JEAN-BAPTISTE CARRIER

 

CHAPITRE PREMIER. — CARRIER AVANT LA RÉVOLUTION.

 

 

Renseignements curieux et inédits fournis par M. Delmas. — Naissance et parents de Carrier. — Ses études faites en vue de devenir prêtre. — Placé au séminaire par son grand-oncle prêtre et par M. de Miramon. — La vocation lui faisant défaut, il devient clerc de procureur à Aurillac. — Sensibilité de Carrier dans sa jeunesse. — Il embrasse la profession de praticien. — Il poursuit à Paris ses études de droit. — Procureur à Aurillac en 1785. — Sa conduite, dans le règlement de la succession de son grand-oncle, donne lieu de suspecter sa probité. — Sa haine de la noblesse. — Mémoires pour le tiers état en 1788. — Insurrection à Aurillac à la suite du 14 juillet 1789. — Les sociétés populaires et le Comité de surveillance. — Excès commis dans les environs d'Aurillac, à l'instigation de Carrier en juin 1791. — Echec de sa candidature d'électeur aux élections de la Législative. — Hébrard de Eau et Milhaud, chefs de la démagogie du Cantal. — Carrier se met à leur remorque. — Nouvelle émeute à la suite du 10 août 1792. — Carrier, nommé électeur, élu ensuite député à la Convention par suite du refus d'Hébrard et de l'obstination des électeurs à voter pour les candidats de leurs propres districts. Regrets tardifs des électeurs d'avoir fait un pareil choix.

 

Aucune biographie ne donne de détails sur la jeunesse de Carrier. Désireux de retracer sa vie tout entière, j'avais formé le projet d'aller à Aurillac pour y faire des recherches, quand je fus informé que M. l'abbé Serres, de Mauriac (Cantal), préparait une histoire de la Révolution dans son département. Je me mis en rapport avec M. l'abbé Serres, qui eut l'amabilité de m'adresser quelques renseignements curieux et inédits, dont je le remercie. J'ai retrouvé, depuis lors, ces mêmes renseignements dans la très complète et très intéressante étude de M. Delmas, intitulée : la Jeunesse et les Débuts de Carrier, publiée par la revue la Révolution française mai 1893. J'aime à penser que son auteur ne trouvera pas mauvais que je mette à contribution le résultat de ses patientes et substantielles recherches.

Carrier, Jean-Baptiste, était né, le 17 mars 1756, à Yolet[1], petite bourgade du canton nord d'Aurillac, située à trois lieues de cette ville. Ses parents étaient des cultivateurs aisés. justement estimés dans la région. Il était le troisième enfant d'une famille composée de trois filles et de deux garçons. Son frère, plus jeune que lui de trois ans, devint commissaire des guerres à l'époque de la Révolution. C'est ce frère, vraisemblablement, qui fut présenté par le Conseil exécutif provisoire pour les fonctions d'accusateur militaire, avec cette mention erronée : Homme de loi, fils du député[2], et qui se trouvait à Nantes, à la fin de l'an II, en qualité de préposé aux subsistances militaires[3].

Son père, tenancier du marquis de Miramon, avait toute la confiance de son seigneur, et le marquis avait d'ailleurs choisi pour chapelain un de ses grands-oncles. Plusieurs fois, dans sa jeunesse, le futur représentant fut reçu à Miramon, où la marquise et ses filles lui témoignèrent une bonté dont il garda de la reconnaissance. Il est de tradition que Mme de Miramon, arrêtée à Brioude, et sur le point d'être transférée à Paris, fut l'objet d'un élargissement inespéré qu'elle attribua toujours à son ancien protégé[4].

Le jeune Jean-Baptiste manifestait une certaine intelligence. Son grand-oncle entreprit de faire de lui un prêtre, et le plaça, grâce à l'influence de M. de Miramon, au collège ecclésiastique que les jésuites avaient fondé et qu'ils avaient dirigé à Aurillac jusqu'à la dissolution de leur ordre.

Ecolier taciturne, hargneux, âpre au réfectoire comme à l'étude, mais laborieux et discipliné, il parcourut sans éclat, mais sans défaillance, toutes ses classes. Sur le point de passer en rhétorique, il déclara, au grand désespoir de son oncle, que' la vocation lui manquait.

Retiré du collège par ses parents, il entra, comme troisième clerc, chez un procureur, M. Basile Delsol, auquel le rattachaient des liens de famille. Il y resta plusieurs années, et prit à la procédure un tel goût que son patron avait coutume de dire : Carrier est un bon travailleur, et il deviendra un habile homme : quand je me retirerai, s'il devient mon successeur, les clients ne s'apercevront pas que mon étude ait changé de maître.

