JEAN-BAPTISTE CARRIER

 

CHAPITRE V. — DÉBUTS DE LA MISSION À NANTES.

 

 

Les membres de la Montagne généralement disposés à la cruauté envers les royalistes vaincus. — Carrier ; Barère ; Saint-Just. — Proclamation du Comité de Salut public et des représentants en mission dans l'Ouest excitant les armées aux massacres. — Carrier exécuteur des exterminations voulues par ses collègues. — La guillotine permanente à Nantes longtemps avant l'arrivée de Carrier. — Impuissance de l'opposition des royalistes habitant la ville, et, par conséquent, inutilité des persécutions dirigées contre eux. — Absurdité des mesures de terreur dirigées contre les fédéralistes qui formaient l'immense majorité des partisans du système républicain. — Véritables causes du redoublement et de l'extension de la Terreur à Nantes, au mois d'octobre 1793. — Les divisions du parti républicain dans les Sociétés populaires. — Chaux, Goullin, Forget. — Leur influence sur le choix du personnel des administrations et du Comité révolutionnaire. — Débuts du Comité révolutionnaire. — Fermeture du club de la Halle. — Compagnie Marat. — Carrier, en arrivant à Nantes, a trouvé un personnel et des institutions pour terroriser les Nantais sans opposition possible de leur part.

 

Carrier arrivait à Nantes dans un état d'esprit qu'on pourrait qualifier de manie homicide, puisqu'il ne voyait partout que grands coupables à punir, et que, pour lui, punir, c'était tuer par tous les moyens. Mais cet état d'esprit, dont on lui a fait un crime plus tard, ne lui était pas particulier. Tous les membres de la Montagne étaient, à des degrés divers, acharnés à la destruction des vaincus un peu par esprit de vengeance, mais surtout parce que la terreur était le moyen le moins dangereux et le plus facile d'assurer le maintien de leur tyrannie. Si Carrier 'avait, naturellement, le goût des représailles cruelles, les excitations à répandre le sang lui venaient d'assez haut pour qu'il ne pût pas s'inquiéter de se les voir jamais reprocher.

Parlant au nom du Comité de Salut public, Barère avait dit, le 5 septembre 1793 : Plaçons la terreur à l'ordre du jour, c'est ainsi que disparaîtront ces royalistes et ces modérés. Les royalistes veulent faire périr la Montagne. Eh bien ! la Montagne les écrasera[1].

Avec une autorité, qui dépassait celle de Barère, Saint-Just était allé plus loin encore dans son rapport du 19 du fer mois, 10 octobre 1793 : Votre Comité de Salut public, placé au centre de tous les résultats, a calculé les causes des malheurs publics ; il les a trouvées dans la faiblesse avec laquelle on exécute vos décrets... Il n'y a pas de prospérité à espérer tant que le dernier ennemi de la liberté respirera. Vous avez à punir non seulement les traîtres, mais les indifférents même ; vous avez à punir quiconque est passif dans la République... Tout concourt à vous prouver que vous devez imposer les riches[2]. La Convention tout entière avait applaudi à ces cruelles menaces.

L'adresse du Comité de Salut public aux armées, du 23 octobre 1793, contenait un alinéa ainsi conçu : Les défenseurs de la République viennent de détruire les repaires des rebelles de la Vendée. Ils ont exterminé leurs hordes sacrilèges. Cette terre coupable a dévoré elle-même les monstres qu'elle a produits. Le reste va tomber sous la hache populaire[3].

Peu après, deux proclamations signées Bellegarde, Ruelle, Boursault, Fayau, Gillet et Méaulle étaient affichées sur les murs de Nantes.

L'une, du 25 octobre, adressée aux habitants de la rive droite de la Loire-Inférieure, leur disait : Marchons ensemble, et noyons dans la Loire, ou exterminons sur la rive, les lambeaux de l'armée catholique et royale.

