Infanterie pesamment année ; infanterie légère ; cavalerie. — Des diverses sortes de fantassins et de cavaliers ; et de quelques dénominations qu'on leur appliquait en différentes circonstances. Dans l'origine, l'infanterie pesamment armée se divisait en trois corps bien distincts : les principes, les hastati et les pilani. Les principes étaient ainsi appelés parce que d'abord Ils occupaient la première ligne dans l'ordre de bataille ; mais ils ne gardèrent pas longtemps cette position, et ils furent placés entre les hastati et les pilani jusqu'à la fin de la république ; tout en conservant leur nom primitif. Nous ne savons pas au juste quelle était leur armure. Les hastati (soldats armés d'une lance), qui lès remplacèrent au premier rang dans l'ordre de batailles étaient les hommes les plus jeunes de l'armée. Leur costume ne changea jamais : car on les retrouve sur les arcs de triomphe tels que Polybe nous les dépeint, avec un casque, un vaste bouclier, une cuirasse en mailles, une épée au côté droit et une lance. Ces deux premiers rangs de soldats avaient un nom commun, antepilani, par opposition aux soldats du troisième rang nommés pilani. Ceux-ci tenaient leur nom du lourd javelot, pilum, dont ils étaient munis. Mais quand le pilum fut donné indistinctement aux trois divisions, le nom de triarii fut substitué à celui de pilani, dont il devint synonyme[1]. Pourquoi les appela-t-on alors triarii ? Est-ce à cause de la position qu'ils occupaient dans l'ordre de bataille, où ils formaient la troisième ligne, raison que donne Tite-Live ? Ou bien est-ce parce que ce corps était composé d'hommes d'élite pris dans les trois classes de la population romaine qui fournissaient des soldats pesamment armés, raison que donne Niebuhr ? Nous préférons, quant à nous, l'explication de l'historien latin. L'armure de ces triaires se composait d'un casque de bronze à haut cimier, d'une cuirasse, d'un grand bouclier, d'une épée courte et pointue et du lourd javelot ou pilum[2] ; aucun monument ne nous en a laissé l'image. Vers les derniers temps de la république cette ancienne distinction entre les soldats appelés hastati, principes et triarii fut abandonnée. Alors tous les fantassins de la légion furent réduits à l'uniformité de rang et d'équipement, et voici quelles étaient, sous l'empire, les armes des soldats légionnaires, legionarii. Un casque enveloppait leur tête en la serrant ; ils portaient au côté droit une épée suspendue à l'épaule par un baudrier (balteus) ; leur bras gauche soutenait un bouclier en forme de carré long (scutum), et leur poitrine était défendue par une cuirasse formée de plaques flexibles de métal (lorica) ; enfin ils avaient aux pieds de ces bottines qu'on nommait caligæ. Nous voyons du moins sur les arcs de Trajan et de Septime Sévère, sur les colonnes de Trajan et d'Antonin, des hommes en troupes nombreuses représentés avec ce costume et occupés à remplir les divers services auxquels pouvaient être assujettis les soldats de la légion. Derrière l'infanterie pesamment armée, sur ses côtés, et quelquefois même entre ses différentes lignes, se trouvaient divers corps d'infanterie légère, levis armatura[3]. Les velites (γροσφομάχοι) remplissaient le rôle de nos tirailleurs d'aujourd'hui. Ils n'étaient pas comptés dans la légion proprement dite et n'occupaient pas de place déterminée dans l'ordre de bataille : ils combattaient par petits groupes entre les bataillons d'infanterie et les escadrons de cavalerie partout où se faisait sentir le besoin de leurs services. Ils n'avaient pas d'autre armure de corps qu'un casque de cuir sans cimier (galea, cudo) ; mais ils étaient munis d'un bouclier rond (parma), d'une courte épée espagnole (gladius hispanicus), et de plusieurs lances à bois long et à fer très-aigu (hasta velitaris) destinées à servir de projectiles, et peu propres pour combattre de près[4]. Les ferentarii ne combattaient pas de près non plus, car on ne leur