En
1660, Nicolas Foucquet atteignait l'âge de quarante-cinq ans. Entré très
jeune dans l'emploi, il comptait presque trente années de service. En
joignant à la durée de sa fonction comme maître des requêtes celle de sa
charge comme procureur général, il avait déjà droit au privilège de vétéran.
On a suivi presque jour pour jour sa vie si remplie, on peut dire si agitée.
A peine croirait-on qu'au milieu de tant d’occupations, d'épreuves, de
tourments, entre le Parlement révolté et le Trésor public, vrai tonneau des
Danaïdes, il lui soit resté quelques loisirs pour se reposer, cultiver les
lettres, encourager les arts, vivre enfin de la vie commune. C'est pourtant
cette partie de son existence qui a été longtemps la plus connue, tant
l'homme était actif, bien doué, et possédait toutes les qualités de
l'artiste, du lettré, de l'homme du monde, ou, pour parler le langage des
contemporains, de l'honnête homme. En
1660, le public, on peut dire la France entière admirait Nicolas Foucquet
protecteur des lettres et des arts. Artistes et littérateurs appréciaient à
l'égal de sa protection son amitié délicate et prévenante. Homme de goût, sa
générosité se dissimulait sous de justes éloges, et quand La Fontaine a dit : La
façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne, il
pensait sans doute à son ancien patron. Sa
générosité ne se bornait pas à mettre de l'argent à la disposition des
peintres et des sculpteurs. Il discutait leurs plans, leurs esquisses, leurs
maquettes. C'est même ce qui le perdit. Tout ce qui ne satisfaisait pas son
idée était condamné, démoli, effacé, jeté au rebut, puis recommencé, jusqu'à
ce qu'on eût trouvé l'idéal du maître. Architectes et artistes ne sont que
trop enclins à ces grandissements de projets, à ces raffinements du goût[1]. Ce
n'est pas à Paris que Nicolas se livra à sa passion. De la maison paternelle,
rue de Jouy, il passa dans celle de sa seconde femme, rue Vieille-du-Temple[2], habitation modeste, mais
entourée d'assez vastes jardins. Puis, se rapprochant du Palais et du Louvre,
il vint, vers 1658, habiter rue Saint-Honoré, dans une maison que lui vendit,
moyennant 300.000 livres, son frère l'archevêque de Narbonne[3]. Il s'y plaisait ; mais
Mazarin, voulant l'avoir plus près de lui, le contraignit en quelque sorte à
acheter, au prix de 370.000 fr., l'hôtel d'Émeri. C'était une construction
entièrement moderne, que le surintendant de ce nom avait fait élever sur les
terrains déclassés des anciennes fortifications de Paris. On l'appelait
l'Hôtel commode[4]. La porte d'entrée donnait sur
la rue Croix-des-Petits-Champs, avec une sortie sur la rue des
Vieux-Augustins. Il était mitoyen avec l'hôtel de La Vrillière. Les jardins,
assez grands, couvraient le tiers de la place actuelle des Victoires[5]. Malgré
la commodité si vantée de l'installation première, il y eut, lieu de réparer
le logis, qui fut livré aux maçons ; on l'agrandit par l'acquisition de
plusieurs maisons voisines[6]. Cependant, Foucquet ne parait
pas avoir beaucoup habité l'hôtel d'Émeri. Il avait d'ailleurs, comme
surintendant, droit à un logement dans le Louvre, et, en fait, il desneuroit
presque toute l'année à Saint-Mandé. Il y
avait acquis l'ancien domaine de M. de la Galissonnière et de M. de Beauvais
; il l'augmenta de quelques galeries, mais sans donner h rien une forme
monumentale. Mazarin y était venu donner son avis sur le bâtiment, sur la
clôture[7]. La grande dépense consista
dans un travail de remblai : on combla la vallée qui se trouvait en cet
endroit. Aujourd'hui, on chercherait à mouvementer le terrain. On lit lu
contraire : tout, un grand jardin avec des allées planes et tirées au cordeau
s'étendit vers Paris sur plus de trente arpents. Le principal ornement
consistait en plantes exotiques, et surtout en deux cents orangers. Foucquet
était serviteur de Pomone et de Flore ; il faisait venir des pays étrangers
des graines de plantes rares. Un Hambourgeois, Resseman, veillait sur les serres. A
l'intérieur, pas d'ornements, si ce n'est dans la bibliothèque composée de
trente mille volumes et qui occupait une galerie ornée de statues. C'était la
pièce d'attente pour les visiteurs, hommes de lettres et poètes. Dans le
surplus des bâtiments, peu d'ornements, pas de sculptures ni de peintures ;
les tapisseries même y étaient fort simples. Le grand avantage du séjour à
Saint-Mandé était le voisinage de Vincennes où Mazarin se plaisait. Comme la
maison était située à l'ouest de la rue, Nicolas occupa une petite parcelle de
terrain contiguë au mur du parc, dans lequel on perça une porte ; une voûte
fut construite pour réunir les deux parties de la propriété. Il ne faut pas
chercher d'autres mystères dans l'établissement de ce souterrain, dont il
sera tant parlé dans l'avenir. Saint-Mandé
parait avoir coûté un demi-million[8]. Indifférent
pour ses logements de Paris, simplement homme de goût dans son installation
de Saint-Mandé, c'est à Vaux que Foucquet manifesta sa passion de
constructeur. Venu au
monde avec l'amour de la bâtisse, mais non pour le seul plaisir d'entasser
des blocs de pierre sur d'autres blocs, il avait de la construction moderne
une conception propre. Nous laissons à de plus compétents le soin de la
discuter ; il nous suffit de la reconnaître et de l'exposer. La
Renaissance avait remplacé le château fort du moyen âge par une construction
plus appropriée à l'habitation paisible et commode. Réaction inconsciente ou
voulue, on chercha plutôt la grâce que la majesté. Si quelques palais de ce
temps-là donnent une impression de grandeur, ce ne fut, comme à
Fontainebleau, que par leur étendue et par leurs accroissements successifs. L'esprit
humain ne se contente jamais des mêmes choses, si belles qu'elles soient. En
tout il aime les changements. Vers 1650, on remania le plan des habitations
intimes, des hôtels à la ville. Il en fut de même pour les maisons des champs[9]. Plus de
fantaisie, plus de bâtiments de diverses hauteurs ni d'étages simplement
juxtaposés. On veut une belle ordonnance, c'est-à-dire le parallélisme, la
symétrie, la suite dans les lignes ; par-dessus tout l'unité. Toute fantaisie
est impitoyablement reléguée dans l'ornementation intérieure, où même on lui
mesure l'espace. Au dehors, peu de sculptures, quelques statues, et c'est
tout. On ne
saurait nier que cette conception de l'art de bâtir n'ait sa grandeur et sa
beauté ; mais l'effet est d'autant plus difficile à obtenir qu'on ne veut
user que de moyens simples, et qu'alors rien ne vaut, si ce n'est par
l'ensemble. Tel plan, trouvé suffisant sur le papier, parait mesquin dès que
les murs sortent de terre. Que faire ? démolir et recommencer sur nouveaux
frais. Or,
Foucquet avait mis la main sur un architecte nommé Le Vau, dont le père
s'intitulait Conseiller du Roy, grand voyer et inspecteur général des
bâtiments de Sa Majesté à Fontainebleau[10]. Le Vau, successeur de son
père, n'inspectait ces monuments que pour prendre un goût tout contraire. Il
était de l'école, ou, si l'on veut, de la suite des Le Mercier et des Le
Muet, les architectes du palais Cardinal et du palais du Luxembourg. Était-il
architecte du Roi avant l'époque où il travailla pour le surintendant ? Ce
dernier l'employa-t-il d'abord pour lui donner ensuite la clientèle royale et
celle non moins importante de Mazarin, Vraisemblablement, tout alla de pair. Foucquet
fit travailler à Vaux dès 1640, treize ans avant son élévation à la
surintendance. C'estoit, dit-il, une terre que je considérois comme mon establissement
principal, avant que j'eusse Belle-Isle, et où je voulois laisser quelque
marque de l'estat où j'avois esté[11]. Les
grandes constructions[12] furent entreprises vers 1656,
au même moment où le Cardinal commençait celles de Vincennes, et où le
rétablissement de la paix intérieure permit de reprendre les travaux du
Louvre. Il est beau, mais périlleux pour un particulier, d'employer des
hommes qui, tout à leur art, comptent sur les réserves réputées inépuisables
du Prince ou de l'État. On avait prévu les murs en brique ; mais c'était bien
vieux style, on les fit en pierre de taille. Par
surcroit, à l'architecte novateur, le goût trop éclairé de Foucquet adjoignit
un jardinier de génie, Le Nôtre, et un peintre qui rapportait d'Italie une
parfaite connaissance de tous les arts, Le Brun. Le
Nôtre était dessinateur des parterres et
jardins du Roy,
mais sans avoir eu jusqu'alors une occasion de montrer son talent. A Vaux, il
taille dans le neuf, remue les terres, les vallonne pour le plaisir des yeux.
