NICOLAS FOUCQUET

QUATRIÈME PARTIE

 

CHAPITRE XI. — MARIAGE DU ROI.

RÉCEPTION DE LA COUR À VAUX. — FÉLICITATIONS DU PARLEMENT AU ROI ET À MAZARIN SUR LA PAIX DES PYRÉNÉES. — ENTRÉE DE LA REINE À PARIS. — RÉFORMES FINANCIÈRES ET MARITIMES ; ORGANISATION DE LA COMPAGNIE DES BALEINES. — LUTTE AVEC LES HOLLANDAIS. — RÉORGANISATION DU CONSEIL DE COMMERCE. — DERNIERS MOMENTS DE MAZARIN. — IL MARIE SES NIÈCES À LA HÂTE. — IL FAIT SON TESTAMENT. — IL DÉNONCE FOUCQUET AU ROI. — SA MORT. (Avril-novembre 1661.)

 

 

Par un effort surhumain de volonté, Mazarin assista debout au mariage du Roi, pour aussitôt retomber, rompu. C'est sur un secret appel de la mort qu'il s'était décidé à conclure précipitamment la paix, tantôt cédant au besoin de repos exigé par un corps épuisé, tantôt se trompant par l'illusoire espérance de porter la tiare et d'être souverain, en droit comme en fait[1]. Homme prudentissime, il avait, à cet effet, conservé sa nationalité italienne, et signait toujours Mazarini. Inutile prudence. Le Cardinal était condamné. Toutefois, si dans le public on le savait malade, ce politique avait usé de tant de feintes qu'on ne se fiait ni à ses quatre ou cinq maladies, ni à sa demi-douzaine de médecins[2]. Il était revenu des Pyrénées étendu dans un carrosse, comme autrefois son terrible prédécesseur Richelieu avait remonté le Rhône couché dans un bateau.

A Fontainebleau, la Cour prit cinq jours de repos. Foucguet, en faveur évidente, eut l'honneur de la recevoir à Vaux. Il ne s'agissait plus d'une visite à l'improviste. C'était le Roi, ramenant une jeune reine, nouvelle mariée, qui, pour la première fois, honorait de sa présence la maison d'un de ses sujets. La réception fut fastueuse ; la pompe du service égala la délicatesse du dîner[3]. Sans posséder encore toute sa perfection, ce beau domaine avait pris ses plus belles parures. C'était un lieu enchanté[4]. Tout le monde fut ravi. Seul, le Cardinal, esquivant la fête, s'achemina lentement à Vincennes.

Foucquet avait assez laborieusement préparé l'enregistrement du traité de paix, dont plusieurs clauses soulevaient les observations du Parlement ; dès que l'accord fut établi, Talon (21 juillet) prit la parole, et dans un discours emphatique fit un pompeux éloge de ce traité. Des politiques aux vues plus longues le critiquaient, il est vrai ; mais ces critiques, trop fines ou trop mordantes, se perdaient dans le concert d'adulations prodiguées au ministre triomphant et mourant. Mazarin cependant n'était pas satisfait, tourmenté par un caprice de malade[5].

Dès le mois de février 1660, Lamoignon avait sollicité l'honneur d'aller avec le Parlement jusqu'au fond de la province féliciter le Roi sur son mariage. Mazarin, alors, usant d'une extrême circonspection, et faisant écrire à Colbert par secrétaire, manifesta le vif désir que cette même députation le félicitât, lui aussi, sur le succès de ses négociations[6]. Colbert s'empresse de répondre que M. Talon en avait déjà fait la proposition. Honneur exceptionnel, dont on citait seulement deux exemples. Talon l'obséquieux comptait sans le formaliste Lamoignon.

Cependant, le Roi, très judicieusement, avait ajourné la réception de Messieurs jusqu'à son arrivée à Fontainebleau d'abord[7], puis à Vincennes. Jour pris enfin pour le 4 août, les graves magistrats abordèrent la question. Iraient-ils chez le Cardinal ? Après longues discussions, Lamoignon, plus pointilleux qu'habile, fit décider qu'on prendrait l'agrément du Roi. Le Roi répondit assez sèchement : Avez-vous pu douter de mon consentement ? Et alors, Mazarin, comme pour les punir de leur hésitation, leur indiqua un jour, à Paris, au Louvre[8]. Le jour venu, la Cour envoya une députation, mais sans le premier président. On y voyait d'ailleurs Molé, Payen, Broussel[9], et ces seuls noms valaient la plus formelle des soumissions. La harangue y ajouta encore s'il se peut. Ironie du sort. Le ministre était couché, livré aux médecins, qui délibéraient sur son état par ordre du Roi. Comme tous les mourants, il se répandit en projets d'avenir. On réformerait toutes choses. On commencerait une ère nouvelle.

Ce commencement n'était pas encourageant pour le Parlement. Plus il cédait, plus on exigeait. On lui ordonna de présenter les mêmes soumissions au Roi le jour de l'entrée, à la porte Saint-Antoine. Il accordait les soumissions, mais il ne voulait pas marcher avec le cortège. Lamoignon réclama. Séguier prit parti contre le Parlement, le Roi n'avait pas l'intention de le blesser. L'ordre et la marche étaient réglés, on n'y changerait rien. Ces messieurs cherchèrent un biais et se rendirent à l'entrée par un chemin latéral[10]. Cela n'empêcha pas que, par un effet du hasard, ce triomphe de l'autorité royale eut lieu le 17 août, jour anniversaire des barricades, ce qui donnait à cette démarche l'apparence d'expiation et d'amende honorable[11]. D'ailleurs, parmi les cinquante mille bourgeois qui défilèrent devant Leurs Majestés, pas un sur cent ne se fût avoué à lui-même qu'il avait monté la garde, en 1649, devant des barils pleins de pavés. Seul Mazarin se préoccupait encore de Retz. Que Retz se fût présenté, et ces cinquante mille hommes l'eussent empoigné.

