Par un
effort surhumain de volonté, Mazarin assista debout au mariage du Roi, pour
aussitôt retomber, rompu. C'est sur un secret appel de la mort qu'il s'était
décidé à conclure précipitamment la paix, tantôt cédant au besoin de repos
exigé par un corps épuisé, tantôt se trompant par l'illusoire espérance de
porter la tiare et d'être souverain, en droit comme en fait[1]. Homme prudentissime, il avait,
à cet effet, conservé sa nationalité italienne, et signait toujours Mazarini. Inutile prudence. Le Cardinal était condamné. Toutefois, si
dans le public on le savait malade, ce politique avait usé de tant de feintes
qu'on ne se fiait ni à ses quatre ou cinq maladies, ni à sa demi-douzaine de
médecins[2]. Il était revenu des Pyrénées
étendu dans un carrosse, comme autrefois son terrible prédécesseur Richelieu
avait remonté le Rhône couché dans un bateau. A
Fontainebleau, la Cour prit cinq jours de repos. Foucguet, en faveur
évidente, eut l'honneur de la recevoir à Vaux. Il ne s'agissait plus d'une
visite à l'improviste. C'était le Roi, ramenant une jeune reine, nouvelle
mariée, qui, pour la première fois, honorait de sa présence la maison d'un de
ses sujets. La réception fut fastueuse ; la pompe du service égala la
délicatesse du dîner[3]. Sans posséder encore toute sa
perfection, ce beau domaine avait pris ses plus belles parures. C'était un lieu enchanté[4]. Tout le monde fut ravi. Seul,
le Cardinal, esquivant la fête, s'achemina lentement à Vincennes. Foucquet
avait assez laborieusement préparé l'enregistrement du traité de paix, dont
plusieurs clauses soulevaient les observations du Parlement ; dès que
l'accord fut établi, Talon (21 juillet) prit la parole, et dans un discours emphatique fit
un pompeux éloge de ce traité. Des politiques aux vues plus longues le
critiquaient, il est vrai ; mais ces critiques, trop fines ou trop mordantes,
se perdaient dans le concert d'adulations prodiguées au ministre triomphant
et mourant. Mazarin cependant n'était pas satisfait, tourmenté par un caprice
de malade[5]. Dès le
mois de février 1660, Lamoignon avait sollicité l'honneur d'aller avec le
Parlement jusqu'au fond de la province féliciter le Roi sur son mariage.
Mazarin, alors, usant d'une extrême circonspection, et faisant écrire à
Colbert par secrétaire, manifesta le vif désir que cette même députation le
félicitât, lui aussi, sur le succès de ses négociations[6]. Colbert s'empresse de répondre
que M. Talon en avait déjà fait la proposition. Honneur exceptionnel, dont on
citait seulement deux exemples. Talon l'obséquieux comptait sans le
formaliste Lamoignon. Cependant,
le Roi, très judicieusement, avait ajourné la réception de Messieurs jusqu'à son arrivée à Fontainebleau d'abord[7], puis à Vincennes. Jour pris
enfin pour le 4 août, les graves magistrats abordèrent la question.
Iraient-ils chez le Cardinal ? Après longues discussions, Lamoignon, plus
pointilleux qu'habile, fit décider qu'on prendrait l'agrément du Roi. Le Roi
répondit assez sèchement : Avez-vous pu
douter de mon consentement ? Et alors, Mazarin, comme pour les punir de leur hésitation, leur
indiqua un jour, à Paris, au Louvre[8]. Le jour venu, la Cour envoya
une députation, mais sans le premier président. On y voyait d'ailleurs Molé,
Payen, Broussel[9], et ces seuls noms valaient la
plus formelle des soumissions. La harangue y ajouta encore s'il se peut.
Ironie du sort. Le ministre était couché, livré aux médecins, qui
délibéraient sur son état par ordre du Roi. Comme tous les mourants, il se
répandit en projets d'avenir. On réformerait toutes choses. On commencerait
une ère nouvelle. Ce
commencement n'était pas encourageant pour le Parlement. Plus il cédait, plus
on exigeait. On lui ordonna de présenter les mêmes soumissions au Roi le jour
de l'entrée, à la porte Saint-Antoine. Il accordait les soumissions, mais il
ne voulait pas marcher avec le cortège. Lamoignon réclama. Séguier prit parti
contre le Parlement, le Roi n'avait pas l'intention de le blesser. L'ordre et
la marche étaient réglés, on n'y changerait rien. Ces messieurs cherchèrent
un biais et se rendirent à l'entrée par un chemin latéral[10]. Cela n'empêcha pas que, par un
effet du hasard, ce triomphe de l'autorité royale eut lieu le 17 août, jour
anniversaire des barricades, ce qui donnait à cette démarche l'apparence d'expiation et d'amende honorable[11]. D'ailleurs, parmi les
cinquante mille bourgeois qui défilèrent devant Leurs Majestés, pas un sur
cent ne se fût avoué à lui-même qu'il avait monté la garde, en 1649, devant
des barils pleins de pavés. Seul Mazarin se préoccupait encore de Retz. Que
Retz se fût présenté, et ces cinquante mille hommes l'eussent empoigné. La
Fontaine, rendant compte à Foucquet de ses impressions sur cette entrée
officielle, dépeignit très finement cette milice de parade. La
Cour ne se mit pas seule sur le bon bout, Et
ce luxe passa jusqu'à la bourgeoisie. Chacun
fit de son mieux. Ce n'était qu'or partout. Vous
n'avez vu de votre vie Une
si belle infanterie. On
eût dit qu'ils sortaient tous de chez le baigneur. Imaginez-vous,