donnait aucune arme défensive, et, en fait d'armes offensives, ils n'avaient que celles qui se lançaient de loin, quæ ferrentur, non quæ tenerentur. Dans l'ordre de bataille ils étaient donc postés sur les ailes pour commencer l'attaque par une décharge générale de traits, ou quelquefois au milieu des lignes pesamment armées pour inquiéter l'ennemi[5]. Les rorarii, autres soldats armés à la légère, étaient placés derrière les triaires[6], mais non à poste fixe ; ils s'avançaient souvent entre la première et la seconde ligne de l'infanterie légionnaire pour arrêter l'attaque des ennemis[7]. Les grammairiens font venir le nom de ces soldats de rores, gouttes de pluie, parce que leurs traits tombaient sur l'adversaire aussi nombreux que les gouttes de pluie qui tombent du ciel. Les rorarii étaient nus jusqu'à la ceinture et avaient pour arme défensive un bouclier rond. Derrière eux, et formant la dernière ligne, venaient les accensi. C'étaient, dans l'origine, des soldats surnuméraires destinés à remplir les vides des légions. A vrai dire, ils n'avaient ni armure, ni armes offensives ; leurs poings et des pierres étaient leurs seuls moyens d'attaque et de défense, pugnis et lapidibus depugnabant. Comme les accensi étaient simplement vêtus d'une tunique, sans armure défensive, on les appelait aussi velati, et ce nom de velati désignait d'une manière générale les surnuméraires qui accompagnaient les troupes pour remplacer les tués ou les blessés. Parmi ces velati étaient les funditores, frondeurs (σφενδονήται). Ils n'avaient aucune arme si ce n'est leur fronde avec laquelle ils devaient inquiéter l'ennemi, en quelque endroit du champ de bataille qu'ils fussent. La différence entre eux et les accensi consistait donc uniquement en ce qu'ils se servaient de cette fronde pour lancer leurs pierres, tandis que les autres ne se servaient que des mains pour les jeter[8]. Les funditores étaient tirés de la cinquième classe du cens de Servius ; mais il y en avait aussi de nations étrangères. Il en était de même des archers, sagittarii. Comme l'arc n'était pas chez les Romains une arme nationale, c'étaient les alliés qui fournissaient en général ces corps d'archers, nommés le plus souvent sagittarii, et quelquefois arquites. Les alliés fournissaient aussi aux armées romaines des soldats armés du javelot, jaculatores, appelés ainsi du dard, jaculum, dont ils se servaient. Ils commençaient souvent la bataille[9]. Tels étaient donc les soldats de l'infanterie : 1° infanterie pesamment armée, divisée en trois corps jusqu'au temps de Marius, hastati, principes, triarii, et réunie en un seul et même corps à cette époque ; 2° infanterie légèrement armée, levis armatura, formée des velites, des ferentarii, des rorarii, des accensi, des funditores, des sagittarii et des jaculatores. Vient ensuite la cavalerie. Dans l'origine, lors de l'institution de l'ordre équestre par Romulus, cet ordre fut composé de trois cents hommes ayant un cheval et nommés celeres. Ils furent choisis parmi les trois cents familles patriciennes, et formèrent ainsi le noyau de la cavalerie romaine. Avec le nombre des légions leur nombre fut augmenté et on les appela bientôt equites, chevaliers. Les chevaliers formèrent plus tard un ordre séparé dans l'État et se distinguèrent des autres citoyens par l'anneau d'or qu'ils portèrent au doigt. Ils acquirent peu à peu de grandes prérogatives, et finirent par se soustraire au service militaire, trouvant plus commodes et plus lucratives les places civiles qu'ils purent remplir à Rome. Les chevaliers disparurent ainsi des armées même avant la fin de la république, ce qui fait que nous ne pouvons pas savoir quelles ont été leurs armes, puisque les monuments romains qui nous représentent des batailles sont postérieurs à cette époque. Ils furent remplacés par de simples plébéiens qui pouvaient se procurer un cheval et qui se faisaient admettre dans la cavalerie pour éviter la fatigue