La Fontaine, rendant compte à Foucquet de ses impressions sur cette entrée officielle, dépeignit très finement cette milice de parade.

La Cour ne se mit pas seule sur le bon bout,

Et ce luxe passa jusqu'à la bourgeoisie.

Chacun fit de son mieux. Ce n'était qu'or partout.

Vous n'avez vu de votre vie

Une si belle infanterie.

On eût dit qu'ils sortaient tous de chez le baigneur.

Imaginez-vous, Monseigneur,

Deux mille hommes en broderie[12].

Par contre, le Cardinal, trop souffrant pour se rendre à la place du Trône, dut se contenter de contempler le défilé d'une fenêtre de la maison de madame de Beauvais, rue Saint-Antoine. Ses mulets, avec leurs belles housses, passèrent, puis son carrosse somptueux, mais vide comme s'il suivait l'enterrement de l'Éminence.

Foucquet, malade[13], s'était tenu à l'écart de toutes ces querelles d'étiquette, d'autant plus que sa situation comme procureur général devenait de plus en plus difficile. On en jugera par un exemple.

La duchesse de Chevreuse et le duc de Guise s'étaient, moyennant un million de francs et sous le nom de Gour-ville, rendus engagistes de la ferme des droits d'entrée sur le poisson de mer frais. Le traité enregistré, la somme payée, un sieur Chuppé, soi-disant syndic des gens de mer, se pourvut au Parlement et obtint, le 2 mars 1660, un arrêt défendant de percevoir les droits. Neuf jours après, le 11 mars, un arrêt du Conseil royal casse celui du Parlement, qui, le 19, revient à la charge. Le Conseil ne se décourage pas et, le 24, casse encore tout ce que la Cour a décidé. L'affaire s'envenime. Le 17 juin, Chuppé fait emprisonner les agents de la ferme. Aussitôt (23 juin), le Conseil ordonne l'élargissement des prisonniers (9 juillet). Le Parlement s'oppose à cette décision. Le 26, le Conseil annule encore tous les arrêts de la Cour, avec contrainte par corps contre Chuppé, qui, en fin de compte, est emprisonné au Fort l'Évêque, le 22 août, quatre jours avant l'entrée royale.

Chuppé a recours à Talon, qui, sans égard pour les arrêts du Conseil, le fait élargir des prisons, tandis que ses adversaires y demeurent. Les huissiers, les sergents qui avaient appréhendé Chuppé, sont poursuivis comme coupables d'arrestation arbitraire, sans ordre du Roi, sans aucune participation de Foucquet, son procureur général, dont il n'était que le porte-parole[14]. Talon se répand en invectives contre les concessionnaires de la ferme, partisans, maltôtiers.

Il fallait en finir. Le 15 septembre, Sa Majesté estant en son Conseil, sans avoir esgard aux arrêts du Parlement de Paris des 12 juin 1654, 5 mai 1657, 14 mai 1658, 19 mars, 7 juin, 9 juillet, 24 août de la présente année 1660, que Sa Majesté a cassez, ordonne l'exécution de l'adjudication, la réintégration de Chuppé à la Conciergerie, interdit au Parlement d'en connaître, à peine de désobéissance.

L'anarchie était complète au parquet et l'autorité de Foucquet, comme procureur général, entièrement méprisée. De plus, ce dernier devait, comme surintendant des finances et ministre d'État, faire annuler au Conseil les arrêts rendus par une cour de justice où il représentait le Roi. Il eut enfin le dessus, ce qui profita à madame de Chevreuse, personne peu reconnaissante, pendant que Talon, Chuppé et les maréyeurs conservaient contre lui de grandes rancunes.

Les maréyeurs, peu nombreux, étaient de petites gens. Mais le surintendant, à cette même époque, se mit à dos des personnages bien plus dangereux.

Le 8 octobre 1660, parut un arrêt du Conseil d'État, dont les considérants méritent d'être remarqués. Les dépenses de la guerre ont contraint le Roi d'aliéner à vil prix une bonne partie de ses fonds et revenus ; la plupart des acquéreurs ont été, en trois ou quatre années de jouissance, remboursés de leurs avances. Il est plus juste de toucher à leurs droits que d'augmenter les tailles, lesquelles, au contraire, Sa Majesté entend diminuer pour soulager les plus povres de ses sujets. Plutôt que de fouler ses peuples de la campagne, le Roi prendra un secours dans ses propres biens, vendus par nécessité à vil prix, aux plus riches de son royaume. En conséquence, à l'exemple de ce qui a été pratiqué pour les nouvelles rentes de l'Hôtel de ville, on retranchera un tiers des revenus des domaines, bois, parisis, octrois, aides, fermes et droits aliénés. Une commission de conseillers d'État, de maîtres des requêtes, de contrôleurs des finances, où l'on trouve d'Ormesson, Herwarth, d'Aligre, fut chargée de régler le remboursement de ces droits à quiconque ne voudrait pas consentir à la réduction[15].

Cette décision très équitable fut sérieusement appliquée. On déclara rachetables les droits récemment établis sur les rivières et qui Grevaient la batellerie, les péages sur la Seine, très lourds au commerce, et dont la suppression devait être acclamée par le peuple[16]. Foucquet allait apprendre à ses dépens qu'il est plus facile d'établir que de supprimer certains impôts, quand des intermédiaires en profitent.