On y dresse des parterres, on leur donne des premiers plans, des accompagnements
de bouquets d'arbres, avec des horizons arrangés selon les lois de la plus
savante perspective. Quand on eut bien travaillé la terre, ce fut une autre
tentation. La petite rivière d'Anqueuil, très calme et très simple en son
cours, passait par là. La détourner, la transformer en étangs, en ruisseaux
bruissant dans le silence des bois, en torrents impétueux, en cascades, en
jets d'eau, tel fut bientôt le rêve de Le Nôtre et de son patron. Justement
Herwarth avait une occasion de faire venir du plomb d'Angleterre, à très bon
marché. Foucquet en profita largement[13]. Ces sortes de bons marchés ont
toujours été ruineux. Les
belles eaux demandent de beaux bassins, de belles vasques, des marbres, tout
un peuple de dieux et de déesses qui les distribuent. Le Brun
aida Le Nôtre à peupler ses jardins. Le Brun
revenait d'Italie, où il avait longtemps étudié, grince à la générosité de
Séguier. Il en rapportait des portefeuilles pleins d'études, de croquis pris
sur les plus beaux restes de l'antiquité, sur les plus belles œuvres de
Raphaël et de Michel-Ange. Un portrait de Mme du Plessis-Bellière, un cabinet
qu'il peignit à Charenton pour cette dame, l'avaient fait connaître à Paris,
et tout particulièrement du surintendant[14]. Il s'empara de Vaux, s'y
installa presque à demeure, surveilla, dirigea les peintres, les sculpteurs,
les ouvriers du mobilier. Pour tout avoir sous la main, une fabrique de
tapisseries de haute lice fut installée à Maincy. On se demande où et comment
Foucquet pouvait habiter pendant les cinq ou six ans que durèrent les
travaux, où des centaines d'hommes étaient employés, taillant, peignant,
brouettant, canalisant. Mais se souciait-il de son logement ? Ne préférait-il
pas à l'achèvement même de l'œuvre l'agitation, la discussion des projets,
seule jouissance qu'il lui fût donné de goûter ? Si
Foucquet eut à son service un peintre de génie, il ne s'en efforça pas moins
de réunir les œuvres de tous les artistes en renom. Il entretint une
correspondance avec Poussin. Quand son frère Louis séjournait à Rome, il
occupait ses loisirs à visiter les ateliers des peintres et des sculpteurs,
les collections, qui constituaient les musées de ce temps, et s'il découvrait
quelque pièce intéressante, il la signalait au surintendant[15]. Le goût de ce dernier était
connu de tous. Quelques antiques ou copies d'antiques avaient été trouvées
dans les environs de Lyon, on les lui envoya. Des statues égyptiennes lui
vinrent on ne sait comment. Il
aimait la sculpture à l'égal de la peinture. Anguier travailla pour Foucquet,
Puget également. Le
surintendant donnait le ton. Les financiers l'imitaient. C'est ainsi que
Puget fut appelé au Vaudreuil, chez Girardin[16] qui l'avait connu en Provence. On a
bien des fois décrit Vaux. La première description reste la meilleure, c'est
celle que Mlle de Scudéry en a donnée dans la Clélie. Ce
lieu-là a tant de beautés surprenantes qu'on ne peut les imaginer sans les
avoir veues, ni mesure les bien représenter après les avoir admirées. Aussi
a-t-il esté entrepris et achevé par un homme qui ne fait rien que de grand,
et de qui l'esprit, par sa vaste estendue, ne peut concevoir de petits
desseins ; par un homme qui, donnant toute sa vie au service de son Roy, veut
mesure que ses plaisirs servent à l'embellissement et à la gloire de son
pays. Mais quoyqu'il n'employe à faire bastir Valterre (Vaux) que les heures qui sont
nécessaires pour délasser son esprit des grandes fatigues où le bien de
l'Estat l'engage, il ne laisse pas de faire une chose qu'on croiroit qui
devroit occuper toute sa vie. En effet, il ne faut pas s'imaginer que Vaux
soit un de ces lieux que la nature a presque embellis toute seule. Au
contraire, on peut dire sans exagération que Cléonime (Foucquet) l'a entièrement changé, et
qu'il n'y a pas un endroit où il n'a adjusté une nouvelle grâce. Il a divisé
une rivière en mille fontaines ; il a réuni mille fontaines en torrens, et a
si judicieusement entendu tout ce qu'il a fait, qu'on ne peut assez louer le
jugement de celuy qui a sçeu si bien mesler les beautez de l'art à celles de
la nature, et si industrieusement diversifier tous les ornements d'un si beau
lieu. Vaux
est situé à demi journée de Paris ; le chemin en est beau, et, pour
surprendre d'autant plus, on n'aperçoit sa beauté que lorsqu'on est arrivé à
l'avant-cour, qui est grande, belle et spacieuse. Elle a quatre grands
pavillons, aux quatre coins, avec d'autres cours des deux costés qui dégagent
celle-là. Quand
on est dans cette avant-cour, on voit devant soi la face du Palais, qui est
basti sur une montagne d'architecture, s'il faut ainsy dire, car le perron,
qui occupe toute la largeur de la seconde cour, a quatre repos et plus de
vingt marches d'élévation, de sorte que cela donne une grande majesté au
bastiment. Mais avant d'arriver à ce perron, on trouve des fossez grands et
beaux, dont l'eau est vive, claire et belle ; on passe un pont, et on entre
dans la seconde cour. Quand
on est au bout du pont, il n'y a rien de plus grand ni de plus magnifique que
de voir ces beaux fossez pleins d'eau, ces terrasses, ces balustrades, ces
fontaines jaillissantes, et ce magnifique perron qui traverse toute la cour. Au
milieu, un grand vestibule à trois arcades, qui laissent pénétrer la vue à
travers toute l'épaisseur de ce palais... Au milieu, deux très belles figures
de jeunes enfants qui domptent des lions, pour tesmoigner que l'innocence
vient à bout de tout, et les armes de N. Foucquet. Le dôme a beaucoup de
magnificence. Quand
on est arrivé au vestibule, on le trouve encore plus beau que l'on ne se
l'estoit figuré, car la proportion en est belle et noble. Il est soutenu par
douze colonnes, et d'un très bel ordre d'architecture[17]. Ensuite : On
entre de plain-pied dans le plus superbe salon qui fut jamais... Le dôme en
est soutenu par douze arcades magnifiques, six à jour, trois du côté du
vestibule, trois du côté des jardins. N.
Foucquet a eu le bonheur, pour la gloire de ce grand dessein, de trouver un
excellent homme, capable d'exécuter ses grandes intentions, et d'inventer
heureusement tout ce qui pourroit servir à l'embellissement d'un si beau
lieu. Il
s'appelle Lebrun (Méléandre),
le même qui a peint le cabinet de la généreuse dame de Plessis-Bellière (Mélinthe). II
est né avec un grand esprit, une belle imagination et un grand jugement. Ses
idées sont nobles et naturelles. Il y a de la grandeur dans ses desseins, et
toujours de la raison dans ce qu'il fait. Aussi a-t-il esté choisi par N.
