DE LA MILICE ROMAINE

 

PRÉFACE.

 

 

Lorsqu'on entend parler si souvent des soldats romains, on est porté à croire que de toute l'antiquité romaine la milice est la partie la plus connue. Cependant il reste sur cette milice un grand nombre de points à éclaircir : personne ne l'a encore étudiée dans toutes ses parties, personne n'a encore formé sur ce sujet un corps complet de doctrine.

Ce n'est pas que l'érudition moderne ait dédaigné cette importante question. Nous avons de Juste Lipse des traités de Militia romana, Poliorceticon, et des commentaires précieux sur Tacite ; de Saumaise, un ouvrage de Re militari ; de Sigonius, d'excellentes scholies sur Tite-Live ; de Machiavel, des Discours politiques sur le même historien ; de Guischardt, des Mémoires militaires sur les Grecs et les Romains, et des Mémoires critiques sur plusieurs points d'antiquités militaires contenant l'histoire détaillée de la campagne de J. César en Espagne ; de Folard, un très-long commentaire en six volumes in-8° sur l'histoire de Polybe ; de Le Beau, vingt-six dissertations sur les légions romaines, etc., etc. Nous voyons dans tous ces ouvrages des articles bien discutés, des conjectures heureuses ; mais, tous ensemble, ils ne forment pas encore un système suivi et complet ; ils ne nous donnent pas une connaissance exacte de la milice romaine aux différentes époques de son histoire.

Si nous recourons aux auteurs anciens qui ont écrit sur le même sujet, nous ne trouvons chez eux que des renseignements peu nombreux. Un fragment du sixième livre de Polybe est sans contredit le monument le plus précieux qui nous reste. Hygin, qui vivait au temps d'Adrien, nous a laissé une description exacte du campement des armées : tout à fait différente de celle de Polybe, elle nous montre combien la milice avait dans cet intervalle éprouvé de grands changements. La Tactique d'Arrien, qui traite principalement de l'ordonnance des Grecs, fournit pourtant sur les exercices de la cavalerie romaine un morceau assez étendu qui peut être de quelque utilité. Les Stratagèmes de Frontin ne sont qu'une collection informe de faits et de ruses de guerre. Végèce, dans son Art militaire en quatre livres, fait des emprunts si maladroits aux traités de Caton l'Ancien, de Trajan et d'Adrien, malheureusement perdus pour nous, il confond tous les temps et les institutions des diverses époques avec tant de facilité, que nous devons le consulter avec une grande prudence. Le livre de Modestus n'est qu'une copie grossière de quelques pages de Végèce ; et quant aux mémoires militaires des empereurs Maurice et Léon, et de Constantin Porphyrogénète, ils parlent d'une époque qui ne doit guère nous occuper.

Ce petit nombre d'auteurs anciens qui ont écrit sur la milice romaine n'a donc pas pu nous suffire. II a fallu puiser des documents certains aux sources véritables, lire attentivement les grands historiens, Tacite, César, Tite-Live... Les orateurs, les poètes eux-mêmes ne nous ont pas été inutiles : certaines phrases, certains vers, ayant rapport à quelque institution militaire, nous ont parfois appris ce que nous n'aurions pu trouver ailleurs. Le Digeste et les Inscriptions ont encore été pour nous des sources fécondes. En un mot, pour former sur notre sujet un corps complet de doctrine, il nous a fallu non-seulement tenir compte des immenses recherches de l'érudition et de la critique moderne, mais encore mettre à contribution presque tous les auteurs latins de la république et de l'empire,

Si nous avons entrepris un tel travail c'est que nous pensons qu'il peut être utile. Pour prouver cette utilité, il nous suffira, dans un chapitre préliminaire, de jeter un coup d'œil sur l'histoire générale de Rome, et d'indiquer brièvement l'importance du rôle historique de la milice romaine.