DE LA MILICE ROMAINE

 

PREMIÈRE PARTIE. — COMPOSITION DE L'ARMÉE

CHAPITRE V. — DES OFFICIERS D'UNE ARMÉE.

 

 

Officiers généraux, supérieurs et subalternes. — Des consuls et de leurs lieutenants ; des tribuns ; des différentes espèces de centurions ; des dixainiers. — Des chefs de la cavalerie. — Tableau des officiers d'une légion.

 

Pour que toutes les divisions d'une armée puissent facilement former un tout, il faut que tous les chefs gardent entre eux un ordre hiérarchique. Il devait donc y avoir dans l'armée romaine des officiers de différents grades, dont l'autorité devait correspondre au nombre des soldats qu'ils avaient sous leurs ordres : chaque décurie, chaque centurie, chaque cohorte avait son chef particulier, chaque légion ses officiers supérieurs, soumis eux-mêmes au général en chef.

 

Officiers généraux. — L'armée de Rome fut d'abord commandée par ses rois, et, après leur expulsion, par ses consuls. Mais comme le mot prætor, par lui-même et pris en général, signifie simplement celui qui a le pas sur les autres, on l'employa d'abord pour désigner un général en chef, et, dans les premiers temps de Rome, on désigna souvent sous le nom de préteur le consul qui commandait les armées.

Personne ne pouvait arriver au consulat, et être ainsi général en chef d'une armée, sans avoir atteint l'âge de quarante-trois ans et sans avoir occupé les magistratures inférieures, c'est-à-dire la questure, l'édilité et le prétorat. Il y eut cependant des exceptions à cette règle : différents citoyens obtinrent ce pouvoir sans avoir exercé de fonctions curules[1], et nous voyons Valérius Corvus, nommé consul à vingt-trois ans[2], Scipion l'Africain l'ancien à vingt-huit[3], et Scipion l'Africain le jeune avant trente-huit ans. C'est que la condition d'âge n'était exigée que comme une présomption de maturité et d'expérience ; mais, quand des citoyens encore jeunes avaient fait preuve de ces qualités dans des circonstances difficiles, la République n'en demandait pas plus pour leur confier le commandement de ses armées.

Dans les guerres ordinaires, un seul consul commandait l'armée : deux légions, avec le nombre déterminé de cavalerie et les alliés, formaient généralement ce qu'on appelait une armée consulaire, exercitus consularis, environ vingt mille hommes[4]. Polybe indique le nombre de dix-huit mille six cents[5] ; mais quelquefois on assignait la même province aux deux consuls[6] : ainsi les deux consuls furent envoyés contre les Samnites, et Pontius Hérennius, général de l'armée ennemie, les fit passer sous le joug aux Fourches Caudines[7] ; Paul Émile et Térentius Varro furent également envoyés ensemble contre Annibal, à la bataille de Cannes[8]. Ils avaient alors le commandement de concert, et ils se transmettaient leurs licteurs, alternativement, jour par jour, alternis imperitabant[9].

C'était au sénat qu'appartenait proprement le droit d'assigner les provinces aux consuls, et les tribuns du peuple ne pouvaient pas s'opposer à ce qui avait été statué de cette façon[10]. Mais, dans les guerres civiles, il en fut autrement : Marius, par le moyen du tribun Sulpicius, voulut se faire donner le commandement de la guerre contre Mithridate, que Sylla avait déjà obtenu[11], et César obtint une décision extraordinaire du peuple qui lui décerna la Gaule Cisalpine et l'Illyrie pour cinq années[12].

Une fois rendu dans sa province, et à la tête de son armée, le consul ne pouvait l'abandonner sans le consentement du sénat[13] : il fallut des événements extraordinaires pour faire quelquefois transgresser cette défense[14]. Revêtu du commandement militaire, il jouissait d'ailleurs d'une autorité beaucoup plus grande que dans l'intérieur de Rome : il avait le droit de vie et de mort sur tous ses soldats[15] ; et, quand sa conduite était trop arbitraire, le sénat ne pouvait pas lui enlever ce commandement militaire qu'il lui avait confié lui-même : il n'y avait que le peuple qui pût l'en priver, abrogari[16].