Les rentiers avaient protesté contre la réduction des rentes. Les acquéreurs des péages les imitèrent. Les forts, comme Mazarin, comme Colbert, obtinrent un sort à part[17]. Séguier se montra très récalcitrant. Les bourgeois déblatérèrent contre cette mesure qui devait leur profiter. Ils convenaient que ces droits étaient abusifs ; mais qui les avait établis ? Séguier, Foucquet, le prévôt des marchands, et cela sans vérification. Ces seigneurs butinoient ensemble ; quelle honte ! C'est la Reine mère et non le surintendant qui avait obtenu la révocation de ces abus[18]. Pas un compliment, beaucoup d'injures, voilà le fruit pour Foucquet de ce premier dégrèvement.

Si le peuple, bénéficiaire de ces réductions, s'y montrait hostile, que devaient penser et dire ceux dont on diminuait les bénéfices, les traitants jusqu'alors 'maîtres des affaires ? Cette diminution dans leurs gains, c'était, pour eux, une spoliation.

Foucquet, en veine de réformes, crut (juillet 1660) pouvoir pratiquer un emprunt quasi forcé sur les fermiers et receveurs des droits du Roi, emprunt remboursable en quatre ans, mais exigible de suite et par contrainte. Les fermiers des cinq grosses fermes, qui pavaient 1.500.000 livres par an, durent avancer 750.000 livres. Ceux de la ferme des entrées, taxés à 600.000 livres[19], par arrêt du Conseil du 26 juillet, résistèrent.

Parmi eux se trouvait un certain Arnauld, qui avait évincé du bail des aides de Thouars et de Mauléon le financier Gourville. Gourville, considérant ces pays comme son fief, avait, pour se venger, sous-traité d'une taxe, c'est-à-dire d'une créance contre Arnauld, et réduit son rival à se cacher dans un château perdu au fond des campagnes. Il saisit, pour compléter sa vengeance, cette bonne occasion de la résistance des fermiers des aides. Le 25 septembre, Arnauld était arrêté, puis, à la sollicitation de Turenne, relâché, mis en liberté à la garde d'un huissier. L'affaire s'arrangea quelques jours après. Les 600.000 livres furent payées. Que se passa-t-il alors entre ces deux hommes ? On ne le saura jamais exactement. Mis en liberté à six heures du matin, Arnauld courut deux heures après chez un notaire et lui remit un pli cacheté en forme de testament[20]. On verra plus tard les conséquences de cette précaution tenue alors secrète.

Arnauld n'était pas poursuivi seul. Un sieur Maissat subit le même sort. Bien plus, un sieur Monnerot, ayant eu vent de quelque projet de Chambre de justice, en sollicita l'entreprise. Il offrait dix-sept millions au Roi, si on voulait lui livrer les partisans et le laisser maitre d'exercer contre eux les revendications du Roi. D'autres financiers, renchérissant, promirent trente millions[21]. Homo homini lupus. Offres imprudentes, déterminées peut-être par la peur d'un mal plus grand, mais faites pour éveiller de terribles appétits.

Nouvelle source de protestations. Le Roi avait remis au peuple ce qui restait dû des tailles de 1638 à 1653[22]. Libéralité digne d'éloges, mais faite aux dépens des receveurs généraux, qui avaient fait l'avance de ces reliquats et qu'on ruinait, eux, les bailleurs de fonds. En vain se retournèrent-ils vers Foucquet ; il ne leur donna pas de compensation. Aussi Perrault, le receveur général de Paris, quand ses créanciers venaient l'assaillir : Plaignez-vous, leur répondait-il, allez dire partout, mais particulièrement au surintendant, que je retiens votre bien, que je suis un fripon, un voleur. Vous me ferez plaisir. C'est à lui à faire un fonds pour remplacer le don du Roi ![23]

Le peuple n'était pas plus content que les fonctionnaires. Les frondeurs en chambre affirmaient qu'il étoit plus maltraité par les partisans que ne sont les forçats et les galériens sur mer. Mazarin n'avoit pitié de personne, ne rabattoit ni tailles ni impôts depuis la paix faite ; mais la mort n'auroit pas pitié de lui.

On ne peut toucher à rien dans un État où sont invétérés de longs abus, sans heurter les gens qui en vivent. Les efforts pour réorganiser le commerce suscitèrent autant d'ennemis à Foucquet que ses projets de réformes financières.

A peine avait-on signé les préliminaires de paix, que Nicolas reprenait ses projets de développement colonial. Lors de l'effondrement de la première compagnie des Antilles, quand les associés préféraient perdre leurs fonds plutôt que d'en exposer de nouveaux, le fils de François Foucquet n'avait pas voulu désespérer de l'avenir des entreprises paternelles. Avec quelques amis et parents courageux, il s'était rendu acquéreur de Sainte-Lucie, intéressé dans la colonie de la Guadeloupe[24] et dans celle de Madagascar. Son cousin Foucquet-Chaslain, président au parlement de Bretagne, possédait des navires, le Grand et le Petit Chaslain[25]. Nantes le disputait au Havre, à Rouen et à Dieppe comme port d'armement des quelques vaisseaux de long cours, derniers débris de la marine marchande française. Or, la famille de la première femme de Nicolas Foucquet était nantaise. En Bretagne, nobles, ecclésiastiques, bourgeois de tous états, prenaient des parts de navires, de pacotilles à exporter, de cargaisons de retour, sucres, tabacs, cuirs. Malgré diverses fortunes, un peu de profit récompensait ces efforts.