Foucquet pour peindre ce superbe salon, et tous les divers appartements de
son Palais ; pour donner mesme des inventions et des conseils pour toutes les
choses qui peuvent embellir Vaux. Rien de
plus vrai, Lebrun était installé au Maincy, à la manufacture de tapisseries,
où s'exécutaient ces œuvres merveilleuses qui font encore aujourd'hui la
gloire du garde-meuble formé par les rois. On lui avait même donné un petit
logement dans le château. Il
esquissait de superbes peintures pour le grand salon : Le
Soleil est représenté dans son palais ; toute la base du tableau est enceinte
d'un grand serpent, qui représente l'année ; sur ce serpent roulent les mois,
les semaines et les jours, tous ces astres que le Soleil visite en faisant
son tour. Le dieu
est assis sur un throsne d'or eslevé de
plusieurs marches, sur lesquelles les Heures, filles du Soleil, montent et
descendent. Tout lumineux, il est revestu d'un manteau de drap d'or, couronné
d'un laurier immortel ; il s'appuie d'une main sur sa lyre, de l'autre, il
fait quelque signe à l'Aurore comme s'il luy commandoit quelque chose... Cette belle messagère tient un flambeau, dont elle se sert
pour illuminer un nouvel astre par le commandement du Soleil. A cet
endroit, l'allégorie devenait des plus intéressantes pour les contemporains. Ce
nouvel astre est placé au milieu du ciel en forme d'escureil. Trois des
astres supérieurs lui donnent leurs plus favorables influences. Saturne avec
sa faux l'enceint de son serpent semé d'estoilles, qui marque l'éternité de
sa gloire. Jupiter, assis sur son aigle, avec une action toute noble et d'un
air majestueux, lui donne une couronne d'or, pour marquer l'authorité qu'il
doit avoir. Mars, de l'autre costé, avec sa mine fière, luy donne un casque
et un lion. Suivent
les Saisons. Puis, Mercure, paroissant avec
toutes les marques qui le font connoistre, haussant le bras dont il tient son
caducée, semble vouloir donner toute son éloquence et tout son sçavoir à ce
nouvel astre, tant il le regarde favorablement. Autour de ce dieu, les instruments des
arts, mesme plusieurs petits Amours qui
marquent les diverses inclinations que la nature donne. La lune, cachée derrière
une nuée, sourit à l'Écureuil. Vénus lui offre une pomme.
Sur le tout, une devise qui a bonne grâce en
la langue où elle a esté faite, et dont le sens est qu'il n'y a rien de si
haut où il ne puisse monter. Voici
maintenant le sens caché de toutes ces peintures : Le
Soleil représente Cléonime (Foucquet) qui, selon restendue de ses grands employs, fait
tout, luit partout, fait du bien à tout, et travaille continuellement pour
l'utilité et l'embellissement de l'univers. Par
les quatre saisons de l'année, Le Brun a prétendu représenter les divers
États de la France (l'Étrurie) qui paient des tributs, et qui donnent à N.
Foucquet l'avantage de recevoir tout et de rendre tout, parce qu'il a la
disposition du thrésor du Prince. Cet
astre nouveau, au haut du ciel, montre qu'il n'y a rien de plus eslevé que la
gloire de Foucquet. Le serpent lumineux marque la prudence de ce héros, de
sorte que les peintures de ce superbe salon satisfont ensemble et les yeux et
la raison[18]. Cette
description est tout ce qui nous en reste. Ce
grand salon, en 1661, était orné de deux statues antiques, l'une représentant
Auguste, l'autre Tibère, et de six bustes modernes. Dans
l'antichambre, Hercule, sur un char d'or enlevé dans les cieux ; sous le
char, un serpent écrasé. La Raison guide Hercule. La Gloire[19] lui prépare une couronne de chêne.
Sur les murs, quatre pièces de tapisserie représentant l'histoire de
Clytemnestre ; quarante sièges en moquette ; au centre, une table de porphyre
de trois pieds et demi de long[20]. Mais ce
qui excitait surtout l'admiration, c'était la chambre des Muses. Le Brun, songeant toujours à la gloire de son héros, a
représenté, au haut de cette chambre, la Fidélité, que son puissant génie
élève dans les cieux. La Prudence la conduit, la Vertu et la Raison sont
auprès d'elle. La
Raison semble montrer Apollon, qui avec son
arc tire contre l'Envie.
Huit des Muses, groupées deux par deux, occupent les quatre pendentifs. Clio,
les ailes déployées, aide la Fidélité pour élever au ciel le maître du logis
et tient une trompette pour publier qu'il n'y a rien où la fidélité de
Foucquet ne puisse atteindre. Voilà
une ingénieuse variation du Quo non ascendam ? Par malheur, elle ne se
présentait qu'après la comparaison ambitieuse de Foucquet avec le Soleil. L'œuvre
du surintendant subsiste. Encore
aujourd'hui, quand on arrive à Vaux en venant de Melun, on ne peut se
défendre d'une grande impression. On n'aperçoit d'abord que les toits, mais à
mesure qu'on approche, la cour d'honneur et le château semblent s'élever
comme s'ils sortaient de terre, dans une superbe ordonnance. Si tout commande
l'admiration, rien cependant n'étonne, tant l'ensemble est à la fois
grandiose et harmonieux. La
première grille, dont les pilastres sont formés par douze dieux taillés en
façon de gaines, œuvres de sculpteurs émérites, est tout à fait digne du
château sur lequel elle donne accès. A droite et à gauche, des communs,
orangeries, écuries, ayant une importance proportionnée à celle du monument
principal[21]. La
façade du côté de l'arrivée est d'un goût irréprochable, d'un aspect noble,
sévère, avec un caractère imposant, mais exempt d'ostentation. Si l'on
traverse le vestibule et le grand salon, la vue du côté des jardins ne cause
pas moins de satisfaction. Devant soi, autant d'espace qu'il en faut pour contenter
l'œil sans le fatiguer. Les allées latérales et la terrasse du fond encadrent
un vaste parterre où le parallélisme des lignes est racheté par la convexité
générale du terrain et par la diversité des bassins et des parterres. Le
dessin en est vraiment royal. Si l'on
parcourt ces jardins, mille détails d'un goût exquis occupent agréablement
l'esprit et font oublier la distance. Puis, quand, arrivé à l'extrémité,
au-dessus du grand bassin, on se retourne, la façade intérieure du château
apparait à son avantage. Son défaut, un peu de lourdeur dans la coupole,
s'atténue, et la masse du bâtiment domine avec-majesté l'admirable ensemble
de ce beau domaine. Rien n'y est choquant ; rien n'y parait écrasant, tant
les proportions sont justes. C'est le vrai château du XVIIe siècle. Vaux
resta le chef-d'œuvre de l'architecte Le Vau ; Le Brun y a montré une liberté
de pinceau, une souplesse, une délicatesse de goût qu'il n'a pas dépassées en
ses plus beaux jours. Le Nôtre n'a pas mieux travaillé à Versailles. Sans
rien enlever de l'honneur légitimement dû aux artistes, on peut dire qu'ils
en auraient volontiers reporté une part à leur collaborateur, à ce maître
aimable et ingénieux, qui appréciait leurs efforts, qui les inspirait au
besoin[22]. On a
beaucoup exagéré le chiffre des sommes dépensées à Vaux. On a parlé de
vingt-cinq millions. Méchant propos d'un frère ennemi. Les comptes relevés
par Talon indiquent 1.319.000 livres[23], et Foucquet en contesta
l'exactitude. Toutefois, si l'on ajoute ce qui avait été payé antérieurement
et ce qui restait dû, on trouve un total de trois à quatre millions. Quant à
Belle-Isle, le surintendant n'avait pas eu le temps d'y faire de grandes
dépenses, surtout des dépenses somptuaires. Le logis Foucquet[24], s'il date de ce temps-là, est
très modeste. Les travaux consistèrent surtout en fortifications dirigées par
un ingénieur appelé d'Aigremont[25] et par un autre appelé
Charnacé. Dès que la paix fut signée, on abandonna ces remparts, ravelines,
moineaux et le reste, pour porter l'effort sur les dépenses productives.
Foucquet avait senti la nécessité de tirer un revenu de ce domaine
imprudemment acquis. A la suite d'études faites par un Hollandais appelé
Loger, le port fut agrandi, des moulins furent bâtis ; on voulait évidemment
attirer une population plus nombreuse. Ce que Foucquet favorisa surtout, ce
fut la pêche de la sardine[26]. A
Belle-Isle, l'artiste ne se montra pas. Nicolas avait dessein de réparer
l'église. Par ce qu'on sait du goût du temps, il est à peine regrettable
qu'il ne l'ait pas fait. Si l'on
additionne toutes ces dépenses de Saint-Mandé, de Vaux, de Belle-Isle, on
trouve un total de cinq millions environ. Ce chiffre est bien inférieur à
celui qu'indiquent les ennemis du surintendant ; il ne laisse pas d'être
énorme. L'auteur
d'un livre intitulé les Conseils de la Sagesse, dont l'anonyme cache, a-t-on
dit, Foucquet, s'est exprimé ainsi : Salomon
(c'est le héros) se plaisoit aux bâtimens et aux ouvrages de l'architecture.