Cependant les consuls ne commandaient pas toujours eux-mêmes toute leur armée : ils avaient sous leurs ordres des officiers supérieurs qui leur servaient de lieutenants, et qu'on nommait legati. C'était le devoir des legati de conseiller et d'aider les généraux dans leurs plans et leurs opérations, aussi bien que d'agir à leur place, toutes les fois que les circonstances l'exigeaient[17]. Leur nombre était proportionné à l'étendue de la province du consul ou du proconsul : ainsi Cicéron, dans la Cilicie, en eut quatre ; César, dans la Gaule, dix, et Pompée, en Asie, quinze. C'était un titre très-honorable, que des personnages prétoriens ou consulaires ne croyaient pas indigne d'eux ; Scipion l'Africain, par exemple, servit comme legatus sous son frère Lucius[18]. Ils pouvaient avoir des licteurs[19], quand celui sous qui ils servaient ne s'y opposait pas[20] ; et les consuls eux-mêmes, lorsque les dangers de la République faisaient recourir au remède désespéré de la dictature, servaient de legati au dictateur.

Il faut que nous disions un mot de cette magistrature extraordinaire, puisque c'était le dictateur qui était le général en chef de l'armée dans les circonstances les plus difficiles, lorsque Rome était menacée par un ennemi redoutable. Ce général n'était point nommé par les suffrages du peuple comme les autres magistrats ; mais un des consuls, d'après l'ordre du sénat, nommait[21] la personne consulaire qu'il en jugeait digne[22]. Son pouvoir ne durait que six mois, mais, durant ce temps, il était illimité. Le dictateur, en effet, suivi de vingt-quatre licteurs[23], avait sous ses ordres les deux consuls qui ne gardaient en sa présence aucune marque extérieure d'autorité, et se choisissait[24], immédiatement après sa nomination, un maitre de la cavalerie, qu'il pouvait destituer et remplacer comme il l'entendait[25].

Lorsque, plus tard, le pouvoir fut décerné à Auguste de lever des troupes, d'entreprendre des guerres, de faire la paix, de commander toutes les forces de la République, l'empereur devint réellement un dictateur à vie : alors la liberté de Rome fut entièrement anéantie, et le consulat, qui avait été jusque-là regardé comme l'âme de la république[26], ne fut plus qu'un vain titre accordé par le prince à ses favoris pour quelques mois ou quelques semaines, quelquefois pour peu de jours et même pour quelques heures[27]. Dès lors l'empereur seul est général en chef des armées romaines, et, quand il ne dirige pas la guerre lui-même, les généraux qui la dirigent (legati consulares) ne sont considérés que comme agissant sous ses ordres[28] ; tout est censé se faire sous ses auspices, ductu, Germanici, auspiciis Tiberii[29]. Les lieutenants qui sont ainsi envoyés à la tête des armées, tout en ayant le droit de vie et de mort sur leurs soldats, sont eux-mêmes à la disposition de l'empereur qui les a nommés, et jouissent à peine de l'indépendance dont jouissaient, dans l'origine, sous la direction- des consuls, les tribuns militaires des légions.

 

Officiers supérieurs. — Après avoir vu quels furent, aux différentes époques de Rome, les généraux chargés de la direction de la guerre, passons à ces tribuns militaires qui étaient les officiers supérieurs de la légion, et qui, dans l'ordre hiérarchique, venaient immédiatement après les consuls et les legati des consuls.

Les tribuns, créés par Romulus, furent d'abord au nombre de trois, et c'est de ce nombre que vint leur nom : tribuni militum dicti, dit Varron, quod terni ex tribus tribubus olim ad exercitum mittebantur[30]. Mais le nombre des soldats légionnaires s'étant bientôt accru, celui des tribuns s'éleva en proportion. En l'an de Rome 442, nous voyons dans Tite-Live quatre légions commandées par seize tribuns : Duo imperia eo anno dari cœpta per populum, utraque pertinentia ad rem militarem : unum ut tribuni militum seni deni in quatuor legiones a populo crearentur[31]... Il y avait donc alors quatre tribuns par légion, et Polybe, un peu plus tard, porte leur nombre à six, en expliquant comment ils commandaient la légion deux ensemble pendant deux mois successivement. A partir de cette époque, ce nombre parait être resté le même jusque sous les empereurs.

Sous l'ancienne république, les tribuns furent d'abord à la nomination des généraux. L'an 393, le peuple en élut une moitié[32], et cette coutume se perpétua depuis avec de légères variations consistant en ce que les comices en nommaient tantôt la moitié, tantôt les deux tiers[33]. Ceux que le peuple nommait étaient les plus honorés, et s'appelaient comitiati ; les autres s'appelaient rufuli, du nom de Rufus, auteur de la loi qui donnait le droit d'élection aux généraux[34]. Mais à partir de Tibère ils furent toua nommés par l'empereur, et Végèce noua dit que de son temps il y en avait de deux sortes, majores et minores : Tribunus major, dit-il, per epistolam sacram imperatoris judicio destinatur ; minor provenit ex labore. Ainsi les uns obtenaient leur titre par la faveur, les autres par le mérite, et ces derniers, contrairement aux mœurs de l'ancienne République, étaient les moins considérés.

