NICOLAS FOUCQUET

SIXIÈME PARTIE

 

CHAPITRE V. — RAPPORT DU PROCÈS.

TALON PRÉSENTE SES CHEFS D'ACCUSATION. — MALADIE DU ROI. — RENTRÉE DU ROI À PARIS. — TRANSFERT DE LA CHAMBRE DE JUSTICE À L'ARSENAL. — FOUCQUET À LA BASTILLE. — TALON RÉDUIT À HUIT SES CHEFS D'ACCUSATION. — RÉPONSES DE FOUCQUET. — CAUSES DIVERSES DE LA LENTEUR DU PROCÈS. (Avril 1663-décembre 1663.)

 

 

Les mois de février et de mars 1663 s'étaient passés sans que le procès de Foucquet eût avancé d'un pas, ainsi que le constatait le rapporteur Olivier d'Ormesson. Talon n'avait pas même remis sa production, sans doute parce que Berryer et consorts ne l'avaient pas terminée. Ce fut encore l'accusé qui prit les devants. Le 6 avril, il requit communication de certains documents spécialement désignés, notamment de pièces contenues dans les registres de Bordeaux, d'Herwarth, de Colbert, commis de la surintendance.

Aussitôt Talon, secouant sa torpeur, conclut au rejet de la demande. Communiquer à l'accusé les pièces cotées par lui, douze mille au moins, c'estoit le moyen de perpétuer son procès ; de plus, elles ne pouvaient servir à la défense, puisque lui, procureur général, ne les employait pas dans son accusation[1].

Conclusion aussi peu loyale qu'anti-juridique. Un accusé doit être libre d'introduire pour se défendre tels documents qu'il juge utiles.

Ormesson, plus habile, fit observer qu'aux termes de l'arrêt du 3 février, Foucquet n'avait droit qu'à des pièces désignées précisément, tandis qu'il demandait des liasses. L'observation du rapporteur était conforme à la lettre de l'arrêt. Mais, de bonne foi, puisqu'on avait saisi et inventorié ses papiers par liasses, ce dont il s'était assez plaint, l'accusé ne pouvait indiquer les pièces qu'on avait volontairement ou involontairement négligé de décrire. L'autre rapporteur, Sainte-Hélène, trancha dans le vif et fut d'avis de ne rien communiquer du tout. Pussort, cela va sans dire, appuya Sainte-Hélène. Deux ou trois juges revenant au sentiment d'Ormesson, le président Séguier commença d'interrompre, équivoquant, discutant. Malgré cette pression, Brillac, Renard, Besnard voulaient donner toutes les pièces. Les voix étaient partagées, sept contre sept. À la fin, Séguier prit une partie de l'avis d'Ormesson, une partie de l'avis de Rocquesante, et l'on s'ajourna au lendemain pour la rédaction et le prononcé de l'arrêt.

L'après-midi, Séguier convoqua chez lui Ormesson et Sainte-Hélène. Ils y trouvèrent l'inévitable Berryer et durent délibérer devant cet intrus sur le dispositif du jugement à rendre. Autre violation plus grave des bonnes pratiques judiciaires : malgré la présence du greffier Foucault, ce fut Berryer qui, seul, sur le coin d'une table, rédigea l'arrêt. Les termes n'en parurent pas conformes aux décisions dont on était convenu le matin. Toutefois, Séguier le signa et le fit signer. Cette extrême complaisance me surprit, dit Ormesson[2]. Cet honnête homme, s'il n'était pas encore prêt à absoudre Foucquet, commençait du moins à suspecter ses accusateurs.

L'arrêt, en effet, ne reproduisait pas exactement la volonté de la Chambre, qui avait autorisé Foucquet à fournir de nouvelles indications de pièces ; par contre, on y avait ajouté une fois de plus qu'il seroit passé outre au rapport et jugement dudit procez, sur ce qui se trouveroit par devers ladite Chambre[3]. En bon français, que l'accusé eût fourni ou non fourni ses défenses, on le jugerait[4].

Par surcroît, le lendemain 9 avril 1663, Foucquet fut déclaré forclos du droit de contredire, comme il l'avait été du droit de produire, et, le 10, on commença le rapport du procès[5].

 

Du 10 avril au 23 mai, la Chambre consacra vingt-trois audiences à cette besogne, sans discontinuer, si ce n'est pour rejeter deux requêtes de l'accusé, qui ne laissait rien passer sans protester. S'il fallait tant de temps pour rapporter l'affaire, c'est que le procureur général avait enfin remis une fort longue production, avec un préambule également étendu.

Ce préambule ou prélude[6] comprenait cent vingt pages à lui seul. À première vue, on reconnaît qu'il est dû dans son ensemble à la plume hyperbolique de Talon.

Foucquet y est pris au début de sa surintendance. On le représente trompant dès lors son collègue Servien, attirant à lui tout le crédit. Chargé exclusivement de la recette, il se rend maître de la dépense par d'artificieuses manœuvres. Servien mort, Foucquet, dispensateur absolu des finances, prend pour lui des millions chaque année, en donne aux uns pour payer leur complicité, aux autres pour acheter leur silence. Surintendant, il corrompt les juges ; procureur général, il arrête le cours de la justice, étouffe la voix des misérables accablés par ses taxes. C'est lui qui a rendu la guerre intolérable, la paix aussi dure aux peuples que la guerre. La confusion occasionnée, voulue par lui, a excité un murmure et un soulèvement général des esprits contre le gouvernement, et c'est une merveille qu'elle n'ait point attiré quelque révolution périlleuse[7].