Dans un de ses nombreux ouvrages intitulé Mémoires de M. Girouette, publié en 1818, le romancier Quesné raconte avoir connu Carrier lorsqu'il travaillait chez M. Delsol. Cet homme. dit-il, avait une physionomie bien trompeuse : il nous disait ingénument qu'il ne voyait jamais couler sans émotion le sang d'un poulet. S'il parlait avec sincérité, quelle affreuse révolution s'est donc opérée dans ses sentiments, pour l'avoir rendu, quelques années après, l'exécration du genre humain ? Quesné ajoute que Carrier aurait commis divers faux pour une somme de dix mille livres, et que Vil. Delsol, s'en étant aperçu, l'aurait chassé de son étude.

M. Delmas, qui paraît avoir fort étendu le cercle de ses recherches, puisqu'il énumère un certain nombre d'actes dans lesquels il constate l'intervention de Carrier, n'a trouvé nulle part trace de ces faux. Selon lui, la séparation du clerc et du patron, qui eut lieu en 1779, s'explique tout naturellement par l'effet d'un édit royal de cette année qui supprima à Aurillac un certain nombre de charges de procureur, au nombre desquelles se trouvait celle de M. Delsol.

Carrier, à ce moment, avait vingt-trois ans, et, en quête d'une profession, il embrassa celle de praticien, sorte de parasite du procureur, du notaire et de l'avocat consultant, que l'on désigne aujourd'hui sous le nom d'agent d'affaires. Mais il visait plus haut et, grâce aux subsides de son grand-oncle le chapelain, il put aller à Paris et y demeurer plusieurs années, durant lesquelles il suivit les cours de droit de l'Université.

Revenu à Aurillac en 1785, il se trouva précisément qu'un procureur, obligé de renoncer aux affaires pour cause de santé, et n'ayant aucun parent à qui céder sa charge, cherchait un successeur. Carrier se présenta, muni de la garantie de son oncle, et fut agréé ; le prix de la charge était de dix mille livres. La démission de Me Textoris en sa faveur porte la date du 21 août 1785. Quelques semaines après, le 4 octobre, il épousa la fille d'un marchand d'Aurillac. M. Delmas relève ce fait assez étrange qu'aucun membre de sa famille n'assista à la cérémonie.

Carrier avait enfin atteint la situation qu'il ambitionnait. Il touchait à la trentaine, et, si, l'on s'en rapporte au témoignage de ses contemporains, c'était un homme de taille haute, mais un peu courbée. Son visage était celui d'un rêveur. aux yeux petits et semblant toujours errer dans le vide ; son teint, basané comme celui des paysans de la montagne, sa voix dure, son langage précipité. Sa mise, peu recherchée, correspondait à l'extérieur peu avantageux de sa personne, et au milieu des élégantes perruques poudrées de l'époque, sa chevelure, noire et bouclée, détonnait sans aucun apprêt.

Sombre, taciturne, dit M. Boudet, distrait et comme ahuri, il traversa le palais de sa ville natale sans y laisser ni répulsion ni sympathie. Quand l'intempérance, dont il eut de bonne heure l'habitude, agitait d'aventure sa nature sommeillante, alors apparaissaient les symptômes de cette violence insensée qui fut, pour ainsi dire, son état normal pendant sa mission en Bretagne ; mais, dans l'ordinaire exercice de ses fonctions, il ne manquait ni de la rouerie vulgaire du praticien, ni de la prudence du montagnard[5]. On verra qu'il ne se départit pas de cette prudence, même durant sa mission, où il évita, autant que possible, de se compromettre en signant des ordres écrits.

Quoique la clientèle de Carrier ne fit pas des plus étendues, puisqu'il payait seulement une cote d'office de troisième catégorie, il passait pour un procureur habile. ll était arrivé à l'aisance, et son aisance s'accrut encore à la mort de son grand-oncle, dont une partie de la succession lui arriva d'une façon assez extraordinaire,

