Toutes
les ouvertures du Premier Consul au sujet de la paix avaient été
successivement repoussées ; ses instances mêmes n'avaient reçu qu'un accueil
froid et dédaigneux : il avait atteint son but. Il avait mis de son côté les
avantages de la modération, il s'était donné aux yeux de la nation le
prestige inattendu d'une politique patiente et pacifique, il s'était posé en
champion du désintéressement et de l'humanité ; il avait rejeté sur les
puissances coalisées la responsabilité d'une guerre que personne ne désirait
plus ardemment que lui. Leur obstination le remplit d'une joie secrète, car
il avait besoin d'un grand succès militaire[1] et toutes ses mesures étaient
dès lors combinées pour une campagne foudroyante. La
coalition affaiblie par la défection déjà effective, mais non encore déclarée
de l'empereur Paul, qui ne pouvait pardonner à l'Autriche les humiliations de
Zurich, avait concentré ses forces sur deux points principaux. Renonçant à
nous attaquer en Suisse, par suite des échecs désastreux qu'elle y avait
éprouvés dans le cours de la campagne précédente, elle nous abandonnait, sans
essayer de nous la disputer de nouveau, cette position avancée, si précieuse
pour notre offensive en Italie comme en Allemagne. Son plan était de rendre
cette position inutile au moyen de deux armées considérables, rassemblées,
l'une en Souabe, observant le Rhin et commandant tous les défilés de la
Forêt-Noire depuis Strasbourg jusqu'à Schaffouse, l'autre en Piémont, au pied
de l'Apennin, menaçant tous les postes que nous occupions sur le littoral de
Gènes à Nice, et prête à pénétrer en Provence. L'armée de Souabe comptait,
tout prélèvement fait pour la garnison des places fortes, cent vingt mille
hommes de bonnes troupes. Elle était commandée par le maréchal de Kray,
officier habile et expérimenté, successeur de l'archiduc Charles que les
vexations du conseil aulique avaient momentanément dégoûté de la carrière des
armes. Massée vers le milieu de cet angle gigantesque que le Rhin forme de
Strasbourg au lac de Constance, c'est-à-dire dans les environs' de
Donaueschingen, maîtresse de tous les débouchés de cette contrée montagneuse,
elle pouvait, tout en étendant ses extrémités de Mayence au Tyrol, se porter
avec une égale rapidité, soit sur la frontière suisse, soit sur celle
d'Alsace, selon le point d'où partirait l'attaque ; et elle avait sur
l'ennemi qui tenterait de franchir le Rhin, l'avantage d'une concentration
incomparablement plus prompte et plus facile. Placée au centre de cette
espèce de vaste camp retranché, couverte par un cours d'eau, large et
profond, par une double ligne de montagnes et d'épaisses forêts, l'armée de
Kray devait, au moins au début, rester sur la défensive et se borner à nous
fermer l'accès de l'Allemagne. L'honneur
de frapper les premiers et les plus grands coups avait été réservé à l'armée
d'Italie et à son général, M. de Mélas. C'est sur l'Apennin que devait porter
le principal effort de la coalition, inspirée en cela par la faiblesse connue
de l'armée de Masséna, par l'espoir toujours cher aux Anglais de reprendre et
de détruire Toulon, par l'espoir encore plus chimérique de soulever nos
populations méridionales. Enlever Gênes et Toulon, pénétrer en Provence après
avoir rallié un corps de vingt mille hommes que l'Angleterre réunissait à
Minorque, marcher ensuite sur nos provinces du centre, en même temps que
Kray, sortant de son immobilité, franchirait le Rhin pour faire diversion,
tel était le rôle destiné au baron de Mélas et aux cent dix-sept mille hommes
qu'il commandait. La France n'avait à opposer à ces forces que trois armées
dont l'infériorité consistait surtout en ce que l'une d'elles, l'armée de
réserve, n'existait encore que sur le papier et ne pouvait entrer en action
que beaucoup plus tard. Celle du Rhin, commandée par Moreau, montait,
défalcation faite des garnisons, à environ cent dix mille hommes ; elle était
destinée à opérer contre le corps de Kray ; celle d'Italie, opposée à Mêlas,
et placée sous les ordres de Masséna, ne comptait guère plus de vingt-cinq
mille hommes[2] avec lesquels il devait
défendre Gênes, les passages de l'Apennin et des Alpes contre l'invasion
autrichienne. Mais l'une et l'autre étaient, composées de troupes éprouvées,
et elles avaient à leur tête deux capitaines éminents, l'un incomparable
d'entrain et d'inspiration dans le feu de l'action, l'autre au premier rang
par la sagesse et la sûreté de ses combinaisons. Quant à l'armée de réserve,
à laquelle personne ne croyait ni en Europe ni même en France, formée de
corps tirés de la Vendée, de la Hollande, de l'intérieur, renforcée des
nouvelles levées de la conscription et de quelques détachements de
volontaires, réunie nominalement à Dijon où l'on voyait à peine quelques
bataillons de conscrits, dispersée en réalité de Châlons-sur-Marne à Lyon,
mais prête à se grouper au premier signal, elle était, grâce à l'affectation
bruyante avec laquelle on annonçait sa formation et aux habiles précautions
qu'on avait prises pour dissimuler son existence, considérée universellement
comme une pure fiction. Devenue un objet de raillerie à l'étranger, cette
armée grandissait silencieusement à mesure que les corps rejoignaient, et
elle restait invisible, à portée par sa position ou de renforcer l'armée du
Rhin. ou de secourir la faible armée de Masséna, ou enfin d'agir séparément
si on le jugeait plus opportun. Quelle
direction allait-on imprimer à ces trois' corps ? Le plan de campagne des
coalisés, et plus encore la nature des choses, semblaient nous dicter le
nôtre Des cieux frontières menacées, celle du Rhin était sans comparaison la
plus importante à la fois pour l'Autriche et pour la France. Pour chacune de
ces deux puissances, une bataille perdue ou gagnée sur le Rhin ou dans la
vallée du Danube avait infiniment plus de gravité qu'une victoire ou une
défaite dans la rivière de Gênes ou en Italie. Dans ce dernier cas en effet
coup était frappé aux extrémités, tandis que dans le premier, il était porté
beaucoup plus près du cœur, le champ de bataille se trouvant situé sur le
plus court chemin entre Vienne et Paris. Quelque brillantes qu'elles eussent
été, les nombreuses victoires que Bonaparte avait remportées en Italie en
1796 n'avaient rien pu terminer, précisément parce qu'elles étaient
remportées en Italie ; mais une fois entré en Allemagne, dès sa première
bataille il s'était trouvé le maitre de l'Empire. Les
coalisés avaient donc commis une faute capitale en portant leur principale,
attaque sur un point non-seulement secondaire par sa situation excentrique,
mais encore facile à défendre, grâce aux obstacles naturels et aux ouvrages
fortifiés dont il était pourvu. En effet, l'Apennin, Gênes, la ligne du Var,
Toulon étaient autant de barrières qui, défendues par un générai comme
Masséna, pouvaient les arrêter pendant de longs mois, malgré l'écrasante
supériorité de leurs forces. Cette position aventurée de Mêlas à une si
grande distance des provinces héréditaires, son point d'appui naturel, avait
en outre cet inconvénient que si Kray venait à être battu dans la vallée du
Danube, l'armée d'Italie ne pourrait jamais arriver à temps pour couvrir
Vienne contre celle de Moreau. Il
résultait de là que tout l'effort de nos armes devait être concentré contre
Kray, tandis qu'on n'enverrait à Masséna que le strict nécessaire pour
maintenir sa défensive. Une fois l'armée de Kray détruite, on pouvait à
volonté aller dicter la paix à Vienne ou prendre à revers l'armée de Mêlas et
lui couper toute retraite. C'est au reste ce que Napoléon lui-même reconnaît
expressément, d'abord lorsqu'il déclare « que la frontière prédominante était
celle du Rhin[3], » ensuite lorsqu'il raconte
qu'à la suite de sen dissentiment avec Moreau au sujet de l'ouverture de la
campagne, il éprouva mi instant la tentation d'aller se mettre à la tête de
cette armée, « calculant qu'il serait sous les murs de Vienne, avant que
Mélas fût devant Nice[4]. » S'il en était ainsi, comme
toutes les données de cette situation militaire l'indiquent, il s'ensuivait
que les coups les plus énergiques devaient être portés en Allemagne, parce
que là seulement ils seraient tout à fait décisifs. Telle
était l'opinion de Moreau. C'était en Allemagne que devait, selon lui, se
décider le sort de la guerre, et c'était là qu'il eût voulu concentrer toutes
nos forces. Avant même de connaître la destination précise de l'armée de
réserve, il insista à plusieurs reprises pour qu'elle fût envoyée en Suisse
afin d'appuyer et de suivre l'armée du Rhin[5]. Mais Bonaparte n'eût consenti
à réunir ces deux armées qu'à la condition de les commander en personne. Ces
coups décisifs, destinés à terminer la guerre, il voulait les porter
lui-même, or les frapper en Allemagne, t'eût été en laisser tout l'honneur à
Moreau, car d'une part Moreau avait nettement manifesté le refus de servir
sous ses ordres[6], de l'autre la situation
intérieure de la République ne semblait pas permettre encore à Bonaparte de
quitter Paris pour prendre ce commandement. Le rôle qu'il réserva à Moreau
dans son plan de campagne n'était donc qu'une sorte de prologue destiné à préparer
sa propre entrée en scène. Au lieu de faire des opérations en Allemagne
l'objet principal de la campagne, il les subordonna complétement au plan
qu'il se proposait de réaliser lui-même en Italie a la tête de l'armée de
réserve. D'après cette conception fameuse et, à certains égards, si justement
célébrée, Moreau, après avoir concentré son armée de de Strasbourg à Bâle et
surtout de Bâle à Constance, devait tromper l'ennemi par de fausses
démonstrations de passage, puis franchir le Rhin sur trois ponts entre
Schaffouse et Constance, c'est-à-dire à l'extrême gauche de Kray. La
Forêt-Noire se trouverait ainsi tournée et l'ennemi serait alors rejeté en
Bavière. Napoléon
a écrit plus tard, et tout le monde a répété après lui, qu'il offrait à
Moreau par cette ouverture de campagne un moyen facile de couper et de
détruire les cent vingt mille hommes de Kray, en les écrasant dans l'angle
que le Rhin forme de Strasbourg à Constance ; à cette époque, il en admettait
beaucoup moins la possibilité, car il ne lui en suggéra pas même l'idée dans
les diverses instructions qu'il lui adressa ; et l'on n'en trouve pas trace
dans les exposés qu'il envoya soit à Berthier, soit à Masséna. Il se bornait à
dire à Moreau : « Le but de votre mouvement en Allemagne doit être de pousser
l'ennemi en Bavière de manière à lui intercepter la communication directe
avec Milan par le lac de Constance et les Grisons[7]. » Et dans l'exposé qu'il
adressait quinze jours plus tard à Masséna, il répétait que la mission de
Moreau était de « s'avancer en Bavière jusqu'à ce qu'il pût intercepter par
sa position la communication de l'Allemagne avec Milan par la route de Feldkirch-Coire
et les bailliages italiens de la Suisse[8]. » Tout dans les opérations de
Moreau était donc, subordonné à ce but, rejeter Kray dans la vallée du Danube
et le couper non de l'Allemagne, ce qui eût été hasardeux avec une armée si
inférieure en nombre, mais de la Suisse et de l'Italie. Pour mieux assurer ce
résultat, Lecourbe devait, avec une réserve formée du quart de l'armée de
Moreau, garder spécialement la Suisse et les passages communiquant avec
l'Italie. C'est alors que le Premier Consul se proposait d'entrer en action
avec l'armée de réserve. Cette armée devait vers le commencement de mai
atteindre à un effectif de 50 à 60.000 hommes. Bonaparte, profitant des
débouchés de la Suisse sur la Lombardie et le Piémont, descendrait alors en
Italie soit par le Splugen[9], soit par le Saint Gothard, le
Simplon ou le grand Saint-Bernard, selon l'opportunité, car il n'avait rien
arrêté à cet égard. Il recueillerait en route les vingt-cinq mille hommes de
Lecourbe qui devaient être détachés de l'armée de Moreau ; il fondrait de là
sur les derrières de Mélas, encore occupé sur le littoral de Gênes, et le
général autrichien se trouverait pris entre l'armée de Masséna et celle de
Bonaparte. Ce plan
était assurément une inspiration de génie des plus brillantes et des plus
