Le 8
mars 1661, Foucquet, alors très prudemment installé à Saint-Mandé, se rendait
de grand matin aux nouvelles à Vincennes, quand il rencontra, à travers bois,
le jeune Brienne, et apprit la mort du Cardinal. Quelques minutes plus tard,
arrivé en hâte au château, il se mettait aux ordres du Roi, qu'il trouva
enfermé dans son cabinet avec Lionne et Le Tellier. Que, depuis quelques
mois, depuis quelques jours surtout, il se fût opéré une transformation
profonde dans la manière d'être de ce jeune prince, on n'en pouvait pas
douter. Quel usage ferait-il de l'autorité si énergiquement revendiquée par
lui ? nul ne le savait. Ce
premier conseil dura trois heures[1]. L'opinion publique y vit la
confirmation des trois principaux ministres de Mazarin. Le lendemain, à sept
heures du matin[2], séance d'apparat où siégèrent
Séguier, les deux Brienne, du Messis-Guénégaud et La Vrillière. Louis,
affirmant de nouveau une volonté de maitre absolu[3], fixa l'ordre du travail. Tous
les jours, de neuf heures à onze heures, conseil secret ; tous les deux
jours, le chancelier y viendrait régler les affaires de justice et tenir le
sceau. Les après-dîners seraient donnés aux finances[4]. La
situation de Foucquet, loin d'être amoindrie, paraissait plus forte.
Désormais, il était admis aux délibérations sur les affaires étrangères. Le
Roi le chargea mème de négociations confidentielles[5]. Comme le plus ancien
conseiller d'État, il avait une sorte de préséance sur ses deux collègues[6]. Le Tellier, très laborieux,
très réservé, plus attaché à ses intérêts qu'à ceux du gouvernement[7], se plaçait volontiers au
second rang. Lionne, très intelligent, doué d'une grande facilité de travail,
mais léger, marchait depuis longtemps derrière le surintendant, son ami.
Foucquet semblait donc, par l'étendue de son esprit, par ses aptitudes multiples
aux affaires de justice, de finance, de commerce, de diplomatie, par son
caractère naturellement aimable et obligeant, devoir l'emporter sur tous ses
collègues[8]. Il ne
se laissa pas éblouir par ce premier rayon d'une nouvelle faveur. Sans savoir
exactement ce que Mazarin mourant avait pu dire ou faire dire au Roi contre
lui, Foucquet était trop aux écoutes pour n'en avoir pas entendu au moins un
écho. Par précaution, il fit en quelque sorte sa confession au Roi. Si, dans
la gestion des finances, quelques abus s'étaient introduits, si les formes
n'avaient pas été toujours observées, la faute était imputable aux nécessités
du temps. Rien ne s'était fait que par l'ordre du Cardinal, dépositaire
incontesté de l'autorité royale. Désormais, plus de dépense sans ordre formel
du Prince. Louis écouta le surintendant. Satisfait de ses promesses pour
l'avenir, il le rassura ; quant au passé, il ne parut même pas désireux d'en
apprendre aucun détail. Ses paroles furent précises, sans restriction, sans
réserve[9]. Pouvait-il s'exprimer
autrement le lendemain du jour où il avait abandonné cinquante millions aux
héritiers de Mazarin ? Le
jeune roi avait d'ailleurs besoin d'un surintendant habile et jouissant de la
confiance publique. Les impôts de 1661, de 1662, et jusqu'en mars 1663,
étaient mangés d'avance[10]. La mort du Cardinal ouvrait
une crise gouvernementale et, en attendant la constitution d'un ministère
nouveau, les bourses se fermaient. L'argent était d'autant plus rare que,
pour faire figure à la Cour, les seigneurs, les grandes et les petites dames
empruntaient tant qu'ils pouvaient[11]. Les notaires, les usuriers
préféraient ces placements aux prêts directs au Roi, qui remboursait quand et
comme il voulait. Foucquet dut recourir aux expédients, d'autant plus que
Louis voulait qu'on ne changeât rien publiquement. Sur sa signature personnelle,
sur celle de ses amis, principalement de Girardin, il emprunta de très
grosses sommes au taux relativement modéré de dix pour cent[12]. Colbert,
absorbé dans l'exécution du testament de son défunt maitre, ne se mêlait pas
encore des finances de l'État. Obligé d'ailleurs, pour l'accomplissement de
cette grosse liquidation, de demander au surintendant beaucoup de signatures
de confiance, il Ménageait son ennemi[13]. Tranquille
de ce côté, Foucquet, sur l'ordre de Louis, s'engagea dans trois grandes
négociations avec les rois d'Angleterre, de Pologne, de Suède, sans compter
la discussion du traité de commerce avec les États de Hollande[14]. Il s'appliquait avec d'autant
plus d'ardeur à ces travaux diplomatiques qu'ils étaient plus nouveaux pour
lui et témoignaient de l'accroissement de ses fonctions. Dans
les affaires de Suède, il assistait seulement Lionne. En Pologne, il agissait
directement, et la chose était de conséquence ; mais, dans la négociation
avec le roi d'Angleterre, il tenait le premier rang, passait même par-dessus
l'ambassadeur français à Londres et les premiers ministres de Charles II. Il
s'agissait de décider Charles à épouser une princesse de Portugal. Bien qu'en
public et pour le vulgaire on célébrât l'admirable traité des Pyrénées et
l'incomparable habileté du Cardinal, on ne laissait pas de penser en France
qu'on aurait pu tirer un plus grand profit des dernières victoires. C'est ce
qu'avaient dit Turenne et Foucquet lui-même[15]. Il était bon de se préparer
des alliés en cas de complications nouvelles. Charles II, récemment restauré sur
le trône d'Angleterre, était naturellement indiqué comme point d'appui de la
politique française. En le mariant à une princesse de Portugal, on lui
faisait prendre parti contre l'Espagne et pour la France. Un sûr
moyen de gagner le nouveau roi, c'était de lui fournir des subsides qui le
rendissent indépendant de son Parlement, parlement politique, plus difficile
à mater que celui de Paris. Le surintendant était donc tout naturellement
désigné comme intermédiaire de la négociation qui, bien conduite sur place par
un agent nommé La Bastide, et appuyée par une pension de deux cent mille
écus, réussit pleinement[16]. Dès le mois de mai, bien que
la date du mariage restât à fixer, l'accord était établi[17]. Foucquet ouvrit même des
pourparlers en vue du rachat de Dunkerque[18]. C'était un beau début et qui
promettait pour l'avenir. Les
affaires de Pologne ne présentaient pas un moindre intérêt. La femme du roi
Jean-Casimir, Marie-Éléonore de Gonzague, Française de naissance et de cœur,
avait, malgré la cour de Vienne, persuadé à son mari de se faire désigner un
successeur de son vivant. Tout était disposé pour assurer l'élection du duc
d'Enghien, neveu de la Reine. Là encore, l'argent, et par conséquent le
surintendant, devaient jouer un grand rôle[19]. En
Suède, la besogne était facile ; la minorité du prince, une incontestable
communauté d'intérêts avec la France imposaient la continuation de l'entente
entre les deux pays[20]. Restait
le traité de commerce avec les Hollandais. Touchant à toutes sortes
d'intérêts publics et privés, il rencontrait de grandes difficultés. Le
surintendant ne trouvait que peu ou point d'aide chez le chancelier, chez le
vieux Brienne, ses principaux collaborateurs. Les États de Hollande et leur
agent Van Beuning se montraient d'autant plus pressants qu'ils étaient chaque
jour mieux renseignés sur les projets commerciaux de Nicolas, protectionniste
résolu. Pendant
les deux mois de mars et d'avril, le jeune roi, habilement servi par
Foucquet, ne témoigna que de l'estime et de
la complaisance pour son esprit élevé et fécond en expédients[21]. De là, chez les concurrents un
redoublement de jalousie et de haine. Bien qu'il fût déjà certain que
personne ne réussirait à prendre l'autorité d'un premier ministre, on ne s'en
disputait pas moins la faveur du prince dans la limite restreinte où il lui
convenait d'en faire part. La guerre commença. Le
chancelier Séguier, à qui sa charge donnait accès dans tous les conseils,
avait été exclu de celui des finances, le plus important, et paraissait de
méchante humeur[22]. Très âpre au gain, il
sollicitait constamment des faveurs financières, des indemnités pour des
droits supprimés. Louis, malgré son avarice, n'osant rabrouer les demandeurs
en face, renvoyait Séguier au surintendant, qui l'accueillait fort rudement,
refusant même à plusieurs reprises d'exécuter les ordres du Roi[23]. Le
Tellier, qui n'avait jamais aimé Foucquet, ni personne d'ailleurs, jugea
utile d'agir, mais avec précaution, contre la faveur possible de Nicolas.