Monseigneur, Deux
mille hommes en broderie[12]. Par
contre, le Cardinal, trop souffrant pour se rendre à la place du Trône, dut
se contenter de contempler le défilé d'une fenêtre de la maison de madame de
Beauvais, rue Saint-Antoine. Ses mulets, avec leurs belles housses,
passèrent, puis son carrosse somptueux, mais vide comme s'il suivait
l'enterrement de l'Éminence. Foucquet,
malade[13], s'était tenu à l'écart de
toutes ces querelles d'étiquette, d'autant plus que sa situation comme
procureur général devenait de plus en plus difficile. On en jugera par un
exemple. La
duchesse de Chevreuse et le duc de Guise s'étaient, moyennant un million de
francs et sous le nom de Gour-ville, rendus engagistes de la ferme des droits
d'entrée sur le poisson de mer frais. Le traité enregistré, la somme payée,
un sieur Chuppé, soi-disant syndic des gens de mer, se pourvut au Parlement
et obtint, le 2 mars 1660, un arrêt défendant de percevoir les droits. Neuf
jours après, le 11 mars, un arrêt du Conseil royal casse celui du Parlement,
qui, le 19, revient à la charge. Le Conseil ne se décourage pas et, le 24,
casse encore tout ce que la Cour a décidé. L'affaire s'envenime. Le 17 juin,
Chuppé fait emprisonner les agents de la ferme. Aussitôt (23 juin), le Conseil ordonne
l'élargissement des prisonniers (9 juillet). Le Parlement s'oppose à cette
décision. Le 26, le Conseil annule encore tous les arrêts de la Cour, avec
contrainte par corps contre Chuppé, qui, en fin de compte, est emprisonné au
Fort l'Évêque, le 22 août, quatre jours avant l'entrée royale. Chuppé
a recours à Talon, qui, sans égard pour les arrêts du Conseil, le fait
élargir des prisons, tandis que ses adversaires y demeurent. Les huissiers,
les sergents qui avaient appréhendé Chuppé, sont poursuivis comme coupables
d'arrestation arbitraire, sans ordre du Roi, sans
aucune participation de Foucquet, son procureur général, dont il n'était que
le porte-parole[14]. Talon se répand en invectives
contre les concessionnaires de la ferme, partisans, maltôtiers. Il
fallait en finir. Le 15 septembre, Sa Majesté
estant en son Conseil, sans avoir esgard aux arrêts du Parlement de Paris des
12 juin 1654, 5 mai 1657, 14 mai 1658, 19 mars, 7 juin, 9 juillet, 24 août de
la présente année 1660, que Sa Majesté a cassez, ordonne l'exécution de l'adjudication, la
réintégration de Chuppé à la Conciergerie, interdit au Parlement d'en
connaître, à peine de désobéissance. L'anarchie
était complète au parquet et l'autorité de Foucquet, comme procureur général,
entièrement méprisée. De plus, ce dernier devait, comme surintendant des
finances et ministre d'État, faire annuler au Conseil les arrêts rendus par
une cour de justice où il représentait le Roi. Il eut enfin le dessus, ce qui
profita à madame de Chevreuse, personne peu reconnaissante, pendant que
Talon, Chuppé et les maréyeurs conservaient contre lui de grandes rancunes. Les
maréyeurs, peu nombreux, étaient de petites gens. Mais le surintendant, à
cette même époque, se mit à dos des personnages bien plus dangereux. Le 8
octobre 1660, parut un arrêt du Conseil d'État, dont les considérants
méritent d'être remarqués. Les dépenses de la guerre ont contraint le Roi
d'aliéner à vil prix une bonne partie de ses fonds et revenus ; la plupart
des acquéreurs ont été, en trois ou quatre années de jouissance, remboursés
de leurs avances. Il est plus juste de toucher à leurs droits que d'augmenter
les tailles, lesquelles, au contraire, Sa
Majesté entend diminuer pour soulager les plus povres de ses sujets. Plutôt que de fouler ses
peuples de la campagne, le Roi prendra un secours dans ses propres biens,
vendus par nécessité à vil prix, aux plus riches de son royaume. En
conséquence, à l'exemple de ce qui a été pratiqué pour les nouvelles rentes
de l'Hôtel de ville, on retranchera un tiers des revenus des domaines, bois,
parisis, octrois, aides, fermes et droits aliénés. Une commission de
conseillers d'État, de maîtres des requêtes, de contrôleurs des finances, où
l'on trouve d'Ormesson, Herwarth, d'Aligre, fut chargée de régler le remboursement
de ces droits à quiconque ne voudrait pas consentir à la réduction[15]. Cette
décision très équitable fut sérieusement appliquée. On déclara rachetables
les droits récemment établis sur les rivières et qui Grevaient la batellerie,
les péages sur la Seine, très lourds au commerce, et dont la suppression
devait être acclamée par le peuple[16]. Foucquet allait apprendre à
ses dépens qu'il est plus facile d'établir que de supprimer certains impôts,
quand des intermédiaires en profitent. Les
rentiers avaient protesté contre la réduction des rentes. Les acquéreurs des
péages les imitèrent. Les forts, comme Mazarin, comme Colbert, obtinrent un
sort à part[17]. Séguier se montra très
récalcitrant. Les bourgeois déblatérèrent contre cette mesure qui devait leur
profiter. Ils convenaient que ces droits étaient abusifs ; mais qui les avait
établis ? Séguier, Foucquet, le prévôt des marchands, et cela sans vérification. Ces seigneurs butinoient
ensemble ; quelle honte !
