1° Armes offensives : pilum ; diverses espèces de lances, de traits et d'épées. 2° Armes défensives : casques, boucliers, cuirasses.La guerre est autant une défense qu'une attaque ; l'art consiste à porter des coups à l'ennemi et à parer les siens : de là deux sortes d'armes, armes offensives et défensives, arma et tela. Arma correspond au grec όπλα et désigne généralement les armes qui s'adaptent au corps pour le protéger, comme le casque, la cuirasse et le bouclier ; tela, au contraire, correspond au grec βέλη, désigne en particulier toutes les espèces d'armes qu'on lance au loin, quibus eminus pugnatur, τηλέβολα, et en général toutes les armes servant à attaquer soit de loin, soit de près : Telorum appellatione omnia, ex quibus saluti hominis noceri possit, accipiuntur[1]. Ovide, en réunissant les deux termes dans le même vers, montre bien la distinction que nous voulons établir : Induere
arma virus, videntaque summere tela Rex jubet[2] ; Le roi ordonne à ses guerriers d'endosser leurs armures et de prendre leurs javelots meurtriers. Cette distinction servira de division à ce chapitre. ARMES OFFENSIVES. La plus redoutable des armes offensives des Romains était le pilum. Le pilum était l'arme nationale de leur infanterie, comme la baïonnette est l'arme nationale de notre infanterie française : Pilum, dit Servius, proprie est hasta Romanorum, ut gæsa Gallorum, sarissa Macedonum. Aussi les poètes latins ne distinguent-ils souvent les armées romaines que par les aigles et le pilum : Signa, pares aquilas et pila minantia pilis[3]... . . . . . . Quorum agmina pilla Atque aquillis utrinque micant[4]. Jamais les Grecs ne s'étaient servis d'une telle arme : aussi, la première fois qu'ils eurent à combattre contre les Romains, furent-ils effrayés des ravages faits dans leurs rangs par les blessures profondes et mortelles du pilum. Nihil terribilius fuit, dit Florus[5], ipso vulnerum aspectu, quæ non spiculis, neque sagittis, neque græculo ullo ferro, sed ingentibus phis, nec minoribus adacta gladiis, ultra mortem patebant. Il est étonnant qu'il ne soit pas parvenu jusqu'à nous un seul spécimen authentique de cette arme nationale ; aucun monument ne nous en a laissé l'image pour nous en faire comprendre la forme d'une manière bien exacte. Nous en trouvons, il est vrai, la description dans quelques auteurs : Polybe[6], Denys d'Halicarnasse[7], Végèce[8], qui l'appelle veruculum, en ont parlé assez longuement, mais ils l'ont tous fait en termes différents : le fer et la hampe de l'arme sont tantôt plus longs, tantôt plus courts ; le bois est tantôt long, tantôt carré : d'où nous pouvons conclure que le pilum eut des formes diverses à différentes époques. Cependant sous toutes ces formes ce fut toujours un
javelot lancé de près : le légionnaire ne s'en servait que lorsqu'il était
sur le point d'en venir aux mains, comme le prouve cette expression de Végèce
: quum ad
pila, ut appellant, venitur, et manu ad manum gladiis pugnatur. La
phrase suivante de Tite-Live en est une autre preuve : Ne mora in
concursu pilis emittendis, stringendisque inde gladiis foret, pila velut
signo dato abjiciunt, strictisque gladiis cursu in hostem feruntur[9]. Et Lucain, en
décrivant cette action, nous la fait encore mieux comprendre : Ut
rapido cursu, fati suprema morantem Consumpsere
locum, parva tellure dirempti... Pila parata diu tensis tenuere lacertis[10]. Quelquefois même on employait le pilum comme pique pour charger l'ennemi, mais cela était rare, et quand il fallait charger, on se servait plutôt de la vraie pique, hasta. Sous le nom général de hasta on comprenait un assez grand nombre d'armes, ayant toutes à peu près la même forme, mais n'ayant ni la même longueur ni la même pesanteur. Il y avait d'abord la pique de cavalerie fort longue et fort pesante qui ressemblait un peu à la sarissa macédonienne[11]. Elle avait souvent une bride en cuir, nodus, attachée