Les tribuns étaient chargés de maintenir la discipline[35]. Ils entraient dans les plus grands détails et tenaient des notes sur les mœurs et le caractère de toua les hommes confiés à leur commandement[36] ; ils nommaient les centurions et conféraient les autres titres militaires ; ils rendaient la justice eux-mêmes, et il n'y avait point d'appel de leurs jugements : aussi Cicéron nomme-t-il le tribunat militaire une magistrature[37]. Voici comment le jurisconsulte Macer[38] expose leurs fonctions : Les tribuns, dit-il, doivent contenir les soldats dans le camp, les en faire sortir pour les exercer, garder les clefs des portes, faire la ronde des sentinelles pendant la nuit, examiner la qualité du blé, assister aux distributions, punir les délits, se présenter souvent dans la place pour recevoir les plaintes .....

Des fonctions si importantes, en les élevant au-dessus de tous les officiers de la légion, leur donnaient une grande considération. Aussi les choisissait-on ordinairement parmi les hommes d'un certain âge et qui avaient fait preuve de capacité à l'armée : de grands exploits faisaient parvenir à ce grade, qui pouvait procurer alors l'admission aux emplois civils et l'entrée au sénat[39]. Mais la faveur l'emporta bientôt sur les services, et Horace, par exemple, qui ne dut certainement ce poste qu'à la faveur, nous a avoué lui-même qu'il n'était pas très-courageux. Les empereurs, pour avoir occasion d'en gratifier un plus grand nombre de favoris, rendirent même le tribunat semestriel[40], et il suffit quelquefois de la protection d'un comédien pour l'obtenir. Ce que nos consuls ne peuvent plus donner, s'écrie Juvénal dans son indignation républicaine, un histrion l'accorde ! C'est Pélopée, c'est Philomèle, qui font les préfets et les tribuns !

Quod non dant Proceres, dabit histrio !....

Præfectos Pelopeia facit, Philomela tribunos ![41]

Le tribunat semestriel ne fut plus suffisant, et il y eut des tribuns surnuméraires, tribuni vacantes, qui touchèrent régulièrement la paye du tribunat sans avoir de soldats à commander[42].

Les tribuns ne manquaient pas de marques d'autorité. Ils avaient un habillement particulier, l'épée nommée parazonium, et l'anneau d'or au lieu de l'anneau de fer des soldats[43]. Ils avaient auprès d'eux un lieutenant particulier nommé vicarius, et quatre appariteurs marchaient devant eux comme les licteurs des consuls[44]. Mais toutes ces marques distinctives ne purent leur conserver leur ancienne considération, quand ils s'en furent montrés indignes par leur avarice, leurs exactions sur les soldats et leur obéissance servile aux ordres inhumains de mauvais princes. Deux autres motifs contribuèrent en même temps à la leur faire perdre. D'abord, les empereurs, pour multiplier leurs faveurs, rendirent le tribunat très-commun : ils créèrent des tribuns de simples cohortes, tribuni cohortis[45], des tribuns antesignanorum[46], des tribuns scholarum, des tribuns domesticorum, etc. Puis, les tribuns légionnaires eux-mêmes reculèrent de plusieurs degrés dans l'ordre hiérarchique des officiers, et se virent subordonnés au legatus legionis, au præfectus, au præpositus, qui eurent, à leur place, le commandement général de la légion.

Ces nouveaux officiers supérieurs héritèrent alors de l'ancienne considération du tribunat. Nous voyons en effet que les lieutenants de légion étaient ordinairement choisis parmi les sénateurs, et Tacite nous montre, dans la vie d'Agricola, comment, après avoir été tribun militaire, questeur, tribun du peuple et préteur, il fut mis par Mucien à la tète de la vingtième légion en qualité de legatus legionis. Les préfets de légion, qui furent établis sous Othon, ne dépendirent aussi que du legatus consularis ou lieutenant général de l'empereur. Végèce[47] montre en ces termes leur supériorité sur les tribuns : Les tribuns, dit-il, les centurions et les soldats étaient sous les ordres du préfet. C'était sous son autorité qu'un soldat coupable était conduit au supplice par un tribun. Le soin des armes, des chevaux, des habillements, des vivres, était à sa charge : le bon ordre et la discipline roulaient sur lui. C'était sous son commandement qu'on faisait faire tous les jours l'exercice aux troupes de la légion. Telle était l'autorité des préfets, et celle des préposés de légion était la même : car le préposé était un officier supérieur que nommait l'empereur pour tenir par commission la place du préfet absent.