L'autre, du 27 du même mois, félicitait en ces termes l'armée de ses victoires : Braves soldats, vous avez mis tout à feu et à sang sur le territoire des brigands... il ne vous reste plus qu'à détruire une partie des scélérats que vous poursuivez sans relâche. Bientôt vous allez les atteindre et les exterminer[4].

Les futurs accusateurs de Carrier écoutèrent, sans protester, l'un des signataires de ces proclamations, Fayau, lorsqu'il proposa d'envoyer en Vendée une armée incendiaire afin que, pendant un an, nul homme, nul animal ne pût trouver de subsistance sur ce sol[5].

La Convention a donc voulu et elle a ordonné l'extermination de tous ceux qui avaient pris part à la révolte des départements de l'Ouest. Le mot exterminera un sens défini ; il signifie tuer jusqu'au dernier. Or, comme il est impossible de tuer des milliers et des milliers d'individus avec des juges et des bourreaux, il faudra nécessairement que Carrier s'ingénie à trouver d'autres moyens. Il se rappellera son projet de Saint-Malo et la proclamation de ses collègues : Noyons dans la Loire les lambeaux de l'armée.

Celui qui ordonne le crime, celui qui l'exécute, et les complices de l'un et de l'autre, sont également coupables. Tous les législateurs ont édicté contre eux la même peine ; mais il importe, croyons-nous, avant d'entrer dans le détail des cruautés commises à Nantes par Carrier, de faire remarquer que ses collègues lui avaient confié la tâche la plus horrible qui se puisse imaginer et que, pour ne pas reculer devant elle, il fallait que les instincts les plus pervers aient été surexcités en lui par la manie de la destruction, qui est une des formes de la folie. Si pareille besogne lui avait été donnée, c'est qu'il avait paru capable de la faire.

Lorsque, le 20 octobre 1793, Carrier vint s'établir à Nantes, il n'y apporta pas la Terreur. Les représentants qui l'avaient précédé avaient déjà tout fait pour l'établir, comme on le verra dans le cours de ce chapitre.

Depuis six mois, et même bien davantage, mais surtout depuis six mois, les royalistes étaient fort maltraités, et, pour eux, le système de la Terreur n'était pas une innovation. Au lendemain de l'insurrection, la guillotine avait été dressée sur la place du Bouffay et y était demeurée en permanence[6]. Un grand nombre d'habitants de la ville et des campagnes, soupçonnés de complicité plus ou moins directe avec les rebelles, ou même simplement de sympathies pour leur cause, avaient été emprisonnés et donnaient à leurs parents les plus vives inquiétudes sur le sort qui leur était réservé. Un séjour ininterrompu dans la ville, depuis le commencement de l'année 1793, ne mettait personne à l'abri d'une accusation de complicité avec l'insurrection, et le tribunal criminel extraordinaire écoutait volontiers les témoins qui chargeaient les accusés de cette sorte de crime. Le seul moyen pour un royaliste de faire de l'opposition à la République était alors de gagner la campagne et de se mêler à ceux qui combattaient les armes à la main. Ceux des royalistes qui, ne voulant ou ne pouvant prendre ce parti extrême, étaient restés en ville, ne menaçaient aucunement la République. Etroitement surveillés, exposés à toutes les délations, ils savaient que la moindre démarche hostile de leur part serait inutile et les perdrait sans profit pour leur parti.

S'il n'y avait aucune raison de maintenir et d'accroître la terreur qui pesait sur les royalistes, il n'y en avait pas davantage de l'étendre à ceux des habitants de Nantes qui avaient pris part au mouvement fédéraliste. Sauf quelques individus tarés, dont la politique consistait à exciter contre les gens riches, contre les gens à moyens, comme on disait alors, les passions de la populace, pour s'élever par elle aux emplois, tous les républicains notables de Nantes, de même que ceux d'un grand nombre de villes de province, avaient été des fédéralistes. Ce nom on l'a déjà dit, synonyme de girondin, désignait les partisans d'une république où le pouvoir appartiendrait aux classes moyennes, et serait exercé par des gens éclairés, respectueux de la propriété de leurs amis politiques, et assez habiles pour tenir à une certaine distance le peuple. souverain.