plus grande du service de fantassin : nous en voyons beaucoup sur les colonnes de l'époque impériale ; leur arme offensive est la lance ; ils portent pour armes défensives un casque, une cuirasse à écailles et un petit bouclier rond. Mais la plus grande partie de la cavalerie fut de tout temps fournie par les alliés, et dans l'ordre de bataille les cavaliers ordinaires de Rome avec ceux des alliés étant toujours placés sur les ailes, on leur donna le nom général de equites alarii. En opposition à ces equites alarii on appelait equites legionarii des cavaliers pesamment armés comme les fantassins de la légion. Nous voyons en effet sur la colonne de Marc-Aurèle qu'il y avait une classe de troupes romaines à cheval portant une cuirasse exactement semblable à celle des légionnaires de la même période[10]. Il faut donc voir dans les equites legionarii des cavaliers d'élite. Il en était de même des equites extraordinarii ; mais ceux-ci étaient choisis dans la cavalerie des alliés, on en formait un corps distinct au service des consuls[11]. Dans cette cavalerie des alliés il devait y avoir des archers, equites sagittari, car nous en voyons représentés sur la colonne de Marc-Aurèle. Elle renfermait aussi des equites contarii ou contati (κοντόφοροι), ainsi appelés parce qu'ils étaient armés de la longue pique appelée contus. Quant aux cataphracti equites, c'étaient des cavaliers revêtus entièrement eux-mêmes, ainsi que leurs chevaux, de lames de fer ou d'airain taillées en façon d'écailles. Salluste, Tite-Live, Justin et Tacite en parlent, mais à l'occasion de peuples étrangers : cette sorte d'armure ne passa donc que très-tard à la cavalerie romaine, et c'est dans l'armée de Julien, en Gaule, qu'Ammien Marcellin en fait voir pour la première fois[12]. Du temps de Végèce ils étaient très-connus ; mail Végèce porte sur eux un jugement peu favorable : Ils sont, dit-il, à couvert des blessures, mais le poids et l'embarras de leurs armes les font prendre facilement... En dehors de l'infanterie et de la cavalerie se trouvaient des corps de soldats spéciaux, tels que les tragularii, dont la fonction était de lancer à l'aide de quelque machine de guerre les projectiles appelés tragulæ, et les cunicularii, qui, dans les travaux d'une campagne, étaient employés aux mines (cuniculus, ύπόνομος). Les cunicularii répondent à nos termes français de sapeurs et de mineurs. Quelquefois cependant on donnait ce nom aux soldats qui s'introduisaient par la mine dans l'intérieur d'une place. Enfin, en dehors des légions et des armées régulières, nous voyons, après la république, une petite armée de soldats d'élite qui étaient les gardes du corps des empereurs : on les appelait les prætoriani. Ils avaient été créés et organisés par Auguste à l'imitation de la cohorte prétorienne, cohors prætoriana, beaucoup plus ancienne, et avec laquelle il ne faut pas les confondre. Ils occupaient un camp d'une manière permanente aux portes de Rome. On croit en voir représentés quelques-uns, soit à pied, soit à cheval, equites prætariani, sur la colonne de Trajan. Constantin les supprima et détruisit leur camp, et après cette suppression les empereurs prirent pour gardes un corps de barbares organisé sous le nom de scutarii[13]. Dans l'intérieur de Rome, à côté des prætoriani, étaient les vigiles, divisés en sept cohortes, sous le commandement d'un préfet (nyctostrategus). Ils avaient pour fonction de maintenir pendant la nuit la paix dans la cité, de protéger les citoyens et leurs propriétés contre le meurtre, le vol ou l'incendie[14]. Mais ces vigiles, qui remplissaient les fonctions de nos sergents de ville et de nos pompiers, ne doivent pas être considérés comme faisant réellement partie de l'armée. Nous avons essayé d'énumérer les principaux genres de soldats connus chez les Romains. On trouve dans les auteurs beaucoup d'autres dénominations, mais elles s'appliquent à ces mêmes soldats et ne désignent pas des