Je ne saurais mieux finir qu'en répétant ce que j'ai dit au début : Julien est un des esprits les plus chrétiens qui furent jamais, non, il est vrai, à la façon des protestants, mais des catholiques. S'il vivait de nos jours, il serait prêtre et journaliste catholique. Non de ce catholicisme insoutenable dans l'état actuel de nos sciences historiques, et qui sera passé de mode avant quelques années, qui nous peint le christianisme se présentant au monde comme une merveille inattendue, se propageant et se maintenant par une suite de miracles, renouvelant l'homme du jour au lendemain, sans racine dans le passé, sans progrès possible ni souhaitable dans l'avenir ; mais au contraire de ce catholicisme que professent déjà quelques membres du clergé français[1], qu'entrevoyait le grand de Maistre dans ses moments lucides, qui nous peint le christianisme comme la meilleure satisfaction aux instincts religieux que la race européenne a manifestés de tout temps. Au lieu de mettre le christianisme en opposition avec le paganisme, Julien nous montrerait le Sacrifice, l'Incarnation, la Rédemption, comme le fond mystérieux de tous les cultes païens ; il aurait sans doute conservé son goût pour les sciences, et, au lieu de poser le savoir sacré en antagoniste et ennemi du savoir profane, il s'efforcerait de faire de nos jours ce que les Pères grecs ont tenté au quatrième siècle, ce que Galilée, Descartes, Malebranche, Newton, Leibniz, ont tenté au dix-septième siècle, de mettre la théologie chrétienne en harmonie avec l'état actuel dés sciences. Réussirait-il mieux toutefois dans cette noble tentative de sauver le catholicisme que dans sa tentative de sauver l'hellénisme ? On peut en douter ; car il trouverait sans doute dans son esprit et dans celui de ses coreligionnaires cette illusion qui a perdu l'hellénisme : qu'un pouvoir temporel et la protection de l'État sont utiles au clergé. Les peuples latins, — les Italiens, les Espagnols, les Français, — sont aujourd'hui vis-à vis du catholicisme exactement dans la position où ils étaient aux quatrième et cinquième siècles vis-à-vis de l'hellénisme. Au fond, ils n'ont aucunement envie de briser ces traditions communes de poésie, d'art, de science et de politique, qui leur sont un lien et une résistance indispensable contre les barbares, — contre les Germains et les Slaves ; — mais ce dont ils sont dégoûtés, c'est de la formule qui exprime ce lien et cette résistance ; c'est seulement le mot catholicisme qui leur déplaît, parce qu'il leur rappelle le despotisme de la Rome chrétienne, comme aux quatrième et cinquième siècles le mot hellénisme leur déplaisait, parce qu'il leur rappelait le despotisme de la Rome impériale. Mais il y a toujours moyen de rajeunir une formule, c'est de remonter par l'histoire jusqu'à sa source ; de faire pour le mot catholicisme ce que Julien a tenté pour le mot hellénisme, et de le faire mieux, car nous savons plus d'histoire que n'en savait Julien ; c'est d'en appeler de saint Ignace à saint Thomas, de saint Thomas à saint Augustin, de saint Augustin à saint Athanase, véritable fondateur du catholicisme, de saint Athanase à ses maîtres les alexandrins, Plotin, Jamblique, Ptolémée et Hipparque, des alexandrins à Aristote et Platon, leurs maîtres avoués, de Platon et Aristote à Anaxagore, Parménide, Philolaüs, introducteurs des doctrines chaldéennes et égyptiennes dans la science et la religion grecques, et d'eux tous à Homère, père commun de la poésie, de l'art, de la religion et de la philosophie des Grecs et des Latins, et créateur de ce langage, de ce Verbe que nous adorons depuis tant de siècles. FIN DE L'OUVRAGE |
[1]
Voyez, par exemple,
l'abbé Gerbet, Dogme générateur du christianisme ; il voit ce dogme
partout, et dans toutes les religions avant Jésus-Christ.