Même avant que la guerre eût pris fin, dès 1656, on constatait un certain réveil de l'esprit d'entreprise. Des avocats — les lanceurs d'affaires de ce temps-là — avaient rédigé les statuts d'une compagnie pour la colonisation de la terre ferme d'Amérique. Leur prospectus était des plus attrayants[26]. Gros intérêt pour les capitaux engagés, grande et rapide fortune pour les colons. De l'or, du sucre, du tabac en abondance, du gibier, de la tortue à manger tous les jours. Les appétits furent surexcités. Enfin, une expédition partit de Nantes, n'atteignit jamais la terre ferme, échoua misérablement aux Antilles. Seul, l'avocat qui la conduisait (aujourd'hui on embarque, mais on n'accompagne pas), gaillard entreprenant, aurait fini par faire personnellement fortune, si la mort ne l'eût surpris[27].

Évidemment, il fallait ordonner et surveiller ces tentatives. Foucquet comprit que le développement de la marine devait être le premier objet de ses soins. Les marins existaient, mais, faute de navires à monter, ils servaient à l'étranger. La pêche à la baleine, jadis pratiquée par les Dieppois, les Malouins, les Basques, était devenue le monopole des Hollandais. Avec le concours d'un homme très habile, très au fait de cette navigation, le surintendant organisa la compagnie dite des Baleines, à qui naturellement on concédait le droit exclusif d'approvisionner les marchés français d'huiles et de fanons[28].

Aussitôt grande opposition de tous ceux qui vivaient de ce commerce, surtout des fermiers des droits d'importation[29]. On a vu plus haut ce qu'ils avaient fait avec l'appui de Talon. Quant aux Hollandais, prenant vite les grands moyens, ils saisirent les vaisseaux de leurs concurrents.

Foucquet, qui ne se décourageait pas facilement, conçut un projet beaucoup plus large, celui de frapper d'un impôt, dit droit de tonneau, toute importation de marchandises par navire étranger. Les Hollandais redoublèrent d'énergie. Leurs ambassadeurs trouvèrent un concours plus intéressé que patriotique dans les négociants des ports[30], représentants des étrangers, dans les courtiers de commerce, qui craignaient tous de voir leurs profits tomber en de nouvelles mains. C'était, pour eux, passer du régime de port franc à l'inconnu, abandonner leurs quais à la tyrannie des douaniers.

L'intérêt a toujours aiguisé l'esprit des hommes. Van Beuning et les délégués hollandais trouvèrent du premier coup les meilleurs arguments des libres-échangistes. La France était un incomparable pays de production, fertile en blés et en vins partout recherchés. Que lui fallait-il ? des gens qui, nés sur un sol pauvre, se fissent à bon marché les transporteurs de ses richesses. En enlevant à ces derniers cette modique ressource, on les contraindrait à aller chercher en Italie, en Espagne, des produits similaires, qu'ils prendraient vaille que vaille, tandis que ceux de France s'entasseraient inutiles dans les granges des campagnes ou dans les magasins des ports abandonnés.

Le raisonnement était spécieux. Foucquet, toutefois, n'ignorait pas que, grâce à leur expérience, à leur bon marché, les Hollandais avaient accaparé tout le commerce des colonies françaises. Le maître de la vente est aussi celui de l'achat. Ces modestes transporteurs se transformaient vite en facteurs, en banquiers, en négociants. Ils prenaient alors tous les bénéfices. Les Français avaient donc raison de s'émanciper de cette dépendance, de faire par eux-mêmes. Basques, Bretons, Normands se montraient aussi braves gens de mer que les hommes d'Angleterre ou de Hollande. On les recherchait à bord des navires étrangers. Qu'on leur en donne de leur pays, disait Foucquet, et ils sauront les conduire.

Cependant, un conseil du commerce était réorganisé, avec MM. de Brienne, secrétaire d'État, Chanut, l'ambassadeur, d'Aligre, d'Ormesson, tous ceux qu'on put retrouver de l'ancien temps. On commença, comme toujours, par des commissions, par la rédaction d'un questionnaire adressé à tous les intendants, avec requête de s'éclairer auprès des municipalités, des corps de marchands et de jurats, etc., etc.[31] On ne visait pas à moins qu'à la constitution d'une grande affaire, dont le Roi eût retiré assez de profits pour payer les dettes de l'État, mettre en réserve un trésor de guerre ; c'était la guérison de tous les maux passés, la prospérité du présent, la gloire de l'avenir[32].

Foucquet, à la fois homme d'imagination et de pratique, montrait l'exemple, armait des vaisseaux, envoyait aux îles des draps, des articles de France, gagnait gros sur ces envois. Propriétaire de Belle-Isle, il voulait tirer parti de cette excellente position, que tous les navires venaient reconnaître, avant d'entrer en Loire ou de relever à destination des ports de la Manche. Pour la garder ou la revendre, il était également avantageux d'en accroître les revenus. Nicolas en avait complété les fortifications, quelques corps de garde, un bastion, travaux commencés par M. de Retz. Dès que la paix fut conclue, il employa toutes ses ressources à l'amélioration du port. On construisit une jetée, et, sous sa première pierre, on scella une médaille, que le surintendant avait fait frapper en mémoire de la paix et du mariage du Roi : Paci eternæ pactisque hymenæis[33]. Cette jetée devait abriter les pêcheurs de sardines. Cette pêche, tout nouvellement pratiquée dans ces parages, y était abondante. Foucquet fit enseigner aux Bellislois l'art de conserver ce poisson délicat. L'introduction des presses lui est encore attribuée aujourd'hui, et fut un coup de fortune pour la côte sud de la Bretagne. Le surintendant était tout au commerce : de ses idées de défense contre un premier ministre oppresseur, rien ne subsistait qu'un chiffon de papier oublié.