Il est plus aisé de concevoir que d'expliquer le péril continuel auquel la France a esté exposée par cette dissipation des finances. S'il n'y a point eu de batailles perdues, de villes prises, ni de sièges levez, c'est un effet du bonheur qui accompagne en tous rencontres les armes victorieuses du Roy ; c'est à la prudence et à la générosité de notre prince incomparable ; c'est à la sagesse de son conseil, que nous sommes redevables de tant de succez avantageux. Mais si ces progrès ont esté imparfaits, si les provinces qui sont l'ancien patrimoine de la couronne n'ont pas esté entièrement réunies au corps de 1'Estat, on ne peut pas douter que la mauvaise dispensation des deniers publics n'en soit la seule cause, le Roy s'estant veu forcé, par l'accablement et par les plaintes continuelles des habitans des villes et de la campagne, de terminer le cours de ses victoires, dont le torrent impétueux sembloit ne devoir avoir d'autres bornes que celles de sa modération[8].

Le style est de Talon et l'inspiration de Colbert. Les beaux esprits à la solde du surintendant, comme Saint-Évremond, se sont permis de critiquer la paix des Pyrénées. On renvoie la balle à leur patron. Si Mazarin n'a pas profité des succès de Turenne, si le Roi n'a pas repris les provinces belgiques, c'est par la faute, par le crime de Foucquet.

Pour comprendre jusqu'à quel point a passé la dissipation, il faut présupposer qu'un surintendant, quelque pouvoir qu'il ait dans les finances, ne peut pas voler des millions chaque année, que de concert et par la participation des trésoriers de l'Épargne, des fermiers et des traitans, lesquels ne s'engagent pas dans la complicité d'un crime qu'ils n'y trouvent des avantages considérables : ainsi, pour se procurer des pensions sur une ferme, on (bien entendu, on, c'est Foucquet) la donne à vil prix, et on élude les enchères ; ainsi l'on accorde dans tous les traitez le tiers de remise, même dans ceux où il y avoit très peu de frais de recouvrement ; et l'on sçait que les traitans n'en ont pas seuls profité ; l'on a soufert qu'ils agent absorbé une partie de ce qu'ils devoient payer à l'Épargne, et généralement tous les excédans des forfaits ou des vieux billets réformez. Comment un surintendant, qui faisoit ou qui supposoit des prests et des avances pour en tirer des intérests, qui prenoit des pensions sur les fermes, qui achettoit au commencement de vieux billets à vil prix pour les faire réformer, qui, dans la suite, faisoit valoir ceux qui procédoient des ordonnances de comptant des traitez non exécutez, et qui, en un mot, s'est servy de toutes sortes de moyens illégitimes pour s'approprier les deniers publics, comment, dis-je, auroit-il pû arrester le cours de tous les désordres dont il estoit l'auteur et le protecteur ?[9]...

Aussi a-t-on veu avec quelle chaleur l'accusé a travaillé pour leur procurer une abolition générale, et pour la faire vérifier dans les compagnies souveraines, persuadé que c'estoit un moyen infaillible pour couvrir tous les abus de son administration, et cette liaison d'intérests avec les traitans, toujours criminelle en la personne d'un surintendant, a rendu la preuve contre l'accusé très difficile, soit parce que les gens d'affaires luy ont voulu donner des marques de leur gratitude, ou à cause qu'ils ne le pouvoient accuser sans se faire en même temps leur procès[10].

A bout d'amplifications, Talon présente ses chefs d'accusation en trois parties

Péculat ;

Faux commis en vue du péculat ;

Lèse-majesté[11].

Jusque-là, on reconnaît une certaine unité de style ; ce qui suit est d'ordre composite. Tantôt ce sont des entassements de chiffres, tantôt des déclamations, partout une légèreté incontestable. Parlant des dépenses du surintendant, on dira : Ces dépenses domestiques, qui se montent, durant huit années six mois, à la somme de . . . . . ont quelque chose de monstrueux[12]. Et on laisse la somme en blanc dans la copie délivrée à Foucquet, parce que, sans doute, le rédacteur du préambule n'avait pas reçu le renseignement de ses collaborateurs financiers. Ailleurs, Talon reste volontairement dans le vague et dans les suppositions. Ce que l'accusé a donné et fait donner à ses amis et à ses créatures... ne se peut pas exprimer... Il y a grande apparence que la meilleure partie de ses libéralités et même les plus secrettes, sont dans les registres de Bruant, qui ont esté divertis... Il y a quantité de billets avec ordre de payer sans en tirer aucun reçeu ; il y en a de payer aux sieurs de Grave et Codure tout ce qu'ils voudront. Ce dernier trait partait d'une main imprudente. On verra l'accusé le ramasser et le renvoyer à ses ennemis. De Grave et Codure étaient les agents de la Reine mère[13].

Le crime de lèse-majesté est longuement exposé, on devine qu'il servira de base à l'accusation. Même défaut de mesure, tout est exagéré de parti pris, témoin cette description des cent vingt lignes écrites à la hâte par Foucquet : Ce mémoire contient sept cahiers ; chacun des six premiers cahiers quatre pages, et le septième deux pages, toutes les pages remplies d'écriture fort pressée et le tout écrit de la main de l'accusé[14].

Le reste est à l'avenant.

Foucquet, dans son projet, parle de factums à composer, d'imprimeries à mettre en lieu sûr. Cet article, fait remarquer le réquisitoire, a esté en partie exécuté depuis la détention de l'accusé, quov que peut-être avec plus de retenue et de modération, crainte que la distribution de ces libelles ne fût regardée comme une exécution de cet écrit[15].