Le vieux prêtre avait des héritiers plus proches que Carrier, et il ne lui laissait rien par son testament. Il rappelait seulement qu'il l'avait cautionné pour le prix de sa charge, ce qui ne modifiait en rien sa position envers M. Textoris, dont il demeurait, comme auparavant, le débiteur principal. Les légataires universelles étaient deux filles dévotes de Sainte-Agnès membres d'une congrégation dont, en Auvergne, on désigne les affiliées sous le nom menettes. Elles trouvèrent dans les papiers du défunt, un billet de trois cents livres, souscrit à son profit par Carrier, dont le chanoine avait même, peu de temps avant de mourir, poursuivi en justice le payement, indice sérieux d'une brouille entre le bienfaiteur et l'obligé. Désireuses de régler leur succession, les légataires universelles reprirent pour leur compte l'instance en payement de ce billet, quand, à l'étonnement général, Carrier produisit un autre billet d'une valeur de 14.700 livres, souscrit, celui-là par le testateur au profit de Carrier. Cette créance parut étrange et contraire à toutes les vraisemblances. L'authenticité de la signature fut contestée en justice. Les experts, l'ayant reconnue véritable, l'affaire était évoquée au Parlement quand intervint une transaction qui mit à la charge de la succession le paiement immédiat de la totalité. de la créance de dix mille livres pour laquelle le défunt s'était seulement porté caution. L'infaillibilité des experts en écriture n'est pas de telle sorte que l'honneur de Carrier dût gagner à cette aventure. Toutefois, grâce à l'autorité de la chose jugée, tenue pour vérité, il pouvait encore lever la tête.

De cautionné qu'il avait été, il put, à son tour, l'année suivante, devenir répondant. M. Delmas cite un acte dans lequel il intervient pour garantir un emprunt de 17.140 livres, fait par sa belle-mère et par son beau-frère.

Il exerce, dès lors, son métier avec ardeur et même avec une certaine âpreté. En 1788, on le voit occupé dans plusieurs affaires importantes, et déjà se manifeste sa haine des nobles. ll apportait, dit M. Boudet, une sorte d'acharnement à l'instruction des procès, dont on le chargeait contre eux. Il réservait, paraît-il, son aménité pour les membres du tiers état. Un contemporain se rappelait l'avoir entendu juger ainsi : C'est un homme intéressé aux affaires, mais que l'on dit très doux et même assez charitable.

La haine de la noblesse était une excellente disposition pour contracter la fièvre révolutionnaire dont la société française commença d'être atteinte dès l'année 1788 ; aussi Carrier apparaît-il, à ce moment, au premier rang de ceux qui réclamaient des réformes. Le 21 décembre, il signait le Mémoire pour le tiers état, où la fierté des habitants de la province s'affirmait en ces termes : La Haute-Auvergne n'a jamais été conquise, c'est la première phrase qu'il lui appartient de prononcer ou d'écrire. Par ce mémoire, ceux-ci demandaient pour le tiers état une représentation égale, sinon supérieure à celle du clergé et de la noblesse réunis ; l'élection de tous les représentants ; l'interdiction aux membres de la noblesse et du clergé de représenter le tiers.

L'année suivante, la nouvelle de la prise de la Bastille fut, à Aurillac, comme dans beaucoup d'autres villes, le signal d'un soulèvement populaire contre les autorités. Le 23 juillet, des citoyens en foule.se réunirent dans l'église du collège, arborèrent la cocarde tricolore, et, après avoir prononcé la déchéance du maire et des échevins, établirent une nouvelle municipalité et une milice bourgeoise. Parmi les cinq cent soixante et onze signatures qui consacraient le nouvel état de choses, celle de Carrier, procureur, apparaît l'une des premières. L'un des premiers aussi il s'enrôla dans la milice, mais ne sollicita aucun grade.

Son nom ne figure sur aucun des procès-verbaux des élections municipales qui eurent lieu en janvier 1790[6].

Comme la plupart des ambitieux de cette époque, que leur passé ne désignait pas pour occuper une situation politique, il devait arriver par les sociétés populaires. Une Société des Amis de la Constitution, affiliée à celle de Paris, avait été fondée le 20 juillet 1790, mais, contrairement à ce qui eut lieu dans la plupart des autres villes, celle-ci était en majorité composée de gens modérés, et les patriotes les plus ardents, considérant que leurs idées n'y auraient aucun succès, s'étaient abstenus d'y aller. Ils s'étaient rabattus sur une société de jeunes gens qui avait pris naissance dans un café et qu'on appelait la Société des jeunes Amis de la Constitution. Ils ne tardèrent pas à y régner en maîtres, ajoute M. Delmas, et Carrier y fut l'un des orateurs les plus écoutés. Sous son inspiration, et celle de plusieurs autres futurs terroristes, elle prit la dénomination de Comité de surveillance ; puis, à force d'adresses et de députations, ses membres surent si bien s'ingérer dans les affaires de la grande société que celle-ci, qui commençait à se fatiguer de leurs agressions, peut-être même à les craindre, finit par leur proposer de les admettre dans son sein, et, dès le 10 avril 1791, les deux clubs fusionnaient.