Que des hommes, médiocres comme Carrier, fussent incapables de s'élever à la conception d'une révolution raisonnablement conduite, on le comprend aisément, mais que les hommes des Comités de la Convention, qualifiés si souvent d'hommes d'Etat, se soient enfoncés dans la boue et dans le sang, voilà ce qu'on ne peut expliquer que par la peur de la canaille des sections et des tribunes, car ce n'est jamais de gaieté de cœur qu'un homme intelligent commet d'abominables cruautés.

Les fédéralistes de Nantes avaient été et continuaient d'être les soutiens les plus convaincus et les plus ardents de l'idée républicaine. Depuis le commencement de la Révolution, sous le nom de patriotes, ils avaient applaudi à toutes les destructions opérées par la Constituante et la Législative. Ils avaient peuplé les Sociétés populaires, et occupé sans contestation tous les postes administratifs du Département, du District et de la Municipalité. Ils avaient persécuté le clergé catholique et séquestré plus tard les biens des émigrés. Ils avaient accueilli avec enthousiasme la proclamation de la République, et suivi jusqu'au régicide la majorité alors girondine de la Convention. Les adresses envoyées de Nantes à cette Assemblée, pour la féliciter de la condamnation de Louis XVI, contiennent des signatures qu'on ne lit pas sans étonnement.

Le 31 mai ne leur avait pas enlevé leurs illusions, et ils ne désespéraient pas de voir la Convention, revenue à des idées plus modérées, s'occuper de rendre la République habitable pour les gens de leur condition.

Très ardents à combattre les royalistes insurgés, ils s'imaginaient que la Convention leur saurait gré du service immense qu'ils lui avaient rendu en empêchant les Vendéens de s'emparer de leur ville. Aucun Montagnard ne pouvait, en effet, se vanter d'avoir porté au parti royaliste un coup aussi funeste que l'avaient fait, le 29 juin 1793, lors du siège de Nantes par l'armée vendéenne, les fédéralistes Baco, Coustard, Beysser et leurs amis.

Les membres des divers corps administratifs avaient, il est vrai, signé, le 5 juillet 1793, un arrêté dans lequel l'autorité des représentants en mission était contestée ; mais cet arrêté, que justifiait dans une certaine mesure l'attitude assez louche qu'avaient eue, à Nantes, Gillet et Merlin, au moment du siège, ils l'avaient si platement rétracté, peu de jours après, qu'il fallait bien peu connaître les hommes pour croire que ceux-là pussent devenir dangereux. Le Montagnard Choudieu le reconnaît lui-même : A la fin de juin, dit-il[7], des symptômes de fédéralisme commençaient à se manifester à Nantes ; mais l'erreur ne fut pas de longue durée.

Ce qui attira sur eux les vengeances, ce fut beaucoup moins le grief de leur résistance à la Convention, qui n'avait pas dépassé, dans la Loire-Inférieure, celle de beaucoup d'autres départements, que l'influence néfaste exercée sur les représentants en mission à Nantes par quelques intrigants avides et envieux.

Nantes avait été l'une des villes de France où la bourgeoisie avait accueilli la Révolution avec le plus d'enthousiasme. Les premiers patriotes, et non les moins exaltés, appartenaient tous à des professions libérales, et étaient des propriétaires, des hommes de loi, des négociants et des marchands. Les artisans et les gens du peuple avaient été, au contraire, assez lents à s'émouvoir.

Jusqu'au milieu de l'année 1790, il n'y avait eu qu'un seul club, celui des Capucins, dont la grande majorité était composée de gens honorés de l'estime publique. Peu à peu, le nombre des adhérents s'était accru, et les gens, d'une condition sociale et surtout d'une valeur morale inférieures, s'y étaient fait admettre. Ceux-ci formaient naturellement la gauche de l'assemblée.