Talon trouve le germe de la mauvaise pensée dès 1656, deux ans avant la rédaction du projet. Quelle preuve plus puissante, quelle démonstration plus sensible peut-on rapporter de la mauvaise conduite de l'accusé et de l'intention qu'il avoit de former un parti, que de voir un officier de la robe, un procureur général, qui n'est ny du métier de la guerre, ni de condition à exercer le trafiq, achetter des vaisseaux et des canons ? Ne sçait-on pas que, dès l'année 1656, il avoit fait faire au port de Concarneau un grand vaisseau du port de huit cents tonneaux, appellé le Grand Écureuil, auquel M. le président de Chalain, son parent, avoit part ? Ayant depuis reconnu que le vaisseau ne pouvoit servir ni pour la guerre, ni pour le commerce, il l'a vendu au Roy[16].

Des armements, l'accusation passe aux négociations, aux cabales entretenues au dedans et au dehors du royaume. L'envoi à Rome du chanoine Maucroix apparaît comme un énorme complot, une intrigue auprès de la cour romaine. Talon insinue que ce n'est pas le seul fait qu'il pourrait relever. Toutefois, il n'en cite pas d'autres. Les lettres de Mlle de Trécesson ne sont pas mentionnées, n'étant pas au procès et faisant partie de ces documents détournés par Colbert dont on ne pouvait plus se servir.

Talon se rattrape sur les chiffres pour correspondance secrète trouvés chez Foucquet. Certes, la cryptographie peut constituer un jeu innocent pour les particuliers, une habileté nécessaire chez les princes. Employée par un surintendant, elle est l'indice, la preuve corroborante du complot et du crime d'État.

C'est sur ce beau raisonnement que finit le préambule.

 

On passe aux faits particuliers, déjà reproduits tant de fois[17] :

Pensions sur les gabelles, sur les aides, sur le convoi de Bordeaux et le sol des Charentes ; avec circonstance aggravante d'autres pensions extorquées par Pellisson, Gourville, Mme du Plessis-Bellière, commis et amis se faisant leur main, à l'exemple du patron ;

Prêts supposés, à dessein de s'allouer des remises ;

Intérêts pris abusivement dans les traités passés au nom du Roi : droits sur les sucres et cires à Rouen ; droits de parisis sur la Seine ; traités des offices de commissaires des tailles, du droit de marc d'or, etc., etc. ;

Détournement de billets de l'Épargne (bons du Trésor), et quel détournement, six millions !

Tous ces chefs d'accusation sont énoncés, discutés, suivis d'une production de pièces justificatives. Puis, comme explication des causes de tous ces péculats, Talon fait le compte des dépenses de Foucquet, de ses prodigalités personnelles, de ses profusions plus criminelles encore pour corrompre les sujets du Roi et s'assurer des complices.

Cet exposé, hérissé de chiffres, chargé d'accusations accessoires contre un grand nombre de personnages, sert de transition à la démonstration du crime de lèse-majesté. Long de soixante-treize pages, sans compter les documents produits comme preuves[18], il porte d'un bout à l'autre la marque visible d'un défaut d'unité dans la conception et d'une rédaction précipitée. À l'appui d'articulations graves, on présente des insinuations, des hypothèses. Quelques bonnes raisons disparaissent sous la masse des allégations téméraires. On ne croirait pas que ce travail informe est le produit d'une instruction prolongée pendant dix-huit mois. Le style même est plein de disparates, tantôt plat quand Berryer rédige, tantôt ampoulé quand Talon prend la plume et jette sur la composition de ses acolytes les lourdes parures de son éloquence.

A en croire Gomont, la lecture de l'inventaire de production fut reçu à la Chambre avec beaucoup d'applaudissements, jusque-là que plusieurs des juges ont creu qu'il seroit à propos de faire imprimer l'endroit qui fait mention du mémoire écrit par M. Foucquet, d'imprimer pareillement ce mémoire pour estre distribué au publicq. Cette impression fut même décidée dans une de ces conférences occultes qui se tenaient tantôt chez Colbert, tantôt chez Talon, et Gomont y ajouta un discours entier sur le mémoire ou projet de révolte.

Les plaideurs s'abusent aisément. La vérité est que l'acte d'accusation, bien que rédigé avant la publication, en janvier 1663, du travail de Foucquet, ne parut être qu'une médiocre réponse à ces défenses anticipées[19].

 

Cependant, le procès suivait son cours. Du 11 avril au 23 mai, vingt-deux séances furent employées au rapport de l'affaire, sans qu'on eût lu toutefois la moitié des pièces produites par l'accusation.

Cette lenteur, si elle n'était pas sollicitée par Talon, ne lui déplaisait pas. Toujours affairé, toujours attardé, il ajoutait des productions nouvelles[20] aux anciennes, recommençait ses informations et ses enquêtes.

Au courant du mois de mai, on vit débarquer à Paris une troupe de matelots et de paysans de Belle-Isle, témoins qu'on voulait confronter à Foucquet, à la suite d'une instruction supplémentaire confiée au lieutenant criminel d'Angers, La Maule. On les avait adressés au greffier Foucault, qui les envoya droit à Vincennes, où, pendant dix ou douze jours, on les garda à vue, sans les laisser sortir ni parler à personne. Les sentinelles avaient été doublées à la première porte On eût plutôt dit des prisonniers que des témoins[21].

Ces confrontations ne furent pas favorables à l'accusation. On avait fait dire au nommé Le Gac que deux mille hommes travaillaient aux ouvrages de Belle-Isle. Il proteste. Il a dit plusieurs : on a écrit deux mille[22].

Richard Moreau avait soi-disant aidé à charger un baril plein d'argent appartenant à Foucquet. Confronté, il n'a pas connu Foucquet, il n'a pas parlé d'argent, n'a jamais vu le baril ouvert et ne sait ce qu'il contenait[23]. Presque tous avouèrent qu'ils n'étaient pas sûrs de leurs affirmations. Ces barils étaient lourds. — Qu'y avait-il dedans ? de l'or, de l'argent, (lu métal ? Ils ne l'assureraient pas au juste ; c'était lourd.