 

Officiers subalternes. — Après ces officiers supérieurs qui avaient autorité sur la légion tout entière, venaient les officiers subalternes, qui en commandaient les différentes parties. Nous venons de dire que ce fut seulement sous les empereurs qu'on créa des tribuns de cohorte pour amoindrir l'autorité du tribunat ; jusque-là la cohorte n'avait pas eu de chef particulier, et c'était le chef de la première centurie qui la commandait tout entière : ce chef de centurie ou centurion était donc le premier officier subalterne immédiatement au-dessous du tribun.

Comme il y avait soixante centuries dans la légion, il y avait soixante centurions ; mais tous n'étaient pas d'un rang égal. Dans l'ancienne division, les centurions des triaires étaient supérieurs à ceux des princes, et ceux-ci à ceux des hastats. Il y avait vingt centurions des triaires, et autant des autres : chaque manipule avait donc deux centurions ou capitaines. Voici ce que dit Polybe à ce sujet[48] : Dans chaque classe on choisit, d'après le courage, d'abord dix commandants, puis dix autres encore. Tous sont désignés par le titre de capitaines, et le premier choisi d'entre eux a place au conseil. Après cela, les différents corps sont divisés en dix parties : chacune de ces sections (manipules) reçoit pour chefs deux capitaines. Ce n'est pas sans raison que les Romains ont donné deux chefs à toute compagnie : comme on ne sait ce que fera tel ou tel chef ou ce qui peut lui advenir, et les besoins de la guerre n'admettant aucune excuse, on ne veut pas qu'une compagnie demeure sans capitaine pour la commander. Il y a donc toujours deux chefs : le premier élu est chargé de la droite, le second de la gauche. Lorsque l'un des deux est absent, l'autre commande toute la compagnie. Nous ajouterons que les dix centurions de la première élection dont parle Polybe, et qui étaient capitaines de la droite, étaient supérieurs à ceux de la seconde élection qui commandaient la gauche du manipule.

Au temps de Marius, la division en manipules cessant d'exister, il y eut d'autres degrés hiérarchiques parmi les centurions. On les distingua par le rang de leur cohorte et le rang de la centurie qu'ils commandaient dans cette cohorte. Ainsi tous les centurions de la première cohorte, et le premier centurion de chacune des neuf cohortes suivantes furent supérieurs à tous les autres : on les appela indistinctement primi centuriones, centurionum principes, principia, centuriones primorum ordinum, principes ordinum, primi ordines, ordinarii. Et parmi ces centurions supérieurs, le premier de la première cohorte fut naturellement le premier de tous : il se nomma primus centurio, centurio primipili, ou simplement primipilus ; il eut sous sa garde l'aigle de la légion, et tous les autres, dit Denys d'Halicarnasse, furent obligés d'obéir à ses ordres. Aussi son autorité fut-elle presque égale à celle du tribun. Cnéius Pétréius, primipile dans l'armée de Catulus, voyant les Cimbres entourer la légion et le tribun hésiter pour s'ouvrir un passage, tua le tribun pour commander lui-même la légion et la sauver, et reçut une récompense. Ce fait, que Pline rapporte[49], nous montre, mieux que tout autre, l'importance du poste de primipile dans la légion.

Mais comment montait-on des centuries inférieures aux centuries supérieures, et par quel moyen parvenait-on à la place de centurion ? Du temps de Polybe, nous venons de le voir, les centurions étaient nommés par les tribuns[50], et une fois qu'ils étaient ainsi choisis, les généraux les faisaient avancer, de grade en grade, jusqu'au rang de primipile. L'ancienneté de service ou la bravoure était alors la règle de ces promotions : on pouvait, en se signalant, franchir plusieurs grades à la fois. Il est vrai qu'au temps où les légions n'étaient pas perpétuelles, ces promotions n'étaient que passagères ; mais, même à cette époque cependant, il était très-rare que celui qui avait été promu à un grade supérieur fût ensuite chargé d'un poste inférieur ; on se souvenait toujours des services rendus à la patrie. Ce ne fut qu'à l'époque de la décadence que, l'intérêt particulier détruisant l'intérêt public, l'intrigue, l'argent et la corruption purent procurer l'avancement ; Végèce s'en plaint amèrement[51] : On conserve encore, dans les armées, dit-il, le nom de légions ; mais elles se sont abâtardies depuis que, par un relâchement qui est assez ancien, la brigue a surpris les récompenses dues au mérite, et que, par la faveur, on est monté aux grades que le service seul obtenait auparavant.