Ancien patron de Colbert, ayant suivi avec son attention ordinaire les
progrès cachés de la fortune sans cesse croissante de cet homme laborieux,
prudent, habile, et qui lui ressemblait par tant de côtés, il crut qu'en lui
promettant son appui, il s'en ferait un auxiliaire dévoué[24]. Protéger Colbert, ce serait
encore le dominer. Foucquet
avait bien plus de raisons que Le Tellier pour se défier de l'homme de
confiance de Mazarin, personnage en apparence secondaire, de naturel
domestique, mais doué de si rares qualités d'ordre, de jugement, de dévouement,
qu'il était devenu le maitre incontesté du plus despotique des maîtres. La
charge d'intendant des finances, qu'on venait de lui donner, devait-elle être
le terme de sa carrière ? Nul ne le savait. Mazarin mort, Colbert
renoncerait-il à ses attaques contre le surintendant ? Autre problème.
Foucquet fit une première reconnaissance en pays ennemi. M. de
La Meilleraye, devenu duc de Mazarin par la volonté du Cardinal et par
lettres patentes du Roi, enregistrées au Parlement, sur la requête du
procureur général, ne s'en déchaînait pas moins contre ce dernier, ameutant
ses créatures, parlant haut. On ne connaît pas exactement la cause ou le
prétexte de cette fureur. Foucquet et sa femme vivaient en bons termes avec
les Mancini. La surintendante était admise à l'hôtel de Soissons, d'où le Roi
ne bougeait pas. Marie, devenue connétable Colonne, était partie en
prodiguant à Foucquet les témoignages de sa reconnaissance[25]. Elle se servait même de lui
pour correspondre avec sa sœur Hortense, devenue Mme Mazarin[26]. Cette entremise fut-elle le
motif de la colère de La Meilleraye ? Toujours est-il que ce mari mal
équilibré, ayant d'ailleurs en Bretagne des rivalités d'influence avec le
surintendant, se répandait en diatribes contre Foucquet. C'est alors que
Nicolas, pour tâter le terrain, crut devoir provoquer l'intervention de
Colbert. La
réponse ne se fit pas attendre. Colbert n'avait aucune influence sur le duc,
qui lui avait retiré la gestion de ses affaires pour la donner à Boucherat ;
il ne voulait pas se mêler des faits et gestes de ce personnage. En réalité,
les legs faits par le Cardinal étaient délivrés[27]. On n'avait plus de signature à
demander aux exécuteurs testamentaires. Ce déclinatoire de Colbert valait un
avertissement ; aujourd'hui comme hier, c'était un ennemi. D'ailleurs,
les avis indirects ne manquaient pas. Un jour, un commis de Colbert déclarait
que son patron allait devenir deuxième surintendant, si même il n'obtenait
pas tout l'emploi[28]. Un autre, en plein cabaret,
annonçait la chute prochaine de Foucquet, homme négligent, laissant voler le
Trésor par ses employés, qui s'enrichissaient en trois ans (28 avril 1660). Un
écuyer de la princesse de Condé, cinq ou six gentilshommes de M. le Prince,
disaient tout haut qu'on n'avait jamais vu la France si mal gouvernée ; que
ce sont tous les jours de nouveaux impôts, qu'on était plus heureux pendant
la guerre. Nous sommes cent fois pire que du
temps de Son Éminence ! Propos
plus grave. Un ancien commis du surintendant, Delorme, parlait de papiers
raturés par le patron et qu'il détenait pour s'en servir, le moment venu. Que
valaient ces insinuations ? On ne sait ; mais ces simples menaces
constituaient au moins un gros ennui. Un
partisan, ce Tabouret, mis jadis en prison par Foucquet à la sollicitation de
Gourville, méditait de se venger et s'entendait avec une demoiselle de
Mormar, précédemment en service près de la femme du ministre. D'autres
recherchaient une certaine Montigny, séquestrée, emprisonnée arbitrairement,
au moins le disait-elle, depuis plus de trois ans[29]. La
Montigny, Bretonne d'origine, mariée, mère de plusieurs enfants, était venue
à Paris vers 1658, apportant à Mazarin une dénonciation où il était parlé de
tout, du cardinal de Retz, d'un apothicaire qu'on ne retrouvait pas, etc. Par
contre, on l'accusa de fabrication de fausse monnaie. Mazarin la confia à
Besmaus, gouverneur de la Bastille, qui la remit aux Filles repenties, d'où,
par ordre de Foucquet, elle passa au Fort-l'Évêque, puis à Melun, puis dans
une ferme du surintendant, à Mépentienne. Elle s'y trouvait quand le Roi
revint de Lyon en 1659. Après
une première évasion, on la conduisit à l'île Dieu, place de la marquise
d'Asserac ; on l'y tint quinze mois, à ce qu'elle prétendait, enfermée dans
une tour à la porte murée, et où l'on descendait la nourriture à l'aide d'une
corde. La marquise vend File Dieu, et la Montigny est transférée dans une
autre tour du château de la Hunaudaye. Nouvelle évasion, nouvelle reprise.
Des messagers de Foucquet et de Mme d'Asserac engagent, soi-disant, des
négociations avec la séquestrée, proposent de lui donner du bien, si elle
consent à ne pas écrire au Cardinal. Elle refuse. Troisième
évasion. L'enragée revient à Paris, s'y fait reprendre et retombe aux mains
de Besmaus, qui la rend à un homme de Foucquet, Devaux ; celui-ci la loge
dans un petit cachot muré et grillé. Tant d'échecs n'abattaient pas cette
créature extraordinaire, et même, au dire de son gardien, c'était un peu pire. Elle déclare qu'elle poussera jour et nuit des
cris horribles, si on ne la renvoie pas chez elle, en lui donnant ce qu'il
lui faut. Alors g elle ne dira mot g. Que pourrait-elle dire ? Au fond, peu de
chose, ce qu'elle avait colporté en Bretagne, qu'il était bien aisé à Mme
d'Asserac de porter des mouchoirs de Venise,
que cela ne lui coutoit rien, que c'étoit M. le procureur général qui
l'entretenoit de tout à Paris. — Qu'on lui donne du bien,
qu'on la renvoie chez elle, elle ne dira pas un mot de tout ce qui s'est
passé ; autrement, elle fera pire que jamais[30]. Au
fond, et comme on le vit plus tard, il n'y avait dans cette affaire qu'un
usage abusif du pouvoir contre ce qu'on appelle aujourd'hui une tentative de
chantage. Les ennemis de Foucquet n'en dressaient pas moins l'oreille,
racontant ces étranges aventures dans les antichambres des reines. A cette
époque, en effet, les ministres dépendaient non d'assemblées parlementaires
comme de nos jours, mais du Roi et de la Reine, des princes et des princesses
et de leur entourage. A défaut de la presse, encore tout officielle, et du
reportage encore inconnu, on employait les gazettes à la main et les
espionnages domestiques. Foucquet, comme tous les contemporains, se servait
des mêmes armes que ses ennemis. Depuis
le mois de décembre 1660, il avait offert ses services à Mlle de Menneville,
fille d'honneur d'Anne d'Autriche, personne de bonne famille, très belle,
suffisamment intelligente, quelque peu ambitieuse. Elle prenait ses
vingt-cinq ans et se trouvait attardée comme tant d'autres au milieu de ces
guerres. Aussi voulait-elle se marier, d'autant plus qu'elle avait en poche,
depuis deux années, une promesse de mariage signée devant témoins par le duc
d'Amville, un favori du Roi. Cette promesse, le duc affectait de la
considérer tantôt comme un engagement sérieux, tantôt et le plus souvent
comme un simple badinage. Il verrait, il consulterait les casuistes, le R.