D'ailleurs, le Cardinal n'était plus à craindre, et le médecin Guénaut lui avait signifié son arrêt de mort. Dès le mois d'août 1660, cet homme, si appliqué au travail, si rapide et si net dans ses vues, sentait sa cervelle affaiblie, tantôt pesante, tantôt légère. A certaines heures, il refusait, même au Roi, des conseils qu'il sentait incertains et troublés par les vapeurs du mal dont il mourait[34]. A d'autres moments, l'amour du commandement le reprenait, par accès. Un jour, il voulait tout voir, tout signer ; le lendemain, il abandonnait tout. Évidemment, sa succession était ouverte.

Comme toujours, chaque groupe disposait du ministère suivant sa passion. Autour de Lamoignon et de Talon, et derrière Talon on aurait pu voir Colbert, on entendait d'étranges propos : Foucquet est haï ; il sera disgracié et dépouillé. Le maréchal Fabert sera nommé surintendant[35]. Mais Fabert lui-même n'était pas l'homme du groupe. Peut-être sera-t-il comme les autres ! En tout cas, Foucquet a reçu l'ordre de ne rien faire[36]. Le candidat sérieux, encore dissimulé, c'était Colbert. Les propos allaient leur train dans les correspondances, comme aujourd'hui dans les journaux. On parlait de Villeroi, de Condé, de Le Tellier. Selon d'autres, la Reine prendra un étranger. Quant au Mazarin, il a recommandé au Roi de ne se fier à aucun particulier, de former un conseil de finances, comme en Espagne[37]. Pas un mot de la volonté du jeune Louis XIV, qui ne comptait pas.

Par contre, on constatait que Mme Foucquet, au mieux avec Mme de Soissons, tenait le jeu du Roi[38]. Foucquet lui-même conservait d'excellents rapports avec Mazarin, qu'il flattait dans ses goûts en lui facilitant l'achat des tableaux du banquier Jabach. Certes, l'Éminence aurait bien pu payer de ses deniers ; mais il lui en coûtait de quitter son argent. Le surintendant avança les fonds[39], ce qui n'empêchait pas le Cardinal de se lamenter : Adieu, chers tableaux, que j'ai tant aimés et qui m'ont tant coûté ! 3[40]

Toutefois, le 24 janvier 1661, un petit incident mit de nouveau à nu les misères de la famille Foucquet. Comme Nicolas sortait du Conseil présidé au Louvre par la Reine mère — le Roi se tenait encore à l'écart —, l'abbé Basile arrêta son frère dans l'antichambre de Mazarin. Sa haine, surexcitée par Bussy-Rabutin, n'avait pas désarmé. Il querella Nicolas, le traita de voleur, criant qu'il cachait en terre l'argent de la France, qu'il dépensait des trente millions en bâtiments, et plus en table que le Roi ; il entretenait force femmes qu'il nomma par leur propre nom ; le tout accompagné d'un torrent d'injures. Nicolas eut le tort de répondre, cita Mme de Châtillon. Sur ce, l'abbé, entrant chez le Cardinal, répéta tout ce qu'il avait dit à son frère. Les ennemis du surintendant affectèrent de le tenir pour perdu. Le malin Guy Patin ajouta : On s'est de tout temps moqué de la fortune sans vertu. On se moque déjà de celui-ci (Nicolas Foucquet), qui est haï de bien du monde, hormis des partisans et des Jésuites, gens de bien et d'honneur 4[41]. Patin, comme toujours, et c'est ce qui rend ses paroles significatives, était l'écho des propos tenus par Talon chez Lamoignon.

Chassé du Louvre par l'incendie, de son nouveau palais par le besoin de changement propre aux malades condamnés, Mazarin se fit, vers janvier 1661, porter à Vincennes, comme s'il eût été à l'abri de la mort dans cette forteresse, moitié château, moitié prison. De son somptueux appartement, tout fraîchement peint par Champagne, il pouvait voir le donjon, qui cachait une partie de ses trésors et où il avait tenu prisonniers Condé et tant d'autres. Quoi que fissent ses neuf médecins, son mal s'aggravait. Son intelligence si lucide s'obscurcissait de plus en plus. Il rêvait, ne reconnaissant personne[42].

Ce grand homme tenait de son pays un fonds de commediante, tant au physique qu'au moral. Il se fit farder et friser. On le vit pour ainsi dire en effigie. Ce seigneur-ci représente bien le défunt Cardinal, dit, en le voyant peint comme un mort italien, l'ambassadeur espagnol. Mot très fin et très faux à la fois. Mazarin n'était pas encore défunt et devait au dernier jour secouer sa torpeur. L'effigie redevint homme ; l'homme reparut autoritaire, jaloux, avare, rancunier.

Comprenant que peu de jours lui restaient pour régler ses affaires et mettre ordre à sa conscience, il se hâta.

Les affaires d'abord. Sous le coup des premières atteintes du mal, il avait précipité la conclusion de la paix avec l'Espagne ; de même, pressé par la mort, il bâcla plutôt qu'il ne conclut le mariage de ses deux nièces, Hortense et Marie. Ce fier Cardinal, qui avait rêvé d'alliances royales, donna ses nièces, sans choix, sans discernement, aux premiers venus.

Marie fut attribuée au connétable Colonne, rufian italien, qui pensait recevoir les restes de Louis XIV. La belle et spirituelle Hortense épousa le fils du maréchal de La Meilleraye, le plus extravagant, le plus dissipateur, le plus fou des hommes de ce temps-là. C'est cet étrange personnage que Mazarin choisit pour être le continuateur de son nom et de sa fortune.