Autre incident pénible pour les magistrats instructeurs.

Bien que ces témoins eussent reçu quinze livres en partant, on leur avait remis des certificats, constatant qu'ils voyageaient à leurs frais ; ce qui leur permettait de réclamer une plus grande taxe à Paris. Un d'entre eux, Louis Pellart, que la surveillance n'avait pas empêché de s'enivrer, mais que l'ivresse n'empêchait pus de songer à ses intérêts, tira un de ces certificats et le montra aux commissaires de la Chambre de justice. On se hâta de lui dire qu'il ne s'agissait pas de taxe pour le moment, et qu'il eût à remettre son papier dans sa poche.

Et cependant, La Maule, l'enquêteur, était à Vincennes, surveillant ses témoins, promettant, menaçant tour à tour.

A quoi aboutit l'information ? À rien. Les quatre mille hommes employés aux travaux sont réduits à six cents.

L'argent porté à Belle-Isle a passé par les mains d'un marchand de Nantes, Gorges, et d'un autre de Rennes, Duchâteau, dont les comptes sont au procès[24] et forment un total de 573,879 livres 1 sol 6 deniers[25]. On est loin des 2.242.283 livres énoncées par La Manie à l'aide de toisés faux et de prix majorés.

Plus cette confrontation était défectueuse, absurde, malveillante, plus elle révélait la pensée de Talon de faire du crime de lèse-majesté le pivot de son accusation. On n'en pouvait plus douter. Les crieurs publics colportaient dans les rues la publication préparée par Gomont, visant le crime d'État, avec adjonction des pièces dites secrètes, projet trouvé à Saint-Mandé, engagements, etc.

Foucquet se plaignit de cet étrange procédé, et, chose plus étrange encore, le chancelier Séguier fit arrêter cette publication[26].

 

C'est qu'en effet, comme l'avait prévu Gomont, l'opinion publique affirmait de plus en plus que le surintendant était victime d'une injustice[27]. On élevait la voix en sa faveur. On colportait un poème latin, Fuquetus in vinculis, Foucquet dans les fers[28], pièce d'un bon style, attribuée à un Jésuite ou à un jeune homme appelé Gervaise. L'auteur déplorait la disparition des papiers pouvant servir à la défense[29].

Peu de gens entendaient le latin, mais les poésies françaises abondaient. On se passait en copie manuscrite une élégie moins touchante que celle de La Fontaine, mais plus hardie[30]. Le poète interpellait les Muses.

Parlez en sa faveur, et quand l'injuste Envie

Ternit d'un noir venin le lustre de sa vie,

Quand le lèche intérêt, qui s'accommode au temps,

Appelle ses vertus des défauts éclatants ;

Quand la foible amitié, douteuse et chancelante,

N'en parle qu'à l'oreille et d'une voix tremblante,

Chantez comme autrefois, avec la même ardeur,

Ce qu'il aura toujours de constante grandeur ;

Opposez vos concerts aux vains bruits de l'orage,

Et d'un Roy magnanime apaisez le courage.

Celui dont vous plaignez le sort infortuné,

Vous l'avez vu cent fois, d'honneurs environné,

Qui vous tendoit la main, et, prévenant vos plaintes,

Soulageoit les douleurs dont vous étiez atteintes.

D'un cœur né pour la gloire et pour les beaux desseins,

Il chercha le mérite entre tous les humains.

Quel art un peu fameux, quel nom un peu sublime

N'a reçu quelquefois des fruits de son estime ?

Que n'a point embrassé sa générosité ?

Esprit, sçavoir, valeur, sagesse ou piété ?

Et qu'a-t-on vu de grand et de noble et d'aimable

Qui n'ait trouvé sans cesse Oronte favorable ?

Jamais les malheureux, implorans son secours,

Ne furent rebutés d'un insolent discours.

Ami de la raison et touché de ses charmes,

Il ne la vit jamais qu'il ne rendit les armes...

Quand un de ces héros vient la terre honorer,

Je ne sçai quoi de grand prend soin de l'inspirer ;

Je ne sçai quoi l'élève au-dessus de lui-même :

Une chaine fatale, une force suprême,

Un charme tout-puissant, un généreux poison

Le force à mépriser la vulgaire raison ;

Et dédaignant d'aller par la route commune,

Il bazarde cent fois César et sa fortune !...

Par ce chemin si noble et si peu fréquenté,

Oronte n'aspiroit qu'à l'immortalité.

Le destin l'avoit mis au milieu des richesses,

Mais jamais de son cœur il ne les fit maitresses ;

Il n'imita jamais ces avares mortels

A qui votre prudence élève des autels ;

Ces anses du commun, ou basses ou prudentes,

Pareilles aux fourmis noires, grosses, rampantes,

Que le peuple indien admire sur ses Lords,

Entassant et gardant les précieux thrésors,

Sans avoir d'autre objet, ô fureur sans seconde !

Que de les dérober à l'usage du monde...

C'est, dit-on, ce passage qui aurait froissé la susceptibilité de Colbert, noire fourmi entassant des trésors. L'auteur continue :

Sage Boy, juste Roy, grand Roy, Roy véritable,

S'il a pu vous déplaire, Oronte est trop coupable ;

Mais si dans son erreur, flatté de vos bontés,

Il couroit à sa perte à pas précipités ;

S'il n'a pu soupçonner votre juste colère ;

S'il brûloit dans le cœur du désir de vous plaire ;

Si ce cœur noble et franc, d'un zèle abandonné,

Tenant tout de vos mains, pour vous eût tout donné ;

Si de ce zèle ardent il cous servit sans cesse,

Pardonnez au pouvoir de l'humaine foiblesse,

Qui mêle nos défauts à nos perfections,

Et la sagesse même aux folles passions...

