Goullin, secrétaire du représentant Philippeaux. — Sa conduite au moment du siège de Nantes. — Réorganisation du Comité de salut public. — Lettre de Goullin à ce Comité. — Menaces contre les Nantais. — Situation de la ville de Nantes. — Renouvellement des administrations. — Influence de Goullin dans cette affaire. — Goullin, notable de la Municipalité. — Etablissement du Comité révolutionnaire. — Appréciation des contemporains sur les membres appelés à en faire partie. — Pouvoirs des Comités révolutionnaires. — Action prépondérante de Goullin dans celui de Nantes.Volontairement ou non Goullin avait abandonné sa place au mois d'août 1793, car le 15 de ce mois, il obtenait un passeport pour se rendre à Tours en qualité de secrétaire du représentant Philippeaux. Goullin affirme, dans le mémoire déjà cité, qu'il fit son devoir le jour de la Saint-Pierre (29 juin 1793), lors de l'attaque de Nantes par les Vendéens. Il défie de trouver des témoins capables de dire qu'il fallut le tirer de force de son domicile. L'huissier Verneuil, qui avait fait courir ce vilain bruit, était lieutenant dans le bataillon Cincinnatus[1], et sa parole vaut celle de Goullin affirmant qu'il vola l'un des premiers sur la place Cincinnatus (Duchesse-Anne), et, de là, à la redoute du Bourg-Fumé. Mais quand ce point resterait obscur, l'inconvénient serait mince, puisqu'on sait déjà que ce n'est point les armes à la main que Goullin prétendait servir son pays. Il est prouvé d'ailleurs que, ce jour-là, il commanda une patrouille[2]. Mieux valait être secrétaire d'un Représentant en mission que sergent, même major, et Goullin en fit l'expérience. Plus tard, ou peut-être en même temps, car Gillet fut à Nantes le collaborateur de Philippeaux, il fut aussi le secrétaire de Gillet[3]. Les Représentants avaient alors la puissance souveraine, les pouvoirs illimités, et l'on arrivait à tout quand on savait leur plaire. Un arrêté du 29 septembre 1793, signé Philippeaux, Gillet et Ruelle, avait réorganisé, sous le titre de Comité de surveillance, un Comité de salut public, créé au mois d'août, et qui n'avait pas agi avec la vigueur désirée. L'arrêté du 29 septembre 1793, fut certainement libellé et signé[4] ; l'installation de ce second Comité eut lieu le jour même de son institution, par les soins de Gourlay, membre du Département[5], mais il ne reste aucune trace de ses délibérations, et si l'on se reporte aux procès-verbaux du Comité révolutionnaire définitif, de celui qui s'est rendu fameux par ses crimes, et qui tint sa première séance le 11 octobre 1793, il semble que ce dernier Comité succédait directement à celui du mois d'août. Néanmoins, c'est bien le Comité du 29 septembre que Goullin accusa d'avoir, avant lui, proposé de grandes mesures de destruction[6], car en ce moment il interpellait directement Goudet, et Goudet, devenu accusateur public, n'a jamais été membre d'un autre Comité que de celui du 29 septembre. Ce serait donc aux membres du Comité du 29 septembre, à ceux que Goullin allait peu après remplacer, qu'il écrivait une lettre ainsi conçue, datée du 5 octobre 1793, et qui a été plusieurs fois imprimée : Aux intrépides Montagnards, composant le Comité de surveillance de Nantes. Le sans-culotte, secrétaire de la Commission Nationale, Goullin : Les Représentants me remettent les pièces ci-jointes que je m'empresse de vous faire passer ; examinez, et surtout agissez roide et vite ; frappez en vrais révolutionnaires, sinon je vous réprouve. Le carreau populaire vous est dévolu, sachez en user, ou vous êtes, ou, pour mieux dire, nous sommes foutus. Vous manquez, me dites-vous, de bras exécuteurs ; parlez, demandez, et vous obtiendrez tout : force armée, commissaires, courriers, commis, valets, espions, or même, s'il en était besoin ; dites un mot, encore une fois, et je suis garant que vous serez servis sur les deux toits. Adieu à tous, je vous aime, et vous aimerai toujours[7]. Cette lettre, que l'on peut regarder comme le premier coup de tocsin de la terreur à Nantes, resta sans effet, parce que les Représentants refusèrent de couvrir de leur autorité des mesures extraordinaires, mais elle montre bien l'homme gonflé de sa nouvelle importance et que réjouit l'idée d'écraser des compatriotes qui le méprisent. Le carreau, c'était la foudre. Goullin, qui se piquait de savoir ses auteurs, connaissait le vers de Boileau : Du tonnerre dans l'air bravant les vains carreaux. Quel crime avait commis la ville de Nantes dont la République eût alors à se plaindre ? La liberté des sans-culottes, la seule qui pût exister en 1793, était-elle menacée ? Le régime républicain était-il contesté ? Les Vendéens étaient-ils sur le point de prendre leur revanche de leur échec du jour de la Saint-Pierre[8] ? Non ; la situation depuis plusieurs mois était la même ; mais il y avait dans la ville deux courants