hardies ; mais comme l'événement le démontra, il ne pouvait rien terminer
parce qu'il déplaçait le vrai théâtre de la guerre. Dans tous les cas, il
était loin, comme on l'a prétendu plus tard, d'être un sacrifice à la
personnalité de Moreau, car il subordonnait, toutes ses opérations à celles
de l'armée d'Italie qui, par la nature des choses, ne devaient être que
secondaires, il le paralysait en lui faisant une loi de ne manœuvrer « que
sur la rive droite du Danube, » et enfin il l'arrêtait court dans sa marche
en lui interdisant de dépasser Ulm et en l'affaiblissant du quart de son
armée au moment de recueillir le fruit de sa victoire. Il fallait au
contraire une grande abnégation pour accepter des conditions si difficiles à
remplir et un rôle dont la gloire était si loin d'égaler les dangers. Moreau
les accepta pourtant dans leur ensemble ; ses objections ne portèrent que sur
le passage du Rhin qu'il concevait autrement que le général Bonaparte. Ce
passage, il voulait rester le maître de l'opérer à sa guise, ainsi que ses
autres mouvements, prétention bien légitime chez un homme de guerre d'une si
haute autorité. Pour la comprendre, Bonaparte n'avait qu'à se rappeler ses
propres révoltes contre les plans que lui expédiait le Directoire. Des
instructions rédigées loin du théâtre de la guerre sont toujours sujettes à
beaucoup d'inconvénients. Celles-ci émanaient à la vérité d'un homme de génie
; mais il n'avait jamais opéré sur ce champ de bataille, tandis que le
général Moreau se trouvait sur un terrain illustré par ses victoires et qu'il
connaissait mieux qu'aucun autre militaire en Europe. D'ailleurs, on
n'exécute bien que ce qu'on a conçu soi-même. Fidèle
à son caractère qui ne voulait jamais rien laisser au hasard, Moreau estimait
que le passage du Rhin sur un seul point entre Schaffouse et Constance était
une opération trop aventurée en présence des cent vingt mille hommes de Kray
et surtout de l'immense facilité de concentration que leur donnait leur
position à Donaueschingen ; et ses prévisions à cet égard furent justifiées
par l'événement, puisque même complétement trompé par ses manœuvres, Kray put
encore se trouver avec des forces considérables sur le champ de bataille
d'Engen. Dans de telles conditions la victoire était plus qu'incertaine ; la
défaite était irréparable. A ce
passage périlleux, qui devait être opéré de vive force et sous le feu d'une
armée formidable, Moreau avait préféré un plan qui lui permettait d'utiliser
les nombreux ponts que nous avions sur le Rhin, et qui, échelonnant
l'opération de Strasbourg à Schaffouse, devait avoir pour effet d'attirer
Kray vers le Bas-Rhin à travers la Forêt-Noire, pendant que lui-même
jetterait le gros de son armée un peu au-dessus du lac de Constance. Il
envoya à Paris son chef d'état-major Dessolles pour exposer et défendre ses
vues qui furent adoptées dans leur entier après une assez longue résistance
de la part du Premier Consul. A ses objections persistantes Dessolles
répondit par l'offre de la démission de Moreau, ce qui mit fin au débat_ Cet
officier éminent, dont les rapports militaires resteront comme un modèle du
genre, a pris soin de raconter lui-même cette curieuse discussion dans un
document historique des plus précieux[10]. Il ne reste rien grâce à lui
des fausses allégations que contiennent les Mémoires de Napoléon, et
après eux ceux de Saint-Cyr, au sujet d'un prétendu plan mitoyen que
Bonaparte aurait imposé à la routine de Moreau. Moreau n'eut qu'un plan qui
fut adopté tel quel, et le seul résultat des efforts de Bonaparte pour lui
imposer ses propres idées fut un retard de plus d'un mois dans l'ouverture de
la campagne. Ce
démêlé célèbre n'eut donc pas la couleur que le dénigrement lui a prêtée ; et
loin de porter atteinte au caractère de Moreau il fait honneur à la fois à sa
dignité et à son désintéressement. Moreau avait suffisamment prouvé sa
condescendance en acceptant pour son armée un rôle de dépendance et
d'expectative au lieu du rôle actif et prépondérant que la nature des choses
l'appelait à jouer ; il maintint avec fermeté sa libre initiative en tout ce
qui concernait les moyens d'exécution, et le Premier Consul en conçut une
vive irritation laissa éclater sans contrainte en présence de Dessolles et de
Berthier. Il s'écria que Moreau « était incapable de le comprendre ! » mais,
ne jugeant pas prudent de lui retirer son commandement, il dissimula avec son
habileté accoutumée. Il lui écrivit le jour même où Dessolles quittait Paris
: « Ce général vous dira, lui mandait-il, que personne ne s'intéresse plus
que moi à votre gloire personnelle et à votre bonheur. Les Anglais embarquent
à force ; que veulent-ils ? Je suis aujourd'hui tire espèce de mannequin qui
a perdu sa liberté et son bonheur. Les grandeurs sont belles, mais en
souvenir et en imagination, j'envie votre bonheur ; vous allez avec des
braves faire de belles choses, je troquerais volontiers ma pourpre
consulaire pour une épaulette de chef de brigade sous vos ordres ! »
(16
mars.) Comment
supposer que celui qui exprimait ce vœu mélancolique et désintéressé avait
été, selon son propre aveu, sur le point de quitter Paris pour aller retirer
à Moreau son commandement ? et comment le croire lorsqu'il écrit[11] que « Moreau ne jouissait alors
d'aucun crédit ni dans la nation ni dans l'armée », qu'il eût pu
facilement le remplacer par un autre général ? La vérité est qu'il croyait
alors devoir lui montrer de grands ménagements, qui étaient justifiés par la
position exceptionnelle de son ancien émule. Moreau n'était pas populaire
dans le sens ordinaire du mot ; il y avait en lui une réserve et une
simplicité qui étaient peu propres à lui assurer ce genre de succès, mais une
haute estime s'attachait à sa personne. Deux actes de faiblesse avaient terni
sa gloire autrefois si pure, l'un avait été sa dénonciation tardive de la
conspiration de Pichegru, l'autre, sa coopération imprévoyante au 18 brumaire
; il avait racheté le premier en consentant à servir obscurément sous Scherer
pour reconquérir ses grades et en sauvant une armée qu'on regardait comme
perdue ; il brûlait d'effacer le second par de nouveaux services. Ni l'un ni
l'autre de ces torts ne pouvait faire oublier la droiture de ce caractère, sa
modestie sincère au milieu des plus éclatants succès, son inébranlable
fermeté dans les revers, son désintéressement, son éloignement pour toute
intrigue et pour tout charlatanisme. En
attendant que Moreau ouvrit la campagne, ce qu'il ne pouvait faire faute de
vivres et d'approvisionnements de guerre, Bonaparte pressait l'organisation
de cette armée de réserve qui devait être le pivot de ces grandes opérations
militaires. Il accélérait la marche invisible de ces bataillons, qui, selon
son expression, arpentaient la France dans toutes les directions, il hâtait
l'instruction des recrues, il faisait, diriger sur Genève, Lausanne et
Villeneuve une énorme quantité de vivres et de munitions. Avant la fin
d'avril, cette armée comptait cinquante mille hommes, « disponibles de
suite[12] », et son existence
continuait à être niée universellement, même dans les bureaux de la guerre
qu'on avait soigneusement exclus du secret. Cependant le conseil aulique de
Vienne fut averti de la destination de l'armée de réserve, mais il ne tint
aucun compte de cet avis[13]. Bonaparte lui avait donné pour
général son chef d'état-major Berthier, remplacé au ministère de la guerre
par Carnot, qui selon son habitude invétérée de se considérer comme un homme
nécessaire, apporta au Premier Consul le concours de sa grande réputation
civique, sans songer que ce n'était pas à un proscrit de fructidor de servir
le gouvernement de brumaire. Ces
cinquante mille hommes, réunis aux vingt mille du corps de Lecourbe que
Moreau s'était engagé à détacher de son armée par un traité en règle, œuvre
singulière et insolite de la défiance de Bonaparte, devaient former avec les
vingt-cinq mille hommes de Masséna un total d'environ cent mille, nombre plus
que suffisant pour anéantir Mélas. On ne fait pas entrer d'ordinaire l'armée
de Masséna dans cette évaluation, ce qui est un tort, car au moment décisif
elle devait paralyser une partie considérable des forces autrichiennes. Ainsi
qu'on devait s'y attendre, les hostilités éclatèrent d'abord sur l'Apennin.
Les instructions du Premier Consul prescrivaient à Masséna de ne se
préoccuper en rien de maintenir ses communications avec la France. Concentrer
à Gênes et dans les environs de cette place les quatre cinquièmes de ses
forces, en laissant le reste dans les positions importantes du littoral
jusqu'à Nice ; en cas d'attaques simultanées, n'en accepter qu'une pour se
trouver sur un seul point avec toutes ses forces réunies ; attirer l'ennemi à
lui en exagérant ses forces et en annonçant des secours de l'intérieur, afin
de détourner son attention du Saint-Gothard et du Simplon, qui étaient les
véritables points d'attaque ; enfin tenir là jusqu'à la dernière extrémité en
attendant qu'il pût être dégagé par l'armée de réserve, tels étaient les
conseils qu'il donnait à Masséna[14], conseils pleins de génie, mais
qui prouvent une fais de plus combien il est difficile de bien diriger de
loin une opération militaire. Masséna, en effet, était forcé de disséminer
ses troupes pour les nourrir et pour ménager le peu de vivres qu'il avait à
Gènes. On lui a adressé beaucoup de reproches pour n'avoir pas obéi aux
prescriptions de Bonaparte ; de fait, s'il les eût suivies à la lettre, s'il
eût gardé dans Gênes les douze mille hommes de Suchet, il eût. été forcé de
rendre la place quinze jours plus tôt, et Marengo eût été impossible. L'armée
de Masséna s'étendait donc de Settepani et de Rocca Barbena jusqu'aux
positions de Recco et de Toriglio, au-delà de Gênes. Elle gardait tous les
défilés qui débouchent de l'Apennin sur cette partie du littoral, les autres
passages étant encore défendus par les neiges. Cependant les dispositions de
Masséna étaient encore incomplètes, lorsque le 6 avril il fut assailli sur
tous les points par la brusque irruption de Mélas. Laissant trente mille
hommes en Piémont et en Lombardie pour garder l'immense ligne des revers
alpestres contre une attaque à laquelle il ne croyait pas, le général
autrichien se jeta sur l'Apennin avec quatre-vingt-dix mille hommes afin de
couper en deux l'armée française et d'enfermer Masséna dans Gênes. Le premier
de ces résultats était facile à atteindre, à cause de l'étendue de notre
ligne, qui occupait, près de trente-cinq lieues, et des avantages que donnait
à Mélas sa position concentrique ; le second devait être la conséquence du
premier. Après une longue résistance notre ligne fut percée au col de
Cadibone, et Suchet, qui formait notre gauche, fut séparé de l'armée et
rejeté sur Borghetto, pendant que Mêlas s'établissait fortement à Vado de
façon à rendre toute tentative de jonction impossible. Nous étions encore
moins heureux à notre extrême droite. Miollis y avait été chassé de ses
positions de Toriglio et de Recco ; l'ennemi l'avait repoussé jusque dans
Gênes et s'était emparé des hauteurs qui de ce côté dominent la ville. Le
danger était pressant ; la flotte anglaise bloquait le port ; la vue des
batteries autrichiennes épouvantait les habitants ; malgré tout ce que la
nature et l'art avaient fait pour rendre cette place inexpugnable, toute
défense était impossible si ces positions n'étaient pas reprises. Le
lendemain 7 avril, au soleil levant, Masséna fait ouvrir les portes de la
ville : il en sort à la tête de la division battue la veille et d'une partie
de la réserve ; il prend à revers les hauteurs occupées par l'ennemi et le
précipite dans les ravins. Ott, qui commandait ce corps est rejeté en
désordre sur l'Apennin, nos troupes reprennent leurs positions à Toriglio, et
le soir Masséna rentre dans Gênes avec quinze cents prisonniers au milieu des
acclamations du peuple. Les jours suivants Masséna entreprit, malgré
l'écrasante supériorité de son adversaire, de rejeter les Autrichiens au-delà
de l'Apennin en combinant ses mouvements avec un retour offensif de Suchet.