Oronte dans les fers, privé de tout appui,

Consumé de douleur, prêt à mourir d'ennui,

Ne regretta jamais ces espérances vaines

Qui firent si longtemps ses plaisirs et ses peines.

Il ne regrette point les thrésors décevans ;

L'encens empoisonné des lâches courtisans ;

Ni la sage Daphné, qu'il rend si misérable,

De ses jours plus sereins compagne inséparable ;

Ni leurs tendres enfans, de tous abandonnés,

Ou trop heureux enfans, ou trop infortunés !

Ni ses ingrats amis ni sa gloire passée.

Son Roy seul irrité revient en sa pensée,

C'est tout ce qui l'afflige ; il ne pense qu'en vous,

Et voudrait bien mourir, mais sans votre courroux[31].

Au moment même où l'on publiait à cri public le factum d'un procureur général contre un accusé prisonnier, où les muses latines et françaises protestaient contre les accusateurs, un événement grave se produisait à Versailles. Le jeune roi y tomba subitement malade et, une seconde fois, vit la mort assise à son chevet. Si cette souveraine de tous les hommes saisissait sa proie, le gouvernement retournait aux deux reines, toutes deux ennemies du favori Colbert, l'une d'elles, Anne d'Autriche, ostensiblement très adoucie pour le malheureux Foucquet, l'autre très hostile au protecteur de La Vallière.

 

Alarmes et espérances furent également vives et courtes. Le Roi se rétablit rapidement.

On sait qu'au plus fort de son mal, le jeune prince pensait à sa maîtresse, à La Vallière, cause inconsciente de tant de colères. Bientôt, Louis XIV rentrait à Paris, et, le 30 mai 1663, la Chambre de justice était non supprimée, mais confirmée par son transfert à l'Arsenal, dans le principal appartement d'iceluy, en la chambre proche le grand salon[32].

Quelques jours plus tard, d'Artagnan recevait l'ordre d'amener Foucquet à la Bastille et de l'y garder comme à Vincennes. Le 20 juin, un escadron de trois cents mousquetaires fut chargé d'escorter le prisonnier et de parer à toute tentative d'enlèvement[33] comme à toute démonstration des sympathies populaires.

 

Le malheureux entrait dans sa quatrième prison. Enfermé d'abord à Angers, berceau de sa famille, puis à Amboise, sous l'autorité indirecte du frère de La Vallière, enfin dans le donjon de Vincennes, entre le cercueil de Mazarin et le somptueux château où Louis XIV s'habituait au faste et à la grandeur, on le tirait de ce donjon pour le conduire à la Bastille, dans cette prison où son frère et lui, il faut bien le dire, avaient trop souvent envoyé quiconque s'opposait à leur désir ou gênait leur passion. Le gouverneur était ce même Besmaux qui prodiguait au surintendant partant pour Nantes les assurances d'un entier dévouement. Besmaux était toujours aussi dévoué, mais à d'autres chefs. Cependant, très soupçonneux, Colbert maintint au seul d'Artagnan le soin de garder le prisonnier. Le lieutenant et ses mousquetaires prirent possession d'un quartier de la Bastille, de celui qui regardait le faubourg, et que huit portes séparaient de l'entrée. De plus, des sentinelles furent posées sur le fossé, avec ordre d'écarter quiconque s'approcherait de la tour[34].

 

Pourquoi le changement de prison ? Voulait-on écarter de Vincennes, séjour de fêtes, le voisinage importun de cette victime ? Espérait-on la tenir plus resserrée encore ? On ne sait. Talon, de plus en plus perdu dans cette vaste procédure qu'il ne dirigeait pas, essaya d'y remettre un peu d'ordre. Le 25 juin 1663, il prit des conclusions pour réduire à neuf ses chefs d'accusation. Il avait pourtant produit trente-trois procès-verbaux de l'Épargne, et cent-un interrogatoires de gens d'affaires pour justifier son réquisitoire. Vingt-quatre de ces procès-verbaux et toutes les déclarations furent abandonnés. Le Tellier trouvait entièrement vicieux le travail de Berryer. Si neuf parties en furent conservées, c'est que Gomont les remit ou plutôt crut les remettre sur pied[35].

On signifia cet abandon à Foucquet, afin de l'empêcher de prendre avantage de ces points d'attaque qu'on ne pouvait pas maintenir. Mais, justement, Foucquet avait un volume imprimé tout prêt à être répandu dans le public. En quelques heures, il composa une très belle préface à ce volume, et prit pour thème ce retrait de tant de chefs d'accusation.

Comme M. Talon m'a veu prest d'y répondre, il a esté contraint de se départir honteusement de la plupart, chose inouïe d'un procureur général. Mais ce qui est plus curieux, c'est que je m'oblige de faire voir à tout le royaume que de ces neuf il y en a plus de la moytié qui sont faux et supposés, et que les autres ne prouvent rien, afin qu'on juge, par ce choix et ce triage, ce que pouvoit estre le reste.

Toutes ces choses se prouveront successivement ; mais comme je n'ay pas les facilitez dont se prévaut M. Talon contre mol/ ; qu'il a des imprimeurs à sa porte, et qu'il faut que je les fasse chercher bien loin, avec grands frais et grande peine ; que tout est permis à l'accusateur et tout est interdit à l'accusé ; que les déposts publics luy sont ouverts et me sont fermez ; qu'il a eu, deux ans durant, mes propres papiers, et que je ne puis seulement les voir un quart d'heure ; que le sceau luy est favorable et m'est contraire, jusques-là ; qu'un des juges déchire publiquement un compulsoire de justice qui m'avoit esté scélé en lu forme ordinaire, pour avoir des pièces nécessaires à ma production, il me faut excuser si je ne puis pas faire toutes choses avec la promptitude que je soubaiterois pour rendre mon innocence aussitôt publique, comme il est certain qu'elle sera bien prouvée[36].