C'est la Reine mère et non le surintendant qui avait obtenu la révocation de
ces abus[18]. Pas un compliment, beaucoup
d'injures, voilà le fruit pour Foucquet de ce premier dégrèvement. Si le
peuple, bénéficiaire de ces réductions, s'y montrait hostile, que devaient
penser et dire ceux dont on diminuait les bénéfices, les traitants
jusqu'alors 'maîtres des affaires ? Cette diminution dans leurs gains,
c'était, pour eux, une spoliation. Foucquet,
en veine de réformes, crut (juillet 1660) pouvoir pratiquer un emprunt quasi forcé sur les
fermiers et receveurs des droits du Roi, emprunt remboursable en quatre ans,
mais exigible de suite et par contrainte. Les fermiers des cinq grosses
fermes, qui pavaient 1.500.000 livres par an, durent avancer 750.000 livres.
Ceux de la ferme des entrées, taxés à 600.000 livres[19], par arrêt du Conseil du 26
juillet, résistèrent. Parmi
eux se trouvait un certain Arnauld, qui avait évincé du bail des aides de
Thouars et de Mauléon le financier Gourville. Gourville, considérant ces pays
comme son fief, avait, pour se venger, sous-traité d'une taxe, c'est-à-dire
d'une créance contre Arnauld, et réduit son rival à se cacher dans un château
perdu au fond des campagnes. Il saisit, pour compléter sa vengeance, cette
bonne occasion de la résistance des fermiers des aides. Le 25 septembre,
Arnauld était arrêté, puis, à la sollicitation de Turenne, relâché, mis en
liberté à la garde d'un huissier. L'affaire s'arrangea quelques jours après.
Les 600.000 livres furent payées. Que se passa-t-il alors entre ces deux
hommes ? On ne le saura jamais exactement. Mis en liberté à six heures du
matin, Arnauld courut deux heures après chez un notaire et lui remit un pli
cacheté en forme de testament[20]. On verra plus tard les
conséquences de cette précaution tenue alors secrète. Arnauld
n'était pas poursuivi seul. Un sieur Maissat subit le même sort. Bien plus,
un sieur Monnerot, ayant eu vent de quelque projet de Chambre de justice, en
sollicita l'entreprise. Il offrait dix-sept millions au Roi, si on voulait
lui livrer les partisans et le laisser maitre d'exercer contre eux les
revendications du Roi. D'autres financiers, renchérissant, promirent trente
millions[21]. Homo homini lupus. Offres imprudentes, déterminées peut-être par la
peur d'un mal plus grand, mais faites pour éveiller de terribles appétits. Nouvelle
source de protestations. Le Roi avait remis au peuple ce qui restait dû des
tailles de 1638 à 1653[22]. Libéralité digne d'éloges,
mais faite aux dépens des receveurs généraux, qui avaient fait l'avance de
ces reliquats et qu'on ruinait, eux, les bailleurs de fonds. En vain se
retournèrent-ils vers Foucquet ; il ne leur donna pas de compensation. Aussi
Perrault, le receveur général de Paris, quand ses créanciers venaient
l'assaillir : Plaignez-vous, leur répondait-il, allez dire partout, mais particulièrement au surintendant,
que je retiens votre bien, que je suis un fripon, un voleur. Vous me ferez
plaisir. C'est à lui à faire un fonds pour remplacer le don du Roi ![23] Le
peuple n'était pas plus content que les fonctionnaires. Les frondeurs en
chambre affirmaient qu'il étoit plus
maltraité par les partisans que ne sont les forçats et les galériens sur mer. Mazarin n'avoit pitié de personne, ne rabattoit ni tailles ni
impôts depuis la paix faite ; mais la mort n'auroit pas pitié de lui. On ne
peut toucher à rien dans un État où sont invétérés de longs abus, sans
heurter les gens qui en vivent. Les efforts pour réorganiser le commerce
suscitèrent autant d'ennemis à Foucquet que ses projets de réformes
financières. A peine
avait-on signé les préliminaires de paix, que Nicolas reprenait ses projets
de développement colonial. Lors de l'effondrement de la première compagnie
des Antilles, quand les associés préféraient perdre leurs fonds plutôt que
d'en exposer de nouveaux, le fils de François Foucquet n'avait pas voulu
désespérer de l'avenir des entreprises paternelles. Avec quelques amis et
parents courageux, il s'était rendu acquéreur de Sainte-Lucie, intéressé dans
la colonie de la Guadeloupe[24] et dans celle de Madagascar.
Son cousin Foucquet-Chaslain, président au parlement de Bretagne, possédait
des navires, le Grand et le Petit Chaslain[25]. Nantes le disputait au Havre,
à Rouen et à Dieppe comme port d'armement des quelques vaisseaux de long
cours, derniers débris de la marine marchande française. Or, la famille de la
première femme de Nicolas Foucquet était nantaise. En Bretagne, nobles,
ecclésiastiques, bourgeois de tous états, prenaient des parts de navires, de
pacotilles à exporter, de cargaisons de retour, sucres, tabacs, cuirs. Malgré
diverses fortunes, un peu de profit récompensait ces efforts. Même
avant que la guerre eût pris fin, dès 1656, on constatait un certain réveil
de l'esprit d'entreprise. Des avocats — les lanceurs d'affaires de ce
temps-là — avaient rédigé les statuts d'une compagnie pour la colonisation de
la terre ferme d'Amérique. Leur prospectus était des plus attrayants[26]. Gros intérêt pour les capitaux
engagés, grande et rapide fortune pour les colons. De l'or, du sucre, du
tabac en abondance, du gibier, de la tortue à manger tous les jours. Les
appétits furent surexcités. Enfin, une expédition partit de Nantes, n'atteignit
jamais la terre ferme, échoua misérablement aux Antilles. Seul, l'avocat qui
la conduisait (aujourd'hui on embarque, mais on n'accompagne pas), gaillard
entreprenant, aurait fini par faire personnellement fortune, si la mort ne
l'eût surpris[27]. Évidemment,
il fallait ordonner et surveiller ces tentatives. Foucquet comprit que le
développement de la marine devait être le premier objet de ses soins. Les
marins existaient, mais, faute de navires à monter, ils servaient à
l'étranger. La pêche à la baleine, jadis pratiquée par les Dieppois, les
Malouins, les Basques, était devenue le monopole des Hollandais. Avec le
concours d'un homme très habile, très au fait de cette navigation, le
surintendant organisa la compagnie dite des Baleines, à qui naturellement on
concédait le droit exclusif d'approvisionner les marchés français d'huiles et
de fanons[28]. Aussitôt
grande opposition de tous ceux qui vivaient de ce commerce, surtout des
fermiers des droits d'importation[29]. On a vu plus haut ce qu'ils
avaient fait avec l'appui de Talon. Quant aux Hollandais, prenant vite les
grands moyens, ils saisirent les vaisseaux de leurs concurrents. Foucquet,
qui ne se décourageait pas facilement, conçut un projet beaucoup plus large,
celui de frapper d'un impôt, dit droit de tonneau, toute importation de
marchandises par navire étranger. Les Hollandais redoublèrent d'énergie.