Jamais la nature ni la grâce n'a fait de grands hommes qu'elle ne leur ait
inspiré cette passion héroïque[27]. Si ces
paroles peuvent être de Nicolas, en voici d'autres qui sont certainement de
lui : Le
grand revenu dont j'ay joui à cause de ma charge, à cause des biens de ma
femme, à cause des droits que j'ay acquis à bon marché, les grands
appointemens de la surintendance, et quelques gratifications que le Roy m'a
faites, ont esté cause que j'ay fait le dessein plus grand que je n'avois eu
intention d'abord ; ceux dont je me suis servi l'ont encore poussé plus loin
que je ne voulois ; je ne croyois pas que les choses deussent couster à
beaucoup près ce qu'elles ont cousté ; on m'a trompé dans les estimations, on
a fait des marchés de tout, et puis par les augmentations ces marchés ont
doublé. Quand la chose a esté bien avancée, je n'ay pas pu faire des pas en
arrière, il a fallu achever, et quand mes revenus n'ont pas esté suffisans,
j'ay contracté des dettes pour subvenir à cette dépense. Il
est encore vray que l'impatience m'a pris, et que la lenteur et l'éclat m'ont
déplu ; j'eusse voulu estre hors de cet embaras, j'ay écrit et récrit qu'on
se hastast d'y mettre fin, qu'on fit un effort tel qu'on voudroit, mais qu'on
terminast tout, qu'il m'estoit indifférent de faire en un an ou bien en
plusieurs ce qu'il faloit une fois achever, j'ay mandé qu'on y mist nombre
d'hommes, afin que l'éclat, le désordre et la confusion des matériaux et
d'ouvrages imparfaits peussent cesser. Les
discours de M. Colbert ou de mes ennemis, qui prenoient malicieusement ces
sortes d'avantages contre moy, m'importunoient ; je voulois leur en
retrancher le prétexte en vendant la terre ; mais il estoit impossible de le
faire en l'estat où elle estoit ; je voulois donc que le chaos et l'embarras
n'y parussent plus, afin de ne pas rebuter ceux qui vouloient s'en accomoder[28]. Passe
encore de bâtir ; mais ce qui coûte, c'est d'entretenir et de faire dans ces
bâtiments une figure digne de leur grandeur. D'instinct, Foucquet était
magnifique et agissait en précurseur d'un règne fastueux. Réglant sa dépense
sur des revenus, non pas fixes et certains, mais espérés et trop aléatoires,
il ne se souvenait de vingt ans de vie orageuse que pour mieux apprécier les
heures de triomphe, car avec lui on ne peut parler de repos. Le
grand luxe de ce temps était la table, la table plutôt abondante que
recherchée. Les primeurs d'alors seraient dédaignées des petits bourgeois
d'aujourd'hui. Mais tout venant, un peu connu du maître, s'installait et
dînait ou soupait, qui assis, qui debout, contre un buffet[29]. Par une
continuation ruineuse de bonne chance, Foucquet avait mis la main sur un
homme exceptionnel, Watel. Ce personnage, resté célèbre, occupait chez le
surintendant une position assez difficile à préciser, tenant du factotum, du
grand panetier, du grand écuyer, du maître des palais des rois et
des-princes. Il s'entendait si bien à ses fonctions que, lors du séjour à
Paris du duc de Mantoue, Mazarin l'emprunta à Foucquet et le chargea, au nom
du Roi, de l'entretien de ce visiteur princier[30]. Il lui confiait même
volontiers le soin d'assurer le service de la Cour à Vincennes. Nicolas
payait. Ces
distinctions fort honorables sont aussi très dispendieuses. On a évalué à
vingt-cinq mille livres par mois les dépenses personnelles de Foucquet et de
sa famille'. La somme est exagérée, ou du moins comprend beaucoup de dépenses
autres que celles de table ; mais en y comptant les fêtes données au Roi, aux
Reines, aux étrangers de distinction, on atteint le chiffre de dix à douze
mille livres par mois. Foucquet,
de plus, était grand joueur. Le jeu était la passion de ce temps, et les plus
sages cherchaient de spécieux prétextes pour expliquer leur faiblesse. Mme
Foucquet jouait comme son mari. Mazarin et ses nièces donnaient l'exemple. Il
y avait des joueurs malheureux, Herwarth par exemple, qu'on se disputait
comme une proie[31]. Il y en avait comme Gourville,
dont tout le crédit reposait sur leur veine intarissable. Il est vrai que ce
dernier, homme peu glorieux, se retirait dès qu'il perdait légèrement ou
gagnait beaucoup. Quant à
Foucquet, il jouait avec ardeur. De tous les défauts qu'on lui a reprochés,
c'est celui qui parait le plus prouvé. On l'excusait alors, comme on admirait
ses dépenses, car tout est bien dans un homme heureux et puissant. A peine
remarquait-on les générosités de ce fastueux surintendant pour l'Hôpital de
Paris, dont il était administrateur, pour.de bonnes œuvres en France et dans
les colonies. Sa mère, restée simple au milieu de ces grandeurs, ne le
sollicitait jamais en vain. Cette sainte femme, pensant aux pauvres paysans
de Maincy, aux maçons, aux terrassiers, avait, au milieu des splendeurs
naissantes de Vaux, installé les Sœurs de Saint-Vincent de Paul. On
vient de voir Foucquet protecteur des beaux-arts. Il n'était pas moins
célèbre comme ami des lettres. On s'accorde à reconnaître qu'il était fort
instruit[32]. Après trente ans de la vie
qu'on lui a vu mener, non-seulement il lisait couramment Horace et Cicéron,
mais encore écrivait en vers latins très corrects. Il risquait même la petite
pièce de vers français[33], léger défaut dans tous les
temps, plus excusable au dix-septième siècle qu'à toute autre époque. Nicolas
faisait mieux que de rimer. Il aimait les poètes, et dans un temps où la
poésie, même celle du grand Corneille, était très délaissée. Scarron,
s'adressant aux Muses, rappelle les injures qu'elles ont reçues de la guerre
: Quand
la guerre, troublant le calme de nos jours, Fit
entendre en tous lieux le bruit de ses tambours, Ce
bruit contraire aux vers, favorable aux gazettes, Fit
cesser vos concerts et vous rendit muettes, Et
les moindres goujats, pieds nus et déchirés, Aux
sçavants mieux vestus se virent préférés. Notre
changeante Cour, seule arbitre des modes, Traite
les beaux esprits de pédans, d'incommodes, Les
beaux vers de chansons, les rimeurs d'artisans, Et
votre art méprisé n'eut plus de partisans. Mais
fûtes-vous jamais de Foucquet méprisées ? Entre
ceux qui vous ont toujours favorisées, Qui
de fréquents bienfaits vous comble comme luy ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . Et
ce n'en pas sans chois qu'il répand ce qu'il donne : Il
sçait par le mérite estimer la personne, Et
peu, dans le haut rang où sa vertu l'a mis, Ont
mieux que luy sçu faire et choisir des amis[34]. Dans
une pièce adressée à Mlle de Scudéry, après avoir, suivant la formule,
apostrophé le siècle, le poète ajoute : Mais
que dis-je, insensé ! l'heureux siècle où nous sommes Ne
le cède à nul autre à donner de grands hommes. Il
nous donne le grand, le généreux Foucquet. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . Qui
surpasse Foucquet en justice, en bonté, Et
qui porte plus loin la générosité ? Il
açait sans se tromper mettre la différence Entre
le vray mérite et la fausse apparence ; Il
prévient la demande, et secourt au besoin L'illustre
malheureux, tant de près que de loin. J'en
puis parler, Sapho, sa bonté non commune Combat
depuis longtemps ma mauvaise fortune[35]. Scarron
l'avait déjà dit en prose : M. le procureur
général m'a donné une pension sans que je la luy aie demandée[36]. Monseigneur,
lui écrit-il une autre fois, si on ne se satisfaisoit soi-même en faisant du
bien, je ne sçay pas pourquoy vous m'en feriez. Je ne vous suis point utile.