Malgré tant d'obstacles, malgré le temps pris par les confrontations, cet homme maladif avait rédigé une admirable suite de contredits à la production de Talon. Sans se préoccuper de l'arrêt de forclusion, il imprima hardiment le texte même de son accusateur, non pas tronqué, mais intégral. Puis, il le discute, phrase par phrase, sans esquiver aucun argument, aussi franc, aussi habile dans sa réfutation qu'il avait pu l'être dans ses défenses anticipées[37].

Quand on songe aux conditions dans lesquelles travaillait le prisonnier, on reste confondu. En vain avait-il demandé à la Chambre d'être admis à voir directement les pièces communiquées ; en vain faisait-il observer que les avocats ne connaissaient ni les finances ni les écritures du Cardinal et des autres personnes, qu'il avait besoin d'un conseil financier et de ses Papiers ; autant de demandes, autant de refus[38].

Les avocats étaient obligés de consulter les pièces chez les rapporteurs du procès[39]. Foucquet, néanmoins, grâce à son admirable présence d'esprit, suppléait à tout.

Inutile de reprendre la discussion des faits. D'ailleurs, peu d'arguments nouveaux sont produits. Tous reviendront encore plusieurs fois. Foucquet parle d'abord, sans le nommer, de celuy qui écrit sous le nom de M. Talon[40]. Mais sans s'arrêter aux épigrammes, il décline comme toujours la compétence de la Chambre. Il l'a reconnue, prétendait audacieusement Talon, puisqu'il a pris des plumes, encre et papiers, et qu'il confère avec son conseil.

Si par arrest de la Chambre, réplique Foucquet, il estoit ordonné qu'on fourniroit du pain à un prisonnier qui meurt de faim, pourroit-on dire qu'il auroit suby la jurisdiction pour avoir mangé de ce pain, en faisant des protestations ? — J'ay esté détenu dans la plus rigoureuse prison qui ait jamais esté, pendant une longue instruction, sans plume, encre, ni papiers. On m'a pris mes papiers par force et sans forme. On m'a interdit toute voye de me défendre. Je m'en plains. On me présente, après plus d'un an de temps, quelque partie de ces choses. Je les accepte, disant nommément que c'est sans reconnaître la jurisdiction et sans renoncer à me pourvoir contre : peut-on tirer de lit une bonne preuve de ma reconnaissance[41].

Talon a reproché à Foucquet son ingratitude envers Mazarin.

M. Talon veut-il que je croye avoir obligation à un homme qui se sert de mov tant que je lm- suis utile, et qui forme en même temps le dessein de me perdre aussitôt qu'il s'en pourra passer ? Prétend-il me persuader que celui-là soit mon bienfaiteur qui médite ma perte, pour asseurer mieux la possession des avantages qu'il a tirez de moy ? L'éloquence de mon accusateur n'est pas assez grande pour établir des maximes de cette nature.

Je serois très ingrat, si, sans aucun fondement legitime, je blâmois celui qui m'auroit fait du bien ; quand même il auroit de grands défauts, je devrois tâcher de les couvrir : aussi, l'ay-je toûjours fait. Mais je ne sça y si celuy-là doit estre dit mou bien-faiteur, qui me louê, qui me caresse, et qui me baise pour me livrer à MM. Colbert et Talon, mes persécuteurs, et me faire périr aussi-tôt qu'il verra le prix asseuré qui luy reviendra de ma perte. Cependant, cette apparence de bienfaits a esté cause que j'ay continué de le servir et me sacrifier pour luy, depuis même que sa mauvaise volonté m'a esté connue ; encore aujourd'huy, quoy que je soufre, je n'aurois pas dit un mot ni expliqué les raisons de ce projet, si mes ennemis ne l'avoient rendu public. Ce sont eux qui ternissent la mémoire de leur bienfaiteur, en relevant une pièce de cette qualité, qui ne porte rien contre M. le Cardinal que tout le monde ne juge infiniment au-dessous de ce qu'on en pouvoit dire, si mon intention eût esté de luy nuire, au lieu qu'elle n'estoit que de me garantir des dernières extrémitez de sa haine et de sa jalousie.

N'est-il pas véritable que M. le cardinal Mazarin n'a jamais eu d'amitié pour ceux dont il a receu des services ? Comment en a-t-il usé pour les héritiers de M. le cardinal de Richelieu, auquel il devoit le chapeau de cardinal, et l'honneur d'estre l'un des ministres de l'Estat ? Comment, pour M. de Chavigni, qui l'avoit mis aux bonnes grâces de M. le cardinal de Richelieu ? Comment, pour M. des Noyers, auquel il avoit juré amitié ? Comment enfin, pour d'autres personnes de plus grande considération, que je ne veux pas nommer par respect, auxquelles il devoit son élevation, sa subsistance et sa conservation ?

Foucquet fait allusion à la brutalité dont Mazarin usait publiquement dans les derniers temps envers la reine Anne d'Autriche. Il s'enhardit jusqu'à reproduire une de ces insinuations qui ne seront jamais ni retirées ni complétées.

Si j'avois la liberté de dire au Roy ce que j'ay ouï de la propre bouche de M. le Cardinal, et la tentative qu'il m'a faite, et à d'autres encore, et qu'il me fût permis d'en expliquer les circonstances, qui sont telles que le Roy n'en pourroit pas douter ; et la réponse que je luy fis, laquelle est, et peut bien estre une des causes de sa haine contre inoy, Sa Majesté seroit fort convaincuë que la gratitude de M. le Cardinal estoit beaucoup moindre que ma fidélité[42].