Leurs ambassadeurs trouvèrent un concours plus intéressé que patriotique dans
les négociants des ports[30], représentants des étrangers,
dans les courtiers de commerce, qui craignaient tous de voir leurs profits
tomber en de nouvelles mains. C'était, pour eux, passer du régime de port
franc à l'inconnu, abandonner leurs quais à la tyrannie des douaniers. L'intérêt
a toujours aiguisé l'esprit des hommes. Van Beuning et les délégués
hollandais trouvèrent du premier coup les meilleurs arguments des
libres-échangistes. La France était un incomparable pays de production,
fertile en blés et en vins partout recherchés. Que lui fallait-il ? des gens
qui, nés sur un sol pauvre, se fissent à bon marché les transporteurs de ses
richesses. En enlevant à ces derniers cette modique ressource, on les
contraindrait à aller chercher en Italie, en Espagne, des produits similaires,
qu'ils prendraient vaille que vaille, tandis que ceux de France
s'entasseraient inutiles dans les granges des campagnes ou dans les magasins
des ports abandonnés. Le
raisonnement était spécieux. Foucquet, toutefois, n'ignorait pas que, grâce à
leur expérience, à leur bon marché, les Hollandais avaient accaparé tout le
commerce des colonies françaises. Le maître de la vente est aussi celui de
l'achat. Ces modestes transporteurs se transformaient vite en facteurs, en
banquiers, en négociants. Ils prenaient alors tous les bénéfices. Les
Français avaient donc raison de s'émanciper de cette dépendance, de faire par
eux-mêmes. Basques, Bretons, Normands se montraient aussi braves gens de mer
que les hommes d'Angleterre ou de Hollande. On les recherchait à bord des
navires étrangers. Qu'on leur en donne de leur pays, disait Foucquet, et ils
sauront les conduire. Cependant,
un conseil du commerce était réorganisé, avec MM. de Brienne, secrétaire
d'État, Chanut, l'ambassadeur, d'Aligre, d'Ormesson, tous ceux qu'on put
retrouver de l'ancien temps. On commença, comme toujours, par des
commissions, par la rédaction d'un questionnaire adressé à tous les
intendants, avec requête de s'éclairer auprès des municipalités, des corps de
marchands et de jurats, etc., etc.[31] On ne visait pas à moins qu'à
la constitution d'une grande affaire, dont le Roi eût retiré assez de profits
pour payer les dettes de l'État, mettre en réserve un trésor de guerre ;
c'était la guérison de tous les maux passés, la prospérité du présent, la
gloire de l'avenir[32]. Foucquet,
à la fois homme d'imagination et de pratique, montrait l'exemple, armait des
vaisseaux, envoyait aux îles des draps, des articles de France, gagnait gros
sur ces envois. Propriétaire de Belle-Isle, il voulait tirer parti de cette
excellente position, que tous les navires venaient reconnaître, avant
d'entrer en Loire ou de relever à destination des ports de la Manche. Pour la
garder ou la revendre, il était également avantageux d'en accroître les
revenus. Nicolas en avait complété les fortifications, quelques corps de
garde, un bastion, travaux commencés par M. de Retz. Dès que la paix fut
conclue, il employa toutes ses ressources à l'amélioration du port. On
construisit une jetée, et, sous sa première pierre, on scella une médaille,
que le surintendant avait fait frapper en mémoire de la paix et du mariage du
Roi : Paci eternæ pactisque hymenæis[33]. Cette jetée devait abriter les
pêcheurs de sardines. Cette pêche, tout nouvellement pratiquée dans ces
parages, y était abondante. Foucquet fit enseigner aux Bellislois l'art de
conserver ce poisson délicat. L'introduction des presses lui est encore
attribuée aujourd'hui, et fut un coup de fortune pour la côte sud de la
Bretagne. Le surintendant était tout au commerce : de ses idées de défense
contre un premier ministre oppresseur, rien ne subsistait qu'un chiffon de
papier oublié. D'ailleurs,
le Cardinal n'était plus à craindre, et le médecin Guénaut lui avait signifié
son arrêt de mort. Dès le mois d'août 1660, cet homme, si appliqué au
travail, si rapide et si net dans ses vues, sentait sa cervelle affaiblie,
tantôt pesante, tantôt légère. A certaines heures, il refusait, même au Roi,
des conseils qu'il sentait incertains et troublés par les vapeurs du mal dont
il mourait[34]. A d'autres moments, l'amour du
commandement le reprenait, par accès. Un jour, il voulait tout voir, tout
signer ; le lendemain, il abandonnait tout. Évidemment, sa succession était
ouverte. Comme
toujours, chaque groupe disposait du ministère suivant sa passion. Autour de
Lamoignon et de Talon, et derrière Talon on aurait pu voir Colbert, on
entendait d'étranges propos : Foucquet est
haï ; il sera disgracié et dépouillé. Le maréchal Fabert sera nommé
surintendant[35]. Mais Fabert lui-même n'était
pas l'homme du groupe. Peut-être sera-t-il
comme les autres ! En
tout cas, Foucquet a reçu l'ordre de ne rien
faire[36]. Le candidat sérieux, encore
dissimulé, c'était Colbert. Les propos allaient leur train dans les
correspondances, comme aujourd'hui dans les journaux. On parlait de Villeroi,
de Condé, de Le Tellier. Selon d'autres, la Reine prendra un étranger. Quant
au Mazarin, il a recommandé au Roi de ne se fier à aucun particulier, de
former un conseil de finances, comme en Espagne[37]. Pas un mot de la volonté du
jeune Louis XIV, qui ne comptait pas. Par
contre, on constatait que Mme Foucquet, au mieux avec Mme de Soissons, tenait
le jeu du Roi[38]. Foucquet lui-même conservait
d'excellents rapports avec Mazarin, qu'il flattait dans ses goûts en lui
facilitant l'achat des tableaux du banquier Jabach. Certes, l'Éminence aurait
bien pu payer de ses deniers ; mais il lui en coûtait de quitter son argent.