Je ne dois pas aussi espérer de contribuer beaucoup à votre divertissement,
ne pouvant avoir l'honneur de vous approcher, ni de me faire connoistre
autrement à vous que comme tous les autres me connoissent, pour être
malheureux durant ma vie comme un damné, et pour faire quelquefois des
livres, c'est-à-dire (le grand Dieu le permet ainsi) une des grandes incommodités du
genre humain[37]. On
n'a point vu de surintendant en France aimé et estimé comme vous êtes. Aussi
n'en a-t-on point vu de si généreux et de si obligeant que vous, mais je croy
qu'il vous en coûte bon, et qu'une grande réputation vous attire de grandes
importunitez[38]. Scarron
disait vrai ; Foucquet était assiégé par les solliciteurs, aussi hardis que
des créanciers. Mais Son
adresse sans seconde Sçait
l'art de refuser le monde, Et
de luy plaire en même teins. Soit
qu'il accorde ou qu'il refuse, C'est
avecque tant de raison Que
nul ne sort de sa maison Qui
ne le loue ou ne l'excuse[39]. Il n'y
a qu'une voix sur la bonne grâce du surintendant, et c'est à quelque autre,
tout son contraire, que devait penser La Fontaine quand il écrivait ces vers
charmants Tel
donne à pleines mains qui n'oblige personne. La
façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne. Scarron
a encore bien peint — sur ouï-dire — Foucquet se délassant à Saint-Mandé, y
discourant de littérature avec Pellisson et La Fontaine. La
Fontaine, un des protégés du surintendant, qu'il avait connu par son parent
Jannart, a le ton moins plaisant que Scarron, mais plus libre. Foucquet,
donnant un tour aimable à toutes choses, avait prétendu que le poète devait
lui payer une pension pour le soin qu'il prenait de faire valoir ses vers, et
La Fontaine, déjà malicieux, paya en surintendant des poètes. C'est
la vérité Que
Monseigneur n'a que trop mérité La
pension qu'il veut que je lui donne. En
bonne foi, je ne sache personne A
qui Phœbus s'engageât aujourd'hui De
la donner plus volontiers qu'à lui. Cette
monnoie est sans doute légère, Et
maintenant peu la savent priser, Mais
c'est un fonds qu'on ne peut épuiser. Plût
aux destins, amis de cet empire, Que
de l'épargne on en pût autant dire ![40] Pour
cette fois, le surintendant avait son compte. La
Fontaine pava le premier terme à Mme Foucquet. Comme
je vois Monseigneur votre époux Moins
de loisir qu'homme qui soit en France, Au lieu de lui, puis-je payer à vous ? Seroit-ce
assez d'avoir votre quittance ?[41] Le
second terme vaut encore mieux que le premier. Ô
vous, l'honneur de ce mortel séjour, Ce
n'est pas d'hui que ce proverbe court. On
ne l'a fait de mon temps ni du vôtre : Trop
bien savez qu'en langage de Cour Promettre
est un et tenir est un autre[42]. Le
poète possédait une âme tendre et ouverte à l'amitié. Un jour, vers 1659, il
portait son tribut au maitre de Saint-Mandé, qui, très affairé, le pria de
prendre patience. Après une heure d'attente, La Fontaine s'en alla comme il
était venu, le cœur gros, gros non de dépit, mais de
compassion pour son Mécène. A
la fin vous n'aurez pas Loisir
de prendre vos repas. Le
Roi, l'État, votre patrie Partagent
toute votre vie. Rien
n'est pour vous, tout est pour eux ! Bon
Dieu ! que l'on est malheureux Quand
on est si grand personnage ! Seigneur,
vous êtes bon et sage, Et
je serois trop familier Si
je faisois le conseiller. A
jouir pourtant de vous-même Vous
auriez un plaisir extrême. Renvoyez
donc en certains temps Tous
les traités, tous les traitants ; Les
requêtes, les ordonnances, Le
Parlement et les finances, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La
Cour, la paix et le mariage, Et
la dépense du voyage Qui
rend ses coffres épuisés. Nous
avons cité entre les poètes deux des plus célèbres de ce temps. On a vu
au-dessus d'eux le grand Corneille rendant hommage à la générosité délicate
de Foucquet. Au second plan se présentent Brebeuf, Benserade, Boisrobert[43], Gombaut, Charles Perrault,
dont les petits poèmes sur l'amour et sur l'amitié avaient ravi le
surintendant[44]. Les
poètes latins étaient encore plus nombreux. En premier lieu venaient Gabriel
Gossart[45], Madelenet[46], Gervaise[47], René Rapin, Hallé. Plusieurs
pièces sentent bien un appel à la générosité du Mécène, mais il est juste de
constater que le plus grand nombre témoigne d'une admiration sincère et même
d'un réel attachement. Mlle de
Scudéry, faisant parler les Muses dans Clélie, place Foucquet immédiatement
après Richelieu comme protecteur des lettres. Nous
aurons pourtant encore après luy des protecteurs en France, et il y aura
entre les autres un homme dans les principales charges de l'Estat qui nous
escoutera quelquefois favorablement au bord de ses fontaines. Il aura une
très grande capacité pour toutes les grandes affaires ; il fera des choses
les plus difficiles sans empressement, et les plus nobles actions sans vanité
; il aura l'esprit vif et pénétrant, une modestie et une pudeur sans exemple
; de la douceur, de la justice, de la probité, et ne manquera jamais à sa
parole ny à ses amis ; aussy sera-t-il vénéré particulièrement de tous ceux
qui auront de la vertu, et mes compagnes et moy inspirerons le désir de
chanter sa gloire à tous les poètes de son temps, qui ne seront pas en petit
nombre[48]. Foucquet
avait hérité de la bibliothèque et des curiosités de son père, qui n'avaient
de valeur, comme l'avait dit ce brave homme dans son testament, que par leur
réunion. Il ne cessa de les augmenter, achetant des livres et même des
collections entières, comme celles du médecin Moreau[49] et de M. de Montchal,
l'archevêque de Toulouse[50]. Les libraires, les auteurs lui
offrirent un grand nombre d'ouvrages. Comme procureur général, il avait droit
au dépôt légal. Bientôt un bibliothécaire devint nécessaire. Le père des
Champsneufs, parent de Foucquet, son ami, fut nommé à titre honoraire.
L'administration était confiée à un sieur Carcavy, conseiller au Grand
Conseil, homme d'un rare mérite, que des infortunes de famille avaient réduit
à entrer dans les bureaux du surintendant[51]. La
bibliothèque fut installée à Saint-Mandé, dont elle était le principal
ornement. Benserade, La Fontaine, Corneille y attendaient plus patiemment
qu'ailleurs l'instant propice pour voir le patron. Des
auteurs en tous genres dédièrent leurs œuvres à Foucquet. On ne saurait les
énumérer ici. Ces ouvrages sont variés ; philosophes, antiquaires, voyageurs,
jurisconsultes, tous recherchaient le patronage de Foucquet. Protecteur
des artistes, Mécène des poètes et des savants, Nicolas Foucquet cherchait-il
d'autres succès plus intimes ? Est-il ce surintendant dont Nicolas Boileau,
poète ennemi des femmes, a dit qu'il ne trouva jamais de cruelles ? Il s'est
formé à ce sujet une sorte de légende fortifiée par un semblant de preuves,
par quelques billets, quelques lettres mis en circulation en un moment trop
suspect. On ne
peut bien juger des lettres et des amourettes de ce temps-là sans se reporter
aux romans à la mode, l'Astrée, le Grand Cyrus, la Clélie,
ce dernier surtout. On s'y rend compte de la valeur exacte de certaines
expressions, de certaines intrigues de convention. On y trouve ces demies maistresses qu'on aime sans inquiétude, qu'on
sert sans assiduité et qu'on quitte sans chagrin[52], ces amoureux sujets à certaines petites absences de cœur[53]. Mlle de Scudéry donne la
recette des lettres galantes. On y parle
parfois d'amitié comme si on parloit d'amour[54]. Quant aux lettres d'amour,
leur caractère doit être tendre et passionné... Il faut mesme qu'il y ait souvent un peu d'inquiétude, car
les lettres de félicité ne font nullement bien en amour... quand mesme on n'auroit point de sujet de se plaindre, il
s'en faudroit faire pour son plaisir[55]. Où sont
donc les victimes de Foucquet ? On a
cité la jeune Trécesson. Mais la spirituelle Bretonne fut charmée plutôt que
séduite par cet homme qu'on lui dépeignait comme enfermé dans une grandeur
inaccessible et qui se montrait si facile d'abord, si aimable et si doux. Elle
le vit peu de temps et partit, emportant le souvenir de quelque entretien
dans le petit cabinet de Saint-Mandé, toute fière de cette intimité entre
elle, petite fille, et Monseigneur. Je ne pance qu'en vous, lui écrivait-elle, et touttes les amittiés que l'on me témoigne de part et
d'auttre ne m'en détourne pas un momants[56]. Foucquet n'était pas jaloux ;
mais il veillait de loin sur sa petite envoyée, qu'il savait exposée à de
grandes séductions. La