Mais ses colonnes, forcées par la nature du terrain de s'isoler les unes des
autres et débordées de tous côtés par des forces décuples, ne réussirent pas
à établir leurs communications avec le corps de Suchet, malgré l'intrépidité
et la constance qu'elles déployèrent dans les combats qu'elles eurent à
livrer. Elles firent subir aux Autrichiens des pertes cruelles, les
culbutèrent dans presque toutes les rencontres, s'emparèrent de plusieurs
milliers de prisonniers, mais affaiblies par leurs succès même elles durent
céder peu à peu le terrain. Masséna dut reconnaître l'impossibilité de tenir
la campagne et se résigner au rôle sacrifié que le Premier Consul lui avait
assigné. Il sut du moins l'immortaliser par son héroïsme. Le 21 avril il
s'enferma définitivement dans Gênes, résolu à s'y défendre jusqu'à la
dernière extrémité, et dès ce jour commencèrent pour lui les grandes et
difficiles épreuves qui ont rendu ce siège si mémorable. On
connaissait à Paris la position de Masséna ; on savait qu'il n'avait guère
que pour un mois de vivres ; le Premier Consul, dont les objections avaient
imposé à Moreau un retard de plus d'un mois, le pressait maintenant d'ouvrir
la campagne, en même temps qu'il stimulait l'activité de Berthier. Mais les
immenses préparatifs destinés à l'armée de réserve absorbaient presque toutes
nos ressources, et Moreau n'avait ni vivres, ni chevaux, ni équipages de
pont. Ayez le plus tôt possible un avantage afin de pouvoir par une diversion
quelconque favoriser les opérations d'Italie. Tous les jours de retard sont extrêmement
funestes pour nous, » lui écrivait Bonaparte à la date du 24 avril. Moreau
comprit aussi cette nécessité, et passant outre, malgré l'insuffisance de son
matériel, il entrait en campagne le lendemain même 25 avril 1800. Le plan
qu'il avait substitué à celui du Premier Consul, repoussé comme trop
aléatoire, consistait à profiter des ponts que nous avions à Strasbourg„
Brisach, à Bâle, et à franchir le Rhin sur toute cette ligne, au lieu de
tenter le passage sur un seul point avec la chance d'un avantage, il est
vrai, plus brillant mais aussi d'un désastre incalculable. Moreau par
conviction aussi bien que par tempérament était ennemi des opérations
aventurées : ce n'était pas seulement chez lui sagesse et prudence naturelles,
c'était, on doit lui rendre cette justice, scrupule patriotique. Il ne se
croyait pas le droit d'exposer les forces et les ressources de son pays,
comme les aventuriers ont coutume d'exposer leur propre fortune, jouant à
chaque instant le tout pour le tout, et se plaçant sans cesse dans
l'alternative d'un succès sans limites ou d'une ruine complète. La gloire et
les intérêts d'une nation qui occupait une si grande place dans le monde ne
lui semblaient pas devoir être livrés aux mêmes hasards que les calculs de
l'ambitieux qui n'expose que lui-même. En cela les vues de Moreau n'étaient
pas celles de ces conquérants qui ont été trop souvent l'objet des adulations
de l'histoire, mais elles étaient dignes d'un soldat citoyen et telles que
tout peuple libre doit les souhaiter dans ses hommes de guerre. Le
passage du Rhin était dans le plan de Moreau une opération secondaire ; la
vraie difficulté était pour lui de transporter son armée au-delà de la
Forêt-Noire dont toutes les issues étaient gardées par un ennemi formidable.
Pour obtenir ce résultat il divise ses troupes en quatre corps. Le premier
commandé par Sainte-Suzanne passe le Rhin à Strasbourg ; le second sous les
ordres de Saint-Cyr le passe à Vieux-Brisach ; le troisième qu'il conduit
lui-même traverse le fleuve à Bâle. Quant au quatrième que dirige Lecourbe,
il attend à Schaffouse que le succès de ces premiers mouvements lui permette
d'agir à son tour. Sainte-Suzanne et Saint-Cyr, après avoir balayé les
troupes que le maréchal Kray avait placées en observation sur la rive droite
du fleuve, prennent position en face des défilés de la Renchen, de la Kinzig
et du Val d'Enfer, comme s'ils avaient l'intention d'en forcer l'entrée pour
s'enfoncer dans la Forêt-Noire. Ils restent là près de deux jours entiers, Trompé
par ces démonstrations, Kray, au lieu de conserver sa concentration à
Donaueschingen et d'attendre nos troupes au débouché des défilés, y engage
une forte partie de son armée pour nous en disputer le passage. C'était là ce
qu'on voulait obtenir de lui. Aussitôt Sainte-Suzanne se dérobe en repassant
le fleuve à Strasbourg ; il le remonte jusqu'à Brisach, et là le franchit de
nouveau pour remplacer Saint-Cyr devant Fribourg ; pendant que celui-ci,
marchant sur -le flanc des montagnes, par des chemins mal gardés parce qu'ils
étaient peu praticables, vient faire sa jonction à Saint-Blaise sur l'Alb
avec le corps de Moreau. Le lendemain ils étaient sur la Wutach, ce qui
permit à Lecourbe de franchir à son tour le Rhin à Schaffouse, et tous les
corps de Moreau se trouvèrent réunis sur cette ligne à l'exception du corps
de Sainte-Suzanne, qui trouvant l'ennemi en retraite dans le Val d'Enfer par
suite de ces mouvements, s'y était enfoncé lui-même à sa poursuite, pour nous
rejoindre par le chemin le plus direct. Les
calculs de Moreau avaient été si bien conçus, ses dispositions si habilement
prises, que cette opération compliquée et conduite sur une ligne de quarante
lieues d'étendue, avait réussi avec la précision du champ de manœuvre, malgré
les nombreux combats de détail auxquels elle avait donné lieu. Les critiques
amères qu'on lui a adressées se fondent surtout sur ce que Kray aurait pu ou
dû exécuter pour la faire échouer, mais à ce compte il n'est pas une victoire
qu'on ne puisse changer en défaite. En laissant de côté de vaines hypothèses,
on peut dire que la meilleure preuve de l'excellence de ce plan, c'est que,
malgré l'habileté incontestée de l'adversaire de Moreau, le succès n'en fut
pas compromis un seul instant. Ce
grand obstacle une fois surmonté, Moreau se mit en devoir de rejeter l'armée
autrichienne sur le Danube, conformément au projet convenu avec Bonaparte.
Tenant par-dessus tout à l'éloigner le plus possible de la Suisse et du
Vorarlberg afin de dégager les avenues de l'Italie, il poussa Lecourbe avec
vingt-cinq mille hommes sur Stokach où se trouvaient les magasins de
l'ennemi, à l'extrême gauche de Kray : lui-même se porta sur Engen, après
avoir ordonné à Saint-Cyr de se rapprocher de lui par Thengen, tout en
tachant de communiquer avec Sainte-Suzanne encore engagé dans le val d'Enfer.
C'est à Engen qu'il rencontra l'armée de Kray. Ce général, qui n'avait pas
encore concentré toutes ses forces en raison des grands mouvements que les
démonstrations de Moreau l'avaient forcé d'opérer, portait un de ses corps au
secours de Stokach ; lorsqu'il se trouva inopinément en présence du centre de
Moreau. Celui-ci n'avait guère que vingt-cinq mille hommes à opposer à
quarante mille, mais presque sûr d'avance du succès de Lecourbe sur Stokach
qu'il savait mal gardé, et ayant à sa portée le corps de Saint-Cyr, il
n'hésita pas à livrer bataille ; il lui suffisait, en effet, de tenir pendant
la journée pour forcer l'ennemi f la retraite. Le succès fut très-vivement
disputé à Ehingen et à Hohenhowen ; ces positions avaient été plusieurs fois
prises et reprises, et Moreau soutenait sans désavantage cette lutte inégale,
lorsque la tardive apparition d'une brigade de Saint-Cyr, dont le corps
d'armée avait été retenu par des combats de détails, et la nouvelle attendue
de la prise de Stokach par Lecourbe, décidèrent la victoire en notre faveur.
Kray se retira sur le Danube en nous laissant cinq mille prisonniers, trois
mille morts et d'immenses approvisionnements. (3 mai 1800.) Le
surlendemain, le général autrichien ayant rallié le corps du prince de
Vaudemont et des divisions ramenées de la Forêt-Noire, s'arrêta dans la forte
position de Möesskirch pour y tenter de nouveau la fortune. Là eut lieu entre
les deux armées une seconde rencontre encore plus sanglante que la première.
Les hauteurs de Môesskirch et le plateau de Krumbach, couronnés d'une
artillerie formidable, attaqués de front par nos colonnes furent défendus
avec acharnement. Mais le village de Heudorf ayant été emporté après avoir
été plusieurs fois pris et repris sur la droite des Autrichiens pendant que
Vandamme, envoyé dès le matin pour les tourner par Klosterwald, débouchait
sur leur gauche, toutes les hauteurs furent successivement enlevées malgré
une longue et furieuse résistance. La
défaite de l'ennemi se fût changée en un complet désastre sans l'inexplicable
inaction de Saint-Cyr, qui resta toute la journée immobile à Liptingen à peu
de distance de là au Leu d'accourir au bruit du canon. Il prétendit n'avoir
pas reçu les aides de camp que Moreau lui avait expédiés ; mais il avait
l'ordre formel de se lier aux mouvements de la réserve[15] et l'importance de l'action
engagée lui indiquait clairement son devoir. Aigri contre son chef à la suite
de quelques dissentiments, toujours disposé à s'isoler, et résolu comme il
l'a écrit lui-même cc à s'en tenir à la stricte exécution » d'ordres qui ont
souvent besoin d'être interprétés, ce général dont on ne pouvait contester
les talents militaires était à tort ou à raison mécontent de l'état-major de
Moreau ; mais quels que fussent ses griefs, il n'avait pas le droit de les
venger en compromettant le salut de l'armée. Par ses lenteurs à Engen, par
son abstention à Môesskirch, il empêcha deux fois Moreau de profiter de la
victoire. Moreau
se montra généreux : non-seulement il lui laissa son commandement, mais il le
fit excuser dans le rapport de Dessolles sur ce que cc ses officiers
n'avaient pu lui parvenir, » et s'abstint de toute plainte, la jugeant
inutile en présence du blâme unanime de l'armée. Il en fut récompensé suivant
l'usage par les critiques pleines de dénigrement et d'injustice que bien des
années plus tard Saint-Cyr dirigeait contre la mémoire de son ancien général[16]. La
double nécessité de ne manœuvrer que sur la rive droite du Danube et de
surveiller les débouchés du Vorarlberg et du Tyrol, pour se conformer aux
exigences du plan convenu avec le Premier Consul, avait empêché Moreau de
poursuivre Kray au-delà du Danube. Il se contenta donc de recueillir le corps
de Sainte-Suzanne qui put enfin faire sa jonction et marcha sur l'filer ayant
sa gauche au Danube et sa droite vers le Vorarlberg, ne pensant pas que
l'ennemi voulût, tenir ferme avant Ulm. Mais M.