troupes d'une espèce particulière : nous donnerons ici sur ces diverses dénominations quelques explications qui éclairciront singulièrement les chapitres suivants. On appelait gregarii milites les simples soldats d'infanterie, par opposition à leurs supérieurs[15], et gregarii equites les simples soldats servant dans la cavalerie[16]. Ceux qui avaient les mêmes quartiers et qui vivaient ensemble sous la même tente étaient désignés sous le nom de contubernales. Les soldats de garde s'appelaient vigiles et excubitores. Les vigiles étaient des sentinelles qui montaient la garde de nuit aux avant-postes d'une armée, tandis que le terme d'excubitores s'appliquait indistinctement à ceux qui montaient la garde le jour ou la nuit. Quant aux circitores, c'étaient les soldats de ronde qui devaient voir si toutes les gardes étaient régulièrement montées[17]. On appelait alarii des corps entiers, composés d'infanterie et de cavalerie, formés de contingents fournis par les alliés, et placés sur les ailes d'une armée romaine[18]. L'arrière-garde, les troupes qui fermaient la marche, recevaient le nom de coactores[19]. Les soldats rangés sur les deux premières lignes derrière les étendards se nommaient postsignani[20], et l'on appelait au contraire antesignani les plus braves et les meilleurs soldats de la légion, qu'on plaçait immédiatement devant les enseignes pour les empêcher d'être prises par l'ennemi[21]. Les antesignani étaient donc des soldats d'élite ils n'étaient pas les seuls. Quand les légionnaires avaient servi tout le temps imposé par les lois, ils étaient délivrés du service militaire, ils étaient menti ; mais ces emeriti pouvaient s'enrôler de nouveau comme volontaires, et alors, sous le nom d'evocati, ils étaient considérés comme les premiers et les plus aguerris de toute l'armée[22]. Les options, comme l'indique leur nom, étaient aussi des soldats d'élite qui aidaient les officiers dans leurs fonctions, et qui quelquefois remplaçaient tout à fait leurs supérieurs, quand ceux-ci étaient blessés ou malades[23]. Les officiers choisissaient également parmi leurs meilleurs soldats leurs tesserarii. On appelait tesserarius l'ordonnance qui recevait des mains du chef la tablette, tessera, portant le mot de passe ou l'ordre d'action, et qui la faisait parvenir dans toute l'armée[24]. Il ne faut pas confondre ces tesserasii avec les speculatores. On désignait en général sous le nom de speculatores tous ceux qui jouaient le rôle d'éclaireurs, mais plus particulièrement un petit nombre d'hommes attachés à chaque légion romaine pour agir comme aides de camp des généraux, et transmettre leurs ordres de vive voix aux différents corps de l'armée, soit au milieu des batailles, soit au milieu des camps[25]. Quant aux officiers dont les optiones, les tesserarii et les speculatores étaient les aides et les interprètes, nous parlerons d'eux plus tard quand nous nous occuperons des divisions de l'armée et de leurs chefs. Nous avons à examiner maintenant les armes diverses que portaient les différents soldats dont nous venons de parler. |
[1] Varron, L. L., V, 89 ;
Ovide, Fast., II, 129.
[2] Tite-Live, VIII, 8.
[3] Végèce, I, 20.
[4] Tite-Live, XXX, 33 ; XXXVIII, 21 ;
Polybe, VI, 22.
[5] Tacite, Ann., XII, 35
; Salluste, Catilina, 80.
[6] Tite-Live, VII, 8.
[7] Tite-Live, VIII, 8, 9.
[8] Salluste, Jug., 99 ; Végèce, I, 20.
[9] Tite-Live, XXI, 21 ; XXXVI, 18.
[10] Végèce, II, 1.
[11] Tite-Live, XL, 31 ; XXXIV,
47.
[12] L. XVI, 12.
[13] Ammien Marcellin, XX, 4.
[14] Cicéron, Verrès, II.
[15] Tacite, Hist., V, 1.
[16] Tacite, Hist., III,
51.
[17] Végèce, III, 8.
[18] Cicéron, Fam., II, 17 ;
César, Bel. G., I, 51.
[19] Tacite, Hist., II, 88.
[20] Frontin, Strat., II, 3, 17 ;
Ammien Marcellin, XXIV, 6.
[21] César, Bel. civ., I, 57 ;
Tite-Live, XXII, 5 ; IX, 39.
[22] Val.-Maxime, VI, 1, 10 ;
Tacite, Ann., I, 78.
[23] Végèce, II, 7.
[24] Tacite, Hist., I, 25 ;
Végèce, II, 7.
[25] Tacite, Hist., I, 25.