Qu'on ne m'attaque point, et je consens à tous les panégyriques de M. le Cardinal, et à ceux du sieur Colbert, de M. Talon et du sieur Berryer même[43].

Foucquet se défend très bien de l'accusation de crime d'État.

Il faut, s'écrie-t-il, de vingt-cinq ou trente-mille lettres qui sont entre mes papiers, ou du sieur Pellisson et mes autres commis, en produire une dans laquelle il y ait un mot contre le service du Roy ; car enfin, toutes celles que j'ai receuës depuis que je suis au monde sont entre les mains de mes ennemis ; et cependant, après les avoir examinées pendant dix-huit ou dix-neuf mois, on n'en produit pas une, soit au dedans, soit au dehors du royaume, qui puisse estre seulement soupçonnée d'un commerce illicite avec des étrangers suspects.

Quelle conséquence en doit-on tirer ? sinon que jamais homme maltraité n'a tenu une conduite si pure, si nette, si zélée pour le service du Roy. Trouvera-t-on quelque négociation, ou simple entretien avec quelqu'un de ceux qui estoient en Flandres, où il y avoit dix mile François ? En trouvera-t-on en Espagne ? En trouvera-t-on en Angleterre ? En Alemagne ? Chez des princes d'Italie suspects d'attache à un autre party ? Ou même en France, avec quelqu'un qui m'ait écrit des choses contre l'intérest de Sa Majesté ?

Concluons donc une fois qu'on veut étourdir le monde de tous ces vains discours, et qu'on veut étoufer la preuve de mon innocence, de mon affection et de mes services, dont j'ay dix mile témoignages irréprochables, dans les lettres de tous ceux que j'excitois par une application surprenante, et par un travail continuel et infatigable à faire leur devoir, et à chercher les moyens de contenir tout le royaume dans l'ordre.

Je demande que toutes ces lettres soient veuës, et on rougira de honte d'avoir osé attaquer ma fidelité, parce que j'ay pensé une ou deux fois à ne pas périr[44].

 

Voilà l'accent de la vérité, le cri de l'innocence persécutée ; mais, Foucquet ne pouvait s'y tromper, ce chef d'accusation n'était qu'un prétexte pour arriver à le punir d'un autre crime, vrai ou faux, que lui reprochait le Roi.

En vain le surintendant disgracié croyait-il pouvoir s'adresser à la bonté, à la justice de la Reine mère, Louis ne permettait même pas qu'on se plaçât entre lui et sa victime. Talon, avec sa légèreté habituelle, avait commis la faute de citer parmi les pensionnaires du surintendant le sieur de Graves.

Je m'en suis expliqué, répond Foucquet, par mon interrogatoire ; la Reyne mère me fera bien l'honneur de déclarer que ce sont aumônes faites par son ordre, lesquelles elle avoit ordonné que l'on délivrât audit sieur de Graves, pour les distribuer à mesure qu'elle le diroit, quelques-fois plus et quelques-fois moins, jusques à la concurrence de la somme qui estoit destinée ; mais elle ne vouloit pas que cela fut publié, comme on ne fait guères en matière d'aumônes ; c'est un assez bon témoin, et je n'aurois pas la hardiesse de citer Sa Majesté, si la chose n'estoit véritable ; mais, de plus, j'en ay la preuve dans mes papiers[45].

Ce dernier mot était de trop.

Anne d'Autriche, entraînée un moment dans les intrigues de Mme de Chevreuse, n'avait pas tardé à sentir ce que sa conduite avait d'injuste. Malade[46], troublée dans sa conscience, elle voulut réparer, au moins atténuer dans ses conséquences une persécution dont elle s'était rendue complice. Par une réaction excessive, au lieu de faire une déclaration franche et simple, elle donna une attestation soi-disant antidatée des sommes que Gaboury et de Graves avaient reçues pour elle du surintendant[47]. Le Roi se fâcha, exila de Graves, et le prit de très haut avec sa mère.

 

En réalité, la pauvre La Vallière était la cause quasi inconsciente de toutes ces colères que divers incidents surexcitaient encore ; intrigues, lettres anonymes, dénonciations, propos de parloirs, troublaient la Cour. La passion du jeune prince n'en était que plus violente. Il l'affirma en mariant le frère de sa maîtresse à une riche héritière de Bretagne. Le mariage fut célébré solennellement à Paris. Loret l'enregistra dans sa Muze historique.

Par bonheur pour Foucquet, Louis XIV avait plus d'une passion. Au même moment où il affichait publiquement ses relations avec sa maîtresse, pauvre fille désespérée de tout ce bruit, Louis rabrouait violemment le vieux duc de Lorraine, qui voulait épouser légitimement la fille d'un apothicaire. Scandalisé par ce projet de mésalliance, il travaillait à dépouiller de ses États cet épousent insatiable.

Autre bonne chance. L'austère Talon, tout poussiéreux, tout farci de citations, se laissait de plus en plus prendre aux agaceries de la belle Mme de l'Hôpital, et se croyait aussi grand séducteur que grand orateur. Berryer[48], homme sachant satisfaire ses passions à moins de frais et surtout à moins de perte de temps, ne cessait de récriminer contre Talon, qui se fâchait.

Ces causes diverses, à peine connues alors, ne laissèrent pas de donner quelque répit à l'accusé. Les formes de justice, destinées d'abord à l'accabler, se dressaient de jour en jour comme des abris protecteurs. On avait tant le désir de lui voir reconnaître l'autorité de la Chambre, que, malgré les forclusions, on admit sa production légale, même ses défenses imprimées, même celles qu'on avait saisies, où il protestait contre la Chambre[49], qui, par une extraordinaire inconséquence, acceptait un débat contradictoire avec un accusé qui déclinait sa compétence et contestait son pouvoir.