de Kray, ne pouvant se résoudre à abandonner sans combat ses magasins de
Biberach, avait repassé le fleuve et pris position sur le Mettenberg au-delà
de cette place. Notre centre commandé par Saint-Cyr, qui avait reçu ordre
d'occuper la ville, n'hésita pas à attaquer les Autrichiens malgré la force
de leur position et la supériorité de leur nombre. Secondé par la division Richepance,
Saint-Cyr culbuta leur avant-garde, s'empara de Biberach, puis il assaillit
le gros de leur armée avec une assurance si intrépide sur les pentes du
Mettenberg, que cette masse recula intimidée et battit en retraite, croyant
avoir devant elle toute l'armée française. Le lendemain du jour où Saint-Cyr
réparait ses torts par cette brillante revanche, Lecourbe enlevait Memmingen
avec dix-huit cents prisonniers, et le maréchal Kray se retirait
définitivement sur Ulm (10 mai). Depuis
que cette campagne, si injustement critiquée plus tard, était ouverte, Moreau
avait en quinze jours remporté cinq victoires, il avait fait perdre à Kray 30.000
hommes ; il l'avait chassé d'une position qui semblait inexpugnable, en le
rejetant battu et démoralisé à quarante lieues en arrière, il avait en un mot
réalisé de point en point le programme tracé à l'avances sans manquer à une
seule de ses difficiles conditions, sans rien laisser au hasard, suivant sa
méthode un peu lente, mais sûre et ménagère de la vie du soldat ; avait fait
cela sans fracas, sans bulletin, sans mise en scène, se contentant d'annoncer
ses succès par une lettre de quelques lignes d'une simplicité admirable[17] et laissant à son chef
d'état-major le soin de les exposer en détail. Et maintenant qu'il lui
suffisait, de l'aveu de tous les historiens et de Napoléon lui-même[18], d'une marche sérieuse en avant
pour faire tomber sans combat le camp retranché d'Ulm, maintenant que Vienne
n'était plus couverte que par une armée livrée au découragement, maintenant
qu'il n'était plus qu'à trois journées de ce Hohenlinden, qui lui eût dès
lors livré la monarchie autrichienne sans défense, il lui fallait s'arrêter
au milieu de ses succès, et affaiblir son armée de vingt mille hommes
détachés sur le Saint-Gothard, afin que son ancien rival pût aller en Italie
recueillir tout le fruit et tout l'honneur de la victoire. Les contemporains
ont été sévères pour les fautes de Moreau ; il n'avait pas ce charlatanisme
qui les aurait fait prendre pour des vertus ; ses rares qualités elles-mêmes
lui ont servi de peu, n'étant pas de celles qui frappent et saisissent le
vulgaire ; mais nous qui ne pouvons-nous laisser aveugler par les mêmes
éblouissements, nous devons plus de justice au désintéressement modeste et à
la vraie grandeur dont il fit preuve dans ces circonstances difficiles. Le
Premier Consul sentait si bien l'étendue du sacrifice qu'il demandait à
Moreau dans la situation décisive où ce général se trouvait que, craignant de
sa part un refus d'obéir qui n'aurait été qu'une imitation de sa propre
conduite envers le Directoire, il lui fit donner l'ordre exprès d'effectuer
sur-le-champ le détachement convenu par un arrêté signé des trois consuls, en
date du 5 mai, qui lui fut porté par Carnot en personne. Moreau n'avait
jamais eu la pensée d'éluder cet engagement, mais il sentait avec une
amertume bien naturelle tout le prix des succès qu'il allait abandonner par
la diminution de forces qui lui était imposée, diminution d'autant plus
sensible que son armée avait fait des pertes considérables. Cependant il
insista pour garder Lecourbe, hommage délicat et digne du rare mérite de cet
excellent officier. Le quart de cette armée n'était plus aujourd'hui de
vingt-cinq mille hommes, mais d'environ vingt mille, et tel fut à peu près le
chiffre des troupes qui, sous les ordres de Moncey, s'acheminèrent vers le
Saint-Gothard. Cette
route n'était plus que secondaire dans le plan du Premier Consul ; il y avait
renoncé en ce qui concernait l'armée de réserve. Il avait également renoncé
au Simplon, trouvant plus d'avantages à passer au grand Saint-Bernard qui
l'éloignait un peu plus de Milan, mais lui permettait de se porter plus
rapidement vers Tortone, si cette marche devenait nécessaire pour dégager
Masséna[19]. Par un hasard heureux cette route
du grand Saint-Bernard se trouvait être, au rapport du général Marescot
chargé un peu tard d'étudier ces passages, la plus praticable de celles qui
débouchent des Alpes en Italie, à l'exception du Mont-Cenis dont la situation
n'était pas favorable à l'opération projetée, et du petit Saint-Bernard,
route dès lors accessible aux voitures, ainsi que le prouva bien tôt le
passage de 46 pièces d'artillerie sur leurs affûts, mais mal étudiée grâce à
la précipitation de cette reconnaissance pour laquelle Marescot n'avait eu
que quatre ou cinq jours. Ce
projet de passage justement admiré à tant d'égards, n'offrait pas, dans
toutes ses parties le caractère de circonspection et de prévoyance dont la
première campagne d'Italie avait présenté un modèle si achevé au milieu de
ses hardiesses. Non-seulement il mettait le succès à la merci d'une
indiscrétion, et moins encore, d'un renseignement exact, parvenu à temps,
mais les détails d'exécution avaient été mal calculés, suite inévitable de la
disproportion de l'entreprise avec les moyens dont on pouvait disposer. Il
fallut modifier en chemin la plupart des mesures prises pour le transport du
matériel. On soupçonnait à peine l'existence, et à coup sûr on ne connaissait
pas l'importance, du fort de Bard qui faillit tout arrêter. Le générai de
l'armée d'Italie en 1796 avait plus de sagesse et de vigilante. Mais la
campagne d'Égypte, les hasards extraordinaires qui avaient accompagné et
suivi cette, expédition avaient démesurément développé le goût naturel qui
portait cet es-. prit vers le merveilleux, le grandiose et le gigantesque.
Aussi, tout son nouveau plan de campagne était-il conçu comme un magnifique
coup de théâtre destiné à accroître encore l'étonnement produit par tant de
prodiges; c'était là aux yeux de Bonaparte le but principal. La paix à
obtenir n'était que l'accessoire. Indépendamment des dangers que présentait
ce long défilé dans des gorges étroites, où quelques milliers d'hommes
pouvaient tenir en échec toute une armée, la tentative de cerner Mêlas sur
une ligne qui devait s'étendre du lac Majeur à l'Apennin, avec une armée
inférieure en force, en offrait de non moins redoutables , et cette seconde
opération était aussi aventurée que la première: mais la possibilité d'un
revers pouvait-elle balancer l'éclat d'un tel succès aux yeux d'un homme qui
cro3ait à son étoile et qui trouva jusqu'au bout une sorte de volupté de
joueur à en éprouver la fidélité? Quant à se demander s'il avait le droit de
jouer la destinée d'une nation comme il aimait à jouer la sienne propre,
c'est là une idée à laquelle i1 ne s'éleva jamais. On estime d'ordinaire que
le succès a répondu à tout ; mais, lorsqu'un succès, si prodigieux qu'il
soit, prouve par la façon dont il a été obtenu et par les instincts dont Il
témoigne qu'il porte en lui-même le germe d'un revers inévitable, il n'y a
qu'un manque d'intelligence à l'admirer sans réserve. On
ignora longtemps à Paris que le Premier Consul dût prendre un commandement
dans la nouvelle campagne. Il avait soigneusement dissimulé son intention à
cet égard, et c'est pour mieux masquer ses desseins qu'il avait mis une
certaine ostentation à confier l'armée de réserve à Berthier. « Je ne veux pas
faire le général, disait-il dans ses conversations privées ; si je pars ce
sera pour une simple revue[20]. » Il craignait
d'indisposer l'opinion, de laisser paraître une ambition impatiente de
s'emparer de tout dans l'État, de mécontenter ses compagnons d'armes en leur
disputant un rôle auquel ils pouvaient suffire et des honneurs qu'ils se
flattaient peut-être de garder désormais sans partage, enfin de fournir une
arme à ses adversaires. La Constitution de l'an -VIII, en effet, en
établissant des ministres responsables, et en attribuant au Premier Consul la
nomination de tous les officiers de terre et de mer, l'excluait naturellement
de toutes ces fonctions secondaires auprès de la sienne qui était de
gouverner. « Les principes de cette Constitution, a-t-il dit lui-même[21], ne permettaient pas au Premier
Consul de prendre ce commandement. La magistrature consulaire étant
essentiellement civile, le principe de la division des pouvoirs et de la
responsabilité des ministres ne voulait pas que le premier magistrat de la
République commandât immédiatement en chef une armée ; mais aucune
disposition comme aucun principe ne s'opposait à ce qu'il y fût présent.
Dans le fait, le Premier Consul commanda l'armée de réserve, et Berthier, son
chef d'état-major, eut le titre de général-en chef. » Grâce à
cette singulière distinction qui montre avec une clarté parfaite ce que
Napoléon entendait par le mot principe, le Premier Consul put revêtir
l'uniforme du soldat sans manquer à ses devoirs de chef du gouvernement. Mais
les appréhensions, qui lui avaient inspiré ces déguisements peu dignes d'un
pouvoir si fort, n'étaient pas fondées. Le public n'était pas aussi dupe que
Bonaparte pouvait le croire ; malgré les responsabilités toutes fictives que
semblait sanctionner la Constitution de l'an VIII, personne à Paris ne
considérait le gouvernement consulaire comme un gouvernement civil ; chacun
savait que la force militaire y était tout ; et ce Tribunat qu'on accusait
d'une opposition systématique fut le premier à émettre le vœu : « Que le
Premier Consul revienne vainqueur et pacificateur. » En cela les Tribuns
agirent sous l'empire d'un bon sentiment, dans l'espoir d'apaiser et de
désarmer leur ennemi ; mais ils commirent une faute, parce qu'ils n'avaient
pas le droit d'abandonner une seule des garanties que leur offrait la
Constitution, quelque dérisoire que fut d'ailleurs cette garantie. Il
quitta Paris le 6 mai, laissant à ses collègues des instructions qui se
résumaient dans un mot qu'il leur écrivait trois jours après de Genève : «
Frappez vigoureusement le premier qui s'écarterait de la ligne[22]. » Il trouva les
préparatifs de passage presque terminés. D'immenses approvisionnements
avaient été transportés facilement de Genève à Villeneuve, grâce à la
navigation du lac, puis de là avaient été échelonnés sur la route, à
Saint-Maurice, à Martigny, à Saint-Pierre. Les munitions de l'artillerie
avaient été chargées sur des mulets achetés dans le pays et habitués à ces
chemins difficiles ; les affûts avaient été démontés afin de présenter moins
de, volume et de poids. Il -n'y eut de véritable difficulté que pour le
transport des pièces. On fut obligé de renoncer aux traîneaux à roulette qui
avaient été construits à cet effet, et l'on était fort embarrassé de' trouver
un moyen de hisser les canons sans les endommager, lorsque Marmont, qui
commandait en chef l'artillerie et qui déploya en cette occasion de grandes
ressources d'intelligence et d'activité, eut l'ingénieuse idée de faire
creuser des troncs d'arbres en forme d'étui pour les pièces d'artillerie.