La place de centurion était assez belle pour qu'on cherchât à l'obtenir ainsi de la bienveillance du prince. Nous avons déjà montré que les fonctions de primipile donnaient une autorité presque égale à celle de tribun ; les autres centurions ne manquaient pas non plus de dignité. Ils étaient assesseurs des tribuns dans les jugements militaires, étaient exempts des travaux et portaient comme marque distinctive un cep de vigne. Il est vrai que toute cette dignité fut peu à peu avilie par les brigues mêmes qu'ils employèrent pour obtenir leur charge, par leurs exactions intolérables sur les soldats et par l'usage criminel que les mauvais princes firent de leurs bras pour tuer tous ceux dont la vie les inquiétait.

Le service des centurions comprenant jusqu'aux moindres détails de la discipline[52] et exigeant beaucoup de surveillance, ils avaient pour les aider des sous-centurions[53], appelés optiones centurionis, ou optiones in centuria, du verbe optare, choisir, parce que, originairement, ils étaient à leur choix[54]. Polybe nous dit en effet que chaque capitaine de la tête choisissait un capitaine de la queue, et Varron ajoute : Quos hi primo administros sibi adoptabant, optiones vocari cœpti[55]. Mais, plus tard, ce furent les tribuns qui les nommèrent pour se faire, par leur choix, des créatures dans l'armée.

Enfin, au-dessous des optiones, étaient les dixainiers, decani, decuriones ou capita contubernii, qu'on appelait ainsi parce qu'ils n'avaient autorité que sur les dix soldats de la chambrée. C'étaient les derniers officiers de l'infanterie légionnaire.

Nous n'avons pas à nous étendre longuement sur la cavalerie. Elle avait les mêmes officiers supérieurs que l'infanterie, et nous avons montré comment la légion tout entière était commandée par eux. Nous avons même indiqué les officiers subalternes de la cavalerie lorsque nous avons traité de toutes les divisions de l'armée. Il y avait trente décurions ou chefs de dix hommes ; le premier décurion de chaque turme commandait la turme tout entière, puis tous ces commandants, comme dans l'infanterie, choisissaient autant d'aides qui prenaient aussi le nom d'optiones. Végèce[56] nous indique en ces termes les qualités qu'on recherchait dans tous ces officiers subalternes des cavaliers : On doit, sur toutes choses, chercher de la vigueur et de la légèreté dans un décurion, afin qu'à la tête de sa compagnie, il puisse, en cuirasse et avec toutes ses armes, monter de bonne grâce sur son cheval et le bien manier. Il faut qu'il sache se servir adroitement de la lance[57], tirer habilement les flèches, et dresser les cavaliers de sa turme à toutes les évolutions de la cavalerie ; il doit aussi les obliger à tenir en bon état leurs cuirasses, leurs casques, leurs lances et toutes leurs armes, parce que l'éclat qu'elles jettent en impose beaucoup à l'ennemi : d'ailleurs, que peut-on penser du courage d'un soldat qui laisse manger ses armes par la rouille et la saleté ? Mais il n'est pas moins nécessaire de travailler continuellement les chevaux pour les façonner, que d'exercer les cavaliers : c'est au décurion à y tenir la main, et en général à veiller à la santé et à l'entretien de sa troupe.

Quant aux troupes des alliés qui, conjointement avec la cavalerie, occupaient les ailes de l'armée, elles étaient divisées en cohortes, et étaient commandées par des préfets, præfecti, qui étaient des officiers supérieurs[58]. Il est probable qu'elles avaient les mêmes officiers subalternes que les troupes légionnaires. Nous n'avons donc pas à entrer sur ce sujet dans de nouveaux détails, et nous conclurons ce chapitre par un tableau synoptique qui nous permettra d'apprécier d'une manière exacte le nombre de tous les officiers supérieurs et subalternes d'une légion romaine.

 

 

 

 



[1] Tite-Live, XXV, 42 ; XXXII, 7 ; Denys d'Hal., XXXVI, 23.