lettre suivante est un pur décalque de la Clélie ou du Grand Cyrus
: Ce 23 octobre 1658[57]. Si
l'amitié que j'ay pour vous ne se trouvoit pas offansée par les reproches que
vous me faites, j'aurois pris bien du plaisir à les lire, et j'aurois apris
aveques quelques santimants de joye l'inquiétude où vous aittes de scavoir ce
qui se passe icy touchant Mlle de Bellairt (Trécesson), puisque asseurément
ce n'est point une marque que vous ayez de l'indiférance pour elle ; mais coy
que j'en fasce ce jugement, qui ne m'est point désagréable, je ne puis
m'empescher de m'affliger extrêmement que vous en ayés fait un de moy si
injuste et si désavantageux ; car je vous asseure que ce n'est point manque
de confiance, ny par aucune préoccupation de ce coutté cy que j'ay manqué à
vous escrire cent petites choses que j'ay creu des bagatelles sans
importance. Mais
enfin, puisque je vois que vous avez une bonté pour moy que je n'aurois auzé
espérer, coy que j'aye tousjours desiré la continuation de vostre amitié plus
que toutes les choses du monde, je vous diray qu'il ne se passe rien entre
Mlle de Bellair et M. du Clos (M. de Savoie), qui soit désavantageux ny pour
vous ny pour elle ; elle a treuvé le moyen de s'en faire craindre et de s'en
faire estimer malgré luy. Mandez-moy
de quelle manière je dois continuer à vous escrire, et soyez persuadé que mes
discours et mes actions ne seront jamais contraires à l'amytié que je vous ay
témoignée. En
général (18
avril 1659), les
lettres de Trécesson portent l'empreinte du respect. Je suis bien aisse de m'estre trompée dans l'appréhension
que j'avois eu d'avoir un peu perdu de l'amitié que vous m'aviez promise. Je
prefère vostre estime à toutes les choses du monde. Je ne sçay ce que je vous
dois respondre sur la bonté que vous vouliez prendre de mon establissement[58]. Étrange
galant que Foucquet, à qui toutes les filles s'adressaient pour trouver un
mari. Trécesson,
qui aurait bien voulu revenir à Paris, demande à voir d'abord comment les
choses tourneront à Turin. Et ce n'était pas coquetterie. Peu après, elle
épousa un gentilhomme portant un nom devenu bien célèbre, celui de Cavour[59]. Dévouement, respect éternels,
tels seront ses sentiments pour M. le baron et Mme du Ryer, c'est-à-dire pour
Foucquet et pour Mme du Plessis-Bellière. Chacun
peut juger de ces lettres selon son expérience ou son imagination. Pour nous,
elles ont un parfum de galanterie romanesque plutôt que de séduction. Les
gens malveillants ont compté parmi les maîtresses du surintendant Mme du
Plessis-Bellière, la propre tante de Trécesson. Voici
ce que disait de cette dame une contemporaine, trop polie certainement pour
relever un léger défaut, mais aussi trop sincère pour donner des éloges
immérités : Mme
du Plessis-Bellière est une femme d'un si grand mérite qu'il y en a peu qui
l'esgalent... d'une si rare vertu, qu'elle mérite d'estre proposée pour
exemple à toutes les autres ; et il y a dans son cœur je ne sçais quoy de si
noble, de si grand, de si bon, de si tendre et de si héroïque, qu'on peut
dire que les dieux ont fait un chef-d'œuvre en la faisant. Elle réunit toutes
les vertus qui font un homme d'honneur et toutes celles qui font une honnéte
femme. Pour
sa personne, quoy qu'elle soit infiniment aimable, qu'elle ait la taille bien
faite et déliée, les cheveux fort beaux, les yeux pleins d'esprit et de
douceur, la physionomie spirituelle, modeste et agréable, qu'elle ait une
certaine langueur pleine de charmes, qu'elle ayt même dans le son de sa voix
je ne sçais quoy de doux et de tendre qui touche le cœur de ceux à qui elle
parle, et qu'elle chante de la manière du monde la plus passionnée, on diroit
qu'on ne doit pas parler de tout cela et que la vertu de Mélinthe (Mme du
Plessis), son
esprit, sa conduite et sa générosité doivent s'opposer à tous les autres
éloges qu'elle mérite[60]. Ce
portrait est quelque peu rajeuni. En 1658, Mme du Plessis-Bellière touchait à
la cinquantaine. Restée veuve avec des enfants à établir, douée de trop de
sens pour compter sur les promesses du Cardinal, elle s'était adonnée aux
affaires par nécessité d'abord, puis par goût, et parce qu'elle y
réussissait. Foucquet songeait à elle pour la défense de ses intérêts en cas
de disgrâce. Encore ne lui avait-il pas communiqué son plan. Elle était
l'amitié, non pas l'amour. On lui a prêté un rôle ignoble d'entremetteuse,
accusation grossière et sans preuve, détruite même par mille preuves
contraires. On a
cité encore Mme Scarron. Certes, c'était une personne admirablement belle, de
beaucoup d'esprit et de plus de sens encore. Elle connaissait la femme de
Foucquet[61]. Mais peut-être n'avait-elle
jamais vu le surintendant avant la mort de son mari. Une tradition non
suspecte la montre solliciteuse modeste, dissimulant sa beauté[62]. Au temps où l'on n'avait de
raison ni de la ménager ni de la calomnier, on ne lui attribua aucune des
lettres saisies à Saint-Mandé ou à Vaux. Toute sa correspondance passa sous
les yeux jaloux du jeune Roi, et, d'après les sentiments qu'il témoigna plus
tard à Mme Scarron, on peut croire qu'elle ne s'était nullement compromise
avec Foucquet. Un
quatrième nom a été prononcé, celui de Mme d'Asserac. Abstraction faite d'une
insinuation malveillante, on ne trouve rien contre cette dame. Mme d'Asserac,
née Pélagie de Rieux, était mariée à un homme bizarre, s'occupant
d'astrologie judiciaire, laissant à sa femme le soin de gérer une fortune
embarrassée. Par chance, elle avait assez le goût de ce genre d'occupation.
Sa maison était redevable de grosses sommes aux Foucquet, d'où des relations
obligées entre le surintendant et la duchesse, qui devint veuve vers 1657.
Leurs rapports dans la suite eurent presque toujours le même caractère.
Constructions à l'île Dieu, vente de l'île Dieu ; achat du mont Saint-Michel,
vente du mont Saint-Michel, toutes opérations seulement conseillées par
Foucquet. Que le surintendant ait apprécié cette femme supérieure, on n'en
saurait douter, puisqu'il lui assigna, dans son projet de défense, un poste à
côté de Mme du Plessis-Bellière. Il y a là l'indice d'intérêts communs, mais
pas la moindre trace de galanterie. On voit
ce qu'était Mme d'Asserac. Qu'elle ait ressenti une sérieuse amitié pour
Nicolas Foucquet, c'est incontestable. Que cette amitié, née de la
reconnaissance pour les services rendus, ait pris à la longue une forme plus
tendre, on le croira volontiers. Mais on donnerait trop d'importance à des
commérages de suivantes si, pour quelques cadeaux de points de Venise ou de
velours de Gênes, on faisait de la marquise une maîtresse du surintendant.
Comme Mme du Plessis-Bellière, elle avait de gros soucis de famille, avec
tous ses biens engagés, jusqu'au marquisat d'Asserac. On ne voit pas bien
l'intrigue amoureuse qui aurait pu se suivre au milieu de complications
légales, de saisies, de ventes sur décret, de retrait lignager. On
insiste. 'Foucquet s'est montré très entreprenant, témoin cette lettre que la
dame lui écrivit au lendemain d'une scène de violente passion. De
ma vie, dit-elle, je n'éprouvai si bien la force que j'ai sur moi-même que je
fis avant-hier. Il ne s'en fallait rien qu'elle ne me manquât quand je vous
quittai, et je me saurai bon gré toute ma vie de l'avoir su garder jusques au
bout. Enfin, Monsieur, voyez les desseins que le changement des vôtres m'a
fait prendre : ils sont de travailler toute ma vie à vous le faire reprocher
à vous-même, et si, pendant tout ce temps, il s'en trouve un où vous soyez en
situation de faire un discernement juste des gens, vous puissiez voir que les
moindres obligations font chez moi ce que les plus grandes, ailleurs, ont
peine d'y établir. Voyez si mon ressentiment est à craindre[63]. C'est
chose bien dangereuse que la prévention. Convaincus que le surintendant ne
pouvait se trouver en tête-à-tête avec une femme sans la violenter, les
éditeurs de cette lettre ont admiré la belle défense de la marquise et la
leçon si ferme donnée par elle à son agresseur. Ou nous
nous trompons, ou l'on a commis une grosse méprise. Un
projet de mariage avait été formé entre le jeune d'Asserac et une fille de
Foucquet, qui abandonna cette alliance pour une plus relevée[64]. La
fameuse scène d'amour se réduit à une explication délicate entre un père
ambitieux et une mère froissée. Cette mère cependant conserve sa dignité : Monsieur, voyez les desseins que le changement des vôtres
m'a fait prendre !