au bois pour aider le cavalier à monter[12]. L'infanterie, de son côté, avait deux sortes de piques, l'une appartenant à l'infanterie pesamment armée, et l'autre qui était l'arme des velites : selon Pline[13], la première avait été inventée par les Lacédémoniens, la seconde par Tyrrhénus. Elles étaient faites toutes deux de bois de frêne : nous voyons en effet que les pates disent qu'on faisait des piques avec ce bois : et fraxinus cadis hastis, dit Ovide[14]. La première se composait de trois parties distinctes : la tête, cuspis (αίχμή), en bronze ou en fer ; le bois, hastile (δόρυ) ; et une pointe de métal au bout ; spiculum (στύραξ), qui servait pour la fixer en terre ou qui devenait la partie principale quand la tête était brisée. Outre que cette pique, dit Polybe[15], par ce qu'elle a de plus solide et de plus ferme, est susceptible de frapper d'abord avec justesse et précision, l'autre bout, qui est ferré, peut aussi porter des coups ni moins certains ni moins forts. On la lançait quelquefois comme un javelot : alors, pour aider à la lancer, on la munissait d'une courroie, hasta amentata, amentum, ou d'une poignée fixée sur le bois, hasta ansata. La seconde, qui était employée par les troupes armées à la légère, et qu'on nommait pour ce motif hasta velitaris (γρόσφος), est décrite par Polybe. Le bois, dit-il[16], a généralement deux coudées de long et un doigt d'épaisseur. La pointe, qui a une palme, est tellement acérée et effilée que dès le premier coup elle se recourbe et que les ennemis ne peuvent la renvoyer. Sans cela, ce serait une arme aussi bien faite pour l'adversaire que pour celui qui s'en sert. Les Romains possédaient d'autres piques ou javelots : la falarica, qui avait les dimensions les plus grandes, une immense tête de fer, et un bois fort chargé vers le haut d'une masse de plomb circulaire[17] ; le soliferrum, qui, comme l'indique son nom, était tout en fer massif, le manche comme la pointe ; le sparum et le rumex, dont le manche était en bois et dont la tête de fer, terminée en pointe aiguë, était surmontée d'une lame courbée en forme de croc. Si nous considérons les lances des alliés et des peuples barbares qui furent, à une certaine époque, admis dans les armées romaines, nous voyons la framea, à la tête de fer courte et aiguë, le javelot des Germains[18] ; la materis, javeline au large fer usitée chez les Belges[19] ; la rhomphœa ou rumpia (ρομφαία), pique d'une longueur prodigieuse dont s'armaient les Thraces[20] ; la cateja, dont se servaient les Gaulois et les Germains, à laquelle était attachée une longue corde comme au harpon[21] ; et le gæsum[22], trait de fer massif, d'origine gauloise, et qu'employaient quelquefois les Romains eux-mêmes[23]. D'autres javelots et d'autres sortes de traits étaient lancés par les machines de guerre, tels étaient les trifaces, lancés par la catapulte ; les falaricæ, entourées d'étoupe pour incendier les tours, les malleoli, les tragulæ, etc. Mais ne nous occupons pour le moment que des armes portées par les soldats eux-mêmes. Quand ceux-ci, marchant à l'ennemi, avaient lancé, comme
nous venons de le voir, leurs javelots et même leurs piques, il ne leur
restait, dans la mêlée, pour armes offensives, que leurs épées : l'épée était
donc pour eux une arme principale ; il y en avait de différentes sortes. La spatha (σπάθη)
était une large et longue épée à deux tranchants, à pointe très-aiguë[24], et l'on
appelait semispatha
une spatha
moitié plus petite que l'ordinaire[25]. La ligula
était un petit glaive en forme de langue dont se servaient les soldats
romains dans l'origine. Le clunaculum n'était pas plus grand, et s'appelait
ainsi, dit Festus, parce qu'il était porté par derrière, quia ad clunes
dependet[26]. Une autre sorte
de glaive court, le parazonium (παραζώνιον),
était porté par les tribuns plus comme marque de distinction que pour l'usage
réel[27]. Les officiers