Le moment arriva où cette gauche, choquée de voir ses membres dédaignés et combattus par des parleurs plus distingués que les siens, estima qu'elle délibérerait plus à l'aise dans un club particulier, et elle avait essaimé dans une salle située auprès du Port-Communeau. Qui se ressemble s'assemble. Malgré la différence des milieux où ils s'étaient recrutés, très longtemps, néanmoins, les deux clubs avaient marché du même pas dans la voie révolutionnaire, et il serait difficile de dire lequel des deux devançait l'autre lorsqu'il s'agissait de provoquer quelque persécution contre les catholiques en 1791 et en 1792, et contre les royalistes en 1793.

Après le 31 mai, les divergences s'étaient accentuées et le club du Port-Communeau, devenu la Société de Saint-Vincent, du nom de l'église où il s'était établi, avait professé ouvertement les idées de la Montagne, avec l'espoir très fondé que, la canaille tenant à Paris le haut du pavé, il en serait bientôt de même à Nantes. Le club des Capucins, transféré dans le local de la Halle, avait conservé les anciennes opinions du parti girondin.

Je dirai, — écrivait Chaux dans l'un de ses mémoires imprimés[8], — que dans la Société populaire des vrais sans-culottes de Nantes, dont je m'honore d'être un des fondateurs en 1790, j'émis les principes les plus purs... Le témoignage de cette Société est d'autant plus précieux que le feu sacré ne s'y éteignit jamais ; qu'elle s'est montrée, dans tous les moments de crise, à la hauteur des circonstances ; que c'est elle qui, au temps du fédéralisme, lutta contre la faction liberticide.

Pour les membres du Comité révolutionnaire, le Club de la Halle était, au contraire, un club peuplé de gens prétendus comme il faut, c'est-à-dire de riches égoïstes, d'intrigants de toutes les couleurs, lié par ses opinions et ne faisant qu'un avec les Corps administratifs ; gangrené, non dans sa majorité, mais à coup sûr égaré par les intrigants qui y dominaient... Que n'a-t-on pas fait pour détruire le Club de Vincent-la-Montagne ? N'a-t-on pas osé qualifier ses membres d'anarchistes, d'agitateurs du peuple, parce qu'ils se montraient les amis chauds de l'égalité[9].

Il existe à Nantes, écrivait Philippeaux, au mois de septembre 1793, deux Sociétés patriotiques, l'une composée de vrais sans-culottes, francs et vigoureux républicains, dont je n'ai que du bien à dire, l'autre où l'esprit public n'est pas à la même hauteur 2[10].

A la Société des Sans-Culottes, où se trouvaient réunis tous les démagogues en quête de places, régnaient deux hommes très supérieurs aux autres membres par leur intelligence, et qui s'appelaient Chaux et Goullin. Le premier avait été commerçant et avait fait banqueroute ; le second était un créole ruiné, léger, paresseux, ami du plaisir, et n'ayant, pour faire figure dans le monde, d'autre ressource que le jeu. Il excellait au tric-trac ; mais ce genre d'habileté ne l'avait rendu célèbre que dans les cafés, et, plein de confiance en ses talents, il aspirait à plus ample renommée.

A ces deux ambitieux également dépourvus de scrupules et de convictions, tous les moyens étaient bons pour se pousser dans le monde. La mésestime publique leur pesait autant que la pauvreté, et ils ne pouvaient pardonner à personne d'être riche et considéré. De pareils hommes deviennent des fléaux quand le malheur des temps les élève et les rend tout-puissants.