Père Annat, par exemple. Au fond, sous ces hésitations, se dissimulait mal
une question d'argent. La demoiselle, sa mère, son frère ne laissèrent pas
ignorer ce détail au surintendant, qui, bon ou faible, mais certainement
magnifique, promit cinquante mille écus et en donna même un billet. Certes,
la signature de Foucquet n'était pas discutée. Toutefois, Mlle de Menneville souhaiteroit fort que l'argent fût déposé chez un notaire,
afin qu'elle en puisse parler à M. de Gontaut (le capitaine des gardes de la
Reine mère), et faire voir à l'autre (l'autre, c'est
d'Amville) qu'en cas qu'il veuille faire
l'affaire (c'est-à-dire l'épouser),
assurément on ne le fourbe pas[31]. Tant de
générosité, sans compter les menus cadeaux, bijoux, points de Venise, un peu
d'argent pour le jeu et la toilette, tant de bonne grâce ne pouvaient manquer
de séduire une jeune fille romanesque, comme toutes ses compagnes. D'abord,
elle se trouva tout interdite, toute bête. — De quelque manière que puisse tourner son affaire, elle en
aura les dernières obligations à Foucquet. Elle le lui fait dire, puis le lui écrit. Écrire est
aimable, mais remercier en personne vaudrait mieux. Menneville
habite le Louvre ou le Palais-Royal. On n'a qu'à traverser le jardin, gagner
la petite porte, à gauche, qui donne sur la rue Neuve-des-Petits-Champs, pour
trouver à deux pas de là une autre petite porte, celle du jardin de l'hôtel
d'Émeri, devenu l'hôtel Foucquet. Un domestique, le fidèle Laforêt, tient
cette porte entr'ouverte. La belle solliciteuse, qu'une gouvernante ou une
amie accompagne, entre furtivement, trouve son puissant solliciteur, explique
son affaire, montre sa promesse de mariage et part consolée et charmée. De la
conversation, on passe au rendez-vous. Quoi
qu'on en ait dit, on n'a jamais vu Nicolas Foucquet à la recherche de
plaisirs faciles. Loin de là. On ne trouve même ce surintendant qu'auprès des
cruelles. Mme d'Asserac, Mme de Sévigné l'ont tenu à petite distance, il est
vrai, mais enfin à honnête distance. S'il a entrevu la jeune et imposante Mme
Scarron, on ne peut pas dire qu'il ait cherché à attirer son attention, ni
elle la sienne. Comme avec Mlle de Trécesson, c'est encore un calcul
politique qui le fait entrer en intrigue avec Mlle de Menneville, bien placée
pour tout entendre et qui peut devenir la femme d'un duc, favori du
souverain. Il lui rend service, et sa façon de donner double le prix de ce
qu'il donne. On le remercie. On lui écrit ; on est à lui sans réserve, un gros mot à ce qu'il nous semble, mot un peu banal en ce
temps-là. La demoiselle écrit de même style à la femme La Loy, sa marchande à
la toilette. Mais ce qui n'est pas banal, c'est ce beau visage, ce sont ces
beaux yeux pleins de caresses. Foucquet a quarante-six ans, l'âge où les
hommes s'aperçoivent qu'autour d'eux une nouvelle génération de jeunes filles
a grandi. Le
départ de la Cour pour Fontainebleau interrompit pendant quelque temps ces
trop aimables causeries (20 avril 1661). Croire
qu'ils aient pris de longues heures dans la vie de Foucquet, ce serait se
tromper. Si agréables à entretenir que fussent les demoiselles d'honneur, les
instants à leur donner étaient courts. A cette même époque, tant
d'occupations accablaient le surintendant, que son frère, l'évêque d'Agde, ne
pouvait pas parvenir à le voir[32]. Il avait pourtant à lui parler
d'affaires urgentes. Le marquis d'Aumont, gouverneur de Touraine, venait de
mourir[33]. Il s'agissait d'obtenir ce
gouvernement pour Gilles Foucquet, le gendre du défunt. Les d'Aumont s'y
employaient de leur mieux ; mais Louis Foucquet se montrait plus ardent et
plus exigeant. Un échec serait une tache, on dirait aujourd'hui un affront
pour la famille[34]. Entre temps, il demandait et
obtenait pour lui-même la charge de maître de l'Oratoire du Roi ; mais cela
ne lui suffisait pas. Pendant
que ces ambitions personnelles le sollicitaient, Nicolas avait à songer aux
dépenses de l'État. Dans le premier trimestre de 1661, les seuls payements du
comptant avaient absorbé 12.114.202 livres. Il fallait en prévoir autant pour
le second et tout obtenir en aliénant les recettes de 1662[35]. Le
jeune Louis XIV, presque cupide quand il s'agissait de l'exacte perception
des revenus, dépensait volontiers quand il s'agissait de politique ou de
plaisirs. On prodiguait les pensions aux princes allemands[36]. On entretenait deux ou trois
troupes de comédiens français, espagnols, italiens. Fontainebleau, Vincennes,
les Tuileries, Versailles étaient embellis, agrandis. Chaque jour on donnait
des fêtes, toutes plus splendides les unes que les autres. C'est par grosses
sommes qu'on remettait l'argent de poche au jeune roi. Évidemment,
Foucquet n'avait pas beaucoup de temps de reste pour les amourettes. Encore
ne fait-on pas compte de celui que prenaient les fâcheux et les mille
incidents de la vie publique. En
voici un curieux exemple : Vers le milieu de ce mois d'avril 1661, M. de
Mazarin, de plus en plus irascible, s'emporta contre un musicien italien,
nommé Atto, jurait qu'il le ferait périr par le bâton, exigea son
emprisonnement. Ce personnage avait rendu certains services comme officieux, notamment lors des négociations à Francfort. Le Roi intervient,
charge Lionne de donner asile au musicante. Lionne n'ose pas s'exposer au
courroux du Mazarin, fait appel à l'obligeance de Foucquet, qui, en
définitive, se décharge de ce soin sur Pellisson. En fin de compte, Atto
reçoit 1.500 livres et part, promettant ses services dans les petites cours
d'Italie[37]. De cette affaire, qui ne le
concernait pas, sortiront cependant beaucoup d'ennuis pour le surintendant.
Au jour de sa disgrâce, on transformera l'Italien en agent secret, soudoyé
par l'ambitieux Foucquet. Le
drame va continuer de se dérouler, mais sur une autre scène. Le Roi, les
reines, quittent Paris pour se rendre à Fontainebleau. Conformément à l'usage
de l'ancienne monarchie, les principaux ministres, comme les grands
officiers, suivaient la Cour. Le surintendant et le chancelier avaient même
un logement dans les palais royaux, au Louvre, à Fontainebleau. Dans cette
dernière résidence, la surintendance occupait un pavillon de la cour dite des
Cuisines, bâtiment construit du temps de Louis XIII, entre cette cour et
l'hôtel d'Albret, avec une jolie façade en pierre et briques sur les jardins[38]. Malgré
tous les avis menaçants qu'il recevait, Foucquet doutait si peu de l'avenir,
qu'il s'installa à Fontainebleau pour y vivre et y travailler jusqu'à
l'automne. Tous ses papiers de finances y furent transportés, d'autant plus
qu'il laissait aux maçons sa maison de Paris. Un
commis du surintendant, Lépine, avait la garde de ces archives. On y comptait
deux cent cinquante-huit gros cahiers, et plus de trois cent soixante-quinze
pièces formant les états au vrai de la recette et de la dépense pour l'année
1657[39], des abrégés des états de
finances pour les deux années précédentes ; ceux de la généralité de Paris de
1653 à 1658, de la généralité de Bretagne de 1636 à 1661, de toutes les
généralités pour une période de dix ans en moyenne[40] ; ceux enfin des fermes des
gabelles, des aides, des cinq grosses fermes, des octrois, des domaines, etc.[41]. Tous
ces matériaux avaient été réunis à grands frais par Foucquet, en vue d'études
rétrospectives et de projets d'avenir. Ils étaient accompagnés de documents
d'une utilité plus immédiate : états du comptant pour les trois premiers
trimestres de 1659 ; traités soit en cours d'exécution, soit différés ou
projetés ; les prévisions de dépenses pour 1661, 1662, récapitulation des
payements faits par ordre du Roi depuis le mois de mars[42]. Rien n'y manquait, tout s'y
trouvait, même un état des fonds égarés[43]. Soit
par hasard, comme il arrive dans tous les demi-déménagements, soit de dessein
prémédité, on transporta à Fontainebleau des papiers d'un intérêt privé ou
d'ordre intime, contenus dans une caisse de plus belle apparence que les
autres et qu'on appelait la cassette peinte. Pellisson, devant suivre le patron, emporta les lettres reçues depuis le commencement de l'année,
et installa son secrétariat en ville, à l'hôtel. En ce
temps-là, les particuliers, comme les princes d'ailleurs, voituraient avec
eux leurs meubles, les tentures principalement, tapisseries à images ou
simples verdures, qu'on jetait rapidement sur la nudité des murs des
châteaux, des palais royaux ou des hôtelleries de campagne. Fontainebleau
n'était alors qu'un gros village, un bourg tout au plus, que de grands
espaces séparaient du château. Les personnages suivant la Cour logeaient un