généraux et même les empereurs, pour indiquer leur pouvoir de vie et de mort,
portaient aussi au côté gauche et sans fourreau, une dague courte, à pointe
aiguë, tranchante des deux côtés, nommée pugio (έγχειρίδιον), ou
pugiunculus[28]. Mais l'épée
ordinaire, l'épée du légionnaire était le gladius. Le gladius, que les poètes appellent ensis, dans l'origine ressemblait au ξίφος grec. Il avait une lame en forme de feuille, pas de garde, mais une courte barre transversale à la poignée : il était long d'un demi-mètre. Les Romains s'en servirent jusqu'au temps d'Annibal ; mais, à cette époque, comme nous le dit Polybe[29], ils adoptèrent pour leur gladius la lame espagnole ou celtibérienne, qui avait un tranchant droit, et qui était plus longue et plus pesante que celle des Grecs[30]. On appelait capulus la poignée du gladius, qui était faite de bois ou d'os, et quelquefois enrichie d'or et d'argent ; mora la garde qui, tout en protégeant la main, empêchait la lame de pénétrer trop avant ; et mucro la pointe même de l'épée, par opposition à cuspis, pointe de la lance[31]. Le gladius était enfermé dans un fourreau, vagina (ξιφοθήκη, κολεός), qui était fait ordinairement de bois, et quelquefois peut-être de cuir, comme semble l'indiquer le nom grec κολεός, culeus. Ce fourreau, pour les tribuns et les officiers supérieurs, était attaché au côté gauche à un cinctorium, ceinturon qui entourait la taille ; et, pour les soldats, il était suspendu au côté droit, à un balteus ou balteum (τελαμών), baudrier passé sur une épaule et sous l'autre, et attaché sur le devant par une boucle[32]. Toutes ces épées appartenaient en propre aux Romains : quelques soldats alliés ou barbares en portaient d'autres qui leur étaient particulières. Telles étaient la faix, nommée aussi ensis falcatus ou hamatus, et qui ressemblait beaucoup à une faucille, à cause de l'extrémité supérieure de la lame qui était fort courbée[33] ; la machæra (μάχαιρα), à un seul tranchant, faite plutôt pour couper que pour percer, et ayant une grande analogie avec le couteau de chasse, culter venatorius[34], et la sica, dague très-pointue, à lame recourbée, l'arme nationale des Thraces, mais qui était généralement regardée par les Romains comme l'arme d'un brigand et d'un assassin plutôt que comme celle d'un soldat[35]. Nous ne parlerons pas des différentes sortes de haches, de la securis, de la dolabra, de la bipennis : les Romains s'en servaient pour faire des palissades, creuser une mine, forcer les murs d'une fortification, mais presque jamais pour frapper directement leurs ennemis[36]. Nous ne nous arrêterons pas non plus sur les murices ferrei et les tribuli, instruments faits de quatre pointes de fer, que, dans l'ancienne tactique, l'infanterie jetait à terre pour empêcher la cavalerie d'avancer et mettre les chevaux hors de combat[37]. Quant aux arcs, qui étaient de deux sortes, arcus patulus, arcus sinuosus, et quant aux frondes, funda, fustibalus, qui lançaient des pierres et des balles de plomb, glandes, nous ne les nommons que pour rappeler combien ces armes étaient peu employées par les Romains eux-mêmes : c'étaient principalement les auxiliaires qui s'en servaient. César, par exemple, dans la guerre civile, avait trois mille archers, mais c'étaient des Lacédémoniens, des Crétois, des Asiatiques du Pont et de la Syrie[38]. Les arcs et les frondes ne se multiplièrent dans les armées romaines qu'à mesure que la milice s'altéra. Les vrais soldats romains, les légionnaires, n'aimaient pas à combattre de loin : ils préféraient les mêlées corps à corps, où ils abordaient l'ennemi avec les armes offensives, piques, traits et glaives dont nous avons énuméré les différentes espèces ; mais ils ne s'exposaient pas nus à ses coups, et, tout en étant armés pour l'attaque, ils l'étaient aussi pour la défense. ARMES DÉFENSIVES. Dans l'origine, sous les noms de galea et cassis, on distinguait