Le surintendant avança les fonds[39], ce qui n'empêchait pas le
Cardinal de se lamenter : Adieu, chers
tableaux, que j'ai tant aimés et qui m'ont tant coûté ! 3[40] Toutefois,
le 24 janvier 1661, un petit incident mit de nouveau à nu les misères de la
famille Foucquet. Comme Nicolas sortait du Conseil présidé au Louvre par la
Reine mère — le Roi se tenait encore à l'écart —, l'abbé Basile arrêta son
frère dans l'antichambre de Mazarin. Sa haine, surexcitée par Bussy-Rabutin,
n'avait pas désarmé. Il querella Nicolas, le traita de voleur, criant qu'il
cachait en terre l'argent de la France, qu'il dépensait des trente millions
en bâtiments, et plus en table que le Roi ; il entretenait force femmes qu'il
nomma par leur propre nom ; le tout accompagné d'un torrent d'injures.
Nicolas eut le tort de répondre, cita Mme de Châtillon. Sur ce, l'abbé,
entrant chez le Cardinal, répéta tout ce qu'il avait dit à son frère. Les
ennemis du surintendant affectèrent de le tenir pour perdu. Le malin Guy
Patin ajouta : On s'est de tout temps moqué
de la fortune sans vertu. On se moque déjà de celui-ci (Nicolas
Foucquet), qui est haï de bien du monde,
hormis des partisans et des Jésuites, gens de bien et d'honneur 4[41]. Patin, comme toujours, et
c'est ce qui rend ses paroles significatives, était l'écho des propos tenus
par Talon chez Lamoignon. Chassé
du Louvre par l'incendie, de son nouveau palais par le besoin de changement
propre aux malades condamnés, Mazarin se fit, vers janvier 1661, porter à
Vincennes, comme s'il eût été à l'abri de la mort dans cette forteresse, moitié
château, moitié prison. De son somptueux appartement, tout fraîchement peint
par Champagne, il pouvait voir le donjon, qui cachait une partie de ses
trésors et où il avait tenu prisonniers Condé et tant d'autres. Quoi que fissent
ses neuf médecins, son mal s'aggravait. Son intelligence si lucide
s'obscurcissait de plus en plus. Il rêvait, ne reconnaissant personne[42]. Ce
grand homme tenait de son pays un fonds de commediante, tant au physique qu'au moral.
Il se fit farder et friser. On le vit pour ainsi dire en effigie. Ce seigneur-ci représente bien le défunt Cardinal, dit, en le voyant peint comme
un mort italien, l'ambassadeur espagnol. Mot très fin et très faux à la fois.
Mazarin n'était pas encore défunt et devait au dernier jour secouer sa
torpeur. L'effigie redevint homme ; l'homme reparut autoritaire, jaloux, avare,
rancunier. Comprenant
que peu de jours lui restaient pour régler ses affaires et mettre ordre à sa
conscience, il se hâta. Les
affaires d'abord. Sous le coup des premières atteintes du mal, il avait
précipité la conclusion de la paix avec l'Espagne ; de même, pressé par la
mort, il bâcla plutôt qu'il ne conclut le mariage de ses deux nièces,
Hortense et Marie. Ce fier Cardinal, qui avait rêvé d'alliances royales,
donna ses nièces, sans choix, sans discernement, aux premiers venus. Marie
fut attribuée au connétable Colonne, rufian italien, qui pensait recevoir les
restes de Louis XIV. La belle et spirituelle Hortense épousa le fils du
maréchal de La Meilleraye, le plus extravagant, le plus dissipateur, le plus
fou des hommes de ce temps-là. C'est cet étrange personnage que Mazarin
choisit pour être le continuateur de son nom et de sa fortune. De sa
fortune ! Étaient-ils véritablement à lui, ces biens immenses, ces cinquante
millions, amassés en moins de six années ? Son confesseur, le Père Ange de
Bissari, homme simple, mais d'une grande droiture, lui parlait de
l'obligation de restituer le bien mal acquis. Hélas
! répondait le Cardinal,
toujours rusant, je n'ai rien que des
bienfaits du Roi.
— Mais, reprenait l'honnête Théatin, il faut distinguer ce que le Roi vous a donné de ce que
vous vous êtes donné à vous-même. — Ah ! soupirait le pénitent, si cela est, il faut tout restituer[43]. Si ces
scrupules embarrassaient Mazarin mourant, ils troublaient plus profondément
Colbert, devant, qui s'ouvrait un avenir tout nouveau. Selon ce que ferait
son maître moribond, c'était pour l'intendant la fortune ou la médiocrité.