Elle a eu la force de se contenir, comme elle aura celle d'étouffer tout
ressentiment. La
scène dramatique s'évanouit, et, encore une fois, l'amitié prend la place de
l'amour. Nous
voilà au bout de cette liste incommensurable, des mille e tre de ce don Juan. Est-ce à dire qu'au-dessous et au pied de toute
cette fumée, quelque feu n'eût point couvé ? Non, comme l'avoueront plus tard
ses avocats, le surintendant n'a pas toujours vécu avec toute l'innocence désirable[65]. Il ne parait pas pourtant
avoir été jamais un grand vainqueur. Un seul
fait est relaté dans une chronique scandaleuse, et encore faut-il dire que
Foucquet parait plutôt séduit que séducteur. Suzanne
Garnier, dame de Brancas, avait jeté son dévolu sur lui, qui résista de son
mieux et ne succomba qu'à son corps défendant[66]. Quand
il attaquait, c'était autre chose, il ne triomphait pas. On a vu la
résistance de Sévigné. A vrai
dire, dans toute cette vie intime de Foucquet, une femme seulement apparaît
avec l'expression d'une passion réelle. Celle-là devait être la sincérité même.
On ne la connaît que par cinq ou six lignes de billet, mais si exquises
qu'elles suffisent à la faire aimer. Je
pars à la fin demain, assez incommodée, mais ne sentant point mon mal, dans
la joie que j'ai dans la pensée de vous voir bientôt. Je vous en prie, que le
jour de mon arrivée j'aie cette satisfaction. Je ne vous puis exprimer
l'impatience où j'en suis et, moi-même, je ne la puis trop bien comprendre ;
mais je sens qu'il ne seroit pas bon que je vous visse la première fois en
cérémonie, parce que ma joye seroit trop visible. Adieu, mon cher ; je t'aime
plus que la vie. La
femme qui écrivit, avec une orthographe fantaisiste, ce billet si naturel, si
expressif, si en dehors de la formule Scudéry, est restée et restera
inconnue. Je découvrirais son nom qu'il me semblerait indélicat de le publier[67]. Le
tableau ne serait pas fini si cet homme si occupé dans les affaires, dans les
bâtiments, allant des poètes aux belles dames, n'était peint dans son
intérieur, entre sa femme et ses enfants. Il s'y montrait bon mari, bon père.
Sa femme, partageant ses goûts, prenait des leçons de peinture de Le Brun[68], écoutait volontiers les
hommages des poètes[69], recevait des dédicaces
d'auteurs[70]. Elle avait même quelques-uns
de ses défauts : elle jouait avec passion. Très entreprenante, elle
accompagnait Nicolas dans ses voyages ; elle avait même éprouvé un accident
en revenant de Toulouse[71]. Au demeurant, tout dans ce
ménage respirait la paix, l'union, le bonheur. Telle
apparaissait, en 1660, la situation de Foucquet, plus forte encore, plus
belle, plus enviable que nous ne l'avons dépeinte, car les contemporains n'y
voyaient pas d'ombre. Seuls, quelques amis, comme le Père des Champsneufs,
s'effrayaient de cette prospérité. Ce vieil ami d'une famille dont il
partageait encore plus les douleurs que les joies, composa, vers 1659, un
recueil d'extraits des psaumes, qu'il intitula Davidis suspiria[72]. Il le dédia à son fils
adoptif, à ce Nicolas qu'il suivait dans sa carrière, depuis ses débuts au
Parlement de Metz. Cette dédicace est touchante : point d'éloges, mais des
conseils de modération. Puisses-tu,
au milieu de cette dignité suprême, de cette puissance, de ces honneurs
auxquels si peu de gens peuvent aspirer et encore moins atteindre,
puisses-tu, au milieu de tant d'actions de grâces, d'empressements, de vœux
d'obséquiosité, respirer parfois avec David, t'attacher à de plus hauts
objets que ceux dont le monde et la fortune déterminent les limites ! Si tu
n'en avais pas connu la vanité, la mort récente de ton collègue[73] te l'aurait révélée. Par cette
mort, toute la responsabilité du Trésor de France a retombé sur toi. Cette
augmentation de ta charge, les grands et les petits l'ont accueillie avec des
démonstrations de joie. Félicitent-ils le Prince et le pays, ils sont dans la
vérité et dans la justice ; mais si c'est à toi-même qu'ils s'adressent, ils
ne sont pas tes amis. Quant à moi, autant je me réjouis au nom du bien
public, autant je gémis sur toi. Notre
Ordre fait vœux pour que tu ne prêtes qu'une partie de toi-même à cette
prospérité qui passe, et que tu te réserves tout entier pour celle qui est
éternelle. Telles
sont nos communes prières ; mais, pour moi encore, qui te suis attaché à tant
de titres et par tant de bienfaits, plus étroitement par ma volonté que par
la parenté, j'ajoute à ces vœux mes soupirs. Autant j'en ai adressé à Dieu,
autant j'en ai voulu tirer du sein de David pour les répandre dans le tien.
Assez de gens applaudiront à ton bonheur, trop peu en soupireront ; et
cependant, les soupirs doivent tempérer toute félicité humaine, sinon elle
livre les hommes au malheur[74]. Le
petit livre fut classé dans la grande bibliothèque. Les bons conseils sont
comme la bonne semence, il faut qu'ils trouvent des esprits préparés. Trop de
passions diverses occupaient celui de Foucquet pour qu'il lui fût possible
d'écouter ces affectueuses recommandations. La mère de Nicolas, que cette
prospérité inquiétait, que la vie fiévreuse et dissipée de son fils alarmait,
alla exposer ses craintes au P. Vincent. Ce saint homme connaissait Foucquet,
ses défauts, ses vices si l'on veut, mais aussi son bon cœur, son
inappréciable charité pour les pauvres et pour les misérables. Donnez la mère et l'enfant à Notre-Seigneur, répondit Vincent de Paul à Mme de Maupeou ; il vous rendra bon compte de tous les deux. Sous ces paroles assez simples se cachait une connaissance profonde des vicissitudes humaines. Pendant des mois et des années, ni conseils ni sermons ne valent. Tout à coup une heure sonne où la voix longtemps méconnue se fait entendre aux fils des bonnes mères, où à ces mères chrétiennes Dieu rend bon compte de leur fils[75]. Cette heure d'épreuve, d'inquiétude et de salut devait bientôt sonner. |
[1]
Ceux qui sont employez à ces ouvrages engagent
toujours les hommes par de petits commencements, plus avant que n'estoit la
première proposition. Défenses, t. IX, p. 50.
[2]
Elle est indiquée sur le plan de Paris par Gombaut, dressé en 1685. Un hôtel
existe encore sur cet emplacement, dans la rue Courtauvillain, aujourd'hui rue
Michel-Lecomte. L'hôtel de Foucquet occupait le coin des trois rues actuelles :
Michel-Lecomte, Vieille-du-Temple et Montmorency.
[3]
Défenses, t. VI, p. 177. Cette maison avait appartenu à M. de Mauroy, et
passa ensuite au financier Monnerot.
[4]
BONNAFFÉ, Le
surintendant Foucquet, p. 12. V. État des biens de M. Foucquet,
1661. Bibl. Arsenal, ms. 7167.
[5]
V. dans les Mémoires de la Société de Paris et de l’Ile-de-France, 1889,
une excellente monographie de la place des Victoires et de la place Vendôme par
M. de Boislile. L'hôtel d'Émeri est également figuré sur le plan de Courbant.
[6]
V, Défenses, t. V. p. 341. Une maison et un jeu de paume furent achetés
sous le nom de Jannart de M. de Nesmond et de Mlle de Lamoignon, pour le prix
de 15.000 livres. État des biens..., ms. Arsenal, n° 7167.
[7]
Défenses, t. IX. p. 122.
[8]
En général, on admet que la livre de ce temps équivaut à 5 francs
d'aujourd'hui. Mais il faut peut-être faire une différence quand il s'agit de
bâtiments. Les matériaux n'ont pas subi la même augmentation que la
main-d'œuvre. Le château de Maisons avait coûté 7 à 800.000 livres. Ormesson, Mémoires,
t. I, p. 285. Les comptes relevés par Talon (Défenses, t. VI, p. 176)
montent à 485.000 livres.
[9]
V. LABORDE, De
l'organisation des bibliothèques dans Paris, le palais Mazarin et les
habitations de ville et de campagne au dix-septième siècle, p. 51 et 71.
[10]
JAL, Dictionnaire
biographique, art. Le Vau.
[11]
Défenses, t. IX, p. 134.