deux espèces différentes de casques : la galea était de peau ou de cuir, et la cassis de métal[39]. Mais on remarqua bientôt que le cuir ne protégeait pas la tête suffisamment ; on fit tous les casques de métal, et, dès le temps de Camille, il n'y en avait presque plus de cuir. Alors, sans tenir compte de l'ancienne distinction, on appela galea tous les casques indifféremment. Ils étaient d'une fabrication plus ou moins simple. Ceux qui se composaient du plus grand nombre de pièces avaient : 1° au sommet, le cimier auquel était attachée une crinière de cheval et plus souvent encore une aigrette de plumes ; 2° en avant et par derrière, une saillie pour protéger le front et la nuque ; 3° sous cette saillie, une visière percée de trous qui couvrait toute la figure ; 4° et, sur les côtés, les mentonnières qui, attachées par des charnières, pouvaient se lever et se baisser à volonté. Le cimier s'appelait conus (κώνος), ou mieux apex[40], et l'aigrette crista : l'apex et la crista étaient même quelquefois compris tous deux sous ce dernier terme. La visière s'appelait projectum, et les mentonnières bucculæ. La forme la plus simple du casque était le cudo : sans cimier et sans aigrette, il était attaché sous le menton par une courroie ; il était porté, nous dit Polybe[41], par un certain nombre de soldats romains armés à la légère. D'autres casques, aussi sans visière, mais avec des mentonnières, avaient, au lieu d'aigrette, un nœud ou un anneau au sommet : nous en voyons beaucoup de ce genre sur les colonnes impériales. Ceux des centurions avaient le cimier orné de plumes souvent très-hautes[42] : Cela contribuait, dit Polybe[43], à leur donner un air plus imposant et plus redoutable. Ceux des officiers supérieurs étaient généralement plaqués d'or et d'argent et travaillés avec le plus grand soin. Enfin, les porte-drapeaux, pour inspirer plus de terreur aux ennemis, recouvraient le leur de la peau de quelque bête féroce : c'est du moins ce que fait entendre Végèce[44] : Signiferi accipiebant galeas ad terrorem hostium ursinis pellibus tectas. Il y avait de même plusieurs espèces de boucliers : on distinguait le clypeus, le scutum et la parma. Le plus ancien des trois est le clypeus : c'est celui que les Grecs appelaient άσπίς ; son nom vient de γλύφω, scalpo, à cause des figures ordinairement gravées sur la surface : Scutis continebantur imagines unde et lumen habuere clypeorum ; non ut perversa grammaticorum subtilitas voluit, a cluendo[45]. Romulus le donna d'abord à ses soldats ; mais, après avoir vaincu les Sabins, il adopta le bouclier plus long nommé scutum. Cependant, le clypeus fut encore porté par quelques légionnaires jusqu'à l'époque où les citoyens commencèrent à recevoir une solde pour leur service à l'armée : c'est du moins ce que dit Tite-Live[46] : Clypeis antea Romani usi sunt ; deinde postquam stipendiarii facti sunt, scuta pro clypeis fecere. Il se composait de peaux de bœuf superposées[47], couvertes de plaques de métal. Quelquefois il était entièrement en bronze[48], et, dans quelques cas, le métal était placé sur de simples branches d'osier entrelacées[49] ; mais la forme était toujours la même : elle était tout à fait circulaire ; aussi Virgile la compare-t-il au disque du soleil : Argolici
clypei aut Phœbeæ lampadis instar ; et Ovide fait-il dire à Polyphème : Unum
est in medio lumen mihi fronte, sed instar Ingenda clypei[50]... A l'époque où fut introduite la solde militaire, comme
nous venons de le dire, ce bouclier rond fit place au scutum, bouclier oblong
que les Grecs nommaient θυρεός,
parce qu'il avait la forme d'une porte, et que les Romains appelèrent scutum à cause du cuir, σκΰτος, qui le couvrait. Polybe[51] en fait la
description : Ce bouclier, dit-il, est convexe, large de deux pieds et demi, long de quatre :
les plus longs ont une palme de plus. Il se compose de deux planches unies