 

 

 



[1] Ms. Ve de Colbert, n° 239, f° 121. ORMESSON, Journal, II, p. 40.

[2] ORMESSON, Journal, II, p. 40.

[3] Avis de Rocquesante, adopté par Séguier. ORMESSON, Journal, t. II, p. 41.

[4] Défenses, t. XVI, p. 351.

[5] Ms. Ve de Colbert, n° 229, f° 183.

[6] ORMESSON, Journal, t. II, p. 42.

[7] Défenses, t. VI, p. 20. Foucquet a reproduit exactement et intégralement le texte du préambule de Talon.

[8] Défenses, t. VI, p. 28.

[9] Défenses, t. VI, p. 33 et suiv.

[10] Défenses, t. VI, p. 36.

[11] Défenses, t. VI, p. 84.

[12] Défenses, t. VI, p. 162.

[13] Défenses, t. VI, p. 171.

[14] Défenses, t. VI, p. 238.

[15] Défenses, t. VI, p. 289.

[16] Défenses, t. VI, p. 347.

[17] Défenses, t. VII, p. 1.

[18] Défenses, t. X (f° 135 v° à 144 r° de la production de Talon) ; ibid., t. XII (f° 145 v° à 158).

[19] Bibl. Mazarine, ms. 1448.

[20] Ms. Ve de Colbert, vol. 236. 26 avril 1663.

[21] Défenses, t. IX, p. 31, 32.

[22] Défenses, t. IX, p. 35.

[23] Défenses, t. IX, p. 36.

[24] Défenses, t. IX, p. 55.

[25] Défenses, t. IX, p. 115.

[26] V. Ms. de Gomont. Bibl. Mazarine, ms. 1418. Cf. Défenses, t. VI, préface.

[27] Archives de la Bastille, p. 129.

[28] GUY PATIN, Lettres, t. II, p. 389 (19 mai 1883).

[29] S'agirait-il du poète Gervaise qui avait travaillé pour Foucquet, à Saint-Mandé ? Gervaise pourrait avoir collaboré avec le Père des Champsneufs. On retrouve dans cette pièce des souvenirs de l'Élégie aux Nymphes de Vaux.

Le Tableau de la vie et du gouvernement de MM. les cardinaux Richelieu et Mazarin et de M. Colbert... avec un recueil d'épigrammes sur la vie et sur la mort de M. Fouquet. Cologne, P. Marteau, 1693. Le poème Fuquetus in vinculis est publié en tête du recueil et a été ajouté après l'impression

[30] Cette élégie est attribuée à Pellisson par l'abbé Souchay, son éditeur, qui cite à l'appui un mot de Colbert. Évidemment ce renseignement est digne d'attention. Marcou a admis l'œuvre, qu'il juge assez lourde, comme étant de Pellisson. D'autre part, Lacroix la revendique pour La Fontaine et y voit la première pensée de l'Élégie aux Nymphes de Vaux. Cf. P. LACROIX, Œuvres inédites de La Fontaine, p. 98.

Nous pensons qu'il faut chercher un troisième auteur. Le poète dit qu'il habite les bords de l'Arar ou ceux du Rhin ; ceci ne convient qu'a d'Hesnault. Cf. Œuvres de d'Hesnault, et surtout le Furetieriana, année 1696. Églogue, p. 316.

[31] PELLISSON, Œuvres diverses, t. I, p. 194. LACROIX, Œuvres inédites de La Fontaine, p. 100.

[32] Bibl. nat., ms. Ve de Colbert, n° 229, f° 216.

[33] Archives de la Bastille, t. II, p. 134. GUY PATIN, Lettres, t. II, p. 370. 20 juin 1663.

[34] On connaît le logement de Foucquet parce qu'il fut occupé par Lauzun, par Arnault, dont l'historien l'a décrit. Il occupait la pièce située au-dessus de la chapelle, dans la tour dite de la Chapelle.

[35] Bibl. nat., ms. Ve de Colbert, n° 238, 25 juin 1663. Défenses, t. VI, p. 3. Ms. de Gomont, Bibl. Mazarine, ms. 1448.

[36] Défenses, t. VI, p. 2 et 3.

[37] Défenses, t. VI (avril à juin 1663) ; t. VIII (juillet 1663) ; t. X, XI (fin 1663). Le volume publié en juin 1663 est le tome VI.

[38] Ms. Ve de Colbert, n° 236, f° 135 v° (29 avril 1663).

[39] Ms. Ve de Colbert, n° 236, f° 127 (10 avril 1663).

[40] Défenses, t. VI, p. 72.

[41] Défenses, t. VI, p. 74.

[42] Défenses, t. VI, p. 261, 263.

[43] Défenses, t. VI, p. 266.

[44] Défenses, t. VI, p. 380, 381.

[45] Défenses, t. VI, p. 173, 174.

[46] MOTTEVILLE, Mém., t. IV, p. 355. Cf. Mme DE MAURE, Lettres, p. 193.

[47] ORMESSON, Journal, t. II, p. 42. Le certificat, donné vers juin 1663, était daté du 25 octobre 1661. Je ne puis m'empêcher de soupçonner dans cette date une erreur de copie. Incontestablement, en septembre 1661, Anne d'Autriche était hostile à Foucquet. Comment, moins d'un mois plus tard, aurait-elle signé l'attestation dont il s'agit ? Ne faut-il pas lire octobre 1662 ? Cette date concorde avec la production de la pièce mystérieuse signalée par Gomont en décembre 1662.

[48] ORMESSON, Journal, t. II, p. 46.

[49] Bibl. nat., ms. Ve de Colbert, n° 236. Séance du 16 juillet 1663. L'accusé ayant rétabli dans sa production ses défenses imprimées, lecture en est commencée.