Carrier était alors le président du Comité, et non seulement il commençait à se faire écouter, il agissait. Il dénonçait à l'Assemblée nationale la conduite des électeurs de son district qui tardaient à nommer les curés constitutionnels. Il se faisait affilier à une prétendue Société agricole, dite Société des hommes de la nature ou Francs-Tenanciers, fondée par tes exaltés d'un des faubourgs d'Aurillac, qui n'était en réalité qu'une réunion de démagogues.

Les collectivités sont moutonnières et disposées à écouter le langage de la passion plutôt que celui de la raison, et, pour peu que les esprits soient surexcités, les plus violents sont les mieux écoutés. Carrier ne tarda pas à être regardé comme l'un des plus chauds amis du peuple. A ce jeu le procureur perdait ses clients du palais, mais il se consolait en voyant s'accroître sa clientèle politique.

Le 5 juin 1791, un conflit entre la population d'une commune voisine d'Aurillac et les gardes nationales avait éclaté à l'occasion de l'installation d'un curé constitutionnel ; le sang avait coulé. A cette nouvelle, Carrier monta à la tribune de la Société, et provoqua l'envoi dans la commune rebelle d'un nombreux détachement.de miliciens qui commirent toutes sortes d'excès. Peu après, il provoquait des visites domiciliaires dans les couvents et les châteaux, afin d'y découvrir les armes cachées. On sait que les Sociétés populaires de la France entière obéissaient à un mot d'ordre venu de Paris, et, dans leurs procès-verbaux, on retrouve, à peu près partout, aux mêmes époques, des propositions semblables.

Aux élections de la Législative, aucun démagogue ne fut élu dans le Cantal. Carrier n'avait pu même se faire nommer électeur par son assemblée primaire (19 juin 1791). En revanche, à la Société populaire, il gagnait du terrain : on le nommait secrétaire et on l'appelait au Comité chargé de l'épuration des membres.

Deux hommes dont les destinées furent bien différentes étaient dans le Cantal, à la fin de 1791, les meneurs de l'agitation révolutionnaire. Le premier, Hébrard de Fau, avait représenté le bailliage de Saint-Flour à l'Assemblée constituante, et devait, en l'an III, aller s'asseoir sur les bancs d'un tribunal criminel, sous l'accusation infamante de concussion[7] ; le second, Milhaud, était à la veille d'être envoyé à la Convention, où il embrassa le parti de la Montagne, et finit par mourir comte de l'Empire. Tous les deux avaient dans la province une influence et une popularité considérables ; l'influence de Carrier, au contraire, était nulle, et sa popularité ne s'étendait pas au-delà des murs de sa ville d'adoption. Il eut l'esprit de comprendre que, pour avancer, il devait marcher dans leur ombre et devenir leur complaisant.

Lorsque la nouvelle du 10 août parvint à Aurillac, elle y causa, comme partout, une vive impression. Carrier fut au premier rang de ceux qui aidèrent Hébrard à ameuter la populace contre les prêtres et les parents d'émigrés, dont les uns furent emprisonnés, tandis que les autres étaient l'objet de toutes sortes de violences. A cette affaire Carrier gagna d'être nommé, par le District, commissaire pour le recensement des hommes dont la levée venait d'être décrétée. L'emploi n'était pas d'importance, mais la carrière des honneurs a des degrés, et souvent les plus humbles sont les plus difficiles à franchir.

Les assemblées primaires pour la nomination des électeurs, chargés de désigner les membres de la Convention, eurent lieu peu après le 26 août. Plus heureux qu'aux élections de la Législative, Carrier réussit à se faire nommer secrétaire de sa section, et, vaille que vaille, au dernier tour de scrutin où suffisait la majorité relative, il reçut, le dernier sur quatre, le mandat d'électeur.

A la réunion des électeurs, il fut simplement nommé vérificateur des pouvoirs des électeurs de son district. Il est vraisemblable que là comme dans le reste de la France, les modérés s'étaient abstenus de venir dans les assemblées primaires et que, par suite, tous les électeurs nommés furent des révolutionnaires.