par de la gélatine de taureau, et est recouvert, en dehors, d'abord d'une
toile, puis d'une peau de veau. Les bords en sont garnis, en haut et en bas,
d'une laine de fer qui le protège, en haut contre les coups de taille, et en
bas contre l'humidité de la terre, si on l'y dépose. Le centre se relève en
une bosse qui repousse le choc violent des pierres, des sarisses et de tous
les projectiles lancés avec force. Nous voyons par cette description
combien les Romains avaient apporté de soin et d'attention à consolider cette
arme : ils en avaient reconnu toute l'utilité, et Tite-Live, parlant des
flèches des Crétois[52], dit qu'elles ne
pouvaient percer le scutum à cause de sa force, ni atteindre aucune partie du
corps à découvert à cause de sa grandeur. Pour qu'il eût plus de force, on le
faisait de bois de figuier ou de sureau, parce que les ouvertures faites dans
ce bois se referment d'elles-mêmes, et qu'il est ainsi plus difficile à
pénétrer : Quorum plaga, dit Pline[53], contrahit se protinus, clauditque suum vulnus, et ob id
contumacius transmittit ferrum. Le scucum
était ordinairement orné de figures. D'abord les guerriers y représentèrent
les hauts faits de leurs aïeux : Terribilem
ostentans clypeum, quo patris et una Cælarat
patrui spirantes prœlia dira Effigies[54]..... ensuite on y grava certains signes, δείγματα[55], pour empêcher les différents corps de se confondre dans le tumulte du combat : enfin, et surtout dans les guerres civiles, on y inscrivit le nom des généraux. Tels étaient les boucliers de l'infanterie pesamment armée ; celui des troupes légères et des cavaliers se nommait parma[56]. D'abord, dit Polybe[57], ce bouclier était fait de peau de bœuf, et semblable aux gâteaux ovales employés dans les sacrifices[58]. Son peu de solidité le rendait incapable de résister aux coups de l'ennemi, et dès que la pluie ou la sueur l'avait amolli, déjà presque d'aucun usage auparavant, il ne servait dès lors absolument à rien. Aussi les Romains, très-habiles à modifier leurs coutumes pour adopter les meilleures, changèrent-ils promptement une arme réprouvée par l'usage. Ils la consolidèrent en lui donnant une forte carcasse de fer, et ce fut dès lors, comme nous le montre Polybe dans un autre chapitre[59], un bouclier d'une construction solide et assez grand pour couvrir ; il fut circulaire et eut trois pieds de diamètre. Outre ces boucliers principaux employés par les Romains, il y en avait quelques autres, dont se servaient les auxiliaires et les barbares, tels que la cetra, petit bouclier rond, couvert de peau, employé par les Africains, les Espagnols et les Bretons[60], et la parma threcidica, bouclier des Thraces, ayant à peu près la même forme que le scutum des Romains. Comme tous ces boucliers ne diffèrent pas beaucoup des trois espèces principales que nous venons de décrire, il serait fastidieux de nous y arrêter plus longuement. Passons aux cuirasses. Les premières cuirasses étaient de cuir, et de là leur nom général de lorica, a loris, dit Varron[61], quod de corio crudo pectoralia faciebant. Ce fut Servius Tullius qui emprunta aux Gaulois leurs cuirasses de métal, et alors les soldats eurent un plastron d'airain, que Polybe nomme καρδιοφύλαξ, pectorale. Puis on les fit de deux pièces de métal, distinctes, attachées l'une à l'autre par des boucles et des bretelles : les soldats qui s'en armèrent furent appelés loricati. Les officiers en eurent aussi de ce genre, mais perfectionnées : il n'y avait de boucles qu'à gauche de leurs cuirasses, tandis qu'à droite les deux pièces étaient jointes par une série de charnières traversées par une tige mobile, de sorte qu'on pouvait facilement les écarter et les rapprocher. Sur la colonne de Trajan on voit un grand nombre de soldats qui ont le corps entouré de cinq ou six bandes de gros cuir, revêtues de métal : leurs épaules sont aussi couvertes de trois ou quatre bandes pareilles qui descendent