De sa fortune ! Étaient-ils véritablement à lui, ces biens immenses, ces cinquante millions, amassés en moins de six années ? Son confesseur, le Père Ange de Bissari, homme simple, mais d'une grande droiture, lui parlait de l'obligation de restituer le bien mal acquis. Hélas ! répondait le Cardinal, toujours rusant, je n'ai rien que des bienfaits du Roi. — Mais, reprenait l'honnête Théatin, il faut distinguer ce que le Roi vous a donné de ce que vous vous êtes donné à vous-même. — Ah ! soupirait le pénitent, si cela est, il faut tout restituer[43].

Si ces scrupules embarrassaient Mazarin mourant, ils troublaient plus profondément Colbert, devant, qui s'ouvrait un avenir tout nouveau. Selon ce que ferait son maître moribond, c'était pour l'intendant la fortune ou la médiocrité. Aussi agit-il avec autant de ruse que de décision.

Le 3 mars, sur les neuf heures du matin, deux notaires étaient installés par ses soins devant le lit du Cardinal, lequel a dit qu’il reconnoît que tous ses biens, meubles et immeubles et autres généralement quelconques, de quelque nature et qualité qu'ils soient, viennent et procèdent des libéralités et magnificences de Sa Majesté. Son Éminence en fait donc délaissement au Roi par donation à cause de mort, disposition testamentaire, ou autrement.

Cet autrement était le fin du fin. La donation à cause de mort, le testament ne constituaient pas un abandon, si Mazarin guérissait ; ils ne satisfaisaient pas non plus aux commandements du confesseur. Le ou autrement, à la rigueur, pouvait s'entendre d'une restitution immédiate.

Mais, le testateur l'espère, Sa Majesté aura la bonté de disposer desdits biens suivant les pensées et desseins de Son Éminence, que Sa Majesté a bien voulu recevoir de sa bouche, espérance qui montre encore un grand attachement à ce bien mal acquis ; aussi ajoute-t-il de nouveau : laissant toutefois Sa Majesté en la pleine liberté de ladite disposition, comme maître et seigneur de tous lesdits biens '[44].

Pendant deux jours, Sa Majesté ne répondit pas. Mazarin s'inquiétait. Il avait remarqué que, depuis un certain temps, le pupille supportait malaisément le tuteur. Dans cet étrange ménage du confident, de la Reine mère et du premier ministre, l'harmonie avait depuis longtemps cessé. Plus de propos doux et tendres, d'effusions de reconnaissance. L'un s'écriait : Ah ! cette femme me fera mourir, tant elle est importune ! La Reine répondait : Cet homme ne sera-t-il jamais saoul d'or et d'argent ! Louis, le confident, ne disait rien, mais à quelle influence obéirait-il ? Céderait-il aux premiers instincts de son esprit avare ? Garderait-il pour lui le testament ? Anxiété cruelle ! Enfin, le 6 mars, sur les cinq heures du soir, le jeune prince renvoya à Mazarin sa donation, en l'autorisant à disposer de ses biens comme il voudrait.

C'était par anticipation la purge royale de cet héritage suspect. Bien que de plus en plus faible, Mazarin fit aussitôt revenir les deux notaires et leur dicta un testament long et compliqué. Une clause présente un intérêt tout particulier : Mondit seigneur cardinal-duc veut aussi que tous les comptes qui concernent les affaires de sa maison et ses affaires particulières, rendus ou à rendre, demeurent et soient mis entre les mains du sieur Colbert, pour les garder, sans qu'il puisse les communiquer, sinon ceux qui seront demandés par Sa Majesté. Les légataires, même universels, n'en pourront proposer y la révision, non pas même la communication u, à peine de déchéance de leurs droits. Le motif, c'est qu'il y a plusieurs choses dans lesdits comptes dont il est très important de garder le secret tant pour l'État que pour quantité de personnes et de familles dedans et dehors le Royaume.

Par les mêmes raisons, mondit seigneur ne veut pas qu'après son décès il soit fait aucun inventaire de ses biens. Les contemporains ne s'y trompèrent pas. Mazarin ne voulait pas qu'on connût le total exact de ses richesses. Il nommait cinq exécuteurs testamentaires, Lamoignon, Foucquet, Le Tellier, Ondedeï, Colbert ; mais, en fait, le dernier restait seul maître du règlement de cette immense succession[45].

Le Roi ratifia les dispositions de ce testament, y apposa même sa signature contresignée par Le Tellier.

Alors Mazarin se retourna du côté de la mort, mais en philosophe. M. Joly, curé de Saint-Nicolas des Champs, appelé en hâte à Vincennes et qui attendait depuis midi, voulut parler au malade des deniers publics qu'il avait eus en maniement ; le Cardinal, de peur de rentrer en scrupule, lui donna à comprendre qu'il l'avait seulement envoyé querir pour lui parler de Dieu[46]. Ce fut le dernier acte diplomatique de ce grand diplomate. Il ajouta cependant : Je ne suis pas content, je voudrois bien sentir une plus grande douleur de mes péchés ; je suis un grand criminel ; je n'ai d'espérance qu'en la miséricorde de Dieu[47].

Le lendemain, 7 mars, fut encore donné tout entier aux affaires. Mazarin, se trouvant un peu mieux, abusa de sa qualité de mourant pour arracher à la princesse Palatine sa démission de surintendante de la maison de la Reine, charge qu'il fit attribuer à sa nièce, Mme de Soissons, pour transférer à son autre nièce, la princesse de Conti, la surintendance de la maison de la Reine mère. Quelques codicilles furent ajoutés à son testament ; sur le soir, il parafa l'instrument de ses dernières volontés. Le Roi ayant tenu conseil le même jour, avec Le Tellier, Lionne et Foucquet, le Cardinal appela les trois ministres dans sa chambre, fit leur éloge devant le souverain[48]. Tous trois étaient, il le proclamait, des serviteurs fort capables et d'une entière fidélités[49]. Puis, les gardant encore auprès de lui, il complimenta chacun suivant son mérite. M. Le Tellier avait toujours bien servi et savait le détail des affaires de la Cour et de la guerre. Lionne, parfaitement instruit des affaires étrangères, avait le plus contribué au traité de paix. Quant à Foucquet, il en parla en termes remplis d'estime, il connaissait ta justice et les finances. Mazarin se sentait même obligé de dire à Sa Majesté que Nicolas était capable de lui donner de très bons conseils sur toutes les autres affaires de l'État, de quelque nature qu'elles fussent[50].