peu partout, à Avon, à Thomery, et jusqu'à Moret. C'est dans
cette dernière petite ville que les négociateurs hollandais, pour ne pas
perdre de vue leur traité de commerce, s'étaient installés. Vers
les premiers jours de mai, Foucquet arriva avec sa femme et ses enfants. Il
eut tout d'abord à subir deux coups assez sensibles. Le gouvernement de
Touraine fut donné non à son frère Gilles, mais à M. de Saint-Aignan, vieux
courtisan, qui se constituait le Mercure du jeune Jupiter. Ce dernier,
suivant sa règle de conduite, dépensait comme un dieu et comptait comme un
avare. Il venait d'établir Colbert dans la première commission de l'Épargne,
c'est-à-dire de lui donner le contrôle des recettes et des dépenses. A cet
effet, le laborieux et habile intendant de Mazarin, devenu depuis le 8 mars,
sans bourse délier, intendant des finances, devait tenir jour par jour un
registre des recettes effectives et de leur emploi. L'idée n'était pas
nouvelle ; Herwarth avait eu le droit comme le devoir d'en établir un
semblable, sans qu'il s'en fût soucié, loin de là, non plus que son client et
patron Mazarin, et pour cause. A l'avenir, Colbert serait à même de tout
voir, le surintendant ne l'ignorait pas. Mais si tout se passait
régulièrement, que pourrait dire Colbert lui-même ? Rien. A cette
heure, Foucquet avait volontiers pris son parti de la situation nouvelle
faite par l'avènement d'un maître qui voulait voir clair dans ses comptes. Il
acceptait même avec joie un Roy véritablement Roy, et cette grande lumière qui se
découvroit à ses peuples[44]. Il vouloit montrer les peuples à leur Roy et faire pour
Sa Majesté ce qu'Auguste fit pour luy-mesme et pour ses successeurs, un
instrument de l'Empire. Là doivent être par ordre les forces et les revenus
de l'État, suivant les provinces et les généralités ; combien de paroisses en
chacune, quelle la qualité des terres et des eaux, quels seigneurs, quels
habitans, quelle leur application et leur industries[45]. Il est
certain que, las de cette lutte contre des nécessités quotidiennes, de cette
dépense de sa vie à la recherche incessante d'expédients nouveaux, le
surintendant songeait à appliquer son intelligence à une plus grande œuvre, à
la restauration des finances, c'est-à-dire à leur organisation raisonnée : Témoin ces belles et laborieuses tables, tirées avec tant
de coing des États du Roy, des rolles de l'Épargne et des registres de la
Chambre des comptes, où paroissoient en colonnes, année par année, depuis
très longtemps, les dépenses générales et particulières de l'État, les causes
ou les prétextes qui les avoient fait augmenter ou diminuer, ce que la
justice du Roy pouvoit ajouter aux unes sans profusion, ce que son économie
pouvoit ôter aux autres sans dureté ; témoin ces beaux et amples mémoires de
toutes les sortes, non pas reçus simplement, mais aussi rédigés par lui-même,
pour décharger les peuples d'une partie des tailles. et surtout de la
vexation infinie des contraintes qui font bien plus grand mal ; témoin les
personnes intelligentes envoyées exprès en plusieurs généralités sans titre
ni caractère public, afin que, n'épouvantant personne et n'ayant nulle autre
application, elles étudiassent de plus près et comme par simple curiosité
l'inégalité des départemens, la misère des taillables et les moyens d'y
remédier[46]. C'étaient
là de hautes vues et dignes d'un homme d'État. Naguère ministre habile dans
des temps troublés, Foucquet rêvait de, se montrer le grand ministre d'un
grand roi. Il voulait recommencer sa vie, et son esprit ardent se remplissait
de nouvelles ambitions. Il
était procureur général, mais quel intérêt présentait encore ce poste de
magister, surveillant des conseillers désormais trop dociles ? La
surintendance obligeait à bien des contacts répugnants ! Pour un partisan
homme de goût, comme Girardin, il s'en trouvait vingt grossiers et dangereux,
comme les Maissat et les Rambouillet. La chancellerie, voilà le poste envié. Un
chancelier, digne de ce nom, tenant les sceaux d'une main ferme, aurait tout
le pouvoir, puisqu'il voyait tout, signait et scellait tout, depuis les états
de finance jusqu'aux traités de commerce et de paix, avec droit de séance au
Parlement et dans toutes les assemblées, Cour des aides, Chambre des comptes,
etc. Séguier, à vrai dire, n'était qu'un garde des sceaux sans autorité, sans
prestige, d'une avarice sordide, et qui faisait tache dans la splendeur
naissante du nouveau règne. Ainsi
Nicolas Foucquet se livrait aux lointains espoirs et aux vastes pensées ;
comme tous les hôtes éphémères de ce monde, il tirait ses plans en vue d'une
installation ordonnée, définitive, à la veille du jour où l'on allait
brutalement lui signifier son congé. Cinq
mois vont s'écouler, d'avril à septembre 1661, apportant chaque jour une
rapide succession d'avis, de discours, de faits contradictoires. Le 13
mai, une des bonnes amies de Foucquet, Mme d'Huxelles, lui écrit que des
bruits défavorables ont couru dans Paris, quand on apprit l'installation de
Colbert au contrôle des finances[47]. Cinq jours après, la même amie
tenait tous ces bruits comme sans conséquence ; même, selon de gros
marchands, Foucquet était seul capable de
remettre les choses dans l'ordre ; les autres, trop avares, gâteroient tout
par leur ménage.
Quels autres, si ce n'est le parcimonieux Colbert, l'avare Séguier ? Foucquet
est aimé. — Et qu'on ne
dise pas que ces sentiments ne signifient rien. Cela s'écrit dans les pays
étrangers et fait son effet dans le temps[48]. Dans un autre esprit, mais
procédant des mêmes causes, l'ambassadeur hollandais Van Beuning écrivait,
quelques jours auparavant, que le surintendant était l'homme qu'il redoutait
le plus[49]. Le
séjour à Fontainebleau renouvelait pour Foucquet l'occasion de revoir
l'aimable Menneville, qui, toujours occupée de son mariage, n'avait garde non
plus de négliger son protecteur. Les rendez-vous, toutefois, s'ajustaient
plus malaisément. Foucquet ne pouvait pas aller dans les combles où logeaient
les filles d'honneur. La maison de la surintendance était bien étroite, et
Mme Foucquet, alors dans un état de grossesse assez avancé, sortait peu. Où
se rencontrer ? Tout à point, il se trouva que cette femme La Loy, qui
faisait si bien les commissions à Paris, occupait à Fontainebleau un petit
logis appelé la Mi-Voie, parce qu'il était situé sur le
grand canal, à moitié route entre le palais et un fief du Monceau, dont il
relevait[50]. La construction en remontait à
Catherine de Médicis, et cette reine, qu'on n'aurait pas crue d'humeur si
bucolique, y avait installé une vacherie, une laiterie, une sorte de maison champêtre,
avec jardins et fontaines, où elle recevait, dans un milieu rustique, son
fils Charles IX. La Loy
avait obtenu un brevet de concierge, avec trois cents livres de gages, pour
occuper ce logis fort délabré. Elle en sollicitait la restauration ;
l'intendant des bâtiments, Ratabon, discutait fort. La Mi-Voie, comme
laiterie et jardinage, dépendait de lui ; la conciergerie appartenait à la
charge de M. de Saint-Érem[51]. La Loy était cependant prête à
sortir de sa bourse quatre cents écus pour aménager cette laiterie, avec
billard au-dessus ; mais Ratabon refusait de donner une simple autorisation
par écrit. Aussi l'entremetteuse ne pouvait-elle supporter ce personnage
désagréable. Elle eût mieux aimé parler au Roi qu'à Ratabon. Elle suppliait
Foucquet d'intervenir, de mettre un terme à cette méchante chicane, sans quoi, ajoutait cette rusée, mon
argent seroit perdu, et il seroit impossible de rien faire de ce que nous souhaitons,
si nous n'avons quelque petit bien, détaché du commun. Enfin, Mlle de Menneville désire l'affaire de la Mi-Voie, pour voir Monseigneur en
liberté. Foucquet
se laissa séduire par tant d'avantages. Le fidèle Laforêt vint examiner les
plans[52]. C'était
effectivement un poste d'observation admirablement choisi que cette Mi-Voie,
entre le grand canal, où dans le jour le Roi se promenait, dînait même en
bateau, servi par le grand Condé, et cette longue avenue bordant les
prairies, où le soir la Cour passait dans ces calèches légères qui semblaient
effleurer la cime des herbes[53]. La
femme La Loy et Menneville s'ingéniaient à tirer parti de cette discrète
habitation. Nous avons songé, écrivait-elle à Foucquet, à une chause, de troués moiiens que elle s'alle promener
aveque le bonomme M. de Gitios et madame Noiel, et qu'ils vienne chés nous,
mais j'ay peur que ce ne soit trop asardé après ce que l’ons a dit. Si j'ay
l'onneur de vous voir, j'en causerai avec vous ; j'atendroi un ordre pour
tout. Voulant
