IV. — THÉOLOGIE ALEXANDRINE. La théologie alexandrine, fondée sur le dogme de la trinité, qui est devenue la théologie chrétienne dès que le christianisme judéo-hellénique de saint Paul devint le christianisme purement hellénique, est sortie d'une synthèse ou plutôt d'un syncrétisme entre Platon et Aristote, accompli sous l'influence de plus en plus dominante de la cosmographie et de l'astrologie. Le cinquième corps d'Aristote devint le corps surnaturel, le corps divin, le corps indivisible ; par opposition aux corps naturels et sublunaires divisibles en leurs éléments ; il fut assimilé à l'empyrée pythagoricien, au fluide éthéré des Chaldéens, et fut appelé l'Aine ou Esprit universel. Hipparque ayant découvert la précession des équinoxes ou mouvement propre de la sphère étoilée, on fut forcé d'admettre, au delà de la huitième sphère ou huitième ciel aristotélique, une neuvième sphère entièrement invisible et cause première du monde. Ce type premier des mouvements célestes fut appelé le Premier, l'Un et le Père. Il fut assimilé d'une part au Parfait de Platon, ou Dieu concevable et non encore accessible aux sens, et d'autre part au dieu d'Aristote qui se conçoit lui-même, puisqu'il n'y a au delà et au-dessus du neuvième ciel aucun principe de mouvement. Par cette conception (νόησις) continuelle de lui-même, le Père conçoit le Nous, le Logos, le Verbe, qui est à la fois le système des mouvements du ciel et des mouvements de la parole, le principe conjugant. Père, Fils, Esprit, ces trois dieux n'en forment qu'un, car l'Esprit ou corps indivisible et surnaturel n'est autre que la substance commune au Père et au Fils. La sphère des constellations, le 'huitième ciel où Platon avait vu les symboles des types infinitifs de nos idées, des concepts, des concevables (νουμενα, νοητα) devint le monde des puissances et des vertus célestes, des dieux intermédiaires ou anges, divisés en deux grands ordres susceptibles des sous-divisions ; ceux du zodiaque, qui restent toujours au-dessus de l'horizon, et les démiurges, qui, suivant l'ordre des temps, paraissent ou disparaissent du ciel. Le premier ordre, qui est le plus élevé, préside plus spécialement aux mouvements célestes, l'autre à la génération sublunaire, à la mixture des éléments, à la naissance et à la mort des animaux et des hommes. Ptolémée, dans son livre des Significations, nous a laissé un témoignage de l'importance que les alexandrins accordaient aux démiurges, grands ouvriers des choses d'ici-bas. Cette théologie est commune aux Pères de l'Église[1] et à ces philosophes mystiques tels que Jamblique, Porphyre, Julien, Salluste, que nous appelons si bizarrement des païens, sous prétexte qu'ils ont lutté contre le christianisme. Si le paganisme est le polythéisme, ces mystiques croyaient en un seul Dieu en trois personnes. Ils étaient mêmes en ce qui concerne la trinité plus orthodoxes que les ariens, car ils croyaient en trois personnes égales, et Julien assistant au concile de Nicée eût voté avec les athanasiens. Si le paganisme représente l'idée des cultes populaires et locaux, des cultes de pays, dans leur opposition à l'envahissement d'une doctrine universelle planant au-dessus des différences de nations et de climats, ces mystiques ont rêvé toute leur vie de mettre aux pieds de la très-sainte trinité les innombrables dieux des nations, transformés en dieux intermédiaires, en anges, en démiurges. Nous nous servirons, dans le courant de cet ouvrage, non des mots païens et chrétiens avec lesquels il est impossible de rien comprendre aux révolutions du quatrième siècle, mais des mots dont se sert Julien ; nous dirons lu galiléens et les hellènes, indiquant par là non les habitants de la Galilée ou de la Grèce, mais ceux qui s'appuyaient sur-les Évangiles, et ceux qui faisaient leur Bible d'Homère, d'Hésiode et d'Orphée. On donnait dans les premiers siècles le nom de chrétiens à une foule de sectes, telles que les manichéens, que nous n'appelons plus chrétiennes, et le mot chrétien aussi bien que le mot païen prête à mille confusions. |