L'influence et l'autorité leur étaient échues de la façon la plus facile à expliquer. Les représentants en mission n'avaient pas des intelligences illimitées comme leurs pouvoirs. Quand ils arrivaient dans un pays où ils ne connaissaient personne, ils s'enquéraient, auprès des membres influents et bien pensants des Sociétés populaires, de tout ce qu'ils avaient intérêt à savoir : état des esprits, ressources matérielles, fonctionnaires bons à destituer, patriotes disponibles pour les emplois vacants. Chaux et Goullin leur avaient été naturellement désignés comme des hommes en qui ils pouvaient avoir toute confiance, et ils étaient devenus les secrétaires attitrés de Gillet et de Philippeaux. Dans cette situation, il n'était pas besoin d'avoir autant d'esprit qu'ils en avaient pour arriver bien vite à imposer à Gillet et à Philippeaux leurs propres idées sur les hommes et les choses. Ruelle, Méaulle, Cavaignac, arrivés à Nantes un peu plus tard que Gillet et Philippeaux, et par conséquent plus dépaysés encore, ne purent qu'emboîter le pas derrière leurs deux collègues.

Quel rêve et quelle aubaine, pour des aventuriers comme Chaux et Goullin, d'avoir à leurs pieds une ville tout entière et surtout les riches égoïstes qui les méprisaient naguère ! Avec un merveilleux instinct, ils devinèrent que, en présence des représentants, les administrations départementale et municipale ne pouvaient jouer qu'un rôle secondaire, et que le Comité révolutionnaire, auquel ressortirait toute la police de la Ville, par l'application de la loi des suspects, ne tarderait pas à devenir, par la force des choses, l'autorité prépondérante. Pour plus de sûreté, néanmoins, et d'accord avec un petit marchand nommé Forget, comme eux ruiné, mais orateur écouté à la Société populaire, et geôlier de la grande prison des Saintes-Claires, ils profitèrent de la loi du 27 août, qui ordonnait le renouvellement des administrateurs fédéralistes, pour faire entrer au Département et à la Municipalité des hommes aussi faibles que nuls, en même temps qu'ils se faisaient nommer eux-mêmes membres du Comité révolutionnaire.

Il est parfois aussi difficile de prophétiser sur le passé que sur l'avenir, et de dire ce qui serait arrivé en l'absence de telle circonstance donnée ; mais rien n'interdit de supposer que la ville de Nantes n'eût point connu toutes les horreurs qui l'ont affligée, si les administrations n'avaient pas été composées d'êtres pusillanimes comme Minée, président du Département, incapables et grossiers, comme Renard élevé à la mairie. Carrier n'était ni résolu, ni réfléchi, et brave encore bien moins. Il allait à l'aventure, et cédait plus à ses instincts de bête fauve qu'il ne raisonnait son rôle d'exterminateur. Les hommes ainsi faits sont peut-être ceux qui se laissent le plus aisément déconcerter par les obstacles. Je n'ai vu nulle part qu'il ait tenu rigueur au général Boivin, pour avoir refusé de faire fusiller trois cents habitants de Nantes portés sur une liste arrêtée par le Comité révolutionnaire, et le jour où l'officier municipal Champenois, qui n'était point un élu du peuple, et tenait simplement ses fonctions de Ruelle et de Gillet, releva avec énergie un outrage personnel de Carrier, celui-ci lui offrit son amitié.

Dans la matinée du 10 octobre, Philippeaux et Méaulle avaient renouvelé l'administration du Département. Gilet et Ruelle avaient, le même jour, renouvelé la Municipalité et, le lendemain, ils avaient installé le nouveau Comité révolutionnaire.

Aussi Carrier pourra-t-il écrire avec raison, plus tard : Presque tous les témoins déclarent que le Comité révolutionnaire a répandu la terreur dès l'instant de sa formation, et qu'il l'a maintenue jusqu'à sa dissolution. Or ce n'est pas moi qui ai formé ce Comité. Je ne suis entré à Nantes qu'un mois (exactement dix jours) après sa formation, et j'ai quitté cette commune quatre ou cinq mois avant sa dissolution[11].

