la force. Pour satisfaire de mesquines rancunes contre des écrivains obscurs que protégeait la noble hospitalité de la nation anglaise i avait seul rallumé la guerre ; il l'avait rallumée malgré les avis de ses conseillers, malgré le souvenir de tant de maux non encore réparés, malgré la volonté d'une nation affamée des bienfaits de la paix ; et pour venger sa misérable injure des millions d'hommes allaient pendant plus de dix années lutter, se déchirer, mourir de tous les genres de mort, sur tous les continents, sur toutes les mers, à toute heure du jour et de la nuit, dans les déserts, sur les monts, dans les glaces, dans les cités incendiées comme dans les plus humbles villages, du Tage à la Neva, de la Baltique au gobe de Tarente, en Espagne, en Russie, et jusque dans l'Inde ! Et cette guerre qu'il commençait pour forcer l'Angleterre à violer les lois de l'hospitalité envers des proscrits, elle devait se poursuivre sans relâche jusqu'au jour où vaincu lui-même et proscrit à son tour, il implorerait, sans l'obtenir, cette hospitalité tant insultée !

L'Angleterre commença les hostilités aussitôt que les ambassadeurs eurent quitté le territoire des deux nations, et s'empara, au dire du Moniteur lui-même, de deux bâtiments chargés l'un de bois, l'autre de sel[46]. Le Premier Consul s'autorisa de ces faits de guerre pour décréter immédiatement l'arrestation et la détention de tous les Anglais âgés de plus de dix-huit ans et de moins de soixante qui se trouvaient en France. Ils y furent retenus jusqu'à la fin de la guerre. Le prétexte allégué pour justifier cette infraction inouïe au droit des gens n'est pas moins caractéristique que tout ce qui venait de s'accomplir. Les actes d'hostilité dont le Premier Consul se plaignait en accusant la mauvaise foi du cabinet anglais, avaient en somme suivi et non précédé la rupture, car ils avaient été commis en vertu d'un ordre du Conseil privé en date du 16 mai, et après le départ de notre ambassadeur. Or trois jours avant cette date, c'est-à-dire le 13 mai 1803, Bonaparte écrivait à Clarke :

« L'ambassadeur d'Angleterre vient de quitter Paris. La guerre n'est cependant pas encore déclarée, mais cette conduite exige des précautions sur le résultat desquelles il sera statué selon le parti que prendra le Gouvernement anglais. En conséquence l'intention du Premier Consul est qu'un embargo général soit mis dans les ports dépendants de S. M. le roi de Toscane[47]. »

 

FIN DU DEUXIÈME VOLUME

 

 

 



[1] Protocole du 21 février.

[2] Dépêches de lord Saint-Helens à lord Hawkesbury, avril et mai 1802.

[3] Dépêche de lord Hawkesbury, 10 juin 1802- Papers laid before bath Bouses. Hansard's Parliamentary history, vol. XXXVI.

[4] Otto à Hawkesbury, 25 juillet.

[5] Lord Hawkesbury à Otto, 28 juillet.

[6] Elle ouvre la série du très-petit nombre de documents en partie altérés que Bonaparte jugea à propos de communiquer au Corps législatif au sujet de la rupture avec l'Angleterre (séance du 20 mai 1803).

[7] Dépêche de lord Hawkesbury à Merry, 28 août.

[8] Moniteur du 8 août.

[9] Moniteur du 23 juillet.

[10] Moniteur du 30 juillet.

[11] Moniteur du 1er septembre (extrait du Mercure).

[12] Bonaparte à Berthier, 29 août 1802.

[13] Bonaparte à Sébastiani, 5 septembre 1802.

[14] L'histoire de la Confédération suisse de Jean de Muller donne à ce fait la clarté de l'évidence. T. XVII.

[15] Bonaparte à Talleyrand, 23 septembre 1802.

[16] Proclamation du 30 septembre 1802.

[17] Proclamation du 25 mai 1808.

[18] Bonaparte à Berthier, 15 octobre 1802.

[19] Papers before both Houses.

[20] En date du 23 octobre. Cette note a été bien entendu omise ainsi que beaucoup d'autres dans le recueil des pièces communiquées au Corps législatif par Bonaparte. Elle manque également dans la Correspondance en vertu du singulier système des éditeurs sur les droits et les devoirs de l'histoire. C'est M. Thiers, croyons-nous, qui l'a fait connaître pour la première fois.

[21] Bonaparte à Talleyrand, 4 novembre 1802.

[22] Jean de Muller, Histoire de la Confédération, t. XVII.

[23] Allocution du 11 décembre 1802.

[24] Bonaparte au citoyen Régnier, 21 février 1803. Correspondance.

[25] Conférence du 29 janvier 1803.

[26] Jean de Muller.

[27] Hansard's, Parliamentary history.

[28] Discours de Grenville.

[29] M. Thiers fait un récit très-intéressant du voyage de Fox à Paris en 1801. On voit par la correspondance de Fox, comme par celle de Lafayette, que Fox ne quitta l'Angleterre que dans les derniers jours de juillet 1802. Le Moniteur ne mentionne sa présentation au Premier Consul qu'à la date du 2 septembre de la même innée.

[30] Memorials and correspondence of Charles James Fox, Edited by lord John Russell : vol. III.

[31] Memorials and correspondence of Charles James Fox. Lettre de Fox à lord Holland, 19 décembre 1802.

[32] Annual register for the year 1803.

[33] Bonaparte à Leclerc, 27 novembre 1802. A Decrès„ 5 février 1803.

[34] Mémoires de Miot de Melito.

[35] Documents historiques sur le gouvernement de la Hollande par Louis Bonaparte.

[36] Lord Whitworth à Hawkesbury, 27 janvier 1803.

[37] Hawkesbury à Whitworth, février 1803.

[38] Telle est l'analyse fidèle du compte rendu que lord Whitworth écrivit le jour même et envoya à son gouvernement le surlendemain. O’Meara et les relations de Sainte-Hélène ont contesté mais sans aucun succès, l'exactitude de ce curieux récit, dont chaque mot porte an plus haut point l'empreinte do la vérité.

[39] M. Thiers assure qu'à la fin de sa conversation avec Whitworth le Premier Consul l'avait prévenu de ce qui allait suivre. Il n'y a pas trace de ce fait si essentiel dans la relation si minutieuse et circonstanciée de l'ambassadeur.

[40] Bonaparte au roi d'Espagne, 11 mars 1803.

[41] Dépêche de lord Whitworth du 14 mars 1803. Toutes les paroles de Bonaparte sont rapportées en français.

[42] Hawkesbury à Andréossy, 15 mars 1803.

[43] Talleyrand à Whitworth, 2 mai 1803.

[44] Talleyrand à Whitworth, 4 mai 1803.

[45] Bonaparte à Talleyrand, 13 mai.

[46] Moniteur du 22 mai 1803.

[47] Sémonville reçut le même ordre pour la Hollande, et Salicetti pour la république de Gênes. Bonaparte à Clarke, 13 mai 1803.