d'opinion qui avaient leur source au club de la Halle et au club Saint-Vincent. Le premier de ces clubs était composé de gens qui trouvaient bon d'arrêter la Révolution parce qu'ils occupaient les Administrations ; le second était la réunion des violents et des besogneux qui naturellement voulaient les places des autres. Nantes souffrait de la disette ; les prisons étaient encombrées de détenus, dont la punition semblait trop lente à l'impatience de quelques-uns, et, comme dans tous les temps, la satisfaction suprême des gens qui n'ont rien, qui ne sont rien, a été de dépouiller ceux qui possèdent et de devenir quelque chose, il fallait mettre en jeu le carreau populaire. Il est bon de le dire aussi, la Révolution marchait, et la ville de Nantes n'était pas tout à fait à l'unisson du club des Jacobins, devenu le grand régulateur de l'opinion. Les membres des diverses Administrations de Nantes étaient pour la plupart issus du parti girondin, et, bien qu'ils fussent venus à la barre de la Convention faire amende honorable de leur fédéralisme, le 2 août 1793, les Montagnards de Nantes se firent une arme contre eux d'un décret qui ordonnait le renouvellement des corps administratifs dans les départements où ils étaient entrés en lutte ouverte avec la Convention[9]. Gillet et Philippeaux ne s'étaient point encore aperçus le 23 septembre 1793 que ce décret concernait les Administrations de Nantes, et, à cette date, ils félicitaient, par une lettre écrite de la main de Goullin, les membres du Département de leur zèle à établir des ateliers de chaussures militaires[10]. Méaulle, Gillet et Ruelle auraient même reconnu que le décret ne s'appliquait point aux fonctionnaires de Nantes, mais, comme le dit très bien Phelippes, les faux patriotes étaient alors avides de places et d'autorité ; leurs vociférations toujours renouvelées emportèrent enfin la destitution des administrateurs[11]. Goullin, selon M. Guépin, joua un grand rôle dans cette affaire ; lié avec Philippeaux, il profita de cette circonstance pour écarter du club Vincent un grand nombre de patriotes très ardents, mais trop fermes pour se laisser diriger par lui. Ne pouvant détruire leur autorité, car ils appartenaient à la nuance victorieuse, il les relégua à la mairie, bien sûr que son influence à la société populaire s'en accroîtrait ; ce qui eut lieu[12]. Quant à son influence dans la ville, il ne pouvait trouver un meilleur moyen de l'établir que de faire chasser des autres administrations tous les citoyens importants de la nuance girondine, et de les faire remplacer par des montagnards dociles. Il n'était plus de mode de réunir le peuple dans ses comices ; le bon plaisir des représentants servait de scrutin pour les places électives, et, dans les jours où Goullin se disait en mesure de disposer du carreau populaire, les membres du Directoire et du Conseil de département, les officiers municipaux, les membres du Conseil de la Commune et les notables, le procureur-syndic et le procureur de la Commune, en un mot, tous les élus du mois de décembre 1792, sauf deux ou trois, étaient destitués et remplacés[13]. Afin d'avoir un pied dans les affaires de la Commune, Goullin s'était fait nommer notable. Dans le procès-verbal de la séance d'installation de la Municipalité on lit : Procédant à l'appel nominal de nouveaux maire, procureur de la Commune, substitut, officiers, municipaux et notables, il ne s'est trouvé présents que les citoyens Testé, Goullin, notables, et Barre, substitut du procureur de la Commune, partie des membres n'ayant pas reçu leurs billets de convocation ou se trouvant en expédition militaire. Goullin était parfaitement instruit de l'heure de la séance, et il n'était point en expédition militaire. Goullin, vivant dans l'intimité des représentants avec son ami Chaux, qui, lui aussi, avait suivi Philippeaux dans sa mission, en qualité de secrétaire, ne pouvait se contenter des modestes fonctions de notable de la Municipalité. La loi du 17 septembre 1793, dite Loi des suspects, avait démesurément accru les attributions des Comités de surveillance, et l'exercice de ces attributions tenta Goullin et Chaux. A l'exception de Bachelier qui n'était point gênant à cause de sa faiblesse, et qu'ils conservèrent avec eux, tous les membres du Comité de surveillance du 29 septembre furent envoyés dans des postes administratifs, et Goudet qui avait quelque importance fut réservé pour le poste d'accusateur public, devenu vacant par la mise en arrestation de Villenave[14]. L'arrêté instituant le nouveau comité fut signé par Gillet et Ruelle, le II octobre 1793, et l'installation eut lieu le même jour. Chaux était un ami, Bachelier ne pouvait être qu'un collaborateur docile ; les autres membres étaient des nullités. Goullin avait ainsi le Comité dans la main. Ces citoyens, d'après le dire de Minée, l'ancien