Pouvait-on se défier de ces dernières paroles d'un mourant ? Elles n'étaient cependant que mensonge. Malgré son calme de commande, cet homme jeune encore et de peu de conviction, ce ministre si absolu ne pouvait pas se résigner à l'idée d'avoir un successeur dans le gouvernement.

Jamais Mazarin n'avait aimé Foucquet. La lâcheté de Séguier, la circonspection de Le Tellier, le grand âge de Brienne, la jeunesse de Lionne lui avaient enlevé toute inquiétude d'une compétition possible. Aussi savant et aussi habile, aussi fin et aussi ingénieux que chacun de ces quatre personnages, Foucquet possédait en plus le courage et l'audace. Seul, il avait à maintes reprises mis le marché à la main du Cardinal, jusqu'à lui faire peur, et le peureux ne pardonnait pas ; les vieilles rancunes, hier endormies, se réveillèrent subitement dans l'esprit affaibli du mourant. C'était pour lui affaire de conscience de signaler à un maitre aussi généreux que le Roi cet homme qui abusait de ses finances, ce fastueux surintendant, Nicolas Foucquet enfin ! Cette dénonciation vaudrait bien une restitution.

Mazarin consulte son confesseur le Théatin, et deux particuliers serviteurs, Colbert et Ondedeï. N'était-il pas obligé, en conscience, de donner conseil au Roy de chasser le sieur Foucquet ? Ces bonnes gens ne répondent pas non ; mais ils montrent la difficulté d'exécution, les intrigues et les cabales du surintendant, ses amis fortifiés dans les places, Belle-Isle imprenable. Le mourant se décide à déclarer au Roi le détail de la mauvaise conduite de Foucquet, sauf à conseiller de grandes précautions contre lui, de le veiller de près. Après lui avoir clairement montré qu'on connaissait tous ses crimes, Sa Majesté lui dirait que, s'il changeait de conduite, elle ne laisseroit pas de se servir de luy[51].

Ce qui précède est ce que plus tard Colbert consigna dans ses mémoires.

Voici une autre version plus sincère : On (Colbert) promit un legs considérable à quelques gens d'église, mais on stipula qu'ils diront au malade qu'il est obligé d'oster à Foucquet l'employ des finances, de rechercher les malversations des gens d'affaires, de leur faire restituer le bien du Roy.

La passion de l'argent n'avait pas encore abandonné le domicile du Cardinal ; au contraire, comme le sujet estoit plus foible et qu'il résistoit moins, elle avoit plus d'empire... On consulta Colbert sur ce que disoient les confesseurs ; il s'y accorda modestement[52]. L'ecclésiastique est chargé de dénoncer Foucquet au jeune roi Louis XIV.

Quoi qu'il en soit des détails, le fait est certain. Selon tous les contemporains, Mazarin laissa des mémoires contre Foucquet[53].

On rapporte que le Cardinal demanda un supplément d'absolution pour avoir in extremis murmuré contre la Faculté de médecine et ses médecins[54]. Espérons qu'il se repentit également de cette dénonciation, œuvre de rancune et de jalousie, suprême vilenie suggérée à ce moribond par un prêtre aux idées étroites, et par un intendant aux vues trop larges.

Deux ou trois jours après la mort de Mazarin, son oraison funèbre, en ce qui concernait sa gestion financière, fut faite à la Cour en termes assez curieux. L'avare ministre, presque à l'agonie, avait tiré trois millions cinq cent mille livres des charges de la maison de la Reine, vendues toutes, jusqu'à celle de la lavandière. — Ainsi, disait l'apologiste, cette somme ne venoit point de l'Épargne. Les grandes richesses du Cardinal, ajoutait-il, n'étoient pas prises sur le peuple. Il faisoit de grands ménages et trafics dans ses gouvernements et particulièrement dans Brouage ; il jouissoit de plusieurs fonds destinés au paiement des ambassadeurs, de l'artillerie, de l'amirauté, etc. ; il se chargeoit d'y satisfaire et ne le faisoit pas : c'est ainsi qu'il prenoit beaucoup sans qu'on pût le convaincre de rien prendre à l'Épargne, en d'autres termes, au Trésor public. Cette étrange apologie était faite en plein Louvre par le prudent, par l'honnête Le Tellier[55].

Il ne s'agit pas ici de discuter en casuiste la valeur de cette doctrine. On la verra plus tard bien modifiée, quand il s'agira de poursuivre le surintendant, tant il est vrai que la passion transforme les idées des hommes.

Nicolas Foucquet sut alors peu de chose ou rien de cet anathème in extremis prononcé contre lui par Mazarin. Comme la plupart des hommes, quand la mort fast un vide devant eux, il ne voyait dans le trépas prochain du Cardinal qu'une grande situation abandonnée et qu'il serait glorieux d'occuper. Tout à son désir de prendre cette place à peine vacante, il ne voyait pas que le moribond, dans sa rancune impitoyable, le saisissait traîtreusement de sa main décharnée pour l'entraîner, lui Foucquet, vivant et plein d'espérance, dans un tombeau cent fois plus redoutable que les caveaux de la Sainte-Chapelle de Vincennes.