jusqu'à la première ceinture à laquelle elles sont attachées, et, sous toutes ces bandes, parait un corselet de cuir. On peut supposer, d'après les occupations auxquelles se livrent les soldats ainsi représentés, que cette armure appartenait aux fantassins pesamment armés. Les troupes légères en avaient une d'une seule pièce qui entourait tout le corps jusqu'à la ceinture, sans empêcher les mouvements. C'était une tunique de lin, lorica lintea (θώραξ λίνεος), formée d'une pièce d'étoffe plusieurs fois repliée sur elle-même, et trempée dans du vinaigre et du sel. Pline dit que ces sortes de tuniques résistaient au fer et au feu[62] : Lanæ et per se coactæ vestem faciunt, et si addatur acetum, etiam ferro resistunt, imo etiam ignibus[63]. Elles ressemblaient beaucoup à une autre tunique militaire appelée thoracomachus, qui était faite de laine et qu'on portait sous la cuirasse de métal dont le contact eût été trop rude, comme les chevaliers du moyen âge mettaient sous le haubert une camisole de laine nommée gambeson. Enfin il y avait des cuirasses qui se composaient d'une suite de lames de fer ou d'airain taillées en forme d'écailles, cousues sur un fond de cuir ou de toile, et glissant l'une sur l'autre pour se prêter aux mouvements du corps. Tantôt ces écailles étaient disposées de manière à imiter celles d'un poisson, λεπίδες, θώραξ λεπιδωτός[64] ; tantôt elles imitaient par leur forme celles du serpent, φολίδες, θώραξ φολιδωτός[65] ; quelquefois elles étaient disposées en forme de plumes, lorica plumata (Justin, XLI, 2)[66] ; et, dans certains cas, au lieu d'être cousues sur un pourpoint de cuir, elles étaient attachées entre elles au moyen d'anneaux ou d'hameçons de fil de fer : c'est ce qu'on appelait lorica serta ou hamis conserta[67]. Telle était, selon Silius Italicus[68], l'armure du consul Flaminius à la bataille de Trasimène : Loricam
induitur ; tortos huic nexilis hamos Ferro squama rudi permixtoque asperat auro. Ces différentes sortes de cuirasses, formées d'écailles, portaient le nom général de cataphracta, et nous avons vu dans le premier chapitre que les chevaux eux-mêmes en étaient quelquefois revêtus. Les lames de fer étaient alors cousues à une toile qui servait de housse au cheval et qui pendait jusqu'à ses pieds : c'est ainsi que Virgile dépeint le coursier de Chlorée : Spumantemque
agitabat equum, quem pallis ahenis In plumam squamis auro conserta
tegebat. Après les casques, les boucliers et les cuirasses, il ne reste dans l'armure défensive des Romains que la jambière, ocrea. Cette jambière couvrait le tibia depuis la cheville jusqu'un peu au-dessus du genou[69], elle était faite d'étain ou de bronze et souvent couverte d'ornements ; on l'attachait sur la partie postérieure de la jambe au moyen de cordes et de boucles. Une discussion s'est élevée entre quelques érudits pour savoir si les Romains en portaient aux deux jambes ; Tite-Live semble le dire : Arma his imperata, galea, clypeum, ocreæ, lorica, omnia ex ære[70]. Mais Arrien et Végèce[71] disent expressément que l'infanterie romaine n'en portait qu'une seule à la jambe droite ; car l'infanterie avait pour fonction de joindre tout de suite l'ennemi et de décider la bataille à la pointe de l'épée, la jambe droite étant dans ce cas portée en avant et seule exposée : 'Ρωμαίοις κνημίς μία τής κνήμης, ώς έν ταΐς μάχαις προσαλλομένης[72]. Il ne nous appartient pas de décider une pareille question : sub judice lis est. Quant aux brassards, manicæ, les soldats romains n'en portaient pas ; les archers seuls en avaient un au bras gauche, parce que cette partie de leur corps était particulièrement exposée et que la nature de leurs armes ne leur permettait pas l'usage du bouclier. Nous voyons, par cet exposé rapide, que les armes défensives des Romains n'étaient ni moins nombreuses ni moins travaillées que leurs armes offensives. |
[1] Paulus, Sent. recept., V, III, 2.