Deux circonstances inattendues firent le succès de Carrier. Bien que les représentants de chaque département fussent tous, et chacun, les représentants du département tout entier, les électeurs ne procédaient pas à leur choix au moyen d'un scrutin de liste comme on le fait aujourd'hui, ils votaient autant de fois qu'il y avait de sièges à pourvoir. De plus, par un accord assez fréquent dans les élections, il avait été convenu qu'à chaque région du département seraient dévolus un ou plusieurs sièges en proportion de son importance, et que les électeurs de chaque région proposeraient leurs candidats au choix de l'assemblée entière. Pour le district d'Aurillac, Hébrard et Milhaud, les deux personnages en vue du moment, furent élus successivement tous les deux sans concurrents. Milhaud accepta le mandat ; Hébrard le refusa. Il y avait lieu, par conséquent, de choisir, pour le remplacer, un candidat qui appartint au district d'Aurillac. Carrier s'offrit.

Au premier tour de scrutin, M. Delmas a relevé 371 votants sur 402 inscrits. En dépit de l'accord, 173 voix allèrent au procureur-syndic du district de Saint-Flour, nommé Clavière, 50 à un juge de Salers nommé Mailhes — Salers était, dans le district de Mauriac, le siège du tribunal —, et 129 à Carrier.

Au second tour, sur 366 votants, Clavière obtenait 179 voix, manquant seulement de cinq voix la majorité absolue, Mailhes en obtenait 29 et Carrier 152.

Au troisième tour, où l'on ne pouvait voter que pour les deux candidats qui avaient eu le plus de voix au second tour, sur 373 votants Carrier obtint 194 suffrages contre 170 donnés à Clavière, triste effet de la rivalité de clocher entre Saint-Flour et Aurillac.

Le 19 septembre, il se faisait inscrire sur le registre des membres de la Convention, et prenait son logement au n° 135 de la rue Neuve-des-Petits-Champs.

Selon M. Boudet, la cause dominante de l'élection de Carrier parait avoir été la confiance des meneurs du parti révolutionnaire du Cantal en sa capacité formidable dans l'exécution. Les incidents de l'élection, révélés par M. Delmas, me porteraient plutôt à croire qu'elle fut le résultat du hasard, sinon de la volonté divine qui la permit.

Quand les crimes de Carrier furent connus, le parti républicain se défendit de l'avoir nommé, et un administrateur du département du Cantal déclarait, le 3 messidor an que l'élection de Carrier et de Milhaud avait été due surtout à la pression d'une centaine de prêtres, que la Révolution de 1790 avait vomis sur le territoire du département. C'était la note du moment, Carrier était un maudit ; on ne se contentait pas de l'accuser d'avoir été un royaliste, il fallait encore qu'il eût été le favori du clergé.

 

 

 



[1] Voici le texte de son extrait de baptême : L'an 1756 et le 17 du mois de mars, a été baptisé Jean-Baptiste Carrier, né le16 du présent mois et an, fils légitime de Jean Carrier et de dame Marguerite Puex, sa femme ; parrain, Jean-Baptiste Manet, marraine Marie Carrier qui n'a su signer ; témoins Jean Testel et Jean Angelvi, qui ont signé de ce requis ; signé Manet, Angelvi, Deconquans, curé.

[2] Actes et correspondances du Comité de Salut public et des représentants en mission, Imprim. Nat., t. IV, p. 403.

[3] Un préposé aux subsistances militaires, nommé Carrier, fut acquitté par le tribunal criminel militaire présidé par Bignon, le 5 fructidor an II. Il était accusé d'avoir détourné des effets remis dans son magasin par le 9e bataillon de la Haute-Saône. Je ne connais pas le prénom du frère de Carrier, et le jugement ne portant pas le prénom du préposé ; il n'y a pas une certitude absolue sur l'identité, mais une grande vraisemblance.

[4] Cf. Hist. de la Révolution en Auvergne, par J.-B. Serres. Vic et Amat., 1896, t. V, p. 17.

[5] Les tribunaux criminels et la justice révolutionnaire en Auvergne, par M. le président Marcelin Boudet, Paris, Aubry, 1873, p. 17.

[6] C'est à tort que les Tables du Moniteur de la Révolution, au mot Carrier, visent le compte rendu d'une procédure relative à une poursuite pour libelle, devant la cour du Châtelet de Paris, en 1190. L'auteur présumé du libelle n'était pas Carrier, mais un conseiller au bailliage d'Aurillac nommé de Carrière. (Réimpression du Moniteur, t. III, p. 394 et 138 ; Recueil des actes du Comité de Salut public, II, p. 464, et 385.)

[7] Hébrard était devenu président du Tribunal Criminel du Cantal. Il avait fait une fortune scandaleuse, et le représentant Musset l'avait fait emprisonner. Il avait obtenu sa mise en liberté, quand, à la suite de protestations parvenues à la Convention, il fut poursuivi. (V. Journal des lois du 22 nivôse an III, p. 4.)