Aussi agit-il avec autant de ruse que de décision. Le 3
mars, sur les neuf heures du matin, deux notaires étaient installés par ses
soins devant le lit du Cardinal, lequel a dit
qu’il reconnoît que tous ses biens, meubles et immeubles et autres
généralement quelconques, de quelque nature et qualité qu'ils soient,
viennent et procèdent des libéralités et magnificences de Sa Majesté. Son Éminence en fait donc
délaissement au Roi par donation à cause de
mort, disposition testamentaire, ou autrement. Cet
autrement était le fin du fin. La donation à cause de mort, le testament ne
constituaient pas un abandon, si Mazarin guérissait ; ils ne satisfaisaient
pas non plus aux commandements du confesseur. Le ou autrement, à la rigueur, pouvait s'entendre d'une restitution immédiate. Mais,
le testateur l'espère, Sa Majesté aura la
bonté de disposer desdits biens suivant les pensées et desseins de Son
Éminence, que Sa Majesté a bien voulu recevoir de sa bouche, espérance qui montre encore un
grand attachement à ce bien mal acquis ; aussi ajoute-t-il de nouveau : laissant toutefois Sa Majesté en la pleine liberté de
ladite disposition, comme maître et seigneur de tous lesdits biens '[44]. Pendant
deux jours, Sa Majesté ne répondit pas. Mazarin s'inquiétait. Il avait
remarqué que, depuis un certain temps, le pupille supportait malaisément le
tuteur. Dans cet étrange ménage du confident, de la Reine mère et du premier
ministre, l'harmonie avait depuis longtemps cessé. Plus de propos doux et
tendres, d'effusions de reconnaissance. L'un s'écriait : Ah ! cette femme me
fera mourir, tant elle est importune ! La Reine répondait : Cet homme ne
sera-t-il jamais saoul d'or et d'argent ! Louis, le confident, ne disait
rien, mais à quelle influence obéirait-il ? Céderait-il aux premiers
instincts de son esprit avare ? Garderait-il pour lui le testament ? Anxiété
cruelle ! Enfin, le 6 mars, sur les cinq heures du soir, le jeune prince
renvoya à Mazarin sa donation, en l'autorisant à disposer de ses biens comme
il voudrait. C'était
par anticipation la purge royale de cet héritage suspect. Bien que de plus en
plus faible, Mazarin fit aussitôt revenir les deux notaires et leur dicta un
testament long et compliqué. Une clause présente un intérêt tout particulier
: Mondit seigneur cardinal-duc veut aussi que
tous les comptes qui concernent les affaires de sa maison et ses affaires
particulières, rendus ou à rendre, demeurent et soient mis entre les mains du
sieur Colbert, pour les garder, sans qu'il puisse les communiquer, sinon ceux
qui seront demandés par Sa Majesté. Les légataires, même universels, n'en pourront proposer y la
révision, non pas même la communication u, à peine de déchéance de leurs
droits. Le motif, c'est qu'il y a plusieurs
choses dans lesdits comptes dont il est très important de garder le secret
tant pour l'État que pour quantité de personnes et de familles dedans et
dehors le Royaume. Par les mêmes raisons, mondit
seigneur ne veut pas qu'après son décès il soit fait aucun inventaire de ses
biens. Les
contemporains ne s'y trompèrent pas. Mazarin ne voulait pas qu'on connût le
total exact de ses richesses. Il nommait cinq exécuteurs testamentaires,
Lamoignon, Foucquet, Le Tellier, Ondedeï, Colbert ; mais, en fait, le dernier
restait seul maître du règlement de cette immense succession[45]. Le Roi
ratifia les dispositions de ce testament, y apposa même sa signature
contresignée par Le Tellier. Alors
Mazarin se retourna du côté de la mort, mais en philosophe. M. Joly, curé de
Saint-Nicolas des Champs, appelé en hâte à Vincennes et qui attendait depuis
midi, voulut parler au malade des deniers publics qu'il avait eus en
maniement ; le Cardinal, de peur de rentrer en scrupule, lui donna à
comprendre qu'il l'avait seulement envoyé querir pour lui parler de Dieu[46]. Ce fut le dernier acte
diplomatique de ce grand diplomate. Il ajouta cependant : Je ne suis pas content, je voudrois bien sentir une plus
grande douleur de mes péchés ; je suis un grand criminel ; je n'ai
d'espérance qu'en la miséricorde de Dieu[47]. Le
lendemain, 7 mars, fut encore donné tout entier aux affaires. Mazarin, se
trouvant un peu mieux, abusa de sa qualité de mourant pour arracher à la
princesse Palatine sa démission de surintendante de la maison de la Reine,
charge qu'il fit attribuer à sa nièce, Mme de Soissons, pour transférer à son
autre nièce, la princesse de Conti, la surintendance de la maison de la Reine
mère. Quelques codicilles furent ajoutés à son testament ; sur le soir, il
parafa l'instrument de ses dernières volontés. Le Roi ayant tenu conseil le
même jour, avec Le Tellier, Lionne et Foucquet, le Cardinal appela les trois
ministres dans sa chambre, fit leur éloge devant le souverain[48]. Tous trois étaient, il le
proclamait, des serviteurs fort capables et
d'une entière fidélités[49]. Puis, les gardant encore
auprès de lui, il complimenta chacun suivant son mérite. M. Le Tellier avait
toujours bien servi et savait le détail des affaires de la Cour et de la
guerre. Lionne, parfaitement instruit des affaires étrangères, avait le plus contribué
au traité de paix. Quant à Foucquet, il en parla en termes remplis d'estime,
il connaissait ta justice et les finances. Mazarin se sentait même obligé de
dire à Sa Majesté que Nicolas était capable de lui donner de très bons
conseils sur toutes les autres affaires de
l'État, de quelque nature qu'elles fussent[50]. Pouvait-on
se défier de ces dernières paroles d'un mourant ? Elles n'étaient cependant
que mensonge. Malgré son calme de commande, cet homme jeune encore et de peu
de conviction, ce ministre si absolu ne pouvait pas se résigner à l'idée
d'avoir un successeur dans le gouvernement. Jamais
Mazarin n'avait aimé Foucquet. La lâcheté de Séguier, la circonspection de Le
Tellier, le grand âge de Brienne, la jeunesse de Lionne lui avaient enlevé
toute inquiétude d'une compétition possible. Aussi savant et aussi habile,
aussi fin et aussi ingénieux que chacun de ces quatre personnages, Foucquet
possédait en plus le courage et l'audace. Seul, il avait à maintes reprises
mis le marché à la main du Cardinal, jusqu'à lui faire peur, et le peureux ne
pardonnait pas ; les vieilles rancunes, hier endormies, se réveillèrent
subitement dans l'esprit affaibli du mourant. C'était pour lui affaire de
conscience de signaler à un maitre aussi généreux que le Roi cet homme qui
abusait de ses finances, ce fastueux surintendant, Nicolas Foucquet enfin !