[2] Tite-Live, VII, 28.

[3] Tite-Live, XXV, 2 ; XXVI, 18 ; XXVIII, 38.

[4] Tite-Live, X, 25.

[5] Polybe, VI, 24.

[6] Dans les premiers temps, on entendait par la province d'un consul les affaires dont il était chargé, une guerre à soutenir, par exemple, ou une certaine contrée dans laquelle il avait à faire la guerre pendant son consulat (liv. II, 40 ; V, 32). Plus tard, on entendit par là le pays conquis, réduit en province romaine, que chaque consul, aires l'expiration de sa charge, devait administrer. (Cicéron, Nat. Deor., II, 3.)

[7] Tite-Live, IX, 11.

[8] Tite-Live, XXII, V ; XXV, 3 ; XXVII, 22.

[9] Tite-Live, XXII, 41.

[10] Cicéron, de Prov. Cons., 8.

[11] Appien, de Bel. civ., I.

[12] Suétone, César, 19, 22.

[13] Tite-Live, XXIX, 19.

[14] Tite-Live, X, 18 ; XXVII, 43.

[15] Tite-Live, XXIX, 9 ; Denys d'Hal., V, 59.

[16] Tite-Live, XXIX, 19.

[17] Varron, L. L., V, 87 ; César, Bel. civ., II, 17 ; III, 51 ; Tacite, Agricola, 9.

[18] Tite-Live, XXXVII, 1 ; Aulu-Gelle, IV, 18.

[19] Tite-Live, XXIX, 9.

[20] Cicéron, Fam., XII, 30.

[21] Dans certains cas, le peuple désignait celui que le consul devait nommer (Tite-Live, XXVII, 5).

[22] Tite-Live, IX, 38 ; Denis d'Hal., X, 23.

[23] Tite-Live, II, 18.

[24] Quelquefois, c'étaient le peuple et le sénat qui désignaient cet officier (Tite-Live, VII, 12, 24, 28).

[25] Tite-Live, VIII, 36.

[26] Cicéron, Pro Mur., 38.

[27] Lucain, v. 397 ; Suètone, César, 76 ; Cicéron, Fam., VII, 30 ; Denys d'Hal., XLIII, 36.

[28] Horace, Odes, IV, 14, 32 ; Ovide, Tristes, II, 173.

[29] Tacite, Ann., II, 41.

[30] Ling. lat., IV ; Végèce, II, 7.

[31] Tite-Live, IX, 30.

[32] Tite-Live, VII, 5.

[33] Tite-Live, IX, 30 ; XXVII, 38 ; XLII, 31 ; XLIV, 21 ; Dezobry, Let., CIX.

[34] Salluste, Jugurtha, 83 ; Suétone, César, 5 ; Tite-Live, VII, 5 ; Asconius, in Verr., I, p. 58.

[35] Tacite, Ann., I, 32.

[36] Dezobry, Rome au siècle d'Auguste.

[37] Pro Sext., 7.

[38] Digeste, de Re militari (lib. XLIX, tit. 18, leg. 12).

[39] C'est dans ce sens que Sénèque s'écrie, en parlant des tribuns morts arec Varus : Variana clade quam multos splendidissime natos senatorium per militiam auspicantes gradum fortuna depressit ! (Ep. XLVII.)

[40] Pline, IV, ep. 4.

[41] Sat. VII.

[42] Am. Marcellin, XV, 3.

[43] A partir de Septime Sévère, les soldats purent porter l'anneau d'or.

[44] Au temps d'Alexandre Sévère, ces appariteurs furent remplacés par quatre soldats.

[45] Ulpien, lib. III, tit. 2, leg. 2.

[46] Gruter, D.XVII, 33.

[47] Végèce, II, 9.

[48] Polybe, VI, 24.

[49] Pline, XXII, 8.

[50] Polybe, VI, 24.

[51] Végèce, II, 3.

[52] Sénèque, de Ira, I, 16 ; Tacite, Ann., I, 21.

[53] Tite-Live, VIII, 8.

[54] Dezobry, Rome au siècle d'Auguste, Let., CIX.

[55] Varron, L. L., IV.

[56] Végèce, II, 14.

[57] Pline composa un ouvrage, de Jaculatione equestri, sur la manière de se servir de la javeline à cheval (Pline, Ep., III, 4).

[58] César, Bel. G., I, 39 ; Suétone, Auguste, 38 ; Claude, 35 ; Pline, Ep., X, 19.