Ainsi empaquetées, une centaine de soldats relayés de distance en distance
suffisaient pour les traîner jusqu'au sommet de la montagne au son des
musiques militaires. Là des vivres et des rafraîchissements préparés au
couvent du mont Saint-Bernard réparaient leurs forces, et leur permettaient
d'entreprendre courageusement l'opération de la descente, périlleuse surtout
pour les chevaux. Les cavaliers marchaient à pied, conduisant leurs montures
par la bride. A Saint-Rémy, au pied du versant italien du Saint-Bernard,
était établi un atelier de remontage qui reconstruisait les voitures de
l'artillerie et rétablissait les pièces sur leurs affûts. Toute l'armée
franchit la montagne du 15 au 20 mai, et Bonaparte la passa lui-même avec
l'arrière-garde dans la journée du 20. Il n'y eut que peu d'accidents, le ciel
resta beau jusqu'à la fin, les avalanches dont on a fait tant de bruit à
propos de ce passage n'interrompirent pas une seule fois la marche de nos
soldats. Ainsi
s'effectua cette belle opération qui fut exécutée avec autant de bonheur que
d'audace, mais qui est loin de mériter les hyperboles d'enthousiasme
auxquelles elle a donné lieu. Le plan auquel elle se liait était une
conception de génie, mais par elle-même elle ne présentait que des
difficultés matérielles qui furent assez aisément vaincues. C'est abaisser
les entreprises vraiment grandes que de célébrer outre mesure une opération
de cet ordre inférieur, et de laquelle serait venu à bout tout général habile
ayant à sa disposition une accumulation de forces manuelles suffisantes. Bien
des fois pendant le moyen âge, et dans le cours de nos guerres en Italie aux
seizième et dix-septième siècles, nos armées avaient franchi les Alpes, alors
que ces passages étaient nécessairement moins ouverts et moins faciles, sans
que personne songeât à crier au miracle. Mais du moment où c'est Bonaparte
qui l'entreprend, on s'extasie et « c'est un prodige plus grand que celui
d'Annibal[23]. » On compare de
sang-froid notre passage du Saint-Bernard, entrepris sur notre frontière, sur
une route connue et fréquentée depuis des siècles, avec toutes les ressources
d'une nation centralisée et tous les avantages de la science moderne, à la
marche du héros carthaginois, isolé à cinq cents lieues de son pays, sans
base d'opération, sans espoir de secours, se dirigeant sur la foi de quelques
vagues notions géographiques à travers une contrée sauvage et inconnue, où il
lui fallait se frayer son chemin lui-même à mesure qu'il avançait, conduisant
à travers les neiges sa cavalerie numide, ses éléphants, ses Africains si peu
habitués à un pareil climat, soutenant et réchauffant du feu de son âme une
armée composée de cent éléments divers dont il était le seul lien, et l'on
déclare Annibal vaincu dans ce parallèle. On conçoit que la flatterie
contemporaine se soit empressée d'adopter un thème si bien adapté à la vanité
du maître ; mais aujourd'hui, il n'y aurait plus que de la puérilité à
maintenir un semblable rapprochement. L'avant-garde,
commandée par Lannes, avait dépassé Aoste et Châtillon, sans y rencontrer
d'obstacles capables de l'arrêter, lorsqu'elle se trouva tout à coup en
présence du fort de Bard. Ce petit fort, construit sur un rocher à pic qui
fermait complétement le passage, était gardé par quelques centaines d'hommes
à peine ; mais il formait une barrière inaccessible et l'on reconnut
promptement l'impossibilité de l'enlever de vive force. On parvint toutefois
à se loger dans la ville et à s'emparer de la route qui la traversait ; mais
le feu du fort foudroyait tout ce qui allait au-delà Une très-vive alarme
s'était déjà répandue dans l'armée, et Berthier faisait suspendre la marche
en avant, lorsqu'on découvrit heureusement dans la montagne un sentier
accessible aux piétons : il fut bientôt rendu praticable pour les chevaux.
Malgré ce hasard inespéré, l'artillerie ne pouvait passer, et s'il eut fallu
attendre la prise du fort, a écrit Napoléon, tout l'espoir de la campagne eût
été perdu. Un stratagème de Marmont tira l'armée de ce pas difficile. Profitant
d'une nuit obscure, il fait déposer sur la route une couche de paille et de
fumier, on enveloppe d'étoupes les pièces, les affûts et toutes les parties
sonnantes, il y attelle des hommes à la place des chevaux, puis il les fait
défiler silencieusement sous les batteries du fort endormi. L'éveil
fut donné et le feu du fort nous tua quelques hommes ; mais il n'empêcha pas
notre artillerie de passer. Cet obstacle une fois vaincu l'armée descendit
sur l'Italie comme un torrent, aucune disposition sérieuse n'avait été prise
pour l'arrêter. Lannes prend d'assaut Ivrée, quelques jours après il culbute
les Autrichiens à la Chiusella (26 mai). Les quarante-cinq Mille hommes de, Bonaparte
avaient rallié en route la division Chabran venue par le petit Saint-Bernard
; ils allaient faire leur jonction avec les dix-huit mille hommes conduits
par Moncey à travers le Saint-Gothard ; le général Turreau débouchait par le
mont Cents sur le flanc de l'ennemi avec quatre mille hommes ; un détachement
italien occupait le Simplon. Toutes ces troupes formaient une masse d'environ
soixante-dix mille hommes au moins, qui devant combiner leurs opérations avec
celle de l'armée de Masséna allaient former un total presque égal à celui des
forces bien diminuées de Mélas. Les
progrès du général autrichien en Ligurie n'avaient été ni aussi rapides ni
aussi décisifs qu'il s'en était d'abord flatté. Laissant son lieutenant Ott
dans de fortes positions autour de Gênes qu'on devait se contenter désormais
de bloquer avec trente mille hommes, le baron de Mélas s'était porté sur le
Var, avec le reste de son armée poussant devant lui le faible corps de Suchet
qu'il s'efforça vainement de couper en le faisant tourner par Ponte di Nave.
Suchet repassa le Var à temps avec ses douze mille hommes et grâce aux
travaux déjà exécutés sur ce point, il le mit promptement dans un excellent
état de défense. Lorsque les Autrichiens se présentèrent devant cette ligne
dans les premiers jours de mai, ils la trouvèrent hérissée de batteries et de
retranchements. Plusieurs escarmouches, suivies le Pi mai d'une attaque
générale, leur démontrèrent bientôt l'impossibilité de la Forcer. Pendant ce
temps Masséna manquant déjà de vivres, et obligé de réduire ses
distributions, harcelait l'armée de Ott par d'incessantes sorties. Malgré ses
pertes, il continuait à lutter avec une indomptable énergie, prolongeant sa
défense grâce à de rares secours que lui apportaient des bâtiments échappés à
l'escadre anglaise, partageant ses vivres avec une population affamée qui
reprenait courage en voyant son calme inaltérable, menant presque chaque jour
au combat des soldats exténués qui pouvaient à peine soutenir leurs armes. Tel
édit l'état des choses sur le Var et dans la rivière de Gênes, lorsque le 21
mai le général Mélas, toujours dans la même incrédulité au sujet de l'armée
de réserve parce qu'il n'avait fait surveiller sérieusement que le mont
Cenis, reçut un avis certain du passage de nos troupes au mont Saint-Bernard.
Il franchit aussitôt le col de Tende avec un détachement de dix mille hommes.
A Coni il connut la vérité tout entière. Mais sa stupeur fut telle en
apprenant ces nouvelles accablantes qu'il demeura quelque temps comme anéanti
sous le poids de sa responsabilité et ne sachant à quel parti s'arrêter. Son
armée se trouvait, en effet, dans un état de dispersion presque irrémédiable.
Il était à Turin avec dix mille hommes, Vukassuwich, déjà menacé par Moncey
observait le Simplon et le Saint-Gothard avec un nombre à peu près pareil,
Haddik ramenait à grand peine de la Chiusella quelques débris de son corps
sous le feu de notre avant-garde, et le reste de l'armée autrichienne montant
à environ cinquante-cinq mille hommes était encore immobile sur le Var et
sous les murs de Gènes. On voit
par la correspondance du Premier Consul qu'il connaissait à merveille cette
position dès lors presque désespérée de l'armée autrichienne, grâce aux avis
qu'il recevait journellement de Suchet. Quelle détermination allait-il
prendre ? Dans l'état où se trouvait Mêlas il pouvait choisir à son gré.
Allait-il enfin selon sa promesse tant de fois renouvelée se porter au
secours de l'armée de Masséna qu'il savait périssant de faim et de misère ?
Ne devait-il pas à ces braves troupes si héroïques et si maltraitées de leur
épargner l'affront d'une capitulation ? Ne leur devait-il pas en compensation
de leurs longues souffrances la joie de voir l'ennemi s'enfuir devant nos
couleurs libératrices ? Ce résultat était facile à obtenir. Il ne tenait qu'à
lui d'enlever le faible corps de Mêlas qui se présentait à Chivasso polir lui
disputer le passage du Pô, et alors de se porter sur Gênes. Rien ne pouvait
l'arrêter jusqu'à l'Apennin et, quoi qu'il ait écrit à ce sujet, dans un but
facile à comprendre, il n'exposait en rien sa ligne de retraite, car il
laissait derrière lui les dix-huit mille hommes de Moncey, les quatre mille hommes
de Turreau et le détachement de Lecchi, beaucoup plus que suffisants pour
assurer ses communications et détruire les débris de Mélas. Mais un
plan infiniment plus grandiose s'était offert à sa pensée, il ne lui
suffisait plus de battre en détail l'armée de Mélas, il voulait l'anéantir
d'un seul coup. En présence d'un tel but à atteindre que lui importaient les
souffrances de l'armée de Gênes sacrifiée ? Il connaissait trop bien les
hommes pour ne pas savoir que les plaintes et les griefs disparaîtraient dans
la grandeur du triomphe. Abandonnant donc la pensée qui lui avait fait
choisir le Saint-Bernard de préférence au Saint-Gothard, en vue d'une marche
plus prompte sur l'Apennin et sourd aux appels désespérés de Masséna, il se
porta sur Chivasso comme pour y franchir le Pô, et là lorsque tout le monde
s'attendait à une marche en avant sur Gènes, il fit faire à son armée un à
gauche sensiblement rétrograde et la dirigea sur Milan (27 mai 1800). Par ce
mouvement se démasquaient enfin les combinaisons qui avaient préparé le
dénouement de cette grande trilogie militaire. Les armées de Masséna et de
Moreau n'avaient agi jusque-là que pour préparer la victoire de Bonaparte par
une double diversion, l'une en retenant Mélas en Ligurie, l'autre en arrêtant
Kray sur le Danube ; maintenant il pouvait entrer à son tour dans l'arène
pour frapper le grand coup dont il s'était réservé tout l'honneur, laissant à
Masséna le mérite peu envié d'une défense honorable mais malheureuse, à
Moreau celui d'une abnégation dont personne ne lui tenait compte. Il allait
en une journée recueillir le prix de leurs longs travaux, et il se proposait
de donner un tel éclat à cette surprise finale que le monde ne verrait plus
que lui dans re succès préparé par eux. Habitué à tout rapporter à lui-même
il lui semblait tout naturel de sacrifier ses compagnons d'armes à sa propre
fortune ou seulement au désir de produire un plus grand effet sur les
imaginations. En se portant sur Milan, il livrait Masséna aux Autrichiens,
mais il s'emparait de la ligne du Pô, et il lui suffisait de venir se placer
entre ce fleuve et l'Apennin pour couper toute retraite à Mélas. Ce
général n'avait aucune diversion à espérer de Kray. A supposer que ce dernier
eût été informé à temps de la situation critique de son collègue, il n'eût
rien pu faire pour lui grâce à la barrière impénétrable que lui opposait
Moreau du côté de la Suisse. Kray était alors bien plus préoccupé de se
maintenir dans Ulm que d'en sortir. Ne pouvant lui livrer un assaut de vive
force qui eût remis en question tous les résultats de la campagne, Moreau
s'était en vain efforcé de l'attirer hors de ses retranchements par de
fausses démonstrations. Il s'était engagé envers Bonaparte à ne pas faire la
seule manœuvre qui eût été efficace, c'est-à-dire une marche décidée sur
Munich. Quoi qu'on en ait dit, en effet, il suffit de jeter les yeux sur une
carte pour reconnaître qu'une telle marche eût complétement découvert la
Suisse et par suite l'Italie. Condamné à l'impuissance et à l'immobilité, en
butte aux critiques amères de ses lieutenants qui accusaient ses
temporisations parce qu'ils n'en pouvaient pénétrer les vrais motifs, Moreau
selon sa propre expression tâtonnait autour d'Ulm[24] attendant avec impatience que
les succès de Bonaparte lui permissent de reprendre des opérations plus
actives, et le jour même où celui-ci marchait sur Milan, il lui écrivait pour
lui exposer sa situation et le presser d'agir. Le
général Bonaparte pouvait donc opérer son mouvement en toute sécurité, car il
avait, dans tous les cas, sa retraite assurée par le Simplon et le
Saint-Gothard. N'ayant plus désormais qu'un but, celui d'enfermer Mêlas dans
le Piémont, en lui opposant une barrière infranchissable du côté du
Lombard-Vénitien, il devait, pour lui interdire l'accès de cette province,
occuper fortement le cours du Pô à partir de Pavie jusqu'à Plaisance, puis
lui fermer la route qui passait entre le Pô et l'Apennin. Quant au Pô
supérieur, il avait avantage à le remplacer par la ligne à la fois plus
courte et plus solide que lui offrait le Tessin qui va se réunir à ce fleuve