dérouter les curieux, La Loy avait médité de loger la mère de Menneville et
Pellisson. La présence de ce dernier expliquera celle de Foucquet et de ses
gens[54]. Mais il en alla bien
autrement. La Mi-Voie fut envahie. Les deux frères du surintendant, l'évêque
d'Agde et l'écuyer, ce dernier avec sa femme, s'y installaient comme chez
eux. Des parents de Bretagne y demandaient un lit, sans façon[55]. La concierge ne décolérait
pas. Si on lui eût permis de recevoir Pellisson, qui eût déménagé à première
demande, que de persécutions évitées ! Enfin, la mère de Menneville eut sa
chambre au-dessus de la laiterie. Intrigue
bien étrange. A en croire l'honnête La Loy, la belle Menneville est ravie
quand elle reçoit une lettre de Foucquet ; si l'on prononce son nom, le feu
lui monte au visage. Elle est jalouse[56]. En même temps, les fourberies
de M. d'Amville la désolent. D'Amville ne vient pas, ou, s'il vient, c'est
pour chercher quelque moyen d'éluder sa promesse. Le Père Annat, circonvenu,
déclare que cette promesse n'est pas obligatoire[57]. On prie Foucquet de voir le
Révérend Père et aussi le confesseur de la Reine mère. Quant à la promise,
elle intéressera à son sort le doyen de Notre-Dame[58]. La Loy
ne sert pas d'intermédiaire avec la seule Menneville. Elle transmet les avis
de Mlle de Bosleux et de Mlle de Fouilloux ; cette dernière, très bien vue du
Roi, qui l'a toujours mise dans ses confidences amoureuses[59]. Influencés à deux siècles de
distance par les déclamations des ennemis de Foucquet, d'honorables
historiens ont, sans hésiter, catalogué Mlle de Fouilloux parmi les
maîtresses du surintendant[60]. Nul doute, selon eux, qu'elle
ne se soit vendue, puisqu'elle réclame une avance sur sa pension. Mais cette
pension lui était due très légitimement. De même Louis XIV lui fit don d'une
assez grosse somme, que Colbert d'ailleurs paya fort mal[61]. Fouilloux était encore une
fille qui voulait se marier. Elle avait jeté son dévolu sur le marquis
d'Alluye, et comptait sur Foucquet pour favoriser cet arrangement
matrimonial. Par
Fouilloux, Nicolas parvenait à Mlle de La Motte-Argencourt, cette belle
personne qui, vers 1658, avait dédaigné les premiers soupirs du jeune Louis
XIV. Fort malhonnêtement calomniée par Mazarin, elle était cependant restée à
la Cour. Or, comme il s'agissait d'obtenir pour M. de Créqui, gendre de Mme du
Plessis-Bellière, la charge de général des galères, on recherchait le
concours de Mlle de La Motte, réputée très influente auprès de M. de
Richelieu, le titulaire à déposséder. La demoiselle ne s'en faisait pas
accroire cependant, et déclarait franchement que Richelieu avait plus de
pouvoir sur elle qu'elle sur lui[62]. Des
hommes graves de naissance, ou n'ayant jamais respiré que l'air pur de
l'étude, se sont élevés contre ces intrigues, indignes d'un ministre d'État,
et où aurait pu sombrer l'avenir de Louis XIV, comme si le règne de ce grand
roi avait échappé à cette loi de tous les temps, loi non écrite et d'autant
plus durable, en vertu de laquelle les femmes gouvernent les gouvernants.
Foucquet assurément était trop fin, trop habile, pour méconnaître cette force
féminine. Il allait même bientôt en subir les plus redoutables contre-coups.
Cet homme aimable, qui aimait les femmes et que les femmes aimaient, va
succomber, non sous l'attaque directe de ses ennemis, non par l'effet de ses
fautes comme ministre, mais parce qu'il aura négligé une vieille dame,
duchesse du temps passé, et méconnu le caractère d'une jeune fille, duchesse
de l'avenir. On se
souvient de cette madame de Chevreuse, qui, jeune, belle, égoïste, s'était à
Nantes si tranquillement lavé les mains du sang de Chalais, son amant,
condamné sur l'ordre de Richelieu par des juges choisis à cet effet, et dont
le père de Nicolas Foucquet faisait partie. Elle va reparaître en 1661,
engraissée, alourdie, mais aussi égoïste et plus perfide qu'en 1626. Veuve
pour la deuxième fois en 1657, elle avait, malgré ses soixante et un ans
sonnés, convolé en troisièmes noces, en noces de conscience il est vrai, avec
un petit gentilhomme du Dauphiné, le marquis de Laigue. Ce mari de la main
gauche n'est guère connu que par des notes de Mazarin, qui se préoccupait
même des minuscules politiques. Laigue était mécontent du surintendant, et
comme il employait l'esprit de sa femme à ce
qui lui convenoit le plus,
il la lança contre Nicolas Foucquet. Mine de Motteville, l'amie d'Anne
d'Autriche, n'a jamais pu savoir le mobile de ces agissements[63]. C'est dire qu'on ne le
connaîtra jamais. Colbert et Le Tellier, aussi prudents l'un que l'autre et
qui hésitaient à se mettre en avant[64], eurent l'art d'entrer comme
simples comparses dans un complot dont la
Chevreuse était
fière de paraître le chef. Ces
intrigues étaient d'autant plus dangereuses qu'elles se perdaient au milieu
du labeur incessant de chaque jour. L'affaire de Pologne devenait de plus en
plus sérieuse. Le Roi chargeait Foucquet d'acheter et d'équiper deux
vaisseaux prêts à partir pour la Baltique. Or, ces vaisseaux devaient porter
en apparence du sel, en réalité deux millions de livres en or[65]. L'or
était plus difficile à trouver que le sel. Le 11 juin 1661, il restait à
l'Épargne en tout 72.375 livres[66]. Les comptes étaient pourtant
bien tenus et toutes les dépenses sérieusement contrôlées. Si quelque ancien
billet était pris en recette, on en faisait une mention spéciale, avec date
et numéro d'ordre. Toutefois, pour être dûment constatées, ces dépenses n'en
étaient pas moins considérables. Pendant le second trimestre de 1661, les
payements comptants ou secrets, commandés, vérifiés par le Roi, s'élevaient à
8.263.839 livres 11 sols 6 deniers[67]. Le
surintendant était donc obligé d'emprunter. Le 12 juin, il devait au seul
Girardin deux millions sept cent soixante-douze mille neuf cent soixante-huit
livres quatorze sols[68], et au total, de six à sept
millions. A la même date, il estimait que, dans le délai d'une année, il
recouvrerait quatre millions cinq cent soixante-six mille quatre cent
quatre-vingt-dix livres trois deniers[69]. Pour le surplus, il userait de
son crédit. C'était la continuation forcée de ce système qui faisait de
Foucquet le débiteur direct des fonds empruntés pour le Roi et du Roi le
débiteur de Foucquet. Avec le nouvel ordre établi, on ne peut prétendre que le
surintendant eût aucun avantage à engager sa signature. Il cédait donc à une
nécessité, connue de tous, de Colbert, qui contrôlait, comme de Louis XIV,
qui dépensait. Une
affaire politique d'un ordre tout particulier préoccupait le nouveau
gouvernement. Mazarin, partagé entre la peur et la crainte quand il traitait
avec le Pape, avait fini par s'aliéner la bonne volonté du Saint-Père. Au
conseil, en présence du Roi, on chercha un expédient pour rendre la Cour de
Rome plus favorable à la France, sans toutefois engager Louis dans ces
promesses et sans paraître désapprouver trop vite la conduite du Cardinal,
surtout son refus d'envoyer un ambassadeur d'obédience, chose que tout le monde estimoit nécessaire[70]. Foucquet proposa d'expédier sur les lieux, sans caractère officiel, un
homme d'esprit,
assez accrédité auprès de quelqu'un du Conseil, pour qu'on prit confiance en
ses paroles. Un homme, disait-il, avec la qualité d'envoyé du Roy, n'étoit nullement propre
à faire cette négociation ; le seul nom d'envoyé, à des gens qui attendoient
un ambassadeur d'obédience, leur estoit une injure nouvelle ; ils avoient
tellement maltraité le sieur Colbert, dernier envoyé pendant la vie de M. le
cardinal, que je n'estimois pas qu'on se deust commettre à en faire partir un
autre ; outre qu'un employé ne parle que par règle ; on est en garde avec lui
; on pèse chaque parole qui sort de sa bouche ; les préparatifs des audiences
et les cérémonies qui se font avec un homme qui a un caractère, rompent
toutes les mesures de la familiarité ; au lieu qu'un particulier qui s'est
fait des habitudes personnelles, avance et recule comme il veut ; il se
rétracte s'il a manqué ; il fait des excuses sur ce que ses propositions ne
sont fondées que sur son simple raisonnement ; il dit que l'affection luy
feroit souhaiter qu'on fist dés pas que peut-estre on ne voudroit pas faire ;
il s'ingère de donner des conseils ; il blâme, s'il veut, certaines fautes ;
il fait des propositions et ne demande point de réponses précises ; il coule
et insinue imperceptiblement ce qu'il veut, sans faire conséquence, sans
qu'on y fasse trop de réflexion et sans témoigner lui-même qu'il en fasse. Le Roi ne désapprouva pas ces