évêque constitutionnel, devenu plus tard président du Département, étaient bien famés dans la Société populaire[15], mais des témoins, plus dignes d'être écoutés, ont assuré que les citoyens estimables, en voyant le Comité ne se former que d'hommes immoraux et réprouvés par l'opinion publique, avaient prévu d'avance tous les maux dont Nantes fut depuis accablée[16]. Les pouvoirs des Comités révolutionnaires, tels qu'ils étaient reconnus par la loi, comportaient en effet l'exercice de l'arbitraire le plus exorbitant. Ces comités étaient chargés de dresser la liste des gens suspects, de décerner contre eux les mandats d'arrêts, et de faire apposer les scellés sur leurs papiers. Les commandants de la force publique, à qui étaient remis ces mandats, étaient tenus de les mettre à exécution sur le champ, sous peine de destitution[17]. Les catégories de suspects étaient si nombreuses, qu'aucun citoyen, si petit ou si grand qu'il fût, s'il n'était pas Représentant du peuple, ne pouvait se flatter de n'y être pas compris. C'est Goullin, le fait est notoire, qui a mené le Comité ; je ne l'ai présidé que rarement, dit Bachelier, c'est Goullin qui était le dominateur, et l'un des chefs d'accusation qu'on peut porter contre Carrier, c'est d'avoir placé dans le Comité un homme qui l'influençait, le despotisait, le tenait sous la verge de fer du Représentant[18]. Il eût été plus exact de dire que Carrier avait laissé Goullin dans le Comité, car ce n'était pas Carrier qui l'y avait mis ; mais le témoignage de Bachelier est presque inutile, en présence de l'aveu fait par Goullin lui-même : J'avoue de bonne foi que c'est moi qui conduisais presque tous les travaux du Comité[19]. — Je ne puis dissimuler, dit-il ailleurs, que j'en étais l'agent principal[20]. Ce serait une exagération de prétendre avec Carrier que Goullin et Chaux ont été les auteurs de toutes les injustices par lui commises[21], mais la suite de ce récit montrera que Goullin agit souvent par lui-même d'une façon non moins cruelle que Carrier. Chaux, qui avait bien quelques raisons de ne pas trop charger son camarade, est allé jusqu'à dire aux juges : Goullin vous paraît couvert de crimes, Goullin vous paraît un monstre ; ce qui était parfaitement vrai, quoiqu'il ne tînt ce propos que pour l'excuser, en ajoutant : Si Carrier paraissait ici, vous auriez de l'indulgence pour Goullin[22]. |
[1] Almanach Despilly, 1793, p. 77. Mellinet, La Commune et la Milice de Nantes, t. VII, p. 25.
[2] Procès des Nantais, Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 84.
[3] Secrétaire de Philippeaux : Bulletin, VII, 44 ; de Gillet, VI, 382, déposition de Baudet.
[4] Archives Nationales, sect. du Secrétariat AF, II, 115.
[5] Registre du Conseil de Département, f° 60. (Archives départementales.)
[6] Notes manuscrites de Villenave sur les débats du procès du Comité. (Collection de M. Gustave Bord.)
[7] Pièces remises à la Commission des Vingt et un, p. 55.
[8] Ce n'est que le 13 octobre 1793, que l'on sut à Nantes que les rebelles avaient repris sérieusement l'offensive, en s'emparant de l'île de Noirmoutiers et en chassant de Châtillon l'armée de Saumur, et le 17 octobre, que l'on fut instruit de la prise de Varades. Le 19 octobre, un des membres de la Commission départementale annonça que Carrier venait d'arriver et qu'il disait avoir, avec cent hommes, balayé la rive gauche de la Loire de Beaupreau à Nantes ; qu'il y avait eu un combat très sanglant à Beaupreau et que la victoire était complète. Registre de la Commission départementale, f° 84 et 93.
[9] Ce décret est seulement indiqué dans la collection de Duvergier à la date du 27 août 1793, VI, 74, et n'est pas mentionné au Moniteur.
[10] Archives départementales.
[11] Noyades et fusillades, par Phelippes-Tronjolly, Paris, an III, Ballard, p. 101.
[12] Histoire de Nantes, p. 453.
[13] Les deux arrêtés sont datés du 10 octobre 1793 ; ils furent notifiés le même jour, par Philippeaux et Méaulle au Conseil de Département, et par Gillet et Ruelle au Conseil général de la Commune. Registres de ces Administrations, à la date. (Archives municipales et départementales.)
[14] Villenave fut emprisonné aux Saintes-Claires, le 10 septembre 1793. Registre d'écrou, f° 71.
[15] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 327.
[16] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VII, n° 13, p. 50. Déposition d'Alexis Mosneron.
[17] Art. 3 de la loi du 17 sept. 1793. Duvergier, Collection de lois, VI, 172.
[18] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 279 et 338.
[19] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 360.
[20] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, n° 100, 399.
[21] Paroles de Carrier répétées par le témoin Mosneron, Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VII, 52.
[22] Bulletin du Tribunal révolutionnaire, VI, 339.