 

FIN DU PREMIER VOLUME

 

 

 



[1] Chantelauze, Les derniers jours de Mazarin, a très bien établi d'après les contemporains que cette idée de devenir pape avait hanté Mazarin.

[2] GUY PATIN, Lettres, t. II, p. 88.

[3] LORET, La Muze historique, t. III, p. 231. (Lundi 17 juillet.)

[4] MONTPENSIER, Mémoires, t. III, p. 489.

[5] CHANTELAUZE, Les derniers jours de Mazarin, Correspondant du 10 août 1881, p. 81 ; GUY PATIN, Lettres, t. II, p. 88.

[6] CLÉMENT, Lettres et Instructions, t. I, p. 432.

[7] AUBERT, Histoire de Mazarin, t. IV, p. 345.

[8] AUBERT, Histoire de Mazarin, t. IV, p. 352.

[9] LORET, Muze historique, t. III, p. 228 ; MOTTEVILLE, Mémoires, t. IV, p. 224.

[10] AUBERY, Histoire de Mazarin, t. IV, p. 345 ; GUY PATIN, Lettres, t. II, p. 91.

[11] GUY PATIN, Lettres, t. II, p. 105.

[12] LA FONTAINE, Relation de l'entrée de la Reine dans Paris, le 26 août 1660.

[13] Julius Mazarinus, utriusque fœderis et pacis et nuptiarum minister... sive pompa regia in solemni augustissinæ reginæ ing ressu. Auctore Petro BURAY. Parisiis, 1660. Pièce p. 16.

[14] Défenses, t. V, p. 392.

[15] Défenses, t. V, p. 193, 292, 389.

[16] Défenses, t. V, p. 380.

[17] Défenses, t. V, p. 390.

[18] GUY PATIN, Lettres, t. II, p. 184. Il est aisé de voir que c'est Talon qui répandait ces bruits recueillis par Guy Patin.

[19] Défenses, t. VIII, p. 125.

[20] Défenses, t. V, p. 152 et suiv.

[21] GUY PATIN, Lettres, t. II, p. 103.

[22] PERRAULT, Mémoires, p. 173. Perrault, comme commis des parties casuelles chez M. de Vatton, avait eu Colbert sous ses ordres. Ibid., p. 172.

[23] GUY PATIN, lettre de décembre 1660. Lettres, t. II, p. 179, 184.

[24] DU TERTRE, Histoire des Antilles, t. I, p. 439 et suiv.

[25] Défenses, t. X, p. 237.

[26] DU TERTRE, Histoire des Antilles, t. I, p. 480.

[27] DU TERTRE, Histoire des Antilles, t. I, p. 495.

[28] Défenses, t. VI, p. 412.

[29] Défenses, t. V, p. 6.

[30] V. Beuning à de Witt. Correspondance de de Witt, t. II, p. 94.

[31] Défenses, t. V, p. 340.

[32] Défenses, t. XIII, p. 361.

[33] LE ROY, Belle-Ile en mer, p. 111.

[34] MOTTEVILLE, Mémoires, t. IV, p.224.

[35] GUY PATIN, lettre du 10 décembre 1660. Lettres, t. II, p. 168.

[36] GUY PATIN, Lettres, p. 171. Lettre du 14 décembre 1660. La veille de ce jour-là, Guy Patin soupait chez Lamoignon.

[37] GUY PATIN, lettre du 31 décembre 1660. Lettres, p. 180, 181.

[38] GUY PATIN, lettre du 19 novembre 1660. Lettres, t. II, p. 156.

[39] Défenses, t. VIII, p. 25.

[40] BRIENNE, Mémoires inédits, t. II, p. 118.

[41] GUY PATIN, lettre du 28 janvier 1661. Lettres, t. II, p. 197.

[42] L. DE BRIENNE, Mémoires inédits, t. II, p. 120.

[43] CHOLET, Mémoires, p. 569.

[44] Œuvres de Louis XIV, t. VI, p. 293.

[45] Œuvres de Louis XIV, t. VI, p. 330. Mazarin priait ses exécuteurs testamentaires ad honorem de ne pas exiger d'inventaire.

[46] Note de M. Hamon, publiée par Sainte-Beuve dans le tome IV de Port-Royal, appendice. La date n'est pas indiquée dans la note ; mais comme on y parle de prône, on voit qu'il s'agit d'un dimanche, et Rapin, dans ses Mémoires, t. III, p. 107, dit que cela arriva le second dimanche de Carême. Inutile de faire remarquer que Mazarin n'est pas mort ce jour-là, comme la note le laisse entendre.

[47] Dernières paroles de Mazarin, citées dans Les derniers jours de Mazarin, par CHANTELAUZE, Correspondant du 10 août 1881.

[48] RAPIN, Mémoires, t. III, p. 165.

[49] Lettres et Instructions, t. II. Cf. CHANTELAUZE, Les derniers jours de Mazarin, Correspondant du 10 août 1881, où ce texte curieux est réédité.

[50] Défenses, XI, 134.

[51] CLÉMENT, Lettres et Instructions, t. II, p. 33.

[52] Défenses, t. V, p. 93. Je n'oserois dire tout ce que je sçais des machines qu'on fit jouer.

[53] MOTTEVILLE, Mémoires, t. IV, p. 277. M. Moreau, dans les notes de l'Histoire anecdotique de la jeunesse de Mazarin, cite un texte fort curieux d'un soi-disant testament du Cardinal. Foucquet devrait au Roi vingt millions. V, p. 264.

[54] MOTTEVILLE, Mémoires, t. IV, p. 244.

[55] MOTTEVILLE, Mémoires, t. IV, p. 251.