au-dessus de Pavie même, en formant par sa jonction une sorte de barrage
naturel qui court du lac Majeur à l'Adriatique et coupe en deux l'Italie du
Nord. Rien n'était prêt pour empêcher l'exécution de ce plan. En même
temps donc que le Premier Con sil se portait sur Milan, Lannes s'élançait sur
Pavie, Duhesme et Loison occupaient Crème et Pizzighetone, Béthencourt, le
Tessin supérieur vers Arona ; enfin Murat se dirigeait avec deux divisions
sur Plaisance, le point le plus important de cette ligne, parce qu'il
interceptait les communications de Mélas à la fois par la route et par le
fleuve. Aussitôt ces positions occupées, après une tentative inutile des
Autrichiens pour nous disputer Plaisance, notre armée commença à franchir le
Pô de tous les côtés pour se masser au-dessous de ce fleuve, vers Stradella,
le point central de ce long défilé qui est formé par les derniers plateaux
des Apennins d'une part, et, de l'autre, par les marécages du Pô. A
n'envisager ce plan qu'au point de vue de la stratégie pure, il est difficile
de rien imaginer de plus admirablement conçu ; il a la logique et la rigueur
d'une déduction mathématique ; mais si on l'examine au point de vue des
grands intérêts qu'il avait pour but de faire triompher, il donne lieu à de
graves objections. Malgré l'habileté de ses dispositions il offrait, en
effet, de tels risques que jamais un général patriote ne l'eût adopté ayant à
sa portée des succès moins éclatants, mais certains. Ce plan faisait perdre,
à Bonaparte, tout l'avantage de sa situation première : il le forçait à
disséminer ses troupes et permettait à Mêlas de concentrer les siennes, que
nous eussions battues moins bruyamment, mais très-aisément dans leur état de
dispersion, sauf à laisser échapper quelques corps isolés. C'est toujours une
opération très-dangereuse que celle qui consiste à cerner un adversaire sur
une ligne aussi étendue, mais le tenter avec des forces qui ne sont pas même
égales aux siennes c'est s'exposer à un désastre presque inévitable, et, lors
même qu'on possède un génie sans pareil, on doit hésiter avant de jeter dans
une entreprise aussi aléatoire une armée qui est le dernier rempart de son
pays. Forcé de garder le cours du Pô et du Tessin sur une étendue d'au moins
trente lieues, le général Bonaparte ne pouvait amener que trente mille hommes
environ contre l'armée de Mélas, dont une partie devait être, à la vérité,
paralysée par les débris de Masséna et de Suchet réunis. C'était trop tenter,
eu égard à nos forces, ainsi que l'événement le démontra bientôt. Une
situation désespérée eût seule pu l'excuser de jouer si gros jeu. On sentait
trop là le désir d'étonner les hommes, le besoin d'extraordinaire à tout prix
et ce goût pour le démesuré qui devait le perdre un jour. C'était trop
sacrifier à la beauté et à la grandeur d'un coup de théâtre que de renoncer à
tant d'avantages assurés pour poursuivre une victoire plus éclatante, mais en
s'exposant à une catastrophe irréparable. Un ambitieux effréné pouvait
risquer ce coup de fortune, un grand citoyen l'eût repoussé. Bonaparte
était à Milan depuis le 2 juin_ Ainsi qu'il l'écrivait à Paris, il délivrait
les-Lombards du « bâton autrichien », qui avait réussi à leur faire
regretter le bâton français. Il rétablissait l'administration de la
république cisalpine. Il appelait les Cisalpins aux armes et lm flattait de
nouveau de l'espoir tant de fois trompé « de former une nation
indépendante ». Il avait choisi Milan pour une manifestation d'un genre
tout diffèrent et qu'il eût été embarrassé de faire à Paris, bien qu'elle
s'adressât à la France plutôt qu'à l'Italie. Ayant, depuis longtemps en vue
une réconciliation avec l'Église qui lui permît d'utiliser le clergé comme
instrument de gouvernement, il profita de son séjour en Italie, et de la
proximité de la grande capitale catholique, pour avancer la négociation par
une solennelle déclaration de ses sentiments de déférence pour le Saint-Père
et d'attachement à la foi catholique. Il réunit les curés de la ville de
Milan, leur rappela la protection dont il les avait couverts, à une autre
époque, les assura que leur religion était aussi la sienne, « qu'il était
prêt à punir de la manière la plus rigoureuse et la plus éclatante, même,
s'il le fallait de la peine de mort, quiconque ferait la moindre insulte à
leur commune religion ou se permettrait le plus 14er outrage entre leurs
personnes sacrées. » Il
rejeta ensuite sur la Révolution et « sur la cruelle politique du Directoire »,
les malheurs qui avaient séparé en France l'Église de l'État, ajoutant que
l'expérience aujourd'hui avait convaincu les Français « qu'il n'est pas de
religion qui soit plus favorable au gouvernement républicain que la religion
catholique. » La France avait rouvert les yeux à la lumière, elle avait rendu
la paix à l'Église ; lui-même espérait bientôt s'aboucher avec son nouveau
chef, pour lever avec lui les derniers obstacles. Il finit en leur promettant
de leur rendre leurs biens et en les autorisant à publier son allocution qui
fut, en effet, bientôt imprimée et répandue par milliers d'exemplaires en
Italie et en France. Celte manifestation fut le préliminaire du Concordat.
Elle eut lieu le 5 juin 1800. Un an auparavant, à pareille époque, le nouveau
Constantin était encore en Egypte ; il s'y vantait auprès des muphtis et des
ulémas « d'avoir détruit le pape et renversé les croix. » Ce simple
rapprochement dit tout sur la pensée qui l'inspirait lorsqu'il prononça
devant le clergé de Milan cette profession de foi catholique. On pouvait dès
lors augurer par-là la valeur et le sérieux de la restauration religieuse
qu'il était à la veille d'accomplir. Les
fêtes, les banquets, les ovations se succédaient à Milan presque sans
interruption. Le Premier Consul voulait qu'on sût à Paris que sa marche en
Italie n'était qu'une suite de triomphes ; il n'oubliait pas de mentionner
cet accueil dans ces bulletins de chaque jour qu'il publiait depuis son
entrée en campagne afin qu'aucun de ses gestes ne fût perdu pour l'histoire. « Le
peuple de Milan, disait-il dans son bulletin du 5 juin, parait très-disposé à
reprendre le ton de gaieté qu'il avait du temps des Français. Le général en
chef et le Premier Consul ont assisté à un concert qui, quoique improvisé, a
été fort agréable. Le chant italien a un charme toujours nouveau. La
célèbre Billington, la Grassini et Marchesi sont attendus à Milan. » Pendant
que le temps s'écoulait si doucement pour lui, l'armée de Masséna agonisait à
Gènes dans Ifs dernières convulsions de la faim. Depuis douze jours, elle
n'avait pour tout aliment qu'un pain empoisonné fait avec du cacao et de
l'amidon, dont on distribuait quelques onces à chaque soldat. Les habitants
étaient réduits à l'herbe et aux racines qu'ils déterraient sur les remparts
et périssaient par centaines. Franceschi, l'aide de camp de Masséna, envoyé
par lui au Premier Consul pour le presser de hâter sa marche, avait assisté,
le 20 mai, au passage de notre arrière-garde sur le Saint-Bernard ; il était
rentré le 26 mai dans Gênes annonçant des secours presque immédiats. Pour le
général Bonaparte, huit jours étaient plus que suffisants pour franchir les
quarante lieues qui séparent l'Apennin de la vallée d'Aoste. Depuis le 20
mai, quatorze mortelles journées s'étaient écoulées au milieu de toutes les
horreurs de la famine et aucune autre nouvelle de lui n'était arrivée. Le
plus grand nombre le disait en fuite et battu ; quelques-uns, soupçonnant la
vérité, se sentaient sacrifiés à une vanité de tacticien et maudissaient son
féroce égoïsme. Le 3
juin, on se trouva à toute extrémité. Des milliers de femmes mourant de faim
parcouraient les rues en demandant du pain ; et l'on voyait passer des
tombereaux pleins de cadavres comme dans une ville ravagée par la peste[25]. Il devint impossible de
prolonger un jour de plus la résistance. Masséna céda pour sauver ses soldats
expirants, mais telle fut encore la fermeté de son attitude, et telle était
en même temps la hâte des Autrichiens de rejoindre Mêlas, qu'il obtint la capitulation
la plus honorable. Olt venait en effet de recevoir l'ordre de lever le siège
et dissimula sa joie. Masséna ne laissa pas un seul prisonnier aux
Autrichiens. Il ne lui restait que huit mille hommes sur quinze mille. Le 5
juin au matin, pendant que Bonaparte recevait les ovations milanaises et
vantait clans son bulletin le talent des cantatrices italiennes, une légion
de spectres affamés sortait de Gênes et se présentait aux avant-postes
autrichiens où on leur avait préparé quelques rations. De là ces braves gens
purent se diriger librement sur le quartier général de Suchet. Masséna avait
pris la mer et débarqua à Antibes dans la supposition que l'armée de Suchet
était encore sur le Var. Le 9 juin il était à Finale, et le 13 juin à
Montenotte. Suchet s'était déjà mis à la poursuite des Autrichiens, forcés
d'évacuer les bords du Var comme la rivière de Gênes. Ainsi tombent les
insinuations et les calomnies[26] à l'aide desquelles Napoléon
s'est efforcé plus tard de noircir la mémoire du défenseur de Gênes dans un
écrit qui est un monument de cynique ingratitude, seule récompense du grand
et mémorable service qu'il avait reçu de Masséna. Bonaparte
ne quitta Milan que le 9 juin. Pendant qu'il réunissait à Stradella tout ce
qui lui restait de forces disponibles, après avoir couvert de troupes la
ligne du Tessin et du Pô depuis le lac Majeur jusqu'à Crémone, Mêlas qui
opérait sa concentration à Alexandrie tenta un nouvel effort pour reprendre
la route de Plaisance avant que nos dispositions fussent complètes. Il
dirigea sur ce point le corps d'armée de Ott qui revenait de Gênes après la
capitulation de Masséna. Ott ne pouvait gagner Plaisance sans passer par
Stradella où nos brigades se portaient à marches forcées pour occuper leurs
positions. C'est un peu en avant de ce point, c'est-à-dire entre Casteggio et
Montebello qu'il vint se heurter contre le corps de Lannes. La position de
Lannes était fort aventurée, car Bonaparte regardait comme certain que les
troupes qui pouvaient l'attaquer en ce moment « devaient être
inférieures à dix mille hommes[27]. » Par suite de ce défaut de
prévoyance, Lannes n'avait qu'environ huit mille hommes à opposer à une armée
qui était plus du double. Mais ce général répara tout par son ardeur et son
élan. Il supporta sans plier les efforts acharnés de l'ennemi pour rouvrir la
route, et la division Chambarlhac étant arrivée h temps à son secours, il fit
tourner par une brigade le bourg de Casteggio où les Autrichiens s'étaient
fortement retranchés ; puis, après avoir plusieurs fois perdu et repris cette
position, il les rejeta définitivement sur Montebello avec une perte de sept
mille hommes tant en morts qu'en prisonniers. Bonaparte accourut de Milan au
moment où finissait ce glorieux combat, c'est-à-dire le 9 mai au soir[28]. Ses
instructions au général Suchet se résumaient en un seul mot : « Tenez en
échec un corps égal au vôtre[29], » C'était là le programme
même que Suchet avait fidèlement suivi depuis la disparition des Autrichiens
sur le Var. Épiant leur mouvement de retraite, il les avait devancés au col
de Tende, ce qui les avait forcés de rétrograder jusqu'à Pieve. A Savone, il
recueillit les débris de Masséna, ce qui porta son armée à vingt mille hommes
qu'il dirigea vers Acqui, sur les derrières de Mélas. Sa présence sur ce
point neutralisa une partie des forces autrichiennes et contribua puissamment
au succès du plan de Bonaparte. Le
Premier Consul était toujours à Stradella occupé à consolider sa position et
à fortifier l'immense réseau qu'il avait jeté autour de son adversaire. Il
commençait à s'apercevoir qu'il avait trop embrassé pour bien étreindre, car,
forcé de se mettre en garde sur une ligne aussi étendue, il lui était
impossible d'éclairer convenablement la situation de l'ennemi, et il ne
savait rien de ses dispositions. Tantôt il le croyait en fuite sur Gênes, où
il trouverait l'escadre anglaise pour l'approvisionner et au besoin le
transporter sur un autre point, tantôt il le voyait dérobant sa marche sur le
Pô supérieur et forçant le passage du Tessin. Il resta ainsi immobile à
Stradella pendant les journées du 10, du 11 et du 12 juin, en proie à une
perplexité qui croissait d'heure en heure. A la fin, il n'y tint plus, et,
abandonnant sa position presque inexpugnable de Stradella, il se porta
au-devant de l'ennemi dans la direction d'Alexandrie. Il s'avança au-delà de
Tortone, jusqu'à San-Giuliano et à Marengo, sans rencontrer autre chose qu'un
petit détachement qui se replia après un combat de courte durée. Il
était aux portes d'Alexandrie au milieu d'une vaste plaine qui s'étendait
d'une part entre la route et le Pô, de l'autre, entre deux affluents de ce
fleuve, la Scrivia et la Bormida. Son impatience et sa perplexité, juste
expiation d'un plan trop ambitieux, lui avaient fait perdre tout l'avantage
de sa position première, car dans cette vaste plaine l'ennemi pouvait
s'étendre et faire manœuvrer à l'aise sa cavalerie. De plus en plus convaincu
que Mélas s'était échappé du côté de Gênes, Bonaparte dirige sur Novi la
division Boudet qu'il confie à Desaix arrivé la veille au quartier général.