Cette dénonciation vaudrait bien une restitution. Mazarin
consulte son confesseur le Théatin, et deux
particuliers serviteurs,
Colbert et Ondedeï. N'était-il pas obligé, en
conscience, de donner conseil au Roy de chasser le sieur Foucquet ? Ces bonnes gens ne répondent
pas non ; mais ils montrent la difficulté d'exécution, les intrigues et les
cabales du surintendant, ses amis fortifiés dans les places, Belle-Isle
imprenable. Le mourant se décide à déclarer
au Roi le détail de la mauvaise conduite de Foucquet, sauf à conseiller de grandes précautions contre lui, de le veiller de près. Après lui avoir clairement
montré qu'on connaissait tous ses crimes, Sa Majesté lui dirait que,
s'il changeait de conduite, elle ne
laisseroit pas de se servir de luy[51]. Ce qui
précède est ce que plus tard Colbert consigna dans ses mémoires. Voici
une autre version plus sincère : On (Colbert) promit un legs considérable à quelques gens d'église,
mais on stipula qu'ils diront au malade qu'il est obligé d'oster à Foucquet
l'employ des finances, de rechercher les malversations des gens d'affaires,
de leur faire restituer le bien du Roy. La passion de l'argent n'avait
pas encore abandonné le domicile du Cardinal ; au contraire, comme le sujet
estoit plus foible et qu'il résistoit moins, elle avoit plus d'empire... On
consulta Colbert sur ce que disoient les confesseurs ; il s'y accorda
modestement[52]. L'ecclésiastique est chargé de
dénoncer Foucquet au jeune roi Louis XIV. Quoi
qu'il en soit des détails, le fait est certain. Selon tous les contemporains,
Mazarin laissa des mémoires contre Foucquet[53]. On
rapporte que le Cardinal demanda un supplément d'absolution pour avoir in
extremis murmuré contre la Faculté de médecine et ses médecins[54]. Espérons qu'il se repentit
également de cette dénonciation, œuvre de rancune et de jalousie, suprême
vilenie suggérée à ce moribond par un prêtre aux idées étroites, et par un
intendant aux vues trop larges. Deux ou
trois jours après la mort de Mazarin, son oraison funèbre, en ce qui
concernait sa gestion financière, fut faite à la Cour en termes assez
curieux. L'avare ministre, presque à l'agonie, avait tiré trois millions cinq
cent mille livres des charges de la maison de la Reine, vendues toutes, jusqu'à celle de la lavandière. — Ainsi,
disait l'apologiste, cette somme ne venoit
point de l'Épargne.
Les grandes richesses du Cardinal, ajoutait-il, n'étoient pas prises sur le
peuple. Il faisoit de grands ménages et
trafics dans ses gouvernements et particulièrement dans Brouage ; il
jouissoit de plusieurs fonds destinés au paiement des ambassadeurs, de
l'artillerie, de l'amirauté, etc. ; il se chargeoit d'y satisfaire et ne le
faisoit pas : c'est ainsi qu'il prenoit beaucoup sans qu'on pût le convaincre
de rien prendre à l'Épargne, en d'autres termes, au Trésor public. Cette étrange apologie
était faite en plein Louvre par le prudent, par l'honnête Le Tellier[55]. Il ne
s'agit pas ici de discuter en casuiste la valeur de cette doctrine. On la
verra plus tard bien modifiée, quand il s'agira de poursuivre le
surintendant, tant il est vrai que la passion transforme les idées des
hommes. Nicolas
Foucquet sut alors peu de chose ou rien de cet anathème in extremis prononcé
contre lui par Mazarin. Comme la plupart des hommes, quand la mort fast un
vide devant eux, il ne voyait dans le trépas prochain du Cardinal qu'une
grande situation abandonnée et qu'il serait glorieux d'occuper. Tout à son
désir de prendre cette place à peine vacante, il ne voyait pas que le
moribond, dans sa rancune impitoyable, le saisissait traîtreusement de sa
main décharnée pour l'entraîner, lui Foucquet, vivant et plein d'espérance,
dans un tombeau cent fois plus redoutable que les caveaux de la
Sainte-Chapelle de Vincennes. FIN DU PREMIER VOLUME
|
[1]
Chantelauze, Les derniers jours de Mazarin, a très bien établi d'après
les contemporains que cette idée de devenir pape avait hanté Mazarin.