raisons, et il fut dit que si l'on voulait dans un autre temps faire paroistre quelqu'un avec qualité d'envoyé, on le
feroit toujours bien[71]. S'enquérant
du sujet capable de répondre à ses idées, Foucquet apprit de Pellisson, qui
le tenait de La Fontaine, qu'un chanoine de Reims, appelé Maucroix, possédait
toutes les qualités de l'emploi ; que, de plus, il avait toujours eu dessein
de faire le voyage de Rome. Ecclésiastique, son séjour serait moins suspect
que celui d'un autre. On appela donc Maucroix à Paris. Foucquet l'entretint
un quart d'heure et ne lui parla que de son chef. J'ay ouï dire, c'est Nicolas qui parle, qu'il
faut tromper l'ambassadeur ; et, pour faire qu'il joue bien le personnage
auquel on le destine, et qu'il persuade les autres des choses dont il est
chargé, il est toujours meilleur qu'il en soit le premier persuadé. Cela sent bien l'école de
Mazarin. Il est vrai que Foucquet ajoute : Quand
il n'est pas essentiel que l'ambassadeur en sache davantage[72]. Enfin
tout s'accorda. Pellisson rédigea une instruction, la fit ample, en exagérant
le pouvoir du surintendant, comme on en jugera par les extraits qui suivent. Le
chanoine Maucroix donnera au cardinal Azzolini les impressions les plus
advantageuses qu'il pourra des choses qui regardent Monseigneur et dont il
est desjà informé, c'est-à-dire de sa conduite, de son esprit, de sa
générosité, de la part qu'il a au gouvernement présent, de celle qu'il y doit
avoir aparement en tout temps, tant à cause de son génie extraordinaire, plus
eslevé certainement que celuy de tous les autres qui sont dans les premières
places, qu'à cause de l'union de deux grandes charges, dont l'une appuye
l'autre, et du nombre infiny d'amis qu'il s'est fait par le moyen de l'une et
de l'autre, y aiant travaillé tout le temps avec un soin extrême. Il
luy fera concevoir d'ailleurs qu'il n'est rien à quoy Monseigneur ne se
porte, quand il le fault, pour servir ceux qui sont dans ses intéretz, et
qu'estant nay pour les grandes choses, la beauté d'un dessein a plus de force
pour l'attirer que toutes les difficultés du monde n'en ont pour le rebutter
; tout cela afin que ce cardinal, qui a des veües mesure pour le pontificat,
comme on croit, puisse penser que se liant estroictement avec Monseigneur,
s'il se présentoit quelque occasion capitale pour son exaltation, on le
serviroit en toutes manières, par négociation de cette Cour, par argent et
crédit, et qu'on n'espargneroit rien pour faire un grand coup en sa faveur[73] ; Que
le Roy, qui est pieux et dévot, ne demanderoit pas mieux, et se porteroit
asseurément de son costé à tout ce qui pourroit satisfaire Sa Sainteté, comme
à envoyer un ambassadeur pour l'obédience, et autres choses qu'elle auroit à
souhaitter. Que Monseigneur, de son costé, seroit fort aise d'y concourir,
tant pour le respect qu'il a pour le Saint-Siège que pour le bien du royaume,
et par les grands interrests qu'il a dans l'Église, Messieurs ses frères
estant dans les prélatures considérables ; et qu'asseurément, si on s'ouvroit
à luy de quelque chose, il seroit très-aise d'y servir, et pourroit mesme en
respondre en quelque façon, pourveu qu'on face quelque advance. Mais
le principal est l'article du cardinal de Retz, sur le sujet duquel on peut
demander deux choses au Pape, l'une qu'il ne fasse rien pour luy contre
l'intention du Roy, et qu'il en donne des asseurances au Roy ; l'autre, qu'il
fasse plustost quelque démarche contre ce cardinal, ce qui va en un mot à
l'esloigner des affaires et de la France, et à luy faire changer son
archevesché avec d'autres bénéfices. On
peut rendre le cardinal de Retz suspect au Pape par son estroite liaison avec
les jansénistes, qui ne sont pas bons amis du Saint-Siège, ny de l'auctorité
du Pape en particulier. Entre
temps, la politique ne faisait pas perdre au surintendant ses goûts de
collectionneur : M.
Maucroix s'informera aussi des curiositez et raretez du pays qu'on pourroit
envoyer icy, soit pour Monseigneur et pour Madame, soit pour faire de petits
présens de temps en temps au Roy et aux Roynes. L'abbé Elpidio Benedetti,
pour qui on luy donnera une lettre, le peut servir en cela ; excepté qu'il ne
faut pas tousjours se confier à ces Messieurs-là pour le prix des choses, et
on ne peut s'empescher d'estre surpris qu'en prenant langue de divers costez,
on ne puisse réussir, parce que les esprits de la plupart des personnes de la
cour de Rome sont occupez à faire des raisonnemens sur l'espérance des choses
à venir[74]. Sur ces
entrefaites, Le Tellier proposa un sieur d'Aubeville, que le Roi ne voulut ni
refuser ni accepter, si bien que d'Aubeville partit officiellement à la place
de Maucroix, qui se rendit à titre privé à Rome, où il se fit appeler M.
l'abbé de Crusy. Foucquet, relisant alors l'instruction dressée par
Pellisson, où l'on parlait de son pouvoir, de son avenir, la trouva un peu
pompeuse. Bref, on la garda entre tant de papiers que le surintendant et son
secrétaire avaient la louable et funeste manie de conserver. Cet
incident n'eut pas alors plus de portée qu'on en voit. Il parait à peine
intéressant, et si nous le mentionnons, c'est pour montrer plus tard combien
le changement des temps modifie le sens des choses indifférentes, comme ces
flots sans couleur propre qui paraissent noirs ou bleus, suivant que le ciel
est sombre ou azuré. En même
temps, on poursuivait à Fontainebleau l'étude de la réorganisation du
commerce colonial. Chanut, Feuquières, Arnauld d'Andilly, Ladvocat, Colbert,
divers négociants s'assemblaient chaque semaine chez Foucquet[75], qui se montrait, sur ce point
comme sur les autres, très préoccupé des intérêts de l'État, très négligent
des siens. Suivant son génie, il aimait les sujets grandioses, les vues
d'ensemble. Le détail l'ennuyait. Un des membres de ce conseil de commerce,
Clément, lui reprochait sa négligence, lui signalait la mauvaise conduite de
ses agents aux îles d'Amérique, celle surtout du gouverneur de Sainte-Lucie[76]. Nicolas donnait de l'argent
pour faire face aux obligations[77], mais ne se décidait pas à
destituer le gouverneur. Il voulait organiser autrement l'autorité maritime
dans ces parages. Un sieur de Neufchèse l'exercerait en qualité d'amiral.
Belle-Isle serait le port d'attache de ses flottes. On y établirait des manufactures
d'étoffes[78]. Ce serait la source de gros
profits. Colbert
écoutait tout attentivement, chargeait son parent, du Terron, d'envoyer des
espions à Belle-Isle. Ils y comptèrent jusqu'à quinze cents ouvriers
travaillant à fortifier la place[79]. Le simple bon sens constatait
une grande exagération dans le renseignement. Colbert ne l'en mit pas moins
dans le dossier du complot. La conductrice de ce complot[80], Mme de Chevreuse, ne perdait
pas son temps ; son mari de conscience non plus. C'est ce dernier qui
commença l'attaque contre Foucquet, fort habilement, par le point faible,
celui des intrigues féminines. Bientôt,
les alliés entreprirent le siège du confesseur de la Reine mère, le Révérend
Père Philippe Le Roy, Cordelier, porté sur l'état aux gages minimes de cent
trente livres par an[81], bonhomme qui
racontait respectivement à chacun les confidences de tout le monde. Le
moment était bien choisi pour circonvenir Anne d'Autriche, déjà mise en
méchante humeur par des discussions entre Mme de Soissons, surintendante, et
Mme de Navailles, dame d'honneur de la Reine. Les maris avaient pris fait et
cause pour leurs femmes, et le chevalier de Maupeou, cousin de Foucquet,
s'était assez légèrement chargé de porter, au nom du comte, un défi au duc de
Navailles[82]. Autre
souci. La vie à Fontainebleau prenait un air
plus que galant. Le
Roi était épris de sa belle-sœur Henriette, qu'il semblait
voir pour la première fois. Les chasses le jour, les repas et les promenades
jusqu'à deux et trois heures de nuit dans les bois, ne laissaient pas d'alarmer les Reines. En vain conseillait-on à
Madame quelque modération dans ses
divertissements :
Madame, tout fraîchement émancipée, écoutait les conseils et suivait ses
penchants. Sûre de son honnêteté, elle se livrait ardemment au plaisir. Louis
était le mari d'une femme très bonne, mais étrangère, très pieuse, mais très
jalouse. Henriette était mariée à un prince beau et poli, mais dont on a dit
justement que le miracle d'enflammer son cœur
n'étoit réservé à aucune femme du monde[83]. Beau-frère et belle-sœur, au
contraire, également gais, aimables, ayant les mêmes goûts, se voyaient tous
les jours, heureux d'être ensemble, et ne se quittaient plus. A tout
prix, il fallait rompre ce commerce trop charmant et qui devenait dangereux.