Ignorant que l'ennemi a des ponts sur la Bormida par suite de la
reconnaissance insuffisante qu'il fait faire sur ce point, il établit son
armée à Marengo et dans les environs et lui-même va passer la nuit un peu en
arrière à Torre di Garofolo. Mélas
n'avait pas quitté Alexandrie. Obligé de faire lace à Suchet et de laisser
des garnisons dans quelques places, il n'avait pu concentrer sur ce point
qu'environ quarante mille hommes, nombre d'ailleurs supérieur au nôtre. Après
avoir délibéré en conseil sur les différents expédients qui s'offraient à
lui, il s'était décidé à rejeter la responsabilité des événements sur le
cabinet de Vienne, qui lui avait laissé ignorer jusqu'au dernier moment
l'existence de notre armée de réserve et lui avait même prescrit de ne pas
s'en occuper. Au lieu donc de chercher un salut fort douteux dans une fuite
sur le Tessin ou dans une marche rétrograde sur Gênes, il irait droit à son
adversaire dont il supposait l'armée plus considérable qu'elle n'était
réellement, et tenterait de s'ouvrir un passage de vive forcé par la route de
Plaisance. Cette
résolution prise après une longue indécision, le 14 juin à la pointe du jour,
l'armée autrichienne franchit lentement la Bormida sur trois ponts et vint
déboucher devant Marengo où était établi le corps du général Victor. Ce
village que protégeait heureusement un ruisseau peu large mais profond fut
aussitôt attaqué avec fureur. Couverts par cette barrière naturelle, les
soldats de Victor reçurent sans s'ébranler des assauts multipliés. En même
temps Lannes, qui occupait la plaine entre Marengo et Castel-Ceriolo, était
débordé de tous côtés par les troupes autrichiennes. Tous deux se maintinrent
longtemps avec une invincible opiniâtreté, mais vers dix heures du matin
l'armée autrichienne ayant achevé le passage de la Bormida, le baron de Mêlas
réunit ses principaux corps, et les appuyant d'une artillerie formidable les
lança de nouveau sur Marengo qui fut emporté après un affreux carnage. C'était
le moment où Bonaparte arrivait sur le champ de bataille avec sa garde et son
état-major et la division Monnier soutenue par deux régiments d cavalerie. A
notre gauche la division Victor était en complète déroute ; à notre droite
Lannes reculait pas à pas dans un ordre admirable mais avec des pertes
cruelles, mettant une heure pour rétrograder d'un quart de lieue. Les troupes
fraîches qu'amène le Premier Consul rétablissent le combat. Au lieu de les
placer sur la route que balayaient sans cesse les charges de la cavalerie
autrichienne, il les porte à l'extrémité droite de Lannes, et sur la gauche
de l'ennemi qui les dépasse pour gagner San-Giuliano et dégager la route de
Plaisance. Cette manœuvre, qui consistait à refuser le combat sur le point le
plus essentiel à l'ennemi et à transporter l'action sur un terrain qui
attirait moins son attention, avait surtout pour but de gagner du temps. Mais
elle s'exécuta mal, en raison du désordre extrême que le succès des Autrichiens
avait jeté dans notre armée- En dépit de la solidité de la garde consulaire
et des efforts héroïques de Lannes, une partie de nos troupes se met en
retraite sur la route vers San-Giuliano, l'autre, qui a occupé un instant
Castel-Ceriolo, se dérobe à droite sur Sale. Telle
était notre position vers trois heures de l'après-midi. Notre armée était sur
le point d'être coupée en deux : une moitié était rejetée dans la direction
de Sale et du Pô, l'autre poussée sous le canon de Tortone. Notre situation
semblait tellement désespérée que le vieux Mélas, exténué de fatigue et sûr
de la victoire, rentra dans Alexandrie et envoya des courriers dans toutes les
directions pour annoncer son succès, laissant à son chef d'état-major M. de
Zach le soin d'achever notre défaite. Un
incident tout à fait imprévu vint lui faire expier cruellement cette erreur.
Desaix, accouru au secours du Premier Consul, débouchait en ce moment même
dans la plaine de Marengo avec la division Boudet. Au premier bruit du canon
il avait suspendu sa marche sur Novi, et après s'être assuré que personne ne
nous menaçait de ce côté il s'était dirigé en toute hâte sur San-Giuliano. Il
reconnut tout d'abord que la bataille était perdue, mais il ne regarda pas
comme impossible d'en gagner sur le champ une seconde qui réparerait la
première. Aussitôt Marmont rassemble le petit nombre de nos pièces que
l'ennemi n'a pas démontées et dirige un feu violent sur la colonne principale
qui s'avance à travers la plaine commandée par M. de Zach en personne. Elle
le reçoit sans être ébranlée, Desaix lance alors contre elle deux
demi-brigades qui arrêtent un instant les Autrichiens dans leur marche, au
milieu de la mêlée que produit ce mouvement, Desaix tombe mort frappé d'une
balle au cœur. Ces braves troupes accablées par le nombre cédaient le
terrain, et la terrible colonne que rien ne semblait pouvoir entamer,
s'avançait toujours faisant tout plier devant elle, quand tout à coup
Kellermann lance ses dragons avec tant d'à-propos et d'impétuosité sur son
flanc, qu'elle en est comme anéantie. Surprise sans avoir eu le temps de se
mettre en défense de ce côté, séparée du reste de l'armée autrichienne, elle
met bas les armes sur le champ de bataille au nombre de six mille hommes. Ce
coup foudroyant, prodigieux, change en un instant la face des choses : jamais
on ne vit à la guerre une révolution plus subite et plus complète. Notre
mouvement rétrograde s'arrête, nos fuyards se rallient et nous reprenons
l'offensive sur tous les points. Les Autrichiens étonnés reculent à leur
tour, puis ils se débandent ; bientôt c'est une panique sans exemple, et leur
cavalerie passe sur le corps de leurs fantassins pour les devancer au passage
des ponts. Tout vient s'entasser là dans un désordre affreux, et ceux qui ne
peuvent passer sont jetés dans la Bormida. L'artillerie presque tout entière
reste aux mains des Français. C'est un complet désastre. Telles
furent, autant qu'on peut le démêler à travers la contradiction des récits et
le charlatanisme des bulletins, les principales péripéties de cette célèbre
bataille. La confusion des événements y avait été si extraordinaire, que
quelque habitué que fût Bonaparte à rectifier sur le papier ses opérations
militaires par des arrangements après coup, qui leur donnaient souvent un
ordre et une clarté qu'elles n'avaient point eus, il lui fut impossible
d'écrire sur sa victoire autre chose qu'une relation informe où il n'y a ni
plan ni suite. Il y
suppléa par des artifices oratoires qui masquaient imparfaitement les lacunes
de son récit. Il attribuait une phrase de rhétoricien à Desaix, qui était
tombé mort, frappé d'une balle au cœur, sans proférer une seule parole, et
dont le corps resta abandonné et dépouillé sur le champ de bataille[30]. « Allez dire au Premier
Consul, lui faisait-il dire, que je meurs avec le regret de n'avoir pas assez
fait pour la postérité. » Il fallait qu'on crût que le Premier Consul
était la dernière pensée des mourants, comme l'orgueil et l'espérance de ceux
qui survivaient, et pour obtenir cet effet théâtral, il ne craignait pas
d'exploiter la mort elle-même. Pendant
son règne il revint jusqu'à trois fois sur ce bulletin pour le modifier en
vue de l'histoire. Dans ces trois relations qui nous ont été conservées par
le Mémorial de la Guerre on le voit à chaque instant se contredire et se
démentir lui-même. Une fois son thème fait il ordonne de détruire tous les
rapports originaux afin qu'on soit forcé de s'en rapporter à lui ; mais ce
n'est que dans ses mémoires qu'il parvient à donner à son récit une forme
raisonnée et définitive. Chose singulière et qui juge la moralité de ces jeux
sanglants de la guerre, ce fut la bataille où il déploya le moins de génie et
se montra le plus au-dessous de lui-même qui lui donna les plus grands
résultats au moins au point de vue de sa gloire et de son pouvoir. Les
combinaisons qui avaient préparé Marengo étaient une conception admirable,
mais elles étaient extrêmement hasardeuses, aléatoires[31], hors de proportion avec les
moyens dont nous pouvions disposer ; elles étaient en un mot d'un
incomparable virtuose de la guerre et non d'un général patriote. Quant à la
bataille elle-même, elle fut donnée dans les conditions les plus
défavorables, et la victoire ne tint qu'au hasard heureux d'une charge de
cavalerie faite à propos. Napoléon a écrit lui-même que « toutes les chances
pour le succès de la bataille étaient en faveur de l'armée autrichienne. »
Au rebours de tant de batailles dont on a pu dire avec justice qu'elles
devaient être gagnées bien qu'elles aient été perdues, celle de Marengo
devait être perdue sans une faveur exceptionnelle de la fortune ; et ce n'est
pas la peine d'être un capitaine sans pareil pour se mettre dans la nécessité
de compter sur un miracle, lorsqu'on peut arriver au but par des voies moins
éclatantes mais sûres et efficaces. Dès Marengo l'aventurier commence à faire
tort au chef d'État. Un
général moins démoralisé que Mêlas eût voulu tenter de nouveau le sort des
armes, soit en recommençant une attaque qui n'avait échoué que par suite d'un
hasard malheureux, soit en se jetant avec toutes ses forces sur le corps de
Suchet pour gagner Gênes. A ces partis énergiques il préféra une suspension
d'armes en vertu de laquelle il évacuait toute l'Italie du Nord jusqu'au
Mincio et au Pô inférieur, suivant une ligne qui allait de Peschiera à
Ferrare, mais -en conservant la Toscane et Ancône. Cette convention signée à
Alexandrie fut envoyée à l'empereur d'Autriche avec une longue lettre du
Premier Consul, qui s'efforçait de démontrer par une discussion en règle et
par toute sorte de considérations philanthropiques à S. M. l'Empereur et Roi,
que son intérêt le plus cher était de rompre enfin avec l'Angleterre pour
s'allier au gouvernement français. Cette lettre « sortant du style et de la
forme ordinaires », comme le disait quelques jours après Bonaparte,
étonné lui-même de l'avoir écrite, dans une communication à Talleyrand, était
remplie de conseils et de protestations amicales. Il ne laissait paraître
aucun ressentiment de ce que ses lettres précédentes étaient restées sans
réponse, et sa persévérance à s'adresser à lui malgré cette espèce d'affront,
témoignait assez du désir secret dont il était dévoré de traiter d'égal à
égal avec les souverains par la grâce de Dieu. En
attendant la réponse de l'Empereur, il fit mettre sur-le-champ à exécution