[2] Métamorphoses, II, 382.
[3] Lucain, Pharsale, I.
[4] Val. Flaccus, Argon., VI.
[5] Florus, II, 7.
[6] L. VI, ch. 21.
[7] Denys d'Halicarnasse, V.
[8] L. I, ch. 20.
[9] Tite-Live, IX, 13.
[10] Lucain, VII, 480.
[11] Végèce, III, 24.
[12] Silius Italicus, I, 318.
[13] Pline, VII, 57.
[14] Métamorphoses, X, 93.
[15] VI, 25.
[16] VI, 22.
[17] Tite-Live, XXXIV, 14 ;
Isidore, Orig., XVIII, 7, 8.
[18] Tacite, Germ., 6.
[19] César, Bel.
G., I, 26.
[20] Aulu-Gelle, X, 25 ; Tite-Live, XXXI, 29.
[21] Isidore, Orig., XVIII, VII, 7.
[22] Beaucoup d'auteurs n'emploient ce mot qu'au pluriel (Virgile, Cicéron).
[23] Tite-Live, VIII, 8.
[24] Végèce, II, 15 ; Tacite, Ann., XII, 35.
[25] Végèce, II, 15.
[26] Aulu-Gelle, X, 25 ; Isodore, Orig., XVIII, VI, 6.
[27] Martial, XIV, 32.
[28] Val. Maxime, III, V, 3 ;
Tacite, Hist., III, 68 ; I, 43.
[29] Polybe, VI, 23.
[30] Florus, II, 7, 9.
[31] Virgile, Æn., II, 449 ; X, 506 ; Tacite, Ann., II, 21.
[32] Quintilien, XI, 3, 140 ; Virgile, Æn., V, 314.
[33] Cicéron, Mil., 33 ; Ovide, Met., I, 718 ; IV, 726 ; V, 80.
[34] Plaute, Mil., II, 5, 51 ; Suétone, Claude, 15.
[35] Val. Maxime, III, 2, 12 ; Cicéron, Cat., II, 10 ; Isidore, Orig., XVIII, 6, 8.
[36] Juvénal, VIII, 248 ; Tite-Live, XXI, 11 ; Isidore, Orig., XVIII, 9, 11.
[37] Val. Maxime, III, 7, 2 ; Végèce, III, 24.
[38] César, Bel.
civ., III, 4.
[39] Tacite, Germ., 6 ; Isidore, Orig., XVIII, 14.
[40] Isidore, Orig., XVIII, 14, 2.
[41] Polybe, VI, 22.
[42] Végèce, II, 16.
[43] Polybe, VI, 23.
[44] Végèce, II, 16.
[45] Pline, XXXV, 4.
[46] Tite-Live, VIII, 8.
[47] Septemplicis, Virgile, Æn., XII, 925 ; Decimo orbe, Ovide, Met., XII, 97.
[48] Tite-Live, XLV, 33.
[49] Virgile, Æn., VIII, 625.
[50] Métamorphoses, XIII.
[51] Polybe, VI, 23.
[52] Tite-Live, XXXI, 19.
[53] Pline, VII, 17.
[54] Silius Italicus, VIII.
[55] Végèce, II, 18.
[56] Tite-Live, XXXI, 35 ; II, 20 ; XXXVIII, 21.
[57] Polybe, VI, 25.
[58] Arrien s'exprime de même.
[59] Polybe, VI, 22.
[60] Varron ap. Non. ; Serv. ad. Virgile, Æn., VII, 732 ; Tacite, Agricola, 36.
[61] Varron, L. L., IV.
[62] VIII, 73.
[63] Nepos, Iphicr., 1 ; Suétone, Galba, 19 ; Tite-Live, IV, 20, Arrien, Tact.
[64] Virgile, Æn., IX, 707.
[65] Ovide, Met., III, 63.
[66] Virgile, Æn., XI, 771.
[67] Nepos, Iphic., 1 ;
Virgile, Æn., III, 467 ; V, 259.
[68] Silius Italicus, V, 140.
[69] Varron, L. L., V, 116.
[70] Tite-Live, I, 43.
[71] Végèce, I, 20.
[72] Arrien.