C'était une belle occasion pour Amie d'Autriche de s'acquitter d'une promesse
depuis longtemps faite à sa vieille amie Mme de Chevreuse, de l'aller voir à
Dampierre. On emmènerait Madame, ce qui interromprait forcément les
promenades trop tardives. Pour mieux marquer ses sentiments intimes, la Reine
mère fit appeler Mile du Puy, lui défendit de
laisser sortir les filles quand elle ne seroit pas là, excepté pour aller près de la
jeune reine ou pour se promener, sous ses
yeux[84]. Or,
pendant qu'on partait pour ce voyage où son sort devait se décider, Foucquet
songeait à la belle Menneville, que cette défense de la Reine clouait au
château. L'honnête La Loy déclarait que la personne était enragée, qu'elle
n'en voulait pas moins lier partie pour le mercredi. Quelles
étranges aventures ! D'Amville, le futur insaisissable, était revenu et
jurait que dans un mois la fille d'honneur serait devenue Mme d'Amville. De tout cela, je n'en crois rien, ajoutait la sceptique La Loy,
très affairée. En effet, M. et Mme Ratabon avaient collationné chez elle.
Naturellement, l'affaire de son bâtiment était venue sur le tapis. Il fallait
bien agrandir la Mi-Voie. Gilles Foucquet ne se contentait plus d'y loger ;
il 'y envoyait son frère, l'évêque d'Agde, et l'évêque d'Agde s'y installait.
Enfin, Monseigneur, si vous ne me portez
secours, j'y perdrai l'esprit, car malgré tout ce que je lui ai faict, j'ai
peur que monsieur votre frère ne se rebute pas encore, à moins que vous-même
ne lui parliez[85]. Il faut
en convenir, c'était un singulier lieu de rendez-vous que cette Mi-Voie, où
logeait un évêque ! Et ces rendez-vous sont bizarres où la demoiselle vient
toujours accompagnée ! Commerce galant au goût du jour, avec un air plus que galant, avec l'air seulement. Anne
d'Autriche était partie pour Dampierre, à petites journées, avec arrêt à Mennecy,
chez M. de Villeroi, qui, personnellement en faveur, politiquement en
disgrâce, cherchait à remonter. On ne força pas la note. La Reine mère
n'avait jamais eu qu'à se louer du surintendant, fort exact à lui payer ses
pensions et fort attentionné. A l'attaque latérale contre la galanterie, on
en ajouta une de front contre le faste[86]. L'effet
produit fut résumé dans le propos suivant. La Reine mère a dit
que le Cardinal avoit dit de Foucquet que si l'on pouvait
lui ôter les femmes et les bâtiments de la tête, il serait parfait[87]. Mince éloge, accompagné de si
grandes réticences. Après
le retour à Fontainebleau, Laigue continuant le siège du bonhomme confesseur, lui parlait fort dévotement. Au même
moment l'abbé Basile faisait de son côté de grandes liaisons avec ce même
Père Le Roy et avec la Mère de la Miséricorde, prieure des Petites Carmélites
de la rue du Bouloi, singulièrement occupée d'affaires mondaines. Basile est
déchaîné contre son frère Nicolas, qui u dissipé cent millions. Il en a donné
des mémoires à la Reine : il les fera voir au Roi, ainsi que les actions et
les dépenses les plus secrètes. Les 1.500.000 francs que le surintendant lui
doit, il les donnera volontiers à la Mère prieure, afin qu'elle bâtisse un
couvent, pourvu que le Roi soit instruit. Au surplus, l'abbé allait se rendre
à la Cour et mettre son plan à exécution[88]. Une correspondante, amie du
ministre et très effrayée, dépêchait à Nicolas l'homme même qui avait entendu
ces abominables propos. Que
l'abbé fût déchaîné contre lui, Nicolas n'en pouvait pas douter ; mais la
correspondante terminait par un renseignement plus grave écrit à l'encre
sympathique : La Reine (mère) a défendu à son confesseur d'avoir aucun commerce avec
vous, et a dit que vous aviez un million pour corrompre ses gens. Évidemment Mme de Chevreuse
gagnait du terrain. Foucquet
n'en était pas à apprendre ces fâcheuses nouvelles. Il avait même cru pouvoir
s'en expliquer avec Anne d'Autriche, lui reprocher d'être allée à Dampierre
avec ses ennemis, où on lui avait parlé contre lui[89]. La Reine commença par nier, et
le surintendant se laissa aller jusqu'à lui dire de se renseigner auprès de
son confesseur. Grand manque de tact chez un homme si fin. Anne d'Autriche
avait ses faiblesses et se sentait déchue ; mais, femme de race royale, elle
déclarait que le jour où elle se verroit dans
la dépendance d'un tiers, elle se retirerait au Val-de-Grâce[90]. On ne sait ce qu'elle répondit
à Foucquet ; on peut juger toutefois de ce qu'elle pensa par l'ordre donné au
Père Le Roi de n'avoir plus de rapports avec le surintendant. Quant à ce dernier, à cette heure où il aurait eu besoin de tout son sang-froid, au contraire, pris de vertige, il allait accumuler fautes sur fautes, en présence d'ennemis aussi habiles qu'implacables. |
[1]
On fait dire trois jours à Choisy par quelque erreur de copiste. Mémoires,
p. 577.
[2]
CHOISY, Mémoires,
p. 577 ; BRIENNE,
Mémoires inédits, t. II, p. 152. Foucquet venait à toute bride, dit Choisy, comme le tenant de
Brienne ; à pied, dit Brienne.
[3]
BRIENNE, Mémoires
inédits, t. II, p. 155, rapporte un discours du Roi, trop arrangé pour être
véritable.
[4]
FOUCQUET, Défenses,
t. VI, p. 136.
[5]
FOUCQUET, Défenses,
t. XI, p. 192.
[6]
FOUCQUET, Défenses,
t. VI, p. 136.
[7]
Henriette d'Angleterre, par Mme DE LAFAYETTE,
édit. France, p. 19.
[8]
Sur ce point, Mme de Lafayette, Mme de Motteville, Mlle de Montpensier, trois
contemporaines, sont d'accord.
[9]
Défenses, t. VII, p. 387. Foucquet ajoute : nobles
et dignes d'un grand Roy.
[10]
Défenses, t. XVI, p. 208 (Interrogatoire).
[11]
CHOISY, Mémoires,
p. 583.
[12]
Défenses, t. VIII, p. 244.
[13]
Défenses, t. XI, p. 15.
[14]
Défenses, t. VI, p. 139.
[15]
V. document cité par BOURELLY,
Le maréchal Fabert, t. II, p. 213, 214. Il est invraisemblable que
Foucquet ait été opposé à la conclusion de la paix.
[16]
PELLISSON, Histoire
de Louis XIV, t. I, p. 49.
[17]
PELLISSON, Histoire
de Louis XIV, t. I, p. 50.
[18]
Défenses, t. VII, p. 244.
[19]
PELLISSON, Histoire
de Louis XIV, t. I, p. 45.
[20]
Défenses, t. VI, p. 139.
[21]
PELLISSON, Histoire
de Louis XIV, t. I, p. 48.
[22]
PELLISSON, Histoire
de Louis XIV, t. I, p. 18.
[23]
PELLISSON, Œuvres
diverses, t. III, p. 468.
[24]
CROISY, Mémoires,
p. 580.
[25]
Lettre de M. Mancini à Foucquet. Armoires de BALUZE, Bibl. nat., ms. Baluze, vol. 150, f°
257. Dans les États de comptant pour le premier trimestre de 1661 (Bibl. nat.,
ms. fr. 7627, f° 136 r°), on lit : Au porteur d'une
ordonnance pour Mlle Marie Mancini, 100.000 livres, pour présent à cause de son
mariage avec le prince Colonne.
[26]
Lettre du 3 avril 1661. Armoires de BALUZE, vol. 150, f° 123.
[27]
Défenses, t. XI, p. 15.