En usant simplement de la loi des suspects, le Comité révolutionnaire avait tous les habitants de la ville de. Nantes à sa discrétion, puisqu'il pouvait faire emprisonner tous ceux qu'il lui plairait de désigner ; mais la tyrannie est ombrageuse, et, si elle ne se soucie guère des malédictions de chacune de ses victimes, il lui importe que ces malédictions ne se propagent pas dans des lieux où elles pourraient rencontrer des échos plus ou moins retentissants, et former ainsi cette puissance qu'on appelle l'opinion publique. Un arrêté des représentants, enregistré par le Comité révolutionnaire au procès-verbal de sa seconde séance, ordonna la fermeture du Club de la Halle, et l'un des membres de ce Comité, Louis Naux, fut chargé de l'exécuter. La même décision fut prise, le lendemain, à l'égard de toutes les Chambres littéraires[12].

Il suffit de nommer la Compagnie Marat pour évoquer les plus cruels souvenirs de ce temps-là Dans sa séance du 14 octobre (23 vendémiaire) le Comité révolutionnaire, arguant de son impuissance à faire exécuter par les commissaires de police toutes les arrestations qu'il se proposait d'ordonner, prenait un arrêté ainsi conçu : Les citoyens Chaux et Goullin se rendront de suite chez les représentants, à l'effet de se concerter avec eux sur ce qu'il est permis de faire dans la circonstance, soit par la création d'une compagnie attachée au Comité, soit de toute autre manière[13].

Ainsi, une semaine avant l'arrivée de Carrier, le Comité révolutionnaire était composé de terroristes, les administrations d'amis complaisants de ces terroristes, et les républicains, qui avaient conservé quelques notions de la justice, étaient réduits à l'impuissance d'élever la moindre plainte. Carrier avait tout ce qu'il pouvait souhaiter pour se livrer à l'aise à l'assouvissement de sa haine du parti modéré : une autorité sans bornes, des conseillers avisés, capables de tout, animés des mêmes passions que lui, et des victimes à son choix, parmi les riches de la ville, et parmi les vaincus de l'armée royaliste, qui commencèrent à affluer à Nantes à la fin d'octobre 1793.

 

 

 



[1] Réimpression du Moniteur, XVII, 231.

[2] Réimpression du Moniteur, XVIII, 106.

[3] Adresse signée : Robespierre, Hérault, Carnot, Billaud-Varenne (Savary, II, 287).

[4] Savary, II, 289.

[5] Réimpression du Moniteur, XVIII, 371 ; Séance du 18 brumaire an II.

[6] La Guillotine et le Bourreau à Nantes, par A. Lallié (Revue historique de l'Ouest, mars 1896).

[7] Mémoires et Notes de Choudieu, Paris, Plon, 1897, p. 101,

[8] Chaux au peuple français, p. 6.

[9] Compte rendu au District par les membres du Comité révolutionnaire de Nantes, fin nivôse an Il, p. 3.

[10] Rapport de Philippeaux, inséré dans le Défenseur de la Vérité du 28 septembre 1193, p. 644. Cette rivalité des deux Sociétés est exposée dans une longue adresse de Vincent-la-Montagne à la Convention, dont lecture fut donnée à la Convention, le 25 floréal an II (Réimpression du Moniteur, XX, 473, et p. 12 et 14 de la brochure petit in-4°, imprimée, à Nantes, chez Brun aîné).

[11] Suite du rapport de Carrier, représentant du peuple, sur sa mission dans la Vendée, p. 8.

[12] Procès-verbal du Comité révolutionnaire, 12 et 13 octobre 1793. Le mobilier du Club, qui valait plus de vingt mille livres, fut peu après volé et dispersé (Pièces remises à la Commission des Vingt et Un, p. 16).

[13] Procès-verbal du Comité, f° 3. — Voir aussi : la Compagnie Marat et autres auxiliaires du Comité révolutionnaire de Nantes, par A. Lallié (Revue de l'Ouest, juillet 1887).