[12]
Vraisemblablement une première construction du château fut commencée en 1653.
V. les pièces publiées par M. Bonnaffé.
[13]
Défenses, t. XVI, interrogatoire de N. Foucquet.
[14]
V. BAYLE, Dictionnaire
historique, art. Le Brun, d'après le Mercure galant de 1690.
Ce cabinet a été décrit dans Clélie, t. VI, p. 878. JOUIN, Le Brun et les beaux-arts sous
Louis XIV.
[15]
BONNAFFÉ, p. 38.
[16]
V. GOUJON, La
châtellenie de Vaudreuil. Les fragments d'un Hercule ont été récemment
retrouvés.
[17]
M. Bonnaffé, dans son ouvrage : Le surintendant Foucquet, Paris,
Librairie de l'art, 1880, dit que le vestibule est orné de deux statues et de
quatre bustes. C'est une erreur. Mme de Scudéry avait trop bien pris ses notes
pour se tromper. Girardon dit que ces statues se trouvaient dans le salon. V. ibid.,
p. 25 et 71.
[18]
Suivant M. Bonnaffé, les peintures du salon n'auraient pas été exécutées. G.
Audran les aurait gravées d'après des cartons de Le Brun. Il est vrai que Mlle
de Scudéry parle du dessein du peintre. Toutefois, l'ensemble de sa description
indique une œuvre vue en place et non en projet. De plus, La Fontaine, parlant de la description de quelques endroits de ce beau séjour,
vise celle du salon, laquelle on ne pouvoit assez
estimer. Songe de Vaux, ch. II. Ces peintures un peu modifiées,
ornèrent-elles plus tard le salon du château de Sceaux ? Voyage pittoresque
des environs de Paris, p. 189.
[19]
Selon Bonnaffé : l'Immortalité.
[20]
Inventaire de Vaux, publié par Bonnaffé.
[21]
Vaux-le-Vicomte, comme un homme puissant entouré de
ses courtisans et qui se fait précéder de ses Gardes, s'élève majestueusement
appuyé sur ses pavillons. LABORDE, loc. cit., p. 79.
[22]
Nous ne pouvons décrire Vaux en détail. Le lecteur curieux pourra consulter les
travaux de MM. Graisy et Montaiglon, sur les artistes qui travaillèrent à ce
chef-d'œuvre ; de M. Bonnaffé, Le surintendant Foucquet, notice insérée
dans l'Ami des monuments, 1887, n° 3 et 4, avec des vues et dessins. M.
Pfnor a publié (librairie Morel, 1889) une étude spéciale sur Vaux. Ce domaine,
bien détérioré à la Révolution (Bulletin de la Société de l'histoire de
France, 1843, rapport de Grégoire à l'Assemblée nationale), est
heureusement devenu la propriété de M. Sommier, qui, faisant un noble usage de
sa grande fortune, s'applique à restaurer ce magnifique château, avec un goût,
avec un scrupule que les historiens et les artistes ne sauraient trop louer.
[23]
Défenses, t. VI, p. 175. Les meubles sont compris dans cette somme.
[24]
V. plan de Belle-Isle par DE FER.
[25]
Défenses, t. IX, p. 109. Gourville, dans ses Mémoires, a défiguré
le nom de Charnacé, dont il a fait Charié. Foucquet y envoya aussi un sieur
Gilard, qui était charpentier.
[26]
Défenses, t. IX, p. 109.
[27]
Conseils de la Sagesse, 2e partie, préface, t. II, p. 224, édit. 1736.
[28]
Défenses, t. IX, p. 124.
[29]
Tallemant a parlé de quatre cents personnes nourries à Vaux. Cela ne peut
s'entendre que d'un jour de fête, ou bien on aura compris les ouvriers dans ce
chiffre. V. Historiettes.
[30]
Défenses, t. V, p. 335.
[31]
GOURVILLE, Mémoires,
p. 144.
[32]
CROISY, Mémoires,
p. 444.
[33]
RATHERY, Mademoiselle
de Scudéry, t. I, p. 280.
[34]
SCARRON, Dernières
Œuvres, Paris, 1709, t. I, p. 235, 236.
[35]
SCARRON, Dernières
Œuvres, p. 262.
[36]
SCARRON, Dernières
Œuvres, p. 80. Lettre de Scarron à un frère de Foucquet, Louis ou François.
[37]
SCARRON, Dernières
Œuvres, p. 93.
[38]
SCARRON, Dernières
Œuvres, p. 96.
[39]
SCARRON, Dernières
Œuvres, p. 277.
[40]
LA FONTAINE, Œuvres
diverses, p. 33. Paris, 1804.
[41]
LA FONTAINE, Œuvres
diverses, p. 35.
[42]
LA FONTAINE, Œuvres
diverses, p. 37.
[43]
Boisrobert a composé une pièce de vers assez médiocre qui se trouve au bas du
portrait du fils ainé de Foucquet.
[44]
Charles PERRAULT,
Œuvres choisies, p. 333. Paris, 1823.
[45]
G. COSSARTI Orationes
et Carmina, Paris, Barbou, 1723. V. dans ce volume, p. 169, une dédicace de
thèse présentée par Jacques Jannart.
[46]
MADELENETI Carmina,
Paris, Barbon, 1725. V. les poèmes, p. 73, 80, 93.
[47]
N. Gervaise avait été chargé de composer les inscriptions pour les fontaines de
Vaux et les peintures de Saint-Mandé.
[48]
SCUDÉRY, Clélie,
4e partie, livre II, p. 863, édit. de 1660.
[49]
Notice sur les hommes les plus célèbres de la Faculté de médecine, p.
111. Paris, 1778.
[50]
Rymaille sur les plus célèbres bibliotières de Paris. Paris, 1889, p.
78.
[51]
Annuaire du Bulletin de la Société de l’histoire de France, 1874, p. 236
; MAROLLES, Mémoires,
t. III, p. 251 ; Sorberiana, p. 86. Carcavy avait été conseiller au
parlement de Toulouse.
[52]
Clélie, t. IV, p. 617, édit. 1656.
[53]
Clélie, t. IV, p. 649.
[54]
Clélie, t. IV, p. 1139.
[55]
Clélie, t. IV, p. 1143.
[56]
Lettre autographe du 11 octobre 1658. Bibl. nat., Baluze, 150, f° 245.
[57]
Bibl. nat., Baluze, 150, f° 249.
[58]
Lettre du 18 avril 1659. Baluze, 150, f° 319.
[59]
MONTPENSIER, Mémoires,
t. III, 566.
[60]
Clélie, t. VIII, p. 1300.
[61]
Lettre du 13 octobre i859. SCARRON, Dernières Œuvres, t. I, p. 107.
[62]
MARCOU, Étude
sur Pellisson, p. 254.
[63]
CHÉRUEL, Mémoire,
t. I, p. 365. Pour l'intelligence du texte, l'orthographe n'a pas été
conservée.
[64]
Défenses, t. X, 292.
[65]
Journal de Gomont. Bibl. Mazarine, ms. 1448.
[66]
Les Fausses Prudes, ou les Amours de Mme de Brancas. Histoire amoureuse des
Gaules, t. II, p. 337.
Mais lui,
toujours comme un glaçon,
Ne mord jamais à
l'hameçon,
Jamais on ne le
put surprendre.
Il avait une
amitié tendre
Pour son
bonhomme de mari.
. . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . .
On dit que
malgré qu'il en eut,
Qu'elle en fit
ce qu'elle voulut.
[67]
Bibl. nat., ms. Baluze, 150, p. 21. M. Chéruel attribue ce billet, en hésitant,
il est vrai, à Mme du Plessis-Bellière. Cette attribution n'est pas soutenable.
Aucune ressemblance d'écriture ni d'orthographe.
[68]
BOISROBERT, Poésies
mêlées.
[69]
La Fontaine lui a dédié plusieurs pièces de vers, et Scarron la seconde partie
du Roman comique.
[70]
Une Vie des saints est dédiée à Mme la procureuse générale.
[71]
GUY PATIN, Lettres,
II, 410. Cf. ms. Arsenal, Conrart, XI, 159.
[72]
Davidis suspiria, excerpta a P. des Champsneufs, Societatis Jesu,
presbitero. Paris, Cramoisy, 1659. Un autre recueil, Evangelica dicta,
paru en même temps, est dédié à L. Foucquet, évêque d'Agde.
[73]
Servien.
[74]
Davidis suspiria, excerpta a Petro des Champsneufs. Parisiis, 1659,
in-16.
[75]
COLLET, Vie
de saint Vincent de Paul, t. III, p. 71. Id., Vie abrégée, p.
312.