[28]
Ce commis s'appelait Demay. Armoires de BALUZE, Bibl. nat., Baluze, vol. 150, f° 73-82
; CHÉRUEL, Mémoire
sur Foucquet, t. II, p. 166, 299.
[29]
CHÉRUEL, Mémoire
sur Foucquet, t. II, p. 163, 302. Ce Tabouret avait pour surnom Turny.
[30]
CHÉRUEL, Mémoire,
t. II, p. 305, 306. Archives de la Bastille, t. I, p. 393.
[31]
Lettre de l'entremetteuse La Loy, antérieure au 20 avril 1661. La Cour était
encore à Paris. Bibl. nat., Baluze.
Toutes ces négociations se trouvent dans les papiers
dits de la cassette, et ont été en partie publiés par M. FEUILLET DE CONCHES, Causeries
d'un curieux, t. II, p. 538 et suiv., et par M. CHÉRUEL, Mémoire sur Foucquet, t.
II, p. 200 et suiv., et en appendice de ce même tome.
[32]
Papiers de la cassette, Bibl. nat., Baluze, vol. 150, p. 195.
[33]
LORET, La
Muze historique, t. II, p. 345 (23 avril 1681).
[34]
Papiers de la cassette, t. I, f° 123.
[35]
Bibl. nat., ms. fr. 7627, p. 135.
[36]
État de plusieurs parties et sommes de deniers... ms. de la Bibl. nat., fr.
7627, p. 135 et 172.
[37]
Défenses, t. XI, p. 167.
[38]
Bibl. nat., ms. fr., 7620, f° 1 ; Défenses, t. IV, p. 61 et suiv.
[39]
Défenses, t. IV, p. 66.
[40]
Défenses, t. IV, p. 67 et 80.
[41]
Défenses, t. IV, p. 85.
[42]
Défenses, t. IV, p. 83 à 98.
[43]
Défenses, t. IV, p. 98.
[44]
A l'appui de ce qui est dit ici, on peut rappeler la lettre de Foucquet à
Mazarin, en date de 1658, déjà citée.
[45]
PELLISSON, Œuvres
diverses, t. II, p. 116. Bien que ce renseignement vienne d'un ami, on doit
l'admettre comme exact. D'abord, on en a la preuve dans les inventaires ; de
plus, jamais Pellisson n'avance un fait inexact.
[46]
PELLISSON, Œuvres
diverses, t. I, p. 114.
[47]
Papiers de la cassette, Baluze, 150, p. 50 ; CHÉRUEL, Mémoires sur Foucquet,
t. II, p. 136.
[48]
Papiers de la cassette, Baluze, p. 58 ; CHÉRUEL, Mémoires, t. II, p. 138.
[49]
Lettre du 13 mai 1661. CHÉRUEL,
Mémoires, t. II, p. 111, 119.
[50]
GILBERT, Description
historique de Fontainebleau, t. II, p. 84. V. le plan de Sevin joint à cet
ouvrage. La Mi-Voie est aussi appelée la Vacherie, la Faisanderie. État de
la France pour 1684, t. II, p. 342. Le bâtiment fut détruit en 1702.
[51]
Bibl. nat., Baluze, ms. 149, p. 33. Saint-Érem ou Hérem était capitaine général
du château en 1661. V. État de la France pour 1663, t. I, p 231.
[52]
Bibl. nat., Baluze, ms. 150, f° 155.
[53]
MOTTEVILLE, Mémoires,
t. IV, p. 261.
[54]
MOTTEVILLE, Mémoires,
t. IV, p. 269.
[55]
Bibl. nat., Baluze, ms. 150, f° 50. La Loy à Foucquet.
[56]
Bibl. nat., Baluze, ms. 150, f° 144, 153, 154 v°, 166, 207.
[57]
Bibl. nat., Baluze, ms. 149, f° 35 et 42.
[58]
Bibl. nat., Baluze, ms, 149, f° 70, 81.
[59]
Baluze, ms. 140, f° 136.
[60]
CHÉRUEL, Mémoires,
t. II, p. 107.
[61]
CLÉMENT, Lettres
et Instructions, t. II, p. 229.
[62]
Bibl. nat., Baluze, ms. 149, f° 27.
[63]
MOTTEVILLE, Mémoires,
t. IV, p. 278 ; Mme DE
LAFAYETTE, Henriette
d'Angleterre, p. 52.
[64]
CROISY, Mémoires,
p. 586.
[65]
Défenses, t. XI, p. 31.
[66]
Bibl. nat., ms. Baluze, 149, f° 213. La petite note qui se trouve en cet
endroit se réfère à un état plus complet. Choisy allègue que Foucquet remettait
au Roi des états falsifiés, et il prétend tenir ce renseignement de Pellisson ;
mais cette allégation tombe devant cette considération qu'au cours du procès de
Foucquet, il n'a jamais été contesté que, depuis mars 1661, la gestion
financière était absolument correcte. V. Défenses, t. VI, p. 136.
[67]
Bibl. nat., ms. fr. 7627, f° 172.
[68]
Bibl. nat., ms. Baluze, 149, f° 25, 26. L'état comprend la période du 6 février
au 11 juin 1661. Il émane d'un commis de Foucquet.
[69]
Bibl. nat, ms. Baluze, i49, f° 26. État dressé mois par mois.
[70]
Défenses, t. XI, p. 122.
[71]
Défenses, t. XI, p. 123.
[72]
Défenses, t. XI, p. 125.
[73]
Bibl. nat., ms. Vc de Colbert, vol. 236, f° 145 v°.
[74]
Bibl. nat., ms. Vc de Colbert, vol. 236, f° 145 v°.
[75]
Défenses, t. V, p. 340 ; t. VI, p. 360.
[76]
Bibl. nat., ms. Battue, 149, f° 60, 61.
[77]
Défenses, t. VI, p. 359.
[78]
Défenses, t. XI, p. 32-37.
[79]
CLÉMENT, Lettres
et Instructions, t. II, p. CXCIV, d'après un manuscrit du cabinet de Luynes, n° 93, carton
3. Il est certain qu'en juin, Colbert était à Fontainebleau. V. ibid.,
t. VI, p. 16, lettre au bailli de Seignelay.
[80]
Mme de Motteville parle du conducteur de la disgrâce
de M. Foucquet. Mémoires, t. IV, p. 285.
[81]
État de la France pour 1663, t. I, p. 257. Il figurait déjà en 1658. M.
Feuillet de Conches, Causeries d'un curieux, t. II, p. 545, l'a confondu
à tort avec le P. Annat. — COUSIN, Mme de Chevreuse, p. 226 ; CHÉRUEL, Mémoires
sur Foucquet, t. II, p. 168 et appendice. Les deux auteurs citent la même
source, une lettre des papiers de Baluze, ms. 150, f° 111.
[82]
MORREVILLE, Mémoires,
t. IV, p.286 ; Archives de la Bastille, t. I, p. 276.
[83]
Mme DE LAFAYETTE, Henriette
d'Angleterre, p. 37.
[84]
Bibl. nat., Baluze, ms. 149, f° 72. Lettre de La Loy du lundi 27 juin.
[85]
Même lettre du 27 juin. M. Chéruel, Mémoires sur Foucquet, t. II, p.
205, donne à cette lettre une date antérieure de deux mois. C'est une erreur.
[86]
Bibl. nat., ms. Baluze, 149, f° 117.
[87]
Là (à Dampierre), la
perte de M. Foucquet fut conclue, et on y fit ensuite consentir le Roi.
Mme DE LAFAYETTE, Henriette
d'Angleterre, p. 52. Conclue entre Mme de Chevreuse, M. de Laigue, mais non
avec la Reine mire. Ce passage prouve surtout que le Roi n'avait pas alors de
parti pris, comme il s'en vanta plus tard.
[88]
Papiers de la cassette, Baluze, ms. 149, foi 117 et suiv. ; CHÉRUEL, Mémoires,
t. II, p. 171 ; Mme D'HUXELLES, Lettres,
p. 260. On ne sait pas pourquoi M. Chéruel qualifie l'auteur de cette lettre d'ancienne maîtresse de Foucquet ? Est-ce parce qu'elle
lui dit : Souvenez-vous comme on vous écrivoit
autrefois ? La preuve serait bien légère. M. Chéruel pense que le M***
dont on parle est Colbert. C'est une erreur. Colbert n'aurait pas donné
1.500.000 livres à la Mère de la Miséricorde, on n'aurait pas parlé de son
ingratitude pour Foucquet, qui l'a comblé. Ces propos ne conviennent qu'à
Basile Foucquet.
[89]
COUSIN, Mme
de Chevreuse, p. 228, d'après Baluze, ms. 1.49, f° 182.
[90]
MOTTEVILLE, Mémoires,
t. IV, P. 282.