[2]
GUY PATIN, Lettres,
t. II, p. 88.
[3]
LORET, La
Muze historique, t. III, p. 231. (Lundi 17 juillet.)
[4]
MONTPENSIER, Mémoires,
t. III, p. 489.
[5]
CHANTELAUZE, Les
derniers jours de Mazarin, Correspondant du 10 août 1881, p. 81 ; GUY PATIN, Lettres,
t. II, p. 88.
[6]
CLÉMENT, Lettres
et Instructions, t. I, p. 432.
[7]
AUBERT, Histoire
de Mazarin, t. IV, p. 345.
[8]
AUBERT, Histoire
de Mazarin, t. IV, p. 352.
[9]
LORET, Muze
historique, t. III, p. 228 ; MOTTEVILLE, Mémoires, t. IV, p. 224.
[10]
AUBERY, Histoire
de Mazarin, t. IV, p. 345 ; GUY PATIN,
Lettres, t. II, p. 91.
[11]
GUY PATIN, Lettres,
t. II, p. 105.
[12]
LA FONTAINE, Relation
de l'entrée de la Reine dans Paris, le 26 août 1660.
[13]
Julius Mazarinus, utriusque fœderis et pacis et
nuptiarum minister... sive pompa regia in solemni augustissinæ reginæ ing ressu.
Auctore Petro BURAY.
Parisiis, 1660. Pièce p. 16.
[14]
Défenses, t. V, p. 392.
[15]
Défenses, t. V, p. 193, 292, 389.
[16]
Défenses, t. V, p. 380.
[17]
Défenses, t. V, p. 390.
[18]
GUY PATIN, Lettres,
t. II, p. 184. Il est aisé de voir que c'est Talon qui répandait ces bruits
recueillis par Guy Patin.
[19]
Défenses, t. VIII, p. 125.
[20]
Défenses, t. V, p. 152 et suiv.
[21]
GUY PATIN, Lettres,
t. II, p. 103.
[22]
PERRAULT, Mémoires,
p. 173. Perrault, comme commis des parties casuelles chez M. de Vatton, avait
eu Colbert sous ses ordres. Ibid., p. 172.
[23]
GUY PATIN, lettre de
décembre 1660. Lettres, t. II, p. 179, 184.
[24]
DU TERTRE, Histoire des
Antilles, t. I, p. 439 et suiv.
[25]
Défenses, t. X, p. 237.
[26]
DU TERTRE, Histoire des
Antilles, t. I, p. 480.
[27]
DU TERTRE, Histoire des
Antilles, t. I, p. 495.
[28]
Défenses, t. VI, p. 412.
[29]
Défenses, t. V, p. 6.
[30]
V. Beuning à de Witt. Correspondance de de Witt, t. II, p. 94.
[31]
Défenses, t. V, p. 340.
[32]
Défenses, t. XIII, p. 361.
[33]
LE ROY, Belle-Ile en
mer, p. 111.
[34]
MOTTEVILLE, Mémoires,
t. IV, p.224.
[35]
GUY PATIN, lettre du 10
décembre 1660. Lettres, t. II, p. 168.
[36]
GUY PATIN, Lettres,
p. 171. Lettre du 14 décembre 1660. La veille de ce jour-là, Guy Patin soupait
chez Lamoignon.
[37]
GUY PATIN, lettre du 31
décembre 1660. Lettres, p. 180, 181.
[38]
GUY PATIN, lettre du 19
novembre 1660. Lettres, t. II, p. 156.
[39]
Défenses, t. VIII, p. 25.
[40]
BRIENNE, Mémoires
inédits, t. II, p. 118.
[41]
GUY PATIN, lettre du 28
janvier 1661. Lettres, t. II, p. 197.
[42]
L. DE BRIENNE, Mémoires
inédits, t. II, p. 120.
[43]
CHOLET, Mémoires,
p. 569.
[44]
Œuvres de Louis XIV, t. VI, p. 293.
[45]
Œuvres de Louis XIV, t. VI, p. 330. Mazarin priait ses exécuteurs
testamentaires ad honorem de ne pas
exiger d'inventaire.
[46]
Note de M. Hamon, publiée par Sainte-Beuve dans le tome IV de Port-Royal,
appendice. La date n'est pas indiquée dans la note ; mais comme on y parle de
prône, on voit qu'il s'agit d'un dimanche, et Rapin, dans ses Mémoires,
t. III, p. 107, dit que cela arriva le second dimanche de Carême. Inutile de
faire remarquer que Mazarin n'est pas mort ce jour-là, comme la note le laisse
entendre.
[47]
Dernières paroles de Mazarin, citées dans Les derniers jours de Mazarin,
par CHANTELAUZE,
Correspondant du 10 août 1881.
[48]
RAPIN, Mémoires,
t. III, p. 165.
[49]
Lettres et Instructions, t. II. Cf. CHANTELAUZE, Les derniers jours de Mazarin,
Correspondant du 10 août 1881, où ce texte curieux est réédité.
[50]
Défenses, XI, 134.
[51]
CLÉMENT, Lettres
et Instructions, t. II, p. 33.
[52]
Défenses, t. V, p. 93. Je n'oserois dire tout
ce que je sçais des machines qu'on fit jouer.
[53]
MOTTEVILLE, Mémoires,
t. IV, p. 277. M. Moreau, dans les notes de l'Histoire anecdotique de la
jeunesse de Mazarin, cite un texte fort curieux d'un soi-disant testament
du Cardinal. Foucquet devrait au Roi vingt millions. V, p. 264.
[54]
MOTTEVILLE, Mémoires,
t. IV, p. 244.
[55]
MOTTEVILLE, Mémoires,
t. IV, p. 251.