les articles de la convention d'Alexandrie, en pressant surtout la remise des
places fortes, puis il retourna à Milan le 17 juin. Là il reçut en grande
pompe les acclamations du peuple et les Te Deum du clergé. Il décrivait
lui-même cette scène alors si nouvelle pour les Parisiens, dans un de ces
bulletins qu'il continuait à rédiger presque chaque jour à leur adresse, et
qui étaient devenus en quelque sorte la seule publication qui parût en France
grâce aux coups dont il avait frappé la presse. L'opinion n'ayant plus que
cet aliment unique il s'ensuivait que le public ne pouvait plus s'occuper que
de lui. « Le Premier Consul, disait-il, a été reçu à la porte de la
métropole par tout le clergé ; il a été conduit dans le chœur sur une estrade
préparée à cet effet, et sur laquelle on avait coutume de recevoir les
consuls et premiers magistrats de l'empire d'Occident. » Pour qui tonnait
cette pensée sans mesure et cette ambition sans frein, ce mot d'empire
d'occident n'avait pas été placé là par hasard. Il trahissait des
préoccupations peut-être encore confuses mais déjà nées dans son esprit. Un
peu plus loin il ajoutait comme pour flatter le public français en le mettant
dans le secret de ses ménagements peur l'Église : « Ce respect pour
l'autel est une époque mémorable qui fera impression sur les peuples d'Italie
et plus d'amis à la république. L'allégresse était partout à son comble. Si
l'on fait ainsi, disaient les Italiens, nous sommes tous républicains et
prêts à nous armer pour la défense du peuple dont les mœurs, la langue et les
habitudes ont le plus d'analogie avec les nôtres. » Ce
langage plein de sous-entendus ressemblait beaucoup à celui qu'il avait tenu
à ses soldats en débarquant en Égypte, mais ceux qu'il semblait ainsi
associer à sa politique par cette espèce de demi-confidence, et qui y
applaudissaient avec un profond dédain pour l'infériorité intellectuelle et
morale de ces peuples déshérités, ne se doutaient guère des concessions plus fortes
encore qu'il était à la veille de faire en France à des superstitions qu'ils
n'éprouvaient pas. Le cardinal Chiaramonti, connu par sa conciliante et
pacifique homélie publiée à Imola peu de temps après le traité de
Campo-Formio, venait d'être élu pape à Venise sous le nom de Pie VII, et déjà
Bonaparte faisait briller à ses yeux les plus séduisantes promesses en
négociant sous-main la conclusion d'un concordat entre la France et Rome. Pendant
ce temps l'armée du Rhin sortait de son inaction forcée. Une fois sûr que
l'armée de réserve était entrée heureusement en Italie, Moreau, si longtemps
enchaîné devant Ulm, put reprendre ses opérations avec des troupes, il est
vrai, diminuées de près du quart de leur effectif par le départ du corps de Moncey.
Plus tard elles avaient été affaiblies encore par l'éloignement d'une partie
considérable du corps de Sainte-Suzanne détaché vers le Rhin contre les corps
francs allemands. Dès qu'il put agir librement, trois jours suffirent à
Moreau pour faire tomber ce camp retranché devant lequel son immobilité
volontaire avait donné lieu à tant de suppositions absurdes. Renonçant à sa
première idée de marcher sur Augsbourg et Munich, plan qui eût pu être efficace
mais qui avait l'inconvénient de laisser à Kray ses communications par la
rive gauche du Danube, il répondit à ses détracteurs par une opération
beaucoup plus belle et plus hardie : il franchit ce fleuve au-dessus d'Ulm à B’eindheim
non loin de Donauwerth où se trouvaient les magasins des Autrichiens. M. de
Kray comprenant l'importance de cette manœuvre qui allait nous établir sur
ses derrières, et menaçait sérieusement sa ligne de retraite, s'efforça
vainement de nous disputer le passage du Danube dans une série de petits
combats qui se terminèrent presque tous à son désavantage. Il fut moins
heureux encore dans la tentative qu'il fit avec le plus gros de ses forces
pour nous rejeter sur la rive droite. La rencontre entre les deux armées eut
lieu dans la plaine de Hochstett, localité restée célèbre par une défaite qui
avait été pour nous un désastre national. La cavalerie autrichienne jusque-là
si confiante en sa supériorité fut culbutée par la nôtre après une brillante
résistance ; mais malgré cet échec, des secours étant arrivés de chaque côté,
les Autrichiens se maintinrent avec acharnement dans leurs positions.
Cependant il fallut céder. La nuit étant venue, une charge générale des
troupes françaises fit plier sur tous les points la ligne ennemie, et les
Autrichiens se retirèrent laissant dans nos mains cinq mille prisonniers,
vingt canons, douze cents chevaux et d'immenses magasin. Ainsi fut lavée la
tache laissée sur notre honneur militaire (19 juin 1800). M. de Kray se retira
précipitamment sur Nordlingen, abandonnant sa position d'Ulm, et favorisé
dans sa retraite par un temps affreux qui rendait la poursuite presque
impossible par suite du légat des routes. Moreau, satisfait de l'avoir
repoussé dans la direction de la Bohême où il n'avait aucun intérêt à le
poursuivre, se retira sur le Danube puis sur Munich qu'il occupa le 28 juin.
Depuis plusieurs jours déjà il connaissait la victoire de Marengo et
l'armistice qui l'avait suivie. Arrivé sur l'Isar et jugeant sa position un
peu avancée, eu égard à la situation des principaux corps d'armée et au
secours que l'Autriche pouvait clandestinement tirer d'Italie, il accorda à
son adversaire une suspension d'armes qui nous garantissait provisoirement
tout le terrain que nous avions conquis jusque-là en Allemagne. Bonaparte
était reparti pour Paris eu laissant le commandement de l'armée d'Italie à
Masséna. Loin de songer alors à se plaindre de l'illustre défenseur de Gênes,
il l'avait comblé d'éloges et de témoignages de reconnaissance[32]. Si les patriotes italiens
avaient eu un instant l'espoir de voir se relever l'indépendance de leur
pays, ils durent bien vite renoncer à cette illusion en lisant le décret par
lequel Bonaparte fit ses adieux à la république Cisalpine. « Considérant que
cette république avait été reconnue libre et indépendante par la plus grande
partie des puissances de l'Europe, » il ordonnait la réunion d'une
consulte de 50 membres chargés de réorganiser les institutions de la
république, c'est-à dire de les mettre en harmonie avec le régime consulaire
sous la présidence d'un ministre extraordinaire français. Une commission
nommée par lui était provisoirement chargée du gouvernement. Quant au
Piémont, il laissa dès lors percer l'intention d'en faire purement et
simplement un département français, et en confia l'administration au général
Jourdan. Le Premier Consul revenait en France avec une volonté plus absolue, une âme plus que jamais impatiente et altérée de pouvoir, affectant de repousser comme au-dessous de lui tous les hommages qu'on voulait lui rendre. « J'ai trop bonne opinion de moi, écrivait-il à Lucien pour estimer de pareils colifichets » (29 juin 1800). On vit bientôt combien ce dédain pour le vieil appareil des triomphateurs était peu sincère chez lui. Il revenait appartenant tout entier à des projets qu'il n'avait pas osé dévoiler jusque-là et ayant en main toutes la force nécessaire pour les réaliser. La bataille de Marengo, malgré ses résultats si surprenants, avait été gagnée trop loin de Vienne pour assurer la paix, mais elle donnait à son auteur une prépondérance sans rivale en Europe, une puissance écrasante en France. Il allait s'en servir pour faire un pas de plus dans son système favori, le seul qui ait jamais été compris par ce génie à la fois si prodigieux et si borné, le despotisme au dedans et la conquête au dehors. Jamais apparences plus éblouissantes ne cachèrent des dispositions plus menaçantes pour l'avenir. |
[1]
Mémoires de Napoléon : note sur le Précis des événements militaire
de Mathieu Dumas
[2]
C'est le chiffre indiqué par le général Thiébaut dans son excellente réponse
aux attaques de Napoléon contre Masséna, publiée à la suite du Journal
historique du siège de Gênes.
[3]
Mémoires : note sur le Précis de Mathieu Dumas.
[4]
Mémoires : Ulm-Moreau.
[5]
Lettres de Moreau au Premier Consul, 8 avril, à Berthier, 24 avril. — Mémorial
du dépôt de la guerre, t. V.
[6]
Mémoires militaires du maréchal Gouvion Saint-Cyr.
[7]
Correspondance : à Moreau, 22 mars 1800.
[8]
Correspondance : à Masséna, 9 avril.
[9]
Ce fut là son premier plan. Correspondance, note du 18 février.
[10]
Lettre de Dessolles au marquis de Carrion-Nisas. (Mémorial du dépôt de la
guerre.) Elle est confirmée par une lettre du général Guilleminot.
[11]
Mémoires : notes et mélanges.
[12]
Correspondance : à Berthier, 26 avril.
[13]
De Bülow, Campagne de 1800.
[14]
Correspondance : à Masséna, 5 et 12 mars - 9 avril 1800.
[15]
Dessolles à Saint-Cyr, 4 mai 1800.
[16]
Voir les Mémoires militaires du maréchal Gouvion-Saint-Cyr.
[17]
A la date du 6 mai de Klosterwald.
[18]
Remarques sur les manœuvres autour d'Ulm. Il lui reproche, avec sa mauvaise foi
ordinaire, de n'avoir pas marché sur Augsbourg et Munich, oubliant que ses
propres instructions avaient formellement prescrit à Moreau de ne pas dépasser
Ulm.
[19]
Correspondance : à Berthier, 27 avril. Ce fut là son motif déterminant,
ainsi qu'il l'expose lui-même dans ce document. Quant aux considérations
stratégiques que développent à cette occasion quelques historiens, on ne doit y
voir qu'une pure rêverie.
[20]
Mémoires de Miot de Melito.
[21]
Mémoires de Napoléon : Marengo.
[22]
Aux consuls, 9 mai 1800.
[23]
Thiers, Histoire du Consulat et de l'Empire.
[24]
Moreau au Premier Consul, 27 mai 1800. Cette lettre montre clairement qu'il ne
s'est arrêté devant Ulm que pour éviter de compromettre l'armée d'Italie.
[25]
Journal du général Thiébaut.
[26]
Les Mémoires extraits des papiers de Masséna, par le général Loch ne
laissent rien subsister de ces imputations. V. tome IV.
[27]
Bonaparte à Berthier, 8 juin 1800.
[28]
Il était parti de Milan dans la journée même du 9 et non la veille, comme
l'affirme M. Thiers, qui lui fait mettre 24 heures pour franchir les dix lieues
qui séparent Milan de Stradella.
[29]
Bonaparte à Suchet, 3 juin.
[30]
Mémoires de Rovigo.
[31]
C'est ce que reconnaît implicitement Jomini lorsqu'il dit, après avoir signalé
le danger de ces dispositions, que Bonaparte voulait tout ou rien, et nomme la
bataille de Marengo une échauffourée. Tel est également l'avis de Mathieu Dumas
lorsqu'il dit que « Marengo était un champ clos où l'une ou l'autre des deux
armes devait périr. »
[